Décision

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Pépin c. Caisse

2009 QCCA 1697

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-018536-086

(705-14-003642-076)

 

DATE :

6 OCTOBRE 2009

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

FRANÇOIS DOYON J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH J.C.A.

 

 

MANON PÉPIN

APPELANTE / Requérante

c.

 

LUCETTE CAISSE

et

MARIETTE CAISSE

et

GISÈLE CAISSE

INTIMÉES / Mises en cause

 

et

ROLLANDE BILODEAU

MISE EN CAUSE / Mise en cause

 

 

ARRÊT RECTIFICATIF

 

 

[1]                Par inadvertance deux erreurs d’écriture se sont glissées dans les motifs accompagnant l’arrêt du 11 septembre 2009 :

1.         À la page 8 des Motifs de la juge Bich, à la première ligne du paragraphe [40], ainsi qu’à la page 48, à la neuvième ligne du paragraphe [146], on aurait dû lire l’« article 760 C.c.Q. » au lieu de l’« article 760 C.p.c. ».

[2]                EN CONSÉQUENCE, LA COUR :

[3]                RECTIFIE l’arrêt du 11 septembre 2009 afin de substituer à la page 8 des Motifs de la juge Bich, à la première ligne du paragraphe [40], ainsi qu’à la page 48, à la neuvième ligne du paragraphe [146], l’abréviation « C.c.Q. » à l’abréviation « C.p.c. ».

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH J.C.A.

 

Me André Laporte

Laporte & Lavallée

Avocat de l’appelante

 

Me Caroline Drouin

Ferland & Bélair

Avocate des intimées

 

Date d’audience :

le 5 septembre 2008


Pépin c. Caisse

2009 QCCA 1697

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-018536-086

(705-14-003642-076)

 

DATE :

11 SEPTEMBRE 2009

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

FRANÇOIS DOYON J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH J.C.A.

 

 

MANON PÉPIN

APPELANTE / Requérante

c.

 

LUCETTE CAISSE

et

MARIETTE CAISSE

et

GISÈLE CAISSE

INTIMÉES / Mises en cause

 

et

ROLLANDE BILODEAU

MISE EN CAUSE / Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur l’appel d’un jugement de la Cour supérieure, district de Joliette (l’honorable Lise Matteau), qui, le 28 février 2008, déclare sans effet le legs universel dévolu à l’appelante aux termes du testament olographe de feue Norma McQuenny Caisse;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Dalphond et Doyon :

[4]                ACCUEILLE l’appel;

[5]                INFIRME le jugement de première instance;

[6]                DÉCLARE que le premier alinéa de l'article 760 C.c.Q. ne s'applique pas au testament olographe;

[7]                DÉCLARE que le legs dévolu à l’appelante n’est pas inefficace du fait de l’article 760 C.c.Q.;

[8]                RENVOIE les parties à la Cour supérieure pour qu'elles y reprennent le débat sur la vérification;

[9]                LE TOUT, sans frais, tant en première instance qu'en appel.

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH J.C.A.

 

Me André Laporte

Laporte & Lavallée

Avocat de l’appelante

 

Me Caroline Drouin

Ferland & Bélair

Avocate des intimées

 

Date d’audience :

le 5 septembre 2008


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[10]           L'article 760 C.c.Q. rend-il nul le legs fait à la personne qui, à titre de témoin de la confection d'un testament olographe, appose sa signature sur celui-ci? C'est là le cœur du pourvoi, qui soulève aussi plusieurs questions procédurales.

A.        Contexte

[11]           Par testament notarié du 23 octobre 1997, Norma Caisse léguait à la mise en cause Rollande Bilodeau un lot de cimetière ainsi qu'une somme de 1 000 $, laissant le reste de ses biens à ses sœurs, les intimées Lucette, Mariette et Gisèle Caisse et désignant la première comme liquidatrice de la succession.

[12]           Le 18 janvier 2007, Mme Caisse, alors hospitalisée en raison d'une chute et d'une fracture de l'épaule droite, aurait cependant rédigé de sa main le testament suivant, sur lequel figure ce qui paraît être sa signature ainsi que celle de deux autres personnes dont l'appelante Manon Pépin :

Hôpital de Joliette

18 janvier 2007

Moi Norma Caisse je laisse a Manon Pepin ma maison et tout mes bien car ses la seul qui ses occupe de moi tout au long de ma maladie et durant toute ses année.

                        (s) Norma Caisse

                        (s) Manon Pepin

                        (s) Michel Lefebvre

[Reproduit textuellement et sans correction.]

[13]           Mme Caisse décède le 21 janvier 2007.

[14]           En mai 2007, l'appelante institue les procédures nécessaires à la vérification du testament à titre de testament olographe. Les intimées[1] contestent la demande, alléguant que le testament est un faux, qu'il ne peut être de la défunte puisque celle-ci n'était pas dans une condition physique lui permettant d'écrire et qu'au surplus il ne respecte pas les exigences du Code civil du Québec.

[15]           Des rapports d'expert et leurs compléments respectifs sont produits par la suite, l'expert de l'appelante concluant à l'authenticité du testament olographe et l'experte des intimées concluant plutôt au faux.

[16]           Le processus de vérification testamentaire est cependant interrompu dans les circonstances suivantes.

[17]           Le 6 février 2008, à la veille de l'audience sur la vérification, audience qui doit se tenir devant la juge Matteau, les avocats des parties se présentent devant le juge Jean Guibault, coordonnateur du district de Joliette, « afin de lui exposer la pertinence de faire trancher la question de l'application de l'article 760 C.c.Q. en regard du testament, pièce R-2, avant de procéder à l'audition au fond de la requête en vérification d'un testament »[2]. Le juge Guibault ne statue pas sur la recevabilité de la demande, mais défère simplement celle-ci à sa collègue Matteau.

[18]           Le 7 février, les parties, se fondant sur les articles 448 et 453 C.p.c., produisent une procédure conjointe intitulée « Demande de décision ou déclaration sur un point de droit », énonçant ce qui suit :

Le legs fait à la demanderesse Manon Pépin suivant le testament olographe versé au dossier sous cote R-2 est-il, suivant application des dispositions de l'Article 760 C.c.Q., alinéa 1, sans effet parce que fait à un témoin et peu importe les circonstances de son intervention comme témoin?

[19]           Cet acte de procédure, daté du 7 février 2008, est signé par Me Claude Pouliot, alors avocat de l'appelante, ainsi que par Ferland & Bélair, avocats des intimées. C'est sur cette demande que la juge Matteau accepte de statuer, comme elle l'explique dans son jugement :

[8]        Il est donc utile de décider dès à présent de la question de droit ci-avant mentionnée puisque, dépendamment de la conclusion à laquelle le Tribunal en arrivera et vu les dispositions du testament olographe dont il est ici question, telle conclusion est susceptible de disposer du litige qui oppose les parties.

[20]           Voici le corps du procès-verbal de l'audience du 7 février, qui confirme la participation active de Me Pouliot à la démarche conjointe des parties :

9 h 28

Identification

Madame Manon Pépin est présente (requérante)

Madame Gisèle Caisse est présente (intimée)

Échange entre le Tribunal et les procureurs

9 h 30

Dépôt par Me Pouliot de : « Demande de décision ou déclaration sur un point de droit (art. 448 et ss. et 453 et ss. Cpc) » en date du 7 février 2008.

Représentations de Me Pouliot sur sa demande

9 h 52

Représentations de Me Drouin

10 h 11

Réplique de Me Pouliot

10 h 20

Le Tribunal permet à Me Pouliot, s'il l'estime nécessaire qu'il pourra compléter son argumentation d'ici le 15 février 2008 et pour Me Drouin au 22 février 2008 en faisant parvenir les documents au bureau de l'Honorable Juge Matteau.

Le dossier sera pris en délibéré le 22 février 2008 sur la « Demande de décision ou déclaration sur un point de droit (art. 448 et ss. et 453 et ss. Cpc) »

La Requête en vérification d'un testament (003) et la Requête amendée en vérification d'un testament (007) suivront le sort de la décision : « Demande de décision ou déclaration sur un point de droit (art. 448 et ss. et 453 et ss. Cpc) »

10 h 21

Fin de l'audience

[Je souligne.]

* *

[21]           Le débat devant la Cour supérieure porte sur l'interprétation de l'article 760 C.c.Q., qui énonce que :

760.     Le legs fait au témoin, même en surnombre, est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même, pour la partie qui excède sa rémunération, du legs fait en faveur du liquidateur ou d'un autre administrateur du bien d'autrui désigné au testament, s'il agit comme témoin.

[22]           Selon l'appelante, cette disposition ne viserait que le testament notarié et le testament devant témoins, qui requièrent, de par la loi, la présence d'un ou deux témoins. Elle ne s'appliquerait toutefois pas au testament olographe, qui n'a pas à être attesté par un témoin. Les intimées prétendent au contraire que l'article 760 C.c.Q. vise le testament olographe aussi bien que le testament notarié ou devant témoins, son langage étant général et ne se prêtant pas à la restriction suggérée par l'appelante.

[23]           Par jugement du 28 février 2008, la juge Matteau donne gain de cause aux intimées :

[20]      C'est ainsi que même s'il doit donner plein effet à la volonté clairement exprimée du testateur, le Tribunal ne saurait ignorer que le législateur a prévu que telle volonté ne sera pas suivie si ce dernier a fait un legs à un témoin, et ce, peu importe l'importance du legs et la forme du testament.

[21]      Comment en effet expliquer que le législateur aurait, d'une part, adopté une disposition qui tend manifestement à empêcher qu'un témoin exerce une influence indue sur les dernières volontés du testateur en entravant de quelque façon que ce soit sa liberté d'expression et, d'autre part, voulu exclure le testament olographe de l'application de cette disposition alors qu'il est facile d'imaginer que sous cette forme notamment, le testateur n'est certes pas à l'abri de la possibilité de telle influence?

[22]      Poser la question, c'est y répondre.

[23]      Mais, il y a plus.

[24]      Contrairement à ce qui existait sous le Code civil du Bas Canada et qui a certes pu contribuer à susciter une controverse jurisprudentielle sur cette question [renvoi omis], la disposition qui est ici au cœur du présent litige se retrouve à la section IV (De la caducité et de la nullité des legs) du Chapitre 4 (Des dispositions testamentaires et des légataires) du Titre IV (Des testaments).

[25]      C'est ainsi qu'après avoir traité, au Chapitre 3 de tel titre, des différentes formes de testaments (soit le testament notarié, le testament olographe et le testament devant témoins), le législateur fait état, dans un chapitre distinct (le Chapitre 4), des règles applicables aux dispositions testamentaires et aux légataires, l'article 760 C.c.Q. se retrouvant à la Section IV de tel chapitre.

[26]      Force est de conclure que le législateur a ici clairement exprimé sa volonté d'appliquer cette disposition à toutes les formes de testament, notamment au testament olographe.

[27]      Si telle n'avait pas été son intention, vu la section et le chapitre où se retrouve l'article 760 C.c.Q., le Tribunal est d'avis que le législateur aurait, soit expressément soustrait à son application le testament olographe, soit expressément restreint son application au testament notarié et au testament devant témoins.

[28]      Par ailleurs, il apparaît illogique que le législateur ait voulu, d'une part, prévoir la situation où un legs a été dévolu à un témoin en surnombre et, d'autre part, en exclure son application à celui ou celle qui agit à titre de témoin dans le cadre d'un testament olographe et alors que tel témoin est inévitablement en surnombre, puisque non essentiel à sa validité.

[24]           Par conséquent, la juge déclare sans effet le legs dévolu à l'appelante.

* *

[25]           L'appelante se pourvoit ou, plus exactement, tente de se pourvoir par la voie d'une requête pour permission d'appeler formulée en vertu de l'article 26 , second alinéa, paragr. 1, C.p.c., déposée au greffe de la Cour le 26 mars 2008 et présentée à un de ses juges le 2 mai 2008. Les intimées s'opposent à la requête et font valoir que l'appel est de plein droit, qu'il aurait dû être formé par voie d'inscription et qu'étant maintenant hors délai, il est irrecevable. Le 7 mai 2008, exprimant un avis préliminaire favorable à l'inscription en appel, et donc à l'appel de plein droit, le juge Yves-Marie Morissette accueille tout de même de bene esse la requête, suggérant cependant à l'appelante de présenter à la formation qui entendra le pourvoi une requête pour permission d'appeler hors délai, en vertu de l'article 523 C.p.c., afin de permettre à la Cour de statuer sur la procédure applicable. Le 9 mai 2008, l'appelante signifie et produit une telle requête que la Cour a accueillie de bene esse, sans frais.

[26]           Cela étant, il ne sera pas nécessaire de statuer sur la question de savoir si l'appel devait être formé par voie d'inscription, au sens des articles 26 , premier alinéa, et  495 C.p.c., ou par voie de requête pour permission d'appeler, au sens des articles 26, premier alinéa, ou 29, premier alinéa, C.p.c.

B.        Analyse

[27]           Le pourvoi porte essentiellement sur l'application de l'article 760 C.c.Q. au testament olographe. L'appelante soulève cependant, de manière préalable, un certain nombre de questions procédurales et reproche à la juge de première instance d'avoir accepté de statuer sur la demande que les parties lui ont adressée. Je traiterai d'abord de ces questions.


1.         Questions procédurales

[28]           L'appelante soutient que la juge de première instance a erré en acceptant de statuer sur la question de droit qui lui a été soumise. Ainsi — et je reformule ses prétentions —, elle affirme que :

-           La demande d'adjudication ne pouvait être reçue puisqu'elle ne se rattache pas à la demande de vérification dans le cadre de laquelle elle est formulée, la juge s'étant « attribuée erronément compétence pour se prononcer quant à la validité d'un legs dans le cadre d'une requête en vérification de testament »[3].

-           La demande d'adjudication sur un point de droit, présentée en vertu de l'article 452 C.p.c., ne pouvait être reçue, aucun affidavit n'accompagnant cette demande, ce qui est contraire à l'article 88 C.p.c., auquel renvoie explicitement l'article 452 C.p.c.

-           La demande d'adjudication ne pouvait être reçue puisque les parties ne s'entendent pas sur les faits, contrairement à ce qu'exige l'article 448 C.p.c.

-           La demande ne peut être reçue davantage au titre de l'article 453 C.p.c., aucune difficulté « réelle », c'est-à-dire née et actuelle, n'existant ici en l'absence d'un testament dûment vérifié.

[29]           À cela, les intimées opposent une fin de non-recevoir : l'appelante ne peut pas dénoncer pour la première fois en appel une démarche procédurale à laquelle elle a non seulement consenti, mais activement collaboré.

[30]           On doit donner raison aux intimées.

[31]           L'appelante n'a en effet rien soulevé en première instance de ce qu'elle avance maintenant en appel au sujet de l'illégalité ou de l'inopportunité de la procédure. Elle le fait aujourd'hui à la suite, vraisemblablement, d'un changement d'avocat, celui qui la représente maintenant n'étant pas celui qui l'a représentée devant la Cour supérieure. J'estime cependant que, malgré ce changement, l'appelante ne peut s'en prendre à une procédure à laquelle elle a non seulement consenti, mais qu'elle a présentée à la Cour supérieure de concert avec les intimées. Autrement dit, même si l'on pouvait critiquer les parties pour avoir soumis, au stade de la vérification du testament, une demande fondée sur les articles 448 et 452 ou 453 C.p.c., l'appelante n'en demeure pas moins l'une des auteures de cette démarche, elle y a acquiescé, elle y a participé et, en l'absence d'une preuve de préjudice (lequel n'est d'ailleurs pas allégué) ou de violation d'une norme d'ordre public, on ne peut accepter qu'elle fasse aujourd'hui grief à la juge de première instance d'avoir statué comme on l'en priait. Il n'importe pas, dans ces circonstances, que son nouvel avocat soit en désaccord avec la stratégie employée par son prédécesseur et rompe pour cette raison le contrat judiciaire.

[32]           Par ailleurs, la démarche conjointe des parties a un certain avantage car, si le legs consenti à l'appelante est sans effet à cause de l'article 760 C.c.Q., il sera inutile de poursuivre les procédures de vérification; par contre, si l'article 760 C.c.Q. ne s'applique pas et que le legs est valide, alors les parties seront mieux à même de débattre de l'authenticité ou de la fausseté du testament. D'une certaine façon, les parties ont choisi d'aller au plus pratique, mais aussi au plus court, en décidant de faire statuer d'abord sur la validité du legs, plutôt que de poursuivre un long et coûteux débat d'experts sur l'authenticité du testament de feue Norma Caisse. Les termes des articles 448 et 452 C.p.c. (et même de l'article 453 C.p.c.) sont suffisamment larges pour leur permettre de procéder comme elles l'ont fait et pour permettre à la Cour supérieure de statuer sur la demande, qui relève de sa compétence, tout comme la procédure de vérification du reste.

