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[1] Le 17 février 2005, le travailleur, monsieur Edwin Umanzor-Flores, dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 9 février 2005 par la Direction de la révision administrative (la Révision administrative) de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
[2] Par cette décision, la Révision administrative rejette la demande de révision du travailleur et confirme la décision rendue le 26 novembre 2004 par la CSST qui entérine un deuxième avis du Bureau d’évaluation médicale, déclare que, suite à la lésion professionnelle qu’il a subi le 28 novembre 2003, le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles et qu’il est capable d’exercer son emploi à compter du 21 mai 2004. La CSST accorde une remise de dette pour l’indemnité de remplacement du revenu versée du 21 mai jusqu’au 16 novembre 2004, soit un montant de 6379,20 $.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la Révision administrative et de déclarer qu’il conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles, telles que recommandées par le docteur Gilles-Roger Tremblay.
[4] Dans le cadre de sa requête, le travailleur soulève un moyen préliminaire indiquant l’illégalité du deuxième avis du Bureau d’évaluation médicale daté du 12 novembre 2004 sous la plume de l’orthopédiste, le docteur Pierre-Paul Hébert. Il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’avis du Bureau d’évaluation médicale est illégal et de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle puisse acheminer le rapport d’évaluation médicale du médecin désigné, soit celui du docteur Robert Marien du 30 septembre 2004, au médecin qui a charge pour que ce dernier complète son rapport complémentaire.
[5] Le travailleur et l’employeur, DHL International Express ltd., sont présents et représentés à l’audience sur le moyen préliminaire, tenue le 2 août 2005 à Montréal.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le commissaire soussigné a reçu l’avis des membres issus des associations d’employeurs et syndicales sur l’objet du moyen préliminaire.
[7] Ils souscrivent aux motifs ici retenus pour l’accueillir.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la légalité de l’avis du Bureau d’évaluation médicale daté du 12 novembre 2004.
[9] Les articles de la loi pertinents à cette question sont les suivants.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
__________
1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 5.
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
__________
1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[10] Les faits relatifs au moyen préliminaire sont les suivants, les détails du suivi médical ne sont pas pertinents pour les fins de la présente discussion.
[11] Le travailleur est manutentionnaire d’entrepôt alors que, le 16 janvier 2003, il soumet une réclamation auprès de la CSST pour un événement survenu le 28 novembre 2003.
[12] Le 6 juillet 2004, la Révision administrative rejette la demande de révision de l’employeur et confirme la décision rendue par la CSST le 19 février 2004 qui déclare que le travailleur est victime d’une lésion professionnelle, en l’espèce une entorse lombaire, et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi. Ni l’admissibilité ni le diagnostic ne sont contestés devant nous.
[13] Le 11 mars 2004, le docteur R. Perlman, médecin désigné par l’employeur, estime que l’entorse lombaire est résolue et que le travailleur est apte à reprendre son travail. La CSST achemine le rapport du docteur Perlman au médecin qui a charge, le docteur O.T. Nguyen pour qu’il puisse émettre un rapport complémentaire conformément à la loi. Ce dernier l’émet le 21 avril 2004, indiquant son désaccord avec le docteur Perlman et estimant que la lésion professionnelle n’est pas encore consolidée et que le travailleur a besoin de continuer la physiothérapie.
[14] Le 28 avril 2004, la CSST achemine le dossier au premier Bureau d’évaluation médicale qui, le 6 juin 2004, sous la plume de l’orthopédiste, le docteur Greenfield, fixe la date de consolidation au 21 mai 2004 sans autres traitements nécessaires ou justifiés. La CSST entérine cet avis le 21 juin 2004 et la Révision administrative le confirme le 1er septembre 2004. Le travailleur s’est désisté devant nous de sa contestation à ce sujet dans le dossier 243512-72-0409.
[15] Le 30 septembre 2004, l’orthopédiste, le docteur Marien, médecin désigné par la CSST, fournit un rapport d’évaluation médicale dans lequel il estime que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles.
