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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
1er mars 2006 |
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Région : |
Montréal |
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187742-72-0207-R 187826-72-0207-R 187827-72-0207-R 187831-72-0207-R 187832-72-0207-R 193929-72-0211-R 193894-72-0211-R 193930-72-0211-R 193948-72-0211-R 193952-72-0211-R 193953-72-0211-R 193976-72-0211-R 194033-72-0211-R 197943-72-0301-R 199558-72-0302-R 199559-72-0302-R 199561-72-0302-R 199562-72-0302-R 199563-72-0302-R 202980-72-0304-R 207990-72-0305-R |
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Dossier CSST : |
120959804 120758917 120760913 119240661 119239341 121544456 122324569 121554018 121558571 120982087 |
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Commissaire : |
Me Mireille Zigby |
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Membres : |
Claude Jutras, associations d’employeurs |
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Roland Meunier, associations syndicales |
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187742-72-0207 193930-72-0211 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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Maria-Elena Cardenas |
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Partie intéressée |
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et |
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187826-72-0207 193894-72-0211 199563-72-0302 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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et |
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Andréa Pierre |
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Partie intéressée |
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et |
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187827-72-0207 193948-72-0211 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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et |
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Carmela Pendino |
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Partie intéressée |
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et |
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187831-72-0207 194033-72-0211 199561-72-0302 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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et |
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Christiane Perreault |
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Partie intéressée |
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et |
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187832-72-0207 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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Giuseppe Quaranta |
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Partie intéressée |
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et |
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193929-72-0211 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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et |
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Melgar Tomasa Alvarez |
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Partie intéressée |
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et |
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193953-72-0211 193952-72-0211 202980-72-0304 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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Thi Cuc Tran |
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Partie intéressée |
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193976-72-0211 197943-72-0301 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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Ignazia Pecoraro |
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Partie intéressée |
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et |
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199558-72-0302 199559-72-0302 207990-72-0305 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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et |
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Thi Lang Nguyen |
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Partie intéressée |
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et |
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199562-72-0302 |
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Vêtements Golden Brand Canada ltée |
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Partie requérante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 5 avril 2005, les employés syndiqués de la compagnie Vêtements Golden Brand Canada ltée (les travailleurs) visés par la décision rendue le 21 février 2005 par la Commission des lésions professionnelles demandent la révision de cette décision.
[2] La décision de la Commission des lésions professionnelles est à l’effet qu’un travailleur en assignation temporaire n’a pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu lors d’une grève, d’une période de vacances ou de jours fériés.
[3] L’audience sur la requête en révision s’est tenue le 9 décembre 2005 en présence des parties. La compagnie Vêtements Golden Brand Canada ltée (l’employeur) était représentée par Me Jean-François Gilbert. Les travailleurs visés étaient représentés par Me Éric Lebel. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) était représentée par Me Lucielle Giard.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Les travailleurs demandent à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qui a été rendue le 21 février 2005 au motif que cette décision comporte des erreurs manifestes et déterminantes de droit et de faits, lesquelles sont assimilables à autant de vices de fond de nature à l’invalider.
[5] Dans l’éventualité où leur requête serait accueillie, les travailleurs demandent à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’ils ont droit à l’indemnité de remplacement du revenu lors d’une grève, d’une période de vacances ou de jours fériés.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Conformément à l’article 429.50 de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs.
[7] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête en révision doit être accueillie. Il considère que les travailleurs ont démontré que la décision du 21 février 2005 comporte une erreur de droit manifeste et déterminante, assimilable à un vice de fond de nature à invalider la décision. À son avis, la décision doit être révisée dans le sens demandé par les travailleurs.
[8] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête en révision doit être rejetée, aucun motif de révision n’ayant été démontré. Il note que la décision est bien motivée et s’appuie sur une certaine jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles. Il relève plus particulièrement les motifs exposés aux paragraphes [62] et [63] de la décision, lesquels lui apparaissent déterminants et font bien comprendre pourquoi le commissaire en est arrivé à cette conclusion.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit décider si les travailleurs ont démontré un motif donnant ouverture à la révision demandée. L’article 429.49 de la loi énonce qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cet article se lit comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] Par ailleurs, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans les cas suivants :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[11] Dans le cas présent, la requête en révision des travailleurs est basée sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, soit le vice de fond de nature à invalider la décision.
[12] Selon une jurisprudence bien établie de la Commission des lésions professionnelles depuis les décisions de principe rendues dans les affaires Donohue et Franchellini[2], la notion de « vice de fond … de nature à invalider la décision » signifie une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le sort du litige.
[13] La Commission des lésions professionnelles a retenu le critère de l’erreur manifeste et déterminante en s’appuyant, notamment, sur l’interprétation de la Cour d’appel dans l’affaire Épiciers Unis Métro Richelieu inc. et La Régie des alcools, des courses et des jeux[3]. Le juge Rothman s’exprimait ainsi sur la notion de vice de fond :
[…]
The Act does not define the meaning of the term «vice de fond» used in section 37. The Englis version of Sec.37 uses the expression «substantive…defect». In context, I believe that the defect, to constitute a «vice de fond», must be more than merely «substantive». It must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the «vice de fond» must be «… de nature à invalider la decision». A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under Sec. 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a «vice de fond». The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.