[33]           Bien sûr, il peut paraître curieux, à première vue, qu'on se penche sur la validité du legs stipulé par un testament dont l'authenticité n'a pas encore été reconnue. En effet, cela semble donner un caractère hypothétique à la question soulevée par la demande d'adjudication : si le testament est vérifié comme testament olographe, l'article 760 C.c.Q. rend-il nul le legs en faveur de l'appelante? Ce que la raison pure pourrait voir comme une entorse à la logique usuelle n'en est pas une, cependant, quand on considère le côté pratique du débat et ne paraît pas non plus un obstacle dirimant, vu la nature de la question de droit ainsi soulevée, qui se posera inévitablement si le testament est vérifié et reconnu comme olographe. En outre, vu le contrat judiciaire établi entre les parties en première instance, tel qu'indiqué plus haut, il ne serait pas approprié d'infirmer le jugement de première instance en raison du caractère potentiellement hypothétique de la réponse qui pourrait être donnée à la question de fond, qui est purement de droit.

[34]           Dans les circonstances, infirmer le jugement et renvoyer les parties à la vérification, comme le souhaite l'appelante, avant de statuer sur le sens à donner à l'article 760 C.c.Q. et sur la validité du legs, engendrerait une perte de temps et d'argent et, de plus, un gaspillage des ressources judiciaires.

[35]           La procédure aurait-elle néanmoins dû être rejetée, comme le prétend l'appelante[4], faute d'être accompagnée d'un affidavit conforme à l'article 88 C.p.c.?

[36]           La « demande de décision ou déclaration sur un point de droit » que les parties ont soumise à la juge Matteau se contente d'énoncer, au chapitre des faits, un legs fait à l'appelante suivant le testament olographe versé au dossier de vérification. Aucun affidavit n'accompagne cette demande.

[37]           L'article 88 C.p.c. (auquel renvoie expressément l'article 452 C.p.c.) dispose que :

88.       À moins d'une disposition expresse au contraire, une demande en cours d'instance se fait par requête au tribunal, ou à un juge si le tribunal n'est pas en session et qu'il y ait urgence.

            La requête doit être appuyée d'un affidavit attestant la vérité des faits allégués dont la preuve n'est pas déjà au dossier, et elle ne peut être contestée qu'oralement, à moins que le tribunal ne permette la contestation écrite dans le délai et aux conditions qu'il détermine.

            Lors de l'audition de la demande, toute partie peut présenter une preuve appropriée.

[Je souligne.]

[38]           Or, en application du second alinéa ci-dessus, on doit conclure qu'aucun affidavit n'était requis ici, les faits pertinents, c'est-à-dire l'existence d'un document ayant les apparences d'un testament olographe et l’apposition de la signature de l’appelante sur ce document à titre de « témoin » des volontés de la défunte, étant déjà attestés par des affidavits produits au soutien de la requête pour vérification. Le dossier fait ressortir en outre que, sur ces faits essentiels à la demande et aux fins de celle-ci, les parties s'entendent (sans que les intimées renoncent pour autant à faire valoir la fausseté du document advenant que la Cour décide que l'article 760 C.c.Q. ne vise pas le legs fait au témoin d'un testament olographe).

2.         L'article 760 C.c.Q. est-il applicable au testament olographe?

[39]           L'affaire, comme on pourra le constater, n'est pas facile et même si j'en viens, comme on le constatera également, à une conclusion différente de celle de la juge de première instance, je m'empresse de dire que ce n'est pas à raison d'un défaut dans ses motifs. Deux thèses s'affrontent ici, en effet, qui ont toutes deux leurs mérites : la juge de première instance a choisi l'une de ces thèses, je choisis l'autre, mais il n'y a là qu'un désaccord sur le droit et non l'expression d'un reproche.

* *

[40]           Reprenons le texte de l'article 760 C.p.c. :

760.     Le legs fait au témoin, même en surnombre, est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même, pour la partie qui excède sa rémunération, du legs fait en faveur du liquidateur ou d'un autre administrateur du bien d'autrui désigné au testament, s'il agit comme témoin.

[41]           Le premier alinéa de cette disposition vise-t-il le legs fait au témoin d'un testament olographe?

[42]           La question est peu discutée en jurisprudence : outre le jugement de l'espèce, je n'ai trouvé qu'une seule autre affaire se prononçant sur le même sujet et concluant d'ailleurs dans le même sens[5]. La doctrine n'est pas beaucoup plus diserte, qui ne traite pas du sujet[6] ou se contente d'allusions, ici et là[7]. Les remarques les plus détaillées — si l'on peut dire — sont celles que l'on trouve dans Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ) :

Les dispositions de cet article devraient s'appliquer tant aux testaments notariés que devant témoins [au sujet des testaments notariés et devant témoins, voir les commentaires relatifs aux art. 716 à 725 et 727 à 730 C.c.Q., EYB2000DCQ188, EYB2000DCQ199]. Le testament notarié ne requiert la présence que d'un seul témoin, sauf exception, alors que la présence de deux témoins est nécessaire à la validité du testament devant témoins [art. 716, al. 1 et 727, al. 2 C.c.Q.]. Tout autre témoin supplémentaire est en surnombre.

Bien que la présence d'un témoin ne figure pas parmi les conditions de validité du testament olographe, il arrive parfois qu'un testament fait sous cette forme porte la signature d'une autre personne en plus de celle du testateur [art. 726 C.c.Q.]. Peut-on alors qualifier cette personne de témoin et ainsi invalider le legs que le testateur lui aurait fait ? La jurisprudence antérieure était divisée à ce sujet. Par exemple, dans l'affaire Filion c. Lebrun [renvoi omis], la forme du testament respectait aussi bien les conditions de validité du testament devant témoins que celles du testament olographe. Le tribunal a conclu que la règle de la nullité des legs faits aux témoins s'appliquait également aux testaments olographes. Il a par conséquent prononcé la nullité du legs.

Par contre, dans l'affaire Fraser c. Fraser [renvoi omis], la Cour supérieure a jugé que cette même règle ne s'appliquait pas aux testaments olographes puisque la présence d'un témoin ne figure pas parmi les formalités prescrites pour sa validité. Elle a également précisé que la signature d'une autre personne, en l'occurrence le fils de la testatrice, ne permettait pas de qualifier ce dernier de « témoin » au sens du Code. Ce jugement a été rendu sur la base de l'article 846 C.c.B.C.

La précision apportée à l'article 760 C.c.Q., par les termes « même au témoin en surnombre », permet peut-être de clarifier cette question.[8]

[43]           On notera qu'avant l'avènement du Code civil du Québec, les articles 846 et 853 C.c.B.-C. prévoyaient aussi la nullité du legs fait au témoin, mais l'on semble avoir limité dans un premier temps l'application de ces dispositions aux testaments authentiques et de forme anglaise (voir infra). Dans un second temps, la question s'est finalement posée de la validité du legs fait au témoin d'un testament olographe, mais la jurisprudence n'était pas beaucoup plus abondante et la doctrine pas davantage (j'y reviendrai plus loin). Un débat parallèle, commenté cette fois par les auteurs, existait par ailleurs, dans le cas d'un testament notarié ou fait selon la forme dérivée de la loi d'Angleterre, sur le problème du témoin en surnombre[9], problème dont je reparlerai ultérieurement.

* *

[44]           Devant l'état relativement pauvre de la jurisprudence et de la doctrine, les parties font respectivement valoir des arguments que je me permets de résumer très succinctement :

-           prétention de l'appelante : de par son texte (et notamment l'emploi du mot « surnombre », qui suppose l'exigence d'au moins un témoin) et son contexte, l'article 760 C.c.Q. ne peut s'appliquer qu'aux testaments requérant la présence et la signature d'un ou de plus d'un témoin, ce qui est le cas du testament notarié et du testament devant témoins, mais non du testament olographe. Puisqu'aucun témoin n'est requis dans le cas du testament olographe, la présence ou la signature d'un tel témoin, qui est inutile et superflue, doit être ignorée et ne saurait entraîner l'application de l'article 760 C.c.Q. Conclure autrement serait faire fi des volontés du testateur, qui doivent primer, selon l'intention même du législateur, ce dont témoigne en particulier l'article 714 C.c.Q.

-           prétention des intimées : l'article 760 C.c.Q. vise à assurer le respect des véritables volontés du testateur, éviter les conflits d'intérêts et offrir une certaine protection contre la captation. Compte tenu de ces objectifs, rien ne justifie d'exclure le testament olographe de la portée de l'article 760 C.c.Q., disposition qui se trouve d'ailleurs dans une section du Code civil du Québec applicable à toutes les formes de testament. Celui qui signe un testament olographe à titre de témoin est en surnombre au sens de cette disposition. Il est vrai que le législateur n'exige pas que le testament olographe soit attesté par un témoin, mais il ne l'interdit pas non plus et il est logique que l'article 760 C.c.Q. s'applique lorsque le testateur choisit d'avoir un témoin.

* *

[45]           Il peut être utile de rappeler l'état de la situation existant avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec. L'article 760 C.c.Q. a en effet succédé aux articles 846 et 853 C.c.B.-C., qui énonçaient que :

846.     Les legs faits aux notaires ou aux témoins, ou aux conjoints des notaires ou des témoins ou à quelqu'un de leurs parents au premier degré, sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament.

            L'exécuteur testamentaire qui n'est pas gratifié ni rémunéré par le testament y peut servir de témoin.

853.     Dans les testaments faits suivant la même forme, les legs faits aux témoins, à leur conjoint ou à quelqu'un de leurs parents [au premier degré,] sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament.

            La capacité de l'exécuteur testamentaire de servir comme témoin suit les mêmes règles que dans le testament sous la forme authentique.

[46]           Ces dispositions sont d'origine, en ce qu'elles figuraient depuis 1866 au Code civil du Bas-Canada. Dans leur rapport, les codificateurs de l'époque, en 1865, avaient suggéré ceci :

Proposition relative à ce qui deviendra l'article 846 C.c.B.-C.(chapitre troisième du titre deuxième du livre troisième)

99.       Le testament est nul en totalité lorsqu'il y est fait quelque legs aux notaires ou à leurs parents et alliés jusqu'au degré de cousin-germain inclusivement, à moins, quant aux parents et alliés, que le legs à eux fait ne soit d'une valeur minime.

            Il y a pareillement nullité pour le tout à cause des legs faits aux témoins en général, et des legs universels ou à titre universel faits aux parents et alliés des témoins jusqu'au même degré inclusivement; mais rien n'empêche que des legs particuliers soient faits aux parents et alliés des témoins.

            L'exécuteur testamentaire qui n'est pas gratifié ni rémunéré par le testament peut y servir de témoin.

(Amendement suggéré.)

99a.     Les legs faits aux notaires ou aux témoins, et à leurs parents et alliés jusqu'au degré de cousin-germain inclusivement, sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament.

            L'exécuteur testamentaire qui n'est pas gratifié ni rémunéré par le testament y peut servir de témoin

            C. Canton de Vaud, 655.— Autorités du droit anglais à l'art. 107.

Proposition relative à ce qui deviendra l'article 853 C.c.B.-C.(chapitre troisième du titre deuxième du livre troisième)

107.     Dans les testaments faits suivant la même forme, les legs faits aux témoins et à leurs parents et alliés jusqu'au degré de cousin-germain inclusivement, sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament.

            La capacité de l'exécuteur testamentaire de servir comme témoin suit les mêmes règles que dans le testament sous la forme authentique.

            Stat. Imp. 25 Geo. II, c. 6.— 1 Stephen, 575.— Alnutt, Practice of Wills, 93, 170.— Jarman, on wills, 65 et suiv.— Christie, Precedents of Wills, 153, 171, 173.— Parsons, on Wills, 19.[10]

[47]           Le second alinéa de l'article 107 est intéressant en ce qu'il renvoie au dernier alinéa des articles 99 et 99a, laissant sous-entendre que ces derniers visent le testament authentique.

[48]           Les codificateurs commentent ainsi les articles 99 et 99a :

            L'article 99, à part de ce qui concerne l'exécuteur testamentaire, expose la règle qui veut qu'il y ait nullité absolue de l'acte à cause des legs faits aux notaires, à leurs parents, et aux témoins. Cette règle est trop rigoureuse, injuste envers les légataires, et va au-delà de l'abus qu'on a voulu prévenir. Cependant elle existe indubitablement. L'article en amendement 99a est destiné à la changer en se bornant à déclarer ces sortes de legs nuls sans que le surplus de l'acte en soit affecté. Cette disposition se trouve dans le code civil du Canton de Vaud, qui paraît avoir été rédigé avec bien du soin, Elle est en même temps la règle actuelle des testaments faits suivant la forme anglaise, ainsi qu'il est porté plus loin à l'article 107, la rigueur du droit ayant été aussi en Angleterre modifiée anciennement. Dans le changement de l'un ou l'autre droit requis pour l'uniformité, c'est donc l'ancienne loi du Bas Canada qu'il est sur ce point proposé de changer.[11]

[49]           Notons que les articles 99 et 99a se trouvent dans une section portant sur la forme des testaments, qui comporte les articles 91 à 109. Le passage suivant des commentaires des codificateurs est intéressant :

            L'article 93e [devenu l'article 842 C.c.B.-C.] expose les trois formes suivant lesquelles on peut tester, la forme authentique, la forme olographe, et celle dérivée de la loi d'Angleterre.

            L'article 94 [devenu l'article 843 C.c.B.-C.] commence l'exposé des règles de la forme authentique. […]

[suivent ensuite les commentaires sur les articles 94a à 100b, devenus les articles 844 à 847 C.c.B.-C., les articles 101 et 102 concernant les testaments authentiques devant curés ou vicaires et les testaments des militaires et des marins, devenus les articles 848 et 849 C.c.B.-C. Il n'y a pas d'article 103.]

            L'article 104 [devenu l'article 850 C.c.B.-C.] est le seul qui concerne le testament olographe quant à sa forme, et contient ce qu'il est nécessaire d'en dire.

            L'article 105 expose les règles du testament suivant la forme anglaise telles qu'elles existaient en Angleterre en 1774, époque de l'introduction de cette forme dans le Bas Canada. Telle doit être encore la loi actuelle.

[…][12]

[Je souligne.]

[50]           Cette partie des commentaires laisserait donc elle aussi entendre que les articles 99 et 99a, devenus l'article 846 C.c.B.-C., ne s'appliqueraient a priori qu'au testament authentique.

[51]           Pour ce qui est de l'article 107, devenu l'article 853 C.c.B.-C., voici les commentaires des codificateurs :

            L'article 107 déjà commenté aussi, regarde les legs faits aux témoins et à leurs parents; la loi anglaise est ici conforme à l'amendement suggéré plus haut quant aux testaments authentiques.[13]

[Je souligne.]

[52]           L'amendement auquel on renvoie ici est celui de l'article 99a, devenu l'article 846 C.c.B.-C., confirmant ainsi l'application de celui-ci aux testaments authentiques.

[53]           Postérieurement à l'entrée en vigueur du Code civil du Bas-Canada, d'ailleurs, l'avis général était que l'article 853 C.c.B.-C. ne visait que le testament fait suivant la forme dérivée de la loi d'Angleterre, ce qui paraît indubitable. Et pendant longtemps, on semble avoir en outre, selon le modèle proposé par les codificateurs de 1865, tenu pour acquis que l'article 846 C.c.B.-C. s'appliquait seulement au testament authentique, du moins s'il faut en croire la doctrine de l'époque, personne n'ayant évoqué la possibilité qu'elle s'applique au testament olographe.

[54]           Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, ni Mignault[14] ni Roch[15], dans leurs ouvrages respectifs, n'abordent la question de la validité du legs au témoin d'un testament olographe et le premier traite de l'article 846 C.c.B.-C. dans la section de son ouvrage consacré au testament authentique. Dans son ouvrage de 1982 sur les libéralités, Brière traite encore de l'article 846 C.c.B.-C. comme s'il s'appliquait aux seuls testaments authentiques (l'article 853 s'appliquant aux testaments de forme anglaise)[16].

[55]           En 1972, cependant, dans Dame Brassard-Barrette[17], la Cour supérieure, malgré que l'affaire ne concerne pas un testament olographe, affirme de manière lapidaire que « les dispositions de l'article 846 C.c. s'appliquent à tout testament quelle qu'en soit sa forme ». Il ne semble pas que ce jugement ait eu beaucoup de retentissement dans la doctrine, du moins pas sur la question de la validité du legs au témoin du testament olographe.

