Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Camions Lussicam Trans-Canada Inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail

2013 QCCLP 3413

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

10 juin 2013

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

456430-62B-1111

 

Dossier CSST :

132934118

 

Commissaire :

Jacques David, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Camions Lussicam Trans-Canada inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 6 août 2012, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 27 juin 2012.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de Camions Lussicam Trans-Canada inc. (l’employeur), modifie la décision rendue le 8 novembre 2011 rendue à la suite d’une révision administrative et déclare que l’employeur a droit à un partage de l’imputation de l’ordre de 15 % du coût des prestations à son dossier financier et de 85 % aux employeurs de toutes les unités en application de l’article 329 de la loi. Elle déclare également recevable la demande de transfert de l’imputation de l’employeur et que le coût des prestations résultant de la lésion professionnelle subie par monsieur Michel Blain, le travailleur, le 7 février 2008, doit être imputé à l’ensemble des employeurs à compter du 12 mai 2009.

 

[3]           La CSST et l’employeur sont représentés par procureur à l’audience tenue sur la requête en révision, le 12 novembre 2012 à Saint-Hyacinthe.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           La CSST demande au tribunal de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 27 juin 2012 et de déclarer que l’employeur doit être imputé du coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle survenue le 7 février 2008 à monsieur Michel Blain, le travailleur, postérieurement au 11 mai 2009.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si elle doit réviser la décision rendue le 27 juin 2012.

[6]           L’article 429.49 de la loi stipule qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[7]           La loi prévoit toutefois un recours en révision et en révocation à l’article 429.56 :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]           Compte tenu de l’article 429.49 de la loi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que s’il est établi un motif prévu à l’article 429.56.

[9]           Ici, la CSST invoque essentiellement que la décision rendue par le juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Elle soumet que le premier juge a commis des erreurs fondamentales de droit graves et déterminantes.

[10]        La Commission des lésions professionnelles a jugé à de nombreuses reprises que ces termes font référence à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[2]. Ce principe a été retenu maintes fois. Il a été décidé également que le recours en révision ou en révocation ne peut être assimilé à un appel, ni ne doit constituer un appel déguisé.

[11]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[3], la Cour d'appel du Québec fait état des mêmes règles :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne remplit pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

_______________

1.     Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[12]        La Cour d'appel reprend les mêmes règles dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine[4]. Elle ajoute que le vice de fond prévu à l’article 429.56 de la loi est assimilable à une « faille » dans la première décision, laquelle sous-tend une « erreur manifeste », donc voisine d’une forme d’incompétence :

[51]           En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première[51]. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif « commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»[52]L’interprétation d’un texte législatif « ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»[53] mais, comme « il appartient d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»[54] un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)[55]Enfin, le recours en révision « ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits » : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut « ajouter de nouveaux arguments » au stade de la révision[56].

_________________

[51] Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22

[52] Ibid., paragr. 51.

[53] Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.

[54] Ibid., paragr.26

[55] Supra, note 10, paragr. 24.

[56] Ibid., paragr. 22.

 

[Le tribunal souligne]

 

 

[13]        Comme l'indique la juge administrative Nadeau dans Savoie et Camille Dubois (fermé)[5], ces décisions de la Cour d'appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision :

[18]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

 

 

[14]        Ainsi, à moins qu’il arrive à la conclusion que le premier juge administratif a commis une erreur de fait ou de droit manifeste et déterminante, le juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le juge administratif qui a rendu la décision attaquée et il ne peut y substituer sa propre conclusion. En somme, il ne peut réviser ou révoquer une décision uniquement parce qu'il n'interprète pas le droit substantif ou n'apprécie pas la preuve comme le premier juge administratif.

[15]        Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence a établi clairement que l’omission ou le refus du premier juge administratif d’appliquer une règle de droit législative ou règlementaire applicable à une situation précise équivaut à méconnaître une règle de droit. Il en est de même si la décision équivaut à modifier ou à ajouter au texte de la loi. Cela peut constituer une erreur de droit manifeste qui a un effet déterminant sur l’issue de la décision. Dans ce cas, la décision peut être révisée ou révoquée[6].

[16]        Le premier juge administratif était saisi d’une contestation au sujet de l’imputation du coût de la lésion professionnelle subi par monsieur Michel Blain, le 7 février 2008. L’employeur ne contestait que la partie de la décision de la CSST du 8 novembre 2011 qui déclarait irrecevable la demande de transfert de l’imputation au motif qu’elle a été présentée hors délai. L’employeur voulait être désimputé du coût à compter du 11 mai 2009, date de la consolidation de la lésion professionnelle, en application du premier ou du second alinéa de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[17]        Le premier juge administratif lui a donné raison, d’où la requête de la CSST.