[…]
[14] En 2003, la Cour d’appel a rendu trois arrêts importants sur la norme de contrôle judiciaire applicable à des décisions rendues en révision interne. Dans les trois cas, la Cour d’appel a conclu que cette norme était celle de la décision raisonnable simpliciter. Son analyse l’a amenée à revenir sur la notion de vice de fond et le caractère final des décisions rendues par le Tribunal administratif du Québec ou la Commission des lésions professionnelles.
[15] Dans l’affaire Bourassa [4], il s’agissait d’une décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles. Reprenant les propos tenus par le juge Rothman dans l’affaire Épiciers Unis Métro-Richelieu inc.[5], la Cour ajoute :
[21] La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[1].
__________
[1] Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.
[16] Dans l’affaire Amar[6], la Cour d’appel était saisie d’une autre décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles. Il s’agissait cette fois d’une question d’interprétation d’une disposition législative. La Cour d’appel a conclu que la seconde formation ne pouvait pas substituer sa propre interprétation à celle retenue par la première formation, la divergence d’interprétation ne pouvant constituer un vice de fond.
[17] Dans l’affaire Godin[7], il s’agissait de l’appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une requête en révision judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du Québec qui avait révisé une première décision rendue par ce tribunal. Bien que les propos de la Cour d’appel portent essentiellement sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision interne rendue par le Tribunal administratif du Québec et s’avèrent est moins pertinents en l’espèce, il est intéressant de noter les commentaire du juge Fish concernant le caractère final des décisions de ce tribunal :
[38] In this context, it is important to recall that the present appeal involves a decision of the Social Affairs Division of the TAQ. Such decisions, unlike those of the Tribunal's Immovable Property Division and its decisions concerning the preservation of agricultural land, are not subject to appeal to any court of law14
[39] This reflects a legislative intention to treat as final the Tribunal's "determinations in respect of proceedings brought against an administrative or decentralized authority"15 - in this case, the SAAQ.
[40] The general rule regarding the finality of the Tribunal's determinations is subject to the three exceptions set out in section 154 of the ARAJ.
[41] This legislative scheme reflects a policy choice that incorporates a series of socially desirable objectives. Its dominant purpose is "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"16. It protects the victims of administrative error or caprice by affording them a quasi-judicial recourse against the unjustified denial of their rights by the agency or department concerned.
[42] In the pursuit of these objectives, the Tribunal (except where otherwise provided by law) "exercise[s] its jurisdiction to the exclusion of any other tribunal or adjudicative body"17.
[43] Reading section 154 of the ARAJ in the light of the legislative scheme as a whole, I think it is intended to provide citizens18 with an additional measure of security and peace of mind. It is meant to ensure that the citizen's entitlement to a social benefit or indemnity, initially denied by a competent state authority but then confirmed by the TAQ -- the quasi-judicial tribunal established by the state for that purpose -- will not be again put in issue except in the interests of fundamental justice and in the limited instances contemplated by section 154.
[44] I would characterize these limited instances as a defined set of exceptional circumstances where, under the established adjudicative scheme, administrative finality must yield to the superior imperative of administrative justice.
[45] This view of the matter appears to me to be entirely consistent with the legislator's stated objective: "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"19.
[…]
[51] Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions. Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.
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14 See Section 159 of the ARAJ.
15 Section 14 of the ARAJ.
16 Section 1 of the ARAJ.
17 Section 14 of the ARAJ.
18 "Citizens" is the term used in the ARAJ.
19 Section 14 of the ARAJ.
[18] Plus récemment, dans l’affaire Fontaine[8], la Cour d’appel a réitéré que la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles, en révision interne, était celle de la décision raisonnable simpliciter. Procédant à une analyse très approfondie de la norme de contrôle judiciaire applicable ainsi qu’à une analyse comparative des dispositions régissant la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal administratif du Québec, le juge Morissette, qui rend le jugement unanime de la Cour, justifie ainsi l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans un tel cas :
[41] Il ne suffit pas d’énumérer, comme la mise en cause le fait ici, les différences institutionnelles qui peuvent exister entre la CLP et telle ou telle section du TAQ pour soustraire la CLP à l’analyse que livre le juge Fish dans ses motifs de l’arrêt Godin. Les finalités de qualité, de célérité et d’accessibilité qu’il y évoque revêtent en effet une égale importance, qu’un justiciable s’adresse au TAQ ou à la CLP. Le risque que ces finalités soient compromises, voire contrecarrées, par des contestations persistantes et sans justification sérieuse est le même dans les deux cas; l’exercice libéral du pouvoir d’autorévision ne peut qu’encourager de telles contestations en affaiblissant la stabilité de décisions qui (en principe et sous réserve de quelques cas d’exception) sont finales dès lors qu’elles ne sont pas manifestement déraisonnables. Des textes législatifs souvent complexes reçoivent application dans les champs d’intervention du TAQ et de la CLP. Il est banal d’observer que ces textes se prêtent régulièrement à des interprétations diverses mais également défendables («tenable» selon le terme employé par le juge Iacobucci dans l’arrêt Ryan, et que cite le juge Fish[35]), interprétations véhiculées par des décisions qui, selon la volonté du législateur, sont finales et non sujettes à appel. Il faut se garder d’utiliser à la légère l’expression «vice de fond de nature à invalider» une telle décision. La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point. La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique. Ces facteurs me convainquent que, tout bien considéré, la thèse de la mise en cause sur la norme de contrôle doit être écartée, et que la norme applicable ici comme dans l’arrêt Godin est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[…]
[44] […] Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter permet ainsi d’empêcher que ne s’instaure entre la CLP 1 et la CLP 2 (et ce, même en l’absence d’excès de compétence) «the adjudicative realm in which "second opinions" reigned and poured», selon l’expression éloquente du juge Fish. Si pour des raisons de qualité, de célérité et d’accessibilité le législateur a voulu réduire sensiblement la portée du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure lorsqu’il s’exerce sur les décisions de la CLP, il importe que le pouvoir conféré à la CLP 2 par le paragraphe 3° de l’article 429.56 LATMP s’exerce sans que réapparaissent en tout ou en partie les inconvénients du contrôle judiciaire tel qu’il se pratiquait en l’absence de clauses privatives intégrales. Le moyen d’atteindre cet objectif est d’appliquer aux décisions de la CLP 2 rendues en vertu de ce paragraphe la norme de la décision ou de l’interprétation raisonnable simpliciter.
