Décision

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Rossignol c. Transamerica Vie Canada

2009 QCCS 77

JH-5116

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-007409-063

 

 

 

DATE :

14 janvier 2009

______________________________________________________________________

 

EN PRÉSENCE DE :

L’HONORABLE

SUZANNE HARDY-LEMIEUX, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

GUY ROSSIGNOL,

 

Demandeur;

 

c.

 

TRANSAMERICA VIE CANADA,

 

Défenderesse;

 

 

______________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

______________________________________________________________________

 

[1]                Monsieur Rossignol requiert du Tribunal l'exécution par Transamerica Vie Canada (Transamerica) de ses obligations prévues aux trois polices d'assurance en litige.  Ne pouvant plus travailler 60 à 70 heures par semaine depuis 2002, il requiert le paiement de l'indemnité de «perte résiduelle de revenu» prévue aux polices d'assurance ainsi que celle de frais de bureau[1].

[2]                L'interprétation de la notion de «perte résiduelle de revenu» est au coeur du présent litige.  Selon celle que retiendra le Tribunal, Transamerica doit non seulement payer les prestations mensuelles réclamées mais aussi rembourser les primes payées par son assuré pendant les périodes de refus.  Elle devra aussi contribuer à un avenant de retraite.  Dans le cas contraire, Transamerica ne doit rien.

[3]                Transamerica paie des prestations pour la période du 5 décembre 2002 au 7 octobre 2003.  Elle en verse aussi certaines en 2006 et 2007. 

[4]                La réclamation de monsieur Rossignol s'élève à la somme de 134 377.57$.  S'appuyant sur les termes même des polices d'assurance concernées et sur les recommandations de son médecin traitant, il considère subir, pendant les périodes litigieuses, une «perte résiduelle de revenu» pour laquelle il réclame l'exécution par Transamerica de ses obligations contractuelles, déduction faite des sommes déjà reçues.

[5]                Monsieur Rossignol réclame aussi la somme de 40 000$ à titre de dommages-intérêts pour dommages moraux et atteinte à ses droits fondamentaux ainsi que 10 000$ à titre de dommages pour exercice abusif par Transamerica de ses droits contractuels.

[6]                Transamerica soutient que monsieur Rossignol peut accomplir, pour les périodes au coeur du litige, sa pleine prestation de travail.  Elle prétend que son assuré n'a pas droit au paiement des diverses prestations qu'il réclame car aucune condition médicale cardiaque n'appuie, d'une part, la réduction du nombre d'heures de travail par semaine.  D'autre part, la «perte résiduelle de revenu» qu'il soutient subir, ne donne pas droit au paiement des prestations qu'il réclame.

[7]                Les parties conviennent que les périodes litigieuses, pour la solution du présent litige, sont les suivantes:

·        Du 7 octobre 2003 au 26 ou 27 octobre 2006;

·        Du 27 ou 28 octobre 2006 au 13 ou 15 juillet 2007;

·        Du 14 ou 16 juillet 2007 au 31 octobre 2007.

 

[8]                Les prétentions des parties requièrent l'analyse des éléments suivants:

·        La portée des polices d'assurance en cause;

·        L'application des polices d'assurance pour les périodes réclamées;

·        S'il y a lieu, la détermination des sommes que Transamerica doit à monsieur Rossignol;

·        La réclamation des dommages-intérêts et dommages punitifs.

 

[9]                Dans un premier temps, il convient de résumer les faits pertinents.

 

1.-        Les faits

 

[10]            Transamerica agit aux droits et obligations de Mony du Canada, compagnie d'assurance-vie et de NN, compagnie d'assurance-vie du Canada, compagnies qui émettent à l'origine les contrats au coeur du litige.

[11]            En 1977, monsieur Rossignol obtient son diplôme de médecin omnipraticien.  Il pratique jusqu'en 1983 à Gaspé.  À compter de cette date, il établit son bureau d'omnipraticien à Rivière-du-Loup où il pratique activement.  Il fait également un remplacement d'une semaine aux 5 semaines au Sanatorium Ross à Gaspé. 

[12]            À compter de 2000, il devient chef du département de médecine régionale du Bas-St-Laurent, ce qui comporte des fonctions administratives outre sa pratique de la médecine.  À cette époque, il travaille environ 70 heures par semaine, sinon plus[2].

[13]            À compter du 5 décembre 2002, Dr Rossignol subit des investigations cardiaques avant d'être opéré pour un pontage aorto-coronarien le 4 février 2003[3].

[14]            Le 18 février 2003, Transamerica approuve la demande de prestation d'invalidité formulée par Dr Rossignol.  Elle accepte que le début de l'invalidité soit fixé au 5 décembre 2002.  Après un délai de carence de 30 jours tel que prévu aux polices, le début des prestations est établi au 3 janvier 2003[4].

[15]            Dr Czech, interniste et médecin traitant de l'assuré, l'enjoint de ne pas travailler plus que 35 heures par semaine.

[16]            Le 7 octobre 2003, Transamerica informe monsieur Rossignol qu'elle met fin à ses prestations puisqu'il travaille à raison de 35 heures par semaine et que selon elle, il n'est plus invalide[5].

[17]            Le 10 octobre 2003, Dr Czech réitère à monsieur Rossignol, dans une lettre, qu'il est nécessaire et indispensable qu'il limite son horaire de travail à une semaine de 35 heures[6].  Celle-ci est transmise à Transamerica qui, le 7 janvier 2004, refuse de nouveau le paiement de toute prestation après le 7 octobre 2003[7].

[18]            Au cours de l'année 2004, Dr Rossignol n'est pas capable de travailler au même rythme qu'avant son invalidité.  Ainsi, il abandonne son travail au Foyer Saint-Antonin et à l'Hôpital Saint-Joseph ainsi que dans les centres de soins de longue durée[8].

[19]            Transamerica le fait examiner, le 6 août 2004 par Dr Pierre Le Bouthillier, cardiologue, dont l'expertise en cardiologie est reconnue[9].  Celui-ci conclut que Dr Rossignol ne souffre plus d'une condition invalidante de nature cardiaque qui milite en faveur de la réduction de ses heures de travail.  Il insiste sur l'importance de la reprise de l'horaire de travail pré-invalidité le plus rapidement possible pour ses patients.

[20]            La présence d'une hernie discale lombaire[10] provoque un arrêt de travail complet pour Dr Rossignol à compter du 27 octobre 2006.  Il est opéré pour ce problème le 6 novembre 2006[11].  Transamerica lui impose un nouveau délai de carence de 30 jours. Une période d'incapacité totale est établie du 27 octobre 2006 au 7 février 2007 et une période d'incapacité partielle est prévue du 7 février 2007 au 7 mai 2007.

[21]            Le 16 juillet 2007, Dr Rossignol subit une laminectomie et greffe cervicale[12] pour laquelle une nouvelle période d'invalidité débute.

[22]            Au cours de l'année 2008, jusqu'à 2 jours précédant le début de l'audience, Transamerica réévalue sa position antérieure de refus de certaines prestations.  Elle admet devoir encore certains montants au Dr Rossignol et les lui transmet de la façon suivante:

 

·        Lettre du 4 janvier 2008: prestations payées pour la période du 27 novembre 2006 au 28 octobre 2007:

Police P-1: 35 756.67$

Police P-2: 9 137.33$[13]

·        Lettre du 14 février 2008: remboursement pour exonération des primes du 8 novembre 2006 au 7 novembre 2007 pour la police P-1: 5 645.88$[14];

·        Lettre du 26 mars 2008: police P-2.1:

remboursement frais généraux admissibles, période du 27 novembre 2006 au 31 août 2007 = 10 516.11$, et

remboursement d'exonération des primes du 24 novembre 2006 au 24 mars 2008 pour la même police = 957.95$[15];

·        4 avril 2008: paiement avenant sécurité retraite, police P-2, période du 14 octobre 2007 au 6 novembre 2007 = 1 000$[16];

·        Lettre du 22 juillet 2008: remboursement pour l'exonération des primes, police P-2, période de novembre 2006 à octobre 2007 inclusivement = 8 508.69$[17];

·        Lettre du 5 septembre 2008: remboursement des frais généraux admissibles police P-2.1, période du 1er septembre 2007 au 31 octobre 2007 = 6 000$[18];

·        Chèque du 30 septembre 2008: paiement avenant sécurité retraite police P-2, pour la période du 16 juillet 2007 au 13 octobre 2007 = 3 750$[19].