[18]        Le premier juge administratif considère d’abord que le premier alinéa de l’article 326 de la loi ne prévoit aucun délai pour déposer une demande de transfert de l’imputation. Il retient donc que la demande de l’employeur est recevable. Il procède à rendre une décision basée sur le 1er alinéa de cette disposition et non du second.

[19]        Par ailleurs, le médecin du travailleur a consolidé le 11 mai 2009 la lésion professionnelle du travailleur du 7 février 2008 dont le diagnostic est une déchirure du ménisque interne du genou droit pour lequel il a pratiqué une méniscectomie partielle en novembre 2008. Ce médecin retient toutefois que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[20]        Ce diagnostic n’avait pas alors fait l’objet d’une décision de la CSST.

[21]        Le 16 juin, la CSST demande au médecin de produire le rapport d’évaluation médicale avant que le travailleur ne subisse une importante chirurgie au genou droit (prothèse totale) pour une condition personnelle antérieure à la lésion professionnelle en cause ici. Cette condition est issue d’un accident personnel survenu en 2006.

[22]        Le 22 juin 2009, la CSST reconnaît le nouveau diagnostic de déchirure du ménisque interne du genou droit comme étant en relation avec l’événement du 7 février 2008.

[23]        Ce n’est que le 10 septembre 2009 que le médecin du travailleur complète le rapport d’évaluation médicale demandé. Il ne retient aucune limitation fonctionnelle à la suite de l’événement de février 2008. Les séquelles constatées sont en lien avec la condition personnelle conséquente à l’accident de 2006, mentionne-t-il. Toutefois, il identifie une atteinte permanente de 1 % pour la méniscectomie partielle interne au genou droit laquelle est liée à la lésion professionnelle.

[24]        Le médecin mentionne ceci qui est également rapporté par le premier juge administratif :

[…]

 

Monsieur Blain est un patient âgé de 53 ans que nous avons suivi et traité depuis le 26 mars 2006 suite à un accident traumatisant son genou droit. Nous avons retenu l’accident de travail uniquement concernant la déchirure du ménisque interne responsable de l’aggravation du tableau clinique immédiatement après sa chute au travail. La période de l’incapacité débutant le 8 février 2008 et s’arrête à la date de consolidation du 11 mai 2009.

 

[…]

 

[Soulignement du tribunal en révision]

 

 

[25]        La CSST reçoit ce rapport d’évaluation médicale le 18 novembre 2009.

[26]        Le 7 décembre 2009, la CSST déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter de cette même date en raison de l’absence de limitation fonctionnelle.

[27]        Néanmoins, le travailleur est dirigé en mai 2010 au Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Robert Duchesne émet un avis dans lequel il retient les conclusions médicales du médecin traitant.

[28]        Le 9 décembre 2010, la Commission des lésions professionnelles rend une décision notamment suite aux décisions rendues à la suite de cet avis et sur la décision du 7 décembre 2009 portant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi à cette date[7]. La décision retient l’atteinte permanente et l’absence de limitation fonctionnelle telle que retenue par le médecin traitant et le membre du Bureau d'évaluation médicale. Elle déclare notamment de façon explicite que le travailleur « est capable d’exercer son emploi à compter du 7 décembre 2009 ».

[29]        Le premier juge administratif retient que si le rapport d’évaluation médicale du médecin du travailleur avait été confectionné le ou vers le 11 mai 2009 et porté à la connaissance de la CSST « promptement », la CSST aurait rendu sa décision de capacité dès la réception de ce rapport compte tenu de l’absence de séquelle fonctionnelle. Il mentionne d’ailleurs que c’est ce qu’a fait la CSST après la réception du rapport d’évaluation médicale le 18 novembre en rendant sa décision le 7 décembre.

[30]        Il retient donc le rapport d’évaluation médicale et que la capacité du travailleur à exercer son emploi doit être établie au 11 mai 2009 et que l’employeur a droit au transfert de l’imputation du coût des prestations postérieures au 11 mai 2009. Il s’exprime ainsi :

[32]      Ainsi, dès le constat que la lésion professionnelle a entrainé une atteinte permanente à l’intégrité physique sans séquelle fonctionnelle et sans limitation fonctionnelle, la CSST pouvait se prononcer sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi sans entreprendre des mesures de réadaptation. C’est ce que la CSST a fait dans le présent dossier lorsqu’elle a pris connaissance du rapport d’évaluation du docteur Chafai le 18 novembre 2009.