__________
[35] Supra, note 15, paragr. 55.
(notre soulignement)
[19] Sur la notion de vice de fond, le juge Morissette rappelle les propos du juge Rothman dans Épiciers Unis Métro-Richelieu inc.[9] et mentionne que cet énoncé de principe n’a jamais été remis en question. Il note, toutefois, que plusieurs précisions ont été apportées par la jurisprudence ultérieure et conclut ainsi :
[…]
On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distincts susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision. »
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins moins défendable que la première51. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»52. L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»53 mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»54 un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)55. Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision56.
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51 Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22
52 Ibid., paragr. 51.
53 Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.
54 Ibid., paragr. 26
55 Supra, note 10, paragr. 24.
56 Ibid., paragr. 22.
[20] Le juge Morissette discute également du conflit jurisprudentiel, rappelant que la Cour suprême a donné la juste mesure de cet argument dans l’arrêt Domtar[10] :
[…]
[62] L’arrêt Domtar inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles)65 a donné la juste mesure de cet argument, mais dans un contexte quelque peu différent du nôtre, puisque la norme de contrôle alors applicable à la décision de la CALP était celle de l’interprétation manifestement déraisonnable.
[63] Par cet arrêt, la Cour suprême décida en un premier temps que l’interprétation de l’art. 60 LATMP adoptée par la CALP ne pouvait être qualifiée de manifestement déraisonnable66. Se posait alors une seconde question : la Cour d’appel avait-elle jugé à bon droit, en s’appuyant sur son arrêt Produits Pétro-Canada Inc. c. Moalli67, qu’il fallait casser la décision de la CALP parce qu’une divergence d’interprétation apparente l’opposait au Tribunal du travail sur la portée de ce même article 60? Critiquant l’arrêt Moalli qu’elle juge trop interventionniste, la Cour suprême accueille le pourvoi et répond négativement à cette deuxième question. Le juge L’Heureux-Dubé qui rend le jugement unanime de la Cour conclut ses motifs par les observations suivantes68 :
Si le droit administratif canadien a pu évoluer au point de reconnaître que les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, je crois que l'absence d'unanimité est, de même, le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux. Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait, à mes yeux, une grave entorse à ces principes. Ceci m'apparaît d'autant plus vrai que les tribunaux administratifs, tout comme le législateur, ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits. La solution qu'appellent les conflits jurisprudentiels au sein de tribunaux administratifs demeure donc un choix politique qui ne saurait, en dernière analyse, être l'apanage des cours de justice.
Il me paraît exact de dire qu’après cet arrêt de principe, l’autonomie décisionnelle des tribunaux administratifs a acquis préséance sur l’objectif de cohérence ou de constance décisionnelle69.
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65 [1993] 2 R.C.S. 756
66 Ibid., p. 776-779.
67 [1987] R.J.Q. 261 (C.A.).
68 Supra, note 65, p. 800-1.
69 La professeure Suzanne Comtois avait abordé cette question dans un article que cite la Cour dans l’arrêt Domtar, «Le contrôle de la cohérence décisionnelle au sein des tribunaux administratifs» (1990), 21 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 77. Voir aussi Barreau du Québec c. Tribunal des professions, [1999] R.J.Q. 1796 (C.S.).
[21] Une fois admis que l’existence d’un conflit jurisprudentiel ne constitue pas en soi un motif autonome de contrôle judiciaire, le juge Morissette va plus loin. Il se demande si s’écarter d’une jurisprudence assez soutenue est en tant que tel déraisonnable, constitue une « erreur manifeste de droit » ou « fatal error » et répond par la négative dans la mesure où l’application de cette norme jurisprudentielle aurait pour effet de faire obstacle à la solution appropriée du cas sous étude. Les observations suivantes du juge Morissette résument sa position sur la question :
[69] L’expérience démontre cependant que le respect du précédent, s’il est trop intransigeant, peut faire obstacle à la recherche d’une meilleure solution. Aussi ne doit-il pas être conçu comme une fin en soi mais seulement comme un moyen, et non le seul, pour parvenir à la solution appropriée : il invite le décideur à scruter chaque cas afin de déterminer dans quelle mesure les raisons qui antérieurement ont justifié un résultat donné dans une espèce apparemment semblable justifieraient le même résultat dans le cas sous étude. Les observations suivantes, dans le sillage du passage rédigé par Hart, me paraissent le démontrer :
No plausible conception of equality requires that everyone be treated the same; what equality requires is that differences in treatment be justified by reasons. […] [T]he idea that differences in treatment must be justified by reasons is an important one, and certainly intuitively plausible at the least80.
