Décision

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Décision

Charron c. Coleman

2014 QCRDL 2803

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier:

114361 31 20131003 G

No demande:

1332302

 

 

Date :

28 janvier 2014

Régisseure :

Manon Talbot, juge administratif

 

JOCELYNE CHARRON

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

CHAIN COLEMAN

 

SARAH V. RAMDE

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une procédure introduite le 3 octobre 2013 au tribunal de la Régie du logement, la locatrice demande le recouvrement du loyer (40 $) ainsi que les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue par la loi.

[2]      Il s’agit d’un bail du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 au loyer mensuel de 830 $, payable le premier jour de chaque mois, lequel fut renouvelé jusqu’au 30 juin 2014 au loyer mensuel de 845 $, affirme la locatrice.

[3]      Elle soumet que les locataires n’ont pas payé l’augmentation de loyer de 15 $ depuis le mois de juillet 2013. Ils ont toutefois offert et payé une augmentation de 5 $, laissant un solde impayé de 10 $ par mois depuis le mois de juillet 2013.

[4]      À l’audience, les locataires allèguent ne pas avoir à payer l’augmentation demandée, ayant refusé celle-ci par un courriel expédié au gestionnaire de la locatrice, Denis Lebeau, en date 4 mars 2013, soit dans le délai imparti, pour faire suite à un avis d’augmentation reçu le 22 février 2013. Dans cette missive, ils proposent une augmentation mensuelle de 5 $

[5]      Par ailleurs, ils soutiennent que l’année précédente ils ont utilisé le courriel comme mode de transmission de leur refus à l’augmentation du loyer proposée, et ce, sans opposition de la part de monsieur Lebeau.

[6]      À ce sujet, monsieur Denis Lebeau témoigne avoir été informé de l’envoi d’un courriel par les locataires en juillet 2013 seulement. C’est alors qu’il a vérifié la boîte de réception de ses courriels pour constater qu’un message lui avait bel et bien été envoyé le 4 mars 2013, déclare-t-il. Cependant, il affirme ne pas en avoir pris connaissance avant juillet 2013 en toute bonne foi.

[7]      Il soumet donc qu’il appartenait aux locataires de faire la preuve de la réception de leur refus par la locatrice ou son mandataire dans les 30 jours suivant la réception de l’avis de modification du bail, ce qu’ils n’ont pas établi. Ils sont ainsi réputés avoir accepté l’augmentation de loyer demandée.

[8]      En conséquence, la partie locatrice plaide que le loyer en vigueur depuis le 1er juillet 2013 est de 845 $ et non de 835 $, montant que les locataires refusent d’acquitter.

[9]      Par ailleurs, le Tribunal constate que l’adresse courriel du gestionnaire est indiquée sur les correspondances transmises aux locataires.


Décision

[10]   Il est pertinent de rappeler les dispositions concernant les modifications des conditions du bail. Les articles 1942, 1945 et 1947 du Code civil du Québec stipulent ce qui suit :

« 1942.      Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cepen­dant le faire que s'il donne un avis de modifica­tion au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme.  Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

                Lorsque le bail est à durée indéter­minée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.

                Ces délais sont respectivement réduits à dix jours et vingt jours s'il s'agit du bail d'une chambre. »

« 1945.      Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l’avis de modification du bail, d’aviser le locateur de son refus ou de l’aviser qu’il quitte le logement; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.

Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l’article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »

« 1947.      Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modifica­tion du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieu­res. »

[11]   En vertu de l’article 1942 du Code civil du Québec, le locateur doit donner un avis de modification au locataire. Le terme « donné » doit s’interpréter comme reçu par le locataire. Qu’en est-il de l’avis de refus du locataire suivant l’article 1945 du Code civil du Québec?

[12]   Dans un jugement de la Cour du Québec, la juge Michèle Pauzé, sur le problème d’envoi et de réception des avis, conclut que, tout comme l’avis du locateur qui doit être reçu, l’avis de refus du locataire doit également être donné et reçu par le locateur.

