Décision

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COUR SUPÉRIEURE

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE TERREBONNE

«Chambre civile

 

 No:

700-05-011334-012

 

 

DATE: Le 5 AVRIL 2002

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

L'HONORABLE

DANIÈLE MAYRAND, J.C.S.

___________________________________________________________________

 

SERGE OUIMET,

Requérant

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES,

           Intimée

 

et

 

CONTACT PONTIAC BUICK,

            Intéressée

 

et

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL,

 Mise-en-cause

___________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

___________________________________________________________________

 

[1]                Le requérant présente une demande de révision judiciaire à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles (CLP) le 11 octobre 2001.  Elle s'était prononcée sur une demande de révision d'une décision rendue par la CLP le 31 janvier 2001 signée par le Commissaire Robert Daniel.

[2]                Dans sa décision du mois d'octobre 2001, la CLP a confirmé la décision dont l'employé demandait la révision.

[3]                L'employé prétend que la CLP a commis des erreurs manifestement déraisonnables en fait et en droit, particulièrement par son appréciation de la preuve médicale déposée au dossier.

Les questions en litige

1.                  La norme de contrôle est-elle l'erreur manifestement déraisonnable?

2.                  Y a-t-il lieu d'intervenir en raison d'une décision qui ne repose sur "aucune preuve"?

La législation

[4]                La procédure en révision présentée par l'employé doit être analysée à la lumière des dispositions suivantes de la Loi sur les accidents de travail et des maladies professionnelles[i] (la Loi):

"2. (…)

lésion professionnelle: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

1.       lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2.       lorsqu'un partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3.       lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

429.59. Sauf sur une question de compétence, aucun des recours prévus par les articles 33 et 834 à 846 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre la Commission des lésions professionnelles ou l'un de ses membres agissant en sa qualité officielle.

Tout juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler par procédure sommaire les jugements, ordonnances ou injonctions prononcés à l'encontre du présent article."

 

Les faits

[5]                Serge Ouimet (l'employé) était mécanicien chez Pontiac Buick (l'employeur) depuis 1987.

[6]                Le 12 mars 1998, dans le cadre de son travail, il s'est infligé une blessure au dos.  Le médecin traitant, le Dr. Perreault, a diagnostiqué une entorse lombaire.  Au moment de ce diagnostic, le Dr. Perreault est au courant de la condition problématique dorsale du travailleur.  Ses notes cliniques font état de l'existence d'une hernie discale depuis 1995.

[7]                Après cet épisode, l'employé est retourné au travail à temps plein, le 3 avril 1998.  Le 1er juin 1998, il est à nouveau en arrêt de travail en raison de douleurs au dos. Le Docteur Perreault maintient son diagnostic d'entorse lombaire mais recommande, devant la persistance de la douleur chez l'employé, des examens complémentaires, qui révèleront le 2 septembre 1998, une hernie discale avec une dégénérescence du fourreau dural à environ 6 millimètres.

[8]                Le 22 octobre 1998, Dr. Ladouceur, neurochirurgien et expert retenu par l'employé, a recommandé son arrêt de travail définitif pour procéder à une opération chirurgicale de l'hernie discale.

[9]                Le 29 mars 1999, en révision administrative, la Commission de la santé et de la sécurité du travail ( la CSST) a déterminé que l'employé avait subi le 1er juin 1998 une aggravation de sa condition personnelle qui constituait une lésion professionnelle.  Elle conclue que le diagnostic d'hernie discale est en relation avec la condition de la pathologie du travailleur au 1er juin 1998.

[10]           L'employeur a contesté cette décision devant la CLP.  Il invoque qu'aucune lésion professionnelle n'est survenue le 1er juin 1998.  Le Commissaire, le 31 janvier 2001, a renversé la décision de la CSST et donné raison à l'employeur.

[11]           Lors de l'audition de cette contestation devant la CLP, le Commissaire Daniel est assisté de deux membres dont l'un provient des associations d'employeurs et l'autre des associations syndicales.  Le Dr. Bernard Gascon, médecin, agit comme assesseur.

La première contestation devant la CLP

[12]           La CLP devait décider, quel était le diagnostic de la lésion subie par l'employé le 1er juin 1998 et par la suite, s'il était survenu à cette date une lésion professionnelle.

[13]           Lors de l'audition, les membres de la CLP ont entendu les médecins experts retenus par les deux parties, soit le Dr. Nolin (pour l'employeur) et le Dr. Ladouceur (pour l'employé) auxquels ils ont eu l'opportunité de poser diverses questions.  Après avoir reçu toute la preuve, la CLP a ajourné l'audition et demandé le dépôt des notes médicales cliniques du Dr. Perreault, le médecin traitant, pour la période du 15 mars 1998 au 1er avril 1998 et a invité les deux experts médicaux à les commenter.  Les deux experts ont produit des expertises additionnelles pour commenter ces notes cliniques.

