Lasido inc. c. Multibond inc. |
2015 QCCS 3275 |
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JL4197 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-17-027976-052 |
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DATE : |
14 juillet 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S. |
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Lasido inc. |
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et |
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Guitabec inc. |
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Demanderesses |
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c. |
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Multibond inc. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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I - L’introduction
[1] Alors qu’il fait affaires dans le monde de la lutherie depuis plusieurs dizaines d’années, au début des années 2000, ce manufacturier de guitares fait face à une flambée de plaintes provenant des quatre coins de la planète. Ses guitares acoustiques présentent des déformations qui rendent l’instrument injouable et forcent l’entreprise à accepter un nombre impressionnant de retour de marchandises et à créditer de nombreuses ventes intervenues.
[2] Ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’il cerne le problème : le changement d’adhésif dans l’assemblage des différentes composantes concorde, selon lui, avec le début de l’avalanche de retours de marchandises.
[3] En poursuivant le fabricant de la colle, le manufacturier cherche à récupérer ses pertes de stock et de bénéfices ainsi que des frais supplémentaires qu’il évalue à 21 494 078 $.
II - Le contexte
[4] Guitabec inc. (Guitabec) est une entreprise spécialisée dans la fabrication de guitares. Elle est une filiale à part entière de Lasido inc. (Lasido) qui assure la distribution de la marchandise. Lasido est également connue sous le nom de Les ateliers de guitare Godin (Guitares Godin)[1].
[5] L’actionnaire majoritaire de cette dernière est la compagnie de gestion de Robert Godin (Robert[2]), l’âme dirigeante et le fondateur de cette entreprise. Son fils, Patrick Godin (Patrick), détient la balance des actions de l’entreprise familiale.
[6] Dès son plus jeune âge, Robert se souvient qu’il a toujours été fasciné par la guitare. Au fil des ans, cet amour de la musique se transforme en une réelle passion pour l’instrument comme tel, ce qui l’amène à réparer les instruments que les gens lui apportent. Puis, il se lance dans la création et la confection de ses propres guitares. C’est ainsi que prend naissance son entreprise qui devient au fil des ans, un leader mondial de la lutherie[3].
[7] Au début des années 2000, Guitabec a le vent dans les voiles. Sa production hebdomadaire se situe entre 1 500 et 1 900 unités et ses produits sont livrés dans différents marchés à travers le monde. En Amérique du Nord, Lasido vend les instruments de musique directement aux détaillants tandis que dans le reste du monde, elle fait affaires avec un réseau de distributeurs[4].
[8] Il y a bien des retours de marchandise, de temps à autre, résultant d’avaries provoquées dans le transport, de défauts divers dans l’application du vernis ou l’assemblage des instruments, mais somme toute, les ventes sont en croissance[5].
[9] À cette époque, Guitabec éprouve certaines préoccupations face à son fournisseur de colle. En effet, un doute s’installe quant à la capacité de celui-ci de maintenir le rythme d’approvisionnement, de telle sorte que Robert garde les yeux ouverts pour trouver un substitut. Il reconnaît également que l’adhésif Swift, jusqu’alors utilisé, comporte certaines faiblesses qui se manifestent occasionnellement au niveau du pont de la guitare. Il y aurait eu quelques retours de marchandises résultant de cette problématique, mais ceci ne justifiait pas, à lui seul, de changer de fournisseur.
[10] C’est dans ce contexte que Robert entame des recherches pour trouver un nouveau fournisseur de colle qui saura répondre aux besoins de Guitabec et aux particularités d’une guitare, dont la résistance à l’humidité.
[11] À l’occasion d’une foire de manufacturiers de guitares où différents fournisseurs sont présents, Robert fait un premier contact avec le producteur de colle Dural, une division de Multibond inc. (Dural ou Multibond). Il invite les représentants à prendre contact avec son directeur d’usine afin de voir si un adhésif de Dural peut répondre à leurs attentes.
[12] À la suite de cette invitation, Dural fournit des échantillons de deux adhésifs qui, selon elle, peuvent répondre aux besoins du luthier[6]. Ces produits portent des noms peu évocateurs pour le commun des mortels, mais sûrement signifiants pour le fabricant, à savoir la G-2304 et la G-2539.
[13] Après avoir effectué certains tests sur plusieurs semaines au début de l’année 2001, Guitabec arrête son choix sur la colle G-2539 pour l’assemblage de ses guitares.
[14] Dural devient alors l’unique fournisseur de colle dédiée à certaines composantes des guitares acoustiques dont la table d’harmonie, les barrages et le pont[7]. Dans les faits, l’introduction du nouvel adhésif se concrétise en mai 2001, pour certaines usines et en octobre 2001, pour d’autres.
[15] Dans les mois qui suivent, plusieurs distributeurs et utilisateurs à travers le monde se plaignent de la qualité des guitares Godin. La principale défaillance identifiée se constate par une déformation au niveau de l’action de la guitare[8], rendant l’instrument inutilisable.
[16] Malgré les nombreuses tentatives du manufacturier pour trouver la source des problèmes soulevés par ses clients, rien ne semble pouvoir corriger la situation. Guitabec remplace plusieurs instruments qui lui sont retournés en plus de devoir en créditer d’autres, sans pour autant obtenir l’instrument défectueux, en retour.
[17] Guitabec ne met le doigt sur la source du problème qu’en début d’année 2003. Elle affirme qu’à un haut taux d’humidité, la colle G-2539 devient visqueuse, entraînant un déplacement des éléments collés, et rendant ainsi, l’instrument de musique impropre à son utilisation.
[18] Dural est informée des différents tests effectués par Guitabec et de leurs résultats en mars 2003. Niant que son produit soit défectueux, elle suggère de remplacer la G-2539 par un autre type d’adhésif ou de changer de sorte de bois.
[19] Dès le moment où Guitabec acquiert la conviction que la colle comporte un vice qui occasionne la déformation de ses instruments, elle stoppe complètement sa production, vide ses chaînes d’assemblages puis redémarre le tout en réintroduisant l’adhésif Swift qu’elle utilisait juste avant l’arrivée de la G-2539.
[20] Selon le fabricant de guitares, cette décision provoque une diminution du nombre de plaintes et la situation revient lentement à la normale.
[21] Néanmoins, comme la colle Swift n’était pas optimale au moment où la décision de la remplacer par la colle Dural, et bien qu’ayant retrouvé le niveau de qualité qu’elle avait auparavant, au printemps 2003, Guitabec opte finalement pour un adhésif fabriqué par Helmibond avec lequel elle assemble toujours, à ce jour, ses guitares acoustiques.
Les différentes composantes d’une guitare acoustique
[22] Puisqu’il sera amplement question des différentes composantes de cet instrument, il est pertinent de prendre un moment pour identifier les plus importantes et en définir la composition.
[23] Plutôt que de paraphraser ce que les différents témoins décrivent à tour de rôle et puisque cette question ne soulève aucun enjeu, sauf bien sûr en ce qui concerne la source des problèmes, le Tribunal reproduit la description que fait Guitabec d’une guitare acoustique ainsi que son fonctionnement[9] :
Configuration générale de l’instrument
Les guitares acoustiques tirent leur sonorité des vibrations de la caisse de résonnance et en particulier de celles de la table supérieure trouée, qui est appelée la table d’harmonie. Les cordes, qui sont mises en vibration par le musicien, impriment des vibrations à la table d’harmonie, amplifiée par la caisse de résonnance en bois.
Les descriptions générales et les analyses numériques qui suivront se rapportent à une guitare de modèle ‘Seagull S6 Original’, à six (6) cordes métalliques, fabriquée par Guitabec (Figure 1). L’instrument est représentatif des divers modèles de guitares qui ont dû être retournées chez Guitabec à la suite des problèmes de stabilités associés aux climats humides.
La traction totale exercée par les (6) cordes est de 730 N (équivalent de 75 kg ou 163 lb). Les cordes sont parallèles au manche et passent à quelques millimètres au-dessus de celui-ci lorsque l’instrument est ajusté; vers le milieu de la caisse, les cordes sont déviées sur un silet (en matière plastique blanche sur le Figure 1) et fixées par des chevilles sur le pont (ou le chevalet). Ces chevilles traversent complètement le pont, la table d’harmonie et la surépaisseur en bois sous la table, de sorte que l’essentiel de la traction des cordes se transmet à la table par contact mécanique, non pas par l’adhérence d’un joint collé.
Le point le plus haut du silet étant relevé d’environ 14 mm par rapport à la face supérieure de la table, la traction des cordes imprime un moment renversant à la table, localisé au chevalet, qui fait fléchir la table vers l’intérieur de la caisse devant le chevalet et produit un bombement à l’arrière.
La table d’harmonie est raidie par des pièces de bois en épinette collées appelées barrages ou raidisseurs, disposées selon un patron prédéterminé selon le modèle de la guitare, généralement à angle par rapport aux directions principales de la table. Les barrages divisent la table d’harmonie en sous-panneaux dont les fréquences naturelles de vibration plus élevées permettent d’amplifier les notes aigües. Les barrages procurent aussi de la résistance structurale pour résister au moment renversant et à la traction exercés par les cordes et aux autres sollicitations auxquelles l’instrument est soumis.
(sic)
[24] Outre l’épinette servant à la fabrication des barrages, les tables d’harmonie sont quant à elles constituées de l’une des trois essences suivantes : le cèdre, l’épinette ou le merisier.
[25] Le talon et la tête du manche de la guitare peuvent être composés d’érable, d’acajou ou de palissandre.
[26] Finalement, le chevalet et le pont sont également faits de palissandre.
Les différentes usines de guitabec et leurs spécialités
[27] Les instruments de Guitabec et leurs différentes composantes sont confectionnés et assemblés dans quatre usines. Deux d’entre elles sont situées à La Patrie, l’une se spécialise dans la confection des manches (usine 600) et l’autre procède à l’assemblage des guitares (usine 300). Il y a également deux autres usines localisées à Princeville (usines 100 et 400) qui se spécialisent dans l’assemblage de guitares acoustiques, le traitement du bois brut et la confection de barrages.
[28] On doit souligner le fait que les instruments sont réalisés dans des usines à environnement contrôlé et que le bois qui entre dans la composition des guitares Godin fait l’objet d’une étape de séchage, lors de laquelle on s’assure que celui-ci n’aura pas plus de 6,5° d’humidité. Robert explique que ce traitement permet au bois de ne pas craquer s’il est soumis à un haut taux d’humidité.
[29] En plus des emplacements ci-haut mentionnés, Guitabec possède également un entrepôt à Richmond qui lui sert principalement de lieu de fabrication d’étuis et d’entreposage. C’est à cet endroit que les guitares défectueuses sont gardées.
La fabrication d’une guitare chez guitabec
[30] Voici comment Guitabec procède pour confectionner une guitare acoustique[10].
a) Achat de bois de qualité et préparation de celui-ci (obtention du degré d’humidité désiré) avant la confection.
b) Assemblage des guitares dans un environnement contrôlé (température et taux d’humidité).
c) Confection des différentes composantes et leur assemblage par du personnel qualifié à l’aide de procédures écrites.
d) Assemblage des barrages à l’aide d’un modèle établi pour chaque type de guitare.
e) Application de la colle sur les barrages à l’aide d’un instrument et installation immédiate sur la table d’harmonie. Cette étape terminée, la pièce fait l’objet d’un séchage sous pression durant une période prédéterminée.
f) Assemblage des autres composantes y compris le manche.
g) Application du vernis.
h) Installation de la quincaillerie (cordes, clefs, etc.).
i) Contrôle de la qualité par un musicien.
j) Les instruments finis sont placés dans une enveloppe de plastique laquelle est déposée dans une boîte de carton pour être livrée.
L’historique des colles pva utilisées par Guitabec et leurs propriétés
[31] Aux fins des présentes, on sait que Guitabec a toujours utilisé une colle PVA de type II dans l’assemblage de ses instruments acoustiques. Voici la liste desdits produits et les périodes durant lesquelles ils ont été appliqués pour la confection des instruments.
Avant 2001 : Swift 17091
Entre 2001 et 2003 : Multibond Dural G-2539
Depuis 2003 : Helmibond Titebond 52-042-2
III - La position des parties
[32] Sommairement, et sans vouloir reprendre toutes les distinctions et les nuances qui seront traitées ci-après, on peut résumer la position des parties de la manière qui suit.
[33] Les instruments ayant fait l’objet de plaintes entre 2001 et 2003 comportent, selon Guitabec, le même vice : une fois soumis à un taux d’humidité élevé, le bois de la table d’harmonie gonfle de manière inhabituelle étant donné que les joints de colle arrimant les barrages à la table d’harmonie ne la retiennent pas adéquatement.
[34] Cette défaillance du joint de colle permettrait le glissement des barrages lesquels jouent un rôle important dans la structure de l’instrument.
[35] Du côté de Multibond, on est d’avis que les problèmes que Guitabec a pu vivre à l’égard de la qualité inégale de ses instruments n’a rien à voir avec l’adhésif qu’elle lui distribuait, de 2001 à 2003. Il s’agirait plutôt d’une conséquence directe du comportement du bois, de différents changements survenus de manière contemporaine avec l’introduction de la colle G-2539 et de la façon dont le manufacturier s’y prend pour apposer l’adhésif.
IV - Les questions en litige
1. L’adhésif G-2359 fourni à Guitabec par Dural est-il affecté d’un vice au moment de la vente pouvant enclencher la garantie du fabricant?
2. Le cas échéant, Dural a-t-elle réussi à repousser la présomption légale?
3. Quelle est l’étendue des dommages subis par Guitabec pour lesquels Dural peut être tenue responsable?
4. Guitabec a-t-elle minimisé ses dommages?
5. Quel sort doit être réservé aux objections?
6. Comment doit-on traiter l’indemnité additionnelle?
7. À partir de quelle date les intérêts doivent-ils être calculés?
8. Quels frais d’expertises doivent être octroyés?
V - L’analyse
1. L’adhésif G-2359 fourni à Guitabec par Dural est-il affecté d’un vice au moment de la vente pouvant engager la présomption légale contre le fabricant?
[36] Guitabec recherche la responsabilité de Multibond à titre de fabricant vendeur de l’adhésif en question.
Droit applicable
[37] L’article 1726 du Code civil du Québec élabore les conditions d’ouverture au recours invoquant la garantie de qualité.
Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
[38] La garantie légale décrite à cet article s’articule autour de deux axes : la détermination de l’existence d’un vice caché à la lumière de la connaissance de l’acheteur et la responsabilité du vendeur en prenant en considération son niveau d’expertise dans ce domaine.
[39] Voici comment la Cour suprême, dans son arrêt phare en cette matière, traite du fonctionnement de cette garantie légale[11] :
Dans la mise en œuvre de la garantie légale, le tribunal doit, en premier lieu, vérifier si le bien vendu était affecté d’un vice caché. À cette étape, l’analyse porte essentiellement sur le bien et sur le comportement de l’acheteur. En deuxième lieu, le tribunal déterminera la responsabilité du vendeur; cette partie de l’analyse consiste à établir si le vendeur avait connaissance du vice allégué ou était légalement présumé le connaître. Cette détermination permettra de décider, s’il y a lieu, de l’opposabilité d’une clause limitant la responsabilité du vendeur. Il importe donc de distinguer les conditions de la responsabilité du vendeur en présence d’un vice caché d’avec l’étendue de sa responsabilité.
[40] En tout premier lieu, on doit donc démontrer qu’il existe bel et bien un vice caché au moment de la vente. Pour conclure à l’existence d’un tel vice, il faut pouvoir prouver les conditions essentielles de son existence: il doit être caché, suffisamment grave, existant au moment de la vente et inconnu de l’acheteur[12].
[41] Il existe trois formes de défauts cachés : le défaut matériel, fonctionnel et conventionnel.
· Le défaut matériel est celui qui touche un bien particulier;
· Le défaut fonctionnel est celui qui affecte la conception du bien;
· Le défaut conventionnel est celui qui affecte un bien pour lequel l’acheteur a indiqué l’usage particulier qu’il entend faire du bien[13].
[42] Dans tous les cas, indépendamment du type de vices, les conditions d’existence mentionnées ci-haut doivent être prouvées.
[43] Afin de déterminer le fardeau de preuve qui doit être rempli par les parties, il est déterminant de qualifier leur rôle respectif et leur niveau de connaissance.
[44] Bien que l’arrêt ABB ait été rendu sous l’égide de l’ancien code, ses principes demeurent. Voici les passages que le Tribunal retient de cette décision[14] :
En matière de garantie contre les vices cachés, la qualification de fabricant ou de vendeur professionnel joue un rôle important dans la détermination de sa connaissance présumée des défauts du bien offert en vente. En effet, l’art. 1527 C.c.B.C. tient tout vendeur qui connaît ou est légalement présumé connaître les vices de la chose responsable des dommages subis par l’acheteur. Dans le cadre de l’interprétation de cette disposition, le droit civil québécois a identifié trois catégories de vendeurs correspondant à un niveau d’expertise : le fabricant, le vendeur professionnel (spécialisé ou non spécialisé) et le vendeur non professionnel.
(…)
Dans le présent dossier, la catégorie de vendeurs qui nous intéresse plus particulièrement est celle du fabricant. Le fabricant est considéré comme l’expert ultime à l’égard du bien puisqu’il contrôle la main-d’œuvre ainsi que les matériaux utilisés dans la production de ce bien : J. Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois (1998), p. 289. Aussi, l’acheteur a-t-il le droit de s’attendre à ce que le fabricant se porte garant de la qualité du produit qu’il conçoit et met en marché. En conséquence, le fabricant est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l’obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés.
Dans le cadre du régime de garantie contre les vices cachés, l’expertise de l’acheteur représente aussi un élément pertinent de l’analyse, mais à un niveau différent de celle du vendeur. En effet, alors que l’expertise de ce dernier permet de déterminer l’étendue de son obligation de dénonciation, l’expertise de l’acheteur sert plutôt à évaluer si le vice est caché ou apparent. Ainsi, plus l’acheteur connaît le bien qu’il acquiert, plus le vice affectant ce bien est susceptible d’être considéré comme apparent. Le vice apparent est celui que l’acheteur a décelé ou qu’il aurait pu déceler au moment de la vente en raison de ses connaissances (art. 1523 C.c.B.C. et art. 1726, al. 2 C.c.Q.). Cette exigence impose donc à l’acheteur une obligation de se renseigner en procédant à un examen raisonnable du bien. Dans tous les cas, le test consiste à se demander si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait pu déceler le vice au moment de la vente.
(soulignements ajoutés)
[45] Ainsi, face à un fabricant qualifié de vendeur professionnel, la jurisprudence lui impute le rôle de l’expert ultime. En cette qualité, celui-ci doit supporter la présomption de connaissance et l’obligation de dénoncer les vices cachés. La Cour suprême précise que le fabricant peut repousser un tel fardeau de preuve, s’il prouve la faute causale de l’acheteur, d’un tiers ou la force majeure. Il peut également faire valoir le risque de développement relié à son produit. Pour ce faire, il devra prouver que le vice ne pouvait être à sa connaissance en raison de l’état des connaissances techniques et scientifiques du produit au moment de sa mise en marché[15].
[46] Le niveau de la présomption qui repose sur ses épaules et la preuve que le fabricant vendeur doit fournir pour opérer le renversement de preuve sont très élevés. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers[16] :
Les vendeurs professionnels et les fabricants assument une obligation proche d’une véritable obligation de résultat. Ils ne peuvent plus plaider leur ignorance du défaut, leur innocence totale à propos de l’origine du défaut. Il ne leur reste donc que fort peu de moyens de défense, soit la faute de l’acheteur, sa connaissance du vice ou son caractère mineur.
[47] Compte tenu des enseignements à tirer de la jurisprudence et de la doctrine, et puisqu’en l’espèce, il s’agit d’un cas mettant aux prises un fabricant et un acheteur, on comprend que la garantie de qualité du vendeur contre les vices cachés trouve application. Le fait que Guitabec puisse être qualifié d’acheteur professionnel ne sera déterminant que pour évaluer si le vice est caché ou apparent.
[48] Avant de déterminer si la responsabilité de Multibond est engagée, on doit tout d’abord déterminer si le bien vendu était affecté d’un vice caché. Le cas échéant, on devra décider si le vendeur a repoussé la présomption légale[17].
Discussion
[49] Qu’en est-il en l’espèce?
· La manifestation du vice
[50] En guise de toile de fond, il est opportun de préciser que 70 % des ventes de Lasido s’effectuent en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et le reste se fait dans un vaste marché que cette dernière appelle le marché international. Il comprend les pays d’Europe, d’Asie et d’Océanie.
[51] Les deux vastes territoires de ventes sont la responsabilité de Patrick pour le marché international et Biferali pour le marché nord-américain (États-Unis et Canada).
[52] Dans son rôle de distributeur des produits fabriqués par Guitabec, Lasido relate abondamment comment elle s’est retrouvée devant une quantité impressionnante de plaintes provenant de ses clients d’un peu partout à travers le monde.
[53] Bien qu’elle reconnaisse avoir eu des plaintes et des retours de marchandises par le passé, Lasido constate, aujourd’hui, que dès le mois d’août 2001[18], il y a eu une certaine recrudescence de demandes pour remplacer des instruments vendus. Au départ, personne ne sonne d’alarme, bien au contraire, on applique la même politique que par le passé : on retourne un nouvel instrument lorsqu’un client n’est pas satisfait. Cette politique de retour de marchandise sans enquête (no question asked) consiste à remplir un formulaire dans lequel le client doit indiquer la nature du problème identifié.
[54] Ainsi, dès que Lasido constatait qu’il s’agissait d’une situation où il y avait eu déformation de la table d’harmonie ou du niveau trop élevé de l’action de la guitare, Biferali précise que les demandes de crédit ou de remplacement de l’instrument étaient toutes acceptées[19].
[55] Par contre après un certain temps, les clients mécontents, quelques poignées au départ, se multiplient, deviennent de plus en plus nombreux, et rapidement Patrick et Biferali font face à une avalanche.
[56] Les plaintes proviennent d’un peu partout : Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Japon, États-Unis, Canada etc.[20]. La presque totalité de celles-ci identifient la même problématique : l’action de la guitare est trop élevée.
[57] D’importants distributeurs européens avec qui Lasido faisait affaires depuis de nombreuses années et avec qui elle entretenait de solides liens d’affaires, mettent fin à leur entente de distribution en raison du fait que les guitares acoustiques produites par Guitabec sont devenues injouables[21].
[58] Pour les distributeurs qui continuent de s’approvisionner auprès de Lasido, les ventes subissent une baisse importante.
[59] Le même phénomène se produit en Amérique du Nord.
[60] La situation exige que Guitabec rectifie le tir pour colmater la brèche. On comprend que cela dépasse le nombre moyen de retours de marchandises auquel elle faisait face historiquement.
[61] Son attention se concentre tout d’abord sur les méthodes d’assemblage, mais après vérification, rien ne permet de conclure que la source du problème se trouve de ce côté. On décide alors de laisser reposer les produits finis à l’air libre, en pensant que cela pourrait améliorer la situation, mais en vain. Comme rien n’indique que le bois utilisé et les méthodes d’assemblage seraient à la base des plaintes des clients, Guitabec décide d’ajouter une pièce dans le manche afin d’en augmenter la résistance. Encore là, les retours de marchandise continuent d’affluer[22].
[62] Malgré les tests et les recherches effectués au fil des mois, il faut attendre à mars 2003, pour que Guitabec identifie la composante adhésive comme la source de ses problèmes. C’est Louis-Pierre Dorval (Dorval), ingénieur junior à l’époque, qui fournit la trame factuelle qui a mené à cette découverte.
[63] Le jeune ingénieur qui travaille à l’usine de Princeville depuis 2001, reçoit un mandat particulier de la haute direction, en janvier 2003, par lequel on lui demande d’identifier la source des problèmes constatés sur les instruments.
[64] Reconnaissant candidement son peu de connaissance à l’égard des caractéristiques particulières du bois et des autres composantes d’une guitare et les réactions que ces matériaux peuvent avoir face à des conditions changeantes, Dorval se retrousse les manches et entame son mandat. En suivant la méthode scientifique, il explique que sa démarche vise à éliminer chacune de ses hypothèses de travail afin de cerner le problème[23].
[65] Sans reprendre chacune des expériences qu’il mène alors, on sait que ce dernier a mis en place une chambre isolée pour lui permettre d’exposer les différents instruments à des hauts taux d’humidité et à des températures différentes.
[66] Régulièrement, il fait part de sa démarche à son supérieur qui tente, lui aussi, de l’orienter du mieux qu’il peut.
[67] Ce n’est qu’en mars, après une série de tests non concluants que Dorval apprend qu’un nouvel adhésif a été introduit en 2001, soit peu de temps avant l’apparition des problèmes.
[68] C’est de cette manière qu’il élabore, trois autres tests pour étudier le comportement de la colle dans différents types d’environnements. Dorval décrit sa démarche ainsi que certains des tests dans différents documents rédigés de manière contemporaine avec les événements[24]. Tous s’entendent pour dire que ce document ne constitue pas une analyse scientifique du comportement d’un adhésif ou de ses composantes chimiques, mais on comprend que les résultats obtenus provoquent la convocation de représentants de Multibond.
[69] En effet, le document démontre qu’il tenait entre ses mains des données qui permettaient de soulever certains doutes à l’égard du comportement de l’adhésif et il devait partager ses résultats avec Multibond.
[70] Pour une meilleure compréhension, il y a lieu de reproduire la description de deux des trois tests que Dorval a effectué pour l’amener à sa conclusion et le déroulement de la rencontre avec les représentants du fabricant de l’adhésif[25]:
Le tout a commencé par un débat face à la capacité de la colle Dural 2539. Ils (M. Bérubé et M. Sénéchal) étaient entièrement convaincus que leur colle n’était pas en cause dans le problème et qu’elle était très efficace à haute humidité. Ils ont mentionné que cette colle était faite pour résister à plein de normes dont celles des portes coupe-feu. La Dural 2539 aurait la capacité de résister à un très haut niveau d’humidité et qu’elle ne changerait pas de propriété lorsqu’elle est soumise à un environnement très humide (90 % RH). Ils ont fait mention de l’utilisation de cette colle dans l’industrie du meuble, du contreplaqué et des portes.
Je leur ai ensuite expliqué le problème que nous avions et les causes probables. Ils m’ont demandé de leur montrer des tops assemblés pour bien voir les pièces en cause. Je leur ai expliqué les tests que nous avions faits et les conclusions auxquelles nous étions arrivé. Je leur ai montré deux essais très évident quant à la défaillance de la colle sous haute humidité.
Le premier test consiste à prendre une guitare déjà assemblée et sèche et à percer des trous au travers de la table d’harmonie et des barrages. De cette façon, les trous dans le top et les barrages sont parfaitement alignés. J’ai encerclé les trous qui passaient parfaitement au travers du barrage avec un crayon blanc pour m’assurer de revérifier les mêmes. J’ai vérifié chacun des trous encerclés pour m’assurer que l’insertion était facile. Après 18 heures dans la pièce à haute humidité, les trous ne sont plus enlignés et il est impossible d’y introduire une tige ayant le même diamètre que la mèche utilisée. Les trous entre le top et les barrages ne sont donc plus enlignés, il y a eu glissement.
Ils m’ont répété que la colle ne changeait pas de propriétés dans l’humidité. J’avais des pièces préalablement collées et sèches, que j’avais laissé dans l’humidité pendant 18 heures. Avec une légère tension, il est possible de séparer les deux pièces et de voir la colle s’étirer. Il est possible de décoller le bloc sans bris, la colle perd donc de son efficacité lorsqu’elle est soumise à une période relativement courte à haute humidité.
Mr Bérubé a été très surpris du résultat, il m’a donc suggéré comme hypothèse que le temps de collage et de séchage n’avait pas été assez long. Pourtant, des guitares ayant près de deux ans subissent le même glissement. D’ailleurs la guitare testée devant eux avait 1.5 ans. J’ai même montré que la colle, facilement étirable après un séjour à l’humidité, redevenait dure après quelques minutes à température et humidité ambiante (20 %RH).
Leur conclusion est que la colle ne fait pas son travail, elle colle toujours à l’humidité cependant elle permet un glissement. Ils nous ont donc suggéré d’autres types de colle pour essai. Les échantillons devraient arriver dans la semaine du 24/03/03.