Cases always overflow the boundaries within which rules attempt to confine them81.
… when judges decide cases at the margin of previously announced rules, adjusting those rules for under- or over-inclusion, but not necessarily with regard to some overall substantive understanding of what makes all the relevant cases “like cases”, we can have a form of decision making that is both (marginally) reasoned and formally equal. Moreover, […] here reason and equality are independent ideas, that is, ideas that are not reducible into, or derivable from, one another. It is worth emphasizing that what formal equality entails is not just mechanically going on as before but, rather, going on with the like treatment unless reason suggests otherwise82.
Le précédent, ou le principe voulant que des causes similaires soient traitées de façon analogue, ne dispense pas de chercher les raisons pour lesquelles une certaine solution est appropriée. Il facilite simplement l’analyse là où il est vraiment applicable.
[…]
[71] Une décision judiciaire ou quasijudiciaire se situe au point de contact entre le droit et le fait, là où l’interprétation des textes se fait nécessairement à la lumière des circonstances précises de l’espèce. En l’occurrence, ces circonstances, dans ce qu’elles avaient de particulièrement pertinent, sont énumérées aux paragraphes 21 à 25 de la décision. L’augmentation considérable du DAP de l’intimée, passé de 2% avant l’emploi convenable à 22% après l’emploi convenable, la persistance puis l’aggravation de la douleur pendant un long laps de temps qui se prolonge au moment où l’intimée témoigne, le caractère théorique de l’emploi convenable, qui d’avril 1997 à mars 2003 n’a jamais pu être exercé par l’intimée et qui ne présente peut-être plus aujourd’hui les mêmes possibilités d’embauche qu’en 1997, le contexte dans lequel la transaction qui identifiait cet emploi convenable a été conclue et l’absence, à cette époque, d’une rencontre avec l’intimée pour évaluer avec elle sa capacité résiduelle, sont autant de faits susceptibles de jeter une lumière autre sur la «jurisprudence constante» de la CLP. La CLP 1 a jugé qu’une accumulation de facteurs présentant une gravité suffisante justifiait que la question de l’emploi convenable soit réexaminée et soit tranchée en faveur de l’intimée.
[72] Ce faisant, elle s’est écartée, semble-t-il, d’une norme jurisprudentielle antérieure; du moins l’a-t-elle sensiblement nuancée. Mais cette norme ne repose que sur une interprétation possible, et certainement pas sur la seule lecture indiscutable, du texte de loi invoqué de part et d’autre. En situant le cas de l’intimée en dehors du champ d’application de la norme jurisprudentielle apparemment applicable, la CLP 1 signale que cette norme telle qu’on la comprend est susceptible de faire obstacle à la solution appropriée du cas sous étude : elle est surdéterminée ou «overinclusive». Confrontée à des faits difficiles, une interprétation qu’on croyait reçue fait voir ses faiblesses. Sans être fréquents, de tels infléchissements sont assez banals en jurisprudence; on leur doit en partie la fécondité du droit. Dans ces conditions, je ne vois pas, pour ma part, comment l’on pourrait qualifier l’interprétation adoptée par la CLP 1, et la décision qui en est résultée, de déraisonnable ou de manifestement erronée. Elle résiste à un examen assez poussé, selon l’expression du juge Iacobucci dans l’arrêt Southam 83
____________
80 David A. Strauss, «Must Like Cases Be Treated Alike?», Public Law and Legal Theory Working Paper No. 24, University of Chicago Law School, 2002, p. 20.
81 Winston, supra, note 79, p. 17
82 Bruce Chapman, «Chance, Reason and the Rule of Law» (2000), 50 University of Toronto Law Journal 469, p. 489 (italiques tirés de l’original).
83 Supra, note 50, paragr. 56.
[22] Peu de temps après l’arrêt Fontaine, la Cour d’appel a qualifié de la même manière la notion de vice de fond dans l’arrêt Touloumi :[11]
[5] Il ressort nettement de l’arrêt Fontaine qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[23] Dans deux décisions récentes, les affaires Victoria et Louis-Seize[12], la Commission des lésions professionnelles a eu l’occasion de commenter cette jurisprudence récente de la Cour d’appel qui l’invite à la plus grande retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision interne.
[24] Selon la Commission des lésions professionnelles, l’arrêt Fontaine[13] n’a pas pour effet de modifier la notion de vice de fond qui a été définie dans les affaires Donohue et Franchellini[14] comme signifiant une erreur manifeste et déterminante de droit ou de faits même si les termes utilisés par le juge Morissette pour qualifier la notion de vice de fond sont différents. Le fait d’exiger que l’erreur soit « grave, évidente et déterminante » ne restreint pas davantage la notion de vice de fond. La gravité, l’évidence et le caractère déterminant sont interprétés par la Commission des lésions professionnelles comme étant synonymes du critère de l’erreur manifeste et déterminante. C’est toutefois dans l’application de cette norme que la Cour d’appel invite à la plus grande retenue.
[25] Dans l’affaire Victoria[15], le commissaire Roy analyse les arrêts récents de la Cour d’appel et conclut :
[22] Pour les fins de la présente décision, on retiendra donc avec le plus grand respect, que la notion de vide de fond ne doit pas être utilisée « à la légère » et la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur en sont des traits distinctifs. Aussi, il ne saurait être question de substituer une seconde opinion à une première si elle n’est ni plus ni moins défendable que la première. Pour reprendre l’expression de la Cour d’appel, la « faille » que vise la notion de vide de fond est une erreur manifeste voisine d’une forme d’incompétence, tel qu’on l’entend couramment.
