Deguire et Société des alcools du Québec |
2015 QCCLP 1759 |
________________________________________________________________
________________________________________________________________
[1] Le 26 août 2014, madame Mélanie Deguire (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 août 2014, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a rendue le 11 avril 2014 et déclare que la travailleuse a droit à un montant maximal de 59 325,75 $ pour des travaux d’adaptation de son domicile.
[3] Une audience est tenue à Joliette, le 10 mars 2015, en présence de la travailleuse et de sa représentante et de la représentante de la CSST. L’employeur, La Société des alcools du Québec, est absent et non représenté.
[4] Le dossier est mis en délibéré à la suite de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande d’infirmer la décision rendue par la CSST en révision administrative, le 21 août 2014, et de déclarer qu’elle a droit en sus de la somme de 59 325,75 $ à une somme additionnelle de 97 794,27 $ correspondant au montant additionnel qu’elle a déboursé pour procéder à l’achat d’une résidence adaptable, selon ses besoins. Ce montant représente l’équivalent du coût de construction d’un garage, la valeur de la superficie additionnelle de la résidence nécessaire pour lui permettre de circuler dans les pièces de sa nouvelle résidence, la superficie de terrain additionnel nécessaire pour la construction de ce garage et de la superficie exigée pour la résidence.
LA PREUVE
[6] Le 5 février 2009, la travailleuse occupe un poste de coordonnatrice des opérations chez l’employeur. Elle est âgée de 33 ans.
[7] Elle s’inflige une lésion professionnelle reconnue par la CSST alors que des éclats de verre brisé s’infiltrent dans son talon gauche.
[8] Le lendemain, le docteur Téodor Simion, chirurgien orthopédiste, diagnostique une infection au streptocoque due à un corps étranger dans le talon gauche. Il prévoit procéder à une chirurgie au membre inférieur gauche et à un drainage d’abcès le jour même.
[9] Une seconde chirurgie est pratiquée le 7 février 2009. Il s’agit d’une amputation transfémorale du membre inférieur gauche.
[10] Le 10 février 2009, une troisième chirurgie consiste à une révision de la plaie.
[11] Le 24 février 2009, la travailleuse est dirigée à l’Institut de réadaptation de Montréal.
[12] Un Rapport final est rédigé par le docteur Simion le 8 avril 2009. Il consolide la lésion ce même jour avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[13] À compter de septembre 2009, la réadaptation de la travailleuse est prise en charge par le Centre de réadaptation Le Bouclier de L’Assomption.
[14] Des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie ont été prodigués afin de permettre à la travailleuse d’effectuer plus aisément ses activités quotidiennes.
[15] Un suivi psychologique a également été offert à la travailleuse.
[16] Afin d’assurer la locomotion, la CSST a défrayé les coûts de béquilles, d’un fauteuil roulant et d’une prothèse fémorale.
[17] Dans une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 30 août 2011[1], la travailleuse s’est également vu rembourser ses frais pour l’acquisition d’un quadriporteur et l’adaptation de sa roulotte.
[18] Le présent litige concerne l’adaptation du domicile de la travailleuse.
[19] Dans le présent dossier, il n’est pas contesté que la travailleuse a droit à l’adaptation du domicile qu’elle occupait lorsqu’elle a subi sa lésion professionnelle.
[20] Le 24 novembre 2009, l’ergothérapeute Claude Bougie fait une première visite de la maison de la travailleuse. Il est accompagné d’un architecte, monsieur Richard Miron, de la conseillère en réadaptation et de la travailleuse. Le but de la visite est d’évaluer s’il est possible d’adapter le domicile actuel de la travailleuse ou, à défaut, de proposer d’autres solutions visant à favoriser l’autonomie et la sécurité de la travailleuse dans la réalisation de ses activités de la vie quotidienne.
[21] Au moment où elle subit sa lésion professionnelle, la travailleuse habite un cottage semi-détaché avec son mari et ses deux jeunes enfants (3 et 7 ans). La maison comporte trois niveaux, dont le sous-sol, le rez-de-chaussée et l’étage supérieur. À la suite de son accident, la travailleuse se déplace en béquilles et en fauteuil roulant. Elle porte également une prothèse à l’occasion.
[22] Dans son rapport, l’ergothérapeute note que la travailleuse ne peut utiliser son fauteuil roulant dans son domicile à cause des nombreuses barrières architecturales et en raison de l’espace restreint des aires de circulation. Il note que la superficie du terrain est insuffisante pour permettre la construction d’une rampe permettant d’accéder au domicile, dont la porte principale est surélevée de 40 pouces par rapport au sol.