(sic)
[71] Le troisième test effectué par Dorval, bien que non décrit dans son sommaire de rencontre, est expliqué par celui-ci à l’audience, et ne semble pas être contesté quant à son existence quoique critiqué quant à sa portée scientifique.
[72] Il s’agit donc de créer une boule de colle, de la grosseur d’une boule de billard, de la laisser sécher, puis de la placer en milieu à haute teneur en humidité et de l’y en retirer après un certain temps. Dorval affirme qu’au moment où celle-ci passe cette étape, il constate que la boule en question a changé de texture et qu’il est possible d’y entrer l’ongle d’un doigt. Cette réaction serait, selon Dorval, une manifestation d’un comportement inadéquat de l’adhésif.
[73] Selon les faits relatés dans le sommaire de la rencontre avec les représentants de Multibond, ces derniers auraient alors suggéré à Guitabec d’utiliser d’autres types de colle pour corriger la situation[26].
[74] Cette partie du résumé de la réunion n’est pas corroborée par Serge Bérubé, ingénieur en développement au moment des faits[27]. Pour lui, la colle G-2539 ne constitue pas la source du problème, c’est plutôt l’essence de bois utilisée qui est à la base des déformations[28].
[75] À ce sujet, il y a lieu de préciser que les essences de bois utilisées par Guitabec au fil des ans n’ont pas changé. D’ailleurs, on apprend que plusieurs des composantes d’une guitare sont confectionnées à l’aide des mêmes types de bois, d’un fabricant à un autre[29].
[76] De manière contemporaine avec les constatations de Dorval, Robert donne ordre de cesser la production et de retirer le produit adhésif immédiatement. Une fois cette commande réalisée, le manufacturier réintroduit immédiatement le produit de marque Swift, soit celui qu’il avait utilisé durant plus de quinze ans avant de le retirer de la chaîne d’assemblage en 2001, au profit de la G-2539.
[77] Par contre, comme ce produit n’était pas totalement satisfaisant à l’époque où on l’a remplacé, des recherches se poursuivent et amènent Robert à communiquer avec des compétiteurs pour leur faire part de la problématique vécue et savoir s’ils n’auraient pas objection à partager avec lui l’identité de l’adhésif qu’ils utilisaient.
[78] C’est de cette manière qu’il entre en contact avec le fabricant de colle Helmibond, avec qui il décide de faire affaire. On sait que ce spécialiste demeure à ce jour l’unique fournisseur de colle PVA pour Guitabec, dans l’assemblage de ses guitares acoustiques.
[79] Du côté de Multibond, l’hypothèse de l’implication de la colle dans les déformations des instruments ne tient pas la route. Elle fait valoir que les 14 354 guitares réclamées en perte de stock ne correspondent qu’à seulement 9 % de la production totale de Guitabec pour la période durant laquelle la colle Dural a été utilisée.
[80] Or, comme tous les instruments confectionnés durant la période allant de mars 2001 à 2003 étaient assemblés avec la colle G-2539, si l’hypothèse de la défectuosité de cet adhésif était fondée, il aurait fallu voir un nombre de retours beaucoup plus élevé.
[81] Ce qui est constaté constitue plutôt le résultat des caractéristiques propres aux différentes essences de bois et plus précisément celles sélectionnées par Guitabec[30]. De plus, Multibond avance qu’au moment où le nouvel adhésif est introduit, d’autres changements sont intervenus à la même occasion : augmentation de la production, modification de certains gabarits, changements dans les barrages, introduction de nouvelles composantes, etc.
· Témoin de faits semblables
[82] Pour appuyer sa thèse à l’égard de la source du problème, Guitabec fait entendre un luthier possédant une vaste expérience et une réputation qui dépasse nos frontières. Il s’agit de Mario Beauregard (Beauregard).
[83] Les instruments que Beauregard fabrique sont très prisés et le parcours professionnel de cet artisan permet de comprendre pourquoi il en est ainsi. Son témoignage permet de comprendre comment peuvent influencer chacun des matériaux entrant dans la confection des guitares et l’environnement dans lequel celles-ci prennent formes.
[84] On retient de cet artisan, qui a déjà été a l’emploi de Guitabec, qu’il s’approvisionnait régulièrement en matières premières chez Guitabec. En effet, ayant lui-même travaillé à cet endroit, il sait que le bois acheté par Guitabec est de très bonne qualité et qu’il fait l’objet d’un processus strict pour sa préparation. Pour ce qui est de la colle, il précise que bien qu’il n’en prenait qu’occasionnellement chez Guitabec, il savait que cette dernière ne lésinait pas sur la qualité.
[85] Avec le soin et l’attention avec lesquels Beauregard donne naissance à ces objets, on comprend vite pourquoi le souvenir des plaintes qu’il a reçues en 2002 demeure gravé dans sa mémoire.
[86] Il se rappelle qu’à l’automne 2002, au moment où il vient chercher des pièces de bois, il se procure également une quantité de colle qui servira à assembler les instruments sur lesquels il travaille.
[87] À cette époque, il répond à une commande de deux guitares pour des clients japonais.
[88] Ainsi, il confectionne les guitares #91 et #92 avec du bois et de la colle pris chez Guitabec. Bien qu’à plusieurs endroits, il utilise un époxy pour assembler les différentes composantes de l’instrument, il choisit la colle G-2539 pour coller le pont et le tenon-mortaise. Il livre ces deux objets précieux au Japon en prenant soin de les protéger de toute avarie, dans des caisses conçues à cette fin.[31]
[89] Son récit cohérent et précis est en plus corroboré par un journal de bord que ce luthier tient à jour pour chacun des instruments qu’il fabrique[32].
[90] Peu de temps après l’envoi des deux guitares, ses clients japonais communiquent avec lui pour lui faire part de problèmes constatés sur les instruments. Garantissant la qualité de son travail, le luthier demande de retourner les instruments à son atelier. Au moment, où il reçoit les guitares, il n’a pas besoin de beaucoup de temps pour réaliser que le pont de chacune des deux guitares a glissé et que l’action de celles-ci s’en retrouve rehaussée, rendant les instruments injouables.
[91] Il explique que son expérience et ses recherches lui permettent de conclure que la colle utilisée pour le pont est à la base de ce glissement.
[92] Une fois l’instrument démonté, là où la colle Dural avait été appliquée, il remet les pièces en place, cette fois-ci avec une nouvelle colle. Il livre à nouveau les instruments et le tout entre dans l’ordre.
[93] Précisons que Beauregard n’a pas porté cet évènement à la connaissance de Dural. Par contre, on comprend qu’il a partagé les détails de son aventure lors d’une foire commerciale en janvier 2003 avec Robert.
[94] La passion que Beauregard dégage face à son art, sa capacité de répondre aux questions sur le fonctionnement de l’instrument et sa quête constante d’améliorer son produit ne permet pas de remettre en question les constatations qu’il fait suite à l’utilisation très ponctuelle de la colle Dural. Certes, il ne s’agit pas d’un témoin expert mais son niveau de connaissance des divers matériaux et son expérience pointue dans la lutherie font en sorte qu’on doit donner une très grande crédibilité à son témoignage.
· L’existence d’autres modifications au moment de l’introduction du nouvel adhésif
[95] Au chapitre de la structure des guitares fabriquées par Guitabec, il y a lieu de rappeler comment ce manufacturier fonctionne.
[96] On sait qu’il existe au Québec, au moment des événements ayant mené à la présente instance, deux usines qui assemblent les guitares acoustiques au cœur de ce litige. Chacune de ces usines se spécialise dans l’un ou l’autre des cinq modèles. Pour chaque modèle, il existe plusieurs variantes.
[97] Il a longuement été question de modifications qui auraient pu survenir dans les différentes composantes des guitares ou dans la façon de les assembler, au moment où l’on procède à l’introduction du nouvel adhésif.
[98] Plus particulièrement, Multibond fait reposer cette affirmation sur le témoignage d’Yves Poulin (Poulin). Poulin a travaillé pour Guitabec de 1982 à 2004. À partir de 1988 jusqu’à la fin de son emploi, Poulin détient le poste de directeur d’usine à La Patrie. Le rôle de directeur d’usine ne comporte pas celui de superviser le contrôle de la qualité. C’est Daniel Gervais qui chapeaute ce rôle.
[99] Poulin avance que les guitares confectionnées à son usine ont fait l’objet de plusieurs changements.
[100] Pour appuyer cette allégation, Multibond réfère également au document préparé par Dural dans le cadre de ses recherches. Ce dernier mentionne que les guitares montrent de « sérieux problèmes de stabilité »[33].
[101] On remarque que Dural se questionne sur l’impact qu’a pu avoir certaines modifications dans l’assemblage des instruments.
[102] Après analyse de ce document, ce qu’il faut surtout retenir de cette remarque, c’est que Dural avance qu’il a pu y avoir certaines modifications ou différentes façons de faire d’une usine à l’autre[34]. Or, on sait que les instruments retournés provenaient de toutes les usines. En conséquences ce document ne permet pas de conclure qu’il y a eu des changements dans les façons de faire pour l’ensemble des modèles.
[103] Ainsi, le seul témoin qui parle de réels changements survenus en même temps que l’introduction de la colle G-2539 est Poulin.
[104] Son témoignage est surprenant à plusieurs égards.
[105] Tout d’abord, on apprend qu’il aurait été dans l’environnement de Guitabec lors des tests ayant précédé le changement d’adhésif en 2000. Cependant, il confirme qu’il n’a été témoin d’aucun de ceux-ci.
[106] Il affirme avoir été informé que les guitares testées à l’humidité gonflaient, et lorsqu’elles étaient replacées dans un milieu sec, elles seraient demeurées déformées. Malgré tout, après plusieurs semaines de tests[35], Guitabec aurait décidé de substituer la colle Swift pour le produit de Dural.
[107] Il confirme que les plaintes et les retours de marchandises débutent peu de temps après. À l’origine, l’introduction d’une tige dans le manche pour solidifier la structure de l’instrument et pallier aux problèmes de déformation est mise de l’avant[36].
[108] Tant durant son interrogatoire en chef que durant son contre-interrogatoire, Poulin a fourni des versions divergentes et contradictoires de son récit. En plus, il lui est arrivé souvent de ne pas répondre aux questions ou d’être très hésitant. C’est la raison pour laquelle le Tribunal conclut que ce témoignage doit être mis de côté.
[109] À titre d’exemple, Poulin avance que les guitares collées avec la colle Swift présentaient d’importantes défaillances qui amenaient des retours de marchandises pouvant s’élever de 35 à 40 guitares par semaine. Puis, le témoin réduit considérablement le nombre d’instruments retournés dans le cadre du contre-interrogatoire.
[110] Cette affirmation n’est pas crédible.
[111] Premièrement, il est le seul à avancer un chiffre si élevé. Deuxièmement, si le produit Swift avait été si peu performant, comment expliquer que Guitabec ait décidé de réintroduire ce produit lorsqu’elle conclut que la colle Dural comporte un vice.
[112] En effet, tout porte à croire que les problèmes de décollement des extrémités du pont lors de l’utilisation de l’adhésif Swift n’étaient qu’épisodiques. Peut-être pas en aussi infime quantité que veut le laisser comprendre certains témoins en demande, mais jamais en aussi grande quantité que Poulin affirme.
[113] En fin de compte, avant l’introduction de la colle G-2539, on comprend qu’il y avait des retours d’instruments causés pour différentes raisons (colle, transport, vernis, etc.) mais le témoignage de Poulin ne permet pas de conclure que ceux-ci étaient en grande partie attribuables à des problèmes avec la colle Swift.
[114] Le témoignage de Poulin est également douteux lorsqu’il commente les conditions dans lesquelles les tests de la colle Dural ont été effectués et les résultats non convaincants ainsi obtenus. Rappelons qu’il n’était pas présent et qu’il n’était pas responsable de ces tests. Par ailleurs, il avance que malgré le fait que les résultats étaient loin d’être concluants, ceux-ci auraient été communiqués à la haute direction et cette dernière aurait tout de même opté pour le changement d’adhésif. Cette explication ne tient pas la route. Pourquoi Guitabec aurait-elle choisi un produit qu’elle savait ne pas être performant?
[115] En ce qui concerne la preuve de modifications survenues de manière concomitante avec l’introduction de l’adhésif G-2539, on doit conclure que celle-ci est loin d’atteindre le niveau de prépondérance requis. Il est possible que des changements aient été apportés durant cette période, mais la nature de ceux-ci n’est pas claire. Par contre, aucun autre élément de la structure de la guitare ne semble avoir été modifié sur la totalité des modèles en 2001 ou en 2003 pour expliquer l’accroissement du nombre de plaintes puis le retour éventuel à la normale.
[116] Ceci étant, examinons de plus près ce que la preuve technique amène comme éclairage à l’égard de la structure et du comportement des différentes composantes de la guitare.
· Les expertises techniques
o Les experts de Guitabec
[117] Chaque partie retient les services d’experts pour étudier la problématique alléguée par Guitabec.
[118] Le mandat de l’expert retenu en demande, Paul Croteau (Croteau), expert en ingénierie des structures, consiste à examiner les preuves techniques disponibles et à donner une opinion quant à la cause des problèmes de stabilité des guitares fabriquées par Guitabec entre 2001 et 2003, avec la colle G-2539 en conditions humides[37]. Dans le cadre de ce travail, Guitabec, par l’entremise de l’expert Croteau, fait également appel à un professeur de chimie, Bernard Riedl (Riedl).
[119] Croteau est reconnu comme expert dans le domaine du génie des structures, tandis que Riedl est reconnu comme expert en chimie.
[120] Du côté de Multibond, on mandate, Fred Ablenas (Ablenas), expert en chimie des matériaux pour déterminer si la colle G-2539 se conforme à ses spécifications techniques[38] et si celle-ci était de qualité constante.[39] De plus, on lui demande de déterminer si les problèmes soulevés par Guitabec à l’égard de ses instruments sont reliés à l’utilisation de la colle G-2539[40].
[121] On reconnaît Ablenas comme expert en chimie des matériaux.