[16] Le 12 octobre 2004, la CSST soumet la question de l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles au Bureau d’évaluation médicale sans avoir acheminé le rapport d’évaluation médicale du docteur Marien au médecin qui a charge, le docteur Nguyen, pour que ce dernier puisse émettre un rapport complémentaire et étayer ses conclusions.
[17] L’avis du Bureau d’évaluation médicale est fourni le 12 novembre 2004 par l’orthopédiste, le docteur P.-P. Hébert, qui est d’avis que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 0 % suivant le code 203 997 sans limitations fonctionnelles. La CSST l’entérine le 26 novembre 2004, déclare que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles, qu’il est capable d’exercer son emploi, et elle met fin à l’indemnité de remplacement du revenu le 17 novembre 2004 en accordant une remise de dette pour l’indemnité de remplacement du revenu versée entre le 21 mai et le 16 novembre 2004 (6379,20 $). La Révision administrative confirme cette décision le 9 février 2005, estimant qu’elle « […] est liée par l’avis du Bureau d’évaluation médicale et ne peut le modifier dans la mesure où la procédure d’évaluation médicale est conforme à la loi. »[2]
[18] Le travailleur soumet essentiellement que la CSST n'a pas respecté le processus d’évaluation médicale, notamment, en ce qu’elle n’a pas transmis le rapport du médecin désigné, le docteur Marien, au médecin qui a charge, le docteur Nguyen, pour qu’il puisse émettre un rapport complémentaire sur les sujets 4 et 5 de l’article 212 de la loi. Cette omission devrait résulter, selon le travailleur, dans la nullité de la décision de la CSST qui a entériné l’avis du deuxième Bureau d’évaluation médicale. Ainsi, le dossier doit être retourné à la CSST pour qu’elle puisse procéder à l’évaluation médicale, conformément à la loi.
[19] L’employeur soumet que, puisque la CSST a envoyé le rapport du premier médecin désigné, le docteur G. Greenfield, qui inclut un avis sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles, au docteur Nguyen, et que, puisque ce dernier n’a pas répondu par voie d’un rapport complémentaire, il n’y a pas d’opinion contradictoire qui infirme les conclusions du médecin désigné et l’article 205.1 ne trouve pas application en l’espèce. D’autant plus que le médecin qui a charge ne s’est pas prononcé à cette époque-là s’il prévoyait une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et/ou des limitations fonctionnelles. L’employeur estime donc qu’il n’y a aucune irrégularité dans le processus d’évaluation médicale. Il soumet que le moyen préliminaire du travailleur doit être rejeté et que les parties doivent être convoquées sur le fond du litige, à savoir l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et de limitations fonctionnelles.
[20] Référons maintenant à la jurisprudence déposée par les parties ainsi qu’aux principes qui s’en dégagent.
[21] Dans l’affaire Merida-Vargas[3], la Commission des lésions professionnelles se prononce ainsi :
[28] En l’espèce, la preuve démontre que la CSST n’a pas respecté la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi.
[29] En référant la travailleuse au docteur Newman, la CSST se prévalait du droit que lui confère l’article 204 de la loi.
[30] Après avoir obtenu le rapport du docteur Newman, la CSST devait permettre au médecin en charge, le docteur Chartrand, de fournir un rapport complémentaire par lequel ce dernier pouvait dans les 30 jours de la réception du rapport soit étayer ses conclusions ou joindre un rapport de consultation motivé ou encore accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST.
[31] La CSST n’a jamais fait parvenir le rapport du docteur Newman au docteur Chartrand ni remis un rapport complémentaire lui permettant de répondre aux conclusions émises par le docteur Newman.
[32] L’article 205.1 est clair; il constitue une étape préalable à la demande d’avis du membre d’évaluation médicale. Cette étape est confirmée par le libellé de la loi qui prévoit spécifiquement que la Commission soumet sans délai les contestations prévues notamment à l’article 205.1 au Bureau d’évaluation médicale. En ce qui concerne les raisons invoquées par la CSST à l’effet qu’elle n’avait pas l’obligation de demander au médecin traitant un rapport complémentaire puisque le docteur Chartrand n’a jamais émis de conclusions sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles considérant la travailleuse non consolidée, la soussignée n’adhère pas à ces prétentions.
