Décision

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MacDuff c. Vacances Sunwing inc.

2019 QCCS 2551

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-06-000845-178

 

 

 

DATE :

Le 2 juillet 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

lukasz granosik, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

DANIEL MACDUFF

Demandeur

c.

VACANCES SUNWING INC.

et

LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC.

Défenderesses

et

INSTITUT NATIONAL DE L’ORIGINE ET DE LA QUALITÉ

et

COMITÉ INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE

et

MHCS, SOCIÉTÉ EN COMMANDITE SIMPLE

Mises en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(rejet de la défense; rejet d’un rapport d’expert)

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 16 avril 2018, le soussigné autorise l’action collective dans ce dossier selon les paramètres suivants :

[44]        IDENTIFIE comme suit les principales questions de faits et de droit à être traitées  collectivement :

a.    Les Défenderesses ont-elles contrevenu au Titre II de la Loi sur la protection du consommateur, à savoir :

                                          i.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre des articles 219, 220(a) et/ou 221(a) en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot « champagne » sans toutefois servir de champagne?

                                        ii.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre de l’article 222(f) en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot «champagne» et en servant plutôt des boissons alcooliques provenant d’une région autre que de la région géographique de Champagne?

                                       iii.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre de l’article 228 en ne mentionnant pas aux Membres du groupe que leur service ne comprenait pas de champagne?

b.    Les Défenderesses ont-elles contrevenu au Titre I de la Loi sur la protection du consommateur, à savoir :

                                          i.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre des articles 40, 41, 42, et/ou 43 en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot «champagne» sans toutefois servir de champagne?

c.    Les Membres du groupe ont-ils droit à une compensation des Défenderesses, consistant à :

                                        ii.    une réduction de leur obligation;

                                       iii.    des dommages moraux;

                                       iv.    un montant en dommages punitifs par Membre du groupe; et/ou

                                         v.    l’intérêt et indemnité additionnelle prévue par le Code civil du Québec sur ces montants, à compter de la date d’achat des forfaits ou des billets d’avion?

d.    Les Membres du groupe peuvent-ils bénéficier de la présomption absolue de préjudice de l’article 272 Loi sur la protection du consommateur ainsi que de la présomption de dol de l’article 253 Loi sur la protection du consommateur ?

[45]        IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :

ACCUEILLIR l’action collective intentée par le Requérant pour le compte des Membres du groupe contre les Défenderesses;

DÉCLARER que les Défenderesses sont responsables des dommages subis par le Requérant et chacun des Membres du groupe;

CONDAMNER les Défenderesses à payer une somme à titre de réduction de l’obligation des Membres du groupe, le quantum à être déterminé, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec depuis la date d’achat des billets;

CONDAMNER les Défenderesses à payer une somme à titre de dommages moraux à chacun des Membres du groupe, le quantum à être déterminé, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec depuis la date d’achat des billets;

CONDAMNER les Défenderesses à payer une somme à titre de dommages punitifs à chacun des Membres du groupe, le quantum à être déterminé, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec depuis la date d’achat des billets;

ORDONNER le recouvrement collectif des sommes prévues aux trois paragraphes précédents;      

[2]           Le 4 février 2019, les Défenderesses (collectivement Sunwing) déposent leur défense dans laquelle elles avancent, essentiellement, que le mot «champagne» apparaissant dans leurs publicités fait référence à un niveau de service supérieur offert à leurs clients et que ce terme est utilisé dans le langage courant comme superlatif.

[3]           Le 15 février 2019, Sunwing notifie un rapport d’expertise suivant les articles 239 et 293 du Code de procédure civile. Il s’agit d’un sondage portant sur la signification du mot « champagne », effectué parmi plus de 500 consommateurs ou membres potentiels du groupe.

[4]           Le 25 février 2019, le Demandeur formule une demande en rejet de la défense «pour res judicata et pour abus de procédure» et, le 7 mars 2019, il introduit une demande en rejet du rapport d’expertise.