[122] Pour l’expert Croteau, son travail consiste à faire une série d’essais en laboratoire afin de reproduire et de compléter les résultats expérimentaux disponibles ainsi qu’une étude analytique du comportement structural d’une guitare acoustique typique fabriquée par Guitabec[41]. Plus précisément, il propose de vérifier les éléments suivants[42] :
o Évaluer la performance de la colle Dural G-2539 utilisée entre 2001 et 2003 pour l’assemblage des guitares, lorsque celles-ci sont soumises à des variations d’humidité; comparer la performance à celle de la colle Helmibond 52-042-2, utilisée après 2003.
o Évaluer le comportement en cisaillement du joint de colle entre la table d’harmonie et les tiges de barrage lorsque les échantillons sont soumis à des variations d’humidité atmosphérique.
o Déterminer s’il y a un glissement entre la table d’harmonie et les tiges de barrage lorsque les guitares sont soumises à des variations d’humidité atmosphérique.
o Déterminer s’il y a un déplacement de la table d’harmonie et s’il y a présence de fluage lorsque les guitares sont soumises à des variations d’humidité atmosphérique.
[123] On comprend que pour réaliser son mandat, il passe en revue la nature des matériaux en cause, les essais sur les échantillons de colle, les essais mécaniques sur des échantillons de joints collés, les essais sur des guitares complètes et les analyses mathématiques des guitares par des éléments finis.[43]
[124] L’expert Croteau précise que le bois est un matériau naturel qui comporte un nombre aléatoire de défauts (nœuds, fentes, grains, etc.). Ces particularités peuvent avoir un effet sur la résistance du matériau et causer des déformations sous charges. De par sa nature, le bois est poreux et sensible à l’humidité. Cet effet diffère en fonction de la direction de la coupe (tangentielle ou radiale)[44]. On comprend que de manière générale, le bois utilisé pour la confection de la table d’harmonie est sélectionné avec soin pour éviter les défauts visibles[45].
[125] Au niveau de la structure d’une guitare on apprend, notamment que les cordes d’une guitare acoustique produisent des forces sur le sillet et le pont, lesquels sont équilibrés par les contraintes dans la table d’harmonie et les barrages.
[126] L’assemblage des différentes pièces de la guitare se fait à l’aide de colle PVA. Ce type de colle n’est constitué que d’une seule composante (aucun mélange n’est requis avant son utilisation). L’adhésif utilisé par Guitabec est une colle PVA de type II laquelle offre une adhérence ayant un certain degré de résistance à l’humidité[46]. Les experts Croteau et Riedl font différents tests avec les colles PVA de type II des fabricants Dural, Swift et Helmibond.
[127] D’autres analyses sont effectuées afin de déterminer si les différentes essences de bois obtenaient des résultats identiques, notamment pour les tests de cisaillement et le comportement des guitares entières suite aux changements du taux d’humidité.
[128] On apprend que chaque essence possède des caractéristiques qui lui sont propres, leur conférant des comportements différents. D’une part, les coefficients de retrait et de gonflement sont distincts pour chaque essence. Celles-ci réagissent donc avec des amplitudes variables aux changements d’humidité.
[129] Le travail effectué par ces experts les amène à tourner toutes les pierres.
[130] À cet égard, on note que l’expert Croteau ne passe pas sous silence, le fait que certaines composantes de l’instrument ont subi des changements, de manière contemporaine avec l’introduction de la G-2539[47]. À cet égard, il souligne que la structure des guitares a été légèrement modifiée avec les années au niveau de la configuration des types de barrage. En effet, on constate que le barrage était plus étroit dans les nouvelles guitares que dans les guitares collées avec la colle Dural. Par contre, avec les explications fournies, on comprend que ceci n’a pas affecté la structure de l’instrument.
[131] Après avoir reproduit les trois tests de Dorval, l’expert Croteau précise que seul le test de la mesure du déplacement des tables d’harmonie conclut à des différences entre l’efficacité de la colle Dural et celle fabriquée par Helmibond. Dans ce test, les guitares collées avec la colle Dural ont connu des gonflements et des retraits plus importants que les guitares collées avec la colle Helmibond,
[132] Une fois ces observations faites, l’expert Croteau partage ses conclusions quant à la résistance des matériaux placés dans des milieux secs et dans des milieux humides. Notamment, on apprend que la résistance des joints collés varie significativement en fonction de l’essence du bois utilisé si les conditions sont arides, par contre, l’essence n’a pratiquement plus d’influence en condition humide[48].
[133] À la lumière de cette constatation, il pousse ses recherches un peu plus pour découvrir des différences appréciables entre les différents adhésifs testés et leur comportement sur une échelle de temps, en condition humide. Ses résultats lui permettent de conclure que la faiblesse des instruments déformés se trouve dans le joint de colle placé en condition humide compte tenu des valeurs obtenues pour les différentes essences de bois[49].
o L’expert de Multibond
[134] Du côté de Multibond, les services du chimiste Fred Ablenas sont retenus pour fournir son opinion sur le comportement de la colle G-2539[50].
[135] Après avoir passé en revue les caractéristiques du bois et les réactions que celui-ci peut avoir dans différentes conditions, l’expert Ablenas donne les grandes lignes des différents types d’adhésifs, pour éventuellement parler plus spécifiquement de la G-2539 et de la méthodologie suivie par Dural lors de son développement. Les caractéristiques principales de cet adhésif consistent à permettre de coller des planches de bois de contre-plaqué qui entrent dans la composition de portes[51]. On sait par ailleurs qu’avant 2001, Duval ne faisait pas affaire avec d’autres fabricants de guitares.
[136] Ce produit G-2539 est défini par le fabricant comme ayant une bonne résistance à l’eau et en quelque sorte à l’humidité. Voici comment il décrit cette caractéristique :
The catalogue describes G-2539 as having “good water resistance” and “also suitable for interior projects where water resistance is beneficial”, while both documents indicate that G-2539 is a “Type II” adhesive, i.e. a crosslinked PVA adhesive with “some degree of moisture resistance”. It should be noted that one-component PVA adhesives with a “high degree of moisture resistance”, i.e. “Type I” were not available in 2001-03, and thus G-2539 was rated as one of the most water-resistance white glues available as a ready-to-use product at that time[52].
(soulignements ajoutés)
[137] Sans qu’il ne soit contredit sur ce point, Ablenas fait état de la méthodologie suivie par Dural en ce qui regarde le contrôle de la qualité[53].
[138] Une fois la révision des différentes particularités de l’adhésif fourni par Dural, l’expert Ablenas se penche ensuite sur les méthodes de production de Guitabec et sur le contrôle de la qualité que cette dernière applique à ses produits[54].
[139] Il se fait très critique de la démarche entreprise par le fabricant de guitares pour introduire un nouvel adhésif dans sa chaîne de production. La vitesse à laquelle une décision est prise pour opérer un tel changement lui porte à penser que Guitabec n’a pas fait de réelle vérification[55]. Le fait qu’aucun document n’ait été rédigé par Guitabec au moment de tester le produit, le conforte dans cette affirmation.
[140] Pour lui, il est beaucoup plus plausible de pointer le comportement du bois soumis à différentes conditions atmosphériques que de viser l’adhésif pour justifier les problèmes de déformation. Le fait que les tables d’harmonie puissent gonfler lorsque soumises à de hauts taux d’humidité constitue la raison pour laquelle l’action de la guitare devient trop élevée[56].
[141] Malgré les explications fournies par l’expert Croteau à l’égard du comportement d’une colle non vieillie, celles-ci ne sont pas déterminantes, selon lui, étant donné certaines lacunes notées dans l’ouvrage de référence utilisé. Notamment, il fait valoir que le graphique dont Croteau se sert pour expliquer le comportement de la colle ne comporte pas d’échelle pour le temps. De plus, il est d’opinion que les colles testées ne reproduisent pas, comme le prétend l’expert Croteau, le schéma de référence utilisée[57].
[142] En conséquence, il est d’opinion que rien ne permet de conclure que les échantillons examinés comportent un vice de quelque nature que ce soit. En plus, les résultats obtenus quant à l’adhésif G-2539 ne permettent pas de démontrer que celui-ci aurait réagi en deçà de la moyenne.
[143] De plus, tant dans le cadre de leur expertise respective que durant leur témoignage, les experts ont longuement commenté la démarche suivie par Dorval pour tirer la conclusion que la colle utilisée provoquait l’instabilité des instruments.
[144] L’un et l’autre des experts ont tenté de reproduire les tests décrits par Dorval mais sans résultats concluants.
[145] Croteau explique ce constat par le fait que les tests effectués en laboratoire ne pouvaient reproduire les conditions existantes au moment où Dorval les a réalisés. En effet, comme les tests de 2003 ont été pratiqués avec des instruments assemblés avec un adhésif qui n’avaient vieilli que quelques mois, et que les tests de 2009 menés par Croteau utilisaient des guitares confectionnées en 2001, l’expert explique les différents résultats par le fait que la résistance des adhésifs de type PVA réagit différemment avec l’âge[58].
[146] Pour Ablenas, cette impossibilité de reproduire les résultats obtenus par Dorval s’explique plutôt par un phénomène propre au bois placé en milieu humide. De plus, ce matériau ne gonfle pas de manière constante dépendamment du sens du grain du bois. Étant donné ce comportement, cela expliquerait les résultats obtenus par Dorval.
[147] Pour l’expert Ablenas, la perte de résistance d’une colle PVA soumise à un environnement fortement humide est tout à fait normale. Par contre, comme les résultats obtenus par Guitabec, en 2003, ne fournissent pas de détail à l’égard de la quantité de colle utilisée ou des phénomènes observés lorsque les pièces sont décollées,[59] ce manque d’information et le test lui-même lui paraissent trop simplistes pour en tirer quelque conclusion que ce soit quant à la défaillance de la colle G-2539.[60]
[148] Du côté de Croteau, il analyse la démarche de Dorval sous le prisme d’un expert en structure. En fait, avant de tirer quelque conclusion que ce soit, Croteau relate tous les tests conduits par son équipe et celles du professeur Riedl.
[149] Les résultats ainsi obtenus lui permettent de dire que bien qu’il n’a pu reproduire les résultats obtenus par Dorval, cela ne permet pas d’exclure la vraisemblance desdites observations. En effet, compte tenu du comportement de la colle non vieillie placée dans un milieu à haute teneur en humidité, les conclusions sont probables.[61]
[150] Croteau soulève également quelques critiques à l’égard du rapport d’Ablenas qui, selon lui, tente de nier l’évidence.
[151] Notamment, l’expert Croteau souligne deux passages dudit document au soutien de ce commentaire :
We point out that wood, like the glue, reacts dynamically to changing humidity conditions and Guitabec failed to consider any role of the wood structure in the alleged problem[62].
The entire harmony table, together with its well-attached bracing, is simply incapable of resisting deformation due to the tension of the guitar strings while the wood of the guitar is humid and pliable[63].
[152] Pour lui, ces remarques font ressortir qu’Ablenas ne veut pas considérer la colle comme pouvant avoir un rôle à jouer dans la problématique. C’est comme si Ablenas voulait suggérer que les guitares de Guitabec comportaient des problèmes de structures depuis toujours.
[153] Pour lui, il ne fait aucun doute que l’enjeu se situe au niveau du joint de colle.
Conclusion
[154] À la lumière de cette preuve technique et de l’ensemble de la preuve factuelle, peut-on conclure à l’existence d’un vice?
[155] Tout d’abord, il est opportun de préciser que le vice décrit par Guitabec constitue un défaut conventionnel, c’est-à-dire, que la colle G-2539 ne rencontre pas les exigences relatives à l’usage particulier que Guitabec entendait en faire.
[156] Bien que Multibond note que les contraintes imposées sur le joint de colle entre les barrages et la table d’harmonie sont tellement élevées qu’il aurait fallu que cette information lui soit divulguée dès le départ pour que celle-ci puisse aviser correctement son client[64], le Tribunal ne partage pas son point de vue. Dural était tout à fait au courant de l’usage auquel l’adhésif était destiné. C’est elle-même qui détermine dans sa gamme de produits lesquels de ses adhésifs répondent le mieux aux besoins du client.
[157] Elle plaide également que Guitabec aurait dû lui souligner les importantes variations du taux d’humidité auxquelles les instruments étaient exposés, afin que des experts en structure de guitare soient impliqués dans les tests de sélection.
[158] Bien que la preuve soit contradictoire à ce sujet, de manière prépondérante, Guitabec a démontré qu’elle a indiqué à Dural de l’usage auquel l’adhésif était destiné[65].
[159] En effet, la version du Dural selon laquelle un de ses représentants serait passé, par hasard, dans le secteur et aurait décidé d’arrêter pour offrir ses produits n’est pas crédible. Il est inconcevable de penser qu’un fabricant de guitare, d’une telle envergure, décide de changer de produit, sur les représentations d’un vendeur faisant un « cold call ».[66]
[160] Dural savait, avant d’envoyer les échantillons que le produit recherché devait être résistant à l’humidité[67]. C’est dans ces circonstances que le fabricant d’adhésif a soumis deux échantillons. De plus, il y a eu des échanges entre Guitabec et Dural avant que le choix ne soit arrêté sur la G-2539.
[161] Maintenant, on doit déterminer si les conditions d’existence du vice caché ont été remplies par Guitabec.
· La gravité du vice
[162] De l’ensemble de la preuve et compte tenu plus particulièrement des faits constatés par les experts Croteau et Riedl à l’égard du comportement d’une colle PVA non vieillie, et bien qu’aucune preuve directe ne permet de reproduire ce qui s’est passé avec les guitares assemblées avec la G-2539 utilisée à l’époque (puisque cet adhésif a maintenant vieilli), on ne peut qu’inférer une chose : les problèmes de déformations constatés sur les guitares entre 2001 et 2003 résultent de l’utilisation de la colle G-2539.
[163] Comme le permet le Code civil du Québec, l’existence d’un fait inconnu peut-être inféré de faits connus. Cette présomption fera preuve pourvu qu’elle soit grave, précise et concordante[68].
[164] Dans une cause de responsabilité civile où il s’agissait d’identifier la cause de la maladie dont était affligé un troupeau d’animaux, la Cour d’appel précise que le demandeur n’a pas, dans de telles circonstances, à faire une démonstration mathématiquement certaine que toutes les autres sources possibles de contamination doivent être exclues[69].
[165] En l’instance, Guitabec a démontré de manière prépondérante qu’outre le changement d’adhésif, aucun autre changement touchant l’ensemble des différents modèles n’a été effectué durant cette période de deux ans et ensuite rectifié. De plus, aucune preuve prépondérante n’a été mise de l’avant pour démontrer que la façon d’apprêter les pièces entrant dans la confection de ses produits ou la manière de les assembler ont été changées durant la période critique. Rien non plus à l’égard des méthodes de livraison.