[56]           En 1988, dans Filion c. Lebrun[18], on pousse l'analyse plus loin en s'interrogeant notamment sur la situation de l'article 846 à l'intérieur du Code civil du Bas-Canada. La disposition, en effet, est insérée dans une section générale (« De la forme des testaments », articles 840 à 855) traitant, comme son titre l'indique, des différentes formes de testament et de leurs formalités respectives, ce qui peut laisser entendre qu'elle vise tous les testaments, peu importe leur forme. Au sein de cette section, l'article 846 fait cependant partie d'un groupe de dispositions dévolues au testament authentique (article 843 à 847 C.c.B.-C.), ce qui pourrait laisser croire qu'il ne s'applique qu'à ce dernier, l'article 853 visant par ailleurs expressément le seul testament en forme anglaise, ce qui laisserait le testament olographe échapper à cette contrainte. Malgré ce qu'en disait le rapport des codificateurs, qui ne lui a apparemment pas été soumis, c'est la première hypothèse que retiendra la Cour supérieure dans Filion, où il s'agissait d'un testament rédigé entièrement de la main du testateur, dont la signature était attestée par deux témoins qui se trouvaient également à être les légataires. Le testament répondait tout à la fois aux exigences du testament olographe et à celles du testament fait selon la forme dérivée de la loi d'Angleterre. La Cour supérieure conclut que les legs sont nuls dans l'un et l'autre cas, et ce, tant en vertu de l'article 853, applicable aux testaments en forme anglaise, que de l'article 846 C.c.B.-C., applicable selon elle au testament olographe aussi bien qu'à l'authentique. Elle explique que :

            Considérant le testament R-1 comme validement fait sous la forme dérivée de la Loi d'Angleterre, il nous faut nécessairement conclure qu'en l'espèce les legs faits aux témoins, Richard Lebrun et Stéphan Delisle, sont nuls en vertu des dispositions de l'article 853 C.civ. :

[…]

            C'est ici que se situe la véritable difficulté à laquelle est confronté le requérant : les dispositions de l'article 846 C.civ. s'appliquent-elles aux legs dévolus à un ou des témoins d'un testament olographe?

L'article 846 C.civ. est à l'effet que :

« Art. 846. Les legs faits aux notaires ou aux témoins, ou aux conjoints des notaires ou des témoins ou à quelqu'un de leurs parents au premier degré, sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament. »

            Nous sommes d'avis que les dispositions de l'article 846 C.civ. s'appliquent effectivement aux legs dévolus aux témoins d'un testament olographe.

     En effet, bien que l'article 846 C.civ. apparaisse être inséré au Code civil parmi les articles traitant plus particulièrement des conditions relatives à la validité des testaments suivant la forme notariée ou authentique, il nous faut aussi considérer qu'il fait partie de la même section du Code civil que l'article 850 C.civ. à savoir la Section II « De la forme des testaments » incluse dans le chapitre III « Des testaments », du titre II « Des donations entre vifs et testamentaires ».

     Mais, et surtout, il nous faut bien constater que l'article 846 C.civ. ne contient aucune mention ayant pour effet de restreindre l'application des dispositions qu'il contient au testament fait sous la forme authentique.

            D'autre part, pourquoi le législateur, qui tant à l'article 846 C.civ. qu'à l'article 853 C.civ., adopte des dispositions qui tendent manifestement à empêcher que les personnes visées à ces articles puissent exercer une influence sur les dispositions testamentaires en entravant de quelque façon que ce soit la liberté d'expression du testateur, aurait-il voulu exclure le testament sous la forme olographe de l'application de telles dispositions alors qu'on peut facilement imaginer qu'en faisant un testament sous la forme olographe, le testateur n'est certainement pas à l'abri de la possibilité d'influences indues?

            Si un testament olographe peut être rédigé par le testateur « sans qu'il soit besoin de notaire ni de témoins » (article 850 C.civ.), l'intervention d'un ou de plusieurs témoins n'est pas pour autant de nature à le rendre invalide et alors, comme en l'espèce, nous sommes d'avis que les dispositions de l'article 846 C.civ. s'appliquent à ce testament en frappant de nullité les legs qui pourraient être consentis aux éventuels témoins. C'est à notre avis ce qui explique pourquoi d'une part le législateur n'a pas restreint l'application des dispositions de l'article 846 C.civ. et d'autre part, pourquoi il n'a pas adopté spécifiquement, immédiatement après l'article 850 C.civ., des dispositions relatives aux legs dévolus aux témoins d'un testament olographe.[19]

[57]           C'est à compter de cette décision qu'on commence à trouver quelques observations dans la doctrine sur la validité du legs fait au témoin du testament olographe. Par exemple, dans la seconde édition de son précis sur les successions, Brière note laconiquement ce qui suit :

Quant à la signature de témoins après celle du testateur, elle n'affecterait pas la validité du testament; on a cependant déclaré nuls des legs particuliers faits à des personnes qui avaient signé comme témoins.[20]

[58]           Le second membre de ce passage est assorti de la note infrapaginale 304a, qui énonce :

Filion c. Lebrun, J.E. 88-799 (C.S.). Observons que l'on a appliqué en l'instance l'article 846 C.c.B.-C., dont on pourrait penser qu'il ne s'applique qu'au testament notarié.[21]

[59]           Un peu plus loin dans le même ouvrage, revenant sur le sujet, Brière écrit :

La question de valeur d'un legs fait à un témoin ne devrait pas se poser pour le testament olographe. Il arrive cependant qu'une personne faisant son testament sous cette forme pense bien faire en obtenant la signature d'un ou deux témoins. Or on a jugé que le legs fait à l'un de ces témoins était nul [une note infrapaginale 6a renvoie à l'affaire Filion c. Lebrun].[22]

[60]           Par la suite, en 1995, revirement : dans Fraser c. Fraser[23], où il s'agit d'un testament olographe, la Cour supérieure, saisie d'une affaire régie par le droit antérieur au Code civil du Québec, conclut que :

            Les demandeurs prétendent que les legs qui étaient consentis au défendeur par le testament doivent être annulés puisqu'il a agi comme témoin au testament et que, ce faisant, il était assujetti aux dispositions de l'article 846 du Code civil du Bas-Canada qui se lit ainsi :

« Les legs faits aux notaires ou aux témoins, ou aux conjoints des notaires ou des témoins ou à quelqu'un de leurs parents au premier degré, sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament.

L'exécuteur testamentaire qui n'est pas gratifié ni rémunéré par le testament y peut servir de témoin. »

            Il est indéniable que les legs consentis à un témoin, dans le cas d'un testament authentique (art. 843 C.c.B.-C.) et même lorsqu'il s'agit d'un testament suivant la forme dérivée de la loi d'Angleterre (art. 851 C.c.B.-C.), sont nuls. Nous sommes toutefois ici en présence d'un testament olographe que cette Cour a reconnu comme tel dans son jugement du 7 octobre 1991. Cela ne fait l'objet d'aucune contestation.

            La présence d'un témoin n'était aucunement nécessaire pour rendre valide ce testament, et la signature du défendeur ne peut le qualifier comme « témoin » au sens que lui reconnaissent les articles 843 et 851 du Code civil du Bas-Canada.

            Les demandeurs appuient leurs prétentions sur la décision de cette Cour rendue dans l'affaire Filion c. Lebrun et als. [renvoi omis]. Il est vrai que cette décision suggère que l'on doive appliquer aux testaments olographes les mêmes règles strictes qu'imposaient les articles 846 et 853 C.c.B.-C. Il s'agissait toutefois d'un cas où le testament était fait en la forme dérivée de la loi d'Angleterre et l'opinion qui y était exprimée quant au testament olographe nous semble de la nature d'un obiter dictum, puisqu'il n'était pas nécessaire de décider de ce point de droit pour décider du litige.

            Par ailleurs et avec beaucoup de respect pour l'opinion contraire, le soussigné est plutôt d'avis que les dispositions des articles 846 et 853 ne peuvent être étendues à l'article 850. Si le législateur avait voulu appliquer cette prohibition au testament olographe, il l'aurait sûrement codifié puisqu'il avait pris soin de le faire dans le cas du testament authentique et dans celui du testament en la forme dérivée de la loi d'Angleterre.

            La demande relative à l'annulation des legs consentis au défendeur doit donc être rejetée.

[61]           L'argument relatif à l'intention du législateur, qui n'a pas spécialement codifié pour le testament olographe une règle semblable à celles des articles 846 et 853 respectivement pour le testament authentique ou fait sous la forme dérivée de la loi d'Angleterre, est particulièrement intéressant (et semble aller du reste dans le sens des commentaires des codificateurs de 1865). Par ailleurs, commentant l'affaire et faisant notamment écho à la remarque du juge sur le fait que la signature du tiers sur le testament olographe ne peut suffire « à le qualifier de témoin », Martineau écrit que :

            Il m'apparaît que ce jugement est bien fondé. L'article 853 C.c.B.C. commence ainsi : « Dans les testaments faits suivant la même forme… » Or, à l'article précédent 852 C.c.B.C., il n'était question que du testament sous la forme dérivée de la loi d'Angleterre. Le Code  reste muet quant au testament olographe.

            La signature d'Alain Fraser, sous celle de Rita Fraser, sa mère, ne peut être considérée comme celle d'un témoin puisque la présence d'un témoin n'est aucunement nécessaire pour rendre valide un testament olographe.

            Il arrive, hélas!, bien souvent que des personnes mélangent les genres, confondent les sortes de testaments. Sous l'ancien Code (art. 842) comme sous le nouveau (art. 712), il n'y a en a que trois. Se pourrait-il qu'il y en ait une quatrième qui serait le testament judiciaire?

            Fort de ce jugement, j'ai soumis pour vérification à la Cour un testament olographe qui avait été écrit entièrement de la main du testateur et signé par lui (art. 726 C.c.Q.), mais en présence de deux personnes dont l'une était le légataire universel résiduaire. La vérification de ce testament a été acceptée, les héritiers et successibles connus ayant été appelés, comme le veut l'article 722 du nouveau Code.[24]

[62]           Dans un autre ordre d'idées, signalons que, selon ce que je puis voir de la jurisprudence et de la doctrine antérieures à l'avènement du Code civil du Québec, le testament olographe n'est pas nul du fait d'être attesté par un ou des témoins[25].

[63]           Par ailleurs, tel qu'indiqué plus haut, les articles 846 et 853 C.c.B.-C. ont donné lieu à un autre débat, qui est celui du témoin surnuméraire, ou en surnombre, dans le cas des testaments authentiques ou de forme anglaise. En 1957, le professeur Cardinal écrivait à ce propos que :

Question :

            Dans un testament authentique, reçu devant un notaire et deux témoins, l'un des témoins est parent au premier degré avec le légataire universel. Pour corriger cette situation, j'ai tendance à croire que le testament en question, nul comme testament authentique, peut servir comme testament sous la forme anglaise.

            En effet, si nous référons à la Revue du Notariat volume 39, avril 1937 à la page 439, nous voyons une opinion favorable à la validité d'un tel testament : « d'après le deuxième alinéa de 855 C.c., si une informalité s'est glissée dans le testament, il peut servir sous une autre forme, s'il rencontre les conditions nécessaires. » La présence de deux témoins capables ne peut-elle pas rendre superflue la présence d'un troisième témoin qui peut être considéré comme inexistant ; il reste deux bons témoins, le Notaire et l'autre.

            Dans la Revue du Notariat encore volume 48 page 359 un autre article se réfère à notre cas.

Réponse :

            Je n'endosse pas l'opinion exprimée. En effet, malgré les termes employés par notre correspondant, le testament n'est pas nul comme testament authentique. Ce testament, au contraire, est pleinement valide car il ne contrevient à aucun des articles 843, 844 et 845 du Code civil. Cependant, le legs universel est nul, suivant l'article 846 C.c. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que le testament est inefficace.

            Or l'article 855 affirme que le testament fait apparemment sous une forme et nul comme tel à cause de l'inobservation de quelque formalité, peut être valide comme fait sous une autre forme.

            Donc ce dernier article ne s'applique pas, car le testament, dont il est question, n'est pas nul sous la forme authentique à cause de l'inobservation de quelque formalité.

            De plus, même si l'on voulait considérer ce testament comme fait sous la forme anglaise, le legs universel serait encore nul. Car les règles qui concernent l'efficacité des legs en rapport avec les témoins sont les mêmes que pour le testament authentique selon l'article 853 C.c. De plus, et c'est le point important, l'on n'a pas la faculté de diviser les témoins et de choisir entre eux ceux qui nous plaisent. Le testament sous la forme anglaise, s'interprète selon les lois anglaises, et dans les autres provinces, ce choix entre les témoins n'est pas admis. Ce principe a été confirmé par nos cours dans l'arrêt Dion v. Dion [renvoi omis].

            Cette deuxième raison n'est donnée qu'à titre supplétif pour réfuter des opinions déjà émises à ce sujet dans la Revue. La première raison suffit pour permettre au notaire de refuser de se départir de son original et au protonotaire pour refuser la vérification.[26]

[64]           En 1973, l'auteur Belzile renchérit :

            À l'arrière-plan de cette requête se profile une théorie boiteuse et qui a la vie dure, que j'appellerais la théorie de l'élimination du témoin gênant.

            Cette théorie a déjà été exposée dans une question adressée à La revue du Notariat et Me Jean-Guy Cardinal y a apporté une réfutation péremptoire [renvoi omis].

            En face de la difficulté que leur créait, dans un testament en forme authentique, la nullité d'un legs fait à l'encontre des dispositions de l'article 846 du Code civil, certains praticiens ont imaginé pouvoir contourner cette difficulté en faisant admettre le testament comme fait sous la forme dérivée de la loi d'Angleterre.

            Par exemple, ils font le raisonnement suivant : Le testament a été signé devant un notaire et deux témoins dont l'un est légataire de tous les immeubles de la succession. Le testament est valide, mais le legs des immeubles au témoin est nul. Pour faire revivre le legs, il suffit de considérer le testament comme fait suivant la forme dérivée de la Loi d'Angleterre. Alors nous devenons en présence d'un testament signé par trois témoins. Deux témoins suffisent à la validité du testament. Le troisième témoin devient superflu et peut être considéré comme inexistant. Évidemment, le témoin superflu qu'on éliminera sera le légataire des immeubles.

            Faut-il dire qu'on n'élimine pas ainsi un témoin à un acte. Le témoin demeure témoin même si son témoignage ne peut servir à renforcer la preuve.

[…]

            À propos de la validité des legs, il faut enfin souligner que l'article 853 C.c.  qui concerne les testaments suivant la forme dérivée de la Loi d'Angleterre, reprend « mutatis mutandis » les mêmes causes de nullité que celles établies par l'article 846 C.c. pour les testaments en forme authentique. Inutile d'essayer de faire revivre un legs nul dans un testament en forme authentique en considérant ce testament sous la forme dérivée de la Loi d'Angleterre. Il arrivera toujours que le legs nul en vertu de l'article 846 C.c. deviendra nul en vertu de l'article 853 C.c. il n'y a pas moyen d'en sortir.[27]

[65]           Ce point de vue reflète la jurisprudence dominante. Ainsi, dans Denault c. Belouin[28], où il s'agit d'un testament authentique que l'on essaie de valider comme testament de forme anglaise, la Cour du Banc du Roi, sous la plume des juges Tellier et Hall rejette la thèse que l'on puisse exclure le témoin en surnombre afin de valider le legs qui lui est fait. La Cour d'appel la rejette encore dans Hamel c. Hamel[29], où il est question d'un testament de forme anglaise attesté par trois témoins dont l'un est en outre légataire, et de même dans Dion c. Dion[30], où, sur la foi d'une abondante jurisprudence anglaise, on affirme que « si le testament porte un nombre de témoins surnuméraires suffisant pour en attester la validité, cela ne peut donner de capacité aux témoins légataires, à moins d'une preuve légale établissant qu'en fait ils n'ont pas agi comme témoins ». Il semble que, malgré ces arrêts, et tel qu'en font foi les auteurs cités ci-dessus, le débat ait continué sur la possibilité de la validation du legs fait au témoin surnuméraire. C'est ainsi que le professeur Brière, dans l'édition 1994 de son ouvrage sur Les successions, écrit ceci à propos du nouvel article 760 C.c.Q. :

Il est précisé que le legs est sans effet même si le témoin gratifié est en surnombre. Cette précision avait été proposée par l'O.R.C.C. qui avait constaté qu'il y avait controverse en la matière. Cette proposition n'était, cependant, faite qu'au sujet du testament notarié.[31]

[Je souligne.]

[66]           Par ailleurs, dans les deux affaires Hamel et Dion, précitées, on reconnaît la possibilité que le legs demeure valide si la personne qui a apparemment apposé sa signature sur le testament réussit à prouver, ce dont le fardeau lui incombe, qu'elle n'a pas signé comme témoin. La note de l'arrêtiste dans l'arrêt Hamel (dont le texte intégral n'a pas été publié) indique ainsi que :

The Court of Appeal declares that, on the face of things, the defendant has signed as a witness, and, while it may be possible for him to establish that he did not sign in that capacity, he has the burden of proof and he cannot, by his own unsupported evidence, destroy that part of the will which does not suit his purpose and say that he signed in a capacity other than that disclosed by the will. […].[32]

[67]           Cette façon de voir a été reprise par la jurisprudence plus récente. Ainsi, dans Gervais c. Brais[33], où il s'agit d'un testament fait suivant la forme dérivée de la loi d'Angleterre et régi par les dispositions du Code civil du Bas-Canada, notre Cour confirme le jugement de première instance reconnaissant la validité du legs à la personne qui a démontré n'avoir pas signé le testament à titre de témoin.

