Décision

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Tembec inc. (Usine bois jointé) et Therrien

2008 QCCLP 2720

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

7 mai 2008

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

304210-08-0611-R

 

Dossier CSST :

130152994

 

Commissaire :

Me Lucie Nadeau

 

Membres :

Rodney Vallière, associations d’employeurs

 

Daniel Laperle, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Tembec inc. (Usine bois jointé)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Serge Therrien

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 14 février 2008, la compagnie Tembec inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 14 janvier 2008 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l’employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative et déclare que monsieur Serge Therrien (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 11 août 2006, soit une entorse au genou gauche.

[3]                L’audience sur la présente requête s’est tenue le 21 avril 2008 en présence du procureur de l’employeur et du travailleur qui n’est pas représenté.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande de réviser la décision rendue le 14 janvier 2008 et de déclarer que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête en révision de l’employeur. Il n’a pas démontré d’erreurs manifestes et déterminantes. La décision du premier commissaire d’écarter le témoignage de M. Morin est motivée et relève de son appréciation de la preuve. Le recours en révision ne permet pas de réapprécier cette preuve.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 14 janvier 2008.

[7]                Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]                Dans le présent dossier, l’employeur allègue que la décision est entachée de vices de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de «vice de fond (...) de nature à invalider la décision» a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[2] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.

[9]                Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :

429.49.

(…)

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[10]           La Cour d’appel a également été appelée à plusieurs reprises à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[3], elle rappelle la règle applicable en ces termes :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)     Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[11]           La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[4] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[5], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel le répète quelques semaines plus tard dans l’affaire Touloumi[6].

[12]           De l’avis de la soussignée, la Cour d’appel nous invite à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

[13]           Qu’en est-il dans le présent dossier?

[14]           Le premier commissaire devait déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 11 août 2006. Le travailleur soumet une réclamation à la CSST alléguant s’être blessé en revenant d’effectuer le débogage d’une machine. Son pied droit a glissé sur une marche et il est tombé par terre. Sa réclamation a été acceptée par la CSST mais l’employeur contestait cette décision.

[15]           Le premier commissaire estime que le travailleur peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[16]           Il considère que même s’il n’y a pas eu de témoin direct de l’évènement, il y au dossier une déclaration écrite d’une travailleuse qui a vu le travailleur se rendre sur la machine puis qui a entendu un grand cri et a vu le travailleur couché par terre en se tenant un genou. Il retient également que le travailleur a déclaré immédiatement l’évènement à son employeur et qu’il a consulté dès le lendemain un médecin. Le médecin qui a charge du travailleur a par la suite diagnostiqué une entorse du genou gauche, ce qui constitue un diagnostic de blessure.

[17]           Il conclut que la preuve démontre que le travailleur a subi une blessure sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail. Il conclut également que l’employeur n’a pas fait la preuve nécessaire permettant de renverser la présomption.

[18]           Avant d’analyser les erreurs alléguées par l’employeur, il faut ici noter que lors de l’audience tenue devant le premier commissaire, le travailleur est absent et n’est pas représenté.

[19]           Rappelons les règles applicables dans de telles circonstances. La Commission des lésions professionnelles peut tout de même procéder à l’instruction de l’affaire et rendre une décision tel que le prévoit l’article 429.15 de la loi. La jurisprudence a établi que le fardeau de la preuve repose sur le travailleur même si c’est l’employeur qui a contesté une décision d’admissibilité devant la Commission des lésions professionnelles puisque le Tribunal procède «de novo»[7]. Il appartient donc au travailleur de démontrer par une preuve prépondérante qu’il a été victime d’une lésion professionnelle. Cependant la Commission des lésions professionnelles ne peut ignorer la preuve déjà au dossier.

[20]           Dans la décision Instech Télécommunication inc. et Mailloux[8], la Commission des lésions professionnelles explique ainsi son rôle dans une telle situation :

[17]      Le travailleur ne s’est pas présenté à l’audience devant la Commission des lésions professionnelles. Cependant, le tribunal ne peut ignorer les éléments de preuve disponibles au dossier et conclure que le travailleur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve du seul fait qu’il ne s’est pas présenté à l’audience2. La Commission des lésions professionnelles doit prendre connaissance du dossier qu’elle reçoit de la CSST, apprécier cette preuve, le tout complété par la preuve présentée à l’audience3.