[33] Dans la décision « Rona l’Entrepôt et Louise Ducharme » soumise par la procureure de la travailleuse, le commissaire ayant à traiter de la procédure d’évaluation médicale, s’exprime ainsi :
[48] La travailleuse affirme dans son argumentation que le processus de rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 ne s’applique pas si la CSST a obtenu un rapport en vertu de l’article 204 sur un des sujets mentionnés aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l’article 212 alors que le médecin qui a charge du travailleur ne s’était pas déjà prononcé à cet effet.
[49] Le tribunal ne croit pas qu’il y ait 2 ou 3 droits différents de la CSST de transmettre un dossier au Bureau d'évaluation médicale. Il n’existe qu’un seul droit qui est prévu à l’article 205.1. Le droit à l’expertise est pour sa part prévu à l’article 204 de la loi. L’article 206 n’est qu’une modalité de l’article 205.1 qui prévoit que la CSST, en plus des droits prévus à l’article 205.1, peut même demander une opinion au Bureau d'évaluation médicale en l’absence d’avis du médecin qui a charge. Cela ne dispense pas alors de donner la chance au médecin qui a charge de remplir un rapport complémentaire, surtout qu’il ne s’est jamais prononcé sur la question.
[50] Si le législateur a prévu le droit pour un médecin qui a charge d’étayer des conclusions déjà émises, il serait surprenant qu’il ait décidé que ce même médecin qui a charge, s’il ne s’est pas prononcé sur un sujet donné, n’ait aucune occasion de le faire. Pourquoi permettre parfois au médecin qui a charge de se «reprononcer» sur un point et lui refuser à d’autres occasions le droit de donner une première opinion sur ce même sujet? Conclure ainsi irait à l’encontre d’une règle d’interprétation à l’effet qu’une disposition n’est pas sensée amener à des résultats pratiques illogiques et qui vont contre l’esprit d’une loi et l’intention du législateur.
[51] En rédigeant l’article 205.1, le législateur voulait donner au médecin qui a charge l’opportunité de répondre au médecin désigné avant la référence au Bureau d'évaluation médicale. Pourquoi ce souhait législatif ne s’appliquerait-il pas lorsque le médecin qui a charge ne s’est pas prononcé sur un sujet? N’est-ce pas en ces circonstances qu’il est encore plus utile et impératif de donner la chance au médecin qui a charge de s’exprimer pour que le Bureau d'évaluation médicale ne procède pas en l’absence de l’opinion du médecin de l’une des deux parties?
[52] Le caractère paritaire qui sous-tend le régime d’indemnisation prévu par la Loi milite aussi en faveur du droit du travailleur à ce que son médecin s’exprime même si la CSST se sert des dispositions de l’article 206. Il est important que le membre du Bureau d'évaluation médicale bénéficie de l’opinion des médecins des deux parties avant de se prononcer, à moins que le médecin qui a charge ne saisisse pas l’occasion qui lui est fournie par l’article 205.1.
[53] Le tribunal estime donc que la procédure de rapport complémentaire prévue à l’article 205.1 s’applique à toutes les demandes de référence au Bureau d'évaluation médicale requises par la CSST, même si elle se sert de son droit de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale malgré le silence du médecin qui a charge sur un point précis. L’article 206 constitue donc un droit pour la CSST de soumettre un rapport même sur un sujet non traité par le médecin qui a charge. Ceci n’emporte pas le droit de référer le dossier au Bureau d'évaluation médicale sans respecter l’obligation d’obtenir le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 de la loi.
[34] La soussignée fait siens les propos du commissaire Me Jean-François Clément.
[35] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière et que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale doit être annulé ainsi que les décisions qui en découlent.
[36] Concernant la demande de l’employeur visant la démarche à suivre pour rectifier les irrégularités du processus d’évaluation médicale, la soussignée ne peut adhérer à cette demande.
