Excavations N. Laurin inc. |
2012 QCCLP 4853 |
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[1] Le 25 janvier 2012, Les Excavations N. Laurin inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare que la demande de transfert d’imputation présentée par l’employeur en vertu du second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) n’a pas été produite dans le délai, qu’aucun motif raisonnable ne permet de prolonger le délai et, par conséquent, déclare irrecevable sa demande de transfert d’imputation.
[3] La Commission des lésions professionnelles devait tenir une audience le 28 juin 2012, à Salaberry-de-Valleyfield; le 27 juin 2012, l’employeur annonce qu’il sera absent à l’audience et produit une argumentation écrite. La présente décision est rendue sur dossier en vertu de l’article 429.14 de la loi. Le dossier est mis en délibéré le 28 juin 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’a pas à être imputé de la portion de l’indemnité de remplacement du revenu réduite versée en application de l’article 73 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au transfert d’imputation demandé en vertu de l’article 326 de la loi.
[6] Le travailleur subit une lésion professionnelle le 20 août 2008. Il est établi de façon finale que :
· les diagnostics reliés à la lésion professionnelle sont une entorse cervicale et une hernie discale D9-D10[2];
· le revenu brut annuel retenu pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à verser au travailleur est de 44 234,52 $[3];
· la lésion professionnelle du 20 août 2008 a entraîné une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 2,20 % et des limitations fonctionnelles;
· le travailleur est capable, depuis le 22 septembre 2009, d’exercer un emploi convenable de camionneur[4].
[7] Soulignons que, dans une décision rendue le 25 janvier 2012, la Commission des lésions professionnelles déclare que l’employeur, en vertu de l’article 329 de la loi, a droit à un partage du coût des prestations de l’ordre de 15 % à son dossier et 85 % aux employeurs de toutes les unités[5].
[8] Le 15 septembre 2009, l’employeur dépose à la CSST une demande de partage d’imputation en indiquant :
[…]
Nous vous soumettons que l’employeur est injustement obéré et vous demandons d’applique le deuxième alinéa de l’article 326 de la LATMP et de transférer les coûts en question aux employeurs de l’une, plusieurs ou toutes les unités. [sic]
[9] Le 17 novembre 2011, la CSST décide que le délai accordé pour soumettre une telle demande est expiré. Dans sa décision rendue le 13 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme que le délai prévu à la loi pour faire une telle demande n’est pas respecté et ajoute que l’employeur n’a démontré aucun motif raisonnable pour expliquer son retard. La demande du 15 septembre 2009 est donc déclarée irrecevable.
[10] Dans son argumentation écrite, le représentant de l’employeur soumet :
[…]
Mentionnons, par ailleurs, que le délai mentionné au 3ième alinéa de l’article 326 vise spécifiquement les demandes faites en vertu du 2ième alinéa du même article. Ainsi, puisque le présent litige vise plutôt l’interprétation du 1er alinéa de l’article 326, le délai de un an, invoqué par la CSST, n’est pas pertinent en l’espèce.[sic]
[11] L’article 326 de la loi énonce ce qui suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[12] Ici, initialement, c’est le deuxième alinéa qui est invoqué par l’employeur. Puisque la date de la lésion professionnelle est le 20 août 2008 et que la demande en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi est présentée le 15 septembre 2009, c’est à juste titre que la CSST a décidé que la demande du 15 septembre 2009 ne respectait pas le délai prescrit.
[13] Aucun motif raisonnable n’ayant été démontré à la CSST ou à la Commission des lésions professionnelles, il faut conclure que la demande de transfert d’imputation du 15 septembre 2009, si elle devait être analysée en tenant compte des dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, est irrecevable.
[14] Avant le 20 août 2008, le travailleur a subi une autre lésion professionnelle chez un autre employeur, le 22 novembre 2002. Le travailleur a été reconnu incapable de reprendre son emploi et un emploi convenable de camionneur a été retenu, la capacité du travailleur à exercer un tel emploi étant reconnue à compter du 27 octobre 2006.
[15] Le travailleur, lorsqu’il subit une lésion professionnelle chez l’employeur le 20 août 2008, tire un revenu brut de 21 856 $[6]. Le revenu brut retenu dans le présent cas est de 44 234,52 $, en application de l’article 73 de la loi qui prévoit :
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 73.
