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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
13 septembre 2004 |
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Région : |
Lanaudière |
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Dossier CSST : |
121028765 |
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Commissaire : |
Me Lina Crochetière |
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Membres : |
Christian Tremblay, associations d’employeurs |
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Marcel Desrosiers, associations syndicales |
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Manon Gingras |
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Partie requérante |
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Syndicat des travailleuses et des travailleurs de la Maison-Mère des Sœurs SNJM (FSSS-CSN) |
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Partie intéressée |
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et |
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Confédération des syndicats nationaux |
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Partie intéressée |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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Dossier 188058-63-0207
[1] Le 19 juillet 2002, madame Manon Gingras (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 juin 2002, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST modifie une décision initialement rendue le 29 novembre 2001. La CSST rend la décision suivante :
- elle relève la Maison-Mère des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie du défaut d’avoir respecté le délai de contestation;
- elle déclare que l’employeur est le Syndicat des travailleuses et des travailleurs de la Maison-Mère des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (FSSS-CSN);
- elle déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 21 juin 2001.
Dossier 191232-63-0209
[3] Le 27 septembre 2002, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 23 septembre 2002, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 4 juillet 2002 et déclare qu’elle est en droit d’exiger que la travailleuse rembourse la somme de 886,23 $, représentant l’indemnité versée par l’employeur pour les 14 premiers jours de son incapacité de travailler, soit du 22 juin au 5 juillet 2001.
[5] L’audience est tenue à Montréal le 16 septembre 2003 et se poursuit les 17 septembre et 20 octobre 2003. La travailleuse est présente et représentée. Le Syndicat des travailleuses et des travailleurs de la Maison-Mère des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (FSSS-CSN) (l’employeur) n’est pas représenté. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) est représentée. La CSST est représentée. La cause est prise en délibéré le 20 octobre 2003.
L’OBJET DES REQUÊTES
Dossier 188058-63-0207
[6] La travailleuse précise qu’elle ne conteste pas les deux premiers volets de la décision qui concernent l’employeur.
[7] L’objet de sa requête porte sur la reconnaissance d’une lésion professionnelle, le 21 juin 2001, en raison d’une superposition d’événements ayant entraîné une surcharge de travail, laquelle est à l’origine de sa lésion psychologique.
Dossier 191232-63-0209
[8] Si sa lésion professionnelle est reconnue, la travailleuse demande que soit annulée la décision portant sur le surpayé.
LA PREUVE
[9] La travailleuse réclame auprès de la CSST pour une lésion psychique, survenue en juin 2001, et qu’elle relie à une surcharge de travail dont les circonstances remontent à 1999.
[10] À l’époque de sa réclamation, la travailleuse occupe un poste de préposée aux bénéficiaires à la Maison-Mère des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (la Maison-Mère). Cet établissement comprend une résidence pour les religieuses âgées et/ou malades et/ou en perte d’autonomie.
[11] Le poste de préposée aux bénéficiaires que détient la travailleuse comporte un horaire de travail de 7 jours par 15 jours, ce qui correspond à 50,75 heures de travail. En plus, elle est disponible sur appel pour 3 autres jours.
[12] Dans la décision initiale du 29 novembre 2001 qui refuse la réclamation de la travailleuse, la CSST statue que la Maison-Mère est l’employeur au dossier. À la suite de la révision administrative du 27 juin 2002, cet aspect de la décision est infirmé et la CSST déclare que le Syndicat des travailleuses et des travailleurs de la Maison-Mère des Saints Noms de Marie et de Jésus (FSSS-CSN) est l’employeur (le Syndicat). Ce volet n’est pas contesté devant le présent tribunal.
[13] Ainsi, ce ne sont pas les tâches de préposée aux bénéficiaires qui sont en cause, dans la présente affaire, mais bien celles de présidente du Syndicat et ce, dans les circonstances ci-après relatées.
[14] En résumé, les prétentions de la travailleuse sont que la lésion pour laquelle elle réclame résulte d’une surcharge de travail qui s’est accentuée à la suite d’un conflit de travail alors qu’elle a dû assumer, en plus des tâches de présidente, celles des membres de l’Exécutif du Syndicat qui se sont absentés à tour de rôle et alors que l’aide reçue de la CSN s’est avérée insuffisante.
[15] Voici la chronologie des principaux faits mis en preuve.
[16] Le Syndicat existe à la Maison-Mère depuis 1985 et la travailleuse y milite depuis cette époque. Au cours des années, elle occupe tous les postes à l’Exécutif qui comprend, outre celui de président, ceux de vice-président à la santé et à la sécurité du travail, agent de griefs, secrétaire et trésorier. Au cours de son témoignage, la travailleuse expliquera les fonctions assumées par chacun et soulignera qu’en principe le rôle de président en est un de coordination.
[17] En 1996, la travailleuse est élue présidente du Syndicat qui compte, à cette époque, environ 180 membres.
[18] En 1996, madame Charlotte Baillargeon est nommée directrice générale. Elle a, auparavant, occupé le poste de directrice des ressources humaines durant huit ans. Il relevait alors de ses fonctions de négocier avec le Syndicat.
[19] Selon la travailleuse, les relations étaient bonnes avec la Maison-Mère lorsque madame Baillargeon occupait le poste de directrice des ressources humaines. De façon hebdomadaire, il y avait des rencontres avec l’agente de griefs de l’époque, madame Linda Plante et elles, réussissaient à régler la majorité des griefs avant qu’ils ne soient soumis en arbitrage. Madame Plante témoigne et corrobore ces affirmations.
[20] En 1996, donc, madame Baillargeon est remplacée, aux ressources humaines, par sœur Gilberte Therrien qui, selon la travailleuse, ne comprend pas la convention collective, n’est pas disposée à négocier et dont l’attitude, face aux syndiqués, est liée au conflit qui éclatera et perdurera par la suite. Madame Plante corrobore cette difficulté à négocier avec sœur Gilberte et à régler les problèmes avec cette religieuse qui n’avait, selon elle, aucun respect de la personne.
[21] En mars 1997, la convention collective vient à échéance et des négociations sont entamées. Le climat, lors de ces négociations, est difficile. Il règne beaucoup de tension dans les relations de travail.
[22] Le 15 janvier 1998, la Maison-Mère décrète le « lock-out ». Selon les parties, la lecture des événements, à l’origine de ce « lock-out », n’est pas la même. La travailleuse explique que la Maison-Mère n’a pas toléré que les syndiqués portent, durant leur travail, un macaron parlant de respect. Madame Baillargeon explique que le « lock-out » fut décrété en raison de la survenance d’une série d’incidents et parce que les religieuses âgées avaient peur.
[23] À l’époque du « lock-out », l’Exécutif du Syndicat est complet. La travailleuse est tout de même fort occupée à organiser un comité de soutien financier, une banque alimentaire, une chorale dont la vente des enregistrements procure des fonds et plusieurs manifestations et contacts auprès des médias.
[24] Le « lock-out » dure 18 mois, soit jusqu’au 8 juin 1999. Des conciliateurs et un médiateur sont nommés. Des interventions de la part de dirigeants syndicaux sont faites afin de faire débloquer le dossier.
[25] La travailleuse témoigne que, durant cette période, la Maison-Mère engage des briseurs de grève. La travailleuse collabore avec les inspecteurs du ministère du Travail pour identifier les briseurs de grève. Environ 4000 plaintes seront logées devant le Tribunal du travail. Ces plaintes seront rédigées par les services juridiques de la CSN et la travailleuse témoignera, dans cette affaire, en tant que témoin principal.
[26] En avril 1999, des négociations sont entamées et mènent à la signature, en date du 2 juin 1999, d’une convention collective pour 111 postes avec protocole de retour au travail à compter du 8 juin 1999. Toutefois, vu la diminution des bénéficiaires durant le conflit, une entente intervient quant à un retour au travail progressif. Les syndiqués sont rappelés progressivement au travail selon leur ancienneté. En attendant d’être rappelés, les autres syndiqués demeurent à leur domicile et sont payés sur la base des conditions qu’ils détenaient le 15 janvier 1998.
[27] La travailleuse n’assiste pas à ces négociations car, d’avril à juin 1999, elle est hospitalisée en raison d’une complication lors d’une grossesse. Le 2 juin 1999, elle signe la convention collective de son lit d’hôpital. Elle accouchera le 28 juin 1999.
[28] À compter du 8 juin 1999, 52 syndiqués sont rappelés au travail.
[29] La seule membre de l’Exécutif à être rappelée, dès le début, est madame Danielle Moreau qui témoigne agir alors comme contact pour les autres membres de l’Exécutif qui sont toujours à l’extérieur de la Maison-Mère.
