Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Morency c. St-Ferréol-Les-Neiges (Municipalité de)

2016 QCCS 2403

JJ0379

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-021599-154

 

 

 

DATE :

27 mai 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DENIS JACQUES, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

ÉRIC MORENCY

Demandeur

c.

MUNICIPALITÉ SAINT-FERRÉOL-LES-NEIGES

Défenderesse/demanderesse en mise en cause forcée

et

SÉMINAIRE DE QUÉBEC

Défenderesse en mise en cause forcée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          Le demandeur, Éric Morency, présente une demande introductive d’instance en mandamus contre la Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges « la Municipalité » afin d’obtenir la délivrance d’un permis de construction. De plus, il réclame de cette dernière des dommages pour troubles, ennuis et inconvénients de 25 000 $ ainsi qu’un montant additionnel de 25 000 $ pour dommages exemplaires.

[2]          En outre, il demande au Tribunal d’ordonner à la Municipalité de lui rembourser tous les frais extrajudiciaires qu’il a encourus.

[3]          Pour sa part, la Municipalité conteste la réclamation du demandeur et soutient qu’elle ne pouvait lui délivrer le permis de construction en l’absence d’une servitude de passage enregistrée sur le chemin privé adjacent détenu par le Séminaire de Québec « le Séminaire ».

[4]          La Municipalité a d’ailleurs mis en cause le Séminaire, propriétaire du chemin, qui conteste l’existence et la validité de toute servitude de passage alléguée par le demandeur, laquelle est nécessaire pour l’obtention de son permis.

[5]          De plus, elle affirme que la demande déposée par le demandeur en septembre 2012 ne satisfaisait pas à plusieurs autres conditions nécessaires à l’octroi du permis et qu’en conséquence, elle n’avait pas le devoir de lui délivrer.

[6]          Par ailleurs, la Municipalité conteste toute réclamation monétaire du demandeur soutenant avoir toujours agi de bonne foi dans le cours du dossier.

[7]          Enfin, la Municipalité plaide que la demande en mandamus du demandeur est prescrite, puisque ses procédures ont été intentées au-delà du délai pour ce faire, soit un délai de plus de 26 mois de la connaissance du refus de lui octroyer le permis qu’il réclame dans le cadre de son recours.

[8]          De la même façon, la demande en dommages-intérêts serait aussi prescrite puisqu’elle fut introduite plus de 6 mois après la naissance de la cause d’action.

Le contexte

[9]          Le demandeur se décrit lui-même comme homme d’affaires. Il opère principalement un dépanneur à Saint-Tite-des-Caps. Il possède déjà des terrains dans la Municipalité.

[10]       Le 27 février 2012, il acquiert de Abibow Canada inc. « Abibow » cinq lots, soit les lots 19, 20, 22, 23 et 24, lesquels sont sis dans la Municipalité. Il obtient aussi le lot 279 dont Abibow veut se départir, le tout pour une transaction dont le montant total est de 35 000 $.

[11]        Même si le lot 279 ne l’intéresse pas alors, le demandeur en fait l’acquisition puisque Abibow exige qu’il fasse partie de la transaction pour ceux qu’il désire vraiment obtenir.

[12]        Le 13 septembre 2012, malgré ses intentions premières, le demandeur dépose auprès de la Municipalité une demande pour la construction d’une résidence sur le lot 279-5.

[13]        Antérieurement à la demande de permis déposée, soit le 21 mars 2012, le Séminaire est devenu propriétaire du chemin bordant le lot 279-5 pour lequel le demandeur requiert son permis de construction.

[14]        Ce chemin, appelé chemin Abitibi avait été décrété le 29 août 2011 par la Municipalité comme étant une voie de circulation ouverte au public, par tolérance du propriétaire, et donc une rue privée à accès public au sens du Règlement de zonage.

[15]        Le 1er mai 2012, les procureurs du Séminaire transmettent au directeur général de la Municipalité, monsieur François Drouin, une lettre établissant que dorénavant, depuis l’acquisition du chemin par le Séminaire, celui-ci est devenu une rue privée. L’opinion transmise fait état de ce qui suit :

Tout d’abord, le Chemin Abitibi ne communique avec aucune autre municipalité. Ce chemin mène à une barrière, celle-ci empêchant le public d’accéder aux terres du Séminaire de Québec. Le chemin a été créé à l’initiative privée de Abitibi pour le transport du bois et de la machinerie forestière.

Le Chemin Abitibi est uniquement utilisé par les propriétaires de terrains adjacents détenant un droit de passage ou par les usagers des terres du Séminaire. (…) D’ailleurs, une pancarte indique qu’il s’agit d’un chemin privé, ce qui démontre l’intention du propriétaire d’en limiter l’accès.

(…)

Une majorité d’éléments factuels nous permet donc de conclure avec assurance que le Chemin Abitibi n’est pas une « rue privée à accès public » au sens du Règlement de zonage. Le Chemin Abitibi demeure une rue privée tout au plus.[1]

[16]        Cette même opinion reçue par la Municipalité contient le rappel suivant quant à son devoir de s’assurer de l’existence d’une servitude antérieure à 1988, soit lors de l’entrée en vigueur du Règlement de zonage, pour toute délivrance de permis de construction sur les terrains adjacents au chemin Abitibi dont il est propriétaire :

Considérant tout ce qui précède, la Municipalité ne peut permettre des constructions ou émettre des permis de construction aux propriétaires de terrains adjacents au Chemin Abitibi situé dans cette zone F à moins qu’il existe une servitude de passage enregistrée avant l’entrée en vigueur du Règlement de zonage selon les conditions stipulées à l’article 1.6.2 f) dudit règlement.

[17]        Il est utile de reproduire ici le contenu de l’article 1.6.2. f) du Règlement applicable à l’époque du dépôt de la demande de permis de construction par le demandeur et auquel réfère le Séminaire :

1.6.2      Conditions préalables aux permis

Aucun permis de construction, d’occupation ou d’affichage ne doit être émis et aucune construction ou usage quelconque n’est autorisé sur le territoire assujetti, à moins que les conditions suivantes soient remplies :

f)     que le lot sur lequel doit être érigée une construction soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée à accès public conforme aux exigences du règlement de lotissement, sur une largeur minimale mesurée à la ligne avant conformément aux dispositions du règlement de lotissement pour l’usage projeté et assujetti à toute autre disposition particulière qui serait prescrite ailleurs dans ce règlement; à l’exception de la zone forestière “ F ” où une servitude de passage enregistrée avant l’entrée en vigueur du présent règlement (1988) peut servir de rue privée à la condition que la largeur de ladite servitude soit d’au moins 12 mètres ou qu’elle soit modifiée afin de respecter cette largeur minimale;[2]

Nos soulignements

[18]        Le 11 juillet 2012, le demandeur s’adresse à la responsable de l’urbanisme pour savoir quels documents doivent être déposés au soutien d’une demande de permis de construction.

[19]        Le même jour, la responsable de l’urbanisme, Chantal Richard, répond au demandeur en lui transmettant les exigences à remplir selon la réglementation municipale (D-18).

[20]        Déjà en date du 26 juin 2012, le demandeur avait reçu par courriel de Jacques Laliberté, régisseur des forêts pour le Séminaire, copie d’un avis de l’aménagiste de la MRC de La Côte-de-Beaupré, Pierre-Alexandre Côté, qui établissait les conditions d’émission d’un permis de lotissement et d’un permis de construction selon le Règlement de contrôle intérimaire numéro 129 de la MRC (pièce D-2).

[21]        Le 19 juillet 2012, les procureurs de la Municipalité transmettent à cette dernière une opinion l’informant que malgré l’avis antérieur transmis en août 2011 à l’effet contraire, depuis l’achat par le Séminaire, en raison des faits nouveaux, il n’est plus possible de soutenir que le chemin Abitibi est une rue privée à accès public au sens du Règlement de zonage. Dorénavant, le chemin doit être considéré comme étant une rue privée, tout au plus.

[22]        Ainsi, les procureurs de la Municipalité conviennent du bien-fondé de l’opinion transmise par les procureurs du Séminaire le 1er mai 2012. À cet égard, ils concluent comme suit :

Considérant ce qui précède, nous vous soumettons que la Municipalité ne peut dorénavant soit depuis le ou vers le début juin 2012, émettre des permis de construction aux propriétaires des terrains adjacents au chemin Abitibi à moins qu’ils ne détiennent une servitude de passage enregistrée avant l’entrée en vigueur du Règlement de zonage, tel que stipulé au paragraphe F de l’article 1.6.2 dudit Règlement.[3]

Nos soulignements

[23]        Le 13 septembre 2012, tel que mentionné précédemment, le demandeur dépose sa demande de permis de construction sur le lot 279-5, adjacent au chemin Abitibi.