[…]
[25] Par cet arrêt, la Cour d’appel invite donc le tribunal à la retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision. Mais cette invitation est-elle assortie d’une nouvelle interprétation de la notion de vice de fond? L’expression « erreur manifeste, (…) voisine d’une forme d’incompétence (…) » ouvre-t-elle la porte à une approche plus restrictive? Est-ce que le fait d’exiger qu’une erreur soit « grave, évidente et déterminante » restreint davantage cette notion?
[26] Pour le soussigné, la Cour d’appel n’a pas voulu remettre en cause les principes mis de l’avant dans l’affaire Métro-Richelieu. En fait, le juge Morissette a rappelé lui-même que l’énoncé de principe dans cette affaire « n’a jamais été remis en question » et il n’affirme pas non plus qu’il entend procéder à une telle remise en question.
[27] La situation qui existait avant l’arrêt Fontaine ne paraît pas avoir été modifiée en ce qui concerne la notion de vice de fond. Toutefois, et c’est le plus important, la Cour s’attend à ce que le présent tribunal respecte intégralement les critères établis depuis la décision Donohue.
[…]
(Références omises par la soussignée)
[26] Dans l’affaire Louis-Seize[16], la commissaire Nadeau fait une analyse semblable :
[21] La soussignée estime qu’effectivement le critère du vice de fond, défini dans les affaires Donohue et Franchellini comme signifiant une erreur manifeste et déterminante, n’est pas remis en question par les récents arrêts de la Cour d’appel. Lorsque la Cour d’appel écrit que «la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider une décision», elle décrit la notion en des termes à peu près identiques. L’ajout du qualificatif «grave» n’apporte rien de nouveau dans la mesure où la Commission des lésions professionnelles a toujours recherché cet élément aux fins d’établir le caractère déterminant ou non de l’erreur.
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
[…]
(Références omises par la soussignée)
[27] Le tribunal souscrit entièrement à ces analyses.
[28] Dans les présents dossiers, le débat devant la Commission des lésions professionnelles portait essentiellement sur le droit d’un travailleur en assignation temporaire de recevoir une indemnité de remplacement du revenu lors d’une grève, d’une période de vacances ou de jours fériés. Après avoir rappelé les dispositions législatives pertinentes et s’appuyant sur plusieurs décisions[17] de la Commission des lésions professionnelles qu’il commente aux paragraphes [64] à [74] de la décision, le premier commissaire arrive à la conclusion que la prise en charge du travailleur en assignation temporaire lui garantissant le salaire et les avantages liés à son emploi prélésionnel en vertu de l’article 180 de la loi, cette prise en charge opère un changement de statut chez ce travailleur, lequel doit être soumis aux mêmes conditions de travail que celles régissant l’ensemble des employés en vertu de la convention collective en vigueur. Par conséquent, il estime que le travailleur en assignation temporaire doit recevoir le même traitement que les autres employés syndiqués lors d’une grève, d’une période de vacances ou de jours fériés et qu’il n’a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu durant ces périodes. On retrouve, aux paragraphes suivants de la décision, l’essentiel de son raisonnement :
« […]
[51] L’ensemble du débat sous étude repose dans les dispositions de l’article 180 de la loi. Dans sa rédaction de l’article 180 de la loi, le législateur confère manifestement un changement de statut au travailleur puisque celui-ci redevient à la charge de son employeur et non plus à la charge de la CSST; en effet, l’employeur doit lui verser le salaire et les avantages liés à l’emploi qu’il occupait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s’il avait continué à l’exercer, et par conséquent, la CSST cesse de ce fait de lui verser des indemnités de remplacement du revenu.
[…]
[53] Un travailleur en assignation temporaire est donc traité de la même façon que les autres travailleurs de l’entreprise et soumis aux dispositions de la convention collective qui réglementent les conditions de travail de tous les employés syndiqués.
[54] Compte tenu de cette prise en charge par l’employeur, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue aux articles 44, 45, 46 et 57 de la loi persiste toujours et ne s’éteint pas puisqu’il demeure incapable d’exercer son emploi prélésionnel, mais son application s’avère manifestement suspendue puisque c’est l’employeur qui doit lui verser son salaire et ses avantages, conformément aux dispositions de l’article 180 de la loi.
[…]
[58] Le tribunal a déjà statué que l’assignation temporaire confère un changement de statut chez un travailleur qui effectue un tel travail; en effet, ce travailleur est soumis aux dispositions de la convention collective et s’avère traité au même titre que tous les employés syndiqués de l’entreprise. Or, en vertu de quel principe de droit le versement de l’indemnité de remplacement du revenu devrait être réactivé par la CSST pour un tel travailleur, alors que son travail devient interrompu par un facteur extrinsèque, tels une grève, des vacances ou des congés fériés.
[59] Force est d’admettre que le travailleur sera rémunéré pour ses vacances et ses congés fériés par l’employeur lorsque son assignation temporaire s’avère interrompue; or, celui-ci ne subit aucune perte par rapport aux autres employés syndiqués si la CSST ne reprend pas le versement de ses indemnités de remplacement du revenu, car sa capacité de gain s’avère préservée dans les circonstances. N’eût été la période de vacances pendant laquelle l’entreprise est fermée, les travailleurs auraient continué à travailler en assignation temporaire et cette assignation continue à régir la situation des parties.