[30] À cet égard, la travailleuse explique que, n’étant pas rappelée au travail en juin, elle n’a pas le droit d’accéder au bureau syndical installé sur les lieux de travail. Elle affirme que « l’employeur ne veut pas voir les sœurs Gingras » sur les lieux du travail. C’est pourquoi, elle effectue ses tâches syndicales à partir des bureaux de la CSN. Madame Baillargeon nie l’existence de cette interdiction.
[31] Lors du retour au travail, les relations sont tendues, notamment avec les infirmières fatiguées d’avoir fait, en plus de leurs tâches, des tâches habituellement faites par les préposées aux bénéficiaires.
[32] À la suite de ce retour au travail, la Maison-Mère impose aux syndiqués de nombreuses mesures disciplinaires et le Syndicat loge des griefs. L’Exécutif tient une assemblée générale des membres à toutes les semaines.
[33] La travailleuse témoigne qu’en « juillet » 1999, la Maison-Mère procède à l’abolition de 65 postes. Aucun document à cet effet n’est produit. Elle précise qu’un comité aviseur est formé, que des négociations sont entamées, que la Maison-Mère décide de remettre sur la table le protocole de retour au travail et que le Syndicat réussit à le prolonger jusqu’au 30 août 1999 et/ou 30 septembre 1999, notamment quant aux indemnités de départ.
[34] La travailleuse est rappelée au travail à compter du 2 octobre 1999.
[35] Par ailleurs, dans une lettre du 4 octobre 1999 adressée à la travailleuse, madame Baillargeon mentionne qu’à la suite d’une rencontre du 30 septembre 1999, « les avis d’abolition de postes émis le 30 août 1999 sont annulés ».
[36] Dans une autre lettre du 4 octobre 1999 adressée à la travailleuse, madame Baillargeon relate qu’à la suite de cette rencontre du 30 septembre 1999, la Maison-Mère décide de corriger des erreurs, commises depuis le 8 juin 1999 dans l’octroi des postes, en ajustant à la hausse ou à la baisse les divers postes. Dans le cas de la travailleuse qui détenait un poste de préposée aux bénéficiaires 50 h 75 par 2 semaines, vu son refus, le 29 septembre 1999, de travailler au service alimentaire, son horaire de travail est désormais celui de préposée aux bénéficiaires 29 h 00 par 2 semaines.
[37] La travailleuse témoigne que, ce 4 octobre 1999, la Maison-Mère « abolit 47 postes » et octroie aux syndiqués d’autres postes, avec changements de titres d’emploi et changements d’horaires. Les syndiqués n’y comprennent rien. De nombreux griefs sont logés pour des abolitions de postes et des erreurs sur la paye. Le cas de la travailleuse sera retenu comme « cas type » lors de l’arbitrage. L’audience sera tenue durant plusieurs jours répartis durant les années 2000 et 2001.
[38] Durant toute cette période, peu de rencontres ont lieu entre la Maison-Mère et le Syndicat, malgré les demandes de ce dernier pour régler des griefs, car sœur Therrien n’est pas disponible.
[39] Par ailleurs, mentionnons qu’à partir de septembre 1999, l’Exécutif du Syndicat ne sera jamais complet. La travailleuse assumera, en plus de ses fonctions de présidente, celles des absents.
[40] Les personnes qui occupent les postes à l’Exécutif sont élues par les membres ou nommées par intérim par l’Exécutif et ensuite la situation est validée en assemblée. La travailleuse explique que les postes visés sont demeurés vacants pendant certaines périodes en raison de la difficulté à recruter des personnes pour les combler. Les gens voyaient que ceux qui demeuraient à l’Exécutif travaillaient fort et les dossiers étaient tellement complexes que personne ne voulait s’embarquer.
[41] De même, il y aura plusieurs changements de conseillers syndicaux et de conseillers juridiques provenant de la CSN. À chaque changement de conseiller, la travailleuse devra recommencer ses longues explications pour mettre le nouveau conseiller au courant de l’ensemble des dossiers. De juin 1999 à juin 2001, cinq conseillers syndicaux se succèdent ainsi que dix conseillers juridiques (pièce T-4).
[42] De juin à septembre 1999, monsieur Jean-Yves Girard agit à titre de conseiller syndical. Pendant que, de juin 1999 à janvier 2000, monsieur Serge Lavergne agit comme conseiller juridique, sauf en juillet 1999 où monsieur Guy Martin occupe ses fonctions.
[43] À la fin de septembre 1999, madame Linda Plante, agente de griefs, quitte son poste à l’Exécutif et démissionne de son emploi à la Maison-Mère. La travailleuse la remplace jusqu’en décembre 1999.
[44] De nombreux griefs sont levés mais, selon le témoignage de la travailleuse, l’employeur ne répond pas aux demandes de rencontres pour les régler, alors d’autres griefs continuent d’être levés.
[45] De même, à la fin septembre 1999, madame Diane Cournoyer, trésorière, s’absente pour cause de maladie. La travailleuse la remplace jusqu’en décembre 1999.
[46] D’octobre à décembre 1999, monsieur Yves Lessard agit à titre de conseiller syndical.
[47] En décembre 1999, madame France Loiseau occupe le poste d’agente de griefs. La travailleuse affirme cependant qu’il y a peu ou pas de rencontres avec la Maison - Mère pour régler des griefs et ce, tant que sœur Therrien occupe le poste de directrice des ressources humaines.
[48] En décembre 1999, monsieur Michel Caron occupe le poste de trésorier. À cette époque, il n’a pas d’expérience syndicale.
[49] En décembre 1999, madame Lyne Gingras, vice-présidente en santé et en sécurité au travail, est suspendue jusqu’en février 2000.
[50] En janvier 2000, la travailleuse s’absente pour une période de cinq semaines.
[51] En janvier 2000, la Maison-Mère revient sur sa décision consignée dans la lettre du 4 octobre 1999 et « redonne les postes » visés.
[52] À compter de janvier 2000, un nouveau conseiller syndical est nommé, monsieur Raymond Laroche. À son retour, la travailleuse devra recommencer ses explications pour l’ensemble des dossiers. De même, en février 2000, le conseiller juridique est monsieur Richard Mercier.
[53] En février 2000, madame Loiseau - qui occupe le poste d’agente de griefs depuis décembre 1999 et qui a remplacé la travailleuse lors de son absence en janvier 2000 - quitte pour maladie.
[54] En février 2000, madame Danielle Moreau, secrétaire, s’absente à la suite d’une lésion professionnelle.
[55] À la mi-février 2000, la travailleuse est de retour dans ses fonctions. Elle doit suppléer aux tâches de secrétaire et d’agente de griefs.
[56] En mars 2000, trois conseillers juridiques interviennent : messieurs Jeff Bedley, Arthur Sandborn et Michel Forget.
[57] En mars 2000, madame Lyne Gingras, vice-présidente en santé et sécurité au travail, est suspendue jusqu’en mai 2000. La travailleuse doit assumer ses tâches.
[58] En mars 2000, madame Céline Hanchay occupe le poste d’agente de griefs mais n’a pas d’expérience à cet égard. Trop occupée, la travailleuse n’a pas le temps de la former. Il en résulte que, malgré sa bonne volonté, madame Hanchay n’est pas en mesure d’effectuer elle-même les tâches d’agente de griefs. C’est la travailleuse qui prépare les griefs et madame Hanchay collabore.
[59] En avril 2000, monsieur François Lamoureux agit à titre de conseiller juridique. En mai 2000, aucun conseiller juridique n’est nommé.
[60] De mars à juin 2000, la travailleuse doit travailler à préparer des dossiers de plaintes à la suite des abolitions de poste. Elle rencontre les conseillers juridiques et finalement, une nouvelle procureure est nommée, une semaine avant l’audience.
[61] En juillet 2000, madame Hanchay quitte le poste d’agente de griefs.
[62] De juillet 2000 à janvier 2001, personne n’occupera le poste d’agent de griefs. La travailleuse devra effectuer les tâches.
[63] À compter de juillet 2000 et ce, pour 3 mois, madame Lyne Gingras, vice‑présidente à la santé et la sécurité au travail, bénéficie d’une libération syndicale afin d’exercer certaines fonctions à l’extérieur du Syndicat.
[64] Dans les faits, de juillet à octobre 2000, la travailleuse est seule à l’Exécutif avec monsieur Caron.
[65] En juin 2000, madame Isabelle Lacas agit à titre de conseillère juridique.
[66] De juillet 2000 à janvier 2001, il n’y a pas de conseiller juridique
[67] En septembre 2000, un nouveau conseiller syndical, monsieur Benoit Dubé, est nommé en remplacement de monsieur Laroche, en poste depuis neuf mois. La travailleuse recommence ses explications. Elle passe une semaine à expliquer à monsieur Dubé tous les dossiers qu’il assimile bien. Toutefois, il quitte en octobre 2000. La travailleuse n’aura pas d’aide d’un nouveau conseiller syndical avant janvier 2001. Ainsi, d’octobre 2000 à janvier 2001, il n’y a aucun conseiller syndical et aucun conseiller juridique pour appuyer le Syndicat.