[24]        Dans les circonstances, la Municipalité requiert de ses procureurs une opinion juridique afin de déterminer le droit du demandeur d’obtenir un permis de lotissement ainsi que le permis de construction convoité.

[25]        Le 2 octobre 2012, la responsable de l’urbanisme de la défenderesse, madame Chantal Richard, avise le demandeur que des vérifications doivent être effectuées afin de déterminer si les permis peuvent être émis.

[26]        Dans une opinion du 22 octobre 2012, les procureurs de la Municipalité déterminent qu’à certaines conditions, un permis de lotissement pourrait être émis.

[27]        Par ailleurs, dans cette même opinion, les procureurs informent la Municipalité qu’un permis de construction ne peut être délivré au demandeur vu l’absence d’une servitude de passage enregistrée avant 1988. À cet égard, les conclusions transmises à la Municipalité par leurs procureurs sont les suivantes :

Compte tenu des arguments ci-avant mentionnés, bien qu’un permis de lotissement pourrait être émis s’il est démontré que les normes relatives à la profondeur sont respectées, nous vous soumettons que les deux (2) terrains faisant l’objet du projet de lotissement soumis par monsieur Éric Morency ne bénéficient d’aucune servitude de passage enregistrée avant ou après 1988 et qu’en conséquence, aucun permis de construction ne pourra être émis sur l’un ou l’autre des terrains projetés dans l’état actuel de la réglementation.[4]

Nos soulignements

[28]        Le 23 octobre 2012, madame Chantal Richard avise le demandeur verbalement du refus à ses demandes.

[29]        Le 26 octobre 2012, copie de l’opinion de Me Mainguy, procureur de la Municipalité, datée du 22 octobre est transmise au demandeur (P-26).

[30]        Le 6 novembre 2012, le demandeur est avisé par lettre de la Municipalité que sa demande de permis de lotissement est incomplète et que le permis de construction ne peut lui être délivré puisque ses terrains ne bénéficient d’aucune servitude de passage enregistrée avant 1988[5].

[31]        La lettre, bien que signée par le responsable de l’urbanisme, madame Richard, a été préparée par le directeur général de la Municipalité, monsieur François Drouin.

[32]        Le 7 novembre 2012, le notaire Alain Bourget, qui avait été choisi par le demandeur pour instrumenter l’acte pour son achat de Abibow en février 2012, transmet à la Municipalité une opinion faisant état qu’à son avis, le demandeur doit se voir reconnaître une servitude de passage, laquelle aurait  été créée dans un acte du 20 avril 1965.

[33]        Le 6 décembre 2012, l’avocat Rémi Robert transmet, au nom du demandeur, une mise en demeure à la Municipalité de lui octroyer le permis de construction demandé le 13 septembre 2012.

[34]        Puisque la Municipalité soulève un argument de prescription, il est utile de reproduire intégralement la lettre de Me Robert :

M. Éric Morency m’a consulté pour me faire part du fait que, bien qu’il se conforme à toutes les législations et tous règlements de zonage applicables en vigueur de votre municipalité, par négligence, insouciance ou autrement, vous négligez ou refusez injustement, illégalement et sans droit de lui émettre le permis de construire une maison neuve, permis qu’il aurait sollicité depuis septembre 2012.

Notre client nous signale avoir reçu de votre part (par divers documents écrits) toutes les informations et toutes les exigences auxquelles il devait se soumettre; il m’a déclaré avoir procédé à faire tout ce qui se devait d’être fait pour satisfaire et rencontrer toutes et chacune de vos exigences.

Vous n’êtes pas sans savoir que la Commission Charbonneau révèle des faits plus que troublants commis par des élus et/ou préposés municipaux avec le concours de professionnels, faits qui choquent et révoltent l’opinion publique.

Lors de notre dernière rencontre, mon client envisageait de soumettre tout son dossier aux enquêteurs de la Commission Charbonneau ainsi qu’à ceux de JE de TVA et à ceux de l’émission ENQUÊTE de Radio-Canada afin que l’on puisse identifier la ou les personnes qui, par intérêt quelconque, se complaisent à faire de l’obstruction à sa demande de construire laquelle, comme vous le savez, est tout à fait légitime.

Étant de l’école de ceux qui croient que le dialogue a toujours sa place, mon client, à ma demande expresse, a accepté de surseoir provisoirement à son projet de réclamer une enquête et ce, afin de vous permettre de réétudier avec grand soin tout son dossier.

Ces faits étant exposés, vous voudrez bien me faire part de votre position définitive sur la demande de permis de construire une maison neuve qui vous a été formulée par M. Éric Morency et ce au plus tard le 17 décembre 2012 à 17h00.

En cas de refus de donner suite à cette demande expresse dans le délai précité, en plus de la demande d’enquête mentionnée précédemment, veuillez bien noter que j’ai reçu mandat de mon client de m’adresser au Tribunal par mandamus afin de faire reconnaître son droit et l’illégalité de votre position à son endroit.

Évidemment à cette demande, se greffera une demande importante pour les dommages de diverses natures que M. Morency a subis et se devra de subir pour les délais et les coûts additionnels qu’il se devra de rencontrer pour réaliser son projet de construction.[6]

Nos soulignements

[35]        Le 18 décembre 2012, le demandeur transmet lui-même une missive intitulée « mise en demeure suite au refus d’émission de permis, 279-P » aux membres du conseil de la Municipalité avec copie de la mise en demeure préparée et transmise par l’avocat Rémi Robert (P-29). Il y réitère la menace d’avoir recours aux tribunaux.

[36]        Le 15 janvier 2013, la Municipalité informe par lettre le demandeur qu’à la lumière des nouveaux documents reçus, le permis de lotissement demandé lui sera émis.

[37]         Par contre, elle maintient son refus quant à la demande du permis de construction, et ce, en ces termes :

Malgré cela, dans l’état actuel de la réglementation, l’absence d’une servitude de passage enregistrée avant 1988, vous empêchera de pouvoir obtenir un permis de construction sur le terrain subdivisé. Nous avons soumis l’avis juridique, que votre notaire vous a produit, à notre procureur. Ce dernier nous mentionne que l’avis que vous avez reçu omet certains éléments importants des contrats passés et maintient que vous ne détenez pas de servitude de passage enregistrée.[7]

Nos soulignements

[38]        Dans les faits, le demandeur n’a pu bénéficier de son permis de lotissement qu’à l’automne 2013 puisque les droits requis pour la délivrance du permis n’ont été acquittés que le 11 septembre 2013. Par ailleurs, son arpenteur-géomètre n’a déposé le plan de subdivision au cadastre pour le lot 279-5 que le 28 octobre 2013.

[39]        Entre janvier et mai 2013, des rencontres entre les membres du conseil de la Municipalité et plusieurs citoyens, dont le demandeur, sont tenues. Le Séminaire est aussi intervenu dans certaines de ces rencontres.

[40]        Les modifications envisagées par la Municipalité n’avaient pas pour objet d’enlever l’exigence d’une servitude de passage, tel que le laisse voir le projet de règlement déposé le 30 avril 2013 (P-31).

[41]        Après le refus du permis de construction au demandeur, le Règlement de zonage a été modifié à deux reprises par la Municipalité relativement aux constructions et aux normes de construction autorisées en bordure du chemin Abitibi (pièces D-10 et D-11).

[42]        Pour ce qui nous occupe, le paragraphe f) de l’article 1.6.2 du Règlement de zonage, en vertu duquel la demande de permis a été refusée, a été modifié en septembre 2013 par le Règlement 13-641. L’exigence d’une servitude réelle et perpétuelle enregistrée est toujours requise, quoique celle voulant que l’enregistrement soit antérieur à 1988 ait été retirée[8].

[43]        Après avoir tenté d’obtenir des modifications aux règlements de zonage qui lui auraient permis d’obtenir son permis de construction, le demandeur a effectué des approches politiques en rencontrant les élus dont la mairesse de la Municipalité à la suite des élections municipales tenues à l’automne 2013, et ce, sans succès.

[44]        Le 3 mars 2014, la Municipalité adopte le Règlement 13-647 qui impose de nouvelles normes dans la zone où se trouve le chemin Abitibi, dont la modification de la distance minimale de la ligne des hautes eaux, laquelle est portée à 25 mètres plutôt que 15 mètres.

[45]        Le 19 novembre 2014, le demandeur transmet par la voie de ses procureurs une mise en demeure à la Municipalité, laquelle est accompagnée d’un projet d’une requête introductive d’instance en mandamus (P-38).

[46]        Le 21 janvier 2015, la Municipalité répond au demandeur et maintient le refus du permis recherché qui lui a été communiqué verbalement le 23 octobre 2012 et par écrit le 6 novembre 2012 (P-40), toujours pour le motif principal de l’absence de servitude enregistrée.