[166] En réponse au fait qu’il n’y aurait qu’une fraction de la production qui a fait l’objet de retours ou de crédits, le Tribunal retient plutôt les explications avancées par Robert[70]. En effet, on comprend de son témoignage, très crédible, qu’il arrive fréquemment que des personnes achètent des guitares sans jamais en jouer. On pourrait dire qu’ils achètent un bel objet ou qu’ils chérissent le rêve d’un jour devenir comme leur idole, un Wynn Butler ou un Roger Water de ce monde. Enfin, d’autres propriétaires en jouent tellement peu, qu’ils peuvent très bien ne pas réaliser que l’instrument ne devrait pas être ainsi. Finalement, il se peut très bien que des guitares n’aient pas du tout été exposées à des taux d’humidité élevés et qu’elles soient demeurées dans l’état où elles étaient au moment où elles sont parties de l’usine.
[167] Maintenant, que dire des observations et de l’expérience de Beauregard? Il y a une concordance frappante.
[168] La seule explication raisonnable et probable, dans les circonstances, pointe dans la direction de l’adhésif nouvellement changé.
[169] La preuve de ce fait, bien que n’ayant pu être obtenue de manière directe, l’a été de manière indirecte, telle qu’on peut la présumer.
Ø Le comportement des colles PVA de type II
[170] Tel que le souligne l’expert Croteau en référant à la littérature scientifique, la résistance mécanique des colles PVA au voisinage de la température de transition (Tg) peut augmenter dans le temps sous l’effet du vieillissement. Ce phénomène explique pourquoi les guitares assemblées avec de la colle Dural entre 2001 et 2003 sont maintenant stables, alors qu’elles ne l’étaient pas en 2003.
[171] Multibond soulève le fait que si cet énoncé est vrai quant au comportement d’une colle PVA de type II, il faut alors conclure que toutes les colles non vieillies réagissent de la même façon.
[172] Bien que cette affirmation ne soit pas inintéressante en soit, étant donné la démonstration faite par les experts Croteau et Riedl[71] et le secret entourant la composition chimique réelle des adhésifs testés, on ne peut que conclure que la colle G-2539 comporte un vice qui a joué un rôle crucial dans les déformations constatées sur les guitares fabriquées chez Guitabec avec cet adhésif.
[173] En effet, avec ces résultats et la composition particulière propre à chaque colle PVA de type II et vu l’absence de preuve prépondérante que des changements seraient survenus de manière concomitante, il est tout à fait plausible de conclure que la colle G-2539 a réagi différemment des autres adhésifs à des degrés variables d’humidité en fonction du temps.
[174] Cette conclusion pourrait également expliquer les résultats de Dorval.
[175] Il est opportun de rappeler que Dorval n’a pas témoigné à titre d’expert. Ainsi, les documents qu’il a confectionnés au moment où il faisait ses tests ne constituent pas un rapport d’expertise. Par contre, ceux-ci constituent des éléments factuels dont le Tribunal tient évidemment compte.
[176] Enfin, le Tribunal est d’accord avec les préoccupations soulevées par l’expert Croteau à l’égard de certaines conclusions de l’expert Ablenas, dont le choix des essences de bois entrant dans la composition de l’instrument et la capacité de la structure. Les constatations d’Ablenas ne tiennent pas la route. Les guitares de Guitabec sont confectionnées avec ces essences de bois depuis toujours. Beauregard utilise non seulement plusieurs des mêmes essences de bois, il s’approvisionne chez Guitabec. Quant à la capacité de résistance des instruments, la preuve ne permet pas de conclure qu’il y aurait eu quelque changement que ce soit dans la structure des instruments ou dans la façon de les assembler de manière contemporaine.
[177] Compte tenu de ce qui précède, Guitabec s’est déchargée de son fardeau de preuve quant à l’existence d’un vice.
· La nature occulte du vice et la connaissance du vice par l’acheteur
[178] Une fois la preuve de l’existence du vice établie, on doit maintenant déterminer si le vice était caché et si son existence était à la connaissance de l’acheteur.
[179] L’article 1726 du Code civil du Québec établit que la norme doit s’analyser du point de vue de l’acheteur raisonnable. L’intensité de cette norme fluctue en fonction du niveau de connaissance de l’acheteur. Ainsi, plus l’acheteur a des connaissances dans le domaine, plus son obligation de procéder à un examen est grande[72].
En outre, il importe de souligner que la norme de l’acheteur raisonnable n’oblige pas tout acheteur à un examen d’une même envergure. La norme objective aplanit l’intensité de l’examen, lui conférant donc une intensité minimale. Elle n’exclut toutefois pas un accroissement de l’intensité lorsque l’acheteur possède des connaissances spéciales. La doctrine française moderne reconnaît depuis longtemps que les tribunaux doivent adapter l’intensité de l’examen aux connaissances techniques de l’acheteur en cause. Ainsi, plus l’acheteur est expert dans le domaine du bien, plus il est obligé de procéder à un examen approfondi. Le même vice peut donc être jugé occulte à l’endroit d’un acheteur profane et apparent pour un acheteur professionnel. Il s’agit là d’une application particulière d’une règle générale de l’appréciation objective selon laquelle « les aptitudes particulières peuvent parfaitement à la différence des inaptitudes, être prises en considération ». L’acheteur possédant des connaissances spécialisées ne peut dès lors se mettre à l’abri de sa négligence en invoquant la norme de l’acheteur raisonnable moyen. À l’exception de certaines ouvertures doctrinales en ce sens, la majorité des auteurs et l’ensemble de la jurisprudence au Québec paraissent cependant ignorer tout du caractère variable de la norme objective de l’acheteur dans l’appréciation du caractère occulte du vice. Les tribunaux québécois en sont néanmoins venus au même résultat par la voie d’un développement encore plus influent dans l’évaluation du caractère occulte.
(soulignements ajoutés)
[180] Il appartient au vendeur de prouver que l’acheteur aurait dû avoir connaissance du vice.
[181] L’auteur Edwards précise de quelle manière cette connaissance s’évalue[73]:
La connaissance du vice par l’acheteur demeure donc généralement soumise à une évaluation subjective. La norme objective occupe toutefois une position de repli. Elle empêche le vendeur d’être victime d’une ignorance injustifiable de l’acheteur. Celui-ci ne peut prétendre ignorer le vice qui lui est suffisamment dénoncé. L’application de la norme objective est donc de portée limitée; elle empêche tout simplement l’acheteur de tirer profit de sa négligence. Il ne faut toutefois pas y voir une obligation active de l’acheteur de rechercher l’existence d’un vice. La cohabitation des normes subjective et objective est d’ailleurs analogue à la solution en matière de vice de consentement au motif d’erreur. L’évaluation de l’erreur est en principe subjective. Le législateur fait néanmoins appel, selon l’article 1400, alinéa 2 C.c.Q., à la norme objective lorsqu’il empêche une partie de se prévaloir d’une erreur inexcusable.
(soulignements ajoutés)
[182] Dans une décision traitant du caractère caché d’un vice et de l’examen auquel l’acheteur doit se livrer, la Cour d’appel reprend les principes qui se dégagent de l’arrêt ABB de la Cour suprême[74] :
[17] Selon la Cour suprême, le caractère caché du vice s’apprécie selon une norme objective, c’est-à-dire en évaluant l’examen fait par l’acheteur en fonction de celui qu’aurait fait un acheteur prudent et diligent de même compétence. « Autrement dit, on ne s’interroge pas simplement sur l’ignorance du vice; on cherchera aussi à déterminer si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait constaté le vice ». L’expertise de l’acheteur est un facteur pertinent pour évaluer si le vice est caché ou apparent. Plus l’acheteur connaît le bien qu’il acquiert, plus le vice affectant ce bien est susceptible d’être considéré comme apparent.
(soulignements ajoutés et références omises)
[183] En l’espèce, doit-on conclure que Guitabec a été négligente lors de la sélection de la colle G-2539? Le Tribunal ne le croit pas.
[184] La preuve fournie par Guitabec à l’égard des tests maison effectués avant l’introduction de la colle Dural dans la ligne d’assemblage permet de conclure que le problème de colle n’était pas visible. De plus, elle n’a pas été en mesure de reproduire les conditions dans lesquelles les déformations devenaient irréversibles. Ainsi malgré les semaines durant lesquelles ces tests se sont déroulés, rien n’est apparu anormal. Il a d’ailleurs fallu faire appel à plusieurs preuves d’experts pour expliquer le comportement de la colle non vieillie et faire la comparaison entre différentes marques pour identifier la responsable.
[185] Par ailleurs, on doit conclure que le niveau de connaissance de Guitabec ne peut être assimilé à celui d’un expert en colle. Certes, ses connaissances sont plus grandes que le citoyen Lambda, mais on ne peut lui imposer l’obligation de tester le produit comme l’ont fait les experts. Son champs d’expertise est la lutherie, pas la chimie.
[186] Elle a mis sur pied différents tests, mais ceux-ci n’ont pas permis de déceler cette lacune. A-t-elle été négligente? La réponse à cette question est non.
[187] Sans reprendre la chronologie des faits entourant la décision de changer d’adhésif, on sait que Dural a proposé deux de ses produits, qui selon elle répondaient aux besoins du manufacturier de guitares. Elle savait à quoi devait servir le produit convoité et elle savait également que la résistance à l’humidité représentait une caractéristique importante.
[188] En somme, le Tribunal considère que le vice n’était pas apparent et que la démarche de Guitabec était raisonnable compte tenu de son niveau de connaissance.
2. Dural a-t-elle réussi à repousser la présomption légale?
[189] À titre de fabricant vendeur, Multibond est présumée connaître l’existence du vice.
[190] Pour renverser cette lourde présomption, celle-ci doit prouver de manière prépondérante que l’acheteur, en l’occurrence Guitabec, a fait une mauvaise utilisation du produit ou que la technologie ne permettait pas de répondre aux besoins de l’acheteur au moment où le produit a été acheté.
[191] Bien que ce soit exactement ce que Multibond a tenté de démontrer en suggérant que l’adhésif n’avait pas été appliqué selon les spécificités du produit, cette affirmation n’a pas passé le seuil de la prépondérance.
[192] En effet, Multibond reproche à Guitabec sa façon de faire dans l’application de la colle.
[193] Or, encore une fois, la preuve n’a pas été faite, de manière prépondérante, que des modifications seraient intervenues dans les méthodes d’assemblage. Certes, la machinerie a pu évoluer mais rien ne permet d’identifier un changement notable par rapport à ce qui se faisait et que rien n’a changé de manière notable dans l’assemblage des instruments.
[194] En conséquence, cette hypothèse soulevée par Multibond ne permet pas de conclure à une quelconque responsabilité de Guitabec.
[195] Ceci n’est pas sans rappeler une décision de la Cour d’appel qui avait à analyser les effets de l’article 1729 du Code civil du Québec et la manière dont on pouvait renverser la présomption, une fois celle-ci établie[75].
[65] Cette présomption pèse lourd sur les épaules du vendeur professionnel. Ce dernier peut la réfuter en démontrant que le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l'acheteur, comme l'indique expressément l'article 1729 C.c.Q., ce qui signifie que le vice est né postérieurement à la vente. Or, c'est justement ce que soutient l'intimée, à l'audience.
[66] Comme on l'a vu précédemment, l'intimée souligne en effet ce qu'elle qualifie de lacunes dans la preuve de l'appelante : elle note que celle-ci n'a nullement démontré ce qui s'était passé chez Séchoir Lachute inc. entre le moment de la livraison des planches et celui où, le 10 septembre 1998, cette dernière l'informe du problème des taches. Elle soulève également le fait que Séchoir Lachute inc., qui agit pour le compte de l'appelante, a elle-même laissé reposer les planches 24 ou 48 heures sur les lattes de 3/8 de pouce qu'avait installées l'intimée. Il n'est donc pas impossible que la réaction biochimique productrice de taches ait eu lieu chez Séchoir Lachute inc., après le transfert de propriété, et ne soit donc pas imputable à l'intimée. Autrement dit, le vice serait né postérieurement à la vente, en raison d'un entreposage déficient chez Séchoir Lachute inc. et non d'un entreposage déficient chez l'intimée.
[67] Cet argument, rejeté dans le cadre de l'analyse de l'obligation de délivrance, ne peut être retenu ici. En effet, c'est l'intimée qui a le fardeau de prouver, selon le standard de la prépondérance, les faits nécessaires à la réfutation de la présomption qui naît de l'article 1729 C.c.Q., présomption dont les effets sont régis par l'article 2847, premier alinéa, C.c.Q. :
2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
[68] L'appelante ayant établi les conditions d'application de la présomption de l'article 1729 C.c.Q., le fardeau de la réfutation devient dès lors celui de l'intimée, fardeau dont celle-ci ne se décharge pas en avançant des hypothèses. Si elle estimait que les taches qui marquent les planches résultent des opérations de Séchoir Lachute inc., c'était à l'intimée de l'établir, par prépondérance, ce qu'elle n'a pas fait, évoquant une simple possibilité.
(soulignements ajoutés)
[196] Certes la présomption légale de l’article 1729 du Code civil du Québec est élevée, mais le législateur a voulu imposer un devoir de connaître le produit au fabricant qui fait son métier de le vendre[76].
[197] En l’espèce, Multibond ne réussit pas à repousser la présomption. Elle n’a pas proposé de preuve prépondérante qui puisse permettre au Tribunal de conclure qu’il y a eu une évolution technologique dans le domaine des colles. Au contraire, on sait que l’adhésif utilisé avant 2001, une colle PVA de Type II comme la colle G-2539, ne présentait pas ce genre de lacune.
[198] De plus, Multibond n’a pas réussi à démontrer que Guitabec avait eu un comportement répréhensible à l’égard de la sélection du nouvel adhésif. Il a fallu le travail d’experts chevronnés pour établir que la colle G-2539 non vieillie ne permettait pas de répondre à l’exposition d’une guitare soumise à un haut taux d’humidité.
3. Quelle est l’étendue des dommages subis par Guitabec pour lesquels Dural peut être tenue responsable?
[199] Les dommages réclamés par Guitabec sont de trois ordres : la perte de stock, les frais supplémentaires et la perte de bénéfice.