[68] À partir de septembre 2000, sœur Therrien est remplacée aux ressources humaines par madame Marielle Ouellette. La travailleuse affirme que, de la fin de l’année 2000 jusqu’à juin 2001, elle rencontre madame Ouellette chaque semaine et qu’ensemble elles règlent des griefs. Elle réussit à régler, durant cette période, environ 150 griefs, autres que ceux qui sont en arbitrage.
[69] Le ou vers le 25 octobre 2000, la travailleuse subit une lésion au niveau cervical au cours d’un accident d’automobile. Elle est mise en arrêt de travail en ce qui concerne son poste de préposée aux bénéficiaires. Elle continue cependant ses tâches syndicales à temps plein.
[70] En novembre 2000, la vice-présidente en santé et sécurité au travail, madame Lyne Gingras, revient à son poste. Cependant, en décembre 2000, elle est congédiée. La travailleuse la remplace au comité sur l’équité salariale.
[71] À compter de janvier 2001, madame Danielle Moreau remplace au poste d’agente de griefs mais personne n’occupe alors le poste de secrétaire. La travailleuse doit assumer les tâches.
[72] À compter de janvier 2001, une nouvelle conseillère syndicale, madame Andrée Lapierre, entre en fonction. Les relations sont plus ou moins bonnes, il n’y a pas de complicité, peu de confiance. Selon la travailleuse, cette conseillère ne semble pas intéressée aux dossiers.
[73] À cette époque, la travailleuse fait beaucoup de travail, notamment des calculs, pour régler des griefs, avant arbitrage. Elle rencontre la Maison-Mère, accompagnée de madame Moreau, et réussit à en régler plusieurs. Cependant, à un certain moment, les négociations bloquent.
[74] En février 2001, un conseiller juridique intervient, monsieur Gérard Notebar.
[75] En mars 2001, la travailleuse revient à son travail de préposée aux bénéficiaires à la suite de son absence reliée à son accident d’automobile.
[76] En mars 2001, la travailleuse s’aperçoit que la tenue de livres n’a pas été faite par le trésorier depuis un an. Elle doit tout reprendre en mains, la comptabilité, le paiement des comptes, etc.
[77] En avril et mai 2001, il n’y a pas de conseiller juridique. Il y aura une nouvelle conseillère juridique en juin 2001, madame France Chantal.
[78] En mai 2001, madame Dolores Santos se présente au Syndicat pour offrir son aide. Elle occupera le poste de secrétaire.
[79] En mai 2001, la travailleuse s’occupe des dossiers de plaintes et de griefs et des dossiers d’assignation temporaire en santé et sécurité au travail.
[80] Pendant ce temps, l’atmosphère de travail est difficile. Les syndiqués ont jusqu’alors reçu beaucoup d’avis disciplinaires, même des gens qui, auparavant, avaient un dossier vierge.
[81] La travailleuse donne des exemples d’avis disciplinaires dans des situations de vaisselle cassée, de pieds nus durant une pause, de cannette de boisson gazeuse.
[82] Elle explique aussi les circonstances entourant la décision de la Maison-Mère de ne plus mettre de fumoir à la disposition des syndiqués. Elle évoque les avis disciplinaires reçus par ceux qui fument à l’extérieur.
[83] Le 24 mai 2001, Me Gaston Gamache, arbitre, rend sa sentence arbitrale dans le cas de la travailleuse. À l’origine, il était saisi de deux griefs collectifs et de trente-neuf griefs individuels. Selon ce qui est convenu, le dossier personnel de la travailleuse sert de « cas type ». Son grief est logé à la suite de la lettre de la Maison-Mère du 4 octobre 1999, concluant que son horaire de travail est de 29 h 00 par 2 semaines dans un poste de préposée aux bénéficiaires. Me Gamache rejette le grief.
[84] La travailleuse explique que ce dossier était très complexe et que, du côté syndical, ils ont été déçus et ont eu le sentiment d’avoir été mal compris. Cependant, puisque la Maison-Mère avait déjà redonné tous les postes en janvier 2000, ils ont poursuivi le recours afin de récupérer les sommes d’argent. Ils ont perdu. Les membres étaient déçus mais les postes étaient déjà récupérés.
[85] Le matin du 21 juin 2001, madame Lapierre doit plaider pour la première fois au nom du Syndicat. La travailleuse, madame Santos, la Maison-Mère et l’arbitre l’attendent pour un arbitrage de grief, mais madame Lapierre ne se présente pas. L’arbitre doit remettre la cause. Pour la travailleuse et madame Santos, la situation s’avère fort stressante.
[86] En juin 2001, la travailleuse ne voit plus de lumière au bout du tunnel. Elle se sent seule et responsable. La situation est tellement complexe, que ceux qui font partie de l’Exécutif ne sont pas en mesure de tout analyser et c’est elle qui doit le faire.
[87] La travailleuse affirme que, durant la période en cause, le Syndicat a logé pas moins de 700 griefs, ce qui a possiblement indisposé la Maison-Mère. Quoiqu’il en soit, elle considère que ces griefs étaient fondés. Elle a perçu de la Maison-Mère, qui parlait toujours des « sœurs Gingras », qu’elles étaient considérées comme des « faiseuses de trouble ». Cependant, la travailleuse assure que les décisions étaient prises par l’Exécutif et qu’un mandat était toujours obtenu en assemblée générale. Sur ce point, madame Baillargeon reconnaît que, lorsque la travailleuse prenait des décisions, elle le faisait avec les membres en assemblée générale.
[88] Concernant le nombre d’heures de travail syndical effectué, la travailleuse affirme qu’elle faisait, en moyenne, 80 heures par semaine, travaillant de longues heures durant la semaine, travaillant les week-ends et les jours de congé. Elle dépose des documents à l’appui de ses prétentions (pièces T-5 à T-7). La pièce T-5 est fabriquée à partir de ses agendas et s’avère incomplète car, dit-elle, elle n’y écrivait pas tout. La pièce T-7 constitue une liasse de formulaires de réclamation de frais auprès de la CSN.
[89] Elle explique que, de juillet à octobre 1999, elle exerce ses fonctions à temps plein, à partir des bureaux de la CSN, de 7 h 30 à 23 h 30. À compter d’octobre 1999, elle retourne au travail en tant que préposée aux bénéficiaires et le reste de son temps est consacré au Syndicat. Il en sera de même jusqu’en juin 2001, sauf pour les cinq semaines d’absence en janvier 2000, pour cause de deuil, sauf pour la période d’octobre 2000 à mars 2001 où elle est en arrêt de travail (préposée aux bénéficiaires), à la suite de son accident d’automobile et où elle fait du travail syndical à temps plein.
[90] La travailleuse confirme que, lorsqu’elle s’est sentie débordée, elle a demandé de l’aide à la CSN, notamment qu’un conseiller syndical soit assigné à temps plein au Syndicat, mais la chose ne fut pas possible. Quant à l’absence des autres membres de l’Exécutif, la CSN ne pouvait, bien entendu, rien y faire puisqu’il s’agit de postes où les gens sont élus par les membres.
Le témoignage de madame Linda Plante
[91] Madame Plante a occupé un poste de préposée aux bénéficiaires de 1981 à 1999. Elle a exercé des fonctions syndicales, dans l’Exécutif, durant 10 ans. Déjà avant le conflit de travail, elle occupait le poste d’agente de griefs.
[92] À la suite de la signature du protocole de retour au travail, en juin 1999, elle retourne à ses tâches de préposée aux bénéficiaires au début de septembre 1999. Elle affirme vivre alors du harcèlement de la part des infirmières et des coordonnatrices.
[93] Entre-temps, madame Plante effectue ses fonctions syndicales, de façon intensive, à partir des locaux de la CSN.
[94] Elle affirme que la Maison-Mère ne respecte pas la convention collective, que les syndiqués subissent beaucoup de pression et téléphonent continuellement au Syndicat. Elle doit loger beaucoup de griefs.
[95] En temps normal, avant le conflit, elle tenait son bureau syndical un jour par semaine et avait le temps de faire tout son travail. Après le conflit, elle a tellement de travail, qu’elle doit demander l’aide des autres membres de l’Exécutif. Elle fait de longues heures, de 7 h 30 à 23 h 30 - 0 h 00, tous les jours de la semaine et parfois le samedi.
[96] Elle travaille en compagnie de la travailleuse et il y a tellement de tâches à faire qu’elles ne parviennent pas à se mettre à jour. Aussitôt qu’une situation est réglée, en survient une nouvelle. Madame Plante pensait qu’après le conflit, avec la signature d’une convention collective et d’un protocole de retour au travail, tout serait correct, que l’ambiance serait saine, mais il en est autrement. La situation est pire qu’avant. La Maison-Mère fait des avertissements, des suspensions pour un oui, pour un non, des abolitions de postes et le Syndicat doit loger grief après grief.