[23] Il retient que la travailleuse ne peut circuler dans la cuisine, les chambres et la salle de bain en fauteuil roulant. Les aires de circulation ne sont pas conformes et les corridors de la résidence trop étroits. Elle ne peut accéder à l’étage supérieur ou au sous-sol, il y aurait nécessité d’installer un ascenseur. Il conclut :
Ces modifications m’apparaissent impossibles à réaliser dans la maison actuelle sans toucher à la structure de la maison.
ANALYSE ET RECOMMANDATIONS
Je retiens que les suggestions de modifications ou d’adaptations sont difficilement réalisables pour le domicile actuel de Madame.
[24] Le 12 janvier 2010, un architecte, monsieur Miron, est mandaté par la CSST aux fins d’évaluer la possibilité d’adapter le domicile de la travailleuse ou, à défaut, de proposer une autre mesure d’adaptation. Après avoir examiné les recommandations de l’ergothérapeute et visité la résidence, il mentionne ce qui suit :
[…]
Maison non adaptable
Si nous considérons les problèmes d’accessibilité, le manque de volume de certaines pièces, déjà mentionnés, et le volume des pièces à remplacer, nous pensons qu’il faudrait agrandir passablement la maison pour obtenir le volume nécessaire. Étant donné les restrictions des règlements en vigueur nous empêchant justement d’agrandir facilement la maison, nous arrivons à la conclusion que pour espérer obtenir un aménagement convenable nous aurions probablement à démolir le tout et reprendre l’ensemble de l’aménagement. Dans ce cas, les coûts impliqués seraient sûrement supérieurs à la valeur du bâtiment existant et ne seraient pas recevable par la CSST. Pour toutes ces raisons, nous ne croyons pas qu’il vaille la peine d’étudier d’avantage cette possibilité.
Autre méthode d’évaluation
Cette conclusion donne raison à Mme Deguire quand elle prétend que sa maison ne peut être adapté, non qu’elle soit trop petite, mais plutôt parce que le terrain est trop petit et aussi à cause des restrictions amenées par les règlements en vigueur. Tel que mentionné précédemment, nous envisagerons donc une autre méthode d’évaluation afin d’établir un montant compensatoire équitable.
En effet, si nous prenons toutes les recommandations et les éléments manquants mentionnés dans le rapport de l’ergothérapeute ainsi que les travaux d’adaptation probablement nécessaires à la nouvelle maison et que nous attribuons une valeur monétaire aux travaux pour apporter ces correctifs en construisant cette maison, nous croyons que la somme de ces valeurs constituerait un montant compensatoire juste et équitable.
Recommandations et éléments manquants
Dans le rapport de M. Bougie, celui-ci nous mentionne que certaines pièces sont trop petites pour que Madame puisse fonctionner en FR (fauteuil roulant) au cours de mandats antérieurs, nous avons établi, par expérience, certaines superficies acceptables pour l’usage des pièces d’une maison en FR :
1) Pour une cuisine : 130 pi. ca.
2) Pour une salle à dîner : 140 pi. ca.
3) Pour un salon : 150 pi. ca.
4) Pour une salle de bain adaptée, Bain, douche et appareils de lessive : 120 pi. ca.
5) Pour une salle de bain adaptée, Bain, douche : 100 pi. ca.
6) Pour une salle de bain adaptée, Bain/douche : 80 pi. ca.
7) Pour une salle d’eau et appareils de lessive : 70 pi. ca.
8) Pour une salle d’eau : 50 pi. ca.
9) Pour une salle de lavage avec cuve : 56 pi. ca.
10) Pour une salle de lavage sans cuve : 40 pi. ca.
11) Pour une chambre des Maitres : 168 pi. ca.
12) Pour une chambre d’enfant : 110 pi. ca.
11) Aire de circulation 20% de la surface de plancher
Nous croyons que le produit de la surface manquante par le coût de construction de cette surface devrait faire partie du montant compensatoire. Pour pouvoir construire cette surface manquante, le propriétaire devra posséder un terrain plus grand qu’existant d’au moins cette superficie. Donc, le produit de la surface manquante par le coût d’acquisition du terrain équivalent devrait aussi faire partie du montant compensatoire.