 

[23]            Lors de l'audience du 6 octobre 2008, monsieur Rossignol réduit sa réclamation des sommes reçues ci-dessus mentionnées[20].  Il établit celle-ci, pour les obligations inexécutées par Transamerica, à la somme de 134 377.57$.

[24]            Il convient maintenant d'examiner la teneur des contrats d'assurance au coeur du litige.

 

2.-        La portée des polices d'assurance en cause

 

[25]            D'entrée de jeu, il y a lieu de souligner que les contrats d'assurance au cœur du litige sont très différents de ceux qui sont régulièrement soumis aux tribunaux.  Il s'agit, en l'espèce, non pas de l'application de la définition d'invalidité totale mais plutôt de celle de la notion de «perte résiduelle de revenu» et des conditions du droit aux prestations qui en proviennent.

[26]            Il est à-propos d'examiner successivement chacun des trois contrats d'assurance au coeur du litige.

 

2.1       Police numéro […]

[27]            Cette police est établie le 8 mai 1987 auprès de la compagnie d'assurance Mony[21].  Le Tribunal y référera comme police 392.  Elle est modifiée le 16 mai 1997 par avenant émis par NN Services Financiers[22].

[28]            Elle prévoit un montant maximal de prestation mensuelle de 4 250$ après un délai de carence de 30 jours.  La période maximale de prestation va jusqu'à l'âge de 65 ans[23].  Elle comporte un avenant protection du revenu professionnel santé ainsi qu'un ajustement au coût de la vie.  Sa prime annuelle s'élève à la somme de 5 838.16$ ou de 522.52$ par mois. 

[29]            La police prévoit le paiement de prestations mensuelles d'invalidité lorsque son assuré est totalement invalide, d'une part.  Elle envisage aussi, d'autre part, le paiement de la prestation de «perte résiduelle de revenu» lorsqu'il retourne au travail sans pour autant générer le même revenu que celui avant son invalidité. 

[30]            Cette notion de «perte résiduelle de revenu», étant au coeur même du litige, il convient de reproduire intégralement sa définition:

«perte résiduelle de revenu:

Par "perte résiduelle de revenu", on entend:

(a)      que vous n'êtes pas frappé d'invalidité totale;

(b)      que vous vous livrez à un emploi rémunéré; et

(c)      que vous avez subi un pourcentage de perte de revenu de l'ordre de 20% ou plus, résultant uniquement d'une lésion ou d'une maladie survenue pendant le cours de la police.

À l'expiration du délai de carence, il n'est plus nécessaire que la lésion ou la maladie continue d'exister ou que vous soyez suivi par un médecin[24]

(Le soulignement est ajouté.)

[31]            Le Tribunal ne peut ignorer que l'assureur, auteur du texte contractuel, prévoit spécifiquement dans la définition de ce type de perte qu'après l'expiration du délai de carence de 30 jours, il n'est plus nécessaire que la maladie continue d'exister pour avoir droit au paiement des prestations[25].  À ce moment, la seule condition qui permette l'obtention du paiement de ces prestations, est une perte d'au moins 20% du revenu.

[32]            Le police précise ainsi l'expression «emploi rémunéré» à laquelle réfère la définition de «perte résiduelle de revenu»:

«EMPLOI RÉMUNÉRÉ:

Par "emploi rémunéré" on entend un emploi habituel auquel vous vous livrez pendant au moins 30 heures par semaine.»[26]

 

[33]            Le Tribunal note que cette définition est muette quant au nombre d'heures maximales travaillées par semaine.  Or, comme on le sait, la prépondérance de la preuve révèle que le nombre d'heures de travail hebdomadaires accomplies par Dr Rossignol varie, d'une semaine à l'autre, selon ses assignations et les remplacements de différents collègues.  La preuve révèle également qu'avant son invalidité, monsieur Rossignol travaille 60 à 70 heures par semaine et ce, de façon régulière.

[34]            Le Tribunal estime que lorsque Transamerica prévoit spécifiquement, dans sa définition de «perte résiduelle de revenu», qu'après la période de carence de 30 jours, «il n'est plus nécessaire que la lésion ou la maladie continue d'exister ou que vous soyez suivi par un médecin»[27], elle confirme ainsi que le but de la protection d'assurance qu'elle vend est de protéger la capacité de l'assuré à générer un revenu du même ordre que celui qu'il génère avant l'invalidité sous réserve des clauses d'indexation et d'ajustement au coût de la vie dont nous discuterons par la suite. 

[35]            Telle étant l'essence de la protection prévue au contrat, le Tribunal retient qu'il ne s'agit pas de se demander si médicalement la réduction de la semaine d'heures de travail est justifiée ou non.  Telle n'est pas l'essence de la protection achetée. 

[36]            Le Tribunal estime qu'il suffit de se demander si l'assuré génère, en travaillant de bonne foi, les mêmes revenus qu'avant son invalidité, le tout en prenant en considération les modes de calcul déterminés dans la police.

[37]            Finalement, cette police comprend également une clause dite «d'exonération de la prime» qui prévoit qu'après le moindre d'une période de 90 jours ou du délai de carence, 30 jours, l'assuré est exonéré du paiement de toutes primes dues pendant la perte jusqu'à l'âge de 65 ans et que la compagnie rembourse les primes échues et payées par l'assuré dans l'intervalle[28].

[38]            Selon monsieur Rossignol, la protection de «perte résiduelle de revenu» s'applique de façon ininterrompue depuis le 7 octobre 2003.  Les périodes d'invalidité subséquentes causées par les 2 opérations subies en 2006 et en 2007 constituent des périodes au cours desquelles la clause «perte assurée concomitante» s'applique.  Dans ce cas, Transamerica ne peut invoquer de délai de carence pour sa deuxième et sa troisième invalidité.  Transamerica soutient le contraire pour la deuxième période d'invalidité. 

[39]            La définition de «perte assurée concomitante» est la suivante:

«PERTE ASSURÉE CONCOMITANTE:

Par "Perte assurée concomitante", on entend une perte:

(a)                qui n'est pas liée à une perte assurée antérieure qui existe toujours; et

(b)        qui survient pendant le cours de la police.»[29]

 

[40]            Si la perte de revenu causée par l'invalidité cardiaque qui débute le 5 décembre 2002, existe toujours, selon les conditions énoncées à la police le 27 octobre 2006, moment de l'arrêt total de travail pour la laminectomie lombaire, cette période constitue, de l'avis du Tribunal, une «perte assurée concomitante» pour laquelle aucun nouveau délai de carence ne doit être imposé au Dr Rossignol.

[41]            En effet, la condition lombaire n'est pas liée à celle cardiaque, d'une part et dans la mesure où la perte de revenu causée par son état en 2002 existe encore au mois d'octobre 2006, il s'agit d'une «perte assurée concomitante» selon la définition même de cette police d'assurance.

[42]            Il est maintenant opportun d'examiner la teneur de la police émise par Transamerica.

 

2.2              Police […]

 

[43]            Cette police est émise par NN Services Financiers le 7 mai 1997[30].  Transamerica émet un avenant en 2003 (police Transamerica)[31].  Elle prévoit une assurance invalidité dont la couverture est de 1 000$ par mois.  Elle comporte un délai de carence de 30 jours, l'avenant «Discovery», un avenant «sécurité retraite» ainsi qu'une exonération des frais de police.  La prime totale pour celle-ci est de 6 083.08$ par année ou 506.92$ par mois[32].

[44]            Tous conviennent que monsieur Rossignol bénéficie de l'avenant «Discovery», catégorie 4A.  La perte résiduelle de revenu y est ainsi définie:

«Par "perte résiduelle de revenu", on entend:

a)         que vous n'êtes pas frappé d'invalidité totale;

b)                   que vous exercez un emploi rémunérateur;

c)                   que vous avez subi un pourcentage de perte de revenu de 20% ou plus, résultant uniquement d'une lésion ou d'une maladie survenue alors que l'avenant est en vigueur.

La lésion ou la maladie doivent persister et vous devez être suivi par un médecin durant le délai de carence seulement[33]

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[45]            NN Services Financiers introduit en 1992 un «Guide du Marketing» expliquant le produit qu'elle vend.  La compagnie reproduit des définitions pertinentes selon le type de couverture choisi et ajoute en marge des remarques à l'intention de ses assurés[34].  Ainsi, pour la définition de «perte résiduelle de revenu» pour les assurés de la catégorie 4A dont monsieur Rossignol fait partie, l'assureur y précise que:

«Perte résiduelle de revenu signifie que l'assuré n'est pas atteint d'une invalidité totale; qu'il exerce un emploi rémunérateur et qu'il a subi une perte de revenu d'au moins 20% uniquement en raison d'une lésion ou maladie alors que la police est en vigueur.