[97] Madame Plante affirme que la travailleuse effectue beaucoup d’heures de travail, au moins 80 heures par semaine. Elle est en mesure de faire cette affirmation parce qu’elle travaille alors en présence de la travailleuse et parce qu’elles partent le matin ensemble et reviennent le soir ensemble. Elle sait que la travailleuse reçoit, chez elle, des appels téléphoniques de la part des syndiqués car toutes les informations sont partagées au niveau des membres de l’Exécutif.
[98] Le 30 septembre 1999, madame Plante donne sa démission et reçoit une prime de départ. Elle ressent une grande fatigue et ne se sent plus capable de continuer. Au moment de son départ, il y a au moins 300 ou 400 griefs logés.
[99] Après son départ, elle continue d’avoir des nouvelles de la travailleuse qui est sa grande amie. Madame Plante conseille à la travailleuse de ralentir, lui dit qu’elle travaille trop.
[100] Au printemps 2000, madame Plante souffre de problèmes psychiques, pour lesquels elle ne fait pas de réclamation à la CSST malgré qu’elle croit que la situation n’aurait peut-être pas été la même si elle n’avait pas subi toute cette pression.
[101] Madame Plante est questionnée quant à sa perception de la travailleuse par rapport à son rôle de présidente du Syndicat. Elle reconnaît que la travailleuse est méticuleuse, perfectionniste en tout, qu’elle analyse beaucoup les situations et vérifie si les griefs sont bien formulés afin de s’assurer du respect des droits des syndiqués.
Le témoignage de madame Danielle Moreau
[102] Préposée aux bénéficiaires depuis 1975, madame Moreau occupe un poste de préposée à l’entretien ménager à compter de juin 1999. En 1997, elle est élue secrétaire de l’Exécutif.
[103] En juin 1999, elle fait partie des premiers syndiqués rappelés au travail. Elle explique que le climat en est un de méfiance. Les syndiqués ne savent pas sur quel pied danser. Étant les premiers à retourner au travail, ils essaient de montrer leur bonne volonté afin d’ouvrir la porte aux autres qui vont suivre mais l’atmosphère n’est pas bonne. Étant à l’intérieur des lieux de travail, alors que le reste de l’Exécutif n’est pas encore rentré, madame Moreau sert de contact et fait des suivis.
[104] Elle se rend aussi aux bureaux de la CSN faire du travail syndical. Les réunions et les assemblées sont interminables. Elle fait des tâches syndicales de 9 h 00 à 23 h 30 - 0 h 00, deux à trois fois par semaine et ça s’amplifie jusqu’à faire des tâches syndicales sept jours par semaine. Lors des assemblées, il y a des files de gens qui viennent poser des questions. Elle doit prendre des notes et faire des comptes-rendus. Elle reçoit des téléphones chez elle. Les préposés de nuit lui téléphonent même lorsqu’elle est couchée.
[105] À cette époque, sa mère est malade et il lui est difficile de trouver une gardienne pour sa fille. Elle diminue alors ses heures de participation aux tâches syndicales, soit de 9 h 00 à 17 h 00.
[106] Elle explique qu’à l’Exécutif, chaque membre a certes une fonction, mais tous les membres de l’Exécutif font de tout car il y a beaucoup de travail.
[107] Le 15 février 2000, madame Moreau subit une lésion professionnelle au niveau d’une épaule. Elle est mise en arrêt de travail en février et mars 2000. Par la suite, elle reprend le travail en assignation temporaire jusqu’en novembre 2000, puis elle reprend son travail régulier. Durant cette période, elle reçoit des traitements de physiothérapie.
[108] De février à novembre 2000, elle fait quand même un peu de travail syndical mais c’est la travailleuse qui effectue le reste de son travail de secrétaire.
[109] En janvier ou février 2001, la travailleuse demande à madame Moreau de l’aider pour le traitement des griefs. Madame Moreau affirme qu’il y a alors 674 griefs. La travailleuse lui demande de les classer et d’identifier ceux qui peuvent être réglés car des arbitrages sont prévus et la Maison-Mère a manifesté sa volonté de négocier pour en régler avant arbitrage.
[110] Madame Moreau est en libération syndicale cinq jours par semaine pour cette tâche et y travaille de 9 h 00 à 17 h 00. En plus, à cette époque, de nouvelles demandes des employés ne cessent de rentrer.
[111] Lorsque madame Moreau part à 17 h 00, elle voit la travailleuse qui continue son travail de préparation. Elle accompagne la travailleuse pour la négociation des règlements de griefs avec la Maison-Mère qui, souvent, refuse. Le travail de préparation n’a alors rien donné.
[112] En octobre 2001, madame Moreau fait une réclamation auprès de la CSST pour une lésion psychique qu’elle relie à du harcèlement. Sa réclamation est refusée mais, au moment de l’audience, une contestation est pendante.
[113] En octobre 2001, il reste encore des griefs qui ne sont pas réglés mais elle ne se souvient plus combien.
[114] Madame Moreau témoigne être au courant de l’implication de la travailleuse dans ses tâches syndicales pour l’avoir vue travailler, régler des problèmes au téléphone en même temps qu’elles faisaient ensemble une autre tâche et l’avoir vue apporter du travail à la maison.
[115] Selon son appréciation, la travailleuse effectuait au minimum 60 à 70 heures par semaine, allait à la CSN le samedi, le dimanche, apportait du travail chez elle, avait un téléavertisseur. Elle affirme que lorsque qu’un membre de l’Exécutif s’absentait ou quittait, la travailleuse le remplaçait.
Le témoignage de madame Diane Cournoyer
[116] Madame Cournoyer fut préposée aux bénéficiaires de 1982 à 1999. Aux cours des années, elle a occupé différentes fonctions syndicales. À compter de 1995, elle a occupé le poste de trésorière au sein de l’Exécutif.
[117] En juin 1999, après le conflit, elle retourne au travail en tant que préposée aux bénéficiaires et continue d’occuper son poste de trésorière.
[118] Auparavant, madame Cournoyer était libérée une fois par mois pour faire ses tâches de comptabilité, tenue de livres, préparation de chèques, etc.
[119] Après le conflit, elle effectue différentes tâches syndicales, autres que de la trésorerie, de deux à trois fois par semaine. Elle témoigne que l’Exécutif est en retard dans son travail, qu’il y a un surplus de tâches. Lorsque quelqu’un tombe malade, cela génère une surcharge de travail et la relève est souvent assurée par la travailleuse.
[120] À cette époque, madame Cournoyer participe à des réunions syndicales, des assemblées générales, des réunions avec les délégués syndicaux et avec les conseillers syndicaux.
[121] En septembre 1999, madame Cournoyer doit s’absenter une à deux fois par semaine en raison d’un problème de santé pour lequel elle quittera définitivement le travail à compter de la mi-décembre 1999. Durant ces absences, le plus souvent, la travailleuse la remplace.
Le témoignage de madame Charlotte Baillargeon
[122] Avant le conflit de travail, et ce jusqu’en 1996, madame Baillargeon a occupé le poste de directrice des ressources humaines.
[123] Depuis 1996, elle occupe le poste de directrice générale.
[124] Elle affirme qu’après le conflit, il y a une baisse de la clientèle en raison des décès et du départ de certaines sœurs.
[125] Après le retour au travail, à la suite du conflit, la Maison-Mère trouve qu’elle reçoit beaucoup de griefs. Il y a aussi une correspondance volumineuse entre la Maison-Mère et le Syndicat. Certains griefs sont même logés le mardi pour des erreurs sur la paye du jeudi suivant. Elle discute alors avec des syndiqués qui ne savent même pas que des griefs sont logés en leur nom.
[126] Selon madame Baillargeon, la négociation pour le règlement des griefs, jusqu’en février 2000, se fait entre sœur Therrien et madame Loiseau. Elle avance mais, sans en être certaine, que la travailleuse n’est pas impliquée dans ces négociations. Elle reconnaît, par ailleurs, qu’il n’y a pas beaucoup de rencontres car sœur Therrien trouve cela difficile. Madame Baillargeon reconnaît avoir reçu personnellement des demandes de la part du Syndicat, pour régler des griefs, mais elle les a transmises à sœur Therrien.
[127] Après l’arrivée, en septembre 2000, de la nouvelle directrice des ressources humaines, madame Ouellette, madame Baillargeon lui demande de reprendre les rencontres hebdomadaires comme elle-même le faisait auparavant. Par la suite, elle reconnaît qu’il y a des rencontres mais affirme que la négociation reprend véritablement avec le nouvel Exécutif et ce, à compter de septembre 2001.