Autres éléments à considérer, peu importe la maison à adapter, le niveau du rez-de-chaussée devra toujours être à au moins 8 pouces au niveau du sol. Donc, nous devrons considérer un montant pour aménager une rampe d’accès. Nous nous baserons encore sur certains projets antérieurs pour déterminer cette hauteur à environ 15 pouces qui semble donner un résultat optimum.
La nouvelle maison sera probablement composée de deux niveaux de plancher soit un rez-de-chaussée et un sous-sol. Les pièces devront être réparties sur deux étages au lieu de trois. Donc, encore là, une surface additionnelle de terrain devra être dédommagée. Dans ce cas, nous croyons que la moitié de la surface d’implantation de la maison actuelle devrait être considérée.
[…]
Autres facteurs de coûts
Nous portons à votre attention un autre facteur de coûts pour la famille, dans le cas où elle construirait une nouvelle maison adaptée. Les électroménagers tels que plaque chauffante, cuisinière, laveuse et sécheuse frontales demanderont probablement d’être différents. Dans notre évaluation pour le montant compensatoire, les coûts d’acquisition de ces éléments ne sont pas inclus.
Si la CSST veut octroyer le prix d’un garage simple avec une rampe d’accès à l’intérieur pour éviter les frais annuels de location et d’entretien d’un abri temporaire, nous croyons qu’un garage de 16 pieds par 25 pieds (400 pi2) serait nécessaire. Ces dimensions devraient être corroborées par l’ergothérapeute. Dans ce cas, il faudrait inclure pour le montant compensatoire, un montant supplémentaire pour l’acquisition de la portion de terrain nécessaire à la construction du garage. En effet, afin que l’accessibilité de la maison par rampe d’accès soit fait le plus simplement, le niveau du plancher du garage doit être le plus près possible soit du niveau du rez-de-chaussée ou celui du sous-sol, le prix supplémentaire pour créer la descente d’auto vers le garage sera approximativement équivalent au prix d’acquisition du terrain.
Superficie supplémentaire pour la maison recommandée
Suivant le rapport de l’ergothérapeute, l’aménagement adapté de la maison existante de Mme Deguire comporterait une superficie habitable plus grande que celle existante. Voici les différences :
|
Existant |
Souhaitable |
Différence |
1) Pour la cuisine : |
106 pi.ca. |
130 pi.ca. |
24 pi.ca. |
2) Pour la salle à dîner : |
140 pi.ca. |
140 pi.ca. |
0 pi.ca. |
3) Pour le salon : |
146 pi.ca. |
150 pi.ca. |
4 pi.ca. |
4) Pour une salle de bain adaptée, bain et douche : |
56 pi.ca. |
100 pi.ca. |
44 pi.ca. |
5) Pour une salle d’eau : |
32 pi.ca. |
50 pi.ca. |
18 pi.ca. |
6) Pour une salle de lavage avec cuve : |
38 pi.ca |
56 pi.ca. |
18 pi.ca. |
7) Pour une chambre des maîtres : |
163 pi.ca |
168 pi.ca. |
5 pi.ca. |
8) Une chambre d’enfant no 1 : |
76 pi.ca |
110 pi.ca. |
34 pi.ca. |
9) Une chambre d’enfant no 2 : |
86 pi.ca |
110 pi.ca. |
24 pi.ca. |
10) Aire de circulation : |
261 pi.ca |
348 pi.ca. |
87 pi.ca. |
Note : * (surface existante X 15% X 3 étages) |
|||
Total |
258 pi.ca.2 |
Équipements architecturaux
Voici la liste des équipements architecturaux recommandés et/ou possiblement recommandables :
[…]
Évaluation des coûts d’adaptation
Dans le marché actuel, le coût de construction d’un bungalow standard de 1000 pied2 de surface, avec sous-sol non fini est d’environ 160 000.00$ ou 160.00$/pi2. Le coût de construction d’un garage de 12’ X 24’ est d’environ 30,000.00$. Le prix d’un terrain à Mascouche est environ 15,00$/ pi2. Selon ces chiffres le prix d'un bungalow de ce genre serait de 265,000.00$ montant fort plausible si nous examinons le marché. Nous nous baserons sur ces montants pour notre évaluation, le tout taxes incluses.
[…]
Nous estimons le coût de construction du garage à 87,50/ pi2.
