Décision

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COUR SUPRĂŠME DU CANADA

 

RĂ©fĂ©rence : Martin c. Alberta (Workers’ Compensation Board), 2014 CSC 25, [2014] 1 R.C.S. 546

Date : 20140328

Dossier : 35052

 

Entre :

Douglas Martin

Appelant

et

Workers’ Compensation Board of Alberta, Appeals Commission for Alberta

Workers’ Compensation et procureur général du Canada

Intimés

- et -

Workers’ Compensation Board of British Columbia, Commission de la santé et

de la sécurité du travail et Workers’ Compensation Board of Nova Scotia

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 Ă  63)

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell et Wagner)

 

Martin c. Alberta (Workers’ Compensation Board), 2014 CSC 25, [2014] 1 R.C.S. 546

Douglas Martin                                                                                                Appelant

c.

Workers’ Compensation Board of Alberta,

Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation

et procureur général du Canada                                                                         Intimés

et

Workers’ Compensation Board of British Columbia,

Commission de la santé et de la sécurité du travail et

Workers’ Compensation Board of Nova Scotia                                       Intervenants

Répertorié : Martin c. Alberta (Workers’ Compensation Board)

2014 CSC 25

No du greffe : 35052.

2013 : 10 décembre; 2014 : 28 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Accidents du travail — Droit à une indemnité — Demande d’indemnisation pour stress chronique présentée par un travailleur — Critères d’admissibilité à l’indemnité en cas de stress chronique imposés par la politique provinciale — La politique provinciale s’applique-t-elle à la détermination de l’admissibilité à l’indemnité prévue à la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État? — Y a-t-il un conflit entre la politique provinciale et la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État? — Le rejet de la demande était-il raisonnable? — Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G - 5, art. 2, 4 — Workers’ Compensation Act, R.S.A. 2000, ch. W-15, art. 1 — Workers’ Compensation Board of Directors’ Policy 03-01, Part II, Application 6.

                    M, un employé de Parcs Canada, a été informé que des mesures disciplinaires seraient prises s’il ne répondait pas de manière satisfaisante à une demande présentée en vertu de la législation sur l’accès à l’information.  M a prétendu que la lettre avait provoqué chez lui des troubles psychologiques, après les années de stress causé par un autre problème en milieu de travail.  Il a présenté une demande d’indemnisation pour stress chronique.

                    Aux termes de l’art. 4 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5 (LIAÉ), les travailleurs fédéraux blessés au travail ont droit à une indemnité aux taux et conditions fixés par la législation de la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions, et l’indemnité est déterminée par l’autorité — personne ou organisme — compétente en la matière conformément à la législation provinciale. Dans la LIAÉ et dans la Workers’ Compensation Act, R.S.A. 2000, ch. W-15 (WCA), le terme « accident » est défini et s’entend notamment d’un acte délibéré accompli par une autre personne que le demandeur et d’un événement fortuit ayant une cause physique ou naturelle.  La politique 03-01, partie II, Application 6 de l’Alberta Workers’ Compensation Board of Directors (Politique), prise en vertu de la WCA, énumère quatre critères auxquels il doit être satisfait pour que le droit à l’indemnité soit reconnu dans le cas d’une demande pour stress chronique.  Aux termes des troisième et quatrième critères, les événements liés au travail doivent être excessifs ou inusités par rapport aux pressions et tensions normales auxquelles le travailleur moyen occupant un emploi semblable est assujetti et les événements doivent être confirmés de manière objective.

                    La demande de M a été rejetée par l’Alberta Workers’ Compensation Board, le Dispute Resolution and Decision Review Body et l’Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation (Commission) au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux troisième et quatrième critères énumérés à la Politique.  À l’issue d’un contrôle judiciaire, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta était d’avis que le par. 4(1) de la LIAÉ constitue un code complet régissant l’admissibilité des travailleurs fédéraux à l’indemnité et a conclu à l’inapplicabilité de la Politique provinciale.  Elle a renvoyé l’affaire à la Commission pour décision en application de la LIAÉ seulement.  La Cour d’appel de l’Alberta, concluant que la Politique provinciale s’appliquait, a rétabli la décision de la Commission.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    En adoptant la LIAÉ, le législateur entendait que les autorités provinciales compétentes statuent sur les demandes d’indemnisation des agents de l’État fédéral — y compris le droit à l’indemnité et les taux d’indemnisation — selon la législation provinciale, sauf lorsque la LIAÉ entre clairement en conflit avec la législation provinciale.  Dans les cas où le législateur entendait prévoir des conditions différentes, il l’a fait expressément.  Lorsqu’une disposition ou une politique provinciale entre directement en conflit avec la LIAÉ, cette dernière prime et rend inapplicable la disposition ou la politique provinciale aux travailleurs fédéraux.  Une telle interprétation repose sur le texte de l’art. 4, l’économie et l’historique législatif de la LIAÉ et les déclarations d’intention du législateur.

                    En l’espèce, l’interprétation de ce qui constitue un « accident » pour le traitement d’une demande d’indemnisation pour stress psychologique énoncée à la Politique albertaine n’entre pas en conflit avec la LIAÉ.  La définition ouverte et souple du terme « accident » qui figure à la LIAÉ témoigne de l’intention du législateur de déléguer aux autorités provinciales l’administration du régime d’indemnisation et permet aux différentes provinces de prévoir des règles d’admissibilité différentes.  Pour déterminer si le stress chronique dont souffre un travailleur résultait d’un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, il n’est pas incompatible avec la LIAÉ ni déraisonnable de la part de l’Alberta d’exiger que les événements liés au travail soient excessifs ou inusités par rapport aux pressions et tensions normales auxquelles le travailleur moyen occupant un emploi semblable est assujetti et que les événements aient été confirmés de manière objective.  Ces exigences témoignent simplement de l’interprétation qu’a donnée l’Alberta du terme « accident » dans le contexte des demandes fondées sur le stress psychologique.

                    La décision de la Commission, qui a refusé d’accorder l’indemnité en l’espèce, était raisonnable.  Il lui était loisible de conclure que la cause prédominante de l’atteinte psychologique de M était sa réaction à la lettre de son employeur lui intimant de donner suite à une demande d’accès à l’information.  Cet ordre n’était pas excessif ni inusité par rapport aux pressions et tensions normales s’exerçant dans un emploi semblable.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : Rees c. Royal Canadian Mounted Police, 2005 NLCA 15, 246 Nfld. & P.E.I.R. 79, autorisation d’appel rejetée, [2005] 2 R.C.S. x; Stewart c. Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail, 2008 NBCA 45, 331 R.N.-B. (2e) 278; Canada Post Corp. c. Smith (1998), 40 O.R. (3d) 97, autorisation de pourvoi refusée, [1998] 3 R.C.S. v; Thomson c. Workers’ Compensation Appeals Tribunal, 2003 NSCA 14, 212 N.S.R. (2d) 81; Canadian Broadcasting Corp. c. Luo, 2009 BCCA 318, 273 B.C.A.C. 203; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Cape Breton Development Corp. c. Morrison Estate, 2003 NSCA 103, 218 N.S.R. (2d) 53, autorisation d’appel refusée, [2004] 1 R.C.S. vii; McLellan c. Workers’ Compensation Appeals Tribunal, 2003 NSCA 106, 218 N.S.R. (2d) 176; Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53; Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés.

Loi ayant pour objet d’accorder une indemnité lorsque des employés de Sa Majesté sont tués ou blessés dans l’exécution de leurs devoirs, S.C. 1918, ch. 15, art. 1(1).

Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 14.

Loi de 1947 sur l’indemnisation des employés de l’État, S.C. 1947, ch. 18, art. 2(1) « accident », 3(1).

Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, L.O. 1997, ch. 16, ann. A, art. 126, 161.

Loi modifiant la Loi d’indemnisation des employés de l’État, S.C. 1931, ch. 9, art. 2.

Loi modifiant la Loi sur l’indemnisation des employés de l’État, S.C. 1955, ch. 33, art. 2.

Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5, art. 2 « accident », 4(1), (2), (3).

Loi sur l’indemnisation des travailleurs, L.Nu. 2007, ch. 15, art. 31(2).

