Commission scolaire de Laval |
2010 QCCLP 2060 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 24 avril 2009, l'employeur, Commission scolaire de Laval, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 2 avril 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 décembre 2008 et déclare que la totalité du coût des prestations versées à la travailleuse, madame Martine Cyr, à la suite de la lésion professionnelle qu’elle a subie le 11 décembre 2006, doit être imputée à l’employeur parce que les dispositions du deuxième alinéa de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ne peuvent pas trouver application.
[3] L’employeur a avisé le tribunal de son absence à l'audience devant se tenir à Laval le 27 novembre 2009 et il a transmis une preuve médicale de même qu'une argumentation écrite.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de reconnaître que madame Cyr a subi une lésion professionnelle visée par le premier paragraphe de l'article 31 de la loi et de déclarer que le coût des prestations dues en raison de cette lésion doit être imputé aux employeurs de toutes les unités, le tout, conformément aux dispositions de l'article 327 de la loi.
[5] De manière subsidiaire, il demande de déclarer que, en application du deuxième alinéa de l’article 326, le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle de madame Cyr postérieurement au 22 janvier 2007 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités parce que l'imputation de ce coût à son dossier financier a pour effet de l'obérer injustement.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit en premier lieu décider si une partie du coût des prestations qui ont été versées à madame Cyr à la suite de la lésion professionnelle dont elle a été victime le 11 décembre 2006 doit être imputée aux employeurs de toutes les unités et ce, en vertu de l'article 327 de la loi. Cet article se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
__________
1985, c. 6, a. 327.
[7] Pour sa part, l’article 31 auquel réfère l'article 327 se lit comme suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
__________
1985, c. 6, a. 31.
[8] Conformément à ces dispositions, la CSST impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations dues en raison d'une blessure ou d'une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion des soins que reçoit un travailleur pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins.
[9] C'est de cette dernière situation dont il est question dans la présente affaire puisque l'employeur prétend qu'il ne doit pas supporter le coût des prestations qui ont été versées à madame Cyr à compter du 22 janvier 2007 et ce, parce que ce coût est attribuable à de nouvelles lésions apparues au niveau de la cheville gauche de cette dernière, lesquelles sont dues à son défaut de consulter rapidement un médecin pour faire traiter l’entorse de cette cheville subie lors de l’accident dont elle a été victime 11 décembre 2006.
[10] C’est dans le contexte factuel suivant que l’employeur fait valoir cette prétention.
[11] Madame Cyr est enseignante en éducation physique et elle se blesse à la cheville gauche lors d’un exercice dont elle fait la démonstration. Elle ne cesse cependant pas de travailler et elle consulte un médecin pour la première fois plusieurs semaines plus tard, soit le 16 février 2007.
[12] Un diagnostic d’entorse de la cheville gauche est posé, des traitements de physiothérapie sont prescrits et une résonance magnétique est demandée, laquelle révèle une synovite de « l’articulation tibio-astragalienne et de la sous-astragalienne postérieur » et une déchirure complète du ligament péronéo-astragalien antérieur.
[13] De nouveaux diagnostics sont ensuite posés, soit ceux de synovite de la cheville, d’instabilité de cette articulation et de syndrome de coalition antéro-interne, et un traitement chirurgical est prescrit pour la problématique d’instabilité. La chirurgie est effectuée le 8 juillet 2008 et la lésion professionnelle est jugée consolidée le 22 octobre 2009, avec atteinte permanente à l’intégrité physique.
[14] Dans une expertise médicale qu’il produit le 17 octobre 2007 à la demande de l’employeur, le docteur Marc Goulet, orthopédiste, conclut que le délai existant entre la date de l'événement accidentel et celle de la première visite médicale lors de laquelle un plan de traitement a été amorcé a eu pour effet de favoriser l’apparition d’une problématique d’instabilité au niveau de la cheville gauche de madame Cyr.
[15] Il réitère cette conclusion dans des compléments d’expertise datés des 4 décembre 2007 et 20 novembre 2009. De plus, dans ce dernier complément, il précise que la synovite de la cheville peut aussi être la conséquence de l’instabilité.
[16] Le 5 février 2008, en se fondant sur l’opinion de ce médecin, l’employeur demande à la CSST d’appliquer les dispositions des articles 31 et 327 de la loi. La CSST refuse cette demande et sa décision est maintenue à la suite d’une révision administrative, d'où l'objet du présent litige.
