Savoie c. Thériault-Martel |
2013 QCCS 6649 |
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JM2455 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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N° : |
505-17-005378-114 |
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DATE : |
17 janvier 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE Gary D.D. Morrison, J.C.S. |
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EDDY SAVOIE |
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Demandeur / Requérant |
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c. |
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PIERRETTE THÉRIAULT-MARTEL |
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Défenderesse / Intimée |
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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 20 DÉCEMBRE 2013[1] SUR LA REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ DU DEMANDEUR |
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[1]
Le Tribunal est saisi d’une requête en irrecevabilité par le demandeur,
Eddy Savoie, de la requête en dommages-intérêts et dommages punitifs de
Pierrette Thériault-Martel, le tout suite au jugement du Tribunal en date du 10
septembre 2013 qui avait déclaré abusive la poursuite de Savoie, étant
une poursuite-bâillon.
[2] Par la suite, le 25 octobre 2013, l’honorable Pierre Dalphond de la Cour d’appel du Québec a rendu une décision par laquelle la requête de Savoie pour permission d’appeler fut rejetée.
[3] Après avoir entendu les parties lors de l’audition du 20 décembre 2013, le Tribunal a pris la requête en irrecevabilité en délibéré. Par la suite, l’audience s’est focalisée sur d’autres aspects procéduraux à un tel point que, rendues à 14h50 de l’après-midi, les parties ont exprimé le désir de ne pas commencer l’enquête sur la requête en dommages-intérêts, sachant que la preuve ne pourrait pas se terminer la même journée. Dans telles circonstances, le Tribunal a utilisé le temps restant pour rendre le présent jugement.
[4] Selon Savoie, le Tribunal n’a plus la compétence pour entendre la requête de Thériault-Martel, et ce étant donné que la preuve des dommages-intérêts aurait dû être faite lors de l’audition initiale, laquelle a donné lieu au jugement du 10 septembre 2013, que Savoie n’a pas été condamné à payer des dommages et, de plus, que la réserve déclarée par le Tribunal dans ledit jugement est inutile et sans effet.
[5] Thériault-Martel conteste la position de Savoie et prétend que la réserve prévue par le jugement du 10 septembre 2013 est concordant avec l’art. 54.4 C.p.c.
[6] De plus, elle plaide que la Cour d’appel, dans son jugement du 25 octobre 2013, s’est déjà prononcée sur la validité de la réserve, soit aux paragraphes 7 et 8 qui se lisent comme suit :
« I. Remarques procédurales
[7] Le dispositif du jugement est conforme au deuxième alinéa de l’article 54.4 C.p.c. qui énonce que le tribunal peut, si les dommages et intérêts ne sont pas admis ou ne peuvent être établis aisément au moment de la déclaration d’abus, en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu’il détermine.
[8] S’autorisant de cette disposition, le juge a prévu un délai (60 jours) et des conditions (une requête écrite, adressée à lui, précisant les dommages subis ou réclamés, découlant du rejet de l’action). »
1- ANALYSE
[7] L’article 54.4 C.p.c. se lit comme suit :
« 54.4. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.
Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, il peut en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu'il détermine. »
[8] Selon Savoie, seul le « montant » des dommages-intérêts peut être décidé dans un délai prononcé par le Tribunal et non pas la « responsabilité » ou la condamnation aux dommages-intérêts. Le Tribunal n’a donc pas, selon lui, le pouvoir de scinder le débat.
[9] Le paragraphe 10 de la requête en irrecevabilité se lit comme suit :
« En effet, le Tribunal n’a pas non plus jugé approprié de condamner le demandeur-intimé à payer des dommages-intérêts punitifs en vertu du premier alinéa de l’art. 54.4 C.p.c. »
[10] En appui de ses prétentions, Savoie cite, entre autres, la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Montréal (Ville de) c. Bergeron[2], où l’honorable Clément Gascon conclut que la réserve d’un droit est inutile.
[11] Mais ladite décision, comme les autres citées par Savoie, ne traite aucunement de l’alinéa 2 de l’article 54.4 C.p.c.
[12] Lorsque le Tribunal se prononce sur le caractère abusif d’une demande en justice, le législateur québécois a prévu que le Tribunal aurait le pouvoir discrétionnaire de décider sommairement du montant des dommages-intérêts dans le délai et sous les conditions qu’il détermine. Le Tribunal est d’avis que ce pouvoir d’établir un délai et de déterminer des conditions est à l’origine d’une réserve qui est non seulement utile mais, de sa nature, valide.
