Sarkis c. Devletian & Associés inc. |
2017 QCCS 4139 |
JL 4486 (Chambre commerciale) |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
LAVAL |
||||||
|
|||||||
N° : |
540-11-009515-166 |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
DATE : |
LE 22 AOÛT 2017 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PIERRE LABELLE, J.C.S. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
MARWAN SARKIS |
|||||||
Demandeur - débiteur |
|||||||
c.
|
|||||||
DEVLETIAN & ASSOCIÉS INC. |
|||||||
Syndic |
|||||||
-et-
|
|||||||
LE SURINTENDANT DES FAILLITES |
|||||||
Opposant |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1]
Le Surintendant des faillites (« Opposant ») s’oppose à la
libération de la faillite du débiteur. L’Opposant demande le refus de la
libération en invoquant plusieurs faits mentionnés à l’article
LE CONTEXTE
[2] Le 26 février 2016, le débiteur fait cession de ses biens. Le bilan statutaire du débiteur révèle un passif non garantie de 788 011 $, composé de dettes fiscales au montant de 508 492 $ et de soldes d’au moins 27 cartes de crédit totalisant plus de 262 000 $.
[3] À cette même date, le débiteur affirme être sans emploi. À son interrogatoire devant le séquestre officiel tenu le 9 juin 2016[1], le débiteur déclare être sans emploi depuis environ deux ans. À sa déclaration du 13 septembre 2016[2], le débiteur déclare n’avoir aucun revenu d’emploi.
[4] Lors de son témoignage devant le Tribunal, les faits antérieurement déclarés sont tout autre. Depuis le mois de novembre 2014, le débiteur travaille à temps partiel pour l’entreprise UBER et à temps plein depuis janvier 2016. Il gagne des revenus hebdomadaires de sept à huit cents dollars. En 2011 et 2012, le revenu annuel du débiteur est de 27 000 $. Il travaillait à titre de directeur d’une résidence de personnes âgées, entreprise exploitée par son père jusqu’en juin 2013, date à laquelle l’entreprise change de propriétaire. Le débiteur affirme ne pas avoir travaillé ailleurs le reste de l’année 2013. Pour cette année, son revenu serait de 14 000 $.
[5] Toutefois, il aurait démarré deux entreprises dans les domaines du textile qui ont opéré pendant une période d’environ un an. Leurs activités auraient cessé en juillet 2014 par la saisie des comptes bancaires par le gouvernement. Pour l’année 2014, le débiteur aurait touché un revenu brut de 25 000 $.
[6] Lors de son interrogatoire statutaire, il explique l’accumulation des dettes sur les cartes de crédit par son état dépressif à la suite de la cessation des activités de ses compagnies. Il buvait et jouait au casino. Lorsqu’il complétait des demandes de cartes de crédit, il affirme ne pas avoir exagéré le montant de son revenu. Le débiteur affirme également qu’au cours des deux années précédant la faillite, il n’a pas émis de chèques sans provision ou effectué des paiements qui n’ont pas été honorés à cause d’un manque de fonds.
[7] Les diverses demandes pour l’émission de cartes de crédit[3] révèlent que le débiteur exagérait le montant de son revenu annuel : en 2011, il affirme toucher un revenu annuel de 40 000 $; en 2012, un revenu annuel de 50 000 $; en 2013, un revenu annuel de 65 000 $; en 2014, un revenu annuel de 75 000 $ et même 80 000 $. En 2013 et 2014, le débiteur indique toujours être à l’emploi de l’entreprise exploitant la résidence pour personnes âgées.
[8] Le débiteur reconnaît avoir acheté des matériaux de construction, des appareils électroménagers et électroniques et de les avoir revendus à un prix moindre pour obtenir de l’argent et ainsi jouer au casino.