[60] L’article 1 de la loi prévoit la réparation des lésions professionnelles et de ses conséquences, mais en aucun temps, ne s’agit-il de bonifier les conditions d’emploi d’un travailleur accidenté par rapport à celui qui effectue normalement son travail. L’article 52 de la loi s’avère fort éloquent à cet effet :
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
____________
1985, c. 6, a. 52
[61] En résumé, l’article 180 de la loi prévoit la préservation du salaire et des avantages liés à l’emploi qu’un travailleur occupait avant sa lésion professionnelle, lors d’une assignation temporaire, mais ne réfère aucunement à l’ajout d’une indemnité de remplacement du revenu.
[62] Relativement à la survenance d’une grève lorsqu’un travailleur est en assignation temporaire, ce travailleur demeure toujours régi par les dispositions de la convention collective au moment du déclenchement de cette grève, et malgré les prétentions de la représentante des travailleurs syndiqués à l’audience à l’effet que cet emploi n’est pas disponible en temps de grève, le tribunal maintient que l’assignation temporaire demeure disponible et que les travailleurs sont toujours capables d’effectuer ce travail, mais que l’absence au travail ne relève que d’une question de relations de travail sans aucune relation avec la lésion professionnelle.
[63] Pourquoi un travailleur en assignation temporaire devrait bénéficier d’une indemnité de remplacement du revenu pendant une grève alors que les autres employés syndiqués ne perçoivent aucun salaire pendant cette période? Le fait que le travailleur soit régi par les dispositions de l’article 180 de la loi lors de son assignation temporaire a pour effet qu’il soit à la charge de son employeur et non de la CSST. L’avènement de cet événement extrinsèque ne change pas son statut de travailleur en assignation temporaire, dont les conditions de travail demeurent régies par la convention collective, tout comme les autres employés syndiqués; cet état de fait ne pénalise aucunement le travailleur en assignation temporaire, mais constitue plutôt un processus équitable envers l’ensemble des employés syndiqués.
[…] »
[29] Ce raisonnement résume bien le courant jurisprudentiel sur lequel s’appuie le commissaire.
[30] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles n’est cependant pas unanime sur la question. Il existe un autre courant jurisprudentiel selon lequel le travailleur en assignation temporaire a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu lors d’une grève, d’une période de vacances ou de jours fériés. Les travailleurs demandent la révision de la décision qui a été rendue le 21 février 2005 en s’appuyant sur ce dernier courant jurisprudentiel et déposent, au soutien de leurs prétentions, plusieurs décisions[18] de la Commission des lésions professionnelles illustrant ce courant jurisprudentiel qu’ils prétendent majoritaire.
[31] Les principaux arguments des travailleurs sont exposés aux paragraphes suivants de leur requête :
[…]
5. Au paragraphe 51, la CLP affirme que le débat repose sur l’article 180 LATMP. Or, il porte principalement sur l’article 57 LATMP, soit sur la fin du droit à l’IRR;
6. Au paragraphe 54, la CLP affirme, à juste titre, que lors de l’assignation temporaire, le droit à IRR n’est pas éteint mais simplement suspendu puisque le travailleur demeure toujours incapable d’exercer son emploi prélésionnel. Or, au paragraphe 58, suivant cette logique, la CLP aurait dû conclure que, tant que l’un des événements prévus à l’article 57 LATMP ne s’est pas produit, le droit à l’IRR est automatiquement réactivé dès que le travailleur n’exécute plus l’assignation temporaire, et ce, même s’il s’agit de facteurs extrinsèques, tels une grève, des vacances ou des congés fériés;
7. L’article 44 LATMP prévoit en effet que le droit à l’IRR s’acquiert lorsqu’un travailleur est victime d’une lésion professionnelle l’empêchant d’exercer son emploi, et l’article 46 LATMP crée une présomption d’incapacité tant que la lésion n’est pas consolidée. Par ailleurs, l’article 57 LATMP énumère de façon exhaustive les événements pouvant mettre fin au droit à l’IRR, et la grève, les vacances, et les congés fériés ne font pas partie de l’énumération;
8. Ainsi, le travailleur a droit à une IRR dès qu’il est victime d’une lésion professionnelle et ce droit s’éteint uniquement lors de la survenance d’un des événements prévus à l’article 57 LATMP;
9. Pour nier aux travailleurs le droit aux IRR, la CLP accorde beaucoup d’importance au fait que le travail en assignation temporaire est interrompu par des facteurs extrinsèques (paragraphes 58, 71), l’assignation étant toujours disponible. Or, ce critère de disponibilité n’est nullement prévu à la loi. L’article 180 LATMP s’applique lorsque le travailleur exécute l’assignation et celui-ci est repris en charge par la CSST lorsqu’il cesse de l’exécuter, et ce, peu importe le motif;
10. Au paragraphe 59, la CLP affirme que le travailleur en assignation temporaire ne subit aucune perte par rapport aux autres travailleurs lors de ses vacances ou ses congés fériés, sa capacité de gains étant préservée puisque n’eut été des vacances il aurait continué à travailler en assignation temporaire. Or, d’une part, contrairement aux autres travailleurs, il est peu probable qu’un travailleur, dont la lésion n’est pas consolidée, exerce un emploi ailleurs pendant ses vacances et il ne peut profiter de celles-ci. D’autre part, il est tout à fait hypothétique d’affirmer que lors des vacances le travailleur aurait continué d’exercer son assignation temporaire;