[13] Est-ce que le Tribunal aurait dû « condamner » le débiteur à payer les dommages avant d’entendre de la preuve sur les dommages, comme le prétend Sirois?
[14] Le Tribunal est d’avis que non. Comment pourrait-il condamner une partie à payer des dommages sans avoir suffisamment de preuves devant lui pour déterminer non seulement le montant mais aussi la causalité entre les prétendus dommages et la procédure abusive?
[15] Une telle approche amènerait le Tribunal ou les Tribunaux à rendre des conclusions non seulement incomplètes mais potentiellement inefficaces et sans fondement. Le Tribunal est donc d’avis que l’interprétation donnée par Savoie au deuxième alinéa de l’art. 54.4 C.p.c. ne respecte aucunement les intentions du législateur.
[16] De plus, les tribunaux québécois se sont déjà, dans plusieurs autres cas, servis d’une réserve semblable pour exactement les mêmes objectifs.
[17] Par exemple, dans l’affaire Trace Foundation c. Centre for Research on Globalization (CRG)[3], la Cour supérieure du Québec s’est prononcée sur une réserve qui se lisait comme suit :
“Conclusions
[30] The Court:
(…)
RESERVES, pursuant to article 54.2 C.C.P., Michael Chossudovsky's right to establish, by a motion to be served within the next 90 days, the damages he may have suffered;
(…)”
[18] La Cour d’appel a refusé la permission d’inscrire en appel[4] et la Cour suprême du Canada a fait pareil[5].
[19] Essentiellement, le Tribunal possède le pouvoir de scinder le débat quant à la déclaration du caractère abusif et l’octroi de dommages-intérêts[6]
[20] Savoie n’est pas en mesure de citer soit de la jurisprudence, soit de la doctrine en appui de ses prétentions a contrario.
[21] Quant à la nécessité pour le Tribunal d’avoir déclaré la responsabilité du débiteur au même moment de déclarer la nature abusive de la procédure en question, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit du même critère. C’est la nature abusive de la procédure qui rend responsable la partie qui l’a déposée.
[22] L’article 54.4 C.p.c. n’exige pas plus que la conclusion du Tribunal à l’effet que la procédure est abusive. La procédure abusive est l’acte fautif.
[23] Dans le présent cas, le Tribunal a-t-il identifié l’aspect de faute dans le jugement du 10 septembre 2013? Le Tribunal fait référence aux paragraphes 81, 82, 85 et 86 dudit jugement, répondant ainsi dans l’affirmatif.
[24] À cet égard, le Tribunal adopte le raisonnement de la Cour d’appel dans l’affaire Acadia Subaru c. Michaud[7].
[25] Ces motifs devront être suffisants pour rejeter la requête en irrecevabilité de Savoie. Mais il y a plus.
[26] Comme le prétend Thériault-Martel, la Cour d’appel s’est déjà prononcée sur la validité du dispositif du jugement rendu le 10 octobre 2013. Le Tribunal a déjà cité ci-dessus les paragraphes 7 et 8 du jugement de l’honorable Pierre Dalphond.
[27] Le Tribunal ne siège pas en appel de soit son propre jugement ou de celui de la Cour d’appel. Il s’agit de la chose jugée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[28] REJETTE la requête en irrecevabilité du demandeur Eddy Savoie;
[29] LE TOUT, avec frais.
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__________________________________ Gary D.D. Morrison, J.C.S.
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Me Luc Alarie ALARIE LEGAULT Procureur du Demandeur / Requérant |
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Me Jean-Pierre Ménard MÉNARD MARTIN, AVOCATS |
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Procureurs de la Défenderesse / Intimée |
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Date d’audience : |
20 décembre 2013 |
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Transcription demandé le : |
8 janvier 2014 |
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[1] Cette transcription modifie en partie le libellé du jugement rendu oralement, principalement à des fins de présentation et ce en conformité avec les principes énoncés dans Kellogg’s Company of Canada c. Procureur Général du Québec, [1978] C.A. 258. Toutefois, conformément à l’art. 472 C.P.C., le dispositif n’a pas été modifié.
[2] 2012 QCCA 2035.
[3] EYB 2010-174382 (C.S.).
[4] Trace Foundation c. Chossudovsky, EYB 2011-199731 (C.A.).
[5] Trace Foundation c. Michel Chossudovsky, [2012] CanLII 29810 (CSC) - 2012-05-31
[6] Standard Life Insurance Company of Canada c. Corporation des praticiens en médecine douce du Québec, EYB 2011-196845 (C.S.).
[7] EYB 2011-191484 (C.A.)
AVIS :
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