Il faut que la lésion ou la maladie subsiste et que l'assuré soit suivi par un médecin durant le délai de carence seulement.[35]

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[46]            En marge de cette définition, les remarques à l'intention de l'assuré sont:

«REMARQUE

NULLE restriction ou exigence de temps

NULLE exigence au niveau des fonctions

Après l'expiration du délai de carence, aucune nécessité d'être suivi par un médecin

Après l'expiration du délai de carence, aucune nécessité d'être atteint d'une lésion ou maladie[36]

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[47]            La particularité de la police Transamerica par rapport à la police 392 est que les prestations mensuelles sont limitées à la somme de 1 000$, d'une part et qu'elles ne sont pas indexables pour tenir compte du coût de la vie, d'autre part[37].

[48]            Les remarques relatives à l'absence de restriction en ce qui concerne le temps et les fonctions post-invalidité par rapport à celles pré-invalidité, doivent vouloir dire quelque chose.

[49]            Le Tribunal prend acte que l'assureur n'a pas l'intention de remettre en cause le temps que l'assuré consacre à l'exercice d'un emploi rémunérateur après son invalidité ni les fonctions qu'il peut exercer et celles qui ont été abandonnées. 

[50]            En d'autres termes, le Tribunal retient que l'assureur, par ses propres commentaires consignés dans le «Guide du Marketing», indique qu'il n'y a aucune restriction par rapport au temps consacré à l'exercice de l'emploi rémunérateur post-invalidité ni quant aux fonctions que son assuré occupe à ce moment.  C'est pourtant ce que Transamerica fait dans le présent litige.

[51]            Après l'examen de cette définition et des remarques qui l'accompagnent, le Tribunal conclut qu'un assuré a droit au paiement de prestations même s'il exerce un emploi rémunérateur dans la mesure où il subit une perte de revenu d'au moins 20% en raison d'une maladie qui débute pendant que la police est en vigueur.  Après l'expiration du délai de carence de 30 jours, même si la maladie cesse, l'assuré a droit au paiement des prestations tant et aussi longtemps qu'il subit une perte de revenu d'au moins 20% par rapport à celui qu'il obtient avant son invalidité.

[52]            Encore une fois, ce contrat tout comme la police 392 ont le même but: protéger la capacité de générer un revenu d'un assuré qui a subi une invalidité.  En d'autres termes, à la différence des contrats d'assurance invalidité que l'on voit fréquemment, la persistance de la condition médicale invalidante n'est pas, pour les contrats au coeur du présent litige, requise.  Seule la perte de revenu d'au moins 20%, l'est.

[53]            Il convient maintenant d'examiner la police frais généraux professionnels.

 

2.3              Police […]

 

[54]            Cette police d'assurance établie auprès de la compagnie Mony depuis le 24 avril 1987, prévoit le paiement de prestations mensuelles de frais généraux à concurrence de la somme de 3 000$ par mois.  Son coût est de 696.72$ par année ou 54.74$ par mois.  Elle prévoit un délai de carence de 30 jours.  La période maximale de prestations est de deux ans[38].

[55]            Ce contrat comporte la définition suivante de «perte excédentaire résiduelle»:

«Par "Perte excédentaire résiduelle", on entend:

a)                   soit que vous avez subi une pure perte;

b)                   soit que vous êtes frappé d'invalidité partielle.[39]»

 

[56]            La police 393 définit la profession régulière d'un assuré comme étant celle qu'il exerce immédiatement avant le début de l'invalidité.  Elle y précise la notion d'invalidité partielle ainsi:

«INVALIDITÉ PARTIELLE

Par "invalidité partielle", on entend votre incapacité par suite d'une lésion ou d'une maladie:

a)                 de passer plus de la moitié du temps normal à l'accomplissement des tâches de votre profession régulière; ou

b)                 d'accomplir une ou plusieurs des tâches essentielles de votre profession régulière.

Et que, au cours d'un mois, vous engagez des frais excédentaires relativement à votre profession régulière.  Vous devez être suivi par un médecin[40]

 

[57]            Quant à la notion de «pure perte» à laquelle réfère la définition de «perte excédentaire résiduelle», il s'agit de:

«Par "pure perte", on entend qu'à la suite d'une invalidité vous engagez des frais excédentaires dans le cadre de votre profession régulière en conséquence directe d'une invalidité précédente qui, pendant au moins 60 jours consécutifs, a été considérée comme invalidité totale.  Si votre cas répond à cette définition et à celle de l'invalidité partielle, vous êtes alors censé avoir subi une pure perte.»[41]

 

[58]            Dans le Guide du Marketing, la remarque suivante apparaît en marge de la définition de «pure perte de frais»:

«REMARQUE:

La définition d'une pure perte de frais est bénéfique à l'assuré car ce dernier n'est pas requis d'être atteint d'une lésion ou maladie, d'être suivi par un médecin ni d'avoir subi une perte de temps ou de fonctions.  Des frais excédentaires constituent la seule condition requise[42]

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[59]            Les frais excédentaires sont les suivants:

«Par "frais excédentaires", on entend un excédent de frais engagés dans le cadre de l'exercice de votre profession régulière et qui correspond à la fraction des frais généraux couverts d'un mois quelconque qui dépasse le montant total du revenu touché pour le mois en question.»[43]

[60]            Un "résumé des bénéfices" en date du 15 avril 1987, préparé par Mony pour le type de contrat souscrit par Dr Rossignol, indique ce qui suit à titre d'explications supplémentaires:

«100- Pour recevoir des prestations résiduelles, il suffit de prouver des frais encourus.

A-         Pas besoin d'être impotent;

B-                    Pas besoin de perdre du temps.»[44]

 

[61]            Le Tribunal retient, après analyse de ces dispositions, que l'assuré qui a été invalide totalement pendant au moins 60 jours consécutifs a droit à une prestation si les frais engagés dans le cadre régulier de l'exercice de sa profession dépassent le montant total du revenu qu'il touche pour le mois en question.

[62]            Les frais excédentaires réfèrent aux frais généraux couverts pendant un mois[45].  Ceux-ci comprennent les «frais normaux et habituels engagés durant la période d'invalidité pour l'exercice de votre profession ou l'exploitation de votre entreprise»[46].  Ils incluent les loyers ou encore les paiements échelonnés tant en capital qu'en intérêts de l'emprunt hypothécaire ou d'un prêt pour le mobilier et l'équipement ainsi que les frais pour services publics, les salaires d'employés, taxes sur les locaux professionnels, cotisations et frais d'adhésion à une société professionnelle ainsi que les primes d'assurance, y compris la responsabilité civile professionnelle[47].

[63]            Monsieur Rossignol réclame une somme précisée lors de l'audience à celle de 4 000.09$ et ce, pour une période débutant le 27 octobre 2006 jusqu'au 13 juillet 2007 et une seconde débutant le 14 juillet 2007 jusqu'au 31 octobre 2007.

[64]            Le Tribunal estime qu'au terme de cette police, lorsque l'assuré subit une invalidité pendant au moins 60 jours consécutifs et qu'il engage des frais usuels à l'exercice de sa profession régulière, lesquels dépassent le montant total du revenu touché pour un mois, il a droit à l'obtention du paiement de la prestation de «perte excédentaire résiduelle». 

[65]            Ainsi, lorsque la perte monétaire subie au cours d'un mois est supérieure à la somme de 3 000$ , cette somme doit lui être payée.  Par ailleurs, si le montant réel de la perte subie est inférieur à la prestation maximale de 3 000$, la prestation est limitée à celui de la perte réelle.

[66]            Il convient maintenant d'examiner la réclamation formulée par monsieur Rossignol pour chacun des contrats d'assurance concernés afin de déterminer son droit ou non à l'obtention des diverses prestations qui y sont prévues et ce, pour chacune des périodes litigieuses.

 

3.         L'application des polices d'assurance pour les périodes réclamées

 

[67]            Dans un premier temps, il convient de disposer des rapports d'expert soumis par Transamerica.