[47]        D’où le recours en mandamus introduit par le demandeur le 22 janvier 2015.

* * *

Analyse et décision

- Le recours en mandamus (pourvoi en contrôle judiciaire)

[48]        Au chapitre des recours extraordinaires, la demande en mandamus vise à obliger une personne ou une autorité à accomplir un devoir qu’elle omet, refuse ou néglige d’accomplir malgré la législation ou la réglementation applicable.

[49]        Sans en changer la nature, le nouveau Code de procédure civile a regroupé sous le chapeau de « pourvoi en contrôle judiciaire » les actions et requêtes suivantes : l’action directe en nullité, la requête en évocation ou en révision, la requête en mandamus et celle en quo warranto.

[50]        À cet égard, l’article 529 du nouveau Code de procédure civile stipule ce qui suit :

529. La cour supérieure saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire peut, selon l’objet du pourvoi, prononcer l’une ou l’autre des conclusions suivantes :

(…)

3° enjoindre à une personne qui occupe une fonction au sein d’un organisme public, d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique d’accomplir un acte auquel la loi l’oblige s’il n’est pas de nature purement privée;

[51]        Le pourvoi en contrôle judiciaire constitue donc le recours utile pour, comme en l’espèce, obliger la Municipalité à accomplir un acte qu’elle refuse d’accomplir pour autant que le refus soit en contravention avec la législation ou la règlementation applicables.

[52]        Comme premier moyen, le procureur de la Municipalité fait valoir que le recours du demandeur est irrecevable puisqu’il a été déposé contre la Municipalité et non à l’encontre de madame Richard, responsable de l’urbanisme, et personne désignée à l’émission des permis.

[53]        Le Tribunal ne partage pas sa position.

[54]        En effet, madame Richard est une employée et la Municipalité doit répondre en bout de ligne des demandes formulées par les citoyens. D’ailleurs, comme nous le verrons, puisqu’en l’espèce la responsable de la délivrance des permis était en situation apparente de conflit d’intérêts avec le demandeur, le résultat auquel mène l’argument du procureur de la Municipalité conduit à un non-sens, puisque madame Richard était en accord avec l’octroi du permis requis par son ami, le demandeur et donc en désaccord avec la Municipalité.

[55]        De plus, l’article 1.6.4 du Règlement de zonage laisse clairement voir la responsabilité ultime de la Municipalité dans le cadre de la délivrance des permis :

1.6.4      Émission des permis

L’inspecteur des bâtiments chargé d’émettre des permis ou certificats doit se conformer aux exigences du présent règlement. Aucun permis ou certificat en conflit avec l’une des clauses du règlement, ne peut être émis.

Tout permis ou certificat en contradiction avec ce règlement est nul et sans effet et ne lie pas la Municipalité.

Aucune information ou directive donnée par les fonctionnaires municipaux n’engage la responsabilité de la Municipalité, à moins que cette information ou directive ne soit conforme aux dispositions de ce règlement.

(…)

[56]        De la même façon, l’article 2.1.2 du Règlement sur les permis stipule qu’un permis émis en contravention aux règlements d’urbanisme par le responsable de la délivrance des permis ne lie pas la Municipalité[9].

[57]        Le recours du demandeur intenté contre la Municipalité ne saurait donc être rejeté pour le seul motif qu’il aurait dû viser exclusivement la responsable de la délivrance des permis, madame Chantal Richard.

[58]        Le nouveau Code de procédure civile établit que la demande de pourvoi en contrôle judiciaire doit être présentée pour audition en priorité, comme le faisait l’ancien Code, en stipulant que ce recours doit être instruit et jugé d’urgence.

[59]        Par ailleurs, le fardeau de démontrer le bien-fondé de la demande en mandamus repose sur le demandeur qui doit établir qu’il satisfait aux conditions nécessaires pour obtenir le droit qu’il réclame.

[60]        Dans l’arrêt Placements Val des Arbres Laval inc., le juge Beauregard de la Cour d’appel établit le fardeau d’un demandeur de permis qui doit établir que sa demande est substantiellement complète :

Comme l’appelante n’a jamais obtenu la délivrance d’un permis de construction et comme la demande de permis qu’elle a faite auprès de l’intimée était incomplète et non conforme aux règlements de l’intimée, si elle désirait démontrer que c’est sans droit que l’intimée l’a empêchée de bâtir, elle devait au moins établir que sa demande de permis était substantiellement complète et que, s’il y manquait des détails, ceux-ci étaient de peu d’importance et que, en réalité, l’appelante allait pouvoir respecter toutes les exigences des règlements de zonage et de construction de l’intimée et que la production d’une demande de permis complète et formelle n’aurait constitué en l’espèce qu’une simple formalité.[10]

-    Les questions soulevées par le recours

[61]        En l’espèce, le demandeur a déposé sa demande de permis de  construction le 13 septembre 2012, avec une analyse de sol ainsi qu’un projet d’implantation. Tel qu’établi précédemment, sa demande a été refusée par la Municipalité verbalement le 23 octobre 2012 et par écrit le 6 novembre 2012.

[62]        Les questions pertinentes dans le cadre du présent litige sont les suivantes :

1.            Est-ce que le lot 279-5 du demandeur bénéficie d’une servitude de passage enregistrée avant 1988 sur le chemin Abitibi?

2.            Outre la servitude, est-ce que la demande déposée par le demandeur en septembre 2012 était substantiellement complète, de manière à justifier l’octroi d’une ordonnance afin d’obliger la Municipalité à émettre le permis désiré?

3.            Est-ce que la réclamation en dommages du demandeur contre la Municipalité est justifiée?

4.            Est-ce que le pourvoi en contrôle judiciaire et en dommages est prescrit?

1re question :             Est-ce que le lot 279-5 du demandeur bénéficie d’une servitude de passage enregistrée avant 1988 sur le chemin Abitibi?

[63]        Lors de l’achat des lots le 27 février 2012, l’acte notarié par le notaire Bourget fait état des servitudes bénéficiant aux lots du demandeur, dont celle qui nous occupe :

Le vendeur déclare que lesdits immeubles ne sont l’objet d’aucune servitude, sauf :

(…)

-        les immeubles décrits aux paragraphes F et G ci-dessus bénéficient d’une servitude de passage réelle et perpétuelle dans le chemin qui les borne à l’Ouest et ce gratuitement, le tout tel que créée et plus amplement décrite dans l’acte de vente passé devant Me Paul Beauregard, notaire, le 20 avril 1965, et dont copie a été publiée au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montmorency, sous le numéro 47-378.[11]

Nos soulignements

[64]        Pour établir les droits que veut faire valoir le demandeur, il faut donc référer à l’acte de vente passé devant Me Paul Beauregard le 20 avril 1965.

[65]        L’acte de 1965 constitue un contrat de vente entre monsieur Eugène Fortier et l’acheteur, Ste-Anne Power Company (devenue Abitibi, et par la suite Abibow), auteure du demandeur Morency.

[66]        À l’examen, il appert que la servitude de passage créée dans l’acte de 1965 l’a été non pas en faveur de l’acquéreure, mais bien en faveur du vendeur, monsieur Eugène Fortier.

[67]        À cet égard, la servitude est décrite comme suit :

Le ou les propriétaires présents et futurs des lots 277, 278 et du résidu du lot 279, auront droit de passer gratuitement dans le chemin que l’acquéreur se propose de construire sur la lisière de 100 pieds ci-dessus en premier lieu décrite.

Ces droits de passage sont établis comme servitudes réelles et perpétuelles dans ce chemin construit sur la lisière sus-décrite, comme fonds servant, et qui conduit jusqu’au chemin public, en faveur des dits lots 277, 278 et des parties résiduaires du dit lot 279, du cadastre de St.Ferréol, comme fonds dominant[12].

[68]        Ainsi, la servitude bénéficie non pas à Abitibi Power, auteure de monsieur Morency, mais plutôt au fonds du vendeur, Eugène Fortier.