Voici le résultat de l’évaluation sous forme de tableau :
Items Quantité Prix unitaire Total
- superficie supplémentaire maison : 258 pi. ca. 160,00/ pi2 41 280,00$
- terrain supplémentaire 290 + 262+400 952 pi. ca. 15,00/pi2 14,280,00$
- superficie supplémentaire garage 400 pi. ca. 87,50/pi2 35 000,00$
- Douche céramique 1 3 000,00$ 3 000,00$
- W.C. surélevé 1 350,00$ 350,00$
- Rangement supplémentaire 1 100,00$ 100,00$
- Plate-forme élévatrice 1 10 000.00$ 10 000,00$
- Élargissement de l’escalier 1 1 000.00$ 1 000,00$
- Armoires de cuisine; 1 2 000.00$ 2 000,00$
- Électricien 1 250,00$ 250,00$
- Porte-jardin : 1 600,00$ 600,00$
- Porte de 36 po 7 20,00$ 140,00$
Total : (taxes incluses) 108 000,00$
En espérant le tout à votre satisfaction,
[nos soulignements] [sic]
___________
2 Les corrections manuscrites ont été intégrées dans le tableau présenté.
[25] En date du 23 août 2010, le représentant de la travailleuse transmet une correspondance à la conseillère en réadaptation afin d’attirer son attention sur le fait que considérant la règlementation municipale et les marges de recul requises, la travailleuse se doit d’acquérir un terrain d’une superficie minimale de 5025 pieds carrés, si elle veut pouvoir construire une résidence de la superficie décrite par l’architecte Miron.
[26] Le 25 août 2010, l’architecte Miron transmet à la CSST ses commentaires relativement à la demande du représentant de la travailleuse :
[…] Si la CSST octroie un garage, tel que mentionné dans mon rapport, nous devrions ajouter le 400 pi2 proposé. Si tel que proposé, la maison serait construite sur 2 étages (rez-de-chaussée et sous-sol), la partie de maison habitable occuperait 1 000pi2 de surface de terrain et le garage qui doit se trouver au niveau du sol le 400 pi2, mentionné. Le bâtiment occuperait donc 1 400 pi2 de surface. Supposons que le bâtiment soit rectangulaire et qu’il aurait 40 pieds de largeur et 35 pieds de profondeur, et ce, pour simplifier l’exercice.
Maintenant, appliquons la réglementation municipale à ce bâtiment. La somme minimale des cours demandées pour l’avant et l’arrière est de 14m (8m + 6m), soient 46 pi, environ. La somme minimale des cours latérales est de 3,2m, soient 10.5 pi. Si nous ajoutons ces distances aux dimensions du bâtiment rectangulaire proposé, nous obtiendrons un terrain de 50-.5 pi par 81 pi, soient 4090 pi2 environ.
Conclusion
La décision du montant d’aide à Mme Deguire pour se bâtir une nouvelle maison appartient à la CSST et tous ces chiffres sont là pour qu’elle puisse prendre une décision éclairée. Mme Deguire a le droit de se construire comme elle l’entend, ça lui appartient. L’esprit dans lequel a été produit le rapport est que l’aide financière apportée à Mme Deguire puisse contribuer à ce qu’elle se bâtisse une maison adaptée selon la qualité de vie qu’elle détient présentement, ni plus ni moins. Je crois toujours que le montant spécifié dans mon rapport (108 000,00$) est équitable. Toutefois, si la CSST croyait que certaines conditions existante, dont l’information nous échappe, obligerait la bénéficiaire à des dépenses supplémentaires, hors de son contrôle, pour se construire, je crois qu’il serait juste d’étudier la question.
[notre soulignement] [sic]
[27] Dans une note évolutive de la conseillère en réadaptation, en date du 24 avril 2012, on peut lire ce qui suit :
Titre : montant adaptation résidentielle
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
Les données actualisées de Christian Miron, architecte, font état d’un montant de 127 725,00 pour l’adaptation résidentielle (voir rapport du 20 mars 2012), dont 9395,00 pour le terrain. Par ailleurs, considérant la difficulté à présenter un montant équitable pour l’achat du terrain, nous avons pris la décision d’accorder le coût lié à l’achat d’un terrain de 5025 pieds carrés tel que réclamé par Jean-François Lapointe, représentant de la T à la CSN (voir document de ce dernier daté du 23 août 2010). Ainsi, comme la T possède déjà un terrain de 2854 pieds carrés, la CSST considère équitable de lui verser un montant pour l’achat du terrain équivalent à la différence entre la superficie recommandée par son représentant, soit 5025 pieds carrés et la superficie du terrain actuel de la T, soit 2854 pieds carrés. Par ailleurs, la T nous confirme l’achat d’un terrain à 8,62$ du pied carré plus taxes 9,91$ du pied carré. Si nous multiplions ce montant par la différence de superficie nécessaire (9, 91$ du pied carré X 2171 pieds carrés), nous obtenons un montant de 21 514,61$ pour le terrain.