11. Au paragraphe 62, pour justifier l’arrêt de l’IRR en temps de grève, la CLP mentionne que l’assignation temporaire demeure disponible et que l’absence au travail n’est pas en relation avec la lésion professionnelle mais avec les relations de travail. Or, la CLP crée ainsi deux catégories de travailleurs accidentés lors du déclenchement d’une grève : ceux qui n’exécutent pas d’assignation temporaire et qui bénéficient de l’IRR, et ceux qui exécutent une assignation temporaire et, donc, qui ne peuvent bénéficier de l’IRR. Par ailleurs, il est tout à fait hypothétique de prétendre que l’assignation temporaire aurait été disponible pour toute la durée de la grève, surtout si elle est de longue durée;
12. Au paragraphe 63, la CLP affirme qu’en temps de grève, le travailleur en assignation temporaire serait avantagé par rapport aux autres travailleurs. Or, encore une fois, contrairement aux autres travailleurs, il est peu probable qu’un travailleur, dont la lésion n’est pas consolidée, exerce un emploi ailleurs lors d’une grève;
13. Au paragraphe 65, la CLP fait un parallèle avec le retrait préventif de la travailleuse enceinte. Citant une décision, elle affirme que si la travailleuse enceinte recevait des IRR lors d’une grève, cela créerait une injustice envers les autres travailleuses. Or, il apparaît évident qu’une travailleuse enceinte de 7 mois aura beaucoup de difficulté à se trouver du travail, contrairement à la salariée qui n’est pas enceinte. D’ailleurs, de nombreuses décisions mentionnent que le droit à l’IRR d’une travailleuse enceinte s’éteint uniquement si l’une ou l’autre des conditions prévues à l’article 57 LATMP est rencontrée;
14. Ainsi, la CLP a erronément ajouté à la loi des cas qui entraîneraient la fin de l’IRR.
[…]
[32] Ces sont ces mêmes arguments qui ont été développés à l’audience par le procureur des travailleurs.
[33] La position de la CSST est la même que celle défendue par les travailleurs dans les présents dossiers. La CSST prétend que la décision rendue le 21 février 2005 conduit à un résultat inéquitable car le travailleur en assignation temporaire est préjudicié, en cas de grève, par rapport aux autres travailleurs accidentés à qui on n’a pas offert d’assignation temporaire puisque ces derniers continueront de recevoir une indemnité de remplacement du revenu complète même s’il y a grève chez leur employeur. La CSST reproche également au commissaire d’avoir mal interprété les articles 179 et 180 de la loi. Selon elle, dès que l’assignation temporaire n’est plus disponible, quelle que soit la cause de cette non disponibilité, le travailleur a droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu. Le seul cas où, selon la CSST, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu peut être suspendu, dans le cas d’un travailleur en assignation temporaire, est celui prévu à l’article 142 e) de la loi, soit « lorsque le travailleur omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu’il est tenu de faire, conformément à l’article 179, alors que son employeur lui offre ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés à l’article 180 ». Tout comme les travailleurs, la CSST plaide qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un simple cas de conflit jurisprudentiel mais d’une erreur de droit manifeste et déterminante. Selon l’interprétation que la CSST et le Syndicat font de l’arrêt Domtar[19], on ne peut parler de conflit jurisprudentiel si la théorie préconisée par l’un des deux courants est en elle - même manifestement déraisonnable, ce qui serait le cas selon eux pour la théorie préconisée par le courant jurisprudentiel sur lequel s’appuie la décision du 21 février 2005. Dans un tel cas, la CSST et les travailleurs plaident que le tribunal est justifié d’intervenir car il s’agit d’un vice de fond de nature à invalider la décision.
[34] L’employeur, pour sa part, soutient qu’il s’agit réellement d’un cas où la jurisprudence est partagée et qu’aucune des deux interprétations n’est manifestement déraisonnable. Selon lui, il existe des arguments valables au soutien des deux théories et le tribunal ne doit pas intervenir puisque le conflit jurisprudentiel ne constitue pas un motif de révision.
[35] Avec respect pour l’opinion des travailleurs et de la CSST, le tribunal est d’avis qu’il s’agit effectivement, en l’espèce, d’un cas de conflit jurisprudentiel. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est partagée en ce qui concerne le droit du travailleur en assignation temporaire à l’indemnité de remplacement du revenu lors d’une grève, d’une période de vacances ou de congés fériés. Il s’agit manifestement d’une question où plus d’une interprétation est possible en regard des dispositions législatives applicables et aucune des interprétations retenues par la jurisprudence ne comporte d’erreur de droit manifeste et déterminante ou peut être qualifiée de « manifestement déraisonnable ». Il existe des arguments tout à fait défendables au soutien de l’une et l’autre interprétation comme le démontre la jurisprudence déposée de part et d’autre. Dans les deux camps, on soulève l’injustice qui pourrait être commise si la théorie adverse était retenue. Dans un camp, on parle d’injustice par rapport aux autres employés syndiqués. Dans l’autre, on parle d’injustice par rapport aux autres travailleurs accidentés qui n’ont pas bénéficié d’assignation temporaire. Il n’appartient pas au commissaire siégeant en révision de se prononcer en faveur de l’une ou l’autre interprétation. Les propos déjà cités de la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Domtar[20] s’appliquent tout à fait à la présente situation. Le conflit jurisprudentiel ne constitue pas un motif autonome de révision judiciaire et ce principe s’applique également à la Commission des lésions professionnelles lorsqu’elle exerce son pouvoir de révision interne.