[68]           Rien ne s'oppose à première vue à ce qu'on applique une règle semblable à celui qui paraît avoir signé un testament olographe comme témoin et qui pourrait établir l'avoir signé à un titre autre.

* *

[69]           C'est donc sur cette toile de fond que s'inscrit l'article 760 C.c.Q., dont l'historique législatif mérite lui aussi d'être relaté.

[70]           Dans son rapport sur les successions, en 1976, le Comité du droit des successions de l'Office de révision du Code civil propose de remplacer les articles 846 et 853, premier alinéa, C.c.B.-C. par les dispositions suivantes respectivement :

Article 236, disposition inscrite dans la section réservée au testament authentique (§ 1 « Du testament authentique », articles 232 à 241)

            Les legs faits au notaire, à l'un de ses parents au premier degré, à son conjoint ou aux témoins sont nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament.

            Il en est ainsi, même s'il se trouve des témoins surnuméraires.

            Le legs en faveur de l'exécuteur testamentaire ou du fiduciaire qui agit comme témoin est pareillement nul pour la partie qui excède sa rémunération.

Commentaires

            L'article 236 remplace l'article 846 C.C. et modifie la règle actuelle à l'égard des témoins. Le legs fait au conjoint d'un témoin ou à ses proches parents n'est plus déclaré nul. La règle serait toutefois différente pour le testament devant témoins.

            Le deuxième alinéa de l'article 236 est nouveau. Il ajoute au droit actuel la précision que la règle du premier alinéa vaut à l'égard de tous les témoins, même s'ils ne sont pas tous requis pour la validité du testament. Cette question est controversée en droit actuel.

            Le troisième alinéa correspond au deuxième alinéa de l'article 846 C.C. auquel on ajoute toutefois la mention du fiduciaire; la corrélation est aussi faite avec l'article 305 du rapport qui fait de l'exécution une charge onéreuse.

            Le premier alinéa de l'article 236 précise que la nullité du legs n'affecte pas la validité du testament lui-même. Cette règle est conforme au droit actuel. Il s'agit d'une nullité relative.

            Les présentes dispositions sont semblables à celles soumises par la Chambre des notaires.

Article 245, disposition inscrite dans la section réservée au testament devant témoins (§ 3 « Du testament devant témoins », articles 232 à 241)

            Les legs faits aux témoins, à leur conjoint ou à l'un de leurs parents au premier degré son nuls, mais ne rendent pas nulles les autres dispositions du testament devant témoins.

Commentaires

            L'article 245 reproduit la règle de l'article 853 al. 1 C.C. On a cependant proposé, à l'article 236, une règle plus souple, lorsqu'il s'agit du testament authentique où, à l'égard du témoin, seul le legs qui lui est fait personnellement est frappé de nullité. Il a semblé que la présence du notaire permettait de poser une règle plus libérale.[34]

[71]           Ces dispositions projetées ne visent — et cela est clair — que le testament authentique ou devant témoins. Le rapport du Comité ne mentionne d'ailleurs pas la question du témoin signant le testament olographe, situation qui ne paraît pas avoir été envisagée.

[72]           En 1977, l'Office de révision du Code civil propose les dispositions suivantes, qui se trouvent dans la section II (« De la caducité, de la résolution et de la nullité des legs ») du chapitre II (« Des dispositions testamentaires ») du code projeté, chapitre à vocation générale, applicable aux testaments de toutes formes :

302.     Dans le testament authentique, le legs fait au notaire, à l'un de ses parents au premier degré, à son conjoint ou aux témoins est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est ainsi, même s'il se trouve des témoins surnuméraires.

            Le legs en faveur de l'exécuteur testamentaire ou du fiduciaire qui agit comme témoin est pareillement sans effet pour la partie qui excède sa rémunération.

303.     Dans le testament devant témoins, le legs fait aux témoins, leur conjoint ou à l'un de leurs parents au premier degré est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.[35]

[73]           Là encore, les dispositions ne visent, et ce, expressément, que le testament authentique ou devant témoins. Les commentaires de l'Office sont semblables à ceux du Comité du droit des successions :

Commentaires sur l'article 302

            Cet article remplace l'article 846 C.C. et modifie la règle actuelle à l'égard des témoins. Le legs fait au conjoint d'un témoin ou à ses proches parents n'est plus déclaré nul.

            Le deuxième alinéa de l'article est nouveau. Il ajoute au droit actuel la précision que la règle du premier alinéa vaut à l'égard de tous les témoins, même s'ils ne sont pas tous requis pour la validité du testament. Cette question est controversée en droit actuel.

            Le troisième alinéa correspond au deuxième alinéa de l'article 846 C.C. auquel on ajoute, toutefois, la mention du fiduciaire; la corrélation est aussi faite avec l'article 339 qui fait de l'exécution une charge onéreuse.

            Le premier alinéa de l'article précise que la nullité du legs n'affecte pas la validité du testament lui-même. Cette règle est conforme au droit actuel.

Commentaires sur l'article 303

            Cet article reproduit la règle de l'article 853 alinéa 1 C.C. La règle plus souple que la présence du notaire permet de poser dans le cas du testament authentique n'est pas applicable au testament devant témoins.[36]

[74]           Soit dit en passant, le fait d'affirmer que l'article 302, dont l'application est clairement limitée au testament notarié, remplace l'article 846 C.c.B.-C. ne laisse-t-il pas entendre que cette disposition elle-même, contrairement à ce qui a pu être décidé dans Filion c. Lebrun[37], ne vise que le testament authentique?

[75]           Quoi qu'il en soit, le Projet de loi no 107, intitulé « Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions » est déposé par la suite (17 décembre 1982). Il propose les deux articles suivants, situés dans la section III (« De la caducité et de la nullité des legs ») du chapitre quatrième (« Des dispositions testamentaires ») du titre quatrième (« Des testaments ») du livre troisième (« Des successions ») du futur Code civil du Québec, dispositions qui ne visent explicitement que le testament notarié et le testament devant témoins :

802.     Dans le testament notarié, le legs fait au notaire, à l'un de ses parents au premier degré, à son conjoint ou au témoin est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament. Il en est ainsi même s'il se trouve des témoins en surnombre.

804.     Dans le testament devant témoins, le legs fait aux témoins, même en surnombre, est sans effet mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

[76]           Le cas du liquidateur est réglé pour sa part par l'article 803, qui ne vise que le testament notarié :

803.     Dans un testament notarié, le legs fait en faveur du liquidateur désigné ou du fiduciaire, pour la partie qui excède sa rémunération, est sans effet lorsqu'ils agissent comme témoin.

[77]           Ce projet de loi mourra au feuilleton.

[78]           Lui succédera le Projet de loi 20, intitulé « Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens », présenté le 20 décembre 1984 et dont le principe sera adopté le 26 mars 1985. L'article 812 de ce projet fait partie de la section IV (« De la caducité et de la nullité des legs ») du chapitre quatrième (« Des dispositions testamentaires et des légataires » du titre quatrième (« Des testaments ») du livre troisième (« Des successions ») du futur code. Il dispose ainsi :

812.     Le legs fait au témoin, même en surnombre, est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même, pour la partie qui excède sa rémunération, du legs fait en faveur du liquidateur ou d'un autre administrateur du bien d'autrui désigné au testament s'il agit comme témoin.

[79]           Comme on le constate, le texte de l'article 812 ne contient plus les mentions du testament notarié ou devant témoins qui figuraient dans les articles 802 à 804 du Projet de loi no 107. Comment expliquer ce changement et quel sens lui donner?

[80]           On peut peut-être voir là l'effet des observations présentées par le Barreau du Québec à la Commission parlementaire d'avril 1983 sur le Projet de loi no 107. Le mémoire de la Sous-commission du Barreau du Québec sur le droit des successions indique que :

En premier lieu, la sous-commission se dit favorable aux principes énoncés aux articles 802, 803 et 804 du projet de loi.

Ceci dit, en lisant ces trois articles, on se rend compte que, dans tous les cas, le legs fait à un témoin est nul. Cette règle peut aussi s'appliquer au testament olographe, le témoin étant alors considéré comme un témoin en surnombre.

Par ailleurs, la sous-commission estime que la règle applicable au liquidateur et au fiduciaire (803) devrait s'étendre à toutes les formes de testament. Le même raisonnement qu'au paragraphe précédent prévaut pour le testament olographe.[38]

[81]           On trouve le commentaire suivant au Journal des débats, à propos de l'article 812 :

[lecture de l'article 812, qui suit l'adoption de l'article 811, ancêtre de l'actuel article 759 C.c.Q., au sujet de la nullité du legs au notaire, à son conjoint ou à un de ses parents au premier degré]

Le Président (M. Gagnon) : Commentaire?

M. Cossette : Cet article, comme le précédent, veut permettre d'éviter les situations de conflits d'intérêts tout en préservant l'expression des volontés du testateur.

            Le premier alinéa annule le legs fait au témoin, même si la présence de tous n'était pas requise pour la validité du testament, en précisant toutefois que les autres dispositions du testament demeurent valides Il ne reprend pas, suivant en cela les propositions de l'Office de révision du Code civil à l'article 302, la règle actuelle énoncée à l'article 846 du Code civil du Bas-Canada qui déclare nul le legs fait au conjoint d'un témoin ou à ses proches parents. Cette position se justifie, car le legs à ces personnes ne paraît pas en lui-même conflictuel et il peut être tout à fait conforme aux volontés du testateur.

            Le second alinéa étend la règle du premier au legs fait au profit du liquidateur ou d'un autre administrateur désigné qui agit comme témoin pour la partie du legs qui excède sa rémunération.

Le Président (M. Gagnon) : Y a-t-il d'autres commentaires?

M. Leduc (Saint-Laurent) : Non, cela va.

Le Président (M. Gagnon) : Cela va? M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent) : Cela va pour l'article 812. Il y a un amendement, un ajouté, 812.1.

[…][39]

[82]           Ce commentaire ne révèle pas grand-chose de l'intention du législateur au sujet de l'application de l'article 812 au testament olographe. Peut-on néanmoins conclure de cette disposition, qui regroupe les articles 802, 803 et 804 du Projet de loi no 107 et en supprime toute mention du testament notarié et devant témoins, que le législateur a effectivement voulu que soit sans effet le legs consenti au témoin du testament olographe, tout comme il l'est dans le cas du testament notarié ou devant témoins? Cela pourrait sembler plausible, et d'autant que l'article 812, tel qu'indiqué plus haut, se trouve dans une section qui s'applique au testament sous toutes ses formes. Par exception, l'article 811 du projet prévoit explicitement que le legs fait au « notaire qui reçoit le testament » ou au conjoint de ce notaire ou à l'un de ses parents au premier degré est sans effet[40] : manifestement, cela ne vise que le testament notarié.

[83]           Le Projet de loi 20 mourra lui aussi au feuilleton, pour être suivi d'un second Projet de loi 20, cette fois présenté le 19 décembre 1985, qui reprend largement le premier et qui sera finalement sanctionné le 15 avril 1987[41].

[84]           Ce second Projet de loi 20 contient les dispositions suivantes, qui répètent avec une numérotation nouvelle les articles 811 et 812 du premier Projet de loi 20 :

796.     Le legs fait au notaire qui reçoit le testament est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même du legs fait au conjoint du notaire ou à l'un de ses parents au premier degré.

797.     Le legs fait au témoin, même en surnombre, est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même, pour la partie qui excède sa rémunération, du legs fait en faveur du liquidateur ou d'un autre administrateur du bien d'autrui désigné au testament, s'il agit comme témoin.

[85]           Dans le Projet de loi 125, intitulé Code civil du Québec, présenté le 18 décembre 1990, les deux articles ci-dessus deviendront les articles 758 et 759, dont le texte diffère un peu, mais la substance demeure :

758.     Le legs fait au notaire qui reçoit le testament ou celui fait au conjoint du notaire ou à l'un de ses parents au premier degré est sans effet; les autres dispositions du testament subsistent.

759.     Le legs fait au témoin, même en surnombre, est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même, pour la partie qui excède sa rémunération, du legs fait en faveur du liquidateur ou d'un autre administrateur du bien d'autrui désigné au testament, s'il agit comme témoin.

[86]           Ces deux dispositions se trouvent à la section IV (« De la caducité et de la nullité des legs ») du chapitre quatrième (« Des dispositions testamentaires et des légataires ») du titre quatrième (« Des testaments ») du livre troisième (« Des successions ») de ce qui deviendra le Code civil du Québec. Dans la version définitive du Projet de loi 125 tel qu'adopté et sanctionné le 18 décembre 1991, elles deviendront toutefois les articles 759 et 760, dont le texte est identique, puis les articles 759 et 760 de l'actuel Code civil du Québec :

759.     Le legs fait au notaire qui reçoit le testament ou celui fait au conjoint du notaire ou à l'un de ses parents au premier degré est sans effet; les autres dispositions du testament subsistent.

760.     Le legs fait au témoin, même en surnombre, est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même, pour la partie qui excède sa rémunération, du legs fait en faveur du liquidateur ou d'un autre administrateur du bien d'autrui désigné au testament, s'il agit comme témoin.

[87]           Dans ses Commentaires, le ministre indique ceci :

Commentaire sur l'article 759 C.c.Q.

L'article 759 reprend, en partie, le premier alinéa de l'article 846 C.C.B.C.

Commentaire sur l'article 760 C.c.Q.

Cet article, comme le précédent, veut permettre d'éviter les situations de conflits d'intérêts, tout en préservant l'expression des volontés du testateur. La précision relative aux témoins surnuméraires qu'il comporte est nouvelle, et elle vise à trancher une question controversée du droit antérieur.

Il ne reprend pas la règle actuelle énoncée à l'article 846 C.C.B.C. qui déclare nul le legs fait au conjoint d'un témoin ou à ses proches parents. Cette position se justifie car le legs à ces personnes ne paraît pas en lui-même conflictuel et il peut être tout à fait conforme aux volontés du testateur.[42]

* *

[88]           Cette revue de l'état du droit antérieur et de l'historique législatif particulier de l'article 760 C.c.Q. nous permet-elle de conclure que le législateur avait l'intention d'étendre la portée de cette disposition au testament olographe ou, au contraire,  de ne pas l'y étendre? Il s'agit là certainement d'éléments qui doivent être pris en considération à titre d'outils interprétatifs, comme le rappelle la Cour suprême, par exemple dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville)[43], où elle écrit que :

53        Comme l’a précisé le juge Philippon de la Cour d’appel, l’importance de l’historique législatif est bien reconnue en matière d’interprétation : « […] les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant »: Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660 , à la p. 667. […]

[89]           On verra de même les arrêts Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette[44], où la Cour suprême examine l'historique législatif de l'article 976 C.c.Q. et l'état du droit antérieur, et Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs[45], où l'on s'intéresse aux dispositions du Code civil du Québec en matière de droit international privé.

[90]           À première vue, le contexte d'adoption et l'historique législatif de l'article 760 C.c.Q. font voir certains arguments en faveur de son application au testament olographe.

[91]           Tout d'abord, il est intéressant de souligner qu'au moment où la Commission du droit des successions de l'Office de révision du Code civil, puis l'Office lui-même et enfin le législateur proposent ce qui deviendra finalement l'article 760 C.c.Q., la jurisprudence sur le sujet exprime l'avis qu'est nul ou sans effet le legs fait au témoin du testament olographe, encore que la présence d'un tel témoin (ou de plus d'un tel témoin) n'affecte pas la validité du testament lui-même : on peut trouver ce point de vue critiquable, mais c'est celui que retiennent les affaires Dame Brassard-Barette[46] (en obiter, dans ce cas) et Filion c. Lebrun[47], respectivement en 1972 (donc avant les propositions de la Commission du droit des successions, en 1976, et celles de l'Office, en 1977) et en 1988 (donc avant la présentation du Projet de loi 125 encore qu'après les projets de loi 107 et 20). Là où il y a controverse, comme on l'a vu, et une controverse qui perdure en dépit de la jurisprudence, c'est sur la question du legs fait au témoin du testament authentique (maintenant « notarié ») ou fait selon la forme dérivée de la loi d'Angleterre (désormais « devant témoins ») : peut-on sauver ce legs dans la mesure où le témoin légataire est en surnombre, un nombre suffisant de témoins attestant par ailleurs du testament? La jurisprudence majoritaire répond à cette question par la négative (voir les affaires Denault c. Belouin (1933)[48], Dion c. Dion (1951)[49] et Hamel c. Hamel (1953)[50]), ce qui, ainsi que le note la doctrine, n'a pas empêché la question de refaire surface périodiquement.