Au total, nous accordons un montant de 139 844,61$ pour l’adaptation résidentielle incluant le terrain et les taxes.
[notre soulignement] [sic]
[28] Le 24 avril 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte de verser à la travailleuse un montant de 139 844,61 $ afin qu’elle ait accès à un domicile adapté à ses besoins. On peut lire ce qui suit dans cette décision :
Devant l’impossibilité d’adapter votre domicile, un montant dans le but de construire une maison adaptée à vos besoins a été proposé en janvier 2010. Le montant proposé tenait compte des couts additionnels liés à l’adaptation d'un domicile et fut élaboré par l’architecte Miron.
[…]
Ainsi en tenant compte des coûts du marché, des règlements en vigueur à la CSST et de vos besoins, la CSST accepte de vous verser un montant de 139 844,61$ (incluant taxes) pour vous permettre de construire un domicile adapté à vos besoins.
Vous avez la responsabilité de faire produire les plans architecturaux répondant aux recommandations de l’ergothérapeute Claude Bougie. Ces plans devront ensuite nous être soumis pour approbation. Les frais autant de l’ergothérapeute que de l’architecte seront assumés par la CSST. Vous serez ensuite responsable d’obtenir tous les permis nécessaires à la construction de votre maison, lesquels seront également remboursables par la CSST.
[…]
[29] La travailleuse demande la révision de cette décision qui est confirmée en révision administrative le 17 juillet 2012. On peut lire ce qui suit dans cette décision :
DÉCISION
À partir des éléments au dossier, la Révision administrative constate que selon le professionnel mandaté par la Commission qui a fait l’évaluation du coût total répondant aux besoins d’adaptation du domicile, le montant requis, afin de compenser la travailleuse pour la construction d’une maison adaptée à sa condition, en tenant compte de la valeur de sa résidence actuelle, est de 139 844,61 $.
En conséquence, la Révision administrative:
DÉCLARE que la travailleuse a droit à la somme de 139 844,61 $ pour la construction d’un domicile adapté à ses besoins. De plus, la Commission assume les frais de l’ergothérapeute, de l’architecte ainsi que le coût des permis de construction.
[notre soulignement]
[30] La travailleuse demande la révision de cette décision.
[31] Le 14 septembre 2012, on peut lire dans les notes du dossier que la travailleuse revoit son psychiatre qui pose un diagnostic de TDAH. Elle voit également le docteur Duranleau pour des problèmes de rotule.
[32] La travailleuse mentionne dans son témoignage avoir fait une chute dans les escaliers de sa résidence à cette époque.
[33] Le 2 octobre 2012, le dossier fait état des démarches de la travailleuse pour l’obtention d’un prêt hypothécaire.
[34] Le 16 octobre 2012, la travailleuse débute un retour au travail progressif malgré le fait que sa lésion ne soit toujours pas consolidée.
[35] Le 29 octobre 2012, la travailleuse avise la CSST qu’elle a vendu sa résidence et qu’elle en a trouvé une autre à Lachenaie. Le déménagement est prévu pour le 30 novembre 2012. La conseillère en réadaptation avise la travailleuse qu’elle amorcera les adaptations de cette nouvelle maison en janvier 2013.
[36] Dans une note évolutive du 8 novembre 2012, on peut lire ce qui suit :
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
[…]
Adaptation résidentielle : Considérant que la T a acheté une maison déjà construite et que cette maison sera adaptée par la CSST, la T se désistera de sa contestation à la CLP concernant le montant octroyé pour bâtir une maison adaptée à ses besoins.
[37] Le 13 novembre 2012, la travailleuse procède à la vente de sa résidence de Mascouche pour un prix de 197,000 $. Un solde net de 62 932,94 $ revient à la travailleuse et son conjoint, après le remboursement du solde de l’hypothèque et le paiement des frais de vente.