[68]            La qualité d'expert de Dr Le Bouthillier, cardiologue et de monsieur Bélanger, juricomptable n'est pas contestée.  Cependant, leurs conclusions le sont.

[69]            Il y a lieu de rappeler les principes qui doivent guider le Tribunal dans l'appréciation de cette preuve.

[70]            Le professeur Jean-Claude Royer précise ainsi le rôle du Tribunal à l'occasion de l'appréciation du rapport d'un expert:

«484 - Devoir du Tribunal - La valeur probante du témoignage d'un expert relève de l'appréciation du juge.  Celui-ci n'est pas lié par l'opinion d'un expert.  Il doit évaluer et peser sa déposition de la même manière que celle des témoins ordinaires.»[48]

 

[71]            Monsieur le juge Gendreau précise, pour la Cour d'appel, que la preuve d'expert ne bénéficie pas de statut privilégié, en ce termes:

«[20] Cela dit, le témoignage du témoin ordinaire est une preuve au même titre que celui de l'expert.  Le juge doit donc la recevoir comme telle, en évaluer la légalité, l'utilité ou la force probante comme il le ferait pour toutes les autres.  Il peut donc lui accorder un poids plus ou moins grand selon le contexte de analyse.  Cela découle du principe général que j'ai évoqué plus tôt suivant lequel le juge est le maître des faits.  Dès lors, de la même manière qu'il peut rejeter une expertise, il peut donner à une preuve profane un rôle prédominant ou négligeable.

[21] Je conclus donc que le juge a le devoir d'examiner toute la preuve pour former son opinion et que, dans le cadre de son analyse, il peut retenir ou rejeter tout témoignage, qu'il soit scientifique ou ordinaire, et doit déterminer l'importance relative des preuves qu'il retient pour dégager sa conclusion.  Il n'y a donc aucune preuve qui soit, par définition, prioritaire ou qui doit être privilégiée.[49]

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[72]            Dans l'appréciation d'un rapport d'expert, le juge doit tenir compte des éléments suivants: le sérieux des démarches faites par l'expert à l'étape de la cueillette des données, l'objet de l'expertise, du lien entre l'opinion de l'expert et la preuve profane, de l'objectivité ou de la subjectivité de l'expert[50].

[73]            Il y a maintenant lieu d'examiner les rapports de Dr Le Bouthillier.

 

3,1       Rapports de Dr Le Bouthillier

[74]            Les rapports de Dr Pierre Le Bouthillier[51], cardiologue dont les services d'expert sont retenus par Transamerica, concluent qu'aucune restriction médicale de nature cardiaque appuie la recommandation du Dr Czech à monsieur Rossignol, soit celle de ne pas travailler plus que 35 heures par semaine[52].

[75]            Le Tribunal estime qu'il est opportun d'examiner l'approche utilisée par Transamerica telle qu'on la retrouve au cœur même du mandat qu'elle confie à Dr Le Bouthillier:

«1.       Depuis le 7 octobre 2003, y a-t-il des fonctions que le Dr Rossignol n'est plus en mesure d'exercer, en raison d'une lésion ou d'une maladie, en comparaison de ses activités professionnelles pré-invalidité?

2.         Est-il médicalement requis pour celui-ci de limiter ses heures de travail à 35 heures par semaine depuis le 7 octobre 2003?

3.         A-t-il, de fait, limité ses activités professionnelles à 35 heures par semaine depuis le 7 octobre 2003?

4.         S'il a subi une perte de revenu de 20% ou plus depuis le 7 octobre 2003, une telle perte résulte-t-elle uniquement d'une lésion ou d'une maladie survenue pendant le cours de la police?»[53]

 

[76]            Les mêmes questions sont posées et sont répondues dans les rapports complémentaires du 12 juin 2005 et du 11 novembre 2007[54].

[77]            De l'examen des questions posées à Dr Le Bouthillier, le Tribunal constate que Transamerica recherche la persistance d'une maladie qui obligerait Dr Rossignol à limiter le nombre d'heures par semaine qu'il consacre à l'exercice de son travail par rapport à celui qu'il accomplit avant le début de son invalidité initiale, le 5 décembre 2002. 

[78]            Si, selon Transamerica, des raisons médicales militent en faveur d'une telle réduction des heures de travail qui, par ricochet, cause une perte résiduelle de revenu d'au moins 20%, à ce moment, Dr Rossignol peut avoir droit au paiement d'une prestation pour perte résiduelle de revenu. 

[79]            Dans le cas où aucune justification médicale ne sous-tend la réduction du nombre d'heures de travail par semaine, cette réduction serait la seule cause de la perte de revenu, d'une part et ne donnerait pas droit, d'autre part au paiement des prestations réclamées.

[80]            Qu'en est-il?

[81]            Le Tribunal estime que cette façon de soumettre le problème à l'expert est contraire à la formulation même des clauses d'assurance au coeur du litige.  On se rappellera que la police 392 ainsi que celle de Transamerica[55] ne requièrent pas, après l'expiration du délai de carence, que la «maladie continue d'exister»[56] et que les remarques du «Guide du Marketing» précisent qu'il n'y a aucune «exigence au niveau du temps et des fonctions»[57].

[82]            Il est évident que pour que la protection d'assurance s'applique, une maladie ou une lésion doivent affecter l'assuré alors que la police est en vigueur et ce, pendant une période d'au moins 30 jours - la durée du délai de carence - et lui causer une perte de revenu d'au moins 20%. 

[83]            Cependant, après l'expiration du délai de carence lorsque l'assuré n'est plus totalement invalide et qu'il exerce un emploi rémunérateur tout en continuant à subir une perte de revenu d'au moins 20%, Transamerica mentionne spécifiquement qu'«il n'est plus nécessaire que la lésion ou la maladie continue d'exister»[58].

[84]            Par ailleurs, en indiquant qu'il n'y a aucune exigence au niveau du temps et des fonctions, Transamerica, de l'avis du Tribunal, renonce à une justification médicale à la réduction des heures de travail hebdomadaires et à la réduction des fonctions que son assuré exerce après l'invalidité.  Elle ne peut maintenant invoquer l'un ou l'autre de ces arguments pour refuser les prestations que Dr Rossignol lui réclame.

[85]            Le Tribunal ne peut ignorer que Dr Le Bouthillier reconnaît la présence d'un dilemme pour l'assuré lorsqu'il y a désaccord entre ce que son médecin traitant lui recommande, d'une part et la conclusion du médecin expert, d'autre part.  Il précise que, dans ces circonstances, il «faut que le patient suive le contrat thérapeutique établi avec son médecin», selon son expression.  En d'autres termes, l'assuré doit se conformer aux restrictions que son médecin traitant lui impose.

[86]            C'est en tenant compte des spécificités de la définition de «perte résiduelle de revenu», énoncées aux polices d'assurance, que le Tribunal conclut que, dans la mesure où le médecin traitant de Dr Rossignol lui recommande de ne pas travailler plus de 35 heures par semaine, il y a forcément une perte de revenu par rapport à celui qu'il génère avant son invalidité.  Rappelons que la prépondérance de la preuve révèle qu'il travaille alors en moyenne 70 heures par semaines concentrées sur une période de 5 jours.

[87]            De l'avis du Tribunal, les questions posées par Transamerica à son expert cherchent à établir la présence d'une maladie qui limiterait l'exercice par Dr Rossignol de ses activités professionnelles par rapport à celles qu'il accomplit pré-invalidité et qui s'il y a une perte de revenu d'au moins 20%, serait attribuable uniquement à la présence d'une maladie qui débute pendant le cours de la police. 

[88]            Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut retenir le rapport du Dr Le Bouthillier parce que, d'une part, il est dirigé comme on le sait par les questions posées par Transamerica.[59].  Celles-ci, d'autre part, ne sont pas conformes à la teneur des clauses des polices concernées.

[89]            Il convient maintenant d'examiner la teneur du rapport de monsieur Jean-J. Bélanger de la firme BDO Dunwoody.

 

3.2              Le rapport de monsieur Jean-J. Bélanger

 

[90]            Quant aux rapports de monsieur Jean-J. Bélanger de la firme DDO Dunwoody[60], le Tribunal ne peut accorder à ceux-ci la crédibilité que Transamerica désire leur voir attribuer pour les raisons suivantes:

·                    Transamerica ne transmet pas à son expert copie des formulaires transmis et complétés par son assuré, au fil des mois;

·                    Transamerica ne porte pas à la connaissance de son expert le «Guide du Marketing»[61];

·                    Transamerica n'avise pas son expert des sommes qu'elle paie à Dr Rossignol en 2008 ni de la date de l'encaissement de ces chèques;

·                    Elle ne lui transmet pas avant le mois de septembre 2008, la teneur de la police 393 pour les frais généraux.