_________________

2 Société Désourdy (1994) inc. et Poissant, C.A.L.P. 674111-62-9503, 19 novembre 1996, L. Thibault

3 C.H.S.L.D. DU Centre Mauricie et Dupont-Mailhot, [1997] C.L.P. 800; Bombardier Aéronautique et Manelli, C.L.P. 152329-61-0012, 6 septembre 2001, S. Di Pasquale

 

 

[21]           C’est le cas dans le présent dossier. Le premier commissaire rend sa décision à la lumière de la preuve au dossier et de la preuve présentée par l’employeur. Celui-ci a fait entendre trois témoins. Les deux premiers témoignages portent principalement sur le fait que le travailleur était déjà blessé au genou gauche et qu’il attend depuis trois ans une intervention chirurgicale.

[22]           Cette preuve concernant une condition antérieure est écartée par le commissaire au motif que la déchirure méniscale subie par le travailleur en 2003 est différente de la blessure actuelle et qu’aucune preuve ne permet de conclure que cette déchirure est la cause de l’entorse du genou gauche. L’employeur ne remet pas en question cette conclusion.

[23]           Ce qui nous intéresse dans le cadre de la présente requête, c’est le troisième témoin de l’employeur. Le premier commissaire résume ainsi son témoignage :

[20]      L’employeur fait finalement entendre monsieur Luc Morin, superviseur de production chez l’employeur. Il déclare que le 13 août 2006, il a vu le travailleur en patins à roues alignées. Il faisait cette activité de façon énergique et ne semblait pas avoir de douleur au genou. Monsieur Morin déclare qu’il en a peut-être parlé à monsieur Bergeron.

[24]           Dans son argumentation, l’employeur a fait valoir que la pratique de cette activité deux jours seulement après l’accident était incompatible avec la lésion. Le premier commissaire ne retient pas cette prétention car il écarte ce témoignage pour les motifs suivants :

[37]      Quant à la déclaration de monsieur Morin voulant qu’il ait vu le travailleur en patins à roues alignées le 13 août 2006, la Commission des lésions professionnelles considère celle-ci, à tout le moins, questionnable.

 

[38]      La Commission des lésions professionnelles trouve étrange que cette version de monsieur Morin, superviseur à la production, ne soit jamais rapportée avant l’audience. Monsieur Morin déclare qu’il en a peut-être parlé à monsieur Bergeron[9]. Or, ce dernier n’en parle pas dans son témoignage à l’audience et aucune preuve ne permet de croire que ce fait ait été consigné dans une note quelconque. Cet événement n’a pas non plus été rapporté à la CSST.

 

[39]      Si monsieur Morin n’a pas rapporté l’événement à monsieur Bergeron, pourquoi ne l’a-t-il pas fait? Monsieur Morin est superviseur de production, il est donc au courant que le travailleur est en absence du travail pour un accident du travail. Il ne s’agit pas d’un fait banal.

 

[40]      La Commission des lésions professionnelles n’accorde pas de crédibilité à cette version tardive.

 

 

[25]           L’employeur prétend que ce raisonnement du premier commissaire comporte deux erreurs manifestes et déterminantes.

[26]           En premier lieu, il fait valoir que la crédibilité de ce témoin n’a jamais été mise en doute lors de l’audience et que son témoignage n’a pas été contredit. Il soumet que celui-ci a témoigné avec sincérité.

[27]           Il invoque la décision rendue par la Cour supérieure dans Thifault et Commission des lésions professionnelles[10]. Dans cette affaire, la Cour supérieure accueille une requête en révision judiciaire déposée à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles déclarant qu’un travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation. Le travailleur avait témoigné et avait fait entendre un collègue de travail de même qu’un médecin expert. La Cour supérieure souligne que la partie adverse n’a présenté aucune preuve, aucun témoin, aucun expert et elle n’a pas attaqué la crédibilité de cette preuve. La Cour a conclu que la Commission des lésions professionnelles avait commis une erreur manifestement déraisonnable en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents et non contredits et en basant sa décision sur des éléments qui ne sont que des hypothèses et des probabilités.