[38] Le 30 novembre 2012, la travailleuse et son conjoint procèdent à l’achat de leur résidence à Lachenaie. Le prix d’achat est de 385 000 $. La résidence, d’une superficie de 2177,34 pi2, est munie d’un garage double d’une superficie de 400 pi2. Elle est construite sur un terrain de 5582,33 pi2.
[39] Les notes du dossier font état des difficultés rencontrées par la travailleuse dans son retour au travail. Elle se dit très épuisée et a de la difficulté à terminer ses journées de travail. Elle poursuit un programme de développement de ses capacités en ergothérapie qui doit prendre fin dans la semaine du 27 novembre 2012.
[40] Le 7 février 2013, une visite a lieu au nouveau domicile de la travailleuse. Dans les notes évolutives, on peut lire ce qui suit relativement à la description de la résidence :
[…] La T habite maintenant un bungalow avec un garage double. La chambre à coucher principale, la salle de bain, le salon, la cuisine et la salle de lavage sont situés à l’étage principal. Les chambres à coucher des enfants sont situées au sous-sol. Les pièces sont grandes ce qui facilitera les déplacements en fauteuil roulant. […]
[41] Le 18 avril 2013, on peut lire ce qui suit dans les notes évolutives relativement à la condition psychique de la travailleuse :
Titre : Avis sur diagnostics et expertise en psychiatrie
- ASPECT MÉDICAL :
La travailleuse a subi une lésion professionnelle à début fort simple mais qui s’est compliqué par une infection par la bactérie streptocoque mangeuse de chair qui a obligé à une amputation du membre inférieur gauche (MIG). La portion physique de la lésion est consolidée.
La travailleuse a développé une problématique psychique secondaire de trouble dépressif, de trouble douloureux, de trouble d’adaptation ou trouble anxieux selon les différents rapports médicaux de la psychiatre Dre Lévesque. Il existe une relation entre ces problématiques psychiques et la lésion professionnelle. Je recommande de reconnaître les deux premiers de listes ci-avant.
Une expertise est demandée en psychiatrie afin de faire le point sur la lésion psychique car les dernières notes de la psychiatre annonce une problématique chronicisée aidée par la médication et un suivi en psychologie.
Une IMC est envoyée au Dre Lévesque afin de vérifier si une évolution du psyché est encore possible.
Un diagnostic de TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité) de l’adulte fut posé durant le suivi de cette lésion au MIG. Le neurologue a précisé que cette condition personnelle fut exacerbée suite aux conséquences de la lésion professionnelle. Il est plausible de reconnaître la relation entre l’aggravation de cette condition personnelle et l’accident de travail du 5 février 2009. [sic]
[42] Le 23 avril 2013, lors d’une visite au domicile de la travailleuse en vue de trouver une solution lui permettant d’accéder à son sous-sol, la discussion suivante est rapportée par la conseillère en réadaptation :
[...]
- La T me demande un montant d’argent pour compenser le fait qu’elle ait dû acheter une maison plus coûteuse en raison de ses besoins suite à la lésion professionnelle. Je lui explique que j’ai déjà rendu une décision sur un montant d’argent pour la construction d’une nouvelle maison mais qu’elle s’est désistée de son appel à la CLP. Elle m’explique s’être désisté en raison de la date de l’audition qui était fixée à la même date que l’événement. De plus, l’avocat de la CSN, Me Mailloux, lui a demandé de se désisté. Elle me demande une nouvelle décision et m’explique que le délégué syndical, monsieur McSeeen la contestera. Informée que je vais valider si légalement parlant je peux rendre une telle décision. […] [sic]
[43] Le 4 juillet 2013, le docteur Pierre P. Dupuis, chirurgien orthopédiste, procède à l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de la travailleuse. Il retient une atteinte permanente de 62 %, soit 50 % pour l’amputation du membre inférieur gauche au niveau du tiers moyen de la cuisse, et 12 % à titre de préjudice esthétique résultant de l’amputation. Il décrit les limitations fonctionnelles ainsi :
Madame m’a décrit ses fonctions. Il est clair que madame ne pourra pas participer au vidage des camions. Elle aura de la difficulté à marcher avec des caisses pleines dans les mains. Elle ne peut s’accroupir. Elle ne peut travailler dans des échelles ou des escaliers. Elle ne peut marcher sur des terrains inégaux. Elle ne peut faire les commandes à l’auto. Elle ne peut rester sur place pour de longues périodes de temps.