 

[33]      Le tribunal s’en remet par ailleurs au rapport d’évaluation médicale du docteur Chafai qui mentionne que la période d’incapacité résultant de l’accident du travail s’arrête au 11 mai 2009. L’incapacité du travailleur par la suite et les traitements reçus après cette date sont uniquement en relation avec sa condition personnelle.

 

[34]      La preuve démontre que des coûts ont été imputés au dossier financier de l’employeur après le 11 mai 2009, soit des indemnités de remplacement du revenu et des frais divers pour des déplacements, pharmacie et établissements de santé. L’employeur doit donc être imputé que des coûts attribuables à la lésion professionnelle survenue le 7 février 2008 alors que le travailleur était à son emploi. Ces coûts cessent le 11 mai 2009 au moment de la consolidation de la lésion professionnelle.

 

[35]      Ainsi, l’employeur a droit à un transfert de l’imputation à partir du 12 mai 2009.

 

[36]      Dans les circonstances, la requête de l’employeur est accueillie en partie.

 

[Le tribunal souligne]

 

 

[31]        Le procureur de la CSST soutient que cette décision comporte des erreurs manifestes et déterminantes en fait et en droit.

[32]        Il soumet que la décision sous révision passe outre aux conclusions de la décision finale de la Commission des lésions professionnelles du 9 décembre 2010 qui établit la capacité du travailleur à exercer son emploi au 7 décembre 2009 et non au 11 mai 2009. Le premier juge administratif, affirme-t-il, n’était pas saisi de la question de la capacité du travailleur à exercer son emploi, définitivement réglée. Il n’avait pas la compétence de statuer sur cette question, mais seulement sur l’imputation des coûts compte tenu notamment de cette capacité.

[33]        Il soumet également que le premier juge administratif a commis une erreur déterminante en déclarant que les frais de déplacement, de pharmacie, et d’établissement de santé encourus après le 11 mai 2009 doivent être imputés à l’ensemble des employeurs. La décision à cet égard n’est pas motivée et est fondée sur aucune preuve établissant que ces frais ne sont pas reliés à la lésion professionnelle, d’autant plus qu’il a atteinte permanente.

[34]        La procureure de l’employeur soumet au contraire que le premier juge administratif n’a pas commis d’erreur révisable au sens de l’article 429.56 de la loi qui doit être interprété de façon restrictive.

[35]        Elle soutient que la décision sur la capacité est bien différente de celle portant sur l’imputation des coûts. Il n’y a pas de conflit de compétence dit elle. L’employeur n’a pas à supporter les coûts après sa consolidation sans séquelle puisque ceux-ci sont reliés à la chirurgie personnelle, à la condition personnelle du travailleur telle que reconnue par son propre médecin. En bref, dit-elle, l’incapacité du travailleur entre mai et décembre 2009 n’est pas en lien avec la lésion professionnelle reconnue.

[36]        Elle termine en soulignant que la décision est logique et bien motivée.

[37]        Le tribunal en révision considère que la décision sous révision contient une erreur manifeste et déterminante. Elle ne tient pas compte de la décision finale de la Commission des lésions professionnelles portant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi établie au 7 décembre 2009.

[38]        La décision sur l’imputation des coûts de la lésion professionnelle devait tenir compte de cette donnée qu’est la capacité du travailleur à exercer son emploi.

[39]        Certes, les questions d’admissibilité et d’indemnisation sont différentes des questions de financement et d’imputation des coûts d’une lésion professionnelle. Toutefois, l’imputation des coûts doit tenir compte des questions d’indemnisation décidées de façon finale.

[40]        Dans le cas présent, la décision du 9 décembre 2010 établit de façon explicite la capacité du travailleur d’exercer son emploi au 7 décembre 2009 à la suite de la lésion professionnelle du 7 février 2008. Bonne ou mauvaise, cette décision n’a jamais été contestée. Elle est devenue finale quant à la capacité du travailleur d’exercer son emploi suite à la lésion professionnelle reconnue aussi de façon finale.

[41]        Saisi de la question de l’imputation du coût des prestations découlant de cette lésion professionnelle sous divers aspects, le premier juge administratif devait tenir compte des décisions finales rendues, notamment la capacité du travailleur à exercer son emploi. Il s’agit là d’une question de compétence.