[128] Madame Baillargeon dépose la liste de tous les griefs logés entre 1999 et 2002 et qui furent réglés. Les griefs qui ne furent pas réglés ne figurent pas sur cette liste. Elle précise que la majorité de ces griefs furent logés en 1999, après le conflit.
[129] Cette liste contient, pour l’année 1999, 352 griefs, pour l’année 2000, 148 griefs et pour l’année 2001, 37 griefs. Cette liste comprend donc, pour les années 1999 à 2001, 537 griefs, excluant un certain nombre énuméré à la fin de la liste et qui ne comportent pas la mention de l’année.
[130] Madame Baillargeon précise aussi que ces griefs furent réglés, après le départ de la travailleuse en juin 2001, entre le nouvel Exécutif du Syndicat dont madame Santos est la présidente et la nouvelle directrice des ressources humaines, madame Ouellette. Madame Baillargeon reconnaît qu’en 1999, 2000 et 2001, il y a eu des arbitrages de griefs.
[131] Madame Baillargeon explique les raisons qui motivent la Maison-Mère, à l’époque, dans le cas de certains avis disciplinaires ainsi que pour l’absence de fumoir.
[132] Elle affirme que madame Loiseau s’occupe, à l’époque, du comité aviseur et qu’il n’y a eu qu’une seule rencontre à cet égard.
[133] Elle se souvient qu’en 1999, il y a des changements au niveau des membres de l’Exécutif mais ce n’est pas avec eux que la Maison-Mère est en contact.
[134] Elle se souvient qu’il y a eu plusieurs changements de conseillers syndicaux, entre 1999 et 2001, mais ne se souvient pas s’il y a des changements en ce qui concerne les conseillers juridiques.
[135] Elle reconnaît que, de 1999 à juin 2001, il y a eu un plus grand nombre de libérations syndicales. À partir de septembre 2001, la situation s’est replacée. Il y a des rencontres régulières et il n’y a plus de griefs qui traînent.
[136] Madame Baillargeon qualifie le conflit et les temps qui suivent de période sombre. Le retour au travail ne fut pas facile, il a fallu une période d’ajustement et il fut difficile d’arrimer tout cela.
Les autres agents stresseurs possibles
[137] D’avril à juin 1999, la travailleuse est hospitalisée en raison d’une complication de grossesse.
[138] À compter d’août 1999, d’un commun accord, la travailleuse et son conjoint vivent séparément. La travailleuse affirme avoir bien analysé et pensé à la situation pour prendre sa décision. En mars 2001, ils se sépareront définitivement.
[139] En janvier 2000, travailleuse est absente pour une période de cinq semaines, en raison du décès de son enfant malade. Les gens du Syndicat ne lui téléphonent pas. Elle fait son deuil. Elle affirme ne pas avoir de difficultés à en parler, ayant une vision particulière de la mort du fait que son père est mort jeune.
[140] Le ou vers le 25 octobre 2000, la travailleuse subit une lésion au niveau cervical au cours d’un accident d’automobile.
La preuve médicale
[141] La travailleuse témoigne que, depuis le printemps 2001, elle souffre de diverses affections physiques. En mai et juin 2001, elle diminue un peu ses heures de travail syndical. Elle prend rendez-vous, en juin, avec son médecin traitant, le docteur C. Pouliot. À ce moment, elle ne voit plus la lumière au bout du tunnel. Elle se rend compte qu’elle n’est plus capable de tous les sauver. Elle a beau être organisée, analytique, elle n’en peut plus, a des malaises physiques. Elle n’a pas dormi une nuit normale depuis une vingtaine de jours. Elle se sent « zombie ». Elle se sent hantée par la Maison-Mère, ne se sent plus capable de voir la Maison-Mère, ressent de la haine, ne se sent plus capable de faire tout ce travail syndical, n’y arrive plus.
[142] Le 21 juin 2001, la travailleuse a un rendez-vous avec le docteur Pouliot. Cependant, ce dernier doit quitter pour une urgence et la travailleuse rencontre plutôt le docteur S. Lanciault. Ce dernier émet un certificat médical de congé de maladie jusqu’au 29 juin suivant. Les notes de consultation de ce médecin sont versées au dossier. Elles font état de différents problèmes de santé physiques.
[143] Le 3 juillet 2001, la travailleuse rencontre le docteur Pouliot et lui relate son histoire. Il écrit que sa patiente est préposée aux bénéficiaires et fait du syndicalisme à la Maison-Mère. Il est question d’arbitrage, de harcèlement, de surmenage. Il note qu’elle fait de l’insomnie, qu’elle est anxieuse, qu’elle pleure. Il pose un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive, émet un rapport médical sur un formulaire de la CSST, prescrit un arrêt de travail et un suivi par un psychologue. Plus tard, il prescrira une médication anti-dépressive.
[144] Après son arrêt de travail, la travailleuse remet son téléphone cellulaire à la CSN, elle change son numéro de téléphone personnel et dit aux gens d’arrêter de lui téléphoner pour les affaires syndicales.
[145] Tout au long du suivi médical qu’il effectuera jusqu’en septembre 2002, le docteur Pouliot maintiendra le même diagnostic. Dans ses notes de consultation, il vérifiera et constatera la présence de symptômes de la lignée dépressive.
[146] Le 4 septembre 2002, le docteur Pouliot émet un rapport final fixant la date de consolidation en retenant le même diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive. Le docteur Pouliot atteste aussi de l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et de l’existence de limitations fonctionnelles qu’il décrit ainsi :
1) Éviter de travailler dans les communautés religieuses;
2) Éviter de travailler auprès des personnes en difficulté.
[147] D’autre part, les notes de consultation de la psychologue, madame Pascale Brillion, sont versées en preuve (pièce T-3).
[148] L’entrevue initiale, faite par madame Brillion, se déroule le 9 août 2001.
[149] Les motifs de consultation identifiés sont :
- en arrêt de travail depuis 21 juin - épuisée - présidente syndicat - préposée aux bénéficiaires - bcp de stress - arbitrage +++ - y pensait cstmnt - travaille là depuis 18A - prise ds tourbillon de griefs de ses membres (sic)
[150] Les éléments impliqués dans le déclenchement du problème, selon l’appréciation de la psychologue sont :
impuissance vs organisation injuste du travail
[151] Concernant les traits de personnalité, madame Brillion écrit :
- sentiment de justice
- organisatrice « femme forte »
- habite chez sa mère x sa fille
- rôle de sauveur
[152] Concernant les facteurs de stress supplémentaires, elle écrit :
- mort de son enfant en janv. 2000 (Kevin)
- séparation de son cjt en 2000
- injustice vs organisation du travail
[153] Aux termes de cette entrevue, madame Brillion conclut que la travailleuse souffre d’« épuisement professionnel ». Comme plan de traitements, elle envisage de l’aider à diminuer son sentiment de culpabilité et de la confronter à son rôle de sauveur.
[154] Sept rencontres suivront jusqu’au 21 mars 2002.
[155] Le 30 août 2001, il est question de grande fatigue, de stress occasionnel et un retour est fait sur les événements au travail.
[156] Le 20 septembre 2001, il est encore question de fatigue, d’intolérance à l’effort. La travailleuse a des images de son travail, des reviviscences de méchanceté de la Maison-Mère, elle ressent de la révolte, de l’injustice sollicitant ses valeurs de sauveur.
[157] Le 11 octobre 2001, la travailleuse se sent mieux mais elle doit aller témoigner dans des poursuites syndicales et cela la fatigue.
[158] Le 9 novembre 2001, la travailleuse est fatiguée. Elle vit un stress supplémentaire, soit la coupure de 36 postes à la Maison-Mère, son rôle de sauveur est mentionné.
[159] Le 21 décembre 2001, la travailleuse est épuisée, elle a eu la scarlatine. Elle ne s’est pas présentée à un comité syndical et se sent soulagée de ne plus avoir de poste à l’Exécutif. Il y a des tensions avec son dossier CSST. La travailleuse ressent de l’injustice, de l’épuisement, est fatiguée de se battre sans cesse.
[160] Le 31 janvier 2002, la travailleuse se sent encore très fatiguée. Une investigation sera faite au niveau de la glande thyroïde et du fer. Elle vit un « stress chronique lié à des difficultés avec les assurances - a du faire demande au BS ».
[161] Le 21 mars 2002, lors de la dernière rencontre, la travailleuse est triste, découragée, fatiguée. Elle a des problèmes avec l’assurance-emploi, vit de l’aide sociale, connaît un stress financier, se sent triste par rapport à sa vie, se sent piégée, vit de l’incertitude. Elle met fin aux rencontres, vu son manque de ressources financières.