[17] La Commission des lésions professionnelles estime que cette décision est bien fondée puisque, dans une autre décision rendue le 6 juin 2008, la CSST a reconnu qu’il existait un lien de causalité entre l’événement accidentel du 11 décembre 2006 et les nouveaux diagnostics de synovite de la cheville, d’instabilité de cette articulation et de syndrome de coalition antéro-interne. Dans le cas de ce dernier diagnostic, elle précise qu’elle le reconnaît à titre d’aggravation d’une condition personnelle préexistante.
[18] L’employeur n’a pas contesté cette décision, de sorte qu'elle est devenue finale et irrévocable.
[19] Puisque la CSST a reconnu que ces trois lésions résultaient, de manière directe dans le cas de la synovite et de l’instabilité et de manière indirecte dans le cas de la coalition antéro-interne, de l’événement accidentel dont a été victime madame Cyr, l’employeur ne peut donc pas, par le biais d’une demande de transfert d’imputation faite en vertu de l’article 327, prétendre que ces lésions résultent plutôt d’une omission de soins. Si telle était sa prétention, c’est en contestant dans le délai légal la décision rendue le 6 juin 2008 que l’employeur pouvait faire valoir celle-ci.
[20] Incidemment, l’employeur prétend que non seulement la synovite et l’instabilité sont des lésions professionnelles au sens de l’article 31, mais aussi la coalition antéro-interne. Ce n’est cependant pas là l’opinion qu’exprime le docteur Goulet, ce dernier ayant seulement retenu que la synovite et l’instabilité étaient attribuables à une omission de soins.
[21] L’employeur soumet que, à l’instar de la position adoptée dans les affaires Métro Richelieu[2] et Transport L. R. L. inc.[3], le fait que la CSST ait déjà décidé qu’une pathologie constituait une lésion professionnelle au sens de l’article 2 n’empêche pas de considérer qu’il s’agit également d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31.
[22] Le tribunal adhère plutôt à la position contraire adoptée dans l’affaire Équipement de ferme Turgeon[4], laquelle est exposée comme suit :
[30] Dans la présente affaire, la CSST refuse le transfert des coûts demandé par l’employeur en se basant notamment sur le fait que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique du membre supérieur droit a été accepté par la CSST comme étant en lien avec l’événement initial subi le 27 juin 2003.
[31] Ce motif est-il suffisant pour permettre à la CSST de refuser le transfert de l’imputation des coûts demandé par l’employeur ?
[32] Le tribunal répond par l’affirmative à cette question pour les motifs ci-après exposés.
[33] D’entrée de jeu, le tribunal rappelle que l’absence de décision explicite par la CSST qualifiant une lésion professionnelle de lésion survenue en vertu de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de transfert des coûts en vertu du 1er paragraphe de l’article 327 de la loi.
[34] Par ailleurs, la jurisprudence du présent tribunal interprète la lésion professionnelle sous l’article 31 comme étant non seulement une lésion différente de la lésion initiale mais également une lésion qui doit survenir à l’occasion des soins ou de l’omission des soins.
[35] Cependant, dans le présent dossier, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision du 19 décembre 2003 qui déclare que le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe est en relation avec l’accident du travail du 27 juin 2003.
[36] Or, de l’avis du tribunal, cette décision constitue l’assise sur laquelle pouvait se baser l’employeur pour demander que cette pathologie soit qualifiée non pas de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi mais plutôt de lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.
[37] Dans ces circonstances, il est difficile de prétendre que la dystrophie sympathique réflexe est reliée aux soins ou à l’omission de soins, alors qu’une décision explicite indique plutôt qu’elle est en lien avec l’événement initial.
[38] À défaut de contester cette décision, le tribunal est d’opinion que la décision du 19 décembre 2003 a acquis un caractère final et irrévocable.
[39] Dès lors, la démarche effectuée par l’employeur le 12 juin 2006, en vue d’obtenir un transfert de l’imputation des coûts sous l’angle des articles 327 et 31 de la loi, en se basant spécifiquement sur le diagnostic de dystrophie sympathique réflexe, ne peut donner réouverture à un droit de contestation qui s’est éteint par l’absence de contestation de la décision du 19 décembre 2003.