[14]           Le Dr. Perreault, médecin traitant, avait diagnostiqué le 12 mars 1998 une entorse lombaire, dont la lésion avait  été consolidée vers le 8 avril 1998 sans atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.

[15]           Après avoir fait une analyse fouillée de tous les faits ainsi que des divers rapports médicaux, y compris les compléments d'expertise portant sur les notes cliniques du Docteur Perreault, la CLP a préféré retenir et accorder une prépondérance à l'opinion émise par le Dr. Nolin, plutôt qu'à celle du Dr. Ladouceur.

La décision

[16]           Après avoir déterminé que l'employé était effectivement affecté d'une hernie discale le 1er juin 1998, la CLP a par contre décidé qu'il n'était pas survenu à cette date de lésion professionnelle.

[17]           Selon la CLP, la lésion survenue le 1er juin 1998 ne constituait pas une récidive, rechute ou aggravation de l'événement antérieur survenu le 12 mars 1998.

La révision devant la CLP

[18]           Le 23 mars 2001, l'employé se prévalant de l'article 429.56 de la Loi, demande la révision de cette décision de la CLP.  La demande de révision sera entendue devant la Commissaire Me Santina Di Pasquale, assistée des membres René F. Boily (Associations d'employeurs) et Réjean Lemire (Associations syndicales).

[19]           Il invoque le paragraphe 3 de l'article 429.56 de la Loi pour invalider la décision au motif qu'elle serait entachée d'un vice de fond.

[20]           Après avoir entendu les parties, la CLP rejette tous et chacun des arguments présentés par l'employé et souligne que le pouvoir de révision ne peut servir de prétexte à l'institution d'un appel déguisé de la décision attaquée ni qu'elle ne permet de substituer une nouvelle interprétation de la preuve à celle retenue par la CLP.

[21]           La Commissaire, a aussi conclu que retenir l'opinion d'un chirurgien orthopédiste plutôt que celle d'un neurochirurgien ne constitue pas une erreur et certainement pas un motif de révision.  C'est en regard de l'ensemble de la preuve que la CLP a décidé d'accorder une force probante à l'opinion d'un médecin plutôt qu'à celle d'un autre.  Elle n'a pas fait preuve d'arbitraire en retenant l'opinion du Dr. Nolin, plutôt que celle du Dr. Ladouceur.

[22]           Enfin, l'employé n'a pas fait la preuve d'une erreur manifeste en fait ou en droit ayant un effet déterminant sur l'effet du litige.  L'employé a plutôt recherché un nouvelle évaluation de la preuve afin d'obtenir une décision qui lui est favorable.

La révision judiciaire en Cour supérieure

[23]           Devant la Cour supérieure, l'employé demande d'annuler la décision de la CLP rendue en révision et d'infirmer la décision initiale de la CLP.  Il prétend que la CLP a agi de façon manifestement déraisonnable en préférant l'opinion du docteur Nolin qui confirmait le diagnostic du Dr. Perreault.

[24]           L'employé plaide que les commentaires émis par le Commissaire Daniel supposent que le rapport du Dr. Ladouceur reposait sur des hypothèses ce qu'il considère comme étant inexact.

[25]           L'employé invoque également que la CLP a commis une erreur manifeste en retenant l'opinion du Dr. Perreault alors qu'il n'avait pas repéré les signes cliniques d'une hernie discale après le 1er juin 1998 et qu'il maintenait un diagnostic d'entorse lombaire.

Discussion

La norme de contrôle applicable

[26]           La CLP doit trancher de façon finale et sans appel, les questions relatives à l'interprétation et à l'application de la Loi.  La détermination d'une "lésion professionnelle" est au cœur de la compétence et de la juridiction de la CLP[ii].  La CLP a décidé que l'employé n'avait pas subi le 1er juin 1998, une récidive, rechute ou aggravation de l'incident survenu le 12 mars 1998.  La question qu'elle a tranchée se situe au cœur de la compétence spécialisée de la CLP.  Suivant la méthode d'analyse fonctionnelle et pragmatique, la norme de contrôle applicable à la révision judiciaire des décisions rendues par la CLP lorsqu'elle décide de cette question, est celle de l'erreur manifestement déraisonnable.