[162] À l’audience, la travailleuse est questionnée par rapport à l’aspect de son plan de traitement visant à diminuer son sentiment de culpabilité. Elle explique qu’elle était le « sauveur du monde », qu’elle travaillait 80 heures par semaine, n’arrivait pas à en voir le bout. Les dossiers s’accumulaient et elle n’avait pas le temps d’écrire des notes dans les dossiers de griefs, ce qui causait des difficultés lorsque le temps arrivait de l’arbitrage. On ne lui a certes pas demandé de combler tous les postes mais il y avait tous ces dossiers à traiter. C’était impensable de ne pas le faire. Elle se sentait responsable.
[163] La travailleuse témoigne que l’agent stresseur qui a fait déborder le vase est la surcharge de travail syndical. Cette surcharge fut causée par l’absence des autres membres de l’Exécutif qu’elle devait remplacer et par les changements successifs de conseillers syndicaux. Elle voyait quelqu’un de l’Exécutif partir et cela la stressait. Elle voyait cela comme une montagne, elle voyait les heures de travail qui s’accumulaient. Il y avait toujours quelqu’un qui était absent et il y avait des dossiers très complexes à traiter. Elle affirme que si l’Exécutif avait été complet de juin 1999 à son arrêt de travail, elle ne serait pas tombée malade. D’ailleurs, durant le « lock-out », l’Exécutif était complet et elle n’a pas été malade.
L’AVIS DES MEMBRES
[164] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête au motif que la preuve démontre, de façon prépondérante, un contexte anormal de travail avec gradation constante des tâches en raison du remplacement nécessaire des autres membres de l’Exécutif. La preuve établit aussi que la travailleuse a montré une grande disponibilité dans son travail mais qu’on ne lui a pas fourni les outils nécessaires pour effectuer ses tâches syndicales, d’où le développement du trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive dont elle a souffert.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[165] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la lésion psychique diagnostiquée chez la travailleuse, le 3 juillet 2001, constitue une lésion professionnelle.
[166] Bien que la travailleuse ait cessé de travailler le 21 juin 2001 et que la CSST se soit prononcée quant à l’absence de lésion professionnelle à cette date, la Commission des lésions professionnelles précise qu’il y a plutôt lieu de retenir, comme date d’événement, celle du 3 juillet 2001, puisque ce n’est qu’à cette date qu’un diagnostic de lésion psychique est posé par le médecin traitant de la travailleuse, le docteur Pouliot.
[167] D’autre part, il est utile de rappeler que le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive, posé par ce médecin et non contesté, lie la Commission des lésions professionnelles aux fins de rendre la présente décision quant à l’admissibilité de cette réclamation.
La qualification de la lésion professionnelle
[168] Le diagnostic posé ne répond pas à la notion de blessure, de sorte que la présomption de lésion professionnelle, prévue à l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), ne s’applique pas.
[169] Ce diagnostic n’est pas prévu à l’annexe I de la loi, de sorte que la présomption de maladie professionnelle, prévue à l’article 29 de la loi, ne s’applique pas.
[170] La notion d’accident du travail est prévue à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[171] De longue date, la jurisprudence[2] assimile, à la notion d’accident du travail, la série d’événements qui paraissent bénins, lorsque pris isolément, mais qui, par leur superposition, deviennent significatifs. La jurisprudence[3] rajoute que ces événements doivent être des expériences traumatiques au plan psychique.
[172] La jurisprudence[4] précise aussi que, dans son appréciation de la preuve, le tribunal doit faire la distinction entre les facteurs endogènes qui relèvent notamment de la personnalité du travailleur et les facteurs exogènes qui sont les faits et les circonstances particulières qui ont pu causer la maladie.
[173] Le facteur exogène doit être un agent stresseur, hors de proportion, anormal par rapport à ce qu’un travailleur est en droit de s’attendre[5] :
De plus, il est à souligner que la jurisprudence a reconnu, à plusieurs reprises, qu’une surcharge de travail, une absence d’aide et de support de la part de l’employeur de même que des conditions de travail particulièrement stressantes pouvaient engendrer une lésion psychologique et de ce fait, constituer une lésion professionnelle s’associant à un accident du travail (…) ou à une maladie professionnelle (…). Toutefois, pour que le stress soit reconnu comme facteur causal de la lésion professionnelle, il doit être tel qu’il se situe hors de proportion et dépasse les capacités ou la préparation de celui qui le subit (…). L’appréciation de l’agent stresseur doit donc correspondre au critère d’anormalité, en ce sens qu’il y a lieu de s’attendre à ce qu’un travailleur tolère les aléas prévisibles qui sont inhérents à son travail et à son milieu (…).
[174] Plus récemment, la Commission des lésions professionnelles[6] écrit :
[…] il y a lieu d’appliquer la notion d’accident du travail à des circonstances inhabituelles, ponctuelles et limitées dans le temps, et de recourir à la notion de maladie professionnelles lorsqu’une maladie se développe à la suite de l’exposition à des agents stresseurs généralement présents dans le milieu de travail. […]
[175] En l’espèce, la notion d’accident du travail ne trouve pas application, puisque la preuve ne révèle pas la survenance d’une série d’événements significatifs par leur superposition ou encore des circonstances ponctuelles et limitées dans le temps, le tout pouvant constituer des expériences traumatiques au plan psychique.
[176] La problématique vécue par la travailleuse s’inscrit plutôt dans un contexte global[7] de travail s’échelonnant sur une longue période et, de l’avis de la soussignée, l’étude de cette réclamation doit se faire en fonction de la notion de maladie professionnelle reliée aux risques particuliers du travail exercé, selon les critères énoncés à l’article 30 de la loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
La surcharge de travail
[177] La preuve révèle que cette surcharge de travail est d’abord consécutive aux relations de travail tendues qui occasionnent de multiples recours. Puis, cette surcharge est le fait de l’absence successive et/ou simultanée des membres de l’Exécutif du Syndicat. Parallèlement, elle est le fait du changement fréquent des conseillers syndicaux et juridiques.
[178] La CSST soumet que, s’il y a eu surcharge de travail, celle-ci n’est pas contemporaine à la lésion psychique et à la réclamation. La Commission des lésions professionnelles ne retient pas cet argument puisqu’il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un traumatisme psychique survenu à un moment précis et à la suite duquel un diagnostic est posé de façon contemporaine. De plus, compte tenu de l’ensemble de la preuve, l’appréciation des faits à l’origine de la réclamation de la travailleuse ne doit pas se rattacher à la seule période contemporaine à la réclamation. Il y a lieu de considérer la situation globale de travail qui a prévalu depuis le conflit de travail et qui a mené à une surcharge chronique de travail et au trouble d’adaptation qui s’en est suivi.
Les relations de travail tendues occasionnant les multiples recours
[179] La preuve révèle, comme toile de fond, un conflit majeur de travail qui s’est échelonné sur une période de 18 mois et qui, malgré la signature d’une convention collective, s’est transformé en relations de travail tendues, ponctuées d’actions posées par la Maison-Mère et de recours logés par le Syndicat. Rappelons certains faits.
[180] En mars 1997, la convention collective vient à échéance. Les négociations n’aboutissent pas. Le climat de travail est tendu.
[181] En janvier 1998, la Maison-Mère décrète le « lock-out » qui durera 18 mois.
[182] Le 2 juin 1999, une nouvelle convention collective est signée avec protocole de retour au travail à compter du 8 juin 1999.
[183] Selon les témoignages de la travailleuse, de madame Plante, de madame Moreau et de madame Cournoyer, ce retour au travail pour les syndiqués fut difficile et plusieurs griefs furent logés.
[184] En août 1999, la Maison-Mère « abolit » 65 postes. Le Syndicat loge des recours.
[185] En octobre 1999, la Maison-Mère « annule » cette abolition de postes faite au mois d’août précédent. Puis, le même jour d’octobre 1999, la Maison-Mère « abolit » de nouveau 47 postes, en assignant les syndiqués à des postes où les titres d’emploi et les horaires sont modifiés. Le Syndicat loge d’autres griefs.
[186] En janvier 2000, la Maison-Mère « redonne » les postes visés en octobre 1999.
[187] Madame Baillargeon reconnaît que, pour l’année 1999, un grand nombre de griefs fut logé à compter du retour au travail. Cette année 1999 comporte seulement six mois puisque le retour au travail s’est effectué en juin. La liste des griefs réglés que madame Baillargeon dépose contient, pour les six mois de 1999, 352 griefs réglés. Il ne s’agit pas du total des griefs déposés. Cette preuve illustre l’importance du travail syndical effectué durant cette période.
[188] En 2000, la liste des griefs réglés en comprend 148. Il y a une diminution mais le nombre est encore important. Durant cette année 2000, de même que durant les six premiers mois de l’année 2001, la travailleuse est fort occupée à « monter les dossiers » en vue des arbitrages de griefs et des plaintes en vertu du Code du travail. Elle assiste les conseillers et procureurs dans la préparation des audiences et y assiste à titre de représentante du syndicat local. Dans certains dossiers, elle témoigne.