 

 

[91]            Monsieur Bélanger rédige trois rapports: le premier, le 21décembre 2007[62], les deuxième et troisième portent tous deux la date du 2 octobre 2008[63].  Cependant, ceux-ci contiennent des erreurs d'interprétation ou de méthodologie.  Ainsi, à titre d'exemples, le Tribunal note que:

·                    Le calcul du revenu pré-invalidité ne prend pas en considération, contrairement à la formulation des clauses des polices d'assurance, l'indexation annuelle qui doit être utilisée;

·                    Le rapport omet également d'utiliser une indexation des prestations payables à monsieur Rossignol pour la police 392 et ce, en considérant l'indexation reçue pour l'année précédente[64];

·                    L'utilisation des rapports d'impôt du Dr Rossignol n'est pas conforme aux termes et conditions des polices d'assurance;

·                    Les reproches faits au Dr Rossignol concernant l'absence de droit à la déduction de la partie due en capital de remboursement hypothécaire ou d'autres prêts sont contraires à la définition des frais couverts de la police P-2.1[65];

·                    Il omet de recalculer le revenu moyen antérieur en tenant compte de l'indexation qui s'applique et plusieurs erreurs relatives au calcul de la «moyenne mobile» se retrouvent dans ces rapports par opposition à la teneur des clauses des polices d'assurance[66];

·                    Il mentionne, lors de l'audience, ne pas avoir besoin de recalculer le revenu pré-invalidité pour la deuxième période d'invalidité alors qu'il fait le contraire dans son rapport[67];

·                    Finalement, il prend pour acquis que le Dr Rossignol avait des «revenus d'entreprise» alors que Transamerica transmet les formulaires de perte pour «revenu courant».  Il admet que la définition de «revenu courant» ne prévoit pas le droit de réajustement subséquent à la lumière des rapports d'impôt.  Or, cette utilisation d'un mode de calcul plutôt que l'autre correspond à 60% de l'écart qui sépare les parties ou à une somme d'environ 33 000$ en faveur de Transamerica[68].

[92]            En résumé, le Tribunal constate que les rapports de monsieur Bélanger ne semblent pas avoir pour but de l'éclairer contrairement à la mission usuelle d'un expert, mais plutôt de le noyer sous une avalanche de chiffres. 

[93]            De plus, ils omettent de fonder leurs hypothèses sur les clauses pertinentes des contrats d'assurance au coeur du litige.  Ils ne prennent pas en considération non plus les méthodes utilisées par les parties et acceptées entre elles pendant la première période d'invalidité.  Le Tribunal ne peut donc accorder une valeur probante à ces rapports.

[94]            Le Tribunal retient plutôt les calculs faits, au fil des ans par Dr Rossignol et acceptés par Transamerica en ce qui se rapporte notamment au revenu courant plutôt qu'au revenu d'entreprise.  Il y a lieu de rappeler que Dr Rossignol n'opère pas une entreprise mais qu'il est tout simplement un travailleur autonome pratiquant la médecine.  Le Tribunal retiendra donc les sommes calculées par Dr Rossignol sous réserve de l'application des différentes notions de la police d'assurance pour les trois périodes réclamées.

[95]            Il convient maintenant de déterminer si la «perte résiduelle de revenu» existe sans interruption à compter du mois d'octobre 2003 jusqu'au mois d'octobre 2006, moment de la deuxième période d'invalidité.

 

3.3              La présence ou non d'une invalidité continue entre le mois d'octobre 2003 et celui d'octobre 2006

 

[96]            Comme on le sait, la notion de «perte assurée concomitante» précise qu'il n'y a pas de nouveau délai de carence imposé lorsque, pendant que la police est en vigueur et que l'assuré bénéficie toujours de la protection de perte résiduelle de revenu, survient une nouvelle perte qui est distincte de la première.[69]

[97]            Pour procéder à cette détermination, il convient d'examiner la perte de revenu établie par Dr Rossignol pour ces deux polices[70].

[98]            Le Tribunal note avec quelle méticulosité Dr Rossignol confectionne les tableaux qui reflètent les réclamations qu'il formule.  Seuls les mois au cours desquels il subit des pertes, en appliquant la notion de perte supérieure à 20% conformément aux polices d'assurance, sont l'objet de réclamation[71].

[99]            À compter du mois d'octobre 2003 jusqu'au mois de mai 2005 inclusivement, Dr Rossignol subit continuellement des pertes de revenu supérieures à 20%[72].  À compter des mois de juin, juillet et août 2005, ses pertes sont inférieures à 20%.  Il ne formule aucune réclamation.  En septembre, novembre et décembre 2005, elles sont supérieures à 20% et il formule une réclamation en conséquence[73].

[100]       En 2006, la perte assurable est supérieure à 20% du revenu pour les mois de janvier, avril, juin, juillet, septembre et octobre de cette année[74].

[101]       En résumé, pour la période de 36 mois débutant au mois d'octobre 2003 et se terminant au mois d'octobre 2006, Dr Rossignol subit des pertes résiduelles de revenu supérieures à 20% pendant 29 mois sur 36.  Il en est de même pour les pertes réclamées et subies pour la police Transamerica[75].

[102]       Il y a lieu d'examiner si pendant cette période, il y a eu fin du droit aux prestations.  Dans l'affirmative, la période d'invalidité débutant au mois d'octobre 2006 ne pourrait pas être qualifiée de «perte assurée concomitante».  Un nouveau délai de carence de 30 jours s'appliquerait donc à compter du 26 octobre 2006 avant que des prestations soient payables.

[103]       S'il n'y a pas eu fin du droit aux prestations pendant la période précédent le 26 octobre 2006, cette nouvelle période d'invalidité constitue une «perte assurée concomitante».  Il n'y a pas alors de délai de carence qui puisse être imposé[76].  Les prestations sont donc payables à compter du 26 octobre 2006.

[104]       Les contrats d'assurance au coeur du litige ne définissent pas la période suffisante de mois sans perte résiduelle de revenu pour mettre fin au paiement de ce type de prestation.  La seule indication que possède le Tribunal est celle que l'on retrouve au «Guide du Marketing» où l'on y indique qu'il n'y a aucune restriction pour le temps[77].

[105]       Pourtant, il appartient à l'assureur de prévoir spécifiquement, s'il désire l'invoquer par la suite, de quelle façon cesse le droit à l'obtention des prestations[78].

[106]       En l'espèce, après une lecture attentive des polices d'assurances concernées, on ne retrouve aucune limitation ou précision qui indique à quel moment une prestation pour «perte résiduelle de revenu» cesse d'être payable.  Tout au plus, retrouve-t-on que la période de prestations débute à la fin du délai de carence et se termine à la fin de l'invalidité totale ou à la fin de la perte résiduelle de revenu, selon le premier de ces événements qui survient et ce, jusqu'à concurrence de la période maximale de prestations[79].  Or, la période maximale au cours de laquelle des prestations peuvent être payables y est prévue: jusqu'à ce que l'assuré atteigne l'âge de 65 ans[80].

[107]       Il y a lieu de distinguer le présent litige de celui opposant monsieur Belzile à NN Compagnie d'assurance-vie du Canada[81]

[108]       Or, dans ce litige, le dentiste subit une baisse de revenu attribuable à une diminution de sa clientèle depuis son retour au travail.  Il mentionne même que l'établissement dans la région d'un nouveau dentiste, la désassurance de certains traitements par la RAMQ et la perte de nombreux emplois due aux coupures gouvernementales peuvent avoir causé cette perte de revenu.  Il précise ne pas avoir choisi de réduire sa tâche de travail[82].

[109]       Or, à la différence des circonstances de cette affaire, en l'espèce, le Tribunal est d'avis que la perte de revenu que subit Dr Rossignol est causée par ses problèmes de santé.  Des phénomènes extérieurs analogues à ceux de l'affaire Belzile, ne sont pas présents dans le présent litige.

[110]       Le Tribunal est d'avis que la prépondérance de la preuve révèle que Dr Rossignol ne peut plus travailler le même nombre d'heures qu'il effectue avant son invalidité[83], d'une part et qu'il subit indéniablement, d'autre part, une perte résiduelle de revenu pendant la grande majorité de cette période de trois ans.