[9] Plusieurs relevés de cartes de crédit indiquent le retour de paiements pour insuffisance de fonds[4]. Le débiteur reconnaît qu’il ne s’assurait pas d’avoir les fonds suffisants avant d’émettre les chèques. Il fait affaire avec des prêteurs usuriers qu’il rembourse prioritairement aux banques parce que « c’est du monde »[5].
[10] Selon le débiteur, son état de failli est attribuable à sa naïveté envers certaines personnes, l’alcool, son état dépressif et le jeu compulsif. Il veut sa libération pour rétablir son crédit, fonder une famille et acheter une maison. Il se dit conscient des gestes posés et qu’il a appris sa leçon.
L’ANALYSE
[11]
L’Opposant soulève plusieurs faits mentionnés à l’article
a) la valeur des avoirs du failli n’est pas égale à cinquante cents par dollar de ses obligations non garanties, à moins que celui-ci ne prouve au tribunal que ce fait provient de circonstances dont il ne peut à bon droit être tenu responsable;
[…]
d) le failli n’a pas tenu un compte satisfaisant des pertes d’avoirs ou de toute insuffisance d’avoirs pour faire face à ses obligations;
e) le failli a occasionné sa faillite, ou y a contribué, par des spéculations téméraires et hasardeuses, par une extravagance injustifiable dans son mode de vie, par le jeu ou par négligence coupable à l’égard de ses affaires commerciales;
[…]
l) le failli a commis une infraction aux termes de la présente loi ou de toute autre loi à l’égard de ses biens, de sa faillite ou des procédures en l’espèce;
[…]
[12] En l’espèce, le débiteur ne possède aucun actif tangible dont la réalisation aurait pu profiter à la masse des créanciers. Le seul montant touché par le syndic est la somme de 200 $, lors de l’ouverture du dossier de faillite. Selon le rapport du syndic[6], aucun dividende n’est anticipé, de sorte qu’aucun créancier ne sera payé.
[13] Le débiteur ne peut jouir d’une libération absolue puisque son actif, dont la valeur est nulle, est inférieur à 50 % de son passif non garanti. La preuve soumise par le débiteur ne démontre pas que ce fait provient de circonstances dont il ne peut à bon droit être tenu responsable.
[14] En fait, le débiteur n’a jamais tenté d’accumuler des actifs à même tout le crédit accessible. Les sommes obtenues se sont envolées en sachant très bien qu’il ne rembourserait jamais ses créanciers. La conduite du débiteur est particulièrement répréhensible.
[15] Le débiteur habite chez ses parents. En achetant deux télévisions, un canapé et un ensemble de chambre, le débiteur s’empresse d’en disposer à vil prix pour toucher quelques dollars. Il agit également de la sorte lorsqu’il achète des outils et des matériaux de construction pour plus de 10 000 $ afin de les refiler à « une connaissance, je ne le connais pas vraiment ». Il dit mettre ce comportement sur le compte de la naïveté. Une montre achetée à crédit pour plus de 6 600 $ est revendue dans un bar pour 2 000 $.
[16] Mais il y a plus. Le débiteur a provoqué son état d’insolvabilité en adoptant un mode de vie téméraire et extravagant. Pour y arriver, il profite à outrance du crédit en mentant à ses futurs créanciers. Ce comportement n’est pas adopté à la cessation des activités de ses entreprises à la fin juillet 2014 tel qu’il le prétend, mais bien auparavant alors qu’il est encore à l’emploi de l’entreprise gérant une résidence de personnes âgées.
[17] En mars 2013, le débiteur déclare, lors d’une demande de crédit, que son revenu annuel est de 40 000 $. Il en est rien. En 2012, il affirme gagner 50 000 $ annuellement. Par la suite, il pousse l’audace à affirmer que son revenu annuel est de 65 000 $, 75 000 $ et même 80 000 $, alors qu’il est sans emploi. Il déclare pourtant être directeur de cette résidence alors qu’il n’occupe plus ce poste depuis juin 2013. Tous les moyens sont bons pour accéder au crédit. Des réponses conformes à la réalité auraient certainement réduit le crédit demandé.