Elle pourra cependant pousser un chariot dont le poids n’excèdera pas 125 lb et elle ne devra pas avoir à le manipuler dans des endroits exigus.
Ceci correspond grossièrement à une classe 2 sur l’échelle des restrictions pour le membre inférieur de l’IRSST, en gardant les charges maximales levées ou soutenues probablement autour de 7 kg ou 10 kg.
[44] Le 6 septembre 2013, la travailleuse est vue en expertise psychiatrique par le docteur Michel Gil, à la demande de la CSST. Le docteur Gil ne retient pas d’atteinte permanente en lien avec la condition psychique de la travailleuse ni de limitations fonctionnelles.
[45] Aucun avis du Bureau d’évaluation médicale (BEM) n’a été produit au dossier. Mais, dans son témoignage, la travailleuse a mentionné que c’est l’atteinte permanente de 62 % qui a été retenue dans son dossier, de sorte que nous présumons que c’est l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles déterminées par le docteur Dupuis qui ont été retenues par le BEM.
[46] Le 19 mars 2014, le conseiller en réadaptation confirme avoir reçu les soumissions pour l’adaptation du nouveau domicile de la travailleuse. On recommande d’accepter celle de Construction Maxima au prix de 59 325,75 $.
[47] Le 11 avril 2014, la CSST rend une décision par laquelle elle autorise un montant de 59 325,75 $ pour l’adaptation du domicile de la travailleuse.
[48] Le 28 avril 2014, lors d’une réunion avec les différents intervenants intéressés par les adaptations du domicile, la travailleuse réitère sa demande d’un montant compensatoire pour l’achat d’une nouvelle résidence adaptée à ses besoins. La conseillère en réadaptation lui mentionne ce qui suit :
T me reparle du montant compensatoire prévue dans la lettre de Mme Scullion.
Ce dernier était prévu pour la construction d’un domicile adapté. Cependant, la T a fait le choix de s’acheter une maison déjà construite et on la CSST paie pour les adaptations requises seulement et non pour l’achat de la maison. Une nouvelle décision a été rendue le 11 avril concernant le montant autorisé pour l’adaptation résidentielle et c’est cette décision maintenant qui est contestable.
Si T conteste, elle me demande si les travaux pourront avoir lieu. Je suis pas en mesure de lui répondre. Je vais vérifier et je la rappelle dès que j’ai la réponse. [sic]
[49] Le 28 avril 2014, un rapport du docteur Duranleau, transmis à la CSST, indique que la travailleuse est suivie en psychologie depuis cinq ans. Depuis l’accident du 5 février 2009, elle souffre d’un trouble de déficit de l’attention. Elle est également suivie en psychiatrie par la docteure Lévesque et par le psychologue Martin Jodoin depuis cinq ans. On indique que la travailleuse habitait un domicile non adapté et qu’elle avait un stress secondaire en lien avec cette situation. Elle devait déménager. Elle vit des difficultés matrimoniales et des difficultés économiques. Les relations avec sa famille et sa belle-famille sont difficiles. Son essai de retour au travail serait toutefois fructueux. Elle est capable de faire son travail à 80 %. Elle doit pouvoir s’asseoir périodiquement.
[50] Le 12 mai 2014, la travailleuse demande la révision d’une décision concernant l’adaptation du domicile rendue le 11 avril 2014.
[51] Dans son témoignage, la travailleuse explique qu’elle demande un montant compensatoire qui prend en considération le fait qu’elle a déboursé des montants supplémentaires pour acquérir une maison usagée, comportant déjà les spécifications prescrites par l’ergothérapeute et l’architecte Miron, afin que l’on puisse adapter plus aisément cette résidence à ses besoins.
[52] Elle mentionne avoir fait plusieurs démarches pour acquérir un terrain vacant convenant à ses besoins et elle a même déposé des sommes pour réserver des terrains. Mais, les longs délais occasionnés par la nécessité que des plans d’architectes soient préparés et approuvés par la CSST lui ont fait perdre les terrains, les entrepreneurs ne pouvant pas les lui réserver indéfiniment. Heureusement, elle a pu récupérer le dernier dépôt fait sur un terrain parce que l’entrepreneur avait déjà construit une maison sur le terrain réservé.