[92]           Devant cette situation, la Commission sur le droit des successions et l'Office de révision, dont on peut certainement penser qu'elle connaissait l'état de la jurisprudence contemporaine à ses travaux (et donc l'arrêt Dame Brassard-Barrette), choisit de faire des propositions excluant clairement le cas du testament olographe et réservant la nullité ou l'inefficacité du legs aux cas du légataire témoin d'un testament authentique ou devant témoins. Dans un premier temps (Projet de loi no 107), le législateur suit la même voie, réservant la sanction d'inefficacité du legs au témoin du testament notarié ou devant témoins, expressément mentionnés. Dans un second temps, toutefois, à la suite d'une intervention du Barreau du Québec (ou peut-être de manière simplement concomitante avec elle), il supprime la mention des testaments notariés et devant témoins, préférant un langage plus général, moins précis en tout cas, qui semble devoir inclure le testament olographe. Or, au moment où il agit ainsi, c'est-à-dire à l'occasion de la présentation du premier Projet de loi 20, en décembre 1984, la jurisprudence — qu'il est censé connaître — n'a pas changé et affirme la nullité du legs fait au témoin du testament olographe, proposition qui sera reprise en 1988 dans Filion c. Lebrun. De même, au moment de l'adoption du Projet de loi 125, qui deviendra le Code civil du Québec et avant l'entrée en vigueur de ce dernier, la jurisprudence est toujours celle des affaires Dame Brassard-Barrette et Filion c. Lebrun. Il faut en effet souligner que le jugement rendu dans Fraser c. Fraser[51], qui affirme le contraire, est postérieur à l'entrée en vigueur de l'article 760 C.c.Q., ayant été rendu en 1995 seulement.

[93]           Lors de l'entrée en vigueur de cet article, cependant, la controverse existe toujours quant au témoin en surnombre dans le cas des testaments notariés et devant témoins, malgré la jurisprudence dominante, d'où le commentaire du ministre (et avant lui de l'Office) à ce sujet.

[94]           Donc, dès le Projet de loi 20 de décembre 1984 et de même par la suite, le législateur s'écarte des propositions de l'Office de révision et préfère un texte refondu qui ne sépare plus, quant au témoin, les règles applicables au testament notarié de celles applicables au testament devant témoins et qui ne contient par ailleurs aucune mention de ces types de testament, adoptant plutôt un langage général. En conjuguant l'intervention du Barreau[52], la suppression des mentions du testament notarié ou devant témoins et l'état de la jurisprudence à l'époque, ne devrait-on pas conclure que le législateur a voulu étendre au testament olographe l'application de ce qui deviendra l'article 760 C.c.Q., avalisant ainsi l'état de la jurisprudence contemporaine sur la question, à savoir l'inefficacité ou la nullité du legs fait au témoin du testament olographe, tout comme est inefficace ou nul le legs fait au témoin du testament notarié ou devant témoin?

[95]           C'est en ce sens qu'a jugé la Cour supérieure dans Gendron c. Gendron[53], en 1999. Dans cette affaire régie par le Code civil du Bas-Canada, le testament, rédigé de la main de la testatrice, avait été vérifié et reconnu à la fois comme testament fait sous la forme dérivée de la loi d'Angleterre et comme testament olographe. La testatrice y léguait ses biens à l'un de ses fils, celui-ci ayant par ailleurs signé le testament à titre de témoin. Si l'on considérait le testament comme fait en vertu de la loi d'Angleterre, alors le legs était sans effet en raison de l'article 853 C.c.B.-C. L'article 760 C.c.Q. ayant été évoqué, le juge écrit que :

            Dans Filion c. Lebrun [renvoi omis], le juge Viens de la Cour supérieure a tranché la même question sous l'empire du Code civil du Bas Canada. Un testament avait été reconnu valide comme testament olographe ainsi que sous la forme dérivée des lois d'Angleterre. Le juge a conclu que même si le testament devait être considéré comme olographe, le legs fait à un témoin était nul.

            Le législateur à l'article 760 paraît avoir retenu cette thèse en statuant que le legs fait à un témoin « même en surnombre » est nul. La validité du testament demeure. Comme le souligne le Ministre dans ses commentaires [renvoi omis], l'objet de cette disposition est d'éviter toute situation de conflit d'intérêt. Cette politique législative paraît d'ordre public et elle existait sous l'ancien droit. La Cour estime donc qu'on l'on ne saurait préserver la validité d'un legs nul en ignorant le fait que le légataire était présent lors de la signature du testament et qu'il a attesté la signature de la testatrice.

            Le nouveau droit, il est vrai, institue la primauté de la volonté du testateur. Même si le tribunal doit tenter de donner effet à la volonté clairement exprimée par un testateur, le législateur a prévu que cette volonté, même clairement exprimée, ne sera pas suivie si le testateur fait un legs à un témoin, et ce quelle que soit l'importance du legs.[54]

[96]           Il est d'autant plus tentant de conclure ainsi que l'article 760 C.c.Q., comme le souligne ici la juge de première instance aux paragr. 25 à 27 de son jugement, est placé dans une section du code applicable à l'ensemble des testaments, quelle qu'en soit la forme[55]. Rappelons en effet que cette disposition se trouve dans la section IV (« De la caducité et de la nullité des legs ») du chapitre quatrième (« Des dispositions testamentaires et des légataires ») du Titre quatrième (« Des testaments ») du Livre troisième (« Des successions ») du Code civil du Québec. Le chapitre quatrième a une vocation générale, tout comme la section IV[56], s'appliquant à toute forme de testaments, sauf indication contraire. Or, la seule indication contraire que l'on trouve dans la section IV et, à vrai dire, dans tout le chapitre quatrième, est celle de l'article 759 C.c.Q. à propos de la nullité du legs fait au notaire qui reçoit le testament, à son conjoint ou à son parent au premier degré, qui ne s'applique évidemment qu'au testament notarié.

[97]           Bref, l'état de la jurisprudence à l'époque de l'adoption et de l'entrée en vigueur de l'article 760 C.c.Q., l'historique de ce texte législatif et son positionnement dans le code tendraient à indiquer — du moins pourrait-on le croire — que le législateur a bel et bien voulu en étendre l'application au cas du témoin du testament olographe. S'il ne l'avait pas voulu, il aurait pu en effet (comme il le faisait dans le Projet de loi no 107) préciser que la disposition est restreinte aux testaments notariés et devant témoins ou, encore, il aurait pu en exclure explicitement le testament olographe.

* *

[98]           Cela dit, si le contexte d'adoption, l'historique législatif et le positionnement de l'article 760 au sein du Code civil du Québec semblent favoriser son application au testament olographe, d'autres arguments, non moins sérieux, militent en sens contraire.

[99]           Il faut d'abord — et j'aurai l'occasion de revenir sur ce point — relativiser le moyen relatif à l'état de la jurisprudence au moment des travaux de réforme et à celui de l'adoption du Code civil du Québec, car en réalité l'état du droit existant pendant toute la période de la réforme et jusqu'à l'entrée en vigueur du Code civil du Québec n'est pas aussi clair ou certain que peuvent le laisser croire les affaires Dame Brassard-Barrette et Filion c. Lebrun.

[100]       La proposition, retenue par ces jugements, selon laquelle l'article 846 C.c.B.-C. est applicable au testament olographe, est en effet fort critiquable lorsqu'on considère l'interprétation que la doctrine donnait à cette disposition avant ces deux affaires et celle que semble suggérer le rapport des codificateurs de 1865. Un auteur doute d'ailleurs du bien-fondé de cette proposition, encore que son observation sur le sujet soit pour le moins succincte[57]. De plus, dans Dame Brassard-Barrette, on a affaire à un obiter qui tient davantage de la pétition de principe que de la démonstration et n'a guère valeur de précédent. Il ne reste alors que l'affaire Filion c. Lebrun, qui peut difficilement être tenue pour avoir réglé la question une fois pour toutes, comme le montre du reste la décision contraire prononcée ultérieurement dans Fraser c. Fraser, en 1995.

[101]       Ensuite, la question se pose de savoir pourquoi le législateur aurait voulu prévoir l'inefficacité du legs au témoin d'un testament qui, au contraire des deux autres formes testamentaires, n'en requiert pas la présence. Pour répondre à cette question, il faut en premier lieu se demander pourquoi le législateur exige une telle présence dans le cas du testament notarié et du testament devant témoins, présence qui est elle-même (sous réserve des articles 713 et 714 C.c.Q.) une condition de validité du testament.

[102]       Essentiellement, la présence du témoin a pour objet d'attester l'accomplissement des formalités qui conditionnent la validité du testament[58] et assurent ainsi que la volonté constatée par cet écrit est bien celle du testateur. Le législateur a donc jugé important que le témoin du testament notarié ou devant témoins soit indépendant et neutre, afin qu'il puisse persuasivement attester de cet accomplissement desdites formalités et, par conséquent, de la validité du testament. On comprend que le législateur, pour assurer cette indépendance et cette neutralité, ait prévu l'inefficacité du legs au témoin puisqu'autrement, en tant que légataire, ce dernier serait en conflit d'intérêts, ayant objectivement avantage à témoigner d'une manière qui permette de valider le testament, préservant ainsi son legs.

[103]       Le droit français a choisi une autre méthode d'assurer la neutralité et l'indépendance du témoin, en promulguant que le légataire, dans le cas du testament notarié, ne peut pas être témoin[59]; s'il l'est, le testament est en principe nul dans son entier[60].

[104]       En common law, la situation est résumée ainsi par l'Alberta Law Reform Institute :

[342]    The witness-beneficiary rule has a long history in English law. Wills dealing with real property were required by the Statute of Frauds, 1677 to be witnessed by three “credible witnesses”. At that time there was a rule of evidence that no person could give evidence in any cause in which that person had a financial interest. Receiving a gift under the will made the witness financially interested in the estate and therefore disqualified the witness as a credible witness — the witness could not give evidence to prove the will in probate. As a result, the entire will would fail. Instead of changing this rule of evidence, the English solution was to legislatively deprive the witness of the gift so that the witness could then be a competent witness to the will's validity and the will could be saved. This solution was carried forward to the Wills Act, 1837. In addition, the Act addressed a remaining problem by also depriving the witness's spouse of any gift under the will. Because the law at that time considered a husband and wife to be one person, a gift to the witness's spouse also served to disqualify the witness.

[343]    So the original purpose of the witness-beneficiary rule was simply to circumvent a particular evidentiary rule. The rule of evidence was ultimately repealed in England during its major reform of the law of evidence in the mid-1800s but, ironically, the provision designed to circumvent that rule continues unabated to the current day in wills legislation in England, Canada and much of the Commonwealth. The reason it continues is because a new purpose was devised to justify its existence.

[344]    The modern rationale for the witness-beneficiary rule is that it protects testators from undue influence, duress or fraudulent conduct by witnesses. Requiring the witnesses and their spouses to have no personal interest in the distribution of an estate ensures that the witnesses “have no incentive to misrepresent the circumstances of execution”. […][61]

[105]       Les lois en vigueur dans les autres provinces canadiennes comportent pour la plupart des dispositions visant à faire exception à la common law et annulant le legs en vue de préserver la compétence du témoin et la validité générale du testament, ce qui permet aussi de maximiser le respect des volontés du testateur[62] : plutôt que d'imposer la nullité du testament, qui est la sanction la moins respectueuse des volontés du testateur, on n'impose que l'inefficacité ou la nullité du legs fait au témoin, ce qui laisse intactes les autres volontés du testateur. C'est de ce principe que s'inspiraient aussi les articles 846 et 853 C.c.B.-C.[63] (par contraste avec le droit antérieur à 1866[64]) et dont l'article 760 C.c.Q. reprend l'esprit, illustrant un compromis entre le respect des volontés du testateur et la protection de l'intégrité de celles-ci : on déclare inefficace le legs au témoin, laissant toutefois subsister les autres dispositions du testament, s'il en est, testament qui demeure valide pour le reste.

[106]       Pour revenir au témoin, il s'agit donc, dans ce contexte, d'assurer son indépendance et sa neutralité, bref son impartialité. Ce n'est qu'à cette condition que le témoin peut attester de l'accomplissement des formalités qui garantissent la validité des testaments notariés et devant témoins et leur fidélité à la volonté du testateur, dont l'identité doit par ailleurs être établie sans conteste. Car c'est bien parce que le testament notarié ou devant témoins n'est pas de la main du testateur que ces garanties sont nécessaires.

[107]       Or, le testament olographe garantit cette validité et cette fidélité, sans parler de l'identité, parce qu'il est, justement, écrit et signé par le testateur lui-même, sans recours à un moyen technique (article 726 C.c.Q.). Le législateur ne requiert donc pas la présence de témoins, puisque ceux-ci n'auraient à attester d'aucune formalité particulière. Leur présence serait en ce sens inutile et superfétatoire. Cela étant, pourquoi le législateur aurait-il voulu rendre inefficace le legs dévolu à un tel témoin?

[108]       L'objectif d'impartialité recherché par le législateur dans le cas du témoin du testament notarié ou devant témoins n'est pas congruent au testament olographe, qui est dépouillé des formalités que les témoins des deux autres types de testament sont chargés d'attester. La raison qui commande, dans le cas de ces derniers, que l'on ne respecte pas la volonté du testateur qui a fait d'un témoin son légataire (ou d'un légataire son témoin) ne joue donc pas dans le cas du testament olographe. Le législateur impose la présence d'un ou de deux témoins dans le cas du testament notarié et du testament olographe afin d'assurer le respect de formalités sans lesquelles le testament est nul, formalités qui, je le répète, n'existent pas dans le cas du testament olographe.

[109]       Autrement dit, les formalités imposées par le législateur dans le cas du testament notarié ou devant témoins ont pour fonction d'assurer l'identité du testateur ainsi que l'intégrité de son consentement et de l'expression de celui-ci, les témoins ont pour fonction d'assurer l'exécution de ces formalités et la règle de l'article 760 C.c.Q. a pour fonction, par la menace d'une sanction, d'assurer l'impartialité des témoins en question tout en préservant au maximum les volontés du testateur. Or, si la sanction suit la fonction, le législateur n'a pas pu vouloir sanctionner par l'article 760 C.c.Q. le legs fait à un témoin dont la présence n'est pas requise et qui n'a aucune mission d'attestation particulière, au contraire des témoins exigés pour le testament notarié ou devant témoins.

[110]       Le texte même de l'article 760 C.c.Q. semble confirmer la chose. Lorsque le législateur, dans cette disposition, parle du « témoin », à qui peut-il renvoyer si ce n'est au témoin dont parle le titre sur les testaments (articles 703 à 775 C.c.Q.)? Or, le seul témoin dont il est question dans ce titre est le témoin du testament notarié (articles 712, 716, 717, 719, 720, 721, 725) ou celui du testament devant témoins (articles 712, 714, 727 à 730, 767, 772), témoins qui ont une mission d'attestation bien précise et qui sont, à proprement parler, des témoins instrumentaires. Selon le principe de l'uniformité d'expression des textes législatifs[65], qui est d'autant plus fort ici qu'il correspond au contexte de la disposition et renforce l'idée de cohérence, on doit normalement donner le même sens aux termes employés par le législateur : un « témoin » au sens de l'article 760 C.c.Q. ne peut donc être que le « témoin » dont il est question ailleurs dans le titre. Cela signifie que celui qui signe comme « témoin » un testament olographe ne peut pas, en droit et aux fins de l'article 760 C.c.Q., être le « témoin » dont parle cette disposition.

[111]       Il est vrai cependant que le testament olographe présente une certaine fragilité : il peut être détruit (notamment par l'héritier qui le trouve et n'est pas satisfait de son contenu); il peut être falsifié; un tiers peut tenter de le modifier[66]. Pour se prémunir contre cela, le testateur qui rédige un testament olographe peut décider de le faire devant un témoin, au sens plus commun du terme, et demander à celui-ci de signer à ce titre, et ce, en vue de donner une certaine publicité à ses dernières volontés[67] ou encore en vue de faciliter les procédures de vérification. Mais cette prudence, qui a surtout des vertus probatoires, ne dote pas la personne ainsi choisie de la mission particulière qui échoit aux témoins des testaments notariés ou devant témoins et n'en fait pas un témoin au sens de l'article 760 C.c.Q. On peut penser que, simplement, le tribunal qui entendra un tel témoin tiendra compte, dans l'évaluation de sa crédibilité, du fait qu'il est légataire et possède donc un intérêt personnel à la validité du testament.

[112]       Il y a donc ici à la fois un argument de fond et un argument de texte : 1° d'une part, l'article 760 C.c.Q. a pour but d'assurer l'indépendance du témoin qui est doté d'une mission d'attestation particulière, qui ne peut être que celle dont il est question au chapitre du testament notarié ou devant témoins, 2° d’autre part, le mot « témoin » tel qu'employé à l'article 760 C.c.Q. ne peut renvoyer qu'au mot « témoin » tel qu'employé ailleurs dans le chapitre sur les testaments, ce qui signifie nécessairement le témoin du testament notarié ou devant témoins.

