Décision

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Équipement sanitaire Cherbourg 1977

2011 QCCLP 2602

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

6 avril 2011

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

415190-05-1007

 

Dossier CSST :

127045490

 

Commissaire :

Jean-François Clément, Juge administratif en chef

______________________________________________________________________

 

 

 

Équipement sanitaire Cherbourg 1977

 

Partie requérante

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

DÉCISION

 

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le 13 juillet 2010, Équipement sanitaire Cherbourg 1977 (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 5 juillet 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]          Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 19 mars 2010 et déclare que l’employeur a droit à un partage de l’imputation des coûts de l’ordre de 65 % à son dossier et 35 % aux employeurs de toutes les unités en lien avec la lésion professionnelle subie le 21 octobre 2004 par monsieur Alain Thiffault (le travailleur).

[3]          Une audience était prévue à Sherbrooke, le 27 janvier 2011, mais l’employeur y a renoncé, préférant déposer une argumentation écrite accompagnée d’une preuve additionnelle.

[4]          Ces documents ont été reçus par le tribunal le 1er avril 2011 et c’est à cette date que le délibéré a débuté.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]          L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que 90 % des coûts inhérents à la lésion professionnelle du 21 octobre 2004 doivent être imputés à tous les employeurs et seulement 10 % à son propre dossier.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]          La Commission des lésions professionnelles doit décider du partage d’imputation auquel a droit l’employeur, en vertu des principes prévus à l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[7]          Il est vrai que la Commission des lésions professionnelles procède de novo et possède les pouvoirs prévus à l’article 377 de la loi :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]          En conséquence, le tribunal n’est pas lié par la conclusion de la CSST voulant que le travailleur soit handicapé.

[9]          Comme l’employeur conteste devant la Commission des lésions professionnelles une décision de partage de coûts, le tribunal peut se pencher sur l’ensemble de cette question et de ses composantes, incluant l’existence d’un handicap.

[10]        Ceci étant dit, l’étude du dossier révèle que la CSST avait raison de conclure à la présence d’un handicap dont la preuve a été faite par l’employeur.

[11]        Elle a aussi eu raison de décider qu’il y avait lien entre le handicap et la lésion professionnelle.

[12]        En conséquence, il ne reste qu’à établir le pourcentage d’imputation devant être attribué dans ce dossier.

[13]        Les faits à la base du présent dossier sont les suivants.

[14]        Le travailleur est âgé de 41 ans et occupe un emploi de commis d’entrepôt lorsqu’il chute en bas d’un escabeau, le 21 octobre 2004. Le diagnostic retenu est celui d’entorse du genou gauche.

[15]        Le travailleur décède le 22 décembre 2004 d’une cause étrangère à la lésion professionnelle. En conséquence, la consolidation a mis 8.9 semaines à s’établir et aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles n’ont été décernées.

[16]        La conjointe du travailleur a cependant eu droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pendant trois mois, tel que prévu à l’article 58 de la loi :

58.  Malgré le paragraphe 2° de l'article 57, lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle, cette indemnité continue d'être versée à son conjoint pendant les trois mois qui suivent le décès.

__________

1985, c. 6, a. 58.

 

 

[17]        Lorsque le handicap entraîne une période de consolidation anormalement longue de la lésion professionnelle par rapport à la période de consolidation normale d’une telle lésion, la jurisprudence calcule habituellement, aux fins du partage de l’imputation des coûts de cette lésion, le ratio entre la période de consolidation observée et la période de consolidation normale en imputant le pourcentage correspondant à l’ensemble des employeurs.[2]

[18]        Ainsi, comme dans le présent dossier, aucune séquelle permanente n’a été décrétée en raison du décès du travailleur et qu’aucune admission en réadaptation n’a été faite, le tribunal constate que la durée de l’indemnisation versée au travailleur lui-même n’a été que d’environ neuf semaines.

[19]        En effet, le jour de son décès, le travailleur perdait le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, tel que prévu à l’article 57 de la loi :

57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

 

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;

 

2° au décès du travailleur; ou

 

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

 

 

[20]        L’employeur allègue qu’on devrait aussi tenir compte de l’indemnité versée à la conjointe du travailleur, en vertu de l’article 58 de la loi. Or, ce versement n’a habituellement aucun lien avec le handicap mais résulte strictement de la volonté du législateur.

[21]        Il s’agit d’une mesure de nature sociale ayant pour but de venir en aide au conjoint après le décès d’un travailleur. Le handicap du travailleur n’a absolument rien à voir en cette matière, cette indemnisation étant généralement versée qu’il y ait eu ou non existence d’un handicap.

[22]        Il est vrai que la question de la proportion de partage des coûts pouvant être accordée n’est pas encadrée par des critères expressément prévus mais la jurisprudence a décidé qu’afin de respecter la logique entourant les critères établis pour permettre la reconnaissance du fait qu’un travailleur est déjà handicapé, il y avait lieu de retenir comme critères non seulement la prolongation de la consolidation mais également toutes les conséquences qu’a pu entraîner la déficience du travailleur, incluant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.[3]

[23]        Or, le paiement de l’indemnité à la conjointe du travailleur n’est pas une conséquence qu’a pu entraîner la déficience du travailleur mais le résultat d’un choix législatif, totalement étranger au handicap.

[24]        En résumé, règle générale, il n’y a aucun lien entre le handicap et l’indemnité de trois mois versée à la conjointe du travail en vertu de la loi.