Loi sur l’indemnisation des travailleurs, L.T.N.-O. 2007, ch. 21, art. 91(3).

Loi sur la Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail, L.N.-B. 1994, ch. W-14, art. 7f).

Loi sur les accidents du travail, C.P.L.M., ch. W200, art. 51.1(1)a).

Loi sur les accidents du travail, L.Y. 2008, ch. 12, art. 3 « politique », 18.

Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, ch. A-3.001, art. 382, 454.

Règlements concernant l’indemnisation des employés de l’État, 1948 (Tuberculose pulmonaire), DORS/48-573.

Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 492, art. 99(2).

Workers Compensation Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. W-7.1, art. 30(1).

Workers’ Compensation Act, R.S.A. 2000, ch. W-15, art. 1(1) « accident », 8(3)(c), (d), 13.2(6).

Workers’ Compensation Act, S.N.S. 1994-95, ch. 10, art. 183.

Workers’ Compensation Act, 2013, S.S. 2013, ch. W-17.11, art. 23(2).

Workplace Health, Safety and Compensation Act, R.S.N.L. 1990, ch. W-11, art. 5(1)(a).

Doctrine et autres documents cités

Alberta.  Workers’ Compensation Board.  Policies and Information Manual, Claimant & Health Care Services Policies (online :  http://www.wcb.ab.ca/public/policy/manual/claimant.asp).

Canada.  Chambre des communes.  Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2e sess., 22e lég., 28 février 1955, p. 1648.

Canada.  Chambre des communes.  Débats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 20e lég., 27 mars 1947, p. 1818.

Canada.  Chambre des communes.  Débats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 20e lég., 31 mars 1947, p. 1886, 1888, 1891.

Canada.  Chambre des communes.  Débats de la Chambre des communes, vol. II, 6e sess., 21e lég., 7 mai 1952, p. 2103.

Canada.  Chambre des communes.  Débats de la Chambre des communes, vol. 132, 1re sess., 13e lég., 16 avril 1918, p. 857.

Driedger, Elmer A.  Construction of Statutes, 2nd ed.  Toronto : Butterworths, 1983.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (la juge en chef Fraser et les juges Watson et McDonald), 2012 ABCA 248, 65 Alta. L.R. (5th) 220, 536 A.R. 121, 559 W.A.C. 121, 353 D.L.R. (4th) 499, [2012] 11 W.W.R. 1, 1 C.C.E.L. (4th) 193, [2012] A.J. No. 879 (QL), 2012 CarswellAlta 1444, qui a accueilli l’appel interjeté d’une décision du juge Ouellette, 2010 CarswellAlta 2817, qui avait infirmé la décision de l’Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation, 2009 CanLII 66292, et ordonné une nouvelle audience.  Pourvoi rejeté.

                    Andrew Raven, Andrew Astritis et Amanda Montague-Reinholdt, pour l’appelant.

                    Douglas R. Mah, c.r., et Ron Goltz, pour l’intimé Workers’ Compensation Board of Alberta.

                    Sandra Hermiston, pour l’intimée Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation.

                    John S. Tyhurst, pour l’intimé le procureur général du Canada.

                    Laurel M. Courtenay et Scott A. Nielsen, pour l’intervenant Workers’ Compensation Board of British Columbia.

                    Pierre-Michel Lajeunesse et Lucille Giard, pour l’intervenante la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

                    Roderick (Rory) H. Rogers, c.r., et Madeleine F. Hearns, pour l’intervenant Workers’ Compensation Board of Nova Scotia.


 

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    La juge Karakatsanis —

I.               Introduction et survol

[1]                              L’appelant, un employĂ© de Parcs Canada, a prĂ©sentĂ© une demande d’indemnisation pour accident du travail.  Aux termes de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5 (LIAÉ), les travailleurs fĂ©dĂ©raux blessĂ©s au travail ont droit Ă  une indemnitĂ© « aux taux et conditions » fixĂ©s par la lĂ©gislation de la province oĂą l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions (par. 4(1) et (2)).  L’indemnitĂ© est dĂ©terminĂ©e par « l’autoritĂ© — personne ou organisme — compĂ©tente en la matière » conformĂ©ment Ă  la lĂ©gislation provinciale (par. 4(3)).  L’Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation (Commission) a rejetĂ© la demande de l’appelant (2009 CanLII 66292)  au motif qu’elle ne satisfaisait pas Ă  tous les critères Ă©numĂ©rĂ©s Ă  la Alberta Workers’ Compensation Board of Directors’ Policy 03-01, partie II, Application 6 (Politique), prise en vertu de la Workers’ Compensation Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. W-15 (WCA).  La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que la Politique provinciale s’appliquait, et elle a rĂ©tabli la dĂ©cision de la Commission, qui avait rejetĂ© la demande de M. Martin.

[2]                              Le pourvoi pose principalement la question de savoir si la LIAÉ exige que les organismes provinciaux dĂ©terminent le droit Ă  l’indemnitĂ© en appliquant la lĂ©gislation et les politiques provinciales.  Les cours d’appel provinciales ont rendu des dĂ©cisions divergentes sur ce point.  Certaines ont conclu que la LIAÉ constitue un code complet rĂ©gissant l’admissibilitĂ© des travailleurs fĂ©dĂ©raux Ă  l’indemnitĂ©[1].  D’autres, telle la Cour d’appel de l’Alberta en l’espèce, ont jugĂ© que l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© sous le rĂ©gime de la LIAÉ obĂ©it aux règles provinciales[2].

[3]                              Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.  Suivant la LIAÉ, les autoritĂ©s provinciales compĂ©tentes doivent appliquer la lĂ©gislation et les politiques en vigueur dans leur province, dans la mesure oĂą celles-ci n’entrent pas en conflit avec les dispositions de la loi fĂ©dĂ©rale.  J’estime que la dĂ©cision de la Commission, qui a rejetĂ© la demande, Ă©tait raisonnable.

II.            Les faits

[4]                              L’appelant, M. Douglas Martin, a Ă©tĂ© engagĂ© Ă  titre de garde de parc par Parcs Canada en 1973.  En 2000, il a dĂ©posĂ© contre son employeur une plainte en matière de santĂ© et sĂ©curitĂ© au travail, exigeant le port d’armes pour les gardes lorsqu’ils accomplissent des fonctions d’application de la loi.  Cette plainte a donnĂ© lieu Ă  diverses procĂ©dures au sein de l’organisation, recours judiciaires et appels.  L’appelant a estimĂ© que son rĂ´le directeur dans ce diffĂ©rend lui avait fait perdre des occasions professionnelles, de formation et d’avancement.

[5]                              En juin 2006, Parcs Canada a reçu une demande prĂ©sentĂ©e en vertu de la lĂ©gislation sur l’accès Ă  l’information et a enjoint Ă  l’appelant de communiquer des renseignements au sujet de donnĂ©es contenues dans son ordinateur de travail pour lui permettre de rĂ©pondre Ă  cette demande.  Jugeant la rĂ©ponse insatisfaisante, Parcs Canada a informĂ© l’appelant, dans une lettre qu’il a reçue le 18 dĂ©cembre, que des mesures disciplinaires seraient prises s’il ne la complĂ©tait pas au plus tard le 13 dĂ©cembre (soit cinq jours avant la rĂ©ception de la lettre).

[6]                              L’appelant, qui avait dĂ©jĂ  une rĂ©primande Ă  son dossier, craignait que la prochaine mesure disciplinaire ne prenne la forme d’un renvoi.  PrĂ©tendant que la lettre avait provoquĂ© chez lui des troubles psychologiques, après les annĂ©es de stress causĂ© par le diffĂ©rend relatif Ă  la santĂ© et la sĂ©curitĂ© au travail, il a pris un congĂ© de maladie Ă  compter du 23 dĂ©cembre 2006, a consultĂ© des professionnels de la santĂ© en vue d’obtenir un traitement et, le mois suivant, a prĂ©sentĂ© une demande d’indemnisation pour stress chronique.