[113]       On fait parfois valoir, pour expliquer l'article 760 C.c.Q., qu'il s'agirait d'une disposition visant aussi à minimiser les risques de fraude ou de captation[68]. Comme l'écrit le professeur Brière :

Encore ici, c'est la crainte de la captation qui explique la sévérité du législateur : il faut éviter qu'un témoin profite de sa position avantageuse pour obtenir les bonnes grâces du testateur : sanatio in radice.[69]

[114]       Si c'est le cas, on pourrait être porté à croire que le testament olographe mérite cette protection contre la captation tout autant que le testament notarié ou le testament devant témoin : après tout, « [l]aissé à lui-même, le testateur n'est pas sérieusement protégé contre les pressions qui pourraient s'exercer contre lui »[70]. On peut douter cependant que la nullité du legs soit en pareil cas un mode de protection adéquat, tant il est facile pour le témoin-captateur de contourner la sanction en se contentant d'être présent à la signature par le testateur, mais en ne signant pas lui-même le testament olographe. Je ne crois donc pas qu'on puisse dans cette perspective faire de la protection contre la captation un principe qui permettrait de conclure de manière déterminante que l'article 760 C.c.Q. s'applique au testament olographe.

[115]       En somme, si le contexte jurisprudentiel, dans une certaine mesure, et l'historique législatif de l'article 760 C.c.Q. militent, comme on l'a vu, en faveur de son application au testament olographe, l'analyse des objectifs poursuivis par le législateur et celle de la notion même de « témoin » testamentaire militent en sens contraire.

* *

[116]       Il faut enfin revenir sur l'argument tiré de l'inefficacité du legs consenti au témoin « en surnombre » et aborder l'argument relatif à l'interdiction des pactes sur succession future.

[117]       L'argument rattaché au témoin en surnombre. L'article 760 C.c.Q. étend la sanction de l'inefficacité du legs au témoin en surnombre. Au paragraphe 28 de son jugement, la juge de première instance en conclut qu'« il apparaît illogique que le législateur ait voulu, d'une part, prévoir la situation où un legs a été dévolu à un témoin en surnombre et, d'autre part, en exclure son application à celui ou celle qui agit à titre de témoin dans le cadre d'un testament olographe et alors que tel témoin est inévitablement en surnombre, puisque non essentiel à sa validité ». Comme on l'a vu précédemment, on fait valoir ce même argument dans l'affaire Gendron c. Gendron[71].

[118]       On peut soutenir en effet — et c'est ce que font les intimées — que l'inefficacité du legs au témoin en surnombre montre l'intention qu'aurait le législateur d'imposer cette sanction à un témoin dont la présence n'est pas requise, ce qui permettrait d'étendre la portée de l'article 760 C.c.Q. au testament olographe. Par contre, on pourrait — à l'instar de l'appelante — prétendre que l'idée de témoin en surnombre n'a de sens que dans le cas où la présence d'au moins un témoin est requise, ce qui exclurait forcément le cas du testament olographe.

[119]       Examinons ces deux arguments, tels que présentés par les parties.

[120]       Le testament notarié requiert, on le sait, un témoin, parfois deux; le testament devant témoins requiert deux témoins. S'il y a plus que le nombre de témoins requis, pourquoi le législateur, dont le livre sur les testaments est imprégné de l'intention de faire primer les volontés du testateur, n'a-t-il pas choisi la solution préconisée par certains et qui consisterait à ne pas tenir compte du témoin-légataire s'il y a par ailleurs un nombre suffisant de témoins non légataires? C'est là, signalons-le au passage, la solution retenue par plusieurs provinces canadiennes[72].

[121]       Or, si la solution consistant à valider ainsi le legs dévolu au témoin « superflu » a même été considérée (ce qui n'est pas clair), elle n'a assurément pas été retenue par le législateur québécois, qui a plutôt choisi, à l'opposé, de promulguer l'inefficacité du legs fait au témoin « même en surnombre ». Ce faisant, il a choisi (réglant ainsi la controverse antérieure dont j'ai parlé plus tôt dans le cas des testaments notariés et devant témoins) de faire primer le principe de l'impartialité des témoins, même lorsqu'il y a surnombre, sur l'expression de la volonté particulière du testateur désireux d'avantager son témoin. Il n'a pas voulu non plus qu'on s'engage dans un débat qui aurait visé à déterminer lequel des témoins serait en surnombre ou aurait pu, s'il y a un ou deux autres témoins impartiaux, être considéré comme n'ayant pas qualité ou office de témoin.

[122]       Bref, cela signifie qu'au Québec le témoin inutile (parce qu'en surplus) du testament notarié ou devant témoins est sanctionné au même titre que les autres, peu importe qu'il y ait par ailleurs un nombre suffisant de témoins désintéressés : tout legs fait à l'un ou à l'autre est inefficace. Sur ce plan, le rapprochement que suggèrent les intimés, peut être fait avec le « témoin » du testament olographe, qui est lui aussi inutile et lui aussi en surnombre, c'est-à-dire en trop[73] : il n'y aurait donc pas lieu d'être plus clément envers le « témoin » d'un tel testament qu'on l'est envers le témoin inutile du testament notarié ou devant témoins.

[123]       L'appelante réplique que le « surnombre » renvoie à l'idée d'un excédent par rapport au nombre un, ce qui ferait en sorte que l'article 760 C.c.Q. exclurait le testament olographe, qui n'exige aucun témoin (zéro). Ce ne serait donc que dans le cas du testament notarié, qui exige au moins un témoin, et celui du testament devant témoins, qui en exige deux, qu'on pourrait parler de surnombre.

[124]       La locution « en surnombre » désignant simplement ce qui est « en trop »[74], cependant, cette prétention n'est pas entièrement convaincante, même s'il n'est pas faux de prétendre que l'expression est souvent utilisée pour désigner une situation où l'on se trouve en excédent d'un nombre égal ou supérieur à un ou en excédent d'une situation où tout est complet et à laquelle s'ajoute néanmoins un élément. L'argument sémantique est d'autant moins fort que le terme « nombre », dans son acception ordinaire autant que mathématique, inclut le nombre zéro[75]. La version anglaise de l'article 760 C.c.Q. emploie le mot « supernumerary »[76], dont le sens n'exclut pas non plus qu'une personne soit en excédent d'un nombre égal ou supérieur à zéro. Tout bien considéré, l'argument de l'appelante sur ce point ne peut emporter l'adhésion et, finalement, il n'est pas à première vue impensable de considérer le « témoin » du testament olographe comme un témoin « en surnombre ».

[125]       Par ailleurs, il est vrai que plusieurs provinces et territoires canadiens ont choisi de valider par une disposition législative expresse le legs fait au témoin du testament olographe, qui ne requiert l'attestation d'aucun témoin[77]. Cela n'est cependant pas de nature à influer sur l'interprétation à donner à l'article 760 C.c.Q. Dans les provinces canadiennes qui prévoient maintenant cette exception, la reconnaissance de la validité du legs fait au témoin du testament olographe s'inscrit logiquement dans la foulée de la reconnaissance de la validité du legs fait au témoin surnuméraire du testament devant témoins : en effet, les raisons qui expliquent la reconnaissance de l'exception dans le second cas valent a fortiori pour le cas du testament olographe. Au Québec, où l'on a préféré édicter l'inefficacité du legs au témoin en surnombre, on pourrait penser que la logique justifierait au contraire d'étendre cette inefficacité au « témoin » du testament olographe.

[126]       Je note aussi que trois provinces canadiennes[78] permettent au juge, malgré la règle générale d'invalidité, de confirmer le legs fait au témoin si celui-ci se décharge du fardeau de prouver qu'il n'a exercé aucune influence indue sur le testateur. Ce n'est pas non plus la voie qu'a choisie le législateur québécois, qui décrète une inefficacité sans exception. L'état du droit sur ce point dans les trois provinces canadiennes qui ont adopté ce modèle ne permet en rien d'interpréter l'article 760 C.c.Q.

[127]       Finalement, tout bien considéré, l'argument tiré de la mention du témoin « en surnombre » dans l'article 760 C.c.Q. paraît favoriser la position défendue par les intimées, mais jusqu'à un certain point seulement, puisqu'il ne répond pas à l'argument voulant que le terme « témoin » dans cette disposition ne puisse avoir que le sens qu'il a ailleurs dans le chapitre des testaments, c'est-à-dire le sens de témoin du testament notarié ou devant témoins[79].

[128]       L'argument relatif à l'interdiction des pactes sur succession future. Dans un article de 1974, commentant l'arrêt Dame Brassard-Barrette[80] et la controverse du témoin en surnombre dans le cas du testament authentique ou de forme anglaise, la professeure Castelli signale que :

            […] À moins d'avoir affaire à une signature postérieure à la rédaction du testament et apposée à l'insu du testateur, à quel titre le signataire a-t-il pu valablement intervenir à l'acte si ce n'est pas en qualité de témoin? Il semble, en effet, que dans un autre cas le testament tomberait sous l'interdiction des pactes sur succession future (art. 1061 — 989) que le legs soit fait au signataire ou à un parent de ce dernier — le « pacte » consistant alors en une stipulation pour autrui.

            Indépendamment de la protection de l'impartialité des témoins, la nullité d'un legs fait à un témoin ou à un parent semble en effet être une mesure de prudence quant à la nature du testament : la personne intéressée au legs aurait-elle signé comme témoin ou comme cocontractant? Même si le terme « témoin » est employé expressément il n'en reste pas moins une ambiguïté dangereuse pour le testateur lui-même. Aussi la signature d'une personne sur un acte de disposition à cause de mort à un titre autre que celui de témoins nous semble devoir entraîner la nullité de cet acte comme pacte par succession future.[81]

[129]       Ce passage envisage deux cas de figure, apparemment. Tout d'abord, on y précise que la nullité ou l'inefficacité du legs fait au témoin serait, au moins dans le cas des testaments notariés et devant témoins, une mesure destinée non seulement à garantir l'impartialité du témoin, mais aussi à prévenir les pactes sur succession future, prohibés à l'époque par l'article 1061 C.c.B.-C. (et aujourd'hui par les articles 631 et 706 C.c.Q.). À première vue, les propos de la professeure Castelli paraissent transposables à la situation de la personne qui, à titre de « témoin », signe le testament olographe d'autrui, particulièrement lorsqu'elle en est en même temps un légataire. Si la promulgation de la nullité ou de l'inefficacité du legs a pour objectif de prévenir ou de contrer aussi les pactes successoraux, on ne voit pas pourquoi cette « mesure de prudence » ne devrait pas s'appliquer aussi au testament olographe, ce qui militerait en faveur de l'application de l'article 760 C.c.Q. à ce type de testament.

[130]       Cela dit, même si le propos de la professeure Castelli est intéressant, je ne suis pas certaine qu'il corresponde à l'intention véritable que le législateur exprime à l'article 760 C.c.Q. Tel qu'il ressort de la genèse de cette disposition, ni la Commission du droit des successions, ni l'Office de révision, ni le ministre dans ses Commentaires n'ont évoqué l'idée que l'article 760 C.c.Q. puisse avoir une dimension anti-pactes successoraux : il s'agit plutôt d'éviter les conflits d'intérêts et de garantir ainsi l'impartialité et le désintéressement des témoins. Reconnaître une telle dimension à l'article 760 C.c.Q. irait plus loin que le législateur ne l'a lui-même voulu et donnerait à son action un fondement qui n'existe pas, en réalité. Il n'est pas impossible, bien sûr, que l'article 760 C.c.Q. ait accessoirement et en quelque sorte de surcroît un effet anti-pactes successoraux, mais je ne crois pas que cet effet accessoire puisse être l'outil déterminant de l'interprétation qu'il convient de donner à la disposition.

[131]       De plus, et c'est le second cas de figure envisagé par la professeure Castelli, si un tiers prétend avoir apposé sa signature sur un testament à un titre autre que celui de témoin, on devrait selon elle en conclure aussi, surtout si cette personne est légataire, que cela ne peut être qu'en vertu d'un pacte sur succession future : le legs serait donc nul en raison de la prohibition de telles ententes par l'article 1061 C.c.B.-C. et maintenant par les articles 631 et 706 C.c.Q., prohibition dont les articles 846 et 853 C.c.B.-C., maintenant 760 C.c.Q., seraient une incarnation. Or, comme on l'a vu plus tôt, la jurisprudence dominante[82] est au contraire favorable, dans ce cas, au maintien du legs et elle ne semble pas avoir retenu que l'apposition d'une signature à un titre autre que témoin puisse être interprétée comme la manifestation ou l'indice d'un pacte successoral. En revanche, cette jurisprudence paraît bien manifester que les tribunaux souhaitent assurer la protection et le respect de la volonté du testateur, telle qu'exprimée dans son testament, et que, sauf à contrevenir à l'ordre public ou à la raison, ils chercheront les moyens interprétatifs nécessaires à cette fin.

* *

[132]       Au bout du compte, on doit constater que l'examen de l'argument du surnombre et de l'argument de la prohibition du pacte successoral ne permet pas de résoudre de façon convaincante le dilemme interprétatif posé par l'article 760 C.c.Q.

* *

[133]       Examinant tout ce qui précède (contexte, historique législatif, arguments de texte et arguments téléologiques), nous nous retrouvons donc devant deux visions en apparence valables, étayées par des raisons qui ne le sont pas moins et devant un problème d'interprétation qui n'est pas facilement résolu. Comment trancher?

[134]       J'estime qu'en définitive, la seule façon de résoudre le problème est de donner à l'article 760 C.c.Q. le sens qui est le plus compatible avec le fondement du chapitre que le Code civil du Québec consacre au testament, à savoir la primauté de la volonté du testateur, corollaire de la liberté de tester[83]. Cette primauté, qui existait du reste en vertu du droit antérieur, doit être le principe interprétatif prééminent des dispositions législatives en la matière : en cas d'ambiguïté persistante, on doit donner à celles-ci, sans les dénaturer bien sûr, le sens qui favorise la validité ou l'efficacité des legs plutôt que leur invalidité ou leur inefficacité.

[135]       La primauté de la volonté du testateur est assurée par plusieurs dispositions législatives, dont les articles 703 et 712 à 714 C.c.Q. :

703.     Toute personne ayant la capacité requise peut, par testament, régler autrement que ne le fait la loi la dévolution, à sa mort, de tout ou partie de ses biens.

713.     Les formalités auxquelles les divers testaments sont assujettis doivent être observées, à peine de nullité.

            Néanmoins, le testament fait sous une forme donnée et qui ne satisfait pas aux exigences de cette forme vaut comme testament fait sous une autre forme, s'il en respecte les conditions de validité.

714.     Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s'il y satisfait pour l'essentiel et s'il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.

715.     Nul ne peut soumettre la validité de son testament à des formalités que la loi ne prévoit pas.

[136]       Le testament demeure certes un acte formaliste; il ne peut être fait que par écrit et doit répondre à certaines exigences qui sont autant de conditions de validité (article 713, premier alinéa), mais ce formalisme est fortement tempéré par le législateur. Celui-ci met en effet en oeuvre tout ce qui est nécessaire pour assurer d'une part la liberté du testateur, consacrée à l'article 703 C.c.Q., et d'autre part le respect des volontés exprimées dans l'exercice de cette liberté. C'est ainsi que le second alinéa de l'article 713 prévoit que si un testament n'est pas valable sous une forme, il peut être avalisé sous une autre. L'article 714 reconnaît qu'il suffit que le testament olographe ou devant témoins satisfasse pour l'essentiel aux conditions propres à ces formes, ce que la jurisprudence a jusqu'ici interprété de façon libérale[84], précisément en vue d'assurer le respect et la réalisation des volontés non équivoques du testateur.

[137]       Les dispositions relatives aux conditions de validité des testaments et des legs devant être interprétées libéralement, il s'ensuit que les restrictions à la liberté de tester ou à la réalisation des volontés du testateur doivent normalement être interprétées de façon limitative, afin de ne pas contrecarrer ces mêmes volontés.

[138]       On note par ailleurs au Code civil du Québec, par rapport à la situation qui existait sous l'empire du Code civil du Bas-Canada, une simplification ou un allégement de certaines conditions testamentaires : règle générale, un seul témoin est désormais requis dans le cas du testament notarié (par exception, deux témoins seront requis, mais dans des cas bien circonscrits par le législateur); on a réduit les causes d'inhabilité des témoins et l'on a réduit de même les motifs d'inefficacité des legs aux témoins. Ainsi, dans ce dernier cas, alors que les articles 846 et 853  C.c.B.-C. déclaraient nul le legs fait aux témoins, aux conjoints de ceux-ci ou à quelqu'un de leurs parents jusqu'au premier degré, l'article 760 C.c.Q. n'impose dorénavant l'inefficacité qu'au legs fait aux témoins eux-mêmes : c'est un choix auquel le législateur, moins exigeant sur ce point que l'Office de révision du Code civil[85], n'a pas dérogé depuis le Projet de loi no 107[86].