[16] L’employeur ne remet pas en question l’application de cet article mais « la modification de l’imputation de l’IRR relié [sic] à l’application de cet article ». Dans son argumentation, le représentant de l’employeur soumet ce qui suit :
[…]
Le premier courant jurisprudentiel tend à conclure que l’employeur chez qui le travailleur subit une lésion professionnelle dans le cadre de laquelle est appliqué l’article 73, doit être imputé de l’ensemble des coûts, y compris ceux relatifs à l’application de cet article.
Généralement, les tenants de ce premier courant fondent leur approche sur l’argument voulant que l’application de la loi, plus précisément, de l’article 73, ne puisse avoir pour effet d’obérer injustement un employeur. Cet argument est donc tiré de l’interprétation du 2ième alinéa de l’article 326.
D’autres tenants du même courant abordent aussi la question de l’application du premier alinéa de l’article 326, comme c’est le cas dans l’affaire Placements Melcor inc. (2011-08-06) 2011 QCCLP 3976 . On y lit que « Le premier alinéa de l’article 326 ne peut s’appliquer à la demande de l’employeur puisqu’il s’agit de prestations dues à la suite du dernier accident du travail ».
Nous ne sommes évidemment pas de cet avis.
Le premier alinéa de l’article 326 formule le principe de base en matière d’imputation :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Cette disposition s’applique, selon nous, aussi bien à l’employeur chez qui le travailleur a subi la première lésion professionnelle qu’à notre cliente.
Il est clair qu’une partie des coûts de la lésion professionnelle est due à l’accident survenu chez notre cliente, mais il est tout aussi clair qu’une autre partie des coûts est due à la lésion initiale.
En effet, n’eût été la lésion initiale, le travailleur aurait reçu, lors de la lésion d’août 2008, une IRR calculée en fonction d’un revenu brut de 21 856 $.
De même, n’eût été de la lésion de novembre 2008, le travailleur aurait continué à recevoir l’IRR réduite pour laquelle le premier employeur aurait continué à être imputé.
L’interprétation retenue par la CLP dans l’affaire Placements Melcor inc. ne respecte pas le premier alinéa de l’article 326 puisque le premier employeur se trouve indûment « libéré » de coûts directement attribuables à la lésion survenue chez lui.
Nous soumettons qu’il est tout à fait raisonnable, juste et équitable de choisir l’interprétation voulant que chaque employeur demeure imputé des coûts correspondants à la lésion survenue chez lui.
Cette approche est d’ailleurs celle retenue par le courant jurisprudentiel devenu majoritaire et clairement exprimée dans l’affaire Ébénisterie St-Urbain ltée (2011-06-21) 2011 QCLP 4231, dont nous joignons copie. Nous joignons également copie d’une décision très récente qui retient aussi cette approche, soit Sodexho Québec Ltée-Cafétéria (2012-05-21). [sic]
[17] La Commission des lésions professionnelles ne peut conclure dans le sens demandé par le représentant de l’employeur et comme dans les affaires citées par lui[7].
[18] Le travailleur a subi une lésion professionnelle en novembre 2002, chez un autre employeur, et il a droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu réduite. Il subit une nouvelle lésion professionnelle chez son nouvel employeur et il gagne un revenu brut moins élevé que celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité pour la lésion de 2002. Il est clair que l’article 73 de la loi s’applique à la situation du travailleur.
[19] Si l’employeur ne devait être imputé que pour la partie de l’indemnité de remplacement du revenu calculée en vertu du revenu gagné chez lui, qui serait imputé pour l’autre partie?
[20] Le représentant de l’employeur soumet que l’autre partie de l’indemnité de remplacement du revenu devrait être imputée à l’employeur chez qui est survenue la lésion professionnelle de 2002. Cependant, le deuxième alinéa prévoit clairement que l’indemnité de remplacement du revenu réduite cesse d’être versée. Si une partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur, suite à la nouvelle lésion professionnelle du 20 août 2008, devait être imputée à l’employeur de 2002, il pourrait certes se plaindre d’une injustice puisque l’application de la loi fait en sorte que l’indemnité de remplacement du revenu due en raison de cette lésion professionnelle cesse d’être versée.