L'appréciation de la preuve

[27]           Essentiellement, l'employé reproche à la CLP son appréciation de la preuve médicale et factuelle.  Il aurait préféré que soit retenue l'opinion du Dr. Ladouceur plutôt que celle du Dr. Nolin.

[28]           En réalité, l'employé demande à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle retenue par la CLP.  Ce n'est le rôle des tribunaux de substituer leur propre appréciation de la preuve à celle du tribunal administratif spécialisé.  Le Tribunal doit faire preuve d'une extrême retenue lorsque la partie attaque les conclusions de fait du tribunal administratif.

[29]           La Cour d'appel du Québec s'est récemment prononcée sur la retenue judiciaire dont doit faire preuve le Tribunal en matière de révision judiciaire dans l'arrêt CSST c. Odile-Rachel Chiasson[iii]:

"20.      L'application rigoureuse de ce standard de révision ne permet donc pas aux instances judiciaires de refaire le débat et de décider si, dans les souliers de l'organisme administratif, le juge serait parvenu à la même conclusion.  La barre est beaucoup plus haute et le rôle de la Cour se limite strictement à évaluer non pas si la décision est bonne, si elle est valable en droit, mais seulement si, oui ou non, elle est manifestement déraisonnable.  Que la Cour soir d'accord ou non avec elle n'a aucune importance.  N'apas non plus d'importance le fait que la décision soit erronée.  Le tribunal administratif a en effet droit à l'erreur, à condition bien sûr que celle-ci n'ait pas pour effet de conférer à sa décision un caractère manifestement déraisonnable au sens donné à cette expression par la jurisprudence citée plus haut, donc d'en faire un jugement clairement irrationnel.

21.               La plus grande retenue judiciaire s'imposait ici eu égard, d'une part, au caractère final de la décision administrative (Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, art. 405 ) et, d'autre part, à la clause privative complète dont jouit l'instance administrative (art. 409)."

(nos soulignés)

[30]           Dans le présent dossier, l'employé était victime d'une condition lombaire problématique décelée depuis 1995.  L'incident de mars 1998 a été diagnostiqué comme étant une entorse lombaire.  La CLP a décidé que les problèmes subséquents survenus à compter du 1er juin 1998, découlaient d'une condition personnelle préexistante depuis 1995 et qu'il n'y avait pas de relation avec l'incident de mars 1998 qui avait été consolidé quelques semaines plus tard.  En conséquence, il ne s'agissait pas d'une lésion professionnelle.

[31]           En cas d'absence totale de preuve au soutien des conclusions d'une décision d'un tribunal administratif, les tribunaux de droit commun pourront intervenir.  Comme l'enseigne la Cour suprême du Canada[iv], ce n'est que lorsque la preuve appréciée raisonnablement est incapable d'étayer les conclusions du Tribunal, que la Cour pourra intervenir pour substituer son opinion à celle du Tribunal.  Ce n'est pas le cas en l'instance.  La CLP a trouvé appui sur la preuve médicale et factuelle qu'elle avait au dossier et elle a même ajourné l'audition pour permettre le dépôt de notes cliniques du médecin traitant et le dépôt d'expertises additionnelles.  C'est à la CLP qu'il appartient de retenir un témoignage ou une expertise plutôt qu'une autre[v].  Sa décision repose sur une appréciation raisonnable de la preuve et rien ne justifie le Tribunal d'intervenir pour substituer son opinion à celle de la CLP.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

REJETTE la requête en révision judiciaire.

AVEC DÉPENS.

 

 

 

________________________________

DANIÈLE MAYRAND, J.C.S.

 

 

 

 

 

 

Date de l'audition: Le 21 mars 2002

 

 

Me Christian Ladouceur

LES AVOCATS LADOUCEUR

Procureur du requérant

 

Me Virginie Brisebois

LEVASSEUR VERGE

Procureur de l'intimée

 

Me Richard Auclair

Procureur de la partie intéressée

 

 



[i] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001

[ii] Welch c. C.A.L.P. et Groupe pharmaceutique Bristol Myers Squibb et C.S.S.T., [1998] C.A.L.P. 553 (C.A.), pp. 559,561,563; Guillemette (Succession de) c. J.M. Asbestos Inc., [1997] C.A.L.P. 585, p.1350 (C.S.)

[iii] CSST c. Odile-Rachel Chiasson, C.A. Montréal 500-09-007701-998, 2002-01-18, jj Baudoin, Nuss et Thibault

[iv] Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487 , pp. 507 à 509

[v] Gagnon c.  Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 856 ; Berrafato c. La Commission des affaires sociales, C.S. 500-05-017305-911, 1992-03-04, j. P. Reeves.

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