[139]       Peut-on, dans ces circonstances, compte tenu du principe interprétatif applicable, conclure que le législateur, qui a voulu d'un côté alléger les exigences relatives aux témoins, a voulu de l'autre, par l'article 760 C.c.Q., les alourdir ou les augmenter en proclamant non seulement l'inefficacité du legs fait au témoin du testament notarié ou devant témoins, mais aussi celle du legs fait au témoin du testament olographe?

[140]       Comme on l'a vu précédemment, si l'inefficacité du legs aux témoins du testament notarié ou devant témoins se justifie pleinement par la mission particulière dont sont investies ces personnes en vue d'assurer que l'écrit, qui n'est pas de la main du testateur, reflète bien les volontés de celui-ci, elle s'explique beaucoup moins bien dans le cas du « témoin » du testament olographe, témoin auquel aucune mission d'attestation n'est confiée et dont la présence n'est nullement requise. La logique qui préside à l'inefficacité du legs au témoin du testament notarié ou devant témoins ne vaut pas pour le « témoin » du testament olographe. Assujettir celui-ci à l'article 760 C.c.Q., en l'absence d'une manifestation explicite de pareille intention législative, équivaut à assujettir à une sorte de formalisme un testament que le législateur a pourtant délibérément placé hors du formalisme caractéristique du testament notarié ou devant témoins.

[141]       On ne peut nier que l'historique législatif semble à certains égards militer en faveur de l'application de l'article 760 C.c.Q., de même que, dans une certaine mesure, l'argument de texte issu de l'affirmation de l'inefficacité du legs au témoin en surnombre.

[142]       Dans le cas de l'historique législatif, toutefois, il faut bien reconnaître que la situation est sans doute plus compliquée et confuse qu'il n'y paraît. Bien sûr, il y a l'évolution des textes : on est passé de ceux de l'Office de révision du Code civil, clairement applicables aux seuls testaments notariés et devant témoins, à des textes qui, à la faveur de la succession des projets de loi, ont été réunis dans une disposition générale ne faisant plus mention du testament notarié ou devant témoins, absence dont on pourrait inférer une application au testament olographe qui, n'étant pas exclu, doit être inclus. En outre, il y a l'intervention du Barreau, qui suggérait l'élargissement de la sanction d'inefficacité au testament olographe (sans motiver cette suggestion, toutefois).

[143]       Mais en réalité, et pour dire les choses franchement, l'affaire semble être en quelque sorte passée sous le radar législatif, ne donnant lieu à aucun commentaire particulier, à aucune explication officielle. Et cela sans compter le problème de l'état du droit antérieur à l'adoption du Code civil du Québec, problème évoqué plus haut.

[144]       Ainsi qu'on l'a vu, jusqu'en 1972, la doctrine semblait traiter comme une évidence le fait que l'article 846 C.c.B.-C. ne s'appliquât qu'aux testaments authentiques et l'article 853 C.c.B.-C. aux testaments de forme anglaise. En 1972, la Cour supérieure, dans l'affaire Dame Brassard-Barrette[87], alors qu'elle n'est pas saisie du problème d'un testament olographe, déclare péremptoirement en obiter que l'article 846 C.c.B.-C. s'applique à toutes les formes de testament. Ce n'est cependant qu'avec l'affaire Lebrun c. Filion[88], en 1988, que l'on aborde de front la question pour affirmer en effet que l'article 846 C.c.B.-C. s'applique au testament olographe, assertion qui doit être reçue avec réserve, comme on l'a vu également. C'est donc dire que lorsque l'Office fait ses propositions en 1977 (et avant lui le Comité du droit des successions), il n'y a sur l'écran que l'affaire Dame Brassard-Barrette, qui n'était pas de nature à soulever sur ce point un grand débat, s'agissant d'un obiter et, qui plus est, d'un obiter minimaliste, peu susceptible d'ébranler l'idée qu'on s'était faite jusque-là de l'application de l'article 846 C.c.B.-C. aux seuls testaments notariés et de l'article 853 C.c.B.-C. aux seuls testaments de forme anglaise. Et, de même, il n'y a toujours que Dame Brassard-Barrette quand le législateur, en 1984, avec le premier Projet de loi 20, adopte une disposition qui ressemble fort à l'actuel article 760 C.c.Q., qui ne mentionne plus le testament notarié et le testament devant témoins, mais use plutôt d'un langage général potentiellement applicable au testament olographe. Mais peut-on vraiment, sur la seule foi de l'affaire Dame Brassard-Barrette et d'une suggestion discrète du Barreau, penser que le législateur ait entendu véritablement proclamer l'inefficacité du legs fait au « témoin » du testament olographe, alors qu'aucun témoin n'est exigé en pareil cas, et s'écarter ainsi du droit antérieur qui réservait apparemment cette sanction aux testaments notariés (authentiques) et devant témoins (de forme anglaise)? On peut en douter sérieusement.

[145]       Quant à l'affaire Filion c. Lebrun, qui date de 1988, elle est postérieure à l'adoption et à la sanction du second Projet de loi 20 (présenté en 1985 et sanctionné en 1987) et n'a pu avoir d'influence sur un texte qui n'a pas changé par la suite, sur un sujet qui n'a jamais été rediscuté. Du reste, cette décision était fort critiquable, comme le montrera par la suite l'affaire Fraser c. Fraser[89], et on ne peut penser que le législateur aurait été insensible à ces critiques.

[146]       Pour le reste, chaque argument favorable à l'application de l'article 760 C.c.Q. au testament olographe trouve son contre-argument : à l'argument de texte du surnombre répond celui qui veut que le terme « témoin » utilisé dans l'article 760 C.c.Q. corresponde au terme « témoin » employé dans le chapitre sur les testaments, qui n'y réfère qu'en rapport avec le testament notarié ou devant témoins; à l'argument du positionnement de l'article 760 C.c.Q. dans une section et même un chapitre qui s'appliquent à toutes les formes de testament répond l'argument téléologique lié à l'objectif d'impartialité et de neutralité poursuivi par le législateur, qui n'est pas pertinent au testament olographe; à l'argument du langage général de l'article 760 C.p.c. et de l'évolution de son libellé depuis les premières propositions de réforme répond un argument d'analyse historique; et ainsi de suite.

[147]       Reste aussi l'argument de la captation ou de la fraude : l'article 760 C.c.Q. serait une mesure destinée à éviter la captation ou la fraude et il n'y aurait pas lieu de ne pas en faire bénéficier le testateur qui décide de rédiger un testament olographe, qui est peut-être particulièrement vulnérable. Mais à cet argument s'oppose celui, tout aussi fort, de l'incongruité d'une sanction qui viserait le legs fait à une personne dont la présence comme « témoin » n'est pas requise et qui n'a aucune mission d'attestation particulière, au contraire des témoins exigés pour le testament notarié ou devant témoins.

[148]       Finalement, je reprends les deux thèses qui émergent de toute cette discussion :

-           la première veut que l'article 760 C.c.Q. s'applique au testament olographe et s'appuie sur l'historique législatif de la disposition, sur le caractère général et non spécifique du vocabulaire qu'elle emploie, sur son positionnement dans le code, sur l'argument a fortiori découlant de l'inefficacité du legs fait au témoin « même en surnombre » et sur la nécessité d'une protection contre la captation et la fraude;

-           la seconde veut que l'article 760 C.c.Q. ne s'applique pas au testament olographe et s'appuie elle aussi sur le contexte historique de la disposition mais également sur l'illogisme d'une sanction visant un témoin dont la présence n'est pas requise par le législateur, dont l'intervention n'est d'aucune façon nécessaire pour assurer la validité du testament olographe, à qui le législateur ne confie, au contraire du témoin du testament notarié ou devant témoins, aucune mission d'attestation exigeant l'impartialité que vise à garantir la disposition litigieuse, et qui, en définitive, n'est pas un « témoin » au sens de l'article 760 C.c.Q., c'est-à-dire un témoin instrumentaire, même s'il peut l'être au sens familier, c'est-à-dire judiciaire, du terme.

[149]       Cela étant, compte tenu de la primauté de la volonté du testateur comme principe interprétatif prééminent des dispositions du titre des testaments, je conclus que c'est la seconde thèse qui doit l'emporter : l'article 760 C.c.Q. ne s'applique pas au testament olographe.

[150]       Une dernière chose : je n'ai guère parlé ici du second alinéa de l'article 760 C.c.Q., qui n'a lui non plus pas fait l'objet de grands débats au moment de son adoption. J'estime que les mêmes motifs vaudraient pour ce second alinéa, qui n'est qu'un cas de figure particulier de la règle plus générale énoncée par le premier alinéa.

* *

[151]       Par conséquent, le legs dévolu à l'appelante par le testament olographe de feue Norma Caisse n'est pas assujetti à l'article 760 C.c.Q.

* * *

[152]       Je recommande en conséquence d'accueillir l'appel, d'infirmer le jugement de première instance et de déclarer que le legs dévolu à l'appelante n'est pas inefficace du fait de l'article 760 C.c.Q. Cela ne préjuge en rien de l'issue du débat sur l'authenticité du testament, puisqu'on sait que les intimées prétendent qu'il s'agit d'un faux. Les présents motifs n'empêcheront pas non plus les intimées de faire valoir l'incapacité de tester de feue Norma Caisse, le cas échéant, ou tout autre motif de nullité testamentaire.

[153]       Vu la nature du débat et le caractère conjoint de la procédure en première instance, je suggère que le tout soit sans frais.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH J.C.A.

 

 



[1]     La mise en cause Rollande Bilodeau n'a pas comparu en première instance et pas davantage en appel.

[2]     Plan d'argumentation des intimées, p. 1.

[3]     Plan d'argumentation de l'appelante, p. 1.

[4]     Plan d'argumentation de l'appelante, p. 3 in fine et 4.

[5]     Gendron c. Gendron, [1999] R.L. 546 (C.S.).

[6]     Voir par exemple : Jacques BEAULNE, « Les successions (ouverture, transmission, dévolution, testaments), dans La Réforme du Code civil, Ste-Foy : Les Presses de l'Université Laval, 1993, 241-353, p. 326, paragr. 253; Roger COMTOIS, Les testaments, mis à jour par Jacques BEAULNE, Montréal : Wilson & Lafleur ltée, 2004, p. 34, paragr. 153 et 154; Marilyn PICCINI ROY, « Les dispositions testamentaires et les legs », dans École du Barreau, Personnes, famille et successions, coll. de droit 2008-2009, vol. 3, Cowansville : Les Éditions Yvon Blais inc., 2008, p. 475.

[7]     Voir par exemple : Germain BRIÈRE, Les successions, Cowansville : Les Éditions Yvon Blais inc., 1994, p. 626, note infrapaginale 515-6 (« Voir Filion c. Lebrun, J.E. 88-799 (C.S.), où l'on a décidé, en appliquant l'article 846 C. civ. B. C., que le legs fait à un témoin à l'intérieur d'un testament valide sous la forme olographe était lui-même entaché de nullité »); Nicholas KASIRER, « The “Judicial Will” Architecturally Considered », (1996) 99 R. du N., 3, p. 30 et note infrapaginale 98 (où, à propos d'un testament fidèlement transcrit, à la main, par la sœur du testateur et ultérieurement vérifié et validé comme testament olographe en vertu de l'article 714 C.c.Q., l'auteur remarque : « [i]f the will had been made before witnesses and, instead of transcribing the text, she had acted as a witness, the legacy to her would have been null under art. 760 C.C. To say the least, this alternative outcome is hard to reconcile with the result in Mercier, ibid.) »; Germain BRIÈRE, Droit des successions, 3e éd. par Jacques BEAULNE, Montréal : Wilson & Lafleur ltée, 2002, p. 280-281, paragr. 517 (« La question de la valeur d'un legs fait à un témoin ne devrait pas se poser pour le testament olographe; il arrive cependant qu'une personne faisant son testament sous cette forme pense bien faire en obtenant la signature d'un ou deux témoins. Or on a jugé que le legs fait à l'un de ces témoins était nul » — on trouve le même passage dans la deuxième édition de l'ouvrage, sous le titre Le nouveau droit des successions, en 1997, à la p. 298, avec deux renvois jurisprudentiels en moins); Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, Montréal : Wilson & Lafleur ltée, p. 91, paragr. 176 (« Par contre, l'article 760 C.c.Q., qui impose la même conséquence [la nullité] au legs fait aux témoins, même en surnombre, vise toute forme de testament. Aussi les legs consentis au profit de ces personnes seront-ils inefficaces, sans toutefois invalider les autres dispositions de l'acte »); Marie-Claude ARMSTRONG. Élisabeth PINARD et Catherine GENDRON, « L'annulation de testaments pour motif de captation et caducité de legs pour motif d'indignité », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Fiducies personnelles et successions, vol. 269, Cowansville : Les Éditions Yvon Blais inc., 49-77, 2007, p. 62 (« Cette prohibition s'applique tant au testament notarié qu'à celui fait devant témoins. La cour a décidé que même si le témoin est en surnombre, puisque la loi impose un nombre minimum de témoins, rien ne justifie d'écarter l'application de l'article et le legs sera sans effet à l'égard de ce bénéficiaire. Le testateur qui décide faire signer son testament olographe par un témoin alors que la loi n'impose pas cette formalité, verra annuler le legs consenti au témoin »).

[8]     EYB2001DCQ232, Commentaire sur l'article 760 C.c.Q. (approx. 2 page(s).

[9]     Voir par exemple : Denault c. Belouin, [1933] 55 B.R. 192; Dion c. Dion, [1951] C.S. 416; Hamel c. Hamel, [1953] B.R. 571; Jean-Guy CARDINAL, « Testament authentique - Témoin parent avec le légataire universel — Vérification sous la forme anglaise », [1957] 59 R. du N. 504; Yves BELZILE, « Validité du legs fait au frère du témoin au testament », [1973] 75 R. du N. 408; Comité du droit des successions (Office de révision du Code civil), Rapport sur les successions, Montréal, 1976, p. 298 et 300, à propos de l'article 236 destiné à remplacer l'article 846 C.c.B.-C., deuxième paragraphe; Germain BRIÈRE, « Le projet de réforme du droit des successions », (1984) 15 R.G.D. 405 , p. 427-428; Jacques BEAULNE, « Des testaments », (1988) 2 C.P. du N. 66, p. 182, paragr. 471.

[10]    Commissaires chargés de codifier les lois du Bas Canada, en matières civiles, Code civil du Bas-Canada — Quatrième et Cinquième Rapports, vol. 2, Québec, Georges Desbarats, 1865, p. 344 et 346 (art. 99 et 99a) et p. 350 (art. 107).

[11]    Ibid., p. 174.

[12]    Ibid., p. 172 et 176.

[13]    Ibid., p. 176.

[14]    Pierre-Basile MIGNAULT, Le droit civil canadien, t. 4, Montréal : C. Théorêt, éditeur, 1890, p. 288 et s.

[15]    Hervé ROCH, Donations, testaments, legs, exécuteurs testamentaires, dans Traité de droit civil du Québec, t. 5, Montréal : Wilson & Lafleur (limitée), 1953, p. 313-314 et 341-342.

[16]    Germain BRIÈRE, Les libéralités, Ottawa : Éditions de l'Université d'Ottawa, 1982, p. 162, paragr. 288 et 289.

[17]    [1972] R.P. 296 (C.S.), p. 296.

[18]    J.E. 88-799 (C.S.).

[19]    Ibid., p. 7 à 10.

[20]    Germain BRIÈRE, Précis du droit des successions, 2e éd., Montréal : Wilson & Lafleur ltée, 1991, p. 241, paragr. 332 in fine. Dans un ouvrage publié en 1990, Brière renvoie encore à l'affaire Filion, mais cette fois sans commentaire critique : Germain BRIÈRE, Les successions, dans Traité de droit civil, Cowansville : Les Éditions Yvon Blais inc., 1990, p. 506, note infrapaginale 421-2, où, parlant du fait que la signature de témoins sur un testament olographe n'invalide pas celui-ci, l'auteur cite une certaine affaire, à la suite de quoi, il ajoute que « [t]outefois le legs fait à un témoin pourrait être déclaré nul; cf. Filion c. Lebrun, J.E. 88-799 (C.S.) ». Plus loin, à la p. 596, se réjouissant de l'adoucissement que le nouveau Code civil apportera aux règles concernant la nullité du legs au témoin par la suppression de la nullité du legs au conjoint ou au parent, l'auteur note que : « en effet, peu nombreux sont les profanes qui connaissaient les subtilités de la loi en la matière; on peut accepter d'agir comme témoin en toute bonne foi, ignorant que ce faisant on rend inefficace le legs fait à un proche ». La note infrapaginale 5 accompagnant ce passage indique ce qui suit : « Voir Filion c. Lebrun, J.E. 88-799 (C.S.), où l'on a décidé, en appliquant l'article 846 C.civ. B.-C., que le legs fait à un témoin à l'intérieur d'un testament valide sous la forme olographe était lui-même entaché de nullité ». On trouve les mêmes remarques et les mêmes notes dans l'édition 1994 du même ouvrage : Germain BRIÈRE, op. cit., voir supra, note 7, p. 534, paragr. 423 in fine et note infrapaginale 423-2, et p. 626, paragr. 515 et note infrapaginale 515-6.