[69]        L’option d’achat entre le vendeur, Eugène Fortier, et l’acquéreure, Ste-Anne Power company, est aussi claire quant à la servitude de passage que se réserve le vendeur :

Sans nuire à ce qui précède, le Vendeur aura le droit de passage sur le chemin projeté à partir du chemin public pour l’utilité desdits lots 278 et 279, à son propre risque, en autant qu’il ne nuira pas à l’exercice des droits de l’Acheteur.[13]

[70]        Après examen, le Tribunal retient donc l’opinion du procureur Raymond Mainguy dans sa lettre du 22 octobre 2012 à la Municipalité alors qu’il conclut à l’absence de servitude de passage en faveur du demandeur :

En effet, M. Fortier qui était propriétaire de tout le lot 279 a vendu à St. Anne Power Company une partie dudit lot soit une lisière de terre mesurant 100 pieds de large pouvant devenir l’emprise d’un chemin ainsi qu’une autre partie du lot 279 entre le chemin de 100 pieds et la rivière Ste-Anne, se réservant toutefois un petit terrain de 80 pieds de large entre le chemin et la rivière sur lequel il avait déjà érigé un chalet. Afin de circuler sur le chemin à construire par St. Anne, M.  Fortier s’est fait consentir une servitude de passage en faveur du résidu des lots qu’il conservait (…)

Il est très clair que cette servitude ne bénéficie qu’à M. Henri(sic) Fortier et à ses acquéreurs subséquents sur les parties résiduaires du lot 279, soit celles situées au sud-ouest du chemin ainsi que celle du petit lot de 80 pieds de largeur qu’il s’est réservé du côté nord-est du chemin et qui est devenu aujourd’hui le lot 279-1.

La description des lots qui bénéficient de la servitude n’inclut pas les terrains acquis par St. Anne entre le chemin et la rivière qui sont aujourd’hui propriété de M. Morency. Il est d’ailleurs évident et logique que ces derniers lots ne bénéficient pas de la servitude puisque St. Anne était à la fois propriétaire du chemin et de la lisière de terrain entre le chemin et la rivière de telle sorte que la constitution d’une servitude ne présentait aucun intérêt.[14]

Reproduction intégrale

[71]        Comme l’explique aussi l’avocat Mainguy, l’analyse de la chaîne de titres du terrain acquis par monsieur Morency depuis 1965 ne laisse voir aucune mention de la servitude de 1965 ni création d’une nouvelle.

[72]        De ce qui précède, la mention par le notaire Bourget dans l’acte d’achat du demandeur en 2012 de l’existence d’une servitude en sa faveur est erronée puisque le lot 279 ne bénéficie d’aucune servitude de passage en vertu de l’acte de 1965 qui attribue cette servitude à d’autres lots et à un autre auteur que celui de monsieur Morency.

[73]        L’opinion du notaire Bourget du 7 novembre 2012 est à sa face même erronée à la base puisque celui-ci confond le fonds servant et le fonds dominant et fait totale abstraction du fait que la servitude fut créée non pas en faveur d’Abitibi, mais plutôt en faveur du vendeur, Eugène Fortier. Conclure autrement conduirait à une invraisemblance puisque Abitibi se serait consentie une servitude sur un terrain dont elle devenait propriétaire.

[74]        Dans un complément d’opinion du 19 juin 2013, le notaire Bourget tente de bonifier son opinion précédente. Pour ce faire, il tente d’expliquer que le fonds servant a été mal désigné à l’acte et se replie sur la notion d’enclave pour faire valoir la servitude. Le Tribunal ne peut retenir une telle contorsion au texte.

[75]        De la même façon, la transaction subséquente à celle de 1965 entre Abitibi et Jean-Guy Fortier survenue en 1980 alléguée par le demandeur ne sert pas non plus sa position. En effet, l’acte d’acquisition de Jean-Guy Fortier fait état qu’il bénéficiera d’un droit de passage identique à celui qui a été consenti en faveur du terrain réservé par monsieur Eugène Fortier (voir P-12 et P-14).

[76]        À l’audience, le demandeur soutient que par jugement dans un dossier entre le demandeur et le Séminaire de Québec, le juge Lachance de notre cour aurait retenu l’existence d’une servitude en sa faveur[15].

[77]        À cet égard, le juge Lachance s’exprime comme suit :

[212]     Quant à l’existence ou non d’une servitude, s’il avait été nécessaire de la trancher, nous aurions retenu l’opinion du notaire Bourget.

[213]     Cette servitude existe par destination du propriétaire en vue du morcellement du terrain comme ce fut le cas lors de la vente à Jean-Guy Fortier.

Nos soulignements

[78]        Le Tribunal estime que ce jugement n’a pas d’incidence sur la présente affaire et ne saurait le lier d’aucune façon.

[79]        D’abord, le débat mû devant le juge Lachance concernait d’autres lots que celui à l’étude.

[80]        En outre, il s’agissait d’une demande en passation de titre et non en reconnaissance de servitude. Le juge Lachance n’avait donc pas à décider de l’existence ou non d’une servitude pour les fins de la décision qu’il avait à rendre.

[81]        Par ailleurs, la Municipalité n’était pas partie aux procédures et cette dernière n’a pas eu l’occasion de plaider sur l’existence ou non de la servitude, puisque cette question n’avait pas à être tranchée dans le cadre de la demande en passation de titre.

[82]        Dans les circonstances, il est évident que la position retenue sur la servitude par le juge Lachance constitue un obiter dictum d’autant plus que lui-même affirme qu’il n’avait pas à trancher cette question. Tel que mentionné précédemment, cet obiter dictum ne lie pas le Tribunal.

[83]        Ainsi, après avoir examiné les prétentions de chacune des parties sur le fond, le Tribunal met de côté l’opinion du notaire Bourget et retient celle fournie par le procureur de la Municipalité, Me Mainguy, pour les motifs qui précèdent.

[84]        Par ailleurs, ajoutons que la servitude par destination du propriétaire présuppose de répondre à des conditions d’ouverture. Elle ne se présume pas et doit être prouvée par la personne qui veut en bénéficier.

[85]        L’article 1183 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :

1183. La servitude par destination du propriétaire est constatée par un écrit du propriétaire du fonds qui, prévoyant le morcellement éventuel de son fonds, établit immédiatement la nature, l'étendue et la situation de la servitude sur une partie du fonds en faveur d'autres parties.

[86]        Pour qu’il y ait une servitude par destination du propriétaire, il y a obligation de morcellement.

[87]        Or, aucune preuve n’établit que telle est la situation en l’espèce.

[88]        Même en voulant extrapoler, il n’y a pas de morcellement par le seul effet de la vente en 1965 à Abibow, ni enregistrement pour autant.

[89]        Sur le tout, le Tribunal estime que le demandeur ne pouvait faire valoir aucune servitude enregistrée en sa faveur d’un accès au chemin privé avant 1988, condition essentielle pour obtenir son permis de construction.

[90]        Il est vrai que l’article 1.6.2 f) a été modifié en 2013, faisant en sorte que l’exigence de l’enregistrement de la servitude antérieurement à 1988 n’est plus requise.

[91]        Cette version de l’article 1.6.2 se lit comme suit :

f)     que le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée adjacente à une rue publique et conforme aux exigences du règlement de lotissement. Dans le cas où il est adjacent à une rue privée, le terrain doit également bénéficier d’une servitude réelle et perpétuelle de passage sur toute la largeur de l’emprise du chemin privé, à partir du terrain, jusqu’à l’emprise d’un chemin public.[16].

Nos soulignements

[92]        Le même article a été modifié à nouveau le 3 mars 2014 pour se lire ainsi :

f)     que le terrain su lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée adjacente à une rue publique et conforme aux exigences du règlement de lotissement. Dans le cas où il est adjacent à une rue privée, le terrain doit également bénéficier d’une servitude réelle et perpétuelle de passage sur toute la largeur de l’emprise du chemin privé, à partir du terrain, jusqu’à l’emprise d’une rue publique. Cette servitude doit être dûment publiée au Bureau de la publicité des droits.[17]

[93]        Or, même avec la nouvelle version du paragraphe 1.6.2 f) du Règlement de zonage, le demandeur n’a pas davantage droit à l’octroi du permis recherché, ne bénéficiant d’aucune servitude enregistrée.

[94]        Le demandeur a fait état qu’en l’absence de servitude, son lot serait enclavé. Or, aucune telle preuve d’enclave n’a été démontrée à l’audience. En effet, comme le plaide le Séminaire, le demandeur bénéficie d’une tolérance qui l’autorise à circuler sur son chemin pour se rendre à son lot.

[95]        Dans l’arrêt Lubecki c. Lubecki[18], la Cour d’appel retient qu’il n’y a pas d’enclave dans de telles circonstances :

[83]        Évidemment, il n’y a pas d’enclave lorsque le propriétaire jouit d’une servitude réelle ayant l’effet d’un accès ou d’un chemin de tolérance, ou lorsque le propriétaire profite d’un chemin qui lui donne accès à la voie publique. Dans l’affaire Patry c. Merleau Lill, notre cour a d’ailleurs reconnu qu’il ne pouvait y avoir d’enclave lorsque le propriétaire du fonds profite d’un chemin de tolérance suffisant pour accéder au chemin public :

Or, qu'il s'agisse de déterminer s'il y a enclave ou qu'il s'agisse, en cas d'enclave, de désigner le fond servant, la commodité pour le fond dominant n'entre pas en ligne de compte. Y a-t-il enclave ? non s'il se trouve un accès raisonnable légal ou de tolérance au chemin public; et s'il y a enclave quel sera alors le fond servant ? le chemin le plus court (art. 541). En l'espèce, le chemin de tolérance constitue tout à la fois un accès raisonnable et le chemin le plus court; il satisfait donc à toutes les normes qui puissent s'appliquer à l'enclave et le reproche d'incommodité est sans vertu aucune.