[25]         Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé que l’application de l’article 58 de la loi ne donnait pas lieu à un transfert en vertu de la notion d’obérer injustement, prévue à l’article 326 de la loi.[4]

[26]        Référant au Guide de l’employeur, ouvrage conjoint du MSSS de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la période de consolidation attendue pour une entorse du genou de grade 1 serait de deux à quatre semaines.

[27]        Le docteur Rioux retient le grade 1 et une période de consolidation attendue de deux semaines pour les raisons suivantes :

            1.        Le travailleur s’est plaint initialement d’une douleur à la jambe mais pas au genou;

                        À ce niveau, même si la première attestation médicale mentionne la présence d’une entorse à la jambe gauche, cette entité anatomique incluant par ailleurs le genou, il n’en reste pas moins que dès le 24 octobre, le diagnostic d’entorse du genou gauche est émis puis, repris le 31 octobre 2004.

            2.        Les diagnostics ont fluctué allégrement passant d’entorse de la jambe à entorse du genou puis, contusion du genou;

                        Le diagnostic d’entorse à la jambe n’a été émis que lors de l’attestation initiale par un médecin qui n’a pas revu le travailleur par la suite et qui manifestement n’était pas le médecin qui a charge.

                        Quant aux diagnostics d’entorse du genou et de contusion au genou, ils ne sont pas incompatibles puisque la version du travailleur démontre qu’il s’est tordu le genou en tombant d’un escabeau, de sorte que dans sa chute, une contusion est vraisemblablement aussi survenue.

                        D’autre part, le tribunal ne voit pas en quoi la variété de diagnostics, eût-elle été exacte, pourrait amener la conclusion que l’événement était banal.

            3.        Une entorse, qui est une atteinte ligamentaire, laisse toujours des traces sur une imagerie par résonance magnétique lorsqu’elle a été le moindrement sérieuse, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier;

                        Il faut rappeler que l’accident est survenu le 21 octobre 2004 et que la résonance magnétique n’a été pratiquée que le 1er décembre 2004, soit presque six semaines plus tard. En conséquence, l’entorse a pu perdurer sur six semaines et se résorber et ne pas être visible à la résonance magnétique du 1er octobre 2004.

                        On ne peut conclure que la lésion était consolidée deux semaines après sa survenance parce qu’elle n’était pas visible six semaines plus tard, sur la résonance magnétique.

                        Si la résonance magnétique avait été pratiquée deux semaines après l’événement, on aurait possiblement pu avancer cet argument.

[28]        Le docteur Rioux semble également faire fi du caractère sérieux de l’événement du 21 octobre 2004 alors que le travailleur s’est tordu le genou en tombant d’un escabeau. Il ne s’agit pas d’un événement banal.

[29]        Le fait qu’une résonance magnétique détecte les signes d’une entorse ancienne, moindrement sérieuse, ne fait pas en sorte qu’elle aurait pu détecter une entorse d’intensité moyenne qui aurait duré quelques semaines.

[30]        L’avis du docteur Rioux doit donc être rejeté.

[31]        Le tribunal retient par conséquent que la période de consolidation normale de la lésion du travailleur était de six semaines, en vertu de la seule preuve qui reste disponible au dossier, soit la Politique d’imputation de la CSST et le document fourni par le docteur Rioux indiquant qu’une entorse du genou, d’intensité moyenne, dure de quatre à six semaines, de sorte qu’à première vue le calcul effectué par la CSST est bien-fondé.

[32]        Toutefois, malgré tout ce qui a été dit précédemment, ce dossier présente une spécificité :

            Ø        l’indemnité prévue à l’article 58 de la loi, même si elle n’a rien à voir en soi avec le handicap, a été versée ici parce que le travailleur est décédé pendant la période excédentaire d’indemnisation attribuable au handicap préexistant;

[33]        En effet, si le travailleur n’avait pas été handicapé, sa lésion serait rentrée dans l’ordre dans une période de six semaines, soit au début décembre. Or, il est décédé d’une cause étrangère à la lésion, le 22 décembre 2004, de sorte que n’eut été du handicap et du prolongement de la période de consolidation, il serait mort alors qu’il ne recevait plus d’indemnité de remplacement du revenu et l’indemnité prévue à l’article 58 de la loi n’aurait pas été versée.

[34]        C’est à cause de ces circonstances exceptionnelles qu’on doit tenir compte de cette indemnité dans le calcul du partage de coûts.

[35]        Ainsi, une indemnisation basée sur une période de 152 jours a été versée alors que cette indemnité n’aurait dû s’étendre que sur 42 jours, n’eut été du handicap.

[36]        En conséquence, 28 % des coûts inhérents à la lésion professionnelle, du 21 octobre 2004, doivent être imputés au dossier de l’employeur et 72 % aux employeurs de toutes les unités.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Équipement sanitaire Cherbourg 1977, l’employeur;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 5 juillet 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que 28 % des coûts inhérents à la lésion professionnelle, du 21 octobre 2004, doivent être imputés au dossier de l’employeur et 72 % aux employeurs de toutes les unités

 

 

 

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            Jean-François Clément

 

 

 

 

Monsieur Alain Leblanc

COGESST INC.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Cynergistic inc. et C.S.S.T., C.L.P. 58837-62-9405, 26 octobre 1995, J.Y. Desjardins.

[3]           Construction BSL inc., C.L.P. 184504-32-0205, 23 octobre 2002, M.-A. Jobidon; Meubles Canadel inc., C.L.P. 234765-04-0405, 29 novembre 2004, S. Sénéchal.

[4]           Bourboule transport ltée, C.L.P. 162954-64-0106, 9 janvier 2002, G. Perreault; Poly-Cem inc, C.L.P. 254195-32-0502, 3 juin 2005, M.-A. Jobidon.

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