Décision

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96011766 COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No: 200-09-000770-906
(655-05-000034-900)

Le 16 mai 1996


CORAM: LES HONORABLES BROSSARD
ROBERT, JJ.C.A.
PHILIPPON, J.C.A.






GASTON MARIN,

APPELANT-Mis en cause;

c.

SOCIÉTÉ CANADIENNE DE MÉTAUX REYNOLDS LTÉE,

INTIMÉE-Requérante;

et

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES,
et
GUY PERREAULT, ès qualités de commissaire,

MIS EN CAUSE-Intimés;

et

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL,

MISE EN CAUSE-Mise en cause;




          LA COUR , statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure (district de Baie-Comeau, l'honorable Paul Corriveau, le 7 novembre 1990) qui a cassé la décision de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles qui avait accueilli la plainte du salarié;

          Après étude, audition et séance tenante;

          L'appelant avait été absent du travail en raison de lésions professionnelles et à son retour, il a reçu une indemnité de vacances calculée sur moins de 1 200 heures travaillées à cause de ces absences. En conséquence, l'indemnité a été de 699,45 $ en moins.

          Il a formulé une plainte en invoquant que l'article 242 de la Loi(1) lui donnait droit, aux fins de fixer l'indemnité de vacances à laquelle il avait droit à son retour, de faire compter ses heures d'absence en raison de lésions professionnelles. La CSST lui a donné tort. Le Bureau de révision lui a donné tort. La CALP lui a donné raison.

          Le juge de la Cour supérieure fait état d'une divergence d'opinion sinon d'une controverse parmi certains commissaires dela CALP relativement à l'interprétation des articles 32 et 242 de la Loi. Estimant qu'en face d'une divergence d'interprétation de la loi, il lui fallait intervenir, il a considéré qu'il était déraisonnable de donner à l'article 242 l'interprétation qui permettait au travailleur d'accumuler des heures pendant son absence. Voici comment il s'est exprimé:

Les conséquences des deux interprétations sont tout à fait différentes l'une de l'autre puisque selon la décision prise en référence, le travailleur se verra ou non octroyé des crédits pour les jours de travail au cours desquels il fut absent après avoir subi une lésion professionnelle.


     Le Tribunal n'estime pas être en face d'une divergence d'interprétation de convention collective, mais bel et bien d'une divergence d'interprétation de la loi et il ne lui apparaît pas qu'il soit opportun de laisser libre cours à l'existence de différentes façons d'appliquer la loi au regard des principes soulevés par cette affaire.


     De plus, et pour les motifs qui seront exposés ci-après, il conclut aussi qu'il doit intervenir en raison même des principes qui justifient son intervention en matière d'évocation, savoir que l'interprétation donnée par l'intimé Perreault ne peut rationnellement s'appuyer sur le texte même de la loi.



et plus loin:

     Ainsi, le Tribunal ne peut convenir que le terme «avantages» contenu à l'article 242 de la loi permet au travailleur qui réintègre son emploi d'accumuler pendant son absence des heures de travail. C'est là faire dire à cet article plus que ce qu'il comprend et c'est même aller à
l'encontre du dernier paragraphe de l'article 1 cité précédemment, qui circonscrit aux limites prévues au chapitre VII les droits au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.



          La Cour estime qu'ici l'article 32 n'a pas d'application puisqu'il ne peut s'agir de sanction. Cet article traite des sanctions que l'employeur ne peut imposer à un travailleur en raison d'une lésion professionnelle subie.

          Relativement à l'article 242, la question est pertinente de déterminer si les heures d'absence, en raison de lésions professionnelles subies par le travailleur, doivent être comptées aux fins de fixer l'indemnité de vacances à laquelle il a droit après son retour. L'article 242 stipule:

242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.


Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulé.




          De son côté, la CALP s'exprime comme suit quant à l'interprétation de l'article 242:

La Commission d'appel considère que la paie de vacances dont il est question ici a été établie et remise au retour ou après le retour au travail du travailleur et que l'élément antérieur (accumulation des heures) dans ce dossier se confond avec les termes "s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence" et en est indissociable.


Dans les circonstances, la Commission d'appel est d'avis que, dans cette situation, l'application de l'article 11.12-2.b) de la convention collective n'est pas conforme aux dispositions de la loi en matière de retour au travail et ne saurait avoir préséance sur cette loi qui est d'ordre public.




          La Cour estime qu'est rationnelle et fondée sur les textes pertinents la décision dont l'effet est de considérer parmi les avantages visés par l'article 242 de la Loi, l'indemnité calculée en incluant les heures d'absence en raison de lésions professionnelles. Cette décision fait partie du champ de compétence exclusive de la CALP.