* * * * *

[5]           En ce qui concerne la défense, le Demandeur se fonde sur un jugement de la Cour fédérale rendu du 18 décembre 2018 dans un dossier opposant Sunwing aux mises en cause, l’Institut national de l’origine et de la qualité, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne et MHCS, société en commandite simple. Ces personnes morales, domiciliées en France, ont poursuivi Sunwing en application des lois relatives à la propriété intellectuelle, afin que cette dernière cesse d’utiliser le terme «champagne» dans ses publicités, en recherchant une déclaration que la vente et la promotion des vols et vacances par Sunwing, mentionnant le service d'une boisson alcoolisée qui n'est pas du champagne constitue un usage d’une description fausse et de nature à tromper le public sur le caractère, la qualité, la composition, l'origine géographique et la méthode de fabrication du vin servi.

[6]           Selon le Demandeur, le jugement de la Cour fédérale qui entérine la transaction conclue dans ce dossier rend la défense en l’instance irrecevable et, subsidiairement, abusive. En effet, ce jugement, auquel Sunwing a consenti, oblige cette dernière à cesser les pratiques que les mises en cause lui ont reprochées. Le passage pertinent du dispositif de cette décision indique[1] :

A permanent injunction is hereby effected enjoining and restraining the Defendants by themselves or by their officers, directors, shareholders, employees, licensees, representatives, agents, person or any company, partnership, business entity, associate, affiliate under their authority or control, from directly or indirectly using, as a trademark or otherwise, the word CHAMPAGNE, or any variation therefore that is false in a material respect and likely to mislead the public as to the character, quality, composition, geographical origin, mode of manufacture and mode of production of products and services, in association with wine or with their airline services, hotel services, airline booking services, hotel booking services, vacation booking services and other hospitality services, as defined in the Statement of Claim, including but not limited to the expressions CHAMPAGNE FLIGHT, CHAMPAGNE VACATION, CHAMPAGNE SERVICE, VACANCES D’HIVER AU CHAMPAGNE and SERVICE AU CHAMPAGNE, except only to describe a wine that benefits from the protection of the CHAMPAGNE protected geographical indication.

[7]           Or, tant en l’instance que devant la Cour fédérale, Sunwing présente des moyens de défense similaires, sinon identiques. En conséquence, le Demandeur avance donc  qu’aujourd’hui Sunwing tente de réintroduire, deux mois après ce jugement de la Cour fédérale, la même défense, alors qu’il y a chose jugée sur cet aspect du litige.

[8]           Le rejet de défense pour le motif de l’autorité de la chose jugée suivant l’article 2848 C.c.Q.[2] exige la triple identité de cause, d’objet et des parties[3].

[9]           Après analyse, et même s’il était possible de prétendre, ce sur quoi le Tribunal ne se prononce pas, qu’il y ait identité de cause ou d’objet, il est manifeste qu’il n’existe absolument aucune identité des parties entre le Demandeur et les mises en cause.

[10]        Le Demandeur est un consommateur québécois ayant voyagé avec Sunwing alors que les mises en cause sont des sociétés françaises, dont les objets concernent la protection des appellations d’origine contrôlées et notamment celle de l’appellation «champagne». Il ne s’agit pas et il ne peut s’agir de consommateurs, de surcroît résidant au Québec, alors que ce sont ces personnes uniquement qui se qualifient à titre de membres du groupe de l’action collective en l’occurrence, suivant la décision d’autorisation[4] :

[43] ATTRIBUE à DANIEL MACDUFF le statut de représentant aux fins d’exercer une action collective pour le compte du groupe ci-après décrit :

Tous les consommateurs, au sens de la LPC, résidant dans la province de Québec, qui après le 10 février 2014 et jusqu’à la date d’autorisation de la présente action:

a) ont acheté et/ou obtenu des billets et/ou ont voyagé avec VACANCES SUNWING INC. et/ou LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC., pour un vol et/ou un forfait présenté, publicisé ou décrit en utilisant le mot « champagne » (ci-après le « Service »); et

 

ou tout autre membre tel que déterminé par la Cour;

[11]        Même en appliquant l’interprétation la plus large et libérale de la notion de l’identité des parties[5], l’argument doit échouer. Ainsi, ce constat termine l’analyse de cette question, puisque la triple identité est une condition cumulative, et en conséquence, il n’y a pas lieu de rejeter la défense pour le motif de l’autorité de la chose jugée.