[21] En d’autres mots, l’employeur qui demande de n’être imputé que pour la partie de l’indemnité de remplacement du revenu calculée en fonction du revenu que le travailleur gagne chez lui, demande de pas être imputé pour l’autre partie et donc, qu’une partie des coûts soit transférée aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités. Or, une telle demande, dans une situation comme la présente, ne peut être qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[22] Dans la sous-section 3 du chapitre III de la loi, intitulée « Calcul de l’indemnité de remplacement du revenu », quelques articles prévoient des situations où un revenu brut supérieur à celui effectivement gagné peut être retenu et, parfois, l’employeur imputé du coût des prestations pourrait trouver la situation injuste.
[23] Par exemple, l’article 71 prévoit que le revenu brut d’un travailleur qui occupe deux emplois est celui qu’il tirerait de l’emploi le plus rémunérateur. Si la lésion professionnelle survient chez l’employeur où le travailleur tire le revenu le moins rémunérateur, est-ce que cet employeur dira que c’est injuste?
[24] La Commission des lésions professionnelles retient que l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur est calculée en fonction de la loi et la seule application de la loi ne peut créer une injustice. C’est en raison de la lésion professionnelle du 20 août 2008 que l’indemnité de remplacement du revenu est versée au travailleur et non pas en raison de la lésion professionnelle de 2002.
[25] Aucune indemnité de remplacement du revenu n’est versée en vertu de cette lésion de 2002 parce que le travailleur a subi une nouvelle lésion professionnelle. Le principe du premier alinéa de l’article 326 de la loi est ainsi respecté puisque l’employeur est imputé du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu chez lui.
[26] Le soussigné est tout à fait en accord avec les propos du juge administratif Lalonde qui, dans l’affaire Placements Melcor inc.[8], écrit :
[29] Le tribunal reconnaît qu’un autre courant jurisprudentiel6 existe et considère qu’il est approprié d’imputer que la partie de l’indemnité de remplacement du revenu qui correspond au salaire réellement gagné lorsqu’un travailleur a subi une nouvelle lésion professionnelle. Toutefois, il appartient au législateur de modifier une loi et le présent tribunal ne peut faire droit à une demande, selon le premier alinéa de l’article 326, même si son interprétation peut paraître injuste pour une partie.
[30] Dans ces circonstances, il est tout à fait normal que ces coûts soient imputés à l’employeur selon le premier alinéa de l’article 326 de la loi, puisqu’il s’agit d’une indemnité de remplacement du revenu versée à la suite d’un nouvel accident du travail.
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6 Voir Groupe C.D.P. inc., 2011 QCCLP 2207 ; J.M. Bouchard & Fils inc., [2010] C.L.P. 138 .
[27] La Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur n’a pas droit à un transfert d’imputation en application du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 25 janvier 2012 par Les excavations N. Laurin inc.;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrecevable la demande de transfert d’imputation présentée par Les Excavations N. Laurin inc., le 15 septembre 2009, en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que Les Excavations N. Laurin inc. n’a pas droit à un transfert d’imputation en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Richard Hudon |
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Me Sylvain Pelletier |
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ADP santé et sécurité au travail |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Une décision en ce sens est rendue par la Commission des lésions professionnelles : Richer et Excavations N. Laurin inc., C.L.P. 390746-62C-0910, 8 décembre 2010, R. Hudon.
[3] Dans une décision rendue le 24 janvier 2012, la Commission des lésions professionnelles confirme que la demande de révision du travailleur, qui conteste sa base salariale, est irrecevable; Richer et Excavations N. Laurin inc., 2012 QCCLP 504 .
[4] Dans sa décision rendue le 8 décembre 2010, précitée note 2, la Commission des lésions professionnelles confirme cette capacité.
[5] Excavations N. Laurin inc., 2012 QCCLP 510 .
[6] Il s’agit du revenu gagné au cours des douze derniers mois, selon les deux formulaires « Avis de l'employeur et demande de remboursement » transmis à la CSST. Or, le travailleur a débuté son emploi chez l’employeur en décembre 2007 et il a gagné, sur une période d’environ huit mois, un salaire de 21 856 $, ce qui, annualisé, représenterait un revenu brut d’environ 32 784 $.
[7] Ébénisterie St-Urbain ltée, 2011 QCCLP 4231 et Sodexho Québec ltée-Cafétéria, 2012 QCCLP 3516 .
[8] 2011 QCCLP 3976 .
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