Références omises

[96]         Eu égard à ce qui précède, le Tribunal conclut que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il bénéficie d’une servitude enregistrée lui donnant accès au chemin Abitibi de manière à remplir les conditions pour exiger l’octroi du permis de construction recherché.

[97]        Tant en vertu de l’article 1.6.2 f) du Règlement applicable à l’époque de la demande que de la modification ultérieure, le lot du demandeur ne bénéficiait pas d’une servitude de passage enregistrée.

[98]        La réponse négative à cette première question emporte à elle seule le rejet du pourvoi en contrôle judiciaire déposé par le défendeur puisque ni la préposée à l’émission des permis, madame Chantal Richard, ni la Municipalité ne pouvaient émettre le permis de construction dont la demande a été déposée le 13 septembre 2012.

[99]        Mais, puisque les parties ont plaidé sur les autres questions soulevées en l’instance, le Tribunal croit utile d’y répondre.

2e question :              Outre la servitude, est-ce que la demande déposée par le demandeur en septembre 2012 était substantiellement complète, de manière à justifier l’octroi d’une ordonnance afin d’obliger la Municipalité à émettre le permis désiré?

[100]     Hormis l’absence de servitude, la Municipalité soutient que la demande déposée par le demandeur le 13 septembre 2012 ne satisfait pas en substance aux obligations nécessaires pour l’octroi du permis de construction recherché et qu’en conséquence il n’existait aucun devoir de la Municipalité de l’émettre.

[101]     En l’espèce, la demande du demandeur était-elle substantiellement complète?

[102]     Tel que mentionné précédemment, l’avis de monsieur Pierre-Alexandre Côté, aménagiste de la MRC de La Côte-de-Beaupré, a été transmis au demandeur. Il porte sur les exigences essentielles et incontournables pour la délivrance d’un permis et notamment l’obligation de respecter l’article 4.2.2.1 du Règlement de contrôle intérimaire numéro 129 de la MRC qui se lit comme suit :

4.2.2.1       À l’extérieur des périmètres d’urbanisation provisoire et dans tous les territoires non-organisés (article 7 de la Loi sur l’organisation territoriale municipale), un permis de construction ne peut être émis que si les quatre conditions suivantes sont respectées :

1o  le terrain sur lequel doit être érigée chaque construction projetée, y compris ses dépendances, forme un ou plusieurs lots distincts sur les plans officiels de cadastre;

2o  les projets d’alimentation en eau potable et d’épuration des eaux usées de la construction à être érigée sur le terrain, sont conformes au “Règlement relatif à l’évacuation et au traitement des eaux usées des résidences isolées” (décret 1886-81 du 9 juillet 1981, Loi sur la qualité de l’environnement) ou les constructions sont raccordées à un dispositif d’évacuation, de réception ou de traitement des eaux usées, des eaux de cabinet d’aisance ou des eaux ménagères conformes à l’article 32, de la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2 des lois refondues du Québec de 1977 et amendements);

3o  le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée est adjacent à une rue publique ou à une rue privée conforme aux exigences du règlement de lotissement d’une municipalité;

4o  le terrain et la construction à y être érigée respectent les exigences du présent règlement et plus particulièrement les normes relatives à la construction et aux terrains et les dispositions relatives à l’utilisation du sol.

Les constructions à être érigées dans tous les territoires non-organisés (article 7 de la Loi sur l’organisation territoriale municipale) et celles pour des fins agricoles sur des terres en culture sont exemptées des exigences des paragraphes 1 et 3.

[103]     Monsieur Côté y précise que « la surface d’une rue (structure et emprise minimale), qu’elle soit privée ou publique et cadastrée ou non, ne peut être comptabilisée ou utilisée dans l’objectif d’atteindre les dimensions minimales des lots indiquées précédemment »[19].

[104]     Par ailleurs, l’article 1.6.2 du Règlement de zonage de la Municipalité (D-22) établit les conditions à remplir pour obtenir un permis de construction :

1.6.2      Aucun permis de construction, d’occupation d’affichage ne doit être émis et aucune construction ou usage quelconque n’est autorisé sur le territoire assujetti, à moins que les conditions suivantes soient remplies :

(…)

b) que le plan de construction et l’usage projeté soient conformes à tous les autres règlements municipaux pertinents et notamment aux règlements régissant le lotissement, la construction et les tarifs des permis;

(…)

d) que le terrain sur lequel doit être érigé chaque bâtiment principal projeté ou chaque unité d’un bâtiment d’habitation jumelé ou en rangée, y compris ses dépendances, forme un lot distinct sur le plan officiel du cadastre ou sur un plan de subdivision fait et déposé au Service du cadastre conformément aux articles 2174, 2175 et 2176 du Code Civil et conformément aussi au règlement de lotissement de la Municipalité. Toutefois, lorsqu’un lot à bâtir chevauche deux (2) lots du cadastre originaire, l’ensemble formé par la somme de ces lots ou d’une subdivision de chacun de ces lots peut être considéré comme un lot distinct au sens du présent règlement. Lorsque le terrain sur lequel doit être érigé un ou des bâtiments en copropriété divise, ledit terrain doit former un lot distinct sur le plan officiel du cadastre ou sur un plan de subdivision fait et déposé au Service du cadastre conformément aux articles 2174, 2175 et 2176 du Code Civil et conformément à l’article 19.2 de la Loi sur le cadastre (L.R.Q. chapitre C-1); (modifié par le règl. 89-207)

f) que le lot sur lequel doit être érigé une construction soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée à accès public conforme aux exigences du règlement de lotissement, sur une largeur minimale mesurée à la ligne avant conformément aux dispositions du règlement de lotissement pour l’usage projeté et assujetti à toute autre disposition particulière qui serait prescrite ailleurs dans ce règlement; à l’exception de la zone forestière “ F ”où une servitude de passage enregistrée avant l’entrée en vigueur du présent règlement peut servir de rue privée à la condition que la largeur de ladite servitude soit d’au moins 12 mètres ou qu’elle doit modifiée afin de respecter cette largeur minimale; « modifié par l’article 2 du règl. 00-410)

g) que les services publics ou privés d’aqueduc et d’égouts soient déjà installés sur la rue en bordure de laquelle une construction est projetée ou que le règlement décrétant leur installation soit en vigueur; dans le cas où le terrain faisant l’objet de la demande est non desservi ou partiellement desservi, les projets d’alimentation en eau potable et d’épuration des eaux usées du bâtiment à être érigé soient conformes aux normes en vigueur (Loi sur la qualité de l’environnement et ses règlements).

Nos soulignements

[105]     De plus, toute demande de permis doit être accompagnée par des documents tel que l’établit l’article 1.6.3 en ces termes :

1.6.3      Toute demande de permis exigée en vertu du présent règlement, doit être présentée par écrit à l’inspecteur des bâtiments ou autre officier municipal désigné à cette fin, sur des formules fournies à cet effet par la Municipalité.

Cette demande doit être accompagnée de tous les documents pertinents jugés nécessaires par l’officier de la Municipalité, pour la bonne compréhension du projet et la détermination de sa conformité avec les dispositions du présent règlement.

La demande doit être accompagnée notamment des plans, élévations et coupes de la construction tracés à une échelle suffisamment grande pour en permettre une vérification facile.

Toute demande de permis pour la construction d’un nouveau bâtiment principal, l’agrandissement d’un bâtiment principal existant ou son déplacement, doit être accompagnée d’un plan de cadastre ou de subdivision conforme à l’article 1.6.2 (d) ci-haut, en trois exemplaires. Si jugé utile, l’officier municipal peut également exiger un tel plan dans tous autre cas de demande de permis.

Nos soulignements

[106]     Il est aussi important de mentionner l’article 3.6.1 du même Règlement qui prescrit ce qui suit :

3.6.1 Un permis de construction ne peut être émis à moins que des cases de stationnement hors-rue n’aient été prévues, selon les dispositions du présent article.

Cette exigence s’applique tant aux travaux d’agrandissement d’un usage, qu’aux travaux de construction d’un bâtiment neuf ou à l’aménagement d’un terrain.

De plus, un certificat d’occupation ne peut être émis avant que les cases de stationnement requises n’aient été aménagées.