[37] Pour les mêmes raisons qu’exprimées plus haut, un tel acquiescement irait à l’encontre de la procédure établie par la loi et rendrait illégale le processus.
[22] Dans l’affaire Laverdière[4], nous pouvons lire ceci :
[37] Il appert des faits que la première irrégularité soumise par la procureure de la travailleuse est justement l’omission de la CSST de transmettre copie du rapport du docteur Moïse au médecin qui a charge.
[38] Pourtant, l’article 215 de la loi énonce une obligation en ce sens. Tel que la jurisprudence3 sur le sujet l’a souvent souligné, les dispositions de l’article 215 de loi visent à favoriser la règle de la transparence dans les échanges de rapports médicaux entre les parties. De plus, le médecin qui a charge doit recevoir copie du rapport du médecin désigné de la CSST pour être en mesure d’y répondre, conformément aux dispositions de l’article 205.1.
[39] Or, l’article 205.1 de la loi constitue une étape préalable à la demande d’avis du Bureau d'évaluation médicale. Ainsi le rapportait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Domond et Alcatel Cable (Mtl-Est)4, qui précisait que l’article 205.1 crée une obligation pour la CSST de demander au médecin qui a charge un rapport complémentaire lorsqu’elle désire transmettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu’elle a obtenu en vertu de l’article 204 de la loi. L’article 205.1 vient consacrer et renforcer le principe de la primauté de l’opinion du médecin qui a charge qu’a voulu donner le législateur.
[…]
[41] La Commission des lésions professionnelles estime que le silence du médecin qui a charge ne permet nullement de conclure que ce dernier avait renoncé à contredire le médecin désigné par la CSST ou à étayer ses conclusions.
[42] Dans une décision récemment rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Castonguay et Ministère des Anciens combattants5, le tribunal rappelle l’obligation de la CSST de tenter d’obtenir le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 de la loi, malgré, dans ce cas, l’absence du médecin qui a charge et ce, même si la travailleuse a consenti à la façon de faire de la CSST. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles conclut que le défaut de solliciter le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 est suffisant pour invalider l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
[43] En raison des omissions de la CSST de se conformer aux dispositions de la loi quant à la procédure d’évaluation médicale, la Commission des lésions professionnelles conclut que cette procédure est irrégulière. Également, la décision rendue par la CSST le 5 juillet 2002 qui faisait suite à l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière et doit être annulée. Il en est de même pour la décision rendue le 10 octobre 2002 à la suite d’une révision administrative.
[44] Le dossier doit être renvoyé à la CSST, afin qu’elle reprenne la procédure conformément aux dispositions de la loi. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de retenir la suggestion de l’employeur quant à la démarche à suivre pour ce faire, la loi prévoyant une mécanique bien précise relativement à la procédure d’évaluation médicale, procédure qui comprend des conditions et des étapes qui n’ont pas à être modifiées.
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3 Cegep de Jonquière et Vaillancourt, C.L.P. 100736-02-9805, 26 janvier 1999, P. Simard; Lemieux et Asbestos Eaman inc. et als, C.L.P. 149262-71-0010, 6 novembre 2001, D. Gruffy.
4 C.L.P. 156808-61-0103, 29 janvier 2002, L. Nadeau
5 C.L.P. 188243-62C-0207, 20 mai 2003, R. Hudon
[23] Dans Favre[5], la Commission des lésions professionnelles écrit ceci :
[32] Dans ce contexte, il faut maintenant déterminer si la procédure d’évaluation médicale suivie par la CSST est régulière. Dans le cas contraire, il faudra préciser les effets de cette irrégularité sur l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale.
[33] Il ressort des dispositions de l’article 205.1 de la loi que le médecin qui a charge du travailleur peut fournir à la CSST un rapport complémentaire en vue d’étayer ses conclusions, dans les 30 jours de la réception du rapport du médecin désigné. Ce rapport doit infirmer ses conclusions quant à l’un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l’article 212 rapporté plus haut, soit le diagnostic, la date ou la période prévisible de la consolidation de la lésion, la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits, l’existence ou le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles.