[189] Pour l’ensemble de la période, la travailleuse affirme qu’environ 700 griefs furent levés. En janvier/février 2001, lorsqu’elle vient en aide à la travailleuse pour identifier les griefs susceptibles d’être réglés, madame Moreau en compte 674. La liste des griefs réglés, déposée par madame Baillargeon, en compte environ 537. Puisque plusieurs griefs ne furent pas réglés et furent soumis en arbitrage, les chiffres avancés par la travailleuse et madame Moreau sont plausibles compte tenu des chiffres fournis par la Maison-Mère. Compte tenu de la durée de la période, la charge de travail syndical est importante.
[190] La travailleuse et certains témoins ont relaté les motifs pour lesquels des griefs furent logés, tentant d’en démontrer le bien-fondé. Madame Baillargeon a donné des explications justifiant les actions de l’employeur.
[191] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles n’a pas à juger des positions respectives des parties dans ce conflit de travail.
[192] La Commission des lésions professionnelles n’a aucune compétence pour juger du bien-fondé des griefs logés par le Syndicat. Non plus que pour juger du bien-fondé des actions de la Maison-Mère.
[193] La Commission des lésions professionnelles est cependant compétente pour constater que ce conflit majeur de travail qui, malgré la signature d’une convention collective et d’un protocole de retour au travail, s’est poursuivi dans les relations de travail et a occasionné un travail syndical considérable.
[194] Par son témoignage, madame Baillargeon, directrice à la Maison-Mère, tente de démontrer que le grand nombre de griefs logés est plutôt attribuable à la personnalité de la travailleuse, le nombre de griefs ayant grandement diminué après le départ de cette dernière, affirme-t-elle.
[195] Pour retenir un tel argument, il faudrait pouvoir conclure que les griefs furent logés inutilement. Or, tel qu’énoncé plus haut, la Commission des lésions professionnelles ne peut juger du bien-fondé des griefs logés. Quant aux raisons pour lesquelles les griefs ont diminué après le départ de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve à ce sujet est incomplète pour pouvoir en tirer des conclusions.
[196] Ainsi, ce que la Commission des lésions professionnelles retient de cette preuve, c’est le volume de travail syndical considérable accompli, majoritairement par la travailleuse qui coordonne alors l’ensemble des activités syndicales, de par ses fonctions de présidente, et qui remplace les membres de l’Exécutif absents, dont l’agente de griefs.
[197] Ceci est corroboré, pour la période s’étendant jusqu’à la fin de septembre 1999, par mesdames Plante, Moreau et Cournoyer. Ceci est corroboré, pour la période qui suit, par madame Moreau, sauf pour la période s’étendant de novembre 2000 à janvier ou février 2001, où elle n’est pas présente à l’Exécutif du Syndicat.
L’absence successive et/ou simultanée des membres de l’Exécutif du Syndicat
[198] À compter de septembre 1999, la travailleuse se voit contrainte de cumuler les fonctions au sein de l’Exécutif du Syndicat en raison de l’absence successive et/ou simultanée des autres membres. À toute fin pratique, c’est elle qui tient le fort de septembre 1999 au printemps 2001.
[199] Ainsi, à compter de septembre 1999, la travailleuse doit remplacer, dans ses fonctions, la trésorière, madame Cournoyer, qui éprouve des problèmes de santé et doit s’absenter. À la fin de septembre, madame Cournoyer quitte définitivement ses fonctions et la travailleuse la remplace jusqu’en décembre 1999.
[200] Simultanément, le 30 septembre 1999, l’agente de griefs, madame Plante, démissionne et la travailleuse la remplace.
[201] Donc, de septembre à décembre 1999, la travailleuse cumule les fonctions de présidente, agente de griefs et trésorière.
[202] De janvier à la mi-février 2000, la travailleuse s’absente. À son retour, elle cumulera de nouveau les fonctions de présidente et d’agente de griefs car madame Loiseau, qui a occupé le poste d’agente de griefs depuis décembre 1999, quitte pour cause de maladie.
[203] Dans les faits, en plus de ses tâches de présidente, la travailleuse exerce les principales tâches d’agente de griefs jusqu’à son départ en juin 2001, pour les raisons suivantes.
[204] De mars à juillet 2000, madame Céline Hanchay occupe le poste d’agente de griefs mais la travailleuse n’a pas le temps de la former adéquatement, de sorte que c’est la travailleuse qui fait principalement le travail et madame Hanchey l’assiste. Après le départ de madame Hanchey, la travailleuse assume seule les tâches d’agente de griefs jusqu’en janvier 2001. À compter de janvier 2001, elle demande l’aide de madame Moreau pour l’identification des griefs qui peuvent être réglés. La travailleuse continue d’assumer les principales tâches d’agente de griefs, notamment, c’est elle qui négocie avec la nouvelle directrice des ressources humaines, madame Ouellette, nommée en septembre 2000. Dans son témoignage, madame Moreau mentionne bien qu’elle « accompagne » la travailleuse lors de ces rencontres.
[205] Lorsqu’à partir de janvier 2001, madame Moreau exerce ces fonctions au poste d’agente de griefs, elle n’occupe plus ses fonctions au poste de secrétaire et c’est la travailleuse qui les assume.
[206] Entre-temps, la vice-présidente en santé et sécurité du travail étant congédiée depuis décembre 2000, la travailleuse la remplace au Comité sur l’équité salariale.
[207] Bien que monsieur Caron occupe le poste de trésorier depuis décembre 1999, la travailleuse s’aperçoit, en mars 2001, que la tenue de livre n’a pas été faite depuis un an. Elle doit reprendre le tout, faire la comptabilité, préparer les chèques, etc.
[208] La Commission des lésions professionnelles estime que cette preuve démontre, de façon prépondérante, que l’absence successive et parfois simultanée des autres membres de l’Exécutif a contribué à augmenter, de façon importante, la charge de travail de la travailleuse.
La possibilité de démissionner, le bénévolat et le professionnalisme
[209] Dans ses motifs de refus, la CSST invoque le fait que le poste de présidente de syndicat est un poste élu duquel la travailleuse aurait pu démissionner. Ainsi, dans les circonstances difficiles du cumul des tâches, la CSST soutient que la travailleuse aurait pu démissionner et, qu’à défaut, elle doit assumer une partie de sa surcharge de travail.
[210] La CSST invoque aussi le fait que les heures supplémentaires ont été faites par la travailleuse à titre de bénévolat car le salaire pour les tâches syndicales ne peut être plus élevé que celui du poste de préposée aux bénéficiaires. La CSST soutient que personne ne forçait la travailleuse à faire ce nombre d’heures de travail syndical.
[211] En tout respect, la Commission des lésions professionnelles considère que cette lecture des événements ne tient pas compte de la réalité du contexte de militantisme syndical dans lequel ils se déroulent. Juger des faits en dehors de leur contexte est susceptible d’en biaiser l’analyse.
[212] La CSST invoque la personnalité de « sauveur » de la travailleuse. La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’il s’agit simplement de traits de personnalité notés par la psychologue dans le cadre d’une thérapie de soutien. Aucun médecin - voire aucun psychiatre - n’a conclu que la travailleuse souffrait d’un trouble de la personnalité et que ce trouble serait à l’origine de la situation dans laquelle elle se serait mise elle-même.
[213] En supposant que la travailleuse présente des traits de personnalité de « sauveur », la Commission des lésions professionnelles estime que ceux-ci lui ont servi pour accomplir ses tâches syndicales.
[214] Après avoir entendu les témoignages crédibles de la travailleuse et de mesdames Plante, Moreau et Cournoyer, la Commission des lésions professionnelles est convaincue que c’est son sens du professionnalisme qui a incité la travailleuse à voir au bon fonctionnement du Syndicat malgré les absences des autres membres de l’Exécutif.
[215] La Commission des lésions professionnelles le répète, la preuve démontre un conflit majeur de travail, suivi de relations de travail tendues entre la Maison-Mère et ses employés syndiqués ainsi que le Syndicat. Deux parties ont interagi dans un ensemble de circonstances. Le tout a occasionné le travail syndical effectué. La preuve ne démontre pas, de façon prépondérante, que la travailleuse a généré tout ce travail syndical elle-même simplement en raison de certains traits de personnalité, s’il en est.
Les heures de travail
[216] La travailleuse témoigne que, durant la période en cause, elle effectuait de nombreuses heures de travail par semaine, en moyenne 80 heures par semaine, incluant le soir, les week-ends et les jours de congé.
[217] La travailleuse n’est pas en mesure de produire une preuve documentaire complète établissant le total de ses heures de travail. Ceci s’explique dans la mesure où il ne s’agit pas d’un poste où les heures de travail sont rigoureusement contrôlées par l’employeur, par exemple à l’aide d’un poinçon.