[53] La travailleuse mentionne qu’elle a choisi une maison usagée plutôt que la construction d’une résidence neuve à cause des délais que la construction impose. Elle a mentionné qu’en septembre 2012, elle a fait une chute dans les escaliers de sa résidence menant à l’étage. Son escalier comprend 14 marches. C’était la deuxième fois qu’elle chutait dans les escaliers. Elle ne pouvait plus continuer à habiter dans cette résidence plus longtemps. La travailleuse souligne qu’à cette époque elle était suivie pour une dépression. Elle souligne que son accident est survenu en février 2009 et qu’après trois ans et demi, elle vivait toujours dans une maison non adaptée à ses besoins.
[54] L’achat d’une maison usagée lui permettrait de vivre dans une maison plus facilement adaptable dans un délai de trois à six mois, alors que la construction d’une maison neuve avec l’approbation des plans ne serait pas réalisée avant un an à un an et demi.
[55] Elle s’est donc mise à la recherche d’une résidence usagée comportant les spécifications prescrites par l’architecte Miron et l’ergothérapeute Bougie, quant à la grandeur des pièces, afin qu’elle puisse circuler dans toutes les pièces avec son fauteuil roulant. Elle explique que son handicap ne lui permet plus de prendre une douche debout. La douche doit être suffisamment grande pour pouvoir y mettre un banc pour s’y asseoir. La maison doit avoir un garage parce qu’elle ne peut plus marcher sur un terrain accidenté ou glissant avec sa prothèse. Elle ne pourrait pas déneiger son véhicule seule. Elle a de la difficulté à monter et descendre les escaliers, de sorte que sa nouvelle résidence est sur un seul plancher avec un sous-sol plutôt que deux étages comme auparavant.
[56] Le fait que sa maison n’a qu’un étage plutôt que deux et qu’elle doit être munie d’un garage implique qu’elle a dû acheter un terrain plus grand et elle a dû assumer les coûts d’acquisition du terrain additionnel et de la construction de la superficie additionnelle de la maison et du garage. Elle ne réclame pas la différence de coûts entre sa résidence précédente et la nouvelle, elle réclame les coûts additionnels correspondant aux mesures d’adaptation suggérées à sa résidence précédente, lesquels coûts avaient été évalués par l’architecte Miron dans son rapport, et en tenant compte de la superficie de terrain finalement acceptée par la CSST, soit;
· Superficie additionnelle de la résidence; (258 pi. ca. X 160,00$) 41 280,00$
· Coût de construction du garage; (400 pi. ca. X 87,50$) 35 000.00$
· Superficie additionnelle du terrain; (2171 pi. ca. X 9,91$) 21 514,61$
Total : 97 794,61$
[57] N’eut été de son handicap, la travailleuse précise qu’elle n’aurait pas acheté une maison aussi grande.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[58] La représentante de la travailleuse plaide que ce sont les dispositions de l’article 153 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) qui s’appliquent. La travailleuse a droit à la réadaptation et à la réparation des conséquences de sa lésion professionnelle. Il n’est pas contredit que la résidence que la travailleuse habitait au moment où elle a subi sa lésion professionnelle n’était pas adaptable. La CSST doit donc rechercher une solution appropriée afin que la travailleuse puisse déménager dans un domicile adapté à sa condition. Il faut prendre en considération l’état psychologique de la travailleuse qui nécessitait qu’elle puisse, le plus rapidement possible, aménager dans une résidence adaptée à ses besoins. En achetant une maison usagée avec déjà les spécifications requises par l’architecte et l’ergothérapeute, la travailleuse a fait en sorte d’accélérer le processus d’adaptation de sa résidence. Considérant qu’elle a dû débourser pour des options que la CSST avait accepté de lui rembourser dans le cadre de la construction d’une maison neuve, il serait équitable que la travailleuse soit remboursée de ces options.
[59] La jurisprudence[3] de la Commission des lésions professionnelles prévoit que l’on peut s’inspirer des articles 351 et 184 pour rendre des décisions qui tiennent compte des principes d’équité et qui visent à réparer les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse.
[60] De son côté, la CSST plaide qu’il n’y a pas de fondement juridique à la demande de la travailleuse. Les dispositions des articles 153 et 154 de la loi prévoient que si le domicile de la travailleuse ne peut être adapté et qu’elle achète un nouveau domicile, c’est ce dernier qui doit être adapté sans tenir compte de la valeur des adaptations que l’on aurait pu déterminer si la travailleuse avait choisi l’option d’une construction neuve. En ne retenant pas cette dernière option, la travailleuse perd la valeur des adaptations déterminées par l’architecte.
[61] La