[34] Dans l’affaire Gilles Coderre et R. H. Nugent Équipement Rental ltée et CSST 2, la Commission des lésions professionnelles inférait ce qui suit des dispositions de l’article 205.1 de la loi :
« On peut comprendre, de l’objectif visé par l’article 205.1, qu’en cas de désaccord entre les conclusions du médecin désigné et celles du médecin qui a charge du travailleur, que ce dernier pourra répondre à ce rapport et que pour ce faire, il devra avoir eu connaissance dudit rapport du médecin désigné. En effet, l’article 205.1 stipule que le médecin qui a charge du travailleur dispose d’un délai de 30 jours pour le faire, à compter de la réception dudit rapport. Le médecin qui a charge du travailleur peut donc s’attendre, dans un tel cas, à recevoir de la CSST une copie du rapport du médecin désigné. » [sic]
[35] Le soussigné partage les propos du commissaire Sincennes, dans la décision citée plus haut, lorsqu’il écrit que la procédure prévue à l’article 205.1 de la loi ne s’applique que si le rapport du médecin désigné, aux fins de l’application de l’article 204 de la loi, infirme les conclusions du médecin qui a charge quant à l’un ou plusieurs sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l’article 212.
[36] Dans le cas contraire, il n’est pas nécessaire que la CSST s’adresse au médecin qui a charge pour obtenir de lui un rapport complémentaire. En l’absence de contradiction sur des questions médicales, il n’y a pas lieu de soumettre le dossier médical du travailleur au Bureau d’évaluation médicale.
[37] Dans deux décisions récentes3, la Commission des lésions professionnelles commente l’ensemble des dispositions relatives à la procédure d’évaluation médicale. Elle retient particulièrement que le rôle du Bureau d’évaluation médicale est de régler un conflit entre deux conclusions médicales contradictoires. Son pouvoir est d’infirmer ou de confirmer des conclusions d’ordre médical, ce qui implique l’existence d’une différence ou d’une contradiction entre deux opinions de nature médicale. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation du rôle du Bureau d’évaluation médicale respecte aussi le principe de la primauté de l’avis du médecin qui a charge du travailleur.
[38] La primauté de l’avis du médecin qui a charge du travailleur est un élément essentiel dans le processus d’évaluation médicale. La simple lecture de l’article 224, dont le texte est cité plus haut, est suffisante pour en convaincre la Commission des lésions professionnelles.
[39] Mais la primauté de l’avis du médecin qui a charge du travailleur est un élément tout aussi important dans le processus de contestation médicale comme le confirme le deuxième alinéa de l’article 205.1 de la loi. Non seulement la CSST peut-elle soumettre au Bureau d’évaluation médicale les rapports d’évaluation médicale du médecin qui a charge du travailleur et celui du médecin désigné mais également le rapport complémentaire obtenu en vertu des dispositions du premier alinéa de l’article 205.1.
[40] Ces principes dégagés par cette jurisprudence récente doivent guider le soussigné dans l’appréciation des faits de la présente affaire et de la portée juridique des conséquences qu’ils engendrent.
[41] Dans l’affaire D’Orazio et Asphalte & Pavage Tony inc.4, la Commission des lésions professionnelles retenait que le défaut de la CSST d’expédier au médecin du travailleur les rapports du médecin désigné, en vertu de l’article 204 de la loi, qui infirmaient ses conclusions quant au diagnostic, contrevenait aux dispositions de l’article 205.1 de la loi.
[42] De plus, dans l’affaire Coopérative forestière Papineau-Labelle et Gagnon5, il fut reconnu qu’il était de la responsabilité de la CSST de soumettre les rapports contradictoires au Bureau d’évaluation médicale et de solliciter le médecin qui a charge du travailleur pour qu’il remplisse un rapport complémentaire s’il le juge à propos.