« 14. Comme on peut le constater à la lecture de l’article 1947 du Code civil du Québec, le législateur a reformulé le même délai en comptant celui-ci à compter, non pas de « l’envoi de l’avis », mais bien de la réception de l’avis de refus.

15. Ce faisant, le législateur a imposé aux locataires la preuve de la réception de son avis de refus lorsque celle-ci est contestée par le locateur. »[1]

[13]   Ainsi, de la même façon que la locatrice doit démontrer que les locataires ont bel et bien reçu son avis d’augmentation, ces derniers ont le fardeau de prouver que leur avis de refus a bel et bien été transmis à la locatrice.

[14]   En l’instance, il est admis que le refus des locataires à la modification du bail a été acheminé par courriel dans la boîte de messagerie électronique de monsieur Lebeau, et ce, dans les délais requis par la loi.

[15]   La question en litige consiste à déterminer si cette admission par le mandataire de la locatrice est suffisante pour conclure que le refus lui est opposable.

[16]   L’article 31 de la Loi concernant le cadre des technologies de l’information[2] édicte ce qui suit :

« 31.         Un document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l'adresse active du destinataire est accompli par l'expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s'il peut l'être, n'a pas été contremandé par lui ou sur son ordre.

Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu'il devient accessible à l'adresse que le destinataire indique à quelqu'un être l'emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu'il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l'envoi. Le document reçu est présumé intelligible, à moins d'un avis contraire envoyé à l'expéditeur dès l'ouverture du document.


Lorsque le moment de l'envoi ou de la réception du document doit être établi, il peut l'être par un bordereau d'envoi ou un accusé de réception ou par la production des renseignements conservés avec le document lorsqu'ils garantissent les date, heure, minute, seconde de l'envoi ou de la réception et l'indication de sa provenance et sa destination ou par un autre moyen convenu qui présente de telles garanties. »

[17]   Les auteurs Patrick Gingras et Nicolas Vermeys mentionnent ce qui suit concernant l’article 31 de la Loi concernant le cadre des technologies de l’information:

« b) La preuve de réception

Nous l’avons vu, l’utilisation de communications électroniques pour la transmission de documents est aujourd’hui reconnue comme étant un mode de transmission valide tant par la loi187 que par la jurisprudence188:

Si effectivement l’avis est écrit et envoyé soit par télécopie soit par courrier électronique, il s’agira essentiellement d’une question de preuve quant à l’envoi et la réception et non de validité de l’avis [...]189.

Notons par ailleurs que, en vertu du premier alinéa de l’article 31 de la L.C.C.J.T.I., il existe une présomption à l’effet que cette transmission a lieu dès lors que l’auteur d’un message électronique appuie sur la touche «envoyer» de son logiciel de courriel:

[u]n document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par lui ou sur son ordre.

Cependant, à moins d’avoir accès au compte de l’autre partie190, ou de recevoir un accusé de réception de sa part191, il peut s’avérer ardu d’établir qu’une telle communication a été reçue par le destinataire. À cette fin, il importe de souligner que le second alinéa de l’article 31 de la L.C.C.J.T.I. crée une présomption de réception. En effet, il prévoit que:

Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu’il devient accessible à l’adresse que le destinataire indique à quelqu’un être l’emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu’il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi. Le document reçu est présumé intelligible, à moins d’un avis contraire envoyé à l’expéditeur dès l’ouverture du document.

Par exemple, dans Bustros c. César192, il était question d’établir si la cession de créance transmise par courriel par la demanderesse au défendeur était valide. Or, en appliquant l’article 31 précité, la Cour en est venue à la conclusion que:

Compte tenu du fait que madame Bustros et monsieur César ont l’habitude de communiquer par courrier électronique, il ne fait pas de doute que l’adresse courriel de monsieur César constitue un «emplacement» indiqué par lui au sens de cet article. En outre, son adresse électronique était active au moment de l’envoi puisqu’un message automatisé informant l’expéditeur de son absence temporaire et de son retour imminent a été transmis par monsieur César.193

La Cour a donc jugé que la cession de créance était valide194, allant même jusqu’à affirmer que, vu le contexte «la question de savoir si le courriel a été ouvert ou non, la question de savoir si le destinataire en a pris personnellement connaissance ou non, ainsi que la question de savoir si le destinataire a pu bénéficier ou non d’un délai suffisant pour y réagir, ne sont donc pas pertinentes»195.