[200] Il y a lieu de traiter chacun d’eux de manière distincte.
Perte de stock
[201] Rappelons que Guitabec fait affaires partout à travers le monde.
[202] Entre 2001 et 2003, Lasido affirme qu’elle a subi pour 3 562 287 $ de pertes. Ce chiffre représente des pertes s’élevant à 2 870 622 $[77] pour le territoire nord-américain et à 691 665 $[78] pour les marchés internationaux.
[203] Pour déterminer la valeur de la perte de stock, Lasido explique avoir eu recours au numéro de série apparaissant sur chacune de ses guitares, plus précisément sur le manche.
[204] Voici ce que l’attribution du numéro fournit comme information relativement au moment de sa fabrication :
Définition des numéros de série[79] :
Les numéros de série apparaissant au dos de la tête du manche d’une guitare sont déterminés de la façon suivante :
· Le numéro de série est constitué de huit chiffres.
· Les deux premiers chiffres (à partir de la gauche) indique l’exercice financier de fabrication du manche (exemple : 06 pour l’exercice 2006).
· Les deux chiffres suivants correspondent à la semaine de l’exercice financier pendant laquelle le manche a été fabriqué. L’exercice financier de Guitabec/Lasido se termine le 31 juillet. La semaine 01 est donc la première semaine du mois d’août. La semaine 02 est la deuxième semaine du mois d’août. Il en ainsi jusqu’à la semaine 52 qui correspond à la dernière semaine de juillet.
· Le chiffre suivant correspond au jour de la semaine de fabrication du manche selon le système de numérotation suivant : Lundi = 2, Mardi = 3, Mercredi = 4, Jeudi = 5, Vendredi = 6.
· Finalement, les trois derniers chiffres indiquent le rang de fabrication du manche dans la journée. Par exemple, le premier manche fabriqué durant une journée portera le numéro 001. Le 250ième manche fabriqué durant cette même journée portera le numéro 250.
[205] On sait également qu’il peut s’écouler une période d’approximativement trois mois, avant qu’un manche n’intègre une caisse. Cette période peut s’allonger en raison, notamment, du modèle de guitare et de la demande en lien avec celui-ci.
[206] Autrement dit, le numéro de série permet de manière définitive de déterminer la date de confection du manche, mais d’une manière moins précise le moment de son intégration avec la table d’harmonie pour laquelle il est destiné.
[207] Ceci étant dit, à partir du moment où Lasido acquiert la conviction que la colle utilisée à cette époque constitue la cause des déformations de ses guitares, il lui est alors possible de constituer la liste à la base de la réclamation pour perte de stock. En effet, sachant le moment où cette colle a été introduite dans la production et connaissant la date où il est devenu nécessaire d’interrompre la production et retirer toutes les guitares comportant de composantes ayant été collées avec l’adhésif défectueux, plusieurs des paramètres importants pour constituer la liste étaient connus[80].
[208] En conséquence, pour établir la réclamation provenant du marché nord-américain, on a calculé le nombre d’instruments qui étaient prêts à être livrés au moment où la décision de retirer la colle problématique a été prise et on y a ajouté le nombre de retours et de crédits déjà effectués en lien avec la défaillance de la colle entre 2001 et mars 2003[81].
[209] Par contre, pour déterminer les montants qui devaient être crédités pour les distributeurs internationaux, une solution différente a dû être mise de l’avant. En effet, vu les coûts de transport reliés au rapatriement des instruments défectueux, il était difficile d’exiger le retour du produit défectueux. Ainsi, pour les régions très éloignées comme l’Asie et l’Océanie, Lasido s’est assuré d’obtenir suffisamment de détails permettant de conclure que les instruments pour lesquels on souhaitait obtenir crédit, comportaient les caractéristiques résultant du problème de colle, avant d’effectuer le remboursement[82]. En contrepartie, elle a demandé à ses distributeurs de détruire les guitares affublées de ce défaut.
[210] Enfin, pour certains pays européens, Lasido a exigé de certains de ses grossistes d’acheminer les instruments problématiques à un seul et même endroit en Hollande. Une fois un nombre suffisant de ceux-ci accumulé, elle a pris des arrangements pour ramener les instruments déformés à son usine de Richmond.
[211] En prenant en considération ce qui précède, Lasido avance avoir répertorié 14 354 guitares défectueuses[83] soit 11 385 provenant des marchés nord-américains et 2 969 du marché international. On sait que de ce nombre, 9 710 instruments sont entreposés à l’usine de Richmond.
[212] Daniel Roy (Roy) explique la méthodologie suivie pour arriver à ce nombre.
[213] Des pertes provenant du marché nord-américain, Lasido les subdivise en deux catégories : les guitares non expédiées et celles expédiées, mais pour lesquelles un remboursement a été effectué à la suite du retour de la marchandise[84]. On sait par ailleurs que plusieurs de ces instruments ont pu être détruits en raison du fait qu’ils étaient injouables et qu’il n’y avait pas de litige en vu et donc aucun motif de les garder.
[214] Au soutien de cette partie de la réclamation, Roy a confectionné un document[85] retraçant des guitares non expédiées (celles qui étaient déjà assemblées et se trouvaient dans l’une des usines au moment où Guitabec cesse l’utilisation de la colle G-2539), et des guitares retournées avant mars 2003[86].
[215] Cette version des faits quant au traitement des guitares retournées et détruites avant mars 2003 est corroborée par plusieurs[87].
[216] Le montant réclamé pour les pertes émanant du marché international, fait l’objet d’un autre document intitulé « Remboursements aux distributeurs étrangers suite au problème de colle - 30 avril 2004 »[88]. Ce document représente en grande partie le résultat des démarches entreprises de manière contemporaine durant le flot de plaintes provenant de ce marché. Ainsi, on apprend que malgré le fait qu’on ne requérait pas le retour des instruments défectueux, on prenait tout de même le soin de demander certaine information afin de s’assurer de la nature de la plainte et des dates de livraisons de la marchandise.
[217] Pour la période allant d’août 2001 à mars 2003, lorsqu’un client se plaignait que son instrument avait des problèmes au niveau de l’action, bien que Lasido applique une politique de « no question asked » en matière de service à la clientèle, pour qu’un remplacement ou un crédit soit effectué, le client devait remplir un formulaire dans lequel il précisait la nature du problème.
[218] Ainsi, Roy explique comment il a dû s’y prendre pour arriver à déterminer le montant pour la perte de stock (instruments retournés, crédités ou non expédiés). Malgré le fait qu’il reconnaisse aujourd’hui ne pas être en mesure de produire l’ensemble des formulaires de retours qui étaient exigées à l’époque, en raison, notamment, du transfert de cette base de données à un autre support informatique, il précise qu’au moment où les premières évaluations ont été faites, c’est bel et bien à partir de ces chiffres qu’il a pu déterminer l’ampleur des pertes, au niveau des stocks.
[219] Ainsi, pour arriver à déterminer le nombre de guitares ayant été retournées ou remboursées en raison du problème de colle, Roy indique avoir révisé les formulaires et avoir répertorié le nombre de guitares ayant dû être remplacées ou créditées pour cette période. On comprend que ces guitares ne font pas partie des 9 710 gardées dans l’entrepôt.
[220] Enfin, pour arriver au montant représentant la perte de stock, Roy a ensuite multiplié ce nombre par le prix de vente qu’il aurait obtenu s’il avait vendu cette marchandise à un grossiste.
[221] Cette façon de faire a été avalisée par l’expert comptable, Richard Joly (Joly) retenu par Lasido[89]. Après avoir questionné Daniel Roy, et bien que l’expert n’ait pas procédé au décomptage des guitares à l’entrepôt, il se dit satisfait que l’information se trouvant dans la liste de Lasido est fiable[90].
[222] En défense à ce chef de réclamation, Multibond soulève le fait que Lasido n’a pas fait la preuve de plus du tiers de sa réclamation pour la perte de stock puisqu’aucun document ne supporte le nombre de guitares retournées et détruites ni celles qui n’auraient pas été retournées.
[223] Pour les quelques 5 000 guitares qui ont été détruites, soit par Guitabec, soit par les distributeurs dans certains pays éloignés sur approbation de Guitabec, Multibond fait valoir qu’il est impossible de vérifier cette affirmation, puisque d’une part, rien ne permet de conclure que ces instruments étaient collés avec de l’adhésif G-2539 et d’autre part, que lesdits instruments étaient défectueux.
[224] Par ailleurs, on soulève également le fait qu’il est difficile d’établir avec certitude la date à laquelle les instruments ont été assemblés puisque le numéro de série apparaissant sur le manche représente en fait la date à laquelle le manche a été confectionné.
[225] Multibond a retenu les services d’un juriscomptable pour procéder à l’évaluation des pertes de stocks et des pertes de profits[91]. Ainsi, l’expert Alain Viger (Viger) analyse les différentes données colligées par Lasido et examine les différents rapports pour conclure que les résultats obtenus à l’égard des pertes de stock ne sont pas convaincants de telle sorte qu’on devrait réduire le montant réclamé. L’absence d’écrits confectionnés de manière contemporaine à l’aide des numéros de série ainsi que l’inclusion d’un certain nombre d’instruments où le numéro de série semble précéder la période critique l’amène à conclure que la réclamation de Lasido est exagérée en regard de sa perte de marchandise.
[226] Le Tribunal ne partage pas son point de vue à ce sujet, et voici pourquoi : tout d’abord, en ce qui concerne le numéro de série, il faut plutôt conclure que ce matricule constitue un excellent indice de la date de naissance de l’instrument puisqu’on sait que le manche d’une guitare est fabriqué environ 3 mois avant d’être intégré à la caisse de la guitare. Ce faisant, outre, peut-être quelques exceptions, le numéro de série fournit des indices plus que sérieux quant à la date d’assemblage de l’instrument.
[227] Par ailleurs, en matière civile, comme on sait, le demandeur n’a pas à faire la preuve avec un niveau de certitude absolue. La prépondérance est le seuil à atteindre[92].
[228] A cet effet, les explications fournies par Roy et corroborées par Réal St-Laurent quant au nombre d’instruments se trouvant toujours à Richmond[93] et le fait que ces instruments sont tous visés par le vice de l’adhésif constitue une preuve prépondérante. Par ailleurs, en ce qui a trait à la partie de la réclamation touchant les retours ou les crédits effectués entre 2001 et 2003, les explications fournies par Biferali et Roy ainsi que la preuve documentaire produite permettent également de conclure au bien-fondé de cette demande[94].
[229] Par ailleurs, dans un courriel rédigé par Roy, celui-ci explique comment Lasido a procédé pour obtenir le décompte des instruments collés avec la colle G-2539 retournés, crédités ou non expédiés. Cette version a fait l’objet de questions de part et d’autre durant l’instance et Roy est demeuré affirmatif sur son évaluation[95]. Il reconnaît qu’une partie de cet exercice repose sur des inférences qu’il a dû tirer des différentes données qu’il avait en sa possession, mais en soit, ceci ne constitue pas une fin de non-recevoir.
[230] La crédibilité de se témoin ne peut être remise en question. Il a fait preuve d’aplomb, de cohérence et d’ouverture tout au long de son témoignage.
[231] Ceci étant dit, le Tribunal estime qu’il y a tout de même lieu de réduire le montant réclamé de 1 %, soit le taux de pertes moyen que Lasido admet répertorier année après année.
[232] De plus, on apprend que les instruments défectueux entreposés à Richmond ont été dépouillés de certaines pièces. En effet, on a retiré les clefs, les cordes, les pins bridge et les composantes électroniques de tous les instruments[96]. Roy reconnaît qu’il faut déduire cette valeur du montant réclamé pour la perte de marchandise. Interrogé sur les motifs qui l’incitent à ne pas inclure la valeur des cordes retirées des guitares défectueuses, il précise qu’une fois installées sur une guitare, les cordes ne peuvent être réutilisées.
[233] Il y a donc lieu de déduire un montant de 173 863,59 $ du montant réclamé à titre de perte de stock.[97]
[234] En réduisant la réclamation pour perte de stock des sommes récupérées, et étant donné que Lasido a démontré de manière prépondérante l’évaluation de ses pertes de stocks, mais qu’il y a lieu de la réduire de 1 %, soit le taux de perte moyen historique, le Tribunal conclut que la valeur de perte de stock pour cette période s’élève à 3 290 552 $ soit :
· marchés nord-américains 2 870 622 $ - 1 % = 2 841 916 $
· marchés internationaux 691 665 $ - 1 % = 684 749 $
· réduction de la valeur des composantes récupérées : (173 863 $)
· total : 3 352 802 $
Frais supplémentaires
[235] Rappelons que Lasido réclame la somme de 101 172 $ pour des frais représentants les coûts de transport et de réparation résultant de la problématique en lien avec l’utilisation de l’adhésif défaillant.
[236] Contrairement aux pertes de marchandises où certains éléments de preuve permettaient de tirer certaines inférences, la preuve pour la réclamation de ces frais supplémentaires est très embryonnaire. Bien qu’il soit fort probable que des frais de cette nature aient été encourus, leur estimation est très arbitraire et ne réussit pas à passer le seuil de la prépondérance, de telle sorte que le Tribunal n’y donne pas droit.
Pertes de bénéfices
[237] L’examen des rapports des comptables permet de constater plusieurs points communs en ce qui concerne l’évaluation de la perte de stocks; par contre, leur évaluation des pertes de profits futurs se résume à reprendre le niveau du chiffre d’affaires atteint à la fin de l’année financière 2002 et à le répliquer pour l’un, sur une période de quatre ans et demi, et pour l’autre, sur une période d’un an. Les deux se contentant d’expliquer la durée de la projection sur la raisonnabilité de leur estimation.
[238] Tant pour Lasido que pour Multibond, ces évaluations ne répondent pas particulièrement à la question en lien avec les pertes de profits futurs. Ainsi, de part et d’autre, on retient les services d’économistes. Ceux-ci, à l’aide de données factuelles et d’hypothèses, offrent un portrait des profits qu’aurait générés Lasido.