Les exigences de stationnement établies par ce règlement ont un caractère obligatoire continu. Elles prévalent tant et aussi longtemps que le bâtiment qu’elles desservent est existant et que l’emploi qu’on en fait requiert des cases de stationnement en vertu de ce règlement.

Nos soulignements

[107]     Le 11 juillet 2012, l’urbaniste de la Municipalité, madame Chantal Richard, a informé le demandeur des documents et informations qui doivent accompagner toute demande de permis de construction :

La première étape est de faire cadastrer le terrain en question par un arpenteur-géomètre. Il déposera la demande de permis à la municipalité. Il y aura des frais à payer à cet effet, soit 25$ par terrain créé et une contribution équivalent à 6% de l’évaluation foncière du terrain projeté. Par exemple, pour un terrain évalué à 15 000$ on parle donc de 900$.

Ensuite il faut me déposer la demande de permis d’installation septique. À cet effet il faut faire faire un test de caractérisation de sol par un technicien ou ingénieur. (liste jointe si besoin)

Pour le permis de construction, il faut déposer :

-  Les plans de construction à l’échelle, soit les élévations de chaque mur et les divisions intérieures;

-  Un plan d’implantation réalisé par un arpenteur géomètre avec les cotes de niveau au quatre coin de la fondation (au minimum) et le niveau de la rue;

-  La liste des matériaux de revêtement extérieur.

Il faudra éventuellement un permis pour un puit d’eau. Il faudra nous présenter un plan montrant l’emplacement du futur puits. Lorsque vous ferez le test de caractérisation de sol, regarder avec la personne engagée l’emplacement possible pour le faire indiquer sur le plan.

Il n’est pas obligatoire d’obtenir le permis de puits pour obtenir le permis de construction. Mais il faut faire le cadastre et obtenir le permis d’installation septique au préalable.

Par ailleurs, j’attends quelques confirmations de notre avocat concernant le chemin Abitibi mais il serait bien de prévoir immédiatement me confirmer que vous avez une servitude de passage sur le chemin Abitibi enregistrée avant 1988.

Je joints quelques informations à ce courriel ainsi que le formulaire de permis qu’il faut remplir (seule la première page est importante, nous complèterons le reste nous même sur réception des plans).

Bonne journée

Chantal Richard
Responsable de l’urbanisme[20]

(Reproduction intégrale)

[108]     Rappelons que la personne désignée chargée de la délivrance des permis n’a aucune autorité de délivrer un permis de construction demandé à moins que les dispositions prescrites par les règlements d’urbanisme soient satisfaites. C’est ce que prévoit l’article 2.1.2 du Règlement sur les permis et certificats et sur l’administration des règlements d’urbanisme de la Municipalité qui établit ce qui suit :

2.1.2     L’inspecteur reçoit une demande de permis ou de certificat prévue à ce règlement. Après étude et lorsque les dispositions prescrites par les règlements d’urbanisme sont satisfaites, il émet le permis ou le certificat; dans le cas contraire, il rejette la demande.

L’inspecteur chargé d’émettre des permis ou certificats doit se conformer aux exigences du présent règlement. Aucun permis ou certificat en conflit avec l’une des clauses du règlement, ne peut être émis.

Tout permis ou certificat en contradiction avec ce règlement est nul et sans effet et ne lie pas la Municipalité.

Aucune information ou directive donnée par les fonctionnaires municipaux n’engage la responsabilité de la Municipalité, à moins que cette information ou directive ne soit conforme aux dispositions de ce règlement.

Le permis de construction ou le permis d’affichage émis doit être placé en évidence sur les lieux de la construction pendant toute sa durée.

Une copie complète des plants dûment approuvés et portant l’estampille qui en fait foi, doit également être conservée sur les lieux de la construction. Toute modification affectant la structure ou l’emplacement du bâtiment devra faire l’objet d’une approbation préalable de la Municipalité sans constituer pour autant l’extension du délai de validité du permis ou certificat.[21]

Nos soulignements

[109]     Tel que souligné précédemment, l’article 1.6.4 du Règlement de zonage impose aussi au responsable de la délivrance des permis de se conformer strictement aux exigences réglementaires avant d’accorder un permis.

[110]     À sa face même, la demande déposée par le demandeur au mois de septembre 2015 était nettement incomplète. À l’examen, le document de 4 pages déposé comme demande de permis semble avoir été rempli en vitesse, fournit peu d’informations et contient de nombreuses lacunes (voir pièce P-2).

[111]     L’absence d’informations pertinentes dans la demande ne peut permettre à la responsable de la délivrance du permis d’établir sa conformité à la règlementation applicable.

[112]     Qu’il suffise au surplus de mentionner l’absence de cadastre avant l’automne 2013, le vide quant à l’installation septique et l’incertitude quant à la localisation exacte de la résidence comme manquements majeurs ne permettant pas l’octroi du permis demandé en septembre 2012.

[113]     Par ailleurs, des modifications sont survenues au Règlement de zonage entre le dépôt de la demande originaire de permis en septembre 2012 et celui de la demande introductive d’instance en mandamus en janvier 2015. À l’examen, la demande ne répond pas plus aux exigences réglementaires applicables au moment du dépôt des procédures du demandeur.

[114]     En outre, le 5 juin 2015 en cours d’instance, le demandeur a lui-même présenté une nouvelle demande pour un permis de lotissement pour les lots 1040 à 1043 pour remplacer en partie le lot 279-5, cadastré le 28 octobre 2013.

[115]     Le 17 août 2015, le permis de lotissement requis a été délivré au demandeur. Ainsi, les lots 1042, 1043 et 1044 remplacent chacun une partie du lot 279-5 sur lequel le demandeur a requis, en septembre 2012, son permis de construction.

[116]     Comment dans les circonstances le Tribunal pourrait-il ordonner à la Municipalité d’octroyer un permis de construction au demandeur pour le lot 279-5 qui n’existe plus?

[117]     Eu égard à ce qui précède, en l’absence de devoir de la Municipalité ou de la personne responsable d’émettre le permis de construction requis, le Tribunal estime que la demande d’ordonnance recherchée, même si une servitude de passage enregistrée avait existé, aurait aussi dû être rejetée.

3e question :              Est-ce que la réclamation en dommages du demandeur contre la municipalité est justifiée?

[118]     Le demandeur réclame de la défenderesse un montant de 25 000 $ pour troubles, ennuis et inconvénients ainsi que d’un montant de 25 000 $ en dommages exemplaires.

[119]     Tel qu’établi précédemment, le Tribunal conclut que la Municipalité a eu raison de refuser l’octroi du permis au demandeur.

[120]     Ce dernier soutient que la Municipalité et le Séminaire ont manœuvré ensemble pour lui porter préjudice et lui refuser le permis recherché.

[121]     Dans sa plaidoirie finale, le demandeur affirme que « la Municipalité n’a pas à analyser les servitudes contenues aux actes notariés avant de délivrer un permis, d’autant que la servitude ne les concerne pas. Le document fait preuve à son égard et lui est opposable ».

[122]     Le Tribunal ne partage pas la position du demandeur.

[123]     En effet, la Municipalité a agi de bonne foi et devait prendre ses décisions en considérant l’intérêt de tous les citoyens et organismes qu’elle représente, dont le Séminaire.

[124]     Le Séminaire lui a fait part de sa position quant à l’obligation de détenir une servitude en bonne et due forme pour obtenir, en conformité avec le Règlement de zonage, un permis de construction. Elle devait donc procéder à l’analyse de la question à son mérite.

[125]     De plus, par lettre du 17 juin 2013, le Séminaire, par la voie de ses avocats, a transmis une lettre à la Municipalité pour lui faire part de son inquiétude face à une possible réglementation facilitant l’urbanisation du chemin Abitibi et lui rappelant que celui-ci est un chemin privé qui a été instauré pour un usage strictement industriel et non en démarrage d’un éventuel développement aux projets résidentiels (P-35).

[126]     La preuve présentée à l’audience ne soutient pas la thèse de complot invoquée par le demandeur. La Municipalité devait agir en considérant aussi les droits du Séminaire.

[127]     Le demandeur ajoute que le directeur général n’était pas justifié de se substituer à l’urbaniste, madame Richard qui semblait favorable à l’octroi du permis, et d’exercer des pressions à son égard dans le traitement de son dossier.

[128]     Le directeur général, tout comme les membres du conseil, ont reçu l’information que l’urbaniste, madame Richard, entretenait des rapports particuliers avec le demandeur, et ce, même avant le dépôt de sa demande pour l’obtention de son permis de construction en septembre 2012.

[129]     Rappelons que celle-ci a été vue en compagnie du demandeur le 21 juillet 2012 par monsieur Laliberté, régisseur des forêts pour le Séminaire, lors d’un spectacle de grande envergure sur les Plaines d’Abraham à Québec.