[28]           La Cour indique que la Commission des lésions professionnelles ne semblait pas avoir écarté les témoignages du travailleur et celui de son expert, elle concluait donc que la Commission des lésions professionnelles avait trouvé ceux-ci crédibles.

[29]           Or ce n’est pas le cas dans le présent dossier. Le premier commissaire écarte le témoignage de M. Morin et il s’en explique. S’il y a une question, parmi toutes, qui relève d’abord de l’appréciation de celui qui a eu l’opportunité de voir et d’entendre les témoins, c’est bien celle de la crédibilité. Le commissaire a jugé que cette déclaration était trop tardive pour être retenue. L’employeur n’a jamais soumis cette déclaration à la CSST ou à la révision administrative. Son coordonnateur en santé et sécurité au travail n’en parle pas.

[30]           L’analyse du premier commissaire sur la crédibilité du témoin est motivée et la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut y substituer son opinion. Aucun élément ne permet de considérer que sa conclusion à ce sujet est déraisonnable ou dénuée de fondement.

[31]           D’ailleurs le juge Barakett qui rend jugement dans l’affaire Thifault rappelle bien que le tribunal peut écarter un témoignage en autant qu’il explique pourquoi. Il écrit :

Après avoir entendu un témoin, le tribunal peut écarter son témoignage le jugeant non crédible, mais il doit en expliquer les raisons dans sa décision. Si la décision ne renferme pas ces motifs, il faut donc conclure que le tribunal a trouvé les témoins crédibles et qu’il a pris cette preuve en considération pour rendre sa décision.

 

 

[32]           C’est ce que le premier commissaire a fait. Il écarte un témoignage et motive sa conclusion.

[33]           En second lieu, le procureur de l’employeur soumet que si les questionnements du commissaire étaient de nature à influencer sa décision, il devait s’en ouvrir lors de l’audition ce qui aurait permis au témoin de s’expliquer sur le sujet.

[34]           Il dépose copie des notes sténographiques de l’audience. Effectivement le commissaire n’a posé aucune question sur le caractère tardif de cette déclaration. Ses seules questions concernent la localisation géographique du lieu où le travailleur avait été vu et celui de son domicile.

[35]           Cependant la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il n’y a pas là matière à reproche au premier commissaire.

[36]           Un commissaire de la Commission des lésions professionnelles possède de larges pouvoirs dont ceux d’un commissaire enquêteur :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

378.  La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

 

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

 

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

__________

1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[37]           Les pouvoirs d’enquête n’obligent toutefois pas un commissaire à signaler aux parties ou à un témoin ses interrogations sur la preuve ou sur la crédibilité d’un témoin.

[38]           Dans une décision en révision récente, Veilleux et Fromage Côté S.A.,[11] un travailleur adressait un reproche semblable à un commissaire alléguant qu’il avait refusé d’exercer ses pouvoirs d’enquête en ne lui signalant pas que sa preuve était insuffisante sur l’étiologie de sa lésion afin de lui permettre de produire une expertise pour y remédier ou combler l’absence de preuve en recourant à sa connaissance spécialisée.

[39]           La Commission des lésions professionnelles rejette ainsi cette prétention :

[34]      À cet égard, le tribunal tient à préciser que le reproche qui est adressé par le représentant de monsieur Veilleux à la première commissaire n'est pas fondé. Si la loi confère au commissaire des pouvoirs d'enquête, qui lui permettent d'intervenir au niveau de la preuve en posant des questions ou encore en requérant le dépôt de différents documents, l'exercice de ces pouvoirs demeure discrétionnaire et de manière générale, le commissaire n'a pas l'obligation d'y recourir.