[239] Pour l’évaluation des pertes de bénéfices, Lasido a demandé à Marcel Boyer (Boyer), économiste, d’estimer les pertes de ventes potentielles à la suite de l’utilisation du produit défectueux. On comprend que cette évaluation tient compte, notamment, de l’évolution du taux de change canadien en rapport avec le dollar américain, l’euro et la livre sterling. Ainsi, en prenant en considération cette information en y juxtaposant les courbes de ventes effectuées par le passé par Lasido, cet expert s’exprime sur les tendances que les ventes de guitares Godin auraient dû suivre, n’eut été des problèmes vécus[98].
[240] Du côté de Multibond, c’est au professeur Douglas Hodgson (Hodgson), expert en économie, qu’on confie la tâche d’analyser le rapport Boyer et de le commenter[99].
[241] Avant que les experts n’aient témoigné, le Tribunal leur demande de se réunir pour cerner les points convergents et divergents de leur rapport.
[242] Ils produisent un sommaire en réponse à cette demande[100]. De cet exercice, il faut comprendre que les deux experts reconnaissent que les données ayant servi de base à l’élaboration de leur rapport ne sont pas contestées, tout comme les calculs eux-mêmes et les données économiques utilisées.
[243] Les points qui les séparent consistent à la détermination de la date à laquelle le calcul des pertes de bénéfices doit débuter (cutoff date), les estimations des paramètres utilisées ainsi que leur évolution (Parameter estimates), la détermination des prévisions à l’aide de tendance (Forecasting trends), le taux de change (Exchange rate) et les effets des marchés internationaux (International trade effects).
[244] Il est utile de revoir chacun de ces éléments afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Ø Date de l’événement (cutoff date)
[245] On comprend que cette date représente le moment où le problème cause un préjudice appréciable. Ce jalon permet d’évaluer les pertes de profits futurs, en regard des ventes enregistrées et des profits dégagés.
[246] L’expert Boyer affirme que la fin de l’année 2002 constitue le moment dans le temps où les ventes de Lasido font une chute importante[101]. Il utilise donc le mois de janvier 2003 comme date butoir pour évaluer les pertes de profits en lien avec l’utilisation de l’adhésif défectueux.
[247] Du côté de Hodgson, le mois d’avril 2001, représente davantage la date de l’événement puisque c’est à partir de ce moment que débute l’utilisation du produit ayant mené à l’ensemble de la réclamation.
[248] Il est à noter que l’expert de Lasido ne rejette pas d’emblée cette affirmation, mais ne la retient pas en raison du fait qu’il existe trop peu de données historiques pour servir de référence aux fins de l’établissement des prévisions.
Ø Ventes futures (parameter estimates)
[249] L’expert Boyer utilise les paramètres des 41 mois précédant la date d’événement pour établir une tendance. Il explique n’avoir pu retourner plus loin dans le temps, étant donné que les données en question n’étaient pas disponibles.
[250] Cette façon de faire fait l’objet d’une autre critique par l’expert Hogdson puisque le niveau d’erreur et les écarts de variations que ce modèle apporte sont très importants et ne semblent pas avoir été pris en compte par l’expert de Lasido[102].
Ø Prévisions à l’aide des tendances (forecasting with trends)
[251] Bien qu’il admette qu’il aurait été souhaitable de prendre une plus grande période de référence, l’expert Boyer précise s’être servi de données colligées sur une période de 41 mois pour extrapoler les tendances des ventes[103].
[252] Cette période de référence fait l’objet de plusieurs commentaires par l’expert de Multibond. Entre autres, et de manière convaincante, il explique que cette façon de faire est très critiquée par la communauté d’experts en économie. On comprend de son témoignage et de son rapport que les conclusions qu’un économiste pourrait en tirer par rapport à un autre sont beaucoup trop aléatoires pour être vu comme étant un élément de preuve prépondérant.
Ø Taux de change et l’effet des marchés internationaux
[253] L’effet de la variation des taux de change fait également l’objet d’une analyse par les deux experts.
[254] Sans reprendre les explications techniques fournies dans chacun des rapports, on peut résumer leur position ainsi.
[255] L’expert Boyer rappelle que Lasido vend ses produits partout à travers le monde et ces ventes sont principalement effectuées en dollars américains, en euros et en livres Sterling. En outre, il précise que le dollar canadien s’est apprécié durant la période de 5 ans suivant la date d’événement soit l’équivalent du temps requis pour que les ventes de Lasido reprennent le niveau obtenu à la fin 2002.
[256] En outre, afin d’obtenir des données comparables pour son modèle économique, il transpose les ventes à un taux de change constant puis effectue les rajustements pour tenir compte des variations. De plus, dans le cadre de son évaluation, il utilise un taux de change moyen entre le dollar canadien et le dollar américain et l’euro.
[257] Une fois ces paramètres mis en place et certaines statistiques prises en compte, il arrive à deux scénarios d’estimations des pertes de ventes :
Ø entre 2003 et 2005, elles s’élèvent à 8 373 015 $; et
Ø entre 2003 et 2007, elles se situent entre 16 563 937 $ et 17 830 614 $.
[258] Après avoir pris connaissance des conclusions avancées par Boyer, l’expert Hogdson soulève plusieurs préoccupations à l’égard du raisonnement suivi par son collègue, notamment, eu égard à l’impact des variations des taux de change et du peu de poids que ce dernier donne aux effets de la compétition sur le niveau de ventes de Lasido.
Discussion
[259] En matière d’évaluation de préjudice, comme on l’a vu, on doit prendre en considération tant le préjudice présent que celui qui se produira plus tard, dans la mesure où il est démontré que celui-ci comporte un degré de certitude.
[260] Voici, comment les auteurs Baudouin et Deslauriers définissent ces dommages[104] :
Principes généraux - Tout dommage, présent ou futur, doit être indemnisé, du moment qu’il est certain. Cette règle, suivie par la jurisprudence, est codifiée à l’article 1611 C.c. Compenser pour un préjudice incertain, c’est-à-dire qui ne se réalisera probablement pas, serait sanctionner l’enrichissement indu du créancier aux dépens du débiteur. Le caractère de certitude du dommage est cependant apprécié d’une façon relative. Les tribunaux n’exigent pas, en effet, une certitude absolue, mais une simple probabilité. Il suffit donc de démontrer que le dommage réclamé se produira selon toute probabilité. Ainsi, il est fréquent en pratique de réclamer, en cas de blessures corporelles, pour les complications qui risquent de survenir dans l’avenir une raison des traumatismes déjà subis par la victime. L’octroi d’une compensation de ce chef dépend des circonstances. C’est laisser à cet égard une marge discrétionnaire d’appréciation aux magistrats qui tiennent compte des faits prouvés et des circonstances propres à l’espèce, et introduire inévitablement une certaine dose de subjectivisme.
[261] Dans plusieurs décisions, il est rappelé que le juge d’instance analyse la preuve soumise et doit, lorsque les circonstances l’exigent, arbitrer le niveau d’impact financier.
[262] C’est ce que la décision dans l’affaire Vidéotron[105] conclut :
The quantification of compensatory damages in the context of the present proceedings presents considerable challenges. The various methods of calculating the loss of potential subscribers, the income generated therefrom and the resultant loss of profits are, at best contentious. Clearly, the significant differences in the evaluation of damages arrived at by the financial experts retained by each of the parties to assist the Court in the quantification of damages reflect the extent of the challenge.
However, the presence of these challenges does not negate the right of recovery of an aggrieved party when, as in the present case, fault, causation and the existence of damages has been adequately proven on the balance of probabilities. The Court’s role in such circumstances is to arbitrate the quantum of damages based upon whatever credible evidence may be available to it.
See in this regard: Renaud v. Société de gestion des activités communautaires de l’Île Notre-Dame :
Ce faisant, le juge arbitrait les dommages et intérêts comme il se devait de le faire dans les circonstances. Ayant conclu à l’existence de divers manquements à leurs obligations de la part des appelantes, manquements qui selon toute probabilité avaient été dommageables pour l’achalandage de l’entreprise exploitée par l’intimée, il lui fallait rechercher dans la preuve la démonstration probable du montant du préjudice financier subi par l’intimée. C’est ce qu’il a fait, conformément au principe énoncé dans l’arrêt Rothpan c. Drouin, [1959] B.R. 626, principe que le juge en chef adjoint Hugessen de la Cour supérieure avait formulé en ces termes dans la décision Raymor Painting Contractors (Canada) Ltd c. Purolator Courier Ltd, [1976] C.S. 468, à la page 472 :
Even where the assessment of damages in a contractual matter is extremely difficult, it is the duty of the court, once it is tolerably clear that there have been some damages suffered, to attempt to estimate them in much the same manner as a jury would be called upon to do.
[soulignements ajoutés]
[263] En l’espèce, les explications fournies par l’expert Hogdson pour démontrer le faible niveau de fiabilité des divers paramètres utilisés dans le modèle de l’expert Boyer convainquent le Tribunal qu’on ne peut qualifier la preuve offerte par ce témoin de prépondérante.
[264] En effet, les lacunes identifiées à l’égard de l’identification de la date butoir jumelée au caractère aléatoire des tendances que voudraient leur voir suivre l’expert Boyer ne permettent pas de retenir ce rapport. Bien qu’en choisissant une date plus représentative de la réalité, l’expert aurait alors réduit le nombre de données historiques, ce n’est pas une raison pour ne pas retenir le bon point de départ. C’est tout simplement une réalité avec laquelle il faut vivre.
[265] Par ailleurs, les données avancées relativement à l’impact des différentes devises et le peu de considération donnée à l’effet des tendances de marchés, affaiblissent la portée qu’on peut donner aux conclusions de l’expert de Lasido sur les pertes de profits.
[266] Avec respect, le Tribunal considère que l’explication de l’expert Boyer est un peu réductrice à l’égard de l’effet d’un dollar canadien fort en rapport avec la capacité d’exporter et la marge bénéficiaire qui peut s’en dégager.
[267] Autrement dit, le Tribunal est d’accord avec les explications fournies par Hogson en regard du fait qu’on se devait de donner davantage de poids à la compétition, et surtout celle qui n’avait pas, comme Lasido, à contrer l’effet de l’appréciation du dollar canadien.
[268] Ceci étant dit, comme le rapport d’Hogdson ne permet pas de chiffrer les pertes, le Tribunal considère que l’expert en juricomptabilité, Viger, offre une analyse qui permet davantage de déterminer la valeur de ce chef de réclamation.
[269] En effet, à l’aide de son analyse de l’expertise de Boyer sur les pertes de profits, il explique, comme l’expert Hogdson, les raisons pour lesquelles les chiffres avancés par Boyer ne peuvent être retenus. En outre, le juriscomptable pousse l’exercice plus loin et démontre, explications à l’appui, la manière dont les pertes auraient dû être calculées.
[270] On retient, entre autres, que de manière générale les ventes des instruments sont tributaires des variations des devises. Si le taux de change entre le dollar canadien et le dollar américain est à la baisse, le volume des ventes suivra cette courbe et vice versa, si la variation est à la hausse[106].
[271] En ce qui concerne ce poste de réclamation, l’expert Viger utilise comme base de calcul, le même montant de ventes que celui retenu par l’expert Joly soit celui réalisé au 31 juillet 2002. Par contre, là où leur évaluation diffère, c’est sur la durée d’une telle perte ou, autrement dit, le temps requis pour que les ventes reprennent le niveau d’avant, en isolant cette donnée de la variation du taux de change et des effets de la compétition.
[272] Joly estime qu’une période de cinquante-quatre mois paraît justifiée tandis que Viger accorde plutôt une période de douze mois.
[273] Pour les raisons mentionnées précédemment à l’égard du rapport de l’expert Boyer, le Tribunal ne retient pas la période de cinquante-quatre mois et préfère se ranger derrière les explications du juriscomptable.
[274] En conséquence, en prenant en considération la méthode de calcul de cet expert pour la détermination des pertes de ventes pour la période de 2003 - 2004 soit 7 937 041 $[107] et en y déduisant les pertes de stocks déterminées précédemment à 3 352 802 $, les pertes résiduelles se chiffrent alors à 4 584 239 $. Finalement en y appliquant le ratio de profits bruts retenus par cet expert, on arrive à une perte de profits s’élevant à 1 191 902 $.
[275] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que le rapport de Boyer, quoique très étoffé, sous-estime l’impact de l’appréciation du dollar canadien par rapport aux autres devises, mais plus particulièrement relativement au dollar américain.
[276] Il ne fait pas de doute que cette réalité a eu une incidence sur la capacité d’exporter sur le marché américain et sur la marge de profit que le manufacturier canadien pouvait dégager sur les instruments vendus aux États-Unis.
4. Guitabec a-t-elle minimisé ses dommages?
[277] Multibond plaide que Guitabec n’a pas rempli son obligation de mitiger ses dommages.
[278] Elle soutient que Guitabec aurait dû déceler le vice plus rapidement puisqu’elle avait tout en main pour cerner la problématique et qu’elle aurait négligé de réagir assez rapidement.
[279] De son côté, Guitabec explique qu’elle a tout fait pour trouver la source de ses problèmes.
[280] On se rappelle, en effet, qu’au départ, les premiers retours ne suscitent pas vraiment d’inquiétude. Il faut attendre quelque temps avant que Guitabec ne réalise qu’une avalanche lui tombe dessus. Des vérifications de toutes sortes sont faites pour cerner le problème, mais il faut attendre au mois de mars 2003, pour que l’aiguille dans la botte de foin ne soit découverte.
[281] Le Tribunal souligne à cet égard que plusieurs témoins ont expliqué les démarches entreprises pour corriger la situation. On a tenté de laisser plus de temps aux différentes composantes pour sécher, on a introduit une tige dans le manche, on a modifié certains barrages dans certains modèles, bref, on est demeuré actif sans pour autant mettre le doigt sur ce qui ne fonctionnait pas. Peut-on reprocher à Guitabec de ne pas avoir identifié le vice plus rapidement? Le Tribunal ne le croit pas. Il a fallu le travail chevronné d’experts pour y arriver.
[282] Le Tribunal est convaincu que Guitabec n’a pas étiré le martyr pour pouvoir, un jour, réclamer des dommages plus substantiels au fabricant de colle. Ce délai lui a sûrement causé du tort au niveau de sa réputation, jusque-là demeurée intacte.
5. Quel sort doit être réservé aux objections?
Les objections
Objection No. 1 :
[283] Le 12 septembre 2014, une objection est formulée à l’occasion d’une réponse que fournit l’expert Croteau. On lui reproche alors de donner une réponse qui déborde le domaine d’expertise pour lequel ce dernier a été qualifié, en ce qu’il doit expliquer comment le joint de colle réagit sous une contrainte.