[130]     Pourtant, l’urbaniste Richard, dans un courriel transmis à monsieur Laliberté le 23 juillet 2012, lui signale l’importance de « ne pas mélanger la vie professionnelle et la vie privée »…[22]

[131]     En raison de la proximité des rapports entre le demandeur et l’urbaniste, il était préférable, afin de conserver toutes les apparences d’impartialité pour la Municipalité envers les tiers, dont le Séminaire, de confier la gestion du dossier au directeur général.

[132]     De plus, pour traiter toutes les demandes de permis de construction de résidences adjacentes au chemin Abitibi, la Municipalité a eu la prudence de requérir l’opinion de leurs avocats pour statuer sur l’existence de la servitude. À cet égard, la Municipalité s’est comportée envers le demandeur de façon responsable, comme avec tous les autres demandeurs d’un tel permis.

[133]     Au-delà de ce qui précède, aucune preuve de dommages n’a été faite à l’audience pouvant donner lieu à compensation.

[134]     En effet, tel que mentionné précédemment, la Municipalité a agi de bonne foi et comme nous le verrons ultérieurement, l’écoulement du temps est en grande partie dû à l’inaction du demandeur.

[135]     De plus, la réponse de la Municipalité lui refusant le permis de construction confirme la conviction que le demandeur avait dès le départ, lorsqu’il a acquis le lot 279 alors que, de son propre aveu, il ne croyait pas posséder de servitude valable sur le chemin Abitibi, tout comme il ne croyait pas que ledit lot acquis était constructible.

[136]     L’interrogatoire au préalable du demandeur effectué dans un autre dossier l’établit clairement[23].

[137]     Enfin, quant aux dommages exemplaires, rappelons qu’ils ne peuvent être octroyés qu’en cas de faute volontaire et lorsqu’ils s’appuient sur une disposition de la loi qui les autorise conformément à l’article 1621 C.c.Q, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

4e question :              Est-ce que le pourvoi en contrôle judiciaire et en dommages est prescrit?

[138]     L’article 529 in fine du nouveau Code de procédure civile prescrit que « le pourvoi doit être signifié dans un délai raisonnable à partir de l’acte ou du fait qui lui donne ouverture. »

[139]     La Municipalité soulève la prescription du recours puisque celui-ci a été institué en janvier 2015, alors que le refus du permis de construction contesté par le demandeur date du mois de novembre 2012. Le délai de plus de 26 mois est à son avis déraisonnable et préjudiciable à son égard. Pour ce motif additionnel, il en demande le rejet, tout en ayant insisté pour qu’il soit statué sur ses autres moyens, ce que le Tribunal a accepté de faire.

[140]     Le demandeur soutient qu’une décision finale de la Municipalité n’est survenue qu’en janvier 2015, soit quelques jours avant le dépôt du recours.

[141]     Le Tribunal ne partage pas la position du demandeur.

[142]     L’article 4.5 du Règlement sur les permis, les certificats et l’administration des règlements d’urbanisme prescrit qu’un permis de construction doit être délivré dans un court délai, soit 30 jours à partir de la demande :

L’inspecteur délivre le permis dans les 30 jours de la date du dépôt de la demande, si celle-ci satisfait à toutes et chacune des conditions prescrites par l’article 4.3.[24]

[143]     Le demandeur sait depuis le mois d’octobre 2012 que la Municipalité ne lui reconnaît pas la servitude de passage nécessaire pour l’obtention de son permis de construction. La décision formelle par écrit lui a été acheminée le 6 novembre 2012.

[144]     Le nouveau Code de procédure civile n’a pas modifié la nature de la demande en mandamus qui, comme les autres pourvois en contrôle judiciaire, constitue toujours un recours exceptionnel. Pour cette raison, il doit être présenté dans un délai raisonnable à compter de la décision qui est attaquée.

[145]     La jurisprudence a établi qu’un délai raisonnable est d’environ 30 jours.

[146]     L’auteur Paul Faribault commente ainsi les dispositions générales applicables aux recours extraordinaires, plus particulièrement quant au délai raisonnable :

L’article 835.1 C.p.c. impose que tout recours extraordinaire soit signifié dans un délai raisonnable à compter de l’acte dont on attaque la validité. Le législateur n’a fait que codifier une règle de common law applicable à tous les recours de contrôle judiciaire, y compris l’action en nullité et la requête pour jugement déclaratoire.

En 1999, dans l’arrêt Loyer c. Commission des affaires sociales[25], la Cour d’appel du Québec a énoncé de façon ferme son interprétation de cette exigence selon les règles suivantes :

-       à moins de circonstances exceptionnelles, un délai de trente jours doit être considéré raisonnable;

-       si le délai est plus long, il appartient au requérant de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles le justifiant;

-       cette justification doit apparaître dans les procédures.

Les critères permettant d’évaluer si le délai est justifié se retrouvant dans l’arrêt Syndicat des employés de commerce de Rivière-du-Loup (Section Émilio Boucher, C.S.N.) c. Turcotte. La Cour y énumère une série de facteurs à considérer dans l’exercice de cette discrétion judiciaire sans établir entre eux un ordre d’importance. Ces facteurs sont les suivants : la matière (civile ou criminelle), le fondement du droit (droit protégé par les Chartes), la nature de l’organisme attaqué, la nature de l’ordonnance et ses conséquences sur les parties, la nature de l’erreur alléguée (absence de compétence, violation grave des règles de justice naturelle), les causes du délai, le préjudice subi par l’autre partie, la manifestation possible tardive des conséquences de la décision et le caractère d’ordre public des droits invoqués.

Chaque situation doit donc être évaluée dans son ensemble et le tribunal recherchera les éléments de fait qui lui permettront de vérifier si le requérant a fait preuve de diligence ou s’il doit être considéré comme ayant renoncé à son droit en raison de son inaction. Il est possible de dégager certaines tendances de la jurisprudence dans l’examen des motifs invoqués pour tenter de justifier le délai.

(…)[26]

Nos soulignements

[147]     Une partie ne peut prétendre que les négociations sous forme de représentations de plusieurs citoyens lors des séances du conseil de ville, la tenue des élections municipales ou les pressions effectuées auprès du personnel politique constituent des causes justifiant un long délai pour instituer le recours, ici plus de 26 mois après le refus, encore moins des circonstances exceptionnelles.

[148]     L’auteur Faribault partage aussi cette position alors qu’il s’exprime ainsi :

Particulièrement en matière de révision judiciaire, les négociations entre les parties ne justifient pas de retarder à intenter le recours. Selon la Cour d’appel, le contrôle judiciaire ne peut être l’un des éléments d’une stratégie de négociation syndicale-patronale, ce qui causerait trop d’insécurité dans le système d’arbitrage. De même, le choix de rechercher une intervention du pouvoir politique pour résoudre le problème implique la renonciation aux recours judiciaires.

[149]     Ces propos, bien que liés à la révision judiciaire, s’appliquent tout autant au recours en mandamus, ces deux recours, rappelons-le, étant aujourd’hui fondus en un seul et sujets aux mêmes règles.

[150]     Dès le mois de décembre 2012, l’avocat Rémi Robert mandaté par le demandeur a mis en demeure la Municipalité à la suite du refus du permis de construction convoité et a avisé cette dernière de l’intention de son client de s’adresser au Tribunal par mandamus afin de faire reconnaître son droit et l’illégalité de la position de la Municipalité à son endroit[27].

[151]     Par ailleurs, le demandeur a adressé lui-même une mise en demeure le 18 décembre 2012 aux membres du conseil de la Municipalité « dans un ultime effort de règlement sur la foi du gros bon sens, pour éviter des procédures coûteuses de part et d’autres et pour être certain que tous auront eu la chance de prendre connaissance de mon dossier et d’y prendre une décision éclairée »[28].

[152]     Pourtant, à la suite du refus subséquent de la Municipalité en janvier 2013, il attend plus de deux ans avant d’intenter son recours.

[153]     Soulignons que le retard du demandeur à présenter son pourvoi en contrôle judiciaire entraîne un préjudice pour la Municipalité puisque s’il devait avoir gain de cause, cela obligerait cette dernière à octroyer un permis de construction plusieurs années plus tard, alors que l’écoulement du temps a emporté plusieurs modifications à la réglementation applicable et que le demandeur a lui-même modifié ses lots.

[154]     Ainsi, la Municipalité plaide que la demande de monsieur Morency de 2012 est obsolète puisque même si elle avait été conforme, il a fait le choix de modifier ses lots ultérieurement de telle sorte qu’il serait impossible de déterminer, si le permis de construction lui était délivré, sur lequel la construction pourrait être érigée. Le demandeur a été informé de ces conséquences dans la réponse à la mise en demeure du 21 janvier 2015 de la Municipalité, celle-ci étant antérieure à l’introduction de son recours.