[42]        Or, le premier juge administratif a clairement statué sur l’imputation du coût des prestations découlant de la lésion professionnelle en établissant la capacité du travailleur d’exercer son emploi au 11 mai 2009 et non au 7 décembre 2009 comme l’avait pourtant décidée la Commission des lésions professionnelles dans la décision du 9 décembre 2010.

[43]        En effet, il écrit :

[33]      Le tribunal s’en remet par ailleurs au rapport d’évaluation médicale du docteur Chafai qui mentionne que la période d’incapacité résultant de l’accident du travail s’arrête au 11 mai 2009. L’incapacité du travailleur par la suite et les traitements reçus après cette date sont uniquement en relation avec sa condition personnelle.

 

[Soulignement du tribunal en révision]

 

 

[44]        La décision du 9 décembre 2010 déclare pourtant ce qui suit :

DÉCLARE qu’à la suite de la lésion professionnelle du 7 février 2008, le travailleur conserve une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique de 1.1 %, mais aucune limitation fonctionnelle et qu’il est capable d’exercer son emploi à compter du 7 décembre 2009.

 

[Soulignement du tribunal en révision]

 

 

[45]        Le premier juge administratif n’avait pas la compétence pour remettre en cause la date de la capacité du travailleur à exercer son emploi établie par la décision finale du 9 décembre 2010. En considérant aux fins de l’imputation des coûts de la même lésion professionnelle que la date de la capacité du travailleur à exercer son emploi doit être établie au 11 mai 2009, le premier juge administratif agit en quelque sorte en appel ou en reconsidération de cette décision, ce qu’il ne pouvait faire.

[46]        Cette façon de faire heurte les principes dégagés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Chandler c. Alberta Association of Architects[8], par la Cour d’appel dans les affaires Gauthier c. Pagé[9] et Chevalier c. CSST[10].

[47]        Que ce soit suivant la théorie de la compétence pour agir appelé communément la règle du functus officio ou encore le respect du principe de la stabilité des décisions, le premier juge administratif ne pouvait dans le cadre d’une décision en imputation des coûts d’une lésion professionnelle remettre en cause la date de la capacité du travailleur à exercer son emploi résultant de la même lésion professionnelle décidée par une autre instance avec les mêmes faits en main d’ailleurs.

[48]        Dans l’affaire Ébénisterie Beaubois ltée[11], le juge administratif Martin Racine, reprend ce principe de façon très claire :

[45]      Le tribunal est d’avis que l’employeur ne peut, à l’occasion d’une demande visant l’imputation du coût des prestations dues en raison d’un accident du travail déposée près de huit mois après une décision concluant au droit de recevoir des IRR, remettre en question le caractère final d’une telle décision. Ce serait la conséquence de la conclusion recherchée en l’espèce par l’employeur, et ce, dans un débat où la travailleuse, qui est la bénéficiaire de la décision du 19 décembre 2004, est absente.

 

[46]      Aux termes de l’article 430 de la loi, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n’a pas droit doit la rembourser à la CSST. Il s’ensuit qu’une déclaration à l’effet que la travailleuse a reçu sans droit des prestations après la date de la consolidation de sa lésion serait évidemment susceptible d’affecter ses droits.

 

[47]      Comme l’a décidé la Cour d’appel dans l’affaire Gauthier c. Pagé3, une décision finale non contestée rendue par la CSST ne peut même pas être remise en question ultérieurement par une instance saisie d’un litige impliquant les mêmes parties et visant la même lésion.

_________________________________

3           [1988] R.J.Q. 650 (CA); Transport IGLOOLIK inc. et Houde, C.A.L.P. 93926-62B-9802, N. Blanchard.

 

 

[49]        En produisant la décision rendue en révision à l’égard de cette décision, la procureure de l’employeur soumet en quelque sorte que le premier juge administratif n‘a pas remis en cause une décision finale de la Commission des lésions professionnelles, mais a simplement choisi un courant jurisprudentiel au sujet de l’interprétation de la notion de « obéré injustement » au sens du second alinéa de l’article 326 de la loi pour lui donner raison.

[50]        En effet, le juge en révision dans cette affaire rappelle que le recours en révision ne constitue pas l’occasion de jouer l’arbitre en regard des conflits jurisprudentiels.