[21]    Germain BRIÈRE, Précis du droit des successions, précité, note 20 p. 241. On trouve la même observation et la même note infrapaginale 304a dans la troisième édition du même ouvrage : Germain BRIÈRE, Précis du droit des successions, 3e éd., Montréal : Wilson & Lafleur ltée, 1993, p. 244.

[22]    Germain BRIÈRE, Précis du droit des successions, 2e éd., voir supra, note 20, p. 288, paragr. 411. On trouve exactement la même observation dans la troisième édition de l'ouvrage : Germain BRIÈRE, op. cit., voir supra, note 21, p. 292, paragr. 411.

[23]    J.E. 95-399 (C.S.).

[24]    Jean MARTINEAU, « Le carnet d'un praticien », (1994-1995) 97 R. du N., 495, p. 497.

[25]    Dans Demers c. Vallée, [1951] C.S. 424 , p. 428 et 429, la Cour supérieure, à propos de la validité de codicilles olographes attestés par deux témoins, écrit que :

            Dans le cas du codicille du 24 octobre 1941 et des parties en date du 11 avril (sans mention d'année) et du 6 août 1943 du codicille en trois parties où il y a une écriture étrangère, cette écriture ne forme pas partie du codicille et n'y ajoute rien, car avant la signature des témoins, lesdits codicilles ou parties de codicille étaient déjà parfaits comme codicilles olographes. Les signatures des témoins, qui se trouvent toujours après la signature de la testatrice, ne sont pas dans le codicille et, dans l'opinion du Tribunal, n'affectent pas la validité des codicilles. La partie en date du 20 janvier 1942 du codicille en trois parties ne contient que l'écriture de la testatrice.

[…]

            L'opinion du Tribunal est confirmée là-dessus par l'article 855 C.C. et le rapport des codificateurs :

[…]

            C'est-à-dire qu'un testament nul sous l'une des trois formes peut valoir comme fait sous l'une ou l'autre des deux autres formes. Ainsi, un testament qui n'est pas valide comme testament dans la forme anglaise peut tout de même valoir comme testament olographe, pourvu toutefois que le corps du testament soit entièrement écrit et que le testament soit signé de la main du testateur. Pour donner un effet quelconque à l'article 855 quand il s'agit d'un testament supposé être dans la forme anglaise, mais qui n'est pas dans la forme requise, il faudrait, il me semble, admettre la validité d'un codicille comme les codicilles présentement devant la Cour, autrement, il est difficile d'imaginer le cas où un testament supposé rédigé dans la forme anglaise, mais nul pour défaut d'observation des formes requises, puisse être valide comme testament olographe.

      Voir, citant ce jugement : Germain BRIÈRE, Les successions, voir supra, note 20, p. 506, paragr. 421 in fine et note infrapaginale 421-2, et la deuxième édition du même ouvrage (1994), op. cit., voir supra, note 7, p. 534, paragr. 423 in fine et note infrapaginale 423-2. Le même auteur confirme son propos dans Le nouveau droit des successions, 2e éd., Montréal : Wilson & Lafleur ltée, 1997, p. 249, paragr. 333 in fine et note infrapaginale 389. Voir par ailleurs : Murnaghan c. Alie, [1987] R.L. 49 (C.A.), où la Cour, sous la plume du juge Gendreau, écrit que :

Le document du 17 avril 1979 est écrit en entier de la main de la défunte et signé par elle.  Il rencontre les exigences de l'article 850 C.C. Le fait que deux témoins y aient également apposé leur signature ne change rien à son caractère olographe et n'en fait pas, à lui seul, un testament rédigé selon la forme dérivée de la loi d'Angleterre. […]

[26]    Jean-Guy CARDINAL, loc. cit., voir supra, note 9, p. 504-505.

[27]    Yves BELZILE, loc. cit., voir supra, note 9, p. 409-410. Voir aussi : Mireille D. CASTELLI, « L’article 855 du C.c. et la nullité d’un legs », (1974) 15 C. de D. 203, p. 205 (« [i]l est d'ailleurs admis que lorsque le testament est fait sous la forme dérivée de la loi d'Angleterre, cette interdiction s'applique même aux témoins surnuméraires. La jurisprudence fait donc (à juste titre d'ailleurs nous semble-t-il) une application générale, large, de ces articles [on parle ici des art. 846 et 853 C.c.B.-C.]. Il ne suffit pas qu'il se trouve assez de témoins n'ayant pas reçu pour eux-mêmes ou pour leurs proches des legs — et donc n'ayant pas d'intérêt au testament — pour écarter l'application de ces articles pour les autres témoins »).

[28]    Voir supra, note 9, p. 193 (j. Tellier) et p. 193-195 (j. Hall).

[29]    Voir supra, note 9.

[30]    Ibid., p. 419.

[31]    Germain BRIÈRE, op. cit., note 7, p. 626, paragr. 515.

[32]    Hamel c. Hamel, voir supra, note 9, p. 571. Dans le même sens : Dion c. Dion, voir supra, note 9, p. 419 et 420-421.

[33]    J.E. 96-1082 (C.A.).

[34]    Comité du droit des successions (Office de révision du Code civil), op. cit. note 9, p. 298 et 300 (art. 236) et p. 312 (art. 245).

[35]    Office de révision du Code civil, Projet de Code civil, vol. 1 du Rapport sur le Code civil du Québec, Québec : Éditeur officiel du Québec, 1977, p. 181-182.

[36]    Office de révision du Code civil, Commentaires, vol. 2 du Rapport sur le Code civil du Québec, t. 1, Québec : Éditeur officiel du Québec, 1977, p. 307.

[37]    Voir supra, note 18.

[38]    Mémoire de la Sous-commission du Barreau du Québec sur le droit des successions présenté à la Commission parlementaire des 12, 13 et 14 avril 1983 sur le projet de loi 107. Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions, mars 1983, 142p., p. 74-75.

[39]    « Étude détaillée du projet de loi 20 — Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens (12) », Journal des débats, Sous-commission des institutions, 13 juin 1985 — No 12, p. S-CI-528.

[40]    Voici le texte intégral de l'article 811 :

811.      Le legs fait au notaire qui reçoit le testament est sans effet, mais laisse subsister les autres dispositions du testament.

            Il en est de même du legs fait au conjoint du notaire ou à l'un de ses parents au premier degré.

[41]    Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens, L.Q. 1987, c. 18.

[42]    Commentaires du ministre de la Justice, t. 1, Québec : Les Publications du Québec, 1993, p. 449 et 450.

[43]    [2000] 1 R.C.S. 665 .

[44]    2008 csc 64 .

[45]    [2007] 2 R.C.S. 801 .

[46]    Voir supra, note 17.

[47]    Voir supra, note 18.

[48]    Voir supra, note 9.

[49]    Voir supra, note 9.

[50]    Voir supra, note 9.

[51]    Voir supra, note 23 ainsi que les paragr. [60] et [61] des présents motifs.

[52]    Voir supra, paragr. [80] des présents motifs.

[53]    Voir supra, note 5.

[54]    Ibid., p. 549.

[55]    La Cour suprême, dans l'arrêt Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, voir supra, note 45, paragr. 14 et 15, rappelle que l'ordonnancement et l'organisation des normes dans le Code civil du Québec est un élément à considérer, ce qu'elle confirme dans l'arrêt Ciment Saint-Laurent inc., voir supra, note 44, paragr. 72 et s.

[56]    Les trois autres sections du chapitre quatrième traitent respectivement des espèces de legs (universel, à titre universel et particulier), des légataires et des effets des legs (incluant la représentation). Elles ne font pas de distinctions entre les diverses formes de testament.

[57]    Voir supra, paragr. [57] à [59].

[58]    Dans le cas du testament notarié, ces conditions de validité sont celles des articles 716 à 721 C.c.Q., auxquels s'ajoutent les articles 43 et 45 et s. de la Loi sur le notariat, L.R.Q., c. N-3; dans le cas du testament devant témoins, les formalités sont celles que prescrivent les articles 727 à 730 C.c.Q.

[59]    L'article 975 du Code civil français dispose que :

Ne pourront être pris pour témoins du testament par acte public, ni les légataires, à quelque titre qu'ils soient, ni leurs parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement, ni les clercs des notaires par lesquels les actes seront reçus.

[60]    Voir par exemple : François TERRÉ et Yves LEQUETTE, Les successions. Les libéralités., Paris : Dalloz, 1983, p. 348. Cependant, par exception, « lorsqu'il a été appelé à un testament un plus grand nombre de témoins que celui qui est exigé par la loi, l'incapacité de l'un ou de plusieurs d'entre eux ne vicie pas le testament, s'il reste par ailleurs des témoins capables en nombre suffisant » (AUBRY et RAU, Droit civil, 6e éd. par Paul ESMEIN, t. 10, Paris : Librairies Techniques, 1954, p. 590).

[61]    Alberta Law Reform Institute, The Creation of Wills, Report for Discussion No. 20, September 2007, p. 123-124. Dans le même sens, voir aussi : Pierre-Basile MIGNAULT, op. cit., voir supra, note 14, p. 306. Voir aussi : Thomas FEENEY, Feeney's Canadian Law of Wills, 4th ed. by James MacKenzie, Markham : Butterworths, 2000, p. 4.15.2, paragr. 4.32 (“The general rule of the wills legislation is that a gift to either a witness of the will or to the spouse of a witness is void.”).

[62]    Comme on le verra plus loin [voir infra, note infrapaginale 72], ce principe connaît lui-même des exceptions législatives pour le témoin en surnombre ou dont la présence n'est pas requise.

[63]    Encore que le libellé de l'article 846 C.c.B.-C. ait aussi été inspiré du Code civil du Canton de Vaud. Voir Commissaires chargés de codifier les lois du Bas Canada, en matières civiles, op. cit., supra, note 10, p. 174 (supra, paragr. [48]).

[64]    Antérieurement à 1866, était nul le testament signé par un témoin-légataire. Dans son ouvrage précité (voir supra, note 14, p. 289), Mignault, à propos de l'article 846 C.c.B.-C., écrit que :

      Cette disposition est de droit nouveau.

      Avant le code un testament était nul en totalité lorsqu'il y était fait quelque legs aux notaires ou à leurs parents et alliés jusqu'au degré de cousin germain inclusivement, à moins, quant aux parents et alliés, que le legs à eux fait fût d'une valeur minime. Et il y avait pareillement nullité pour le tout à cause des legs faits aux témoins en général, et des legs universels ou à titre universel faits aux parents et alliés des témoins jusqu'au même degré inclusivement; mais rien n'empêchait que des legs particuliers ne fussent faits aux parents et alliés des témoins (art. 99 du projet).

      Les codificateurs avaient proposé que les legs faits aux notaires ou aux témoins, et à leurs parents et alliés jusqu'au degré de cousin germain inclusivement, fussent nuls, mais ne rendissent pas nulles les autres dispositions du testament (art. 99a du projet).

      Le législateur, cependant, tout en acceptant le principe que la nullité du legs n'affecterait pas la validité du testament, étendit la cause de nullité aux legs fait à la femme du notaire ou des témoins, mais, quant à la parenté, la restreignit au premier degré. […]

      Dans le même sens, voir la p. 291 et, pour le testament fait selon la forme dérivée de la loi d'Angleterre, les p. 305 et 306.

[65]    Voir : Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1999, p. 419-422.

[66]    Sur les inconvénients associés au testament olographe, voir par exemple : Germain BRIÈRE, op. cit., voir supra, note 7, p. 535, paragr. 426.

[67]    Non pas la publicité du contenu, mais celle de l'existence même de l'acte testamentaire.

[68]    C'est aussi une raison qu'on invoque en droit anglais et canadien. Voir : Alberta Law Reform Institute, op. cit., voir supra, note 61, p. 124.

[69]    Germain BRIÈRE, op. cit., voir supra, note 7, p. 625 in fine, paragr. 515.

[70]    Ibid., p. 535, paragr. 426.

[71]    Voir supra, note 5 et paragr. [95].

[72]    À titre purement comparatif, on pourra ainsi consulter les lois suivantes : Wills Act, R.S.B.C. 1996, c. 489, art. 11, paragr. 2; Wills Act, R.S.N.S. 1989, c. 505 (consolidated August 18, 2008), art. 12; Wills Act, R.S.A. c. 2000, c. W-12, art. 13, paragr. 2; Loi portant réforme du droit des successions, L.R.O. 1990, c. S.26, art. 12, paragr. 4; Loi sur les testaments, L.R.N.-B., c. W-9, art. 12, paragr. 2; Wills Act, C.C.S.M., c. W150, art. 12, paragr. 2; Wills Act 1996, S.S. 1996, c. W-14.1, art. 13, paragr. 4; Consolidation of Wills Act, R.S.N.W.T. 1988, c. W-5, art. 10, paragr. 2; R.S.Y. 2002, c. 230, art. 9, paragr. 2. Voir aussi le Wills Act, R.S.N.L. 1990, c, W-10, art. 7.

[73]    Le Grand Robert de la langue française, édition électronique correspondant à l'édition en 6 volumes de l'ouvrage, 2001, « surnombre » : « ¨ Rare. Quantité qui dépasse un nombre fixé, donné. —  Loc., cour. En surnombre : en excédent*, en trop. | Être en surnombre ( Surnuméraire). »

      À l'entrée « Surnuméraire », on trouve ce qui suit à la définition 1, seule pertinente ici : « Qui est en surnombre, en trop. | Arbres surnuméraires, dans une coupe. | Doigt surnuméraire (→ Polydactylie), organes surnuméraires (en tératologie). »

[74]    Comme le confirme d'ailleurs l'extrait de Le Petit Larousse illustré, Paris : Larousse, 2004, p. 1-23, auquel l'appelante renvoie elle-même : « surnombre n.m. Nombre supérieur au nombre prévu et permis. ◊ En surnombre : en excédent, en trop. »

[75]    Le Grand Robert de la langue française, voir supra, note 73, « nombre ».

[76]    Canadian Oxford Dictionary, Don Mills, Ont. : Oxford University Press Canada, 2004, p. 1562 : «[…] adjective 1 in excess of the normal number; extra. 2 (of a person) engaged for extra work. 3 (of an actor) Appearing on stage but not speaking. ● noun (pl. -ies) 1 am extra or unwanted person or thing 2 a supernumerary actor. 3 a person engaged for extra work. [Late Latin supernumerarius (soldier) added to a legion already complete, from Latin super numerum beyond the number].».

[77]    Voir les lois de l'Alberta, Saskatchewan, Manitoba, Ontario, Nouveau-Brunswick, Yukon, Nunavut, précitées, note 72.

[78]    Ontario (article 12, paragr. 3, de la Loi portant réforme du droit des successions, voir supra, note 72), Manitoba (article 12, paragr. 3, du Wills Act, voir supra, note 72), Saskatchewan (article 13, paragr. 5, du Wills Act 1996, voir supra, note 72).

[79]    Voir le paragr. [110] des présents motifs, supra.

[80]    Voir supra, note 17 et paragr. [55].

[81]    Mireille D. Castelli, loc. cit., voir supra, note 27 p. 205-206.

[82]    Voir les paragr. [66] et [67] , supra, et les affaires Hamel c. Hamel, voir supra, note 9, Dion c. Dion, voir supra, note 9 et Gervais c. Brais, voir supra, note 33.

[83]    Ainsi que l'écrit le professeur Ciotola :

La liberté absolue de disposer de ses biens par donation ou testament est la règle et pour y déroger, il faut une expression claire de la volonté du donateur ou du testateur ou une disposition de la loi.

(Pierre CIOTOLA, « Des principes usuels d'interprétation des testaments et les décisions rendues en 2007 », (2008) 110 R. du N. 37, p. 39.)

      La liberté de tester et la primauté qui doit être accordée aux volontés du testateur ont été rappelées récemment par la Cour dans Parent c. Stocola (Succession de), 2009 QCCA 1286 , J.E. 2009-1329 , paragr. 19-21.

[84]    Voir par exemple : Paradis c. Jones, 2008 QCCA 1105 ; B.E. 2008BE-741 .

[85]    Voir supra, paragr. [72] et [73].

[86]    Voir supra, paragr. [75].

[87]    Voir supra, note 17.

[88]    Voir supra, note 18.

[89]    Voir supra, note 23.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.