[155]     À cet égard, dans sa lettre du 21 janvier 2015, le procureur de la Municipalité s’exprime comme suit :

Votre client a d’ailleurs été avisé verbalement le 23 octobre 2012 et par écrit le 6 novembre 2012, par la responsable de l’urbanisme, qu’un permis de lotissement pourrait être émis s’il était démontré par un document additionnel préparé par un arpenteur que les normes relatives à la profondeur des lots étaient respectées, mais qu’aucun permis de construction ne pourrait être émis en raison de l’absence de servitude enregistrée avant 1988.

Votre client a également été avisé de cette lacune par une lettre du directeur général à votre client en date du 26 octobre 2012 que vous avez produite sous la cote P-26.

Suite à ces avis de refus d’émettre un permis de construction, votre client a fait transmettre par son procureur, Me Rémi Robert, une mise en demeure en date du 6 décembre 2012 demandant de lui émettre un permis de construction pour une maison neuve au plus tard le 17 décembre 2012, à défaut de quoi il s’adresserait au tribunal par mandamus afin de faire reconnaître le droit de M. Morency. Or, cette procédure n’a jamais été signifiée et le recours en mandamus pour l’octroi du permis demandé en septembre 2012, qui aurait dû être intenté dans un délai raisonnable, est maintenant prescrit depuis fort longtemps.

Si votre client désire produire une nouvelle demande de permis de construction, cette demande devra être analysée en fonction des modifications au règlement de zonage et de lotissement qui ont été entreprises par la municipalité le 17 juin 2013 et adoptées par le règlement no 13-641 le 9 septembre 2013. Ce règlement prévoit également que, comme condition préalable à l’émission d’un permis de construction, un terrain adjacent à une rue privée doit bénéficier d’une servitude réelle et perpétuelle de passage sur toute la longueur de l’emprise du chemin privé, à partir du terrain, jusqu’à l’emprise d’un chemin public, tel qu’indiqué à la pièce P-9 de votre projet de mandamus. Le terrain de votre client ne bénéficiant pas d’une telle servitude, le permis devra encore une fois lui être refusé.

Ajoutons que le règlement de zonage ne peut être modifié à cet égard puisque la MRC de la Côte de Beaupré a inclus la même exigence dans son schéma d’aménagement.[29]

[156]     En raison du délai déraisonnable et du préjudice en découlant pour la Municipalité, ce motif additionnel de rejet plaidé par la Municipalité est aussi fatal pour le demandeur.

[157]     Par ailleurs, un recours afin de réclamer des dommages d’une municipalité doit être institué en vertu du Code municipal dans un délai de 6 mois.

[158]     En effet, l’article 1112.1 du Code municipal du Québec[30] prescrit qu’un recours en dommages-intérêts doit être institué après un avis préalable de 15 jours, et ce, dans un délai de 6 mois de la date où la cause d’action a pris naissance :

1112.1. Nulle action en dommages-intérêts n'est intentée contre la municipalité à moins qu'un avis préalable de 15 jours n'ait été donné, par écrit, de telle action au secrétaire-trésorier de la municipalité, et à moins qu'elle n'ait été intentée dans un délai de six mois après la date à laquelle la cause d'action a pris naissance. Cet avis peut être notifié par poste recommandée, et il doit indiquer les noms et résidence du réclamant, ainsi que la nature du préjudice pour lequel des dommages-intérêts sont réclamés, et il doit être donné dans les 60 jours de la cause d'action.

[159]     Il s’agit d’une condition préalable et essentielle à l’existence d’un droit d’action[31].

[160]     Encore là, le recours en dommages institué par le demandeur l’a été en dehors du délai prescrit de sorte qu’il aurait dû être rejeté aussi pour ce motif.

[161]     Il en va de même pour la réclamation du demandeur pour le remboursement de ses frais extrajudiciaires.

[162]     Selon l’arrêt Viel de la Cour d’appel, une partie ne peut être condamnée au paiement des frais extrajudiciaires qu’en cas d’abus du droit d’ester en justice[32].

[163]     L’article 54 du nouveau Code de procédure civile prévoit en ces termes les situations où une compensation pour les frais extrajudiciaires peut être octroyée :

54. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine ou, s’agissant de la Cour d’appel, celle-ci peut alors renvoyer l’affaire au tribunal de première instance qui en était saisi pour qu’il en décide.

[164]     Encore là, l’octroi du remboursement des frais extrajudiciaires repose sur la notion d’abus, abus qui n’a pas été démontré en l’instance. Au contraire, la position de la Municipalité est celle qui est retenue à l’issue du procès.

-  Les frais de justice

[165]     L’article 340 du nouveau Code de procédure civile stipule que « les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le Tribunal n’en décide autrement ».

[166]     De façon exceptionnelle, les frais de justice peuvent être assumés par une autre partie si le Tribunal le juge approprié, mais seulement dans les cas énumérés aux articles 341 et 342 du nouveau Code de procédure civile. Or, aucun des cas qui y sont prévus ne trouve application en l’espèce.

[167]     Dans les circonstances, eu égard à ce qui précède, le pourvoi en contrôle judiciaire et en dommages-intérêts du demandeur doit être rejeté, avec frais de justice en faveur de la défenderesse et de la mise en cause.

Pour ces motifs, le tribunal :

[168]     REJETTE la demande introductive d’instance amendée en mandamus du demandeur;

[169]     AVEC FRAIS DE JUSTICE contre le demandeur tant en faveur de la défenderesse que de la mise en cause.

 

 

__________________________________

DENIS JACQUES, j.c.s.

 

Me Steeve Demers

Quessy Henry St-Hilaire (casier 68)

Procureurs du demandeur

 

Me Vincent Gingras

Joli-Cœur Lacasse (casier 6)

Procureurs de la défenderesse/demanderesse en mise en cause forcée

 

Me Michel St-Pierre

Beauvais Truchon (casier 65)

Procureurs de la défenderesse en mise en cause forcée

 

Dates d’audience :

3, 4, 5 février 2016, 13, 14 et 15 avril 2016

 

 

 



[1]     Voir pièce D-5.

[2]     Voir Règlement de zonage, Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges, adopté le 2 mai 1988, pièce D-22.

[3]     Voir pièce D-7.

[4]     Voir pièce D-1, p. 5.

[5]     Voir pièce P-24.

[6]     Voir pièce D-9.

[7]     Voir pièce P-6.

[8]     Voir Règlement 13-641 (pièce D-10).

[9]     Règlement sur les permis et certificats et sur l’administration des règlements d’urbanisme, règlement numéro 15-673, Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges (pièce D-24).

[10]    Placement Val des Arbres Laval inc. c. Laval (Ville de), J.E. 87-588 (C.A.); voir aussi Ville d’Ottawa c. Boyd Builders ltd, [1965] R.C.S. 408; voir aussi Guay c. Bois-des-Filion (Ville de), 2008 QCCS 601.

[11]    Voir pièce P-1.

[12]    Voir pièce P-12.

[13]    Voir pièce P-13.

[14]    Voir pièce D-1, p. 3 et 4.

[15]    Voir Morency c. Séminaire de Québec, C.S. Québec no 200-17-017913-138, 17 juillet 2015, juge Lachance.

[16]    Voir Règlement numéro 13-641, adopté le 9 septembre 2013, pièce D-10.

[17]    Voir Règlement numéro 13-647, adopté le 3 mars 2014, pièce D-11.

[18]    2015 QCCA 1547.

[19]    Voir pièce D-2.

[20]    Voir pièce D-18.

[21]    Règlement numéro 15-673, Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges (pièce D-24).

[22]    Voir pièce D-19.

[23]    Voir interrogatoire au préalable du demandeur dans le dossier 200-17-017913-138, p. 53, 94, 107, 110-111, 137-138 (pièce P-8).

[24]    Règlement numéro 06-498 (pièce D-4).

[25]    1999 CanLII 13288 (QC CA).

[26]    Paul FARIBAULT, Les dispositions générales applicables aux recours extraordinaires - Rappel théorique, Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB2001PDD97.

[27]    Voir la lettre de Rémi Robert produite au paragr. 33.

[28]    Voir pièce P-29.

[29]    Voir lettre de Me Raymond Mainguy du 21 janvier 2015, pièce P-40, p. 2.

[30]    Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1.

[31]    Voir Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, Droit municipal - principes généraux et contentieux, 2e éd., Brossard, Publications CCH, paragr. 10.1 à 10.48; voir aussi Cité de Québec c. Baribeau, [1934], R.C.S. 622-624.

[32]    Voir Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.