[36] La décision qui a été rendue le 21 février 2005 est bien motivée et s’appuie sur une jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles qui a été suivie à maintes occasions. Elle privilégie une interprétation du droit qui n’est certes pas celle que préconisent les travailleurs ou la CSST mais qui est logique, cohérente et rationnelle. À la lumière des principes qui se dégagent de la jurisprudence récente de la Cour d’appel et plus particulièrement de l’arrêt Fontaine[21], en ce qui concerne la notion de vice de fond et le pouvoir de révision interne de la Commission des lésions professionnelles, et considérant la très grande retenue à laquelle nous incite cette jurisprudence, le tribunal estime qu’il n’y a aucun motif qui le justifie d’intervenir pour réviser la décision qui a été rendue. Comme le juge Morissette le souligne dans l’arrêt Fontaine[22] « il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit, une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première ». C’est pourtant ce qui se produirait si le tribunal accueillait la requête des travailleurs. Cette requête ne vise qu’à obtenir une nouvelle interprétation du droit qui leur soit favorable.
[37] En l’absence de vice de fond de nature à invalider la décision, la requête en révision des travailleurs doit être rejetée puisqu’elle est sans fondement.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision des travailleurs, les employés syndiqués de la compagnie Vêtements Golden Brand Canada ltée.
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Me Mireille Zigby |
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Commissaire |
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Me Jean-François Gilbert |
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GILBERT, AVOCATS |
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Procureur de la partie requérante |
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Me Éric Lebel |
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CONSEIL DU QUÉBEC-UNITE HERE |
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Procureur de la partie intéressée |
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Me Lucille Giard |
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PANNETON LESSARD |
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Procureure de la partie intervenante |
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LES TRAVAILLEURS
Bombardier inc. aéronautique et Commission de la santé et de la sécurité du travail, [2004] C.L.P. 1817
Westroc inc. et Beauchamp, [2001] C.L.P. 206
Groupe Jean Coutu (PJC) inc. [2003] C.L.P. 320
Piironen et Mine Jeffrey inc. C.L.P. 173529-05-0111, 25 octobre 2002, F. Ranger
Komatsu International inc. et Gagnon, [1999] C.L.P. 130
Émond et Vêtements de sports Gildan inc., [2004] C.L.P. 1317
Lapointe et Démix Béton, C.L.P. 205429-05-0304, 19 décembre 2003, F. Ranger
Bergeron et Les Estampages I.S.E. inc. C.L.P. 179817-05-0202, 21 juin 2002, L. Boudreault
Gosselin et Mines Jeffrey inc., [2002] C.L.P. 381
C.S. Brooks Canada inc. et St-Pierre, C.L.P. 117320-05-9905, 6 octobre 1999, M. Allard
Bridgestone Firestone et Bélanger, C.A.L.P. 48048-63-9212, 15 août 1995, G. Robichaud
Kraft Limitée c. Commission des normes du travail, Montréal, 500-09-001385-855 (C.A.) jj. McCarthy, Rothman et Beaudoin
Veilleux et Les Confections de Beauce inc., C.L.P. 228573‑03B,‑0403, 8 novembre 2005, M. Beaudoin
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR L’EMPLOYEUR
Lapointe c. Domptar inc. [1993] C.A.L.P. 613
Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
Producteur forestier Tembec (Division Taschereau) et Raymond C.L.P. 192433‑08‑0210-R, 25 février 2005
Forage Major inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 213917‑64-0308-R, 7 mars 2005, M. Carignan
De la Chevrotière ltée et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 188200-08-0207-R, 23 juin 2005, rectification 6 juillet 2005, M. Carignan
Poulin et Métro Ste-Marthe, C.L.P. 182842-64-0204-2R, 26 juillet 2005, L. Boucher
Brodeur et Hydro-Québec (Gestion Acc. Trav.), C.L.P. 224661-62B-0401-R, 18 août 2005, M. Carignan
Constructions Daharpro inc. et Provencher, C.L.P. 237419-32-0406-R, 28 octobre 2005, P. Simard
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] [1996] R.J.Q. 608 (C.A.).
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)
[5] Déjà citée, note 3
[6] Amar et Commission de la santé et de la sécurité du travail, [2003], C.L.P. 606 (C.A.)
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)
[8] Commission de la santé et de la sécurité du travailc. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
[9] Déjà citée, note 3
[10] Domtar inc. c. Commission des lésions professionnelles, [1993] 2. R. C.S. 756.
[11] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Touloumi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.
[12] Victoria et 3131751
Canada inc. C.L.P. 166678-72-0108, 1er
décembre 2005, B. Roy; Louis-Seize et
CLSC-CHSLD de
[13] Déjà citée, note 8
[14] Déjà citée, note 2
[15] Déjà citée, note 12
[16] Déjà citée, note 12
[17] Hamel et Société canadienne des postes
[1993] B.R.P. 247
; Bridgestone Firestone
Canada inc. et Perreault [1995]
C.A.L.P., 1225; Langlois et Lambert Somec inc., [1999] C.L.P., 420 à
430; Papa et Manufacturier de bas Siebruck ltée, C.L.P., 135520-71-0004, 12
septembre
[18] Voir Jurisprudence déposée par les travailleurs à la fin de la décision.
[19] Déjà citée, note 10
[20] Déjà citée, note 10
[21] Déjà citée, note 8
[22] Déjà citée, note 8
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.