[…]
[44] En application du principe de la primauté de l’avis du médecin qui a charge du travailleur, la Commission des lésions professionnelles considère que la CSST avait l’obligation d’acheminer au docteur Chartrand le rapport d’évaluation médicale du docteur L’Espérance afin de solliciter son rapport complémentaire.
[45] Son omission entache la procédure de contestation médicale qu’elle a elle-même enclenchée. Vu ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles considère que le recours de la CSST à l’intervention du Bureau d’évaluation médicale était prématuré.
[46] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’avis du docteur Léveillé, qui agit comme membre du Bureau d’évaluation médicale, doit être annulé.
[47] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le dossier doit être retourné à la CSST afin qu’elle achemine au docteur Chartrand le rapport d’évaluation médicale du docteur L’Espérance et qu’elle sollicite son rapport complémentaire.
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2 154843-07-0102, CLP, 2001-12-06, P. Sincennes
3 Gaston Blanchette et Pétroles J. C. Trudel inc., CLP, 132329-08-0002, 2001-09-13, M. Lamarre; Denise Morin et José & Georges inc., CLP, 154442-64-0101, 2001-09-24, R. Daniel
4 113959-73-9903, 2000-01-19, A. Archambeault
5 136414-64-0004, 2000-10-05, J. F. Martel (00LP-67)
[24] Passons et commentons maintenant la jurisprudence déposée par l’employeur.
[25] Dans l’affaire Domond[6], il s’agit d’une décision de la CSST qui entérine les conclusions du médecin qui a charge dans son rapport final et son rapport d’évaluation médicale, d’autant plus que la CSST a choisi de ne pas soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Ceci n’est pas le cas du présent litige. Il est à noter aussi que la Commission des lésions professionnelles considère néanmoins que l’obtention du rapport complémentaire du médecin qui a charge lui permettant d’étayer ses conclusions « […] constitue une étape préalable à la demande au Bureau d’évaluation médicale ».
[26] Les faits dans l’affaire De Chantal[7] sont loin d’être similaires au dossier qui nous préoccupe, alors qu’il s’agissait d’une question de relation entre des diagnostics de hernies discales C5-C6 et C6-C7 et un accident du travail survenu le 1er mai 1998. La CSST avait bel et bien obtenu un rapport complémentaire du médecin qui a charge, lequel retient le même diagnostic que le médecin désigné. La CSST a décidé néanmoins de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Ceci n’est pas notre cas, dans lequel la CSST n’a pas permis au médecin qui a charge de fournir un rapport complémentaire et d’étayer ses conclusions face à l’opinion du médecin désigné et avant qu’elle ne soumette le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
[27] Dans l’affaire Wal-Mart[8], le médecin qui a charge ne s’est pas prononcé sur l’existence d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et de limitations fonctionnelles et, puisqu’il n’a pas répondu à la demande de la CSST à cet effet, la Commission des lésions professionnelles déclare que la CSST pouvait néanmoins soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Ceci n’est pas notre cas.
[28] Dans Duclos[9], le médecin qui a charge a refusé de produire un rapport concernant l’existence d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et de limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles juge que la CSST n’avait pas l’obligation de formuler une nouvelle demande à ce dernier afin de fournir un rapport complémentaire vis-à-vis le rapport du médecin désigné, de sorte que la CSST pouvait soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Ceci n’est pas le cas du présent dossier.
[29] Dans l’affaire Chénier[10], il s’agit d’une décision rendue suite à un arbitrage médical sous l’ancienne loi dont les règles n’étaient pas les mêmes que celles en vigueur présentement. D’autant plus que, dans Chénier, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) reproche à la CSST de ne pas avoir transmis au médecin qui a charge tous les rapports médicaux qu’elle a reçus sans que l’ancien tribunal retenait en quoi ce défaut avait causé un préjudice au travailleur. La situation est différente de la nôtre et la décision, non pertinente au présent litige.