III.          Historique judiciaire

[7]                              La demande de l’appelant a Ă©tĂ© rejetĂ©e Ă  trois paliers de la procĂ©dure d’indemnisation des accidents du travail — l’Alberta Workers’ Compensation Board (WCB), le Dispute Resolution and Decision Review Body et la Commission — au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux critères Ă©numĂ©rĂ©s Ă  la Politique quant au stress chronique.  Plus particulièrement, la Commission a conclu que les troisième et quatrième critères de la Politique provinciale, Ă  savoir [traduction] « les Ă©vĂ©nements liĂ©s au travail sont excessifs ou inusitĂ©s par rapport aux pressions et tensions normales auxquelles le travailleur moyen occupant un emploi semblable est assujetti » et « les Ă©vĂ©nements ont Ă©tĂ© confirmĂ©s de manière objective », n’étaient pas remplis (Recueil de sources de l’appelant, p. 56).

[8]                              Ă€ l’issue d’un contrĂ´le judiciaire, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, concluant Ă  l’inapplicabilitĂ© de la Politique, a annulĂ© la dĂ©cision et renvoyĂ© l’affaire Ă  la Commission.  Selon la cour, l’appelant Ă©tant un agent de l’État fĂ©dĂ©ral, son admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© Ă©tait rĂ©gie par la LIAÉ seulement, laquelle visait Ă  garantir l’application des mĂŞmes règles Ă  tous les agents de l’État fĂ©dĂ©ral au Canada.  Les troisième et quatrième critères d’admissibilitĂ© Ă©noncĂ©s Ă  la Politique prĂ©sentaient d’autres obstacles illĂ©gitimes et incompatibles avec la LIAÉ.

[9]                              La Cour d’appel de l’Alberta (2012 ABCA 248, 65 Alta. L.R. (5th) 220 (la juge en chef Fraser et les juges Watson et McDonald)) a rĂ©tabli la dĂ©cision de la Commission (par. 84).  Les juges majoritaires Ă©taient d’avis que le lĂ©gislateur avait eu l’intention de s’en remettre aux critères provinciaux d’admissibilitĂ© et que ceux Ă©noncĂ©s Ă  la Politique n’entraient pas en conflit avec la LIAÉ (par. 4-8, 30-33, 35-47 et 51).

IV.         Analyse

A.            Questions en litige

[10]                          Le pourvoi soulève trois questions.  Premièrement, la Commission est-elle habilitĂ©e Ă  dĂ©terminer l’admissibilitĂ© Ă  une indemnitĂ© prĂ©vue par la LIAÉ en fonction d’une politique provinciale?  Deuxièmement, si c’est le cas, la Politique en cause entre-t-elle en conflit avec la dĂ©finition d’« accident » Ă©noncĂ©e Ă  la LIAÉ? Enfin, la dĂ©cision de la Commission, qui a rejetĂ© la demande d’indemnisation, Ă©tait-elle raisonnable en l’espèce?

B.            Norme de contrĂ´le

[11]                          La norme de contrĂ´le applicable en l’espèce est celle de la dĂ©cision raisonnable.  L’article 4 de la LIAÉ investit les provinces d’un large pouvoir dĂ©cisionnel relativement aux demandes d’indemnisation des travailleurs fĂ©dĂ©raux, ce qui a pour effet d’assimiler la LIAÉ Ă  une loi « constitutive » des tribunaux administratifs provinciaux.  Comme la question de droit en cause ne revĂŞt pas une importance capitale pour le système juridique et relève bel et bien de l’expertise des organes d’indemnisation des accidents du travail, la prĂ©somption d’application de la norme de la dĂ©cision raisonnable lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi « constitutive » n’est pas rĂ©futĂ©e (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 30).  Comme je l’explique plus loin, le lĂ©gislateur entendait que les provinces se prononcent en gĂ©nĂ©ral sur les demandes en fonction de la lĂ©gislation provinciale, ce qui ouvre la possibilitĂ© d’une application de la LIAÉ diffĂ©rente dans chaque province.

[12]                          La dĂ©cision de la Commission, un tribunal spĂ©cialisĂ©, sur la demande d’indemnisation de M. Martin en l’espèce, qui fait intervenir une question mixte de fait et de droit, commande la dĂ©fĂ©rence.

C.            Dispositions lĂ©gislatives applicables

[13]                          Les dispositions pertinentes de la LIAÉ et de la WCA sont ainsi libellĂ©es :

Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« accident » Sont assimilés à un accident tout fait résultant d’un acte délibéré accompli par une autre personne que l’agent de l’État ainsi que tout événement fortuit ayant une cause physique ou naturelle.

. . .

                              4. (1) [Ayants droit]  Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, il est versé une indemnité :

                              a)   aux agents de l’État qui sont :

                                      (i)       soit blessés dans un accident survenu par le fait ou à l’occasion de leur travail,

                                      (ii)      soit devenus invalides par suite d’une maladie professionnelle attribuable à la nature de leur travail;

                              b)   aux personnes à charge des agents décédés des suites de l’accident ou de la maladie.   

                              (2)    [Taux et conditions]  Les agents de l’État visés au paragraphe (1), quelle que soit la nature de leur travail ou la catégorie de leur emploi, et les personnes à leur charge ont droit à l’indemnité prévue par la législation — aux taux et conditions qu’elle fixe — de la province où les agents exercent habituellement leurs fonctions en matière d’indemnisation des travailleurs non employés par Sa Majesté — et de leurs personnes à charge, en cas de décès — et qui sont :

                              a)   soit blessés dans la province dans des accidents survenus par le fait ou à l’occasion de leur travail;

                              b)   soit devenus invalides dans la province par suite de maladies professionnelles attribuables à la nature de leur travail.

                              (3) [Compétence]  L’indemnité est déterminée :

                              a)   soit par l’autorité — personne ou organisme — compétente en la matière, pour les travailleurs non employés par Sa Majesté et leurs personnes à charge, en cas de décès, dans la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions;

                              b)   soit par l’autorité, judiciaire ou autre, que désigne le gouverneur en conseil.

Workers’ Compensation Act, R.S.A. 2000, ch. W-15

                    [traduction]

                    1(1)    [Définitions] Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

(a)    « accident » Accident survenu du fait et au cours d’un emploi dans une industrie assujettie à la présente loi.  La présente définition s’entend également :

(i)     de l’acte délibéré accompli par une autre personne que le travailleur accidenté,

(ii)    de tout événement fortuit ayant une cause physique ou naturelle,

(iii)   d’une incapacité,

(iv)   d’un trouble invalidant ou potentiellement invalidant causé par une maladie professionnelle.

D.            La Politique provinciale rĂ©git-elle l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© prĂ©vue Ă  la LIAÉ?

[14]                          Le pourvoi porte principalement sur la nature du rapport entre la LIAÉ et les lois provinciales sur les accidents du travail : il soulève la question de savoir si les lois provinciales en la matière, notamment la WCA de l’Alberta, rĂ©gissent l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© que prĂ©voit la LIAÉ, et, si c’est le cas, dans quelles circonstances.

(1)         Arguments des parties

[15]                          Selon l’appelant, l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© est entièrement rĂ©gie par le par. 4(1) de la LIAÉ.  Le lĂ©gislateur entendait assujettir tous les agents de l’État fĂ©dĂ©ral Ă  la mĂŞme norme d’admissibilitĂ©, mais laisser le soin Ă  la province de dĂ©terminer le montant de l’indemnitĂ©.  Ainsi, le travailleur visĂ© par la LIAÉ qui est blessĂ© dans un accident du travail a droit Ă  une indemnitĂ©, indĂ©pendamment des critères d’admissibilitĂ© prĂ©vus par les lois ou politiques provinciales.  Si les lois provinciales rĂ©gissaient l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ©, le par. 4(1) et la dĂ©finition d’« accident » prĂ©vue Ă  la LIAÉ feraient double emploi.  La question est plutĂ´t celle de savoir si le stress constitue un « accident » au sens de la LIAÉ.