          Quant au motif d'intervention basé sur l'existence d'une controverse et afin de décider s'il devait trancher entre des tendances divergentes, le premier juge s'est référé à deux décisions, l'arrêt Moalli(2) sur lequel il s'est appuyé pour tenter de mettre fin à la controverse et l'arrêt Syndicat canadien de laFonction publique(3) qui considérait plutôt l'arrêt Moalli d'application exceptionnelle.

          Depuis, plusieurs arrêts ont été rendus, surtout l'arrêt Domtar(4) de la Cour suprême qui représente l'état du droit sur la question: si la décision n'est pas déraisonnable, il ne faut pas intervenir, quitte à laisser persister la controverse. Madame la juge L'Heureux-Dubé a écrit l'opinion unanime de la Cour dans Domtar dont je cite les extraits suivants(5):

     L'impératif de cohérence dans l'application de la loi constitue, indéniablement, un objectif valable, donc un argument de poids. Que des justiciables reçoivent, relativement à la même question, des réponses diamétralement opposées selon l'identité des membres de tribunaux administratifs peut apparaître inacceptable à certains et même difficilement compatible avec plusieurs objectifs, parmi lesquels la primauté du droit. Or, comme l'indique la jurisprudence, la cohérence décisionnelle et la primauté du droit ne sauraient avoir un caractère absolu, dénué de tout contexte. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le problème de l'incohérence décisionnelle au sein d'instances administratives est indissociable de l'autonomie décisionnelle, l'expertise et l'efficacité de ces mêmes tribunaux.


          ...

L'opportunité d'une intervention judiciaire en cas de conflit jurisprudentiel au sein de tribunaux administratifs, même grave et incontestable, ne saurait, dans ces conditions, s'inspirer uniquement du «triomphe» de la primauté du droit. Dans le cas de décisions intrajuridictionnelles non manifestement déraisonnables, le débat se résume, plutôt, à se demander si les principes sous-jacents à la retenue judiciaire doivent céder le pas à d'autres impératifs. À mon avis, la réponse est non.(6)


          ...

     Ce processus a conduit à l'élaboration du critère de l'erreur manifestement déraisonnable. Si le droit administratif canadien a pu évoluer au point de reconnaître que les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, je crois que l'absence d'unanimité est, de même, le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux. Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait, à mes yeux, une grave entorse à ces principes. Ceci m'apparaît d'autant plus vrai que les tribunaux administratifs, tout comme le législateur, ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits. La solution qu'appellent les conflits jurisprudentiels au sein de tribunaux administratifs demeure donc un choix politique qui ne saurait, en dernière analyse, être l'apanage des cours de justice.(7)




          La Cour suprême enseigne donc qu'il ne faut pas intervenir en matière de révision judiciaire aux motifs d'interprétations divergentes même quand la divergence porte sur l'interprétation de la loi constitutive de l'organisme administratif chargé del'interprétation. À ce sujet, voici l'opinion de Madame la juge Wilson dans National Corn Growers Assn(8), citée dans Domtar(9), à la page 800:

     Les cours de justice ont également fini par se faire à l'idée qu'elles ne sont peut-être pas aussi bien qualifiées qu'un organisme administratif déterminé pour donner à la loi constitutive de cet organisme des interprétations qui ont du sens compte tenu du contexte des politiques générales dans lequel doit fonctionner cet organisme.




          C'est donc sur la base de l'erreur manifestement déraisonnable que la décision sous étude doit être appréciée et, comme nous l'avons vu, il n'y a pas lieu ici d'intervenir.


          POUR CES MOTIFS:

          
ACCUEILLE l'appel;

          CASSE le jugement de la Cour supérieure;

          REJETTE la requête en révision judiciaire avec dépens.





ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.




MICHEL ROBERT, J.C.A.




JACQUES PHILIPPON, J.C.S.
(ad hoc)



Procureur de l'appelant: Me Jean-Paul Proulx (Mes Proulx, Laprise)
Procureur de l'intimée:  Me Jocelyn F. Rancourt (Mes Ogilvy Renault)
Procureure de la CALP:        Me Claire Delisle (Me Levasseur, Delisle, Morel)
Procureur de la CSST:         Me Berthi Fillion (Mes Chayer, Panneton, Lessard)

Date de l'audition:      16 mai 1996


1.     Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001.
2.     Produits Pétro-Canada Inc. c. Moalli, [1987] R.J.Q. 261 (C.A.).
3.     Syndicat canadien de la fonction publique c. Commission des écoles catholiques de Québec, J.E. 90-176 .
4.     Domtar Inc. c. Québec (CALP), [1993] 2 R.C.S. 756 .
5.     Précitée, note 4, aux pages 787 et 788.
6.     Précitée, note 4, à la page 795.
7.     Précitée, note 4, aux pages 800 et 801.
8.     National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324 , à la page 1336.
9.     Précitée, note 4.

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