[30] Finalement, dans Lessard[11], il s’agit d’un arbitrage médical sous l’ancienne loi. La Commission d’appel considère que le défaut de l’employeur d’avoir transmis au travailleur une copie du rapport d’expertise de son médecin n’a pas fait préjudice au travailleur et que ce défaut constitue une irrégularité, mais qu’il n’en est pas une de fond et qu’il ne pouvait entacher la procédure d’évaluation médicale de même que la soumission du dossier à l’arbitrage médical devant l’absence de démonstration de préjudice. Il ne s’agit pas d’une situation similaire à la nôtre, alors que l’arbitre dans Chénier avait quand même à trancher entre deux opinions, soit celle du médecin qui a charge et celle de l’expert de l’employeur, ce qui n’est pas du tout notre cas.
[31] Pour retourner au dossier qui nous concerne, la Commission des lésions professionnelles, s’inspirant des articles de la loi ainsi que de la jurisprudence pertinente, doit conclure que l’omission de la CSST d’acheminer le rapport d’évaluation médicale du médecin désigné, le docteur Marien, au médecin qui a charge à l’époque, le docteur Nguyen, afin que ce dernier puisse émettre un rapport complémentaire en étayant ses conclusions, constitue une irrégularité qui entache le processus d’évaluation médicale, la validité de la soumission du dossier au Bureau d’évaluation médicale, notamment en ce qui concerne l’existence et/ou l’étendue de l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles, et la décision qui s’en est suivi. La CSST ne pouvait donc pas soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale à ce moment-là, le Bureau d’évaluation médicale fut irrégulièrement saisi des questions soumises et la décision de la CSST qui l’entérine est illégale et doit être annulée. Disons aussi, dans cette perspective, que la décision de la Révision administrative, d’ailleurs très peu motivée, considérant que le processus d’évalutation médicale est conforme à la loi nous laisse perplexe.
[32] Il était donc prématuré pour la CSST de statuer sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles et, en conséquence, sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi ainsi que sur la fin de l’indemnité de remplacement du revenu. Le dossier doit donc être retourné à la CSST pour qu’elle puisse acheminer le rapport du docteur Marien au médecin qui a charge, sous réserve du droit de la CSST de soumettre par la suite le dossier au Bureau d’évaluation médicale et sous réserve du droit de contestation des parties.
[33] Il s’ensuit que la requête doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 17 février 2005 par le travailleur, monsieur Edwin Uwanzor-Flores;
INFIRME la décision rendue le 9 février 2005 par la Direction de la révision administrative ainsi que celle rendue le 26 novembre 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST);
DÉCLARE qu’il était prématuré par la CSST de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale, de statuer sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles, ainsi que sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi ainsi que sur la fin de l’indemnité de remplacement du revenu;
DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 16 novembre 2004, date à laquelle la CSST a cessé à les verser; et
RETOURNE le dossier à la CSST pour qu’elle puisse prendre les mesures qui s’imposent dans les circonstances.
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J.-David Kushner |
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Commissaire |
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Me Simone Bonenfant |
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DESROCHES, MONGEON, BONENFANT |
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Représentante de la partie requérante |
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Me François Côté |
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OGILVY RENAULT |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Notre soulignement.
[3] Merida-Vargas
et Service Entretien Distinction inc.,
C.L.P. 224090-71-0401, 30 mai
[4] Laverdière et Hôpital de Montréal pour enfants, C.L.P. 184501-72-0205 et al., 21
novembre
[5] Favre et Témabex inc., C.L.P. 155742-08-0102, 22 janvier 2002, P. Prégent
[6] Domond et Alcatel Câble (Mtl-Est), C.L.P. 156808-61-0103, 29 janvier
[7] De Chantal
et Pepsi-Cola ltée, C.L.P. 151978-61-0012
et al., 7 mai
[8] Wal-Mart
Canada inc. et Lavergne, C.L.P. 184253-64-0205, 22
septembre
[9] Duclos et Centre hospitalier Anna-Laberge, C.L.P. 207894-62-0305 et al., 30
septembre
[10] Chénier et Hôtel du Parc Régent et CSST, [1987] C.A.L.P. 201-205
[11] Lessard et Centre d’accueil Nazaire-Piché, [1987] C.A.L.P. 322-327