[16]                          Le WCB, intimĂ© en l’espèce, soutient pour sa part que le pouvoir de dĂ©terminer l’indemnitĂ© Ă  laquelle ont droit les agents de l’État fĂ©dĂ©ral qui lui est confĂ©rĂ© Ă  l’art. 4 de la LIAÉ comprend celui de formuler des politiques Ă  ce sujet, notamment des politiques sur l’admissibilitĂ©.  La LIAÉ Ă©tablit un rĂ©gime d’indemnisation efficace des agents de l’État fĂ©dĂ©ral s’harmonisant avec celui des travailleurs de la province, et les rapports entre la LIAÉ et la WCA constituent un bel exemple de fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif.  Le paragraphe 4(2), portant que les agents de l’État fĂ©dĂ©ral ont droit Ă  l’indemnitĂ© « aux taux et conditions » prĂ©vus pour les travailleurs de la province, vise autant le droit Ă  l’indemnitĂ© que le montant de cette dernière.

[17]                          Le procureur gĂ©nĂ©ral du Canada, intimĂ© en l’espèce, soutient quant Ă  lui que le lĂ©gislateur avait l’intention d’incorporer par renvoi la lĂ©gislation provinciale dans la LIAÉ afin qu’elle s’applique Ă  la dĂ©termination de l’admissibilitĂ© et du taux d’indemnisation.  Il entendait ainsi Ă©tablir la paritĂ© entre les travailleurs au sein d’une mĂŞme province et s’en remettre Ă  la lĂ©gislation et Ă  l’administration provinciales.  Lorsqu’il a voulu Ă©tablir des distinctions entre des dispositions de la LIAÉ et les lois provinciales, le lĂ©gislateur l’a fait expressĂ©ment.  Par consĂ©quent, les questions relatives Ă  l’indemnitĂ© sont dĂ©terminĂ©es en fonction de la lĂ©gislation provinciale, sauf dans les rares cas oĂą elle entre en conflit avec la LIAÉ. 

(2)         Analyse

[18]                          [traduction] « [I]l faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du lĂ©gislateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e Ă©d. 1983), p. 87).

[19]                          Pour les motifs exposĂ©s ci-dessous, j’estime que la Commission devait appliquer la lĂ©gislation et les politiques provinciales pour se prononcer sur le droit d’un agent de l’État visĂ© par la LIAÉ Ă  l’indemnitĂ© et sur le taux d’indemnisation. La LIAÉ incorpore par renvoi les rĂ©gimes provinciaux d’indemnisation des accidents du travail, dans la mesure oĂą ils n’entrent pas en conflit avec ses dispositions.  Elle Ă©tablit un système efficace qui favorise l’uniformitĂ© de sorte que les travailleurs au sein d’une mĂŞme province — agents de l’État fĂ©dĂ©ral ou autres — sont gĂ©nĂ©ralement indemnisĂ©s selon les mĂŞmes taux et conditions.  Dans les cas oĂą le lĂ©gislateur entendait prĂ©voir des conditions diffĂ©rentes, il l’a fait expressĂ©ment.

a)      Le texte et l’économie des dispositions

[20]                          Le paragraphe 4(1) de la LIAÉ est une disposition gĂ©nĂ©rale Ă©nonçant qu’une indemnitĂ© est versĂ©e aux agents de l’État blessĂ©s dans un accident du travail ou Ă  leurs personnes Ă  charge en cas de dĂ©cès : « Sous rĂ©serve des autres dispositions de la prĂ©sente loi, il est versĂ© une indemnitĂ© [. . .] aux agents de l’État qui sont [. . .] soit blessĂ©s dans un accident survenu par le fait ou Ă  l’occasion de leur travail . . . »  À mon avis, il ne ressort pas de ce libellĂ© que la disposition constitue un code complet rĂ©gissant l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ©.  L’indemnitĂ© est subordonnĂ©e Ă  l’application des autres dispositions (« [s]ous rĂ©serve des autres dispositions de la prĂ©sente loi »).  Les mots « admissibilitĂ© » et « droit » ne figurent pas au par. 4(1).  Les notes marginales ne font pas partie de la disposition ni n’en dĂ©terminent le sens (Loi d’interprĂ©tation, L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 14).

[21]                          L’agent doit avoir Ă©tĂ© blessĂ© dans un « accident », mais la dĂ©finition large et non limitative de ce terme, qui figure Ă  l’art. 2 de la LIAÉ, ne donne que deux exemples de catĂ©gories d’évĂ©nements constituant des accidents.  « Sont assimilĂ©s » Ă  un accident le fait rĂ©sultant d’un « acte dĂ©libĂ©rĂ© » d’une autre personne et l’« Ă©vĂ©nement fortuit ».  Ni la dĂ©finition ni le par. 4(1) n’énoncent de norme ou de règle permettant de dĂ©terminer quelles catĂ©gories de « fait[s] » ou d’« Ă©vĂ©nement[s] » peuvent constituer un « accident », quand ils surviennent « par le fait ou Ă  l’occasion [du] travail » ou quand un agent de l’État est blessĂ© « dans » un accident.

[22]                          ConsidĂ©rĂ© dans son ensemble et Ă  la lumière de son contexte, l’art. 4 Ă©taye l’interprĂ©tation selon laquelle les critères d’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© ne sont pas prĂ©cisĂ©s dans la LIAÉ et il ressortit aux autoritĂ©s provinciales de les dĂ©terminer, conformĂ©ment Ă  la lĂ©gislation provinciale sur les accidents du travail.

[23]                          Premièrement, le par. 4(2) prĂ©voit que les agents de l’État fĂ©dĂ©ral visĂ©s par la LIAÉ « ont droit Ă  l’indemnitĂ© prĂ©vue par la lĂ©gislation — aux taux et conditions qu’elle fixe — de la province oĂą les agents exercent habituellement leurs fonctions ».  Ainsi, tous les travailleurs au sein d’une province jouissent de droits parallèles.  Puisque les provinces ont compĂ©tence pour lĂ©gifĂ©rer en matière d’indemnisation des accidents du travail, le par. 4(2) prĂ©voit la possibilitĂ© que les agents de l’État fĂ©dĂ©ral bĂ©nĂ©ficient de « taux » et « conditions » diffĂ©rents selon la lĂ©gislation applicable dans la province oĂą ils exercent leurs fonctions.  Par consĂ©quent, c’est Ă  l’échelle de la province, non pas Ă  l’échelle du pays et du groupe des agents de l’État fĂ©dĂ©ral, que l’uniformitĂ© est favorisĂ©e.

[24]                          Il ne serait guère logique que le rĂ©gime provincial dicte les taux et les conditions applicables sans rĂ©gir Ă©galement les critères d’admissibilitĂ©, puisque ces aspects du rĂ©gime sont inĂ©vitablement interreliĂ©s.  Les « conditions » Ă  respecter pour obtenir le versement de l’indemnitĂ© dĂ©terminent si un agent de l’État y aura droit.  En consĂ©quence, le « droit » Ă  l’indemnitĂ©, prĂ©vu au par. 4(2), aux « conditions » fixĂ©es par la lĂ©gislation de la province oĂą l’agent de l’État fĂ©dĂ©ral exerce ses fonctions, indique qu’il y a droit dans les mĂŞmes circonstances que les autres travailleurs de la province.  Comme je le fais remarquer plus loin, il appert clairement de l’historique lĂ©gislatif que la mention des « conditions qu’elle [la lĂ©gislation de la province] fixe », avait pour objet de prĂ©ciser que les conditions d’admissibilitĂ© applicables aux agents de l’État en vertu de la LIAÉ sont les mĂŞmes que celles que prĂ©voit le rĂ©gime provincial.

[25]                          En outre, le parallĂ©lisme du libellĂ© des par. 4(1) et (2) dĂ©montre que l’admissibilitĂ© des agents de l’État fĂ©dĂ©ral obĂ©it au rĂ©gime provincial.  Aux termes du par. 4(1), les agents de l’État fĂ©dĂ©ral touchent une indemnitĂ© s’ils sont « blessĂ©s dans un accident survenu par le fait ou Ă  l’occasion de leur travail ».  Le paragraphe 4(2) Ă©nonce que les agents de l’État fĂ©dĂ©ral ont droit Ă  l’indemnitĂ© prĂ©vue par la lĂ©gislation de la province en matière d’indemnisation des travailleurs sous responsabilitĂ© provinciale qui sont « blessĂ©s dans la province dans des accidents survenus par le fait ou Ă  l’occasion de leur travail ».  Cette correspondance des Ă©noncĂ©s laisse entendre que les agents de l’État fĂ©dĂ©ral sont indemnisĂ©s dans les mĂŞmes circonstances que les autres travailleurs de la province oĂą ces agents exercent leurs fonctions, lorsqu’ils sont blessĂ©s dans un accident « survenu par le fait ou Ă  l’occasion de leur travail ».