[218] La travailleuse a tenté de retracer, à l’aide de son agenda, les libérations syndicales payées par la Maison-Mère et par la CSN (pièce T-5). Cependant, elle n’y a pas noté toutes les heures supplémentaires non rémunérées. Afin de documenter davantage, la travailleuse a produit une partie de ses formulaires de frais réclamés auprès de la CSN (pièce T-7).
[219] L’agenda est un aide-mémoire et l’on ne peut reprocher, a posteriori, à la travailleuse de n’y avoir pas tout noté. La preuve documentaire appuie en bonne partie la preuve testimoniale crédible, composée des témoignages de la travailleuse ainsi que ceux de mesdames Plante, Moreau et Cournoyer, et qui établit que la travailleuse effectuait un nombre d’heures de travail syndical important, bien plus important qu’une semaine normale de travail. D’ailleurs, madame Baillargeon a reconnu que de 1999 à juin 2001, il y a eu un plus grand nombre de libérations syndicales.
Le soutien de l’employeur
[220] Durant toute la période en cause, la travailleuse a dû composer avec le changement fréquent des conseillers syndicaux et juridiques.
[221] Cette situation a eu pour effet d’imposer une charge de travail additionnelle à la travailleuse qui s’est vue, à chaque fois, obligée de recommencer à expliquer, au nouveau venu, le long et complexe dossier du Syndicat.
[222] Cette situation a aussi eu pour effet d’influer sur le moral de la travailleuse qui ne se sentait pas soutenue adéquatement et dont les demandes, faites auprès de la CSN pour obtenir l’aide d’un conseiller permanent, n’ont pas été retenues.
[223] La Commission des lésions professionnelles tient toutefois à préciser que les raisons pour lesquelles il y a eu ces changements de conseillers n’ont pas été mises en preuve et il n’appartient pas au présent tribunal d’en juger.
[224] Ce que la Commission des lésions professionnelles retient de cette preuve se rattache aux conséquences de ces changements de conseillers pour la travailleuse. Ces changements relativement fréquents, compte tenu de la période en cause, ont créé un manque de continuité dans la connaissance des dossiers de la part des conseillers et ont accru, de ce fait, les tâches de la travailleuse qui a dû recommencer ses explications à chaque fois.
[225] Quant à l’opportunité de nommer un conseiller permanent, il s’agit d’une décision qui relève de la discrétion de la CSN et de son mode de fonctionnement, questions qui ne relèvent pas de la compétence du présent tribunal.
La relation causale
[226] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve démontre, de façon prépondérante, que la travailleuse n’a pas su s’adapter à cette surcharge chronique de travail, d’où le trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive diagnostiqué par son médecin, le docteur Pouliot, le 3 juillet 2001.
[227] La preuve ne révèle aucun antécédent.
[228] L’agent stresseur principal, identifié par le docteur Pouliot et par la psychologue, madame Brillion, est la situation vécue au travail.
[229] Les autres stresseurs survenus dans la vie personnelle de la travailleuse et notés par madame Brillion, la séparation du conjoint et la mort d’un enfant, ne sont pas retenus par cette dernière comme facteur causal puisqu’elle conclut à un « épuisement professionnel ».
[230] La travailleuse a vécu ces stresseurs personnels mais aucune preuve prépondérante, factuelle ou médicale, ne démontre leur prévalence dans le développement de la lésion psychique.
[231] La CSST soulève la notion de facteur endogène, à savoir la personnalité de la travailleuse, comme étant à l’origine de la lésion.
[232] La Commission des lésions professionnelles s’est prononcée à ce sujet au chapitre de La possibilité de démissionner, le bénévolat et le professionnalisme. Elle réitère qu’en l’espèce, la preuve médicale ne démontre pas la présence d’un trouble de la personnalité. La seule preuve de l’identification de traits de personnalité n’est pas suffisante pour conclure à un facteur endogène responsable à lui seul de la lésion alors que, d’autre part, la preuve factuelle démontre une surcharge réelle de travail.
[233] La CSST fait référence à la sentence arbitrale du 24 mai 2001 qui rejette le grief de la travailleuse à la suite de la lettre de la Maison-Mère du 4 octobre 1999 et aux sentiments vécus par la travailleuse. La CSST soulève que le fait pour la travailleuse d’avoir perdu ce recours est une cause probable de la lésion.
[234] La Commission des lésions professionnelles estime que, s’il en est, ceci ne fait pas échec au lien de causalité avec le travail. Au contraire, ce recours fait partie des nombreuses tâches de travail assumées par la travailleuse, voire de la surcharge de travail en cause. Le fait que le grief de la travailleuse ait été retenu comme « cas type » ne permet pas de parler de cette cause comme s’il s’agissait de la seule cause personnelle de la travailleuse. Selon les explications de cette dernière, de nombreux autres griefs avaient été logés et attendaient le sort de cette cause pour être réglés. En ce sens, le fait d’avoir participé à préparer et loger ces recours, d’avoir assisté aux audiences en tant que témoin principal, d’avoir pris connaissance de la sentence arbitrale, d’en avoir été déçue et d’avoir ensuite informé les membres du Syndicat font partie intégrante des fonctions exercées par la travailleuse au sein de l’Exécutif de ce Syndicat.
Les conclusions
[235] La preuve démontre donc qu’à la suite d’un conflit majeur de travail, la travailleuse se retrouve dans une situation de surcharge de travail d’abord en raison des relations de travail tendues qui occasionnent la préparation et l’exercice de multiples recours.
[236] Ensuite, la surcharge provient du fait de devoir cumuler plus d’une fonction en raison de l’absence successive et/ou simultanée des autres membres de l’Exécutif et ce, sur une longue période.
[237] Enfin, cette surcharge provient du changement fréquent des conseillers syndicaux et juridiques, situation qui nécessite de reprendre à chaque fois de longues explications sur l’ensemble des dossiers.
[238] Le cumul de ces facteurs de stress fait en sorte que la situation dépasse largement le cadre normal des tâches de présidente d’un syndicat qui sont normalement des tâches de coordination.
[239] La situation atteint un point de chronicité, tant et si bien qu’en juin 2001, la travailleuse n’est plus en mesure de s’y adapter.
[240] Le trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive, diagnostiqué en date du 3 juillet 2001, par le docteur Pouliot, résulte des risques particuliers vécus par la travailleuse dans son travail de présidente du Syndicat.
[241] L’analyse de la preuve médicale dont les notes de consultation du docteur Pouliot et celles de la psychologue, madame Brillion, démontre que les agents stresseurs vécus au travail sont la cause de la lésion psychique diagnostiquée.
[242] Durant la même période, la travailleuse a connu d’autres agents stresseurs dans sa vie personnelle mais aucune preuve prépondérante n’établit qu’ils soient la cause ou qu’ils aient joué un rôle prépondérant dans l’apparition ou le développement de cette lésion psychique.
[243] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de la travailleuse et reconnaît qu’elle a souffert d’une maladie professionnelle au sens de l’article 30 de la loi. La travailleuse a donc droit aux prestations de la loi et la décision qui lui réclame un surpayé, pour les indemnités reçues durant les 14 premiers jours d’incapacité, doit être annulée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLEla requête de la travailleuse, madame Manon Gingras;
MODIFIE en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 juin 2002, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 3 juillet 2001;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 191232-63-0209
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Manon Gingras;
ANNULE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 septembre 2002, à la suite d’une révision administrative.
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Me Lina Crochetière |
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Commissaire |
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Madame Lyne Gingras |
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Représentante de la partie requérante |
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Monsieur Yves Sicotte |
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CSN |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Carole Bergeron |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Anglade et Communauté urbaine de Montréal, C.A.L.P. 00837-60-8609, 17 juin 1988, G. Godin; Gagnon et Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances et CSST, [1989] C.A.L.P. 769 ; Blagoeva et Commission de contrôle de l’énergie atomique, [1992] C.A.L.P. 898 , [1993] C.A.L.P. 60 (CS).
[3] Milroy et CECM, [1993] C.A.L.P. 1177 ; Welch et Groupe pharmaceutique Bristol Myers, [1993] C.A.L.P. 1470 , [1993] C.A.L.P. 1490 (CS), [1998] C.A.L.P. 553 (CA).
[4] Rhéaume et CSST et Revenu Canada, [1996] C.A.L.P. 139 , C.A.L.P. 43091-62-9208, 16 août 1996, A. Archambault.
[5] Saumure et Maison Le Ricochet, C.L.P. 139531-07-0005, 22 janvier 2002, M. Langlois.
[6] Roussel et Sûreté du Québec, [2003] C.L.P. 1294 .
[7] Mailhot et Garderie la Marmaille de Laval inc., C.L.P. 136579-64-0004, 20 avril 2001, G. Perreault; Tanguay et Prospection inc., C.L.P. 185969-31-0206, 7 octobre 2002, M. Carignan.
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