Cette interprétation de l’article 31 L.C.C.J.T.I. nous cause toutefois un certain malaise, dans la mesure où elle présuppose que toute adresse électronique est consultée quotidiennement par son propriétaire. Bien que nous ne remettions pas en question le fait que l’adresse de courriel d’une personne (voire sa page Facebook)196 constitue un «emplacement» au sens de la L.C.C.J.T.I., doit-on automatiquement supposer qu’il s’agit d’un emplacement «où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés» et ce, peu importe le type de document?

Pour faire un parallèle avec les adresses postales, une maison de campagne que l’on visite une fin de semaine sur deux constitue nécessairement un «emplacement» et on peut accepter d’y recevoir du courrier. Par contre, la signification de procédures à cette adresse par un tiers plutôt qu’à l’adresse de votre résidence principale semble, à notre avis, irréfléchie.

Ce raisonnement est notamment celui qui a été retenu par le Tribunal des professions dans Chené c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des)197. Dans cette affaire, monsieur Chené en appelait d’une décision de l’ordre le sanctionnant pour avoir omis de répondre à une série de courriels lui ayant été transmis. Sans remettre en question la validité d’une correspondance électronique, le Tribunal a souligné, concernant l’adresse courriel à laquelle avaient été transmises les correspondances de l’ordre, que «[l]a preuve prépondérante veut qu’il s’agisse non seulement d’une adresse dont l’appelant se servait plus ou moins, mais d’un fonctionnement déficient, notamment aux périodes concernées»198.


Bien que nous soyons en désaccord avec la position adoptée voulant que «[s]i la réception est niée, comme c’est le cas ici, c’est à l’expéditeur à prouver la réception»199 puisque cette prétention nous semble contraire à l’article 31 L.C.C.J.T.I., il demeure qu’il va de soi que l’adresse en question ne constituait pas une adresse «où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés», surtout lorsqu’il s’agit de correspondances aussi importantes. Qui plus est, il s’avérait impossible d’établir que l’adresse en question était «active au moment de l’envoi». Or, comme l’a souligné le Tribunal en faisant siens les propos de l’intimée et malgré la présomption établie par l’article 31 L.C.C.J.T.I., il demeure que «[p]our tenir l’appelant en défaut de répondre, [...] il faut en établir la réception, notamment quand en dépend une conséquence grave»200.[3]

[18]   À la lumière de ce qui précède, la soussignée est d’opinion que les locataires n’avaient pas à faire la preuve que le gestionnaire avait ouvert le courriel transmis le 4 mars 2013 et en avait pris connaissance.

[19]   La preuve non contestée révèle que ce moyen de communication a déjà été utilisé par les parties pour les mêmes fins l’année précédente et que l’adresse électronique du gestionnaire est un « emplacement » valide où il accepte de recevoir des correspondances.

[20]   Conséquemment, le Tribunal estime que l’avis de refus des locataires a été donné au mandataire de la locatrice conformément à l’article 1945 du Code civil du Québec. Le bail fut donc renouvelé aux mêmes conditions, soit au loyer de 830 $ par mois à compter du 1er juillet 2013.

[21]   Toutefois, tel que discuté à l’audience, puisque les locataires ont déjà versé une augmentation de loyer de 5 $ mensuellement de leur propre initiative et qu’ils ont l’intention de continuer à faire ce paiement pour la durée du bail, celui-ci sera reconduit au loyer de 835 $ par mois pour la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[22]   REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

les locataires

Date de l’audience :  

17 décembre 2013

 


 



[1] Bon Apparte c. Brousseau et al., 500-80-000114-026, 28 octobre 2003, j. Pauzé.

[2] L.R.Q., c. C-1.1

[3] GINGRAS, Patrick; VERMEYS, Nicolas, « Je tweet, tu clavardes, il blogue : les aléas juridiques de la communication électronique » dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2011), Vol. 335, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 47.

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