[26]                          Le paragraphe 4(3) dispose que « [l]’indemnitĂ© est dĂ©terminĂ©e [. . .] par l’autoritĂ© — personne ou organisme — compĂ©tente en la matière, pour les travailleurs [qui relèvent de la compĂ©tence provinciale] dans la province ».  Cette disposition, comme le par. 4(2), prĂ©voit la possibilitĂ© que les autoritĂ©s compĂ©tentes procèdent diffĂ©remment Ă  la dĂ©termination de l’indemnitĂ© d’une province Ă  l’autre.

[27]                          Ainsi, le texte de la LIAÉ laisse entendre que le par. 4(1) n’établit pas de critère complet en matière d’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ©; il Ă©nonce simplement que les travailleurs fĂ©dĂ©raux blessĂ©s dans un accident du travail sont indemnisĂ©s sous rĂ©serve des autres dispositions de la LIAÉ.  La dĂ©finition large et non limitative du terme « accident » formulĂ©e Ă  l’art. 2 ne permet pas de circonscrire le droit Ă  l’indemnitĂ©.  Il est beaucoup plus probable que le lĂ©gislateur ait voulu s’en remettre Ă  la lĂ©gislation provinciale en ce qui a trait Ă  la teneur de la dĂ©finition du terme « accident » pour apporter un certain degrĂ© de certitude.  Ce rĂ´le ressort clairement du pouvoir confĂ©rĂ© aux par. 4(2) et (3).  Aux termes du par. 4(2), les travailleurs fĂ©dĂ©raux ont droit Ă  l’indemnitĂ© aux taux et conditions que fixe la lĂ©gislation provinciale et, au par. 4(3), la LIAÉ dĂ©lègue clairement Ă  l’autoritĂ© provinciale la responsabilitĂ© de dĂ©terminer l’indemnitĂ© visĂ©e au par. 4(1).  Les institutions et les lois provinciales fournissent donc la structure et les balises qui permettent de dĂ©terminer s’il y a lieu de verser une indemnitĂ© Ă  un agent de l’État fĂ©dĂ©ral et, dans l’affirmative, d’en fixer le montant.

b)        Objet de la loi

[28]                          L’historique lĂ©gislatif de la LIAÉ et les dĂ©clarations d’intention du lĂ©gislateur dĂ©montrent sans Ă©quivoque qu’il souhaitait, par l’adoption de ce texte de loi, s’en rapporter aux lois et aux autoritĂ©s provinciales pour le règlement des demandes d’indemnisation des agents de l’État fĂ©dĂ©ral, exception faite des cas oĂą la LIAÉ entre clairement en conflit avec la lĂ©gislation provinciale.

[29]                          La loi antĂ©rieure Ă  la LIAÉ avait Ă©tĂ© Ă©dictĂ©e en 1918; elle s’intitulait Loi ayant pour objet d’accorder une indemnitĂ© lorsque des employĂ©s de Sa MajestĂ© sont tuĂ©s ou blessĂ©s dans l’exĂ©cution de leurs devoirs, S.C. 1918, ch. 15.  Aux termes du par. 1(1) de cette loi, « et la responsabilitĂ© et le chiffre de pareille indemnitĂ© » devaient ĂŞtre dĂ©terminĂ©s en application de la loi provinciale par les autoritĂ©s provinciales :

                        1. (1) Un employé dans le service de Sa Majesté qui est blessé, et les dépendants de tout pareil employé qui est tué, doivent avoir droit à la même indemnité que celle que l’employé, ou que le dépendant d’un employé décédé, d’une personne autre que Sa Majesté aurait eu droit de recevoir, dans les mêmes circonstances, en vertu de la loi de la province où s’est produit l’accident, et la responsabilité et le chiffre de pareille indemnité doivent être déterminés en la même manière, et par la même Commission ou autorité, ou les mêmes officiers qu’établis par la loi de la province pour déterminer l’indemnité dans les cas semblables, ou par telle autre Commission ou autorité, ou tels autres officiers, ou par telle cour que le Gouverneur en conseil peut de temps à autre prescrire. 

[30]                          D’ailleurs, le ministre responsable de cette loi a indiquĂ© qu’elle visait Ă  garantir que « [s]’il est blessĂ©, un employĂ© du chemin de fer du Gouvernement se trouvera exactement dans la mĂŞme position, quant Ă  l’indemnitĂ©, que celle oĂą serait placĂ© l’employĂ© d’une compagnie de chemin de fer ordinaire » (l’hon. J. D. Reid, DĂ©bats de la Chambre des communes, vol. 132, 1re sess., 13e lĂ©g., 16 avril 1918, p. 857 (je souligne)). 

[31]                          En 1947, les mots « la responsabilitĂ© » ont Ă©tĂ© remplacĂ©s par les mots « le droit Ă  » (S.C. 1947, ch. 18, par. 3(1)).  Les deux Ă©noncĂ©s renvoient clairement au droit ou Ă  l’admissibilitĂ© d’un travailleur Ă  l’indemnitĂ©.  Le terme « accident » y Ă©tait dĂ©fini pour la première fois Ă  cette Ă©poque, sans dĂ©bat particulier en Chambre Ă  ce sujet.

[32]                          En 1955, la proposition actuelle a Ă©tĂ© adoptĂ©e, aux termes de laquelle l’agent de l’État fĂ©dĂ©ral est en droit de recevoir une indemnitĂ© « au taux et aux conditions » que prĂ©voit la lĂ©gislation de la province oĂą l’employĂ© est ordinairement occupĂ© (S.C. 1955, ch. 33, art. 2).  Le ministre responsable a tenu les propos suivants lors des dĂ©bats en première lecture concernant de telles modifications :

                        Les modifications envisagées portent que le droit à l’indemnité et le taux d’indemnisation seront déterminés selon les modalités prévues à la loi appliquée dans la province où l’employé travaille habituellement. [Je souligne.]  

(L’hon. M. F. Gregg, Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2e sess., 22e lég., 28 février 1955, p. 1648)

[33]                          Les mots « aux conditions » semblent s’être substituĂ©s directement aux termes « la responsabilitĂ© » et « le droit Ă  » que comportait auparavant le texte de loi.  Les dĂ©bats en Chambre indiquent clairement que ces Ă©lĂ©ments Ă©taient dĂ©terminĂ©s par les autoritĂ©s provinciales en fonction de la lĂ©gislation provinciale.

[34]                          En prĂ©voyant que la lĂ©gislation provinciale s’applique et que les autoritĂ©s provinciales ont compĂ©tence pour dĂ©terminer l’indemnitĂ© applicable aux travailleurs du gouvernement fĂ©dĂ©ral, le lĂ©gislateur a expressĂ©ment reconnu que « [l]es rĂ©clamations en cas d’accidents ou pour d’autres causes sont traitĂ©es diffĂ©remment selon les provinces » (l’hon. L. Chevrier, DĂ©bats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 20e lĂ©g., 27 mars 1947, p. 1818) et que « [c]’est la commission provinciale des accidents du travail qui dĂ©cide, sous le rĂ©gime de la loi provinciale, du droit Ă  l’indemnitĂ© et du montant Ă  verser, dans chaque cas » (l’hon. M. F. Gregg, DĂ©bats de la Chambre des communes, vol. II, 6e sess., 21e lĂ©g., 7 mai 1952, p. 2103 (je souligne)).

[35]                          Bref, l’historique lĂ©gislatif de la LIAÉ et les dĂ©clarations d’intention du lĂ©gislateur dĂ©montrent que l’intention n’a pas variĂ© depuis 1918 : l’admissibilitĂ© Ă  l’indemnitĂ© et le taux d’indemnisation sont tous deux dĂ©terminĂ©s conformĂ©ment Ă  la lĂ©gislation provinciale. 

c)    Conflits entre la LIAÉ et la législation provinciale

[36]                          Il ressort de l’historique lĂ©gislatif que le lĂ©gislateur entendait Ă©galement assortir d’exceptions prĂ©cises l’application de la lĂ©gislation provinciale.