Objection No2 :
[284] Le 12 septembre 2014, l’expert Croteau est appelé à commenter le test de la boule de colle qui a été mis de l’avant par Louis-Pierre Dorval dans le cadre de ses recherches visant à identifier la source des problèmes vécus chez Guitabec. Le procureur de Multibond s’objecte à cette partie du témoignage en ce que cela dépasse le champ d’expertise du témoin.
Objection No3 :
[285] Le 17 septembre 2014, lors de l’interrogatoire de M. Serge Bérubé, on souhaite utiliser la traduction française d’un document ayant été déposé en début de procès, dans sa version originale allemande.
[286] Le procureur de Guitabec fait valoir que la traduction dudit document permet de comprendre qu’il s’agit d’une opinion formulée par une firme allemande à l’égard d’un adhésif. Ce faisant, le document aurait dû faire l’objet d’un avis sous l’article 402.1 du Code de procédure civile, et ce, bien avant le début du présent procès. En somme, on comprend qu’il lui reproche sa tardivité et le fait qu’il soit pris par surprise.
Objection No 4 :
[287] Le 18 septembre 2014, au moment de l’interrogatoire de l’expert Ablenas lors duquel il est appelé à commenter le comportement de la structure d’une guitare, le procureur de Guitabec soulève une objection à l’effet qu’il s’agit d’un thème qui ne se situe pas dans le périmètre d’expertise de ce témoin expert.
Discussion
[288] Comme les objections #1, #2 et #4 reposent sur les mêmes fondements, le Tribunal propose de les traiter ensemble puisque les mêmes principes trouvent application.
[289] Tant pour l’expert Croteau que pour l’expert Ablenas, il y a lieu de rejeter les objections en raison du fait que les réponses que devaient formuler ces deux témoins tombaient soit dans leur champ d’expertise, soit en découlaient de manière très connexe. En somme, les réponses fournies doivent être soupesées dans l’ensemble de la preuve et le Tribunal doit déterminer laquelle a la plus grande force probante. C’est ce qu’il a fait.
[290] Maintenant pour ce qui concerne l’objection # 3, il s’agit de décider s’il y a lieu d’accepter la production de la traduction d’un document déposé de consentement le matin du procès, en langue allemande.
[291] Le procureur de Multibond, qui souhaite utiliser cette pièce, fait valoir qu’il y a lieu d’accepter la version française dudit document bien qu’elle n’ait été produite que le 17 septembre, soit plus d’une semaine après le début du procès.
[292] Le procureur de Guitabec fait valoir que cette façon de procéder le prend par surprise et qu’en plus, ce document aurait dû faire l’objet d’un avis pour indiquer qu’on souhaitait l’utiliser comme expertise.
[293] Le Tribunal est d’accord avec la position avancée par le procureur de Guitabec. En acceptant qu’un témoin de Multibond se serve de ce document pour supporter sa thèse sans permettre à la partie adverse de contre-interroger l’auteur dudit document prend la partie adverse par surprise. De plus, compte tenu de la nature du document, il y aurait eu lieu de déposer la version française avec un avis en vertu de l’article 402.1 du Code de procédure civile, si on ne souhaitait pas faire témoigner son auteur.
[294] En conséquence, il y a lieu de maintenir l’objection et ne pas permettre la production du document traduit.
6. Comment doit-on traiter l’indemnité additionnelle?
[295] L’article 1619 du Code civil du Québec en vertu duquel une partie peut réclamer l’indemnité additionnelle se lit ainsi :
Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l'une ou l'autre des dates servant à calculer les intérêts qu'ils portent, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé pour les créances de l'État en application de l'article 28 de la Loi sur l'administration fiscale (chapitre A-6.002) sur le taux d'intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal.
[296] Le Tribunal peut utiliser son pouvoir discrétionnaire pour mitiger la demande d’indemnité additionnelle lorsque de longs délais, attribuables en partie au demandeur, se sont écoulés entre l’assignation et l’instruction.[108]
[297] En l’espèce, un examen du plumitif permet de réaliser que la présente réclamation est initiée en 2005 pour un montant d’approximativement 3 000 000 $, correspondant à peu près au montant exigé pour la perte de stock. Ce n’est que 5 ans plus tard qu’un amendement de 21 000 000 est signifié soit le 6 décembre 2010. Le dossier avait été déclaré en état en février 2007.
[298] Ainsi, on comprend qu’à un moment donné la demanderesse a jugé que son dossier était prêt à être fixé à procès, mais à la suite de réflexion, elle a changé d’idée. C’est son droit légitime de vouloir amender sa procédure, mais vu son manque de diligence pour ce faire, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de ne computer l’indemnité additionnelle qu’à partir de l’amendement intervenu en décembre 2010.
7. À partir de quelle date les intérêts doivent-ils être calculés?
[299] En vertu de l’article 1618 du Code civil du Québec, le législateur précise que les intérêts courent depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée, eu égard à la nature du préjudice et aux circonstances.
[300] Considérant le libellé de cet article et compte tenu du fait que la partie demanderesse a laissé courir de nombreux mois sans faire quoi que ce soit et sans justification, pour finalement modifier substantiellement le quantum de sa réclamation, le Tribunal utilise son pouvoir discrétionnaire,[109] et conclut que le calcul des intérêts débutera lui aussi le 6 décembre 2010.
8. Quels frais d’expertise doivent être octroyés?
[301] Dans la mesure où les expertises sont jugées utiles par le Tribunal pour décider d’une affaire, il y a lieu d’accorder ces frais.
[302] En l’espèce, tant les expertises de Croteau, Riedl, Joly et Viger ont permis au Tribunal de mieux comprendre les enjeux de la cause et d’évaluer les dommages. Quant à celle produite par Boyer, il n’y a pas lieu d’en imputer les coûts à la partie adverse étant donné que plusieurs des conclusions émises par ce dernier n’ont pas été retenues.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[303] ACCUEILLE en partie la requête amendée des requérantes;
[304] CONDAMNE la défenderesse à payer aux requérantes la somme de 3 352 802 $ à titre de dommages résultant de la perte de stock, ladite somme devant porter intérêts au taux légal et à l’indemnité additionnelle à compter du 6 décembre 2010;
[305] CONDAMNE la défenderesse à payer aux requérantes, la somme 1 191 902 $ à titre de dommages résultant de la perte de profits pour les années 2003 et 2004, ladite somme devant être majorée de l’intérêt légal et de l’indemnité additionnelle à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées soit depuis le 6 décembre 2010;
[306] LE TOUT, avec dépens et les frais d’expertises des experts Croteau, Riedl et Joly.
_______________________________
MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S.
Maître Jean-Pierre Casavant
Maître Isabelle Casavant
CASAVANT MERCIER
Procureurs des demanderesses
Maître Louis P. Brien
Maître Julien Grenier
LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON, s.e.n.c.r.l.
Procureurs de la défenderesse
Dates de l’audience : 5, 8, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 19, 22 et 23 septembre 2014
Production de compléments de preuve et d’argumentation : fin du mois d’octobre 2014
Début du délibéré : 31 octobre 2014
ANNEXE 1
……………..
[1] Pièce R-1A.
[2] L’utilisation des prénoms ou des noms de famille vise à alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir là aucun manque de courtoisie à l’égard des personnes ainsi décrites.
[3] Pièce D-45.
[4] Témoignage de Daniel Roy.
[5] Témoignages de Robert Godin et Mario Biferali, guitariste de formation devenu vice-président des ventes et du marketing en Amérique du Nord étant responsable du service à la clientèle, à l’époque et Rapport de Richard Joly, pièce R-10.
[6] Pièces D-1 et D-27 et témoignage de Robert Godin.
[7] Pièces D-2, D-3 et D-4.
[8] L’action de la guitare se définit comme étant la distance entre la corde et le fret. Celle-ci doit se situer entre 10 et 15 millièmes de pouce mesuré à la 14ème barrette.
[9] Pièce R-14 pp. 2 et 3 et voir Figure 1 en annexe.
[10] Rapport d’expertise de Fred Ablenas de Pyrotech BEI, daté du 24 septembre 2007, Pièce D-7, p. 13 et Pièce D-20, onglet A - E-1.
[11] ABB inc. c. Domtar inc., [2007] 3 RCS 461, par. 46.
[12] Préc., note 11, par. 50
[13] Préc., note 11, par. 48.
[14] Préc., note 11, par. 39, 41 et 42.
[15] Préc., note 11, par. 72.
[16] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 2, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 2007, par 2-411.
[17] Préc., note 11, par. 46.
[18] Pièces R-7 et R-7A, témoignages de Robert Godin, Mario Biferali et Patrick Godin.
[19] Témoignage de Mario Biferali.
[20] Pièces R-7 et R-7A (échantillons de plaintes reçues).
[21] Témoignage de Patrick Godin : Gunter Reinhard (Allemagne), ILT (Suède), Sound Shop (Irlande).
[22] Témoignage de Robert Godin.
[23] Pièce R-15.
[24] Pièce R-8 : partiellement rédigé et signé le 17 mars 2003 et finalisé le 18 mars 2003 ainsi qu’un compte-rendu de la rencontre du 19 mars 2003.
[25] Extrait de la pièce R-8B, en date du 19 mars 2003.
[26] Pièce R-8, p. 3.
[27] Ce dernier est depuis devenu président de Dural.
[28] Pièce R-5 et témoignage de Bérubé.
[29] Témoignages de Robert Godin et Mario Beauregard.
[30] Témoignage de Serge Bérubé.
[31] Le prix de base d’une guitare conçue par le luthier Beauregard débute à 12 500 $.
[32] Pièces 19-A, 19-B et 19-C.
[33] Pièce R-15, p. 2.
[34] Pièce R-15, p. 11.
[35] Six mois selon le témoin Yves Poulin.
[36] Interrogatoire hors cour d’Yves Poulin, p. 110, ligne 4.
[37] Rapport de Paul Croteau intitulé Guitares Godin - Causes des problèmes de stabilité des guitares acoustiques fabriquées entre 2001 et 2003 - Rapport d’étude technique, juin 2001, pièce R-14. p. 2.
[38] Pièce D-5.
[39] Pièce D-10.
[40] Pièce D-7, p.3.
[41] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 2.
[42] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 5.
[43] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, pp. 24 - 26.
[44] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 8 et témoignage de Robert Godin.
[45] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 5 et témoignage de Robert Godin.
[46] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p.11 et rapport Ablenas, précité note 10, Pièce D-7, p. 5 à 7.
[47] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 25.
[48] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 25.
[49] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 16 et Annexe III, p. 39 à 42.
[50] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7.
[51] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 4 à 7.
[52] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 9.
[53] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 10 à 12.
[54] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 14.
[55] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 15.
[56] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 28
[57] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 16, Figure 15.
[58] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, figure 15, p. 16.
[59] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 17 d).
[60] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, p. 19.
[61] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, p. 26.
[62] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, page 18, par. f).
[63] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, page 30.
[64] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7, pp. 34 à 37.
[65] Témoignage de Robert Godin.
[66] Témoignage de Guy Sénécal.
[67] Pièces D-24 et D-25.
[68] C.c.Q., art. 2846 et 2849.
[69] Ferme Denijoy c. Société coopérative agricole de St-Tite, [1994] R.R.A. 240, p.19 et Lacasse c. Octave Labrecque Ltée, 1995 QCCA 5539, pp. 15 et 16.
[70] Témoignages de Robert et Biferali.
[71] Rapport Croteau, préc., note 37, Pièce R-14, Annexe III.
[72] Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, par. 382, pp. 178-179.
[73] Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, par. 375, p. 172.
[74] Marcoux c. Picard, 2008 QCCA 259.
[75] Compagnie Northland Corporation c. Billots Sélect 2000, 2007 QCCA 51.
[76] Entreprises d’électricité Rial inc. c. Lumen, 2010 QCCA 655.
[77] Pièce R-2.
[78] Pièce R-3.
[79] Rapport Ablenas, préc., note 10, Pièce D-7.
[80] Pièces R-2 et R-3.
[81] Pièce R-2 et témoignages de Daniel Roy et Mario Biferali.
[82] Pièce R-3, affidavits et témoignages de Daniel Roy et Patrick Godin.
[83] Pièce R-2.
[84] Pièce D-50.
[85] Pièce R-2.
[86] Pièce D-44, courriel de Daniel Roy à Me Casavant en date du 22 août 2014.
[87] Témoignages de Robert Godin et de Réal St-Laurent.
[88] Pièce R-3.
[89] Rapport d’expertise comptable de Richard Joly, daté du 22 décembre 2009, pièce R-11.
[90] Pièces R-2 et R-3.
[91] Rapport d’expertise du juriscomptable Alain Viger, daté du 26 janvier 2011, pièce D-16.
[92] C.c.Q., Article 2804.
[93] Pièce D-50.
[94] Affidavits et témoignages de Roy et Vézina.
[95] Pièce D-44, courriel de Daniel Roy en date du 22 août 2014, témoignage et affidavit de Roy.
[96] Témoignage de Réal St-Laurent.
[97] Témoignage de Roy et Pièce D-48.
[98] Rapport d’expertise de l’économiste, Marcel Boyer, en date du 22 décembre 2009, pièce R-11.
[99] Rapport d’expertise de l’économiste, Douglas J. Hogdson, en date du 5 décembre 2012, pièce D-21.
[100] Pièce T-1.
[101] Rapport Boyer, préc., note 98, R-11, p. 3 et figure 1.
[102] Rapport Hogdson, préc., note 99, D-21, p. 9.
[103] Rapport Boyer, préc., note 98, R-11, p. 3.
[104] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 2, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 2007, par 1-347.
[105] Vidéotron ltée and Vidéotron (Régional) ltée and CF Câble TV inc. and Vidéotron s.e.n.c. v. Bell Expressvu Limited Partnership, 2012 QCCS 3492.
[106] Rapport Viger, préc., note 91, Pièce D-16, p.14.
[107] Rapport Viger, préc., note 91, Pièce D-16, Schedule XII.
[108] Provigo inc. c. 9007-7876 Québec inc., J.E. 2005-192.
[109] 2846-1739 Québec inc. c. 9048-3918 Québec inc., 2008 QCCQ 8969.
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