* * * * *

[12]        Le Demandeur ajoute que présenter les mêmes moyens de défense constitue en l’instance un abus[6] justifiant le rejet de la procédure, car cela témoigne d’une témérité sujette à sanction. Selon lui, une personne raisonnable et prudente, placée dans les mêmes circonstances conclurait à l'inexistence d'un fondement de cette défense déjà plaidée et au sujet de laquelle un jugement final, ordonnant de cesser une pratique pouvant induire en erreur le public, a été rendu. Selon le Demandeur, Sunwing plaiderait ni plus ni moins sa propre turpitude en présentant une défense vouée à l’échec afin de retarder le dénouement de l’action collective, agissant ainsi de façon dilatoire envers les membres du groupe, et ce, dans un contexte où Sunwing a déjà arrêté la pratique en litige et ne chercherait visiblement qu’à repousser la sanction de ses gestes illégaux.

[13]        Le Tribunal est d’avis que même si le Demandeur réussit à établir sommairement que la défense proposée en l’instance pourrait constituer un abus, Sunwing relève facilement son fardeau de démontrer qu’elle se justifie en droit.

[14]        En effet, il faut souligner que les deux poursuites ne font pas du tout appel aux mêmes paramètres juridiques. Dans le cadre de l’action collective, le Demandeur recherche la responsabilité contractuelle de Sunwing pour avoir commis des pratiques commerciales trompeuses et des fausses représentations aux consommateurs en lien avec la mise en marché de ses produits et services. En revanche, devant la Cour fédérale, elle était poursuivie en responsabilité extracontractuelle en raison de la confusion que créerait l’utilisation d’une appellation d’origine contrôlée proscrite par les lois traitant des marques de commerce.

[15]        Surtout, la convention de transaction à la base du jugement de la Cour fédérale est signée par Sunwing sans admission aucune. Ainsi, Sunwing ne reconnaît pas qu’elle aurait commis une infraction ou une faute et ne convient de renoncer à ses pratiques que pour l’avenir. En effet, le jugement de la Cour fédérale qui ordonne à Sunwing de mettre fin à l’utilisation du terme « champagne » dans le cadre de la mise en marché des services de voyage et de transport aérien qu’elle offre, ne s’applique qu’à compter du 18 décembre 2018 et ne possède aucune portée rétroactive. En revanche, l’action collective ne peut viser que la période de février 2014 à mai 2017, soit le moment où Sunwing cesse la pratique attaquée. En somme, le jugement de la Cour fédérale, bien que rendu à la suite d’un consentement, n’a pas la valeur juridique que le Demandeur lui attribue et ne rend pas la défense en l’instance, abusive.

* * * * *

[16]        Quant à l’expertise déposée par Sunwing, le Demandeur avance qu’elle n’est ni pertinente ni nécessaire et doit être exclue d’emblée au motif qu’elle ne contient pas d’opinion d’expert. Tous ces arguments apparaissent séduisants et mériteraient une analyse plus approfondie, n’eût été du passage suivant de l’arrêt Richard c. Time Inc.[7]:

[57]   En somme, à notre avis, l’art. 218 L.p.c. pose le critère de la première impression. En ce qui concerne la publicité fausse ou trompeuse, l’impression générale est celle qui se dégage après un premier contact complet avec la publicité, et ce, à l’égard tant de sa facture visuelle que de la signification des mots employés. Cette méthode d’analyse ressemble d’ailleurs à celle qui doit être appliquée en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, afin de déterminer si une marque crée de la confusion (Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, par. 41).