[111]       En tenant compte des définitions de «perte résiduelle de revenu» énoncées aux contrats d'assurance, de la prépondérance de la preuve et de la teneur du «Guide du Marketing», le Tribunal conclut que Dr Rossignol a droit à des prestations pour perte résiduelle de revenu pour la période débutant au mois d'octobre 2003 et se terminant au mois d'octobre 2006 et ce, sans qu'il n'y ait lieu d'imposer un nouveau délai de carence puisqu'il s'agit d'une «perte assurée concomitante» pour la deuxième période d'invalidité totale débutant le 26 octobre 2006.

[112]       La prépondérance de la preuve révèle aussi qu’il n’y a aucune raison pour imposer un nouveau délai de carence pour la période d’invalidité débutant le 13 juillet 2007. Il s’agit aussi d’une «perte assurée concomitante».

[113]       En l’espèce, le Tribunal retient que Dr Rossignol a droit au paiement des prestations pour ce type de perte à compter du 7 octobre 2003 jusqu’au 31 octobre 2007.

[114]       Les parties ne s'entendent pas sur la date du début des deux périodes d'invalidité subséquentes, soit celle du mois d'octobre 2006 et du mois de juillet 2007.  Le litige peut se résumer ainsi: Dr Rossignol ne travaille pas les 2 vendredis précédant chacune de ses deux interventions chirurgicales.  Il soutient que l'invalidité doit débuter à ce moment puisque son médecin lui recommande d'agir ainsi.  Transamerica soutient qu'il aurait pu travailler ces deux journées et considère que la période d'invalidité totale ne doit débuter que le jour même de l'intervention chirurgicale.

[115]       De l'avis du Tribunal, cette méthode de calcul de la part de Transamerica est mesquine.  Elle n'a pas sa place dans l'administration de réclamations par un assureur aussi renommé et chevronné que celui-ci. 

[116]       Ce que Transamerica semble souhaiter, c'est que Dr Rossignol travaille non seulement le vendredi mais aussi le samedi et le dimanche précédant chacune de ses chirurgies.  Cette façon d'envisager la réclamation témoigne du peu de respect qu'elle a envers son assuré… Il ne peut en être ainsi.

[117]       Le Tribunal fera donc débuter les périodes d'invalidité au vendredi précédant chacune des deux chirurgies subies par Dr Rossignol: le 26 octobre 2006 et le 14 juillet 2007.

[118]       Les réclamations pour frais généraux devront tenir compte de cette détermination.

[119]       Il y a maintenant lieu de procéder à l'évaluation des sommes que Transamerica doit à Dr Rossignol.

 

4.-        La détermination des sommes que Transamerica doit à monsieur Rossignol

 

[120]       Pour les raisons déjà expliquées, le Tribunal retient les calculs effectués par Dr Rossignol pour les différentes réclamations.

[121]       En tenant compte des sommes payées le 30 septembre 2008 et des autres sommes encaissées au cours de l'année 2008 pour l'invalidité débutant en 2006 et se poursuivant jusqu’au 31 octobre 2007, le Tribunal conclut que Transamerica doit à Dr Rossignol, à titre d'exécution monétaire de ses obligations contractuelles prévues aux trois polices d'assurance, la somme de 134 377,57$.  Cette somme prévoit le paiement des prestations réclamées pour ces périodes et le remboursement des primes payées mais qui auraient dû être exonérées pour la police 392 et la police Transamerica.  Elle tient également compte de certaines sommes dues à titre de protection retraite pour la police Transamerica.  Elle inclut également les sommes réclamées à titre de remboursement pour frais généraux pour la police 393.

[122]       Il est maintenant approprié de disposer de la réclamation de monsieur Rossignol pour dommages-intérêts ainsi que dommages punitifs.

5.-        La réclamation en dommages-intérêts et dommages punitifs

 

[123]       Monsieur Rossignol réclame 40 000$ à titre de dommages-intérêts pour dommages moraux et atteinte à ses droits fondamentaux ainsi que 10 000$ à titre de dommages pour l'exercice abusif par Transamerica de ses droits contractuels.  Transamerica nie devoir quelque somme à ce sujet, soutenant que les sommes attribuées à titre d'intérêt légal et d'indemnité additionnelle ont pour but de compenser cet élément de la réclamation.

[124]       Transamerica soumet qu'aucune preuve n'établit qu'elle abuse de ses droits contractuels ni qu'il y ait quelque mauvaise foi que ce soit de la part de l'un ou l'autre de ses préposés.

[125]       Dans un premier temps, le Tribunal disposera du volet dommages-intérêts et dommages punitifs puis examinera la notion d'exercice abusif de droits contractuels.

 

5.1              La réclamation pour dommages-intérêts et dommages punitifs

 

[126]       Lors de l'audience, monsieur Rossignol mentionne que les refus de Transamerica de lui payer régulièrement ses prestations, lui causent une dépression au cours de l'année 2003 ainsi qu'une rechute en 2006.  Il ajoute qu'il rencontre de très importants problèmes monétaires qui rendent sa situation financière précaire.

[127]       Le Tribunal ne doute pas un seul instant des répercussions psychologiques et financières que monsieur Rossignol mentionne avoir subies.  Il ne feint pas les émotions qu'il exprime lorsqu'il aborde ce volet de sa réclamation.  Il a certes vécu une tension en raison des refus répétés de Transamerica d'honorer ses obligations à son égard.

[128]       Monsieur Rossignol ne soumet aucune documentation médicale ni financière étayant ses affirmations.

[129]       Le Code civil prévoit spécifiquement qu'en matière contractuelle, comme en l'espèce, le débiteur est tenu de payer au créancier des intérêts au taux légal, si le taux n'est pas autrement établi dans le contrat et ce, en l'absence de faute lourde ou intentionnelle de sa part[84].  Le créancier peut également exiger l'intérêt additionnel prévu à l'article 1617 C.c.Q.

[130]       En l'absence de preuve de faute intentionnelle ou lourde de la part de Transamerica et d'une preuve convaincante établissant que les problèmes psychologiques et financiers subis par le demandeur étaient prévisibles en raison de la décision de Transamerica, le Tribunal ne peut retenir ce volet de la réclamation de monsieur Rossignol.

[131]       En appliquant les articles 1613 et 1617 C.c.Q., le Tribunal conclut que les intérêts dus au taux légal auxquels il y a lieu d'ajouter l'indemnité additionnelle et ce, à compter de l'assignation, constituent le moyen privilégié par le Législateur pour compenser un retard dans l'exécution du paiement d'une somme d'argent.

[132]       Il convient maintenant d'examiner si Transamerica abuse de ses droits dans sa gestion du présent dossier.

 

5.2              L'absence ou non d'exercice abusif par Transamerica de ses droits contractuels

 

[133]       Monsieur Rossignol considère que Transamerica exerce abusivement ses droits contractuels à son égard.  Il lui reproche particulièrement d'avoir «mis fin abruptement et sans motif sérieux aux prestations d'assurance invalidité du demandeur alors que son dossier médical démontre que la diminution de ses heures de travail est nécessaire voire indispensable à la préservation de son état de santé»[85].  Il réclame une somme de 10 000$ à ce titre.

[134]       L'exercice abusif de droits contractuels suppose, avant que le litige ne soit l'objet de procédures judiciaires, qu'il y ait abus de droit par l'une des parties.

[135]       Dans l'arrêt Viel[86], monsieur le juge Rochon en précise le contexte de leur octroi, en ces termes:

«[74] Avant d'examiner plus avant cette question, il importe de distinguer et de définir l'abus de droit sur le fond du litige (l'abus sur le fond) de l'abus du droit d'ester en justice.  L'abus sur le fond intervient avant que ne débutent les procédures judiciaires.  L'abus sur le fond se produit au moment de la faute contractuelle et ou extracontractuelle.  Il a pour effet de qualifier cette faute.  La partie abuse de son droit par une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi.  Au moment où l'abus sur le fond se cristallise, il n'y a aucune procédure judiciaire d'entreprise.  C'est précisément cet abus sur le fond qui incitera la partie adverse à s'adresser aux tribunaux pour obtenir la sanction d'un droit ou d'une juste réparation.»