[18] Nous sommes en présence d’une désinvolture et d’une mauvaise foi de la part du débiteur le rendant malhonnête envers ses créanciers. Il ne fait preuve d’aucune moralité puisqu’il continue ses mensonges lors de sa faillite.
[19] Il emprunte de prêteurs usuriers alors qu’il affirme le contraire. Il nie avoir exagéré le montant de son revenu lors de demandes de cartes de crédit. À cet égard, la preuve est accablante. Il nie avoir fait des chèques sans provision alors que la preuve démontre l’inverse. Au moment de la faillite, le débiteur déclare être sans emploi, alors qu’il travaille depuis novembre 2014. Il persistera dans ce mensonge jusqu’à son témoignage devant le Tribunal. Le syndic le dénoncera à son rapport du 9 juin 2017.
[20] La Cour d’appel[7] énonce les trois critères devant être pris en considération pour statuer sur une demande en libération d’une faillite :
a) le droit d’une personne honnête, mais malchanceuse de repartir à zéro;
b) le droit prima facie des créanciers d’être payés;
c) le droit du public d’avoir confiance en son système et en son intégrité.
[21] Le Tribunal n’est pas en présence d’une personne malchanceuse mais d’une personne ayant créé seule cette situation. Il ne faut pas perdre de vue les dettes fiscales de plus de 500 000 $, soit des dettes possédant une priorité sociale. Libérer le débiteur ferait en sorte qu’il s’en tire à très bon compte, choquerait le public et minerait sa confiance envers le système. La faillite ne doit pas être vue comme un moyen facile de se débarrasser de ses dettes, dont celles fiscales.
[22] Le Tribunal a eu l’occasion d’apprécier le témoignage du débiteur devant lui. Il est vague et imprécis comme si le débiteur ne se souvenait de rien. Le Tribunal y voit un comportement qui se moque de dire la vérité.
[23] Le débiteur affirme avoir des projets pour l’avenir, aucune preuve ne corrobore ses propos. Malgré les difficultés rencontrées, il ne consulte aucun professionnel pour sa dépendance qu’il avait pour le jeu. Il déclare être conscient des gestes posés et qu’il a appris sa leçon; le Tribunal n’y voit aucun repentir envers ses créanciers.
[24] Compte tenu de la façon éhontée adoptée par le débiteur pour s’enrichir aux dépens de ses créanciers et des contribuables, la libération du débiteur est refusée. Toutefois, la réhabilitation du débiteur est un des buts principaux de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
[25] Pour l’atteindre, il faut qu’une assez longue période s’écoule afin que toute personne appelée à faire affaire avec lui soit avertie de ses antécédents par son statut de failli non libéré, tel que prévu par la Loi[8] :
199. Commet une infraction […] le failli non libéré qui, selon le cas :
a) entreprend un commerce ou un négoce sans révéler, à toutes les personnes avec qui il conclut des affaires, qu’il est un failli non libéré;
[…]
[26] Pour atteindre cet objectif, le Tribunal estime qu’une période de cinq ans depuis la cession de ses biens devra s’écouler avant que le débiteur puisse présenter une nouvelle demande de libération.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[27] ACCUEILLE l’opposition à la libération de faillite;
[28] REFUSE la libération du débiteur;
[29] RÉSERVE au débiteur le droit de présenter une nouvelle demande de libération, mais uniquement à compter du 26 février 2021;
[30] LE TOUT, avec frais de justice en faveur de l’Opposant.
|
||
|
__________________________________ PIERRE LABELLE, J.C.S. |
|
|
||
Me Patricia Chamoun |
||
Chamoun Légal inc. |
||
Avocats du débiteur |
||
|
||
Me Suzanne Trudel |
||
Procureur général du Canada |
||
Avocats de l’opposant |
||
|
||
Date d’audience : |
13 juin 2017 |
|
|
|
|