[17]        Ainsi, compte tenu de ce constat de la Cour suprême du Canada, le Tribunal ne peut conclure, à cette étape de la procédure, que l’expertise proposée par Sunwing n’est ni pertinente ni nécessaire. En effet, si la méthode d’analyse dans un dossier comme celui en l’instance « ressemble […] à celle qui doit être appliquée en vertu de la Loi sur les marques de commerce » - et ce, d’autant plus que la Cour suprême du Canada réfère dans cet extrait à son arrêt Masterpiece, lequel est fondé notamment sur un sondage - le Tribunal ne peut se priver de ce moyen de preuve.

[18]        Cela répond aussi à la prétention du Demandeur voulant que se servir d’un tel sondage usurperait le rôle du juge du fond. Le Tribunal comprend de l’opinion de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Time, qu’il s’agit davantage d’un outil visant la recherche de la vérité et permettant une défense pleine et entière, prévue à l’article 170 du Code de procédure civile[8].

[19]        Enfin, si un sondage des consommateurs est admissible en preuve, le Tribunal estime que seul un spécialiste de ce domaine pourra valablement le produire. Même s’il était envisageable que le contenu ou le produit de cet exercice de sonder les membres potentiels ne comprenne aucune opinion (cela serait en effet plutôt paradoxal, car le but de l’exercice est de déterminer l’impression générale de l’information dans la perspective d’un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté), la méthodologie, les moyens ou les techniques utilisés et encore l’analyse des résultats relève sans doute de l’expertise, car dépasse manifestement la connaissance judiciaire.

[20]        Il est vrai, en revanche, que l’opinion du public portant sur le mot « champagne » ou sur des expressions utilisant ce mot - alors qu’il s’agit de l’objet du sondage produit en défense, et que le sondage est uniquement téléphonique - occulte le contexte des publicités en litige et, surtout, les images utilisées, soit des flûtes remplies de boisson jaunâtre et pétillante. Ainsi, l’utilité de l’expertise proposée par Sunwing reste à déterminer. Toutefois, cet argument ne peut valoir à l’encontre de l’admissibilité de ce rapport mais uniquement quant à sa valeur probante, ce qui fera l’objet de l’instruction au fond.

PaR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]        REJETTE les demandes en rejet de défense et en rejet du rapport d’expertise;

[22]        AVEC frais de justice.

 

                                                                         

LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

 

 

Me Sébastien A. Paquette

ME SÉBASTIEN A. PAQUETTE, AVOCAT

et

Me Jérémie John Martin

CHAMPLAIN AVOCATS

Procureurs du demandeur

 

 

Me Éric Préfontaine

Me Nathalie Grand’Pierre

Mme Valérie Dupont-Ferlatte (stagiaire en droit)

OSLER, HOSKIN & HARCOURT, S.E.N.C.R.L./S.R.L.

Procureurs des défenderesses

 

Me Olivier Jean-Lévesque

SMART & BIGGAR

Procureur des mises en cause

 

 

Date d’audience :

                                              Le 13 juin 2019

 

 



[1]     Jugement du 18 décembre 2018, no de dossier T-532-17.

[2]     2848. L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même.

Cependant, le jugement qui dispose d’une action collective a l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties et des membres du groupe qui ne s’en sont pas exclus.

[3]     Québec Ready Mix Inc. c. Rocois Construction Inc., [1989] 1 R.C.S. 695; Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, 2006 QCCS 7084.

[4]     Décision d’autorisation du 16 avril 2018.

[5]     Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, précité, note 3, para 84-87.

[6]     À la suite d’une question du Tribunal, le Demandeur précise qu’il ne s’agit pas d’un argument fondé sur l’abus de procédure - préclusion développée par la Cour suprême du Canada dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 et réitéré entre autres dans Behn c. Moulton Contracting Ltd., 2013 CSC 26, mais de l’application classique des articles 51 et suivants du Code de procédure civile.

[7]     2012 CSC 8.

[8]     170. La défense, qu’elle soit orale ou écrite, consiste à faire valoir tous les moyens de droit ou de fait qui s’opposent au maintien, total ou partiel, des conclusions de la demande. Une partie peut alléguer dans sa défense tout fait pertinent, même survenu depuis l’introduction de la demande, et énoncer toutes les conclusions nécessaires pour écarter un moyen invoqué par les autres parties. (…)

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