[37]                          Par exemple, des modifications apportĂ©es en 1947 Ă  la LIAÉ prĂ©voyaient le versement de l’indemnitĂ© dans les cas de tuberculose pulmonaire contractĂ©e dans un hĂ´pital ou un sanatorium dirigĂ© par le gouvernement.  Cette affection Ă©tait exclue Ă  l’époque par les lois provinciales.  Au cours des dĂ©bats Ă  la Chambre des communes, le ministre qui prĂ©sentait les modifications a fait Ă©tat Ă  plusieurs reprises de l’intention gĂ©nĂ©rale de « nous en remettre aux dĂ©cisions des commissions provinciales quant Ă  la dĂ©finition d’un accident ou d’une maladie industrielle » afin d’éviter de constituer une autoritĂ© fĂ©dĂ©rale distincte chargĂ©e de statuer sur les demandes d’indemnisation (l’hon. L. Chevrier, DĂ©bats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 20e lĂ©g., 31 mars 1947, p. 1886).  Il a toutefois dĂ©clarĂ© que la modification « applique le principe d’indemnisation de manière Ă  inclure les personnes atteintes de tuberculose pulmonaire » et que le nouvel article « renferme une disposition qui ne se trouve dans aucune loi provinciale, sauf peut-ĂŞtre une » (p. 1888 et 1891).

[38]                          La question des conflits potentiels entre la LIAÉ et les lois provinciales sur les accidents du travail a Ă©tĂ© examinĂ©e dans Cape Breton Development Corp. c. Morrison Estate, 2003 NSCA 103, 218 N.S.R. (2d) 53, autorisation d’appel refusĂ©e, [2004] 1 R.C.S. vii.

[39]                          Dans Morrison, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse devait dĂ©terminer si une prĂ©somption prĂ©vue par la loi provinciale sur les accidents du travail et accordant le [traduction] « bĂ©nĂ©fice du doute » s’appliquait aux travailleurs visĂ©s par la LIAÉ.  Elle a statuĂ© que cette prĂ©somption en matière de causalitĂ© s’appliquait aussi aux travailleurs fĂ©dĂ©raux.  Il n’y avait pas conflit entre les lois, selon elle, car rien dans le libellĂ© de la LIAÉ n’empĂŞchait les travailleurs fĂ©dĂ©raux de bĂ©nĂ©ficier de l’application d’une telle prĂ©somption (par. 45)[3].  Faisant sienne la description que fait le procureur gĂ©nĂ©ral du Canada du paysage lĂ©gislatif, elle a conclu ainsi :

                    [traduction]

 

                    Le régime provincial en matière d’accidents du travail s’applique aux demandes d’indemnisation présentées en vertu de la LIAÉ lorsque les conditions suivantes sont réunies :

                        a)      la disposition en cause peut raisonnablement se rattacher à un « taux » ou à une « condition » applicable à l’indemnisation en vertu de la législation de la province,

                        b)     la disposition n’entre pas par ailleurs en conflit avec la LIAÉ. [par. 68]

Je partage son avis.  Lorsqu’une disposition ou une politique provinciale entre directement en conflit avec la LIAÉ, cette dernière prime et rend inapplicable la disposition ou la politique provinciale aux travailleurs fédéraux[4].  En l’absence de conflit, le régime provincial en matière d’accidents du travail s’applique.  Quoi qu’il en soit, les autorités provinciales compétentes constituent les instances décisionnelles.

[40]                          Le pouvoir de statuer en matière d’admissibilitĂ© ayant Ă©tĂ© largement dĂ©lĂ©guĂ© Ă  l’échelon provincial, les conflits entre la LIAÉ et la lĂ©gislation provinciale ne surgissent habituellement que lorsque le rĂ©gime Ă©tabli par la LIAÉ prĂ©voit expressĂ©ment l’inclusion ou l’exclusion d’élĂ©ments particuliers, incompatibles avec la lĂ©gislation provinciale applicable, comme ce fut le cas, par exemple, pour la tuberculose pulmonaire.

E.             L’interprĂ©tation du terme « accident » : Y a-t-il un conflit entre la Politique et la LIAÉ?

[41]                          Ayant conclu Ă  l’applicabilitĂ© de la lĂ©gislation provinciale dans la mesure oĂą elle n’entre pas en conflit avec la LIAÉ, je passe Ă  la deuxième question, Ă  savoir si la Politique entre en conflit avec la dĂ©finition du terme « accident » Ă©noncĂ©e Ă  l’art. 2 de la LIAÉ.  Plus prĂ©cisĂ©ment, il faut se demander si la dĂ©cision de la Commission d’appliquer les critères Ă©numĂ©rĂ©s Ă  la Politique pour dĂ©terminer si le stress chronique rĂ©sultait d’un accident survenu par le fait ou Ă  l’occasion du travail Ă©tait raisonnable.  Ou encore, la Politique entrait-elle forcĂ©ment en conflit avec la LIAÉ? 

(1)         Arguments des parties

[42]                          L’appelant soutient que la dĂ©finition large et extensive du terme « accident » prĂ©vue dans la LIAÉ ne saurait ĂŞtre limitĂ©e par une loi ou une politique provinciale.  Assortir l’interprĂ©tation du terme « accident » d’une exigence relative Ă  l’existence d’évĂ©nements excessifs ou inusitĂ©s liĂ©s au travail va Ă  l’encontre de la dĂ©finition large qui figure Ă  la LIAÉ.  La Politique impose une exigence dĂ©raisonnable et inĂ©quitable en matière de causalitĂ© plus stricte pour les personnes ayant des atteintes psychologiques que pour celles dont les atteintes sont physiques.

[43]                          Selon le WCB, intimĂ© en l’espèce, la Politique ne modifie pas la dĂ©finition du terme « accident » Ă©noncĂ©e Ă  la LIAÉ, pas plus qu’elle ne l’assortit de critères supplĂ©mentaires.  Elle balise plutĂ´t l’apprĂ©ciation permettant de dĂ©terminer si un accident au sens de la WCA et de la LIAÉ est survenu et, dans l’affirmative, s’il est survenu par le fait ou Ă  l’occasion du travail. 

[44]                          Le procureur gĂ©nĂ©ral du Canada, intimĂ© en l’espèce, soutient que le lĂ©gislateur a laissĂ© une grande latitude aux provinces pour dĂ©terminer dans quelles circonstances prĂ©cises un travailleur blessĂ© pourra ĂŞtre indemnisĂ© et les facteurs entrant en ligne de compte.

(2)         Analyse

a)         Le rapport entre la LIAÉ et la WCA

[45]                          MĂŞme si, dĂ©jĂ  en 1931 (S.C. 1931, ch. 9, art. 2), l’exigence suivant laquelle l’employĂ© devait ĂŞtre blessĂ© par un « accident provenant et dans le cours de son emploi » figurait dans la  LIAÉ, ce n’est qu’en 1947 que le terme « accident » y a Ă©tĂ© dĂ©fini.

[46]                          La dĂ©finition du terme « accident » formulĂ©e par le lĂ©gislateur albertain ressemble essentiellement Ă  celle qui figure dans la LIAÉ.  Les deux lois s’appliquent aux accidents survenus par le fait ou Ă  l’occasion du travail (voir le par. 4(1) de la LIAÉ et la dĂ©finition d’« accident » au par. 1(1) de la WCA) et, dans les deux cas, il s’entend notamment d’un « acte dĂ©libĂ©rĂ© » accompli par une autre personne que le demandeur et d’un « Ă©vĂ©nement fortuit ayant une cause physique ou naturelle » (voir les dĂ©finitions du mot « accident » Ă  l’art. 2 de la LIAÉ et au par. 1(1) de la WCA). 