 

[35]      Dans la même veine, si un commissaire peut signaler à une partie qu'elle n'a pas soumis de preuve sur un des éléments de l'objet du litige, il n'a pas l'obligation de lui faire part, en cours d'audience, de l'appréciation qu'il fait de la preuve qu'elle lui a soumise. Comme l'indique la Cour d'appel dans l'arrêt Rivest et Bombardier inc. (Centre de finition) 10, c'est dans la décision qu'il rend qu'il consigne les conclusions qu'il retient de son appréciation de la preuve et il n'a pas à les révéler à qui que ce soit auparavant parce que cela relève du délibéré.

_______________________

(10) C.A. 500-09-016759-060, 7 mai 2007, jj. Chamberland, Dutil, Côté

 

 

[40]           Le même raisonnement peut être tenu dans le présent dossier. Les pouvoirs de commissaire enquêteur n’obligent pas un commissaire à signaler ses doutes sur la crédibilité d’un témoin. L’exercice de ces pouvoirs demeure discrétionnaire et, de manière générale, le commissaire n’a pas l’obligation d’y recourir.

[41]           L’ancienne Commission d’appel en matière de lésions professionnelles avait conclu dans le même sens en rejetant une requête en révision où un travailleur reprochait au premier commissaire de ne pas lui avoir demandé de témoigner[12]. Elle retient qu’un commissaire peut se servir des pouvoirs de commissaire enquêteur afin de rechercher la vérité dans les cas où il l'estime nécessaire. Dans ce cas, le travailleur était représenté par procureur et celui-ci avait choisi de ne pas le faire témoigner. La Commission d’appel conclut que le premier commissaire n'avait pas l'obligation de faire témoigner le travailleur, c'est une faculté qu'il peut exercer s'il le juge opportun.

[42]           La situation se distingue de celle invoquée par l’employeur dans la décision en révision rendue dans Hydro-Mécanique Construction inc. et Nantel[13]. La Commission des lésions professionnelles accueille une requête en révision au motif que le premier commissaire a négligé d’analyser des éléments de preuve importants. Dans ses motifs, en s’appuyant sur le professeur Yves Ouellette, elle énonce que la Commission des lésions professionnelles a, dans son rôle d’enquêteur, le pouvoir et l’obligation de tenter de résoudre les conflits résultant des expertises médicales contradictoires en appréciant la valeur probante de chacun. Il ne doit pas se dérober à cette obligation mais résoudre le conflit de façon rationnelle et rigoureuse.

[43]           Ce commentaire s’inscrit dans un contexte où l’on reproche au premier commissaire de ne pas avoir analysé la preuve au dossier particulièrement la preuve médicale. Cela est différent du présent dossier. Le commissaire a apprécié le témoignage en question. On lui reproche de ne pas avoir fait part à l’audience de ses questionnements concernant la crédibilité d’un témoin. Cela relève du délibéré et les pouvoirs de commissaires enquêteurs ne créent pas une telle obligation.

[44]           L’employeur n’a pas démontré que la décision est entachée d’erreurs manifestes et déterminantes. Sa requête en révision est donc rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de Tembec inc., l’employeur.

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Jean McGuire

McGUIRE, DUSSAULT ET ASS., AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ;  Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[4]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[5]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)

[6]           CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A)

[7]           Journal de Montréal et Benoît, [2002] C.L.P. 533 ; Achille de la Chevrotière ltée et Bourassa, C.L.P. 148451-08-0010, 18 juin 2002, M. Lamarre, révision rejetée, 24 janvier 2003, P. Simard Hewitt Equipment ltée et St-Jean, C.L.P. 177304-72-0201, 27 janvier 2004, B. Roy (décision accueillant la requête en révision)

[8]           C.L.P. 267044-61-0507, 16 mai 2006, S. Di Pasquale

[9]           Note de la soussignée : il s’agit du coordonnateur en santé et sécurité chez l’employeur.

[10]         [2000] C.L.P. 814 (C.S.)

[11]         C.L.P. 218615-62-0310, 17 février 2008, C.A. Ducharme

[12]         Deslandes et Plomberie Gaston Côté, C.A.L.P. 56088-62-9401, 25 octobre 1996, S. Di Pasquale, (J8-09-32) (décision sur requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-026996-965, 97-03-14, j. Tessier, (J9-02-33)

[13]         [1998] C.L.P. 197

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