[40] Dans ce contexte, la position de la CSST selon laquelle le transfert des coûts ne peut être octroyé à l’employeur compte tenu du fait que la dystrophie sympathique réflexe a été reconnue à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi constitue un motif suffisant pour permettre d’écarter la demande de transfert des coûts de l’employeur.
[23] Cette approche est d’ailleurs celle qui est privilégiée dans plusieurs autres décisions[5].
[24] L’employeur prétend de manière subsidiaire que, en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, il faut imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations versées à madame Cyr postérieurement au 22 janvier 2007 parce que l’imputation de ce coût à son dossier a pour effet de l’obérer injustement. Cet article se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[25] L’employeur soumet au soutien de cette prétention que, n’eût été du retard de madame Cyr à consulter un médecin, l’entorse de la cheville subie par cette dernière aurait été consolidée le 22 janvier 2007, de sorte qu’il supporte injustement le coût des prestations versées après cette date.
[26] La Commission des lésions professionnelles a compétence pour statuer sur cette demande même si la décision de la CSST dont elle est saisie porte sur l’article 327 et non pas sur le deuxième alinéa de l’article 326, dans la mesure cependant où la demande de l’employeur qui a donné lieu à cette décision respecte le délai prescrit par la nouvelle disposition dont il réclame maintenant l’application[6].
[27] Or, c'est le 5 février 2008 que l'employeur a demandé l'application de l'article 327 et, puisque c'est le 11 décembre 2006 que madame Cyr a été victime d'un accident du travail, cette demande est irrecevable en regard de l’application de l’article 326 puisqu’elle n’a pas été faite dans le délai prévu par celui-ci, soit à l’intérieur de l’année suivant la date de l’accident.
[28] L’employeur prétend que, en vertu de l’article 352, il doit être relevé des conséquences de son défaut d’avoir respecté ce délai puisque ce n’est que lorsqu’il a pris connaissance de l’expertise médicale du docteur Goulet qu’il a su quel était l'impact d'une consultation médicale effectuée tardivement sur l'évolution de la lésion professionnelle de madame Cyr. Cet article se lit comme suit :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
__________
1985, c. 6, a. 352.
[29] Il ne s’agit de toute évidence pas là d’un élément qui peut être invoqué par l’employeur à titre de motif raisonnable pour expliquer son retard puisque c’est dans une expertise médicale produite le 17 octobre 2007 que le docteur Goulet émet pour la première fois une opinion sur cette question et donc, alors que le délai prévu à l’article 326 n’était pas échu. De plus, le docteur Goulet a émis une seconde opinion sur cette même question le 4 décembre 2007, alors que ce délai n’était toujours pas expiré.
[30] L’employeur prétend en dernier lieu que sa demande de transfert d'imputation en application de l’article 326 de la loi est recevable compte tenu des dispositions du Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d'un employeur et de l'imputation du coût des prestations[7] (le règlement) puisqu'elle a été faite dans les six mois suivant la découverte d'un fait essentiel, lequel consiste en la teneur de l’opinion exprimée par le docteur Goulet le 17 octobre 2007.
[31] Cette prétention ne pas non plus être retenue puisque, le 5 février 2008, l'employeur demandait pour la première fois un transfert d'imputation, de sorte que, conformément à la position adoptée dans l'affaire Roland Boulanger & Cie et CSST[8], cette demande n'a pas à être analysée en référant aux dispositions de ce règlement, celui-ci ne pouvant trouver application avant qu'une première décision disposant d'une telle demande ait été rendue.
[32] Pour l'ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la totalité du coût des prestations versées à la suite de la lésion professionnelle dont a été victime madame Cyr le 11 décembre 2006 doit être imputée à l'employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l'employeur, Commission scolaire de Laval;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 avril 2009 à la suite d'une révision administrative; et
DÉCLARE que la totalité du coût des prestations versées à la suite de la lésion professionnelle dont a été victime la travailleuse, madame Martine Cyr, le 11 décembre 2006, doit être imputée à l'employeur, Commission scolaire de Laval.
|
|
|
Ginette Morin |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[1] L. R. Q., c. A-3.001
[2] C.L.P.
[3] C.L.P.
[4] C.L.P.
[5] Matériaux Économiques inc. et Magny et CSST, C.L.P.
[6] Pâtisserie Chevalier inc. C.L.P.,
[7] (1998) 130 G.O. II, 6435
[8]
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.