[47]                          La WCA de l’Alberta, comme toutes les autres lois provinciales sur l’indemnisation des accidents du travail, pourvoit au règlement uniforme des demandes d’indemnisation par l’application de politiques[5].  Elle Ă©nonce, Ă  l’al. 13.2(6)(b), que la Commission d’appel [traduction] « est liĂ©e par les politiques du conseil d’administration se rapportant Ă  la question faisant l’objet de l’appel ».  En fait, les politiques albertaines rĂ©gissent l’interprĂ©tation et l’application de la WCA.

b)        La Politique en cause

[48]                          Le WCB a adoptĂ© des politiques particulières pour encadrer le processus dĂ©cisionnel applicable aux demandes fondĂ©es sur certains troubles mĂ©dicaux.  La Politique prĂ©cise dans quelles circonstances une invaliditĂ© d’ordre psychiatrique ou psychologique donne ouverture Ă  indemnisation.  Nul n’a soutenu que la Politique ne relève pas des pouvoirs confĂ©rĂ©s par la WCA.  Elle prĂ©cise ce qui constitue un « accident » dans le contexte d’une demande d’indemnisation pour stress chronique en Ă©numĂ©rant quatre critères auxquels il doit ĂŞtre satisfait pour que le droit Ă  l’indemnitĂ© soit reconnu : 

                    [traduction]

                    11. Dans quelles circonstances le WCB accepte-t-il les demandes d’indemnisation pour stress chronique?

                    Comme il le fait à l’égard de toute demande, le WCB examine la cause pour déterminer si la demande est recevable.  Les demandes d’indemnisation fondées sur ce type d’atteinte ne sont admissibles que lorsqu’il est satisfait à l’ensemble des critères suivants :

·           un diagnostic psychologique ou psychiatrique a Ă©tĂ© Ă©tabli . . .

·           les Ă©vĂ©nements ou facteurs de stress liĂ©s au travail sont la cause prĂ©dominante de l’atteinte . . .

·           les Ă©vĂ©nements liĂ©s au travail sont excessifs ou inusitĂ©s par rapport aux pressions et tensions normales auxquelles le travailleur moyen occupant un emploi semblable est assujetti,

·           les Ă©vĂ©nements ont Ă©tĂ© confirmĂ©s de manière objective.

                    Outre les fonctions pouvant raisonnablement se rattacher à la nature du travail en cause, les pressions et tensions normales s’entendent, par exemple, des relations et conflits interpersonnels, des préoccupations en matière de santé et sécurité, des questions syndicales et des mesures courantes de gestion des relations de travail prises par l’employeur, notamment la charge de travail et les délais, l’évaluation du travail, la gestion du rendement (discipline), les mutations, la modification des fonctions, les mises à pied, les rétrogradations, les licenciements et les réorganisations, susceptibles d’être imposées à tous les travailleurs à un moment donné.  [p. 5-6]

[49]                          Selon moi, assortir l’interprĂ©tation du terme « accident » d’une exigence relative Ă  l’existence d’évĂ©nements excessifs ou inusitĂ©s liĂ©s au travail ne va pas Ă  l’encontre de la dĂ©finition large de ce terme qui figure Ă  l’art. 2 de la LIAÉ, suivant laquelle « [s]ont assimilĂ©s Ă  un accident tout fait rĂ©sultant d’un acte dĂ©libĂ©rĂ© accompli par une autre personne que l’agent de l’État ainsi que tout Ă©vĂ©nement fortuit ayant une cause physique ou naturelle ».  La dĂ©finition d’« accident » Ă©nonce les Ă©lĂ©ments de base qui la composent; elle n’est ni exhaustive ni restrictive.  Il s’agit plutĂ´t d’une dĂ©finition ouverte et souple, qui tĂ©moigne de l’intention du lĂ©gislateur de dĂ©lĂ©guer aux autoritĂ©s provinciales l’administration du rĂ©gime d’indemnisation.  Comme le Workers’ Compensation Board de la Colombie-Britannique l’a soulignĂ© dans son intervention, ni la dĂ©finition d’« accident » Ă©noncĂ©e Ă  la LIAÉ ni celle qui figure Ă  la WCA n’indiquent quand un accident ou une atteinte est effectivement causĂ© par le travail.  La lĂ©gislation de chaque province complète la Loi fĂ©dĂ©rale en fait de structure et de spĂ©cificitĂ©.

[50]                          En l’espèce, la province exigeait, pour accepter la demande d’indemnisation pour stress psychologique, des Ă©vĂ©nements excessifs ou inusitĂ©s et la confirmation objective de ces Ă©vĂ©nements.  Ces exigences tĂ©moignent simplement de l’interprĂ©tation qu’a donnĂ©e l’Alberta du terme « accident » dans le contexte des demandes fondĂ©es sur le stress psychologique.  Ce qui constitue un « accident » dans le cadre d’un rĂ©gime d’indemnisation sans Ă©gard Ă  la faute ne saurait dĂ©pendre de la seule perception subjective du travailleur.  Il est souvent plus facile de reconnaĂ®tre l’évĂ©nement qui a entraĂ®nĂ© une atteinte physique que celui qui a provoquĂ© une atteinte psychologique.  Il n’était pas dĂ©raisonnable pour l’Alberta d’établir une politique dĂ©finissant l’« accident » de travail causant une atteinte psychologique.

[51]                          Au Canada, les rĂ©gimes d’indemnisation des travailleurs suivent le modèle proposĂ© par sir W. R. Meredith, procĂ©dant du « compromis historique » en vertu duquel les travailleurs sont privĂ©s d’une cause d’action contre leur employeur en cas d’accident du travail, mais bĂ©nĂ©ficient d’un rĂ©gime d’indemnisation sans Ă©gard Ă  la faute (Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53, par. 29, citant Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, par. 25).  Les employeurs sont obligĂ©s de cotiser au rĂ©gime, mais ils Ă©chappent Ă  une responsabilitĂ© potentiellement Ă©crasante.  Ces rĂ©gimes garantissent une indemnisation aux travailleurs blessĂ©s dans un accident du travail ou atteints de maladies professionnelles (Marine Services, par. 30).

[52]                          Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a indiquĂ© dans Canada Post, il n’est pas [traduction] « incompatible avec les principes du fĂ©dĂ©ralisme » que les droits des travailleurs fĂ©dĂ©raux diffèrent selon les provinces par le jeu du rĂ©gime Ă©tabli par la LIAÉ (p. 105).  Ce rĂ©gime reprĂ©sente le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif en action.  Il se peut que les provinces prĂ©voient des règles d’admissibilitĂ© diffĂ©rentes, pourtant le lĂ©gislateur voulait pareille souplesse.  La dĂ©finition non limitative du terme « accident » prĂ©vue dans la LIAÉ ne restreint pas cette souplesse, elle la rend possible.

[53]                          Enfin, l’appelant invoque les valeurs de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s Ă  l’appui de son argument qu’il faut interprĂ©ter le terme « accident » de manière Ă  ne pas imposer un fardeau supĂ©rieur en matière de causalitĂ© aux demandeurs victimes d’une atteinte psychologique qu’à ceux qui ont une atteinte physique.  Cependant, on n’a pas contestĂ© devant nous la constitutionnalitĂ© des dispositions en cause.  Si notre Cour tranchait le litige sur le fondement des valeurs de la Charte, elle se prononcerait en fait sur une contestation de la Politique fondĂ©e sur la Charte sans disposer du dossier voulu.

[54]                          Pour les motifs qui prĂ©cèdent, la Commission pouvait conclure Ă  l’absence de conflit entre la dĂ©finition d’« accident » Ă©noncĂ©e Ă  la LIAÉ et l’exigence prĂ©vue Ă  la Politique voulant que le stress chronique dĂ©coule d’évĂ©nements [traduction] « excessifs ou inusitĂ©s » s’ils « ont Ă©tĂ© confirmĂ©s de manière objective ». 

F.             Le rejet de la demande Ă©tait-il raisonnable en l’espèce?

[55]                          Enfin, la troisième et dernière question soulevĂ©e par le prĂ©sent pourvoi est celle de savoir s’il Ă©tait raisonnable pour la Commission d’appliquer la Politique Ă  la demande de l’appelant.  Nul ne conteste qu’il Ă©tait satisfait aux deux premiers critères prĂ©vus dans la Politique.  Un diagnostic psychologique ou psychiatrique avait Ă©tĂ© portĂ©, et les Ă©vĂ©nements ou facteurs de stress liĂ©s au travail Ă©taient la cause prĂ©dominante de l’atteinte.