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[136]       Plus récemment, monsieur le juge Dalphond ajoute à ce sujet que:

«[40] Il s'ensuit que le rejet des prétentions d'une partie, même s'il donne généralement droit aux dépens calculés selon le Tarif (art. 477 C.p.c.), ne signifie pas que la position de cette dernière était abusive.  Il en faut plus: un comportement contraire aux finalités du système juridique.»[87]

 

[137]       En l'espèce, ce que monsieur Rossignol reproche à Transamerica, est l'abus dans l'exercice de ses droits contractuels en lui refusant indûment le paiement de ses prestations.  Il s'agit de la notion d'abus portant sur le fond du litige.

[138]       Pour examiner ces reproches, le Tribunal doit analyser si la prépondérance de la preuve révèle que les préposés de Transamerica ont eu, envers monsieur Rossignol, «une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi».

[139]       Le Tribunal estime que les préposés de Transamerica manquent d'un certain professionnalisme envers monsieur Rossignol.  Ainsi:

·        Les réclamations de monsieur Rossignol sont acceptées intégralement par Transamerica suite à son invalidité du mois de décembre 2002 jusqu'au début d'octobre 2003 et ce, selon les méthodes de calcul adoptées par Dr Rossignol à ce moment;

·        Le refus du 7 octobre 2003 est fondé sur les mauvais critères pour analyser le droit ou non à la persistance du paiement des prestations d'invalidité;

·        Madame Gurewan met en doute, au mois d'octobre 2003, le bien-fondé des recommandations du médecin traitant de monsieur Rossignol et ce, sans qu'aucun avis médical ne supporte sa position;

·        L'absence de tout paiement de prestations d'invalidité, avant janvier 2008, suite aux chirurgies d'octobre 2006 et de juillet 2007, est tout à fait inadmissible;

·        Transamerica sait très bien qu'elle doit des sommes d'argent à Dr Rossignol suite aux 2 chirurgies dorsales qu'il subit.  Elle refuse de les lui verser sous réserve de la décision à venir du Tribunal concernant l'à-propos ou non d'appliquer un nouveau délai de carence pour la chirurgie du mois d'octobre 2006…

 

[140]       Dans une lettre en date du 7 octobre 2003, madame Gurewan, préposée de Transamerica, informe docteur Rossignol qu'elle met fin à ses prestations et lui indique les critères médicaux utilisés pour évaluer la présence ou non d'une invalidité.  Ils sont:

«1.       un diagnostic médical reconnu/un diagnostic DSM-IV d'une gravité telle que le trouble est considéré être totalement ou résiduellement invalidant.

2.          une liste complète des symptômes conformes au diagnostic.

3.          un traitement médical qui convient à la gravité de la condition.

4.         des limitations et des restrictions découlant de cette condition qui sont telles que la cessation d'emploi ou la réduction du travail est raisonnable.

5.                  les détails concernant votre incapacité fonctionnelle et vos activités.»[88]

 

[141]       Madame Gurewan précise aussi que:

«Votre police d'assurance prévoit des prestations en cas d'invalidité totale ou résiduelle.  Pour être admissible aux prestations dans les deux cas, vous devez avoir une incapacité totale ou partielle vous empêchant d'accomplir vos fonctions avant l'invalidité.  Vous avez décidé, suivant les recommandations de votre médecin, de ne pas retourner travailler à 70 heures par semaine.  Le choix ne veut pour autant pas dire que vous ne pouvez pas reprendre vos fonctions comme auparavant.  Il y aurait cependant un facteur de risque si vous travaillez 70 heures par semaine.

Nous comprenons que depuis votre retour au travail, votre revenu demeure inférieur à votre revenu avant l'invalidité.  Cela s'explique par la réduction de vos heures de travail.  Cependant puisque vous n'avez plus de limitation qui justifie une réduction de vos heures de travail, il n'y a plus d'invalidité.  Nous sommes tout à fait conscient, que la décision de réduire votre horaire de travail est une mesure préventive.  Malheureusement, les couvertures d'assurance invalidité ne prévoient pas de prestation pour prévenir des maladies.  Le choix de réduire vos heures de travail est un choix sensé.  Mais nous ne pouvons pas assumer la responsabilité des conséquences financières qui en résultent lorsqu'il n'y a pas de limitation fonctionnelle vous rendant incapable de faire votre travail régulier.»[89]

(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)

 

[142]       Madame Gurewan mentionne que les clauses de la police doivent être respectées.  Or, de l'avis du Tribunal, cette évaluation et ses critères sont énoncés sans tenir compte justement des clauses des polices en cause.  L'évaluation des critères médicaux faite ci-dessus établit que Transamerica recherche la persistance de la maladie en exigeant «un diagnostic médical d'une gravité telle que le trouble est considéré être totalement ou résiduellement invalidant.»[90]

[143]       Or, on se rappelle qu'après l'expiration d'un délai de 30 jours du début de l'invalidité, soit à compter du 5 décembre 2002, la clause de «perte résiduelle de revenu» précise spécifiquement qu'il n'est plus nécessaire que la maladie continue d'exister.[91]

[144]       Madame Gurewan, qui demeure muette pendant toute l'audience, n'utilise pas, de l'avis du Tribunal, les critères d'analyse appropriés pour déterminer si monsieur Rossignol continue ou non d'avoir droit au paiement des prestations.

[145]       Malgré la présence subséquente de deux autres invalidités survenues, comme on le sait, en 2006 et en 2007, aucune des prestations payables pour ces 2 problèmes de santé n'est transmise au demandeur avant janvier 2008… Certaines ne sont d'ailleurs reçues que 2 jours avant l'audience.

[146]       Le Tribunal peut comprendre que cette façon de faire irrite au plus haut point monsieur Rossignol qui, en raison de cette absence de paiement, se retrouve dans une situation financière qu'il décrit lui-même comme précaire.  D'ailleurs, monsieur Rossignol s'empresse de rappeler à madame Gurewan que celle-ci utilise les mauvais critères d'analyse et la mauvaise définition d'invalidité dans cette lettre.  Il paraît surprenant que ce soit l'assuré qui doive rappeler aux préposés de l'assureur les termes de la police d'assurance qui consacre leur relation contractuelle.

[147]       Par ailleurs, le langage corporel de madame Gurewan, présente tout au long de l'audience, est éloquent.  Au cours du témoignage de monsieur Rossignol, celle-ci le regarde comme s'il ne peut avoir raison sur rien, d'une part et que seule elle peut avoir raison et peut décider, d’autre part… Il s'agit d'un regard que le Tribunal qualifie à tout le moins de suffisant voire même, à certains moments, empreint d'un certain mépris quant aux explications fournies par monsieur Rossignol. Cette attitude n'a tout simplement pas sa place.  Elle est totalement inappropriée…

[148]       Il n'est pas non plus acceptable qu'entre octobre 2006 et le 4 janvier 2008 aucune prestation n'ait été payée à Dr Rossignol pour cette deuxième période d’invalidité[92]. Même si un litige existe dans le contexte du processus judiciaire depuis le mois de mai 2004, aucune explication n'est fournie établissant les raisons pour lesquelles les prestations d'invalidité suite à la chirurgie du mois d'octobre 2006 ne sont pas versées avant la période débutant le 4 janvier 2008 et se terminant le 22 juillet 2008.  Pourtant, Transamerica ne peut ignorer que Dr Rossignol subit une chirurgie qui affecte totalement puis résiduellement sa capacité d'exercer la profession qui est la sienne.  Seule à ce moment demeure en litige la question du délai de carence. Cette question qui découle de la première période en litige, soit depuis le 7 octobre 2003, aurait très bien pu faire partie du présent litige sans pour autant empêcher monsieur Rossignol de recevoir régulièrement les sommes auxquelles il a alors droit.

[149]       De la même façon, les sommes dues en raison de la chirurgie cervicale du mois de juillet 2007 sont surtout transmises à l'assuré les 5 et 30 septembre 2008[93], quelques jours avant le début de l'audience.  De l'avis du Tribunal, la façon dont madame Gurewan gère le présent litige fait preuve d'un manque sérieux de respect envers son assuré, Dr Rossignol.  Ce comportement n'est pas acceptable.

[150]       À l’occasion des plaidoiries, Transamerica considère qu'il est inconcevable que Dr Rossignol puisse, par la combinaison du revenu réduit qu'il génère et des prestations d'assurance auxquelles il a droit, reçoive globalement une rémunération plus élevée que lorsqu'il exerce la médecine générale avant son invalidité.