[51]        Cet argument ne peut être retenu. En retenant que la date de la capacité du travailleur d’exercer son emploi à la suite de la lésion professionnelle doit être établie à la date de consolidation et non à la date déterminée par la Commission des lésions professionnelles le 9 décembre 2010 de façon finale, le premier juge administratif ne fait pas que choisir entre plusieurs interprétations jurisprudentielles, mais remet en cause une conclusion, un dispositif d’une décision finale. D’ailleurs, le premier juge administratif ne fait aucunement état des courants jurisprudentiels ici. Sa conclusion est plutôt que les prestations versées à compter du 11 mai 2009 ne sont pas liées à la lésion professionnelle au sens du premier alinéa de l’article 326 de la loi. C’est cela qui contredit la conclusion de la décision du 9 décembre 2010, cela sans qu’il en soit saisi.

[52]        Ainsi, en faisant fi de cette conclusion de la Commission des lésions professionnelles, le premier juge administratif commet une erreur de droit manifeste et déterminante qui donne ouverture à la révision.

[53]        De même, en statuant le transfert le l’imputation sur cette base, il commet une erreur assimilable à une erreur de compétence, cela tant pour les indemnités de remplacement du revenu que les autres frais.

[54]        À l’égard effectivement de ces autres frais, la décision n’est pas motivée davantage. Elle s’appuie uniquement sur la date de capacité du travailleur à exercer son emploi qu’il établit en contradiction de la décision du 9 décembre 2010. Il s’agit là d’une erreur qui doit également être révisée.

[55]        Procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, le tribunal en révision retient que la date de capacité du travailleur à exercer son emploi suite à lésion professionnelle du 7 février 2008 doit être établi aux fins de l’imputation des coûts de cette lésion à la date retenue par la Commission des lésions professionnelles le 9 décembre 2010, soit le 7 décembre 2009.

[56]        Les prestations versées postérieurement au 11 mai 2009 sont reliées à la lésion professionnelle de février 2008. Le coût de celles-ci doit être imputé à l’employeur selon le 1er alinéa de l’article 326 de la loi.

[57]        Devant le premier juge administratif, l’employeur a plaidé par écrit subsidiairement que la demande de transfert de l’imputation ne pouvait être produite avant de savoir comment la CSST allait appliquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 9 décembre 2010. La demande est donc recevable dans ces circonstances particulières.

[58]        Il argumente qu’il est obéré injustement par l’imputation des coûts postérieurement au 11 mai 2009, précisément parce que les prestations ne sont pas reliées à la lésion professionnelle du 7 février 2008.

[59]        Le tribunal en révision a statué plus haut que compte tenu de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 9 décembre 2010 que cela ne peut être remis en question.

[60]        Par conséquent, l’employeur n’a pas droit au transfert de l’imputation qu’il demande.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉVOQUE en partie la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 27 juin 2012;

DÉCLARE que le coût des prestations se rapportant à la période postérieure au 11 mai 2009 doit être imputé au dossier financier de l’employeur, sous réserve du pourcentage de partage accordé en application de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dans la décision du 27 juin 2012.

 

 

__________________________________

 

Jacques David

 

 

 

 

Me Isabelle Montpetit

BÉCHARD, MORIN, AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Pierre-Michel Lajeunesse

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[4]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST c. Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[5]           C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau. Voir aussi Roy et Staples Canada Inc., 2011 QCCLP 3709 .

[6]           Opron inc. et Procureur général du Québec, [2003] C.L.P. 157 (décision accueillant la requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Longueuil, 505-17-001370-032, 12 février 2004, j. Verrier; CSST et Del Grosso, [1998] C.L.P. 866 ; Côté et Interballast inc., [2000] C.L.P. 1125 ; Doré et Autobus Trans-Nord ltée, C.L.P. 152762-64-0012, 23 avril 2002, M. Bélanger; Services Aéroportuaires Nasteco inc. et CSST, C.L.P. 159169-64-0104, 23 avril 2004, N. Lacroix (décision accueillant une requête en révision); Terrassements Lavoie ltée et Conseil Conjoint (F.T.Q.), [2004] C.L.P. 194 ; I.M.P. Group limited et CSST, [2007] C.L.P. 1558 ; Caron et Gaston Turcotte & Fils inc., 2009 QCCLP 6496 ; St-Denis et Manoir Heather Lodge, 2010 QCCLP 5437 ; Goulet et Signalisation Laurentienne, 2011 QCCLP 4319 .

[7]           Daigneault et Camions Lussicam Trans-Canada inc., C.L.P. 392691-62B-0910, 9 décembre 2010, F. Daigneault.

[8]           [1989] 2 R.C.S. 848 .

[9]           [1988] R.J.Q. 650 (C.A.).

[10]         2008 QCCA 1111 .

[11]         C.L.P. 291651-03B-0606, 11 avril 2008, M. Racine, requête en révision rejetée 2008 QCCLP 7280 .

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