[56]                          Le litige concerne les deux derniers critères de la Politique, p. 5 :

                           [traduction]

·              les Ă©vĂ©nements liĂ©s au travail sont excessifs ou inusitĂ©s par rapport aux pressions et tensions normales auxquelles le travailleur moyen occupant un emploi semblable est assujetti,

·              les Ă©vĂ©nements ont Ă©tĂ© confirmĂ©s de manière objective.

[57]                          S’agissant du troisième critère, exigeant des Ă©vĂ©nements excessifs ou inusitĂ©s, l’appelant fait valoir que la Commission a fait erreur en concluant que la [traduction] « cause prĂ©dominante » de l’état de l’appelant Ă©tait la lettre (m.a., par. 85, citant la dĂ©cision de la Commission, par. 28).  Selon lui, en faisant fi de la sĂ©rie d’évĂ©nements qui avait menĂ© au point culminant, elle n’avait pas tenu compte de sa situation dans son ensemble.

[58]                          Pourtant, la Commission a expressĂ©ment reconnu dans son analyse [traduction] « que les facteurs de stress dĂ©coulant de la situation au travail incluaient, par exemple, des prĂ©occupations en matière de santĂ© et sĂ©curitĂ©, des relations et conflits interpersonnels, des Ă©chĂ©ances Ă  respecter, la gestion du rendement et l’ordre de l’employeur de donner suite Ă  une demande de communication prĂ©sentĂ©e en vertu de la Loi sur l’accès Ă  l’information » (par. 29).  Elle a indiquĂ© que ces facteurs faisaient partie des pressions et tensions normales Ă©numĂ©rĂ©es Ă  la Politique et qu’ils ne pouvaient donc ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme excessifs ou inusitĂ©s.

[59]                          Vu le dossier et les circonstances entourant la demande d’indemnisation, il Ă©tait loisible Ă  la Commission de conclure que la [traduction] « cause prĂ©dominante » de l’atteinte psychologique de M. Martin Ă©tait sa rĂ©action Ă  la lettre de l’employeur lui intimant de donner suite Ă  une demande d’accès Ă  l’information, laquelle n’était pas inusitĂ©e par rapport aux pressions et tensions normales s’exerçant dans un emploi semblable (par. 28 et 30).

[60]                          Je ne partage pas l’avis de l’appelant qui estime dĂ©raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle [traduction] « les pressions et tensions normales » Ă©numĂ©rĂ©es Ă  la Politique excluaient complètement les questions concernant les relations de travail, les prĂ©occupations en matière de santĂ© et sĂ©curitĂ© ou les relations et conflits interpersonnels aux fins d’indemnisation.  Correctement interprĂ©tĂ©s, les motifs de la Commission indiquent clairement que, selon elle, les Ă©vĂ©nements n’étaient pas excessifs ou inusitĂ©s, compte tenu des faits de l’espèce.

[61]                          La conclusion de la Commission concernant le troisième critère faisait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).

[62]                          Le troisième critère n’étant pas rempli, la dĂ©cision de la Commission de rejeter la demande d’indemnisation Ă©tait raisonnable.  Il n’est pas nĂ©cessaire d’examiner son analyse quant au quatrième critère.

V.            Conclusion

[63]                          En adoptant la LIAÉ, le lĂ©gislateur entendait que les autoritĂ©s provinciales compĂ©tentes statuent sur les demandes d’indemnisation des agents de l’État fĂ©dĂ©ral, — y compris le droit Ă  l’indemnitĂ© et les taux d’indemnisation — selon la lĂ©gislation provinciale, sauf lorsqu’il y a conflit entre cette lĂ©gislation et la LIAÉ.  L’interprĂ©tation de ce qui constitue un « accident » pour le traitement d’une demande d’indemnisation pour stress psychologique qui figure Ă  la Politique albertaine n’entre pas en conflit avec la LIAÉ.  Elle s’appliquait donc Ă  la demande de l’appelant. La dĂ©cision de la Commission, qui a refusĂ© d’accorder l’indemnitĂ©, Ă©tait raisonnable.  Le pourvoi est rejetĂ©.

                    Pourvoi rejeté.

                    Procureurs de l’appelant : Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, Ottawa.

                    Procureur de l’intimé Workers’ Compensation Board of Alberta : Workers’ Compensation Board of Alberta, Edmonton.

                    Procureur de l’intimée Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation : Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation, Edmonton.

                    Procureur de l’intimé le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.

                    Procureur de l’intervenant Workers’ Compensation Board of British Columbia : Workers’ Compensation Board of British Columbia, Richmond.

                    Procureurs de l’intervenante la Commission de la santé et de la sécurité du travail : Vigneault Thibodeau Bergeron, Québec.

                    Procureurs de l’intervenant Workers’ Compensation Board of Nova Scotia : Stewart McKelvey, Halifax.

 



[1] Voir, par exemple, Rees c. Royal Canadian Mounted Police, 2005 NLCA 15, 246 Nfld. & P.E.I.R. 79, par. 31, autorisation d’appel rejetée, [2005] 2 R.C.S. x; Stewart c. Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail, 2008 NBCA 45, 331 R.N.-B. (2e) 278, par. 10.

 

[2] Canada Post Corp. c. Smith (1998), 40 O.R. (3d) 97, p. 109 et 111, autorisation de pourvoi refusée, [1998] 3 R.C.S. v; Thomson c. Workers’ Compensation Appeals Tribunal, 2003 NSCA 14, 212 N.S.R. (2d) 81, par. 18; Canadian Broadcasting Corp. c. Luo, 2009 BCCA 318, 273 B.C.A.C. 203, par. 22 et 40.

[3] Dans l’affaire similaire McLellan c. Workers’ Compensation Appeals Tribunal, 2003 NSCA 106, 218 N.S.R. (2d) 176, une présomption en matière de causalité établie au profit des travailleurs miniers a été déclarée applicable également aux travailleurs fédéraux.  Les deux dispositions pouvaient [traduction] « raisonnablement se rattacher » à l’indemnisation visée par la loi provinciale et n’entraient pas par ailleurs en conflit avec la LIAÉ (par. 30).

[4] Par exemple, les autorités provinciales compétentes n’auraient pu, dans le cas de la modification touchant la tuberculose pulmonaire, laquelle a été suivie d’un règlement pris pour la mettre en œuvre (Règlements concernant l’indemnisation des employés de l’État, 1948 (Tuberculose pulmonaire), DORS/48-573), rejeter une demande d’indemnisation présentée par un agent de l’État fédéral et fondée sur cette maladie même si la loi provinciale l’excluait expressément du régime, parce qu’il y aurait alors eu conflit avec la LIAÉ.

[5] Workers Compensation Act de la C.-B., R.S.B.C. 1996, ch. 492, par. 99(2); WCA de l’Alberta, al. 8(3)(c) et (d) et par. 13.2(6); Workers’ Compensation Act, 2013 de la Saskatchewan, S.S. 2013, ch. W-17.11, par. 23(2); Loi sur les accidents du travail du Manitoba, C.P.L.M., ch. W200, al. 51.1(1)a); Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario, L.O. 1997, ch. 16, ann. A, art. 126 et 161; Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles du Québec, RLRQ, ch. A-3.001, art. 382 et 454; Loi sur la Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail du Nouveau-Brunswick, L.N.-B. 1994, ch. W-14, al. 7f); Workers’ Compensation Act de la Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1994-95, ch. 10, art. 183; Workers Compensation Act de l’Î.-P.-É., R.S.P.E.I. 1988, ch. W-7.1, par. 30(1); Workplace Health, Safety and Compensation Act de Terre-Neuve-et-Labrador, R.S.N.L. 1990, ch. W-11, al. 5(1)(a); Loi sur l’indemnisation des travailleurs des Territoires du Nord-Ouest, L.T.N.-O. 2007, ch. 21, par. 91(3); Loi sur les accidents du travail du Yukon, L.Y. 2008, ch. 12, art. 3 « politique » et 18; Loi sur l’indemnisation des travailleurs du Nunavut, L.Nu. 2007, ch. 15, par. 31(2).

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