[151]       À qui Transamerica doit-elle se plaindre de cette situation sinon qu'à elle-même.  Elle est l'assureur qui rédige le contrat d'assurance. Elle définit les paramètres des risques qu'elle accepte d'assurer, des limitations et conditions qu'elle désire imposer et le montant des primes qu'elle veut recevoir.  Si ses préposés ont omis de prévoir cette situation ou font défaut de la circonscrire adéquatement, elle ne peut certes s’en plaindre maintenant à son assuré.

[152]       À ce sujet, le Tribunal fait siens les propos de monsieur le juge Guibault dans Hobeila c. Paul Revere[94]:

«[60] Sans doute frustré par le fait que le Dr Hobeila ait des revenus substantiels en tant que directeur de l'Unité des soins palliatifs et ce, même s'il a mis fin à sa pratique comme urologue, la défenderesse a décidé de ne plus le considérer comme totalement invalide et de mettre fin au versement de l'indemnité qui, additionnée à ses revenus, fait en sorte qu'il a un revenu global plus élevé à la suite de son incident cardiaque que celui qu'il avait en tant qu'urologue de pratique générale.

[61] Bien que le Tribunal puisse comprendre une telle frustration, les termes même des polices d'assurance émises dans ce dossier… ouvraient grande la porte à une telle éventualité.»

 

[153]       En l'espèce, le Tribunal est d'avis que la définition même de «perte résiduelle de revenu» qui prévoit que l'assuré peut exercer un emploi rémunéré tout en recevant les prestations d'assurance ouvre «grande la porte à une telle éventualité».  Si Transamerica n'accepte pas cette réalité, elle n'a qu'à modifier, pour l'avenir, la portée de la protection d'assurance qu'elle offre.  Entre temps, elle doit honorer les obligations qu'elle contracte auprès de ses assurés, selon la forme actuelle de la police et pour lesquelles elle reçoit le paiement de primes de la part de ceux-ci.

[154]       Même si le Tribunal retient que la préposée de Transamerica fait preuve d'un certain manque de professionnalisme et d'une certaine arrogance à l'égard de Dr Rossignol, le Tribunal ne peut en conclure que cette conduite doit être pour autant qualifiée «d'outrageante, d'abusive ou empreinte de mauvaise foi».  Il en faut plus.  Même si la façon cavalière dont est traité monsieur Rossignol est totalement inappropriée, elle n'équivaut pas pour autant, de l'avis du Tribunal, à abus de droit dans le contexte de relations contractuelles.

 

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

 

[155]       ACCUEILLE en partie la requête ré-ré-ré amendée de monsieur Rossignol;

[156]       CONDAMNE Transamerica Vie Canada à payer à monsieur Rossignol la somme de 134 377.57$ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter de la date d'assignation, soit le 10 mai 2004;

[157]       ORDONNE à Transamerica Vie Canada d’acquitter, selon les modalités prévues aux contrats d’assurance, les contributions au plan sécurité retraite de monsieur Rossignol pour la période débutant le 7 octobre 2003 jusqu’au 31 octobre 2007, sous réserve des sommes déjà payées à ce titre;

[158]       ORDONNE à Transamerica Vie Canada d'acquitter et d’honorer envers monsieur Rossignol, mensuellement ou selon les modalités prévues aux contrats d'assurances, toutes les obligations qui y sont énoncées et ce, tant et aussi longtemps que durera l'invalidité de monsieur Rossignol pour la période débutant le 1er novembre 2007;

[159]       LE TOUT, avec les entiers dépens.

 

 

 

 

 

__________________________________

SUZANNE HARDY-LEMIEUX, J.C.S.

 

 

Me Michel Lemieux

Joli-Coeur, Lacasse - casier 6

Procureur du demandeur

 

 

Me René Vallerand

Donati, Maisonneuve

625, Ave du Président-Kennedy, # 1200

Montréal, QC   H3A 1K2

Procureur de la défenderesse

 

Dates d'audition

2, 3, 6 et 7 octobre 2008

 



[1]     P-1 et P-2 pour la perte résiduelle de revenus et P-2.1 pour les frais de bureau

[2]     Interrogatoire au préalable du 24 septembre 2004, pages 25 à 39

[3]     P-7 et P-8

[4]     P-9

[5]     P-16

[6]     P-17

[7]     P-18 et P-19

[8]     Interrogatoire du 24 septembre 2004, pages 70 à 77

[9]     Rapports D-14, D-15 et D-16

[10]    P-28

[11]    P-30

[12]    P-36

[13]    D-47

[14]    D-48

[15]    D-54

[16]    D-53, page 8

[17]    D-50

[18]    D-57

[19]    D-58

[20]    D-38, D-39 et D-40

[21]    P-1, page 4

[22]    P-1, pages 28 et 29

[23]    P-1, page 29

[24]    P-1, page 36

[25]    P-1, page 29

[26]    P-1, page 37

[27]    P-1, page 36

[28]    P-1, page 8

[29]    P-1, page 36

[30]    P-2, page 1

[31]    P-2, pages 2 et 3

[32]    P-2, page 3

[33]    P-2, page 74

[34]    P-37

[35]    P-37, page 8

[36]    P-37, page 8

[37]    P-2, page 4

[38]    P-2.1, page 4

[39]    P-2.1, page 6

[40]    P-2.1, page 6

[41]    P-2.1, page 6

[42]    P-37, page 24

[43]    P-2.1, page 7

[44]    P-2.1, page 2

[45]    P-2.1, page 7, frais excédentaires

[46]    P-2.1, page 7

[47]    P-2.1, page 7

[48]    Jean-Claude Royer, LA PREUVE CIVILE, 3e Édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003, page 313

[49]    Charpentier c. Compagnie d'assurances Standard Life, R.E.J.B. 2001-25043 (C.A.)

[50]    Jean-Claude Royer, LA PREUVE CIVILE, 3e Édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003, page 314; Voir au même effet: Tourbière Premier Ltée c. Société coopérative agricole régionale de Rivière-du-Loup, R.E.J.B. 2001-23507 , par. 35 (C.A.); Plamondon c. Ville de Saint-Raymond, R.E.J.B. 2003-39173 , par. 11 (C.A.)

[51]    D-14, D-15 et D-16

[52]    P-18

[53]    D-14, page 3

[54]    D-15 et D-16

[55]    P-1 et P-2

[56]    P-1, page 36 et P-2, page 74

[57]    P-37, page 8

[58]    P-1, page 36 et P-2, page 74

[59]    D-14, page 3; Charpentier c. Compagnie d'assurances Standard Life, R.E.J.B. 2001-25043 (C.A.), par. 20-21

[60]    D-46, D-46B et D-46C

[61]    P-37

[62]    D-46

[63]    D-46B et D-46C

[64]    D-46B, Annexe 7

[65]    P-2.1, page 7 et P-37, page 26

[66]    P-1, pages 37-38, définition de «coefficient de revenus», «I.P.C.» et «revenu antérieur»; P-2, pages 75-76; P-37, pages 9-12

[67]    D-46B, Annexe 6, rubriques C) et D)

[68]    D-46C, Annexe 11

[69]    P-1, page 36 et P-2, page 74

[70]    P-38 pour la police P-1 et P-39 pour la police P-2

[71]    P-38 et P-39

[72]    P-38, pages 2, 3 et 4

[73]    P-38, page 4

[74]    P-38, page 5

[75]    P-39, page 1 à 4

[76]    P-1, pages 34 et 36; P-2, page 74

[77]    P-37, page 8

[78]    Arts. 2403 et 24040 C.c.Q.

[79]    P-1, page 37; Définition de période de prestations et P-2, page 74 pour la même définition

[80]    P-1, page 4 et P-2, page 4

[81]    REJB 2001-26218 (C.A.)

[82]    REJB 2001-26218 (C.A.), par. 26

[83]    D-9 et D-18

[84]    Arts 1613 et 1617, C.c.Q.

[85]    Requête ré-ré-réamendée en date du 19 septembre 2008

[86]    R.E.J.B. 2002-34963 (C.A.)

[87]    Royal Lepage Commercial Inc. c. 109650 Canada Ltd., EYB 2007-121210 (C.A.)

[88]    P-16, page 1

[89]    P-16, page 2

[90]    P-16, page 1, critère 1

[91]    P-1, page 36; P-2, page 74; P-2.1, page 6

[92]    D-47, D-48, D-54, D-50

[93]    D-57 et D-58

[94]    [1996] R.R.A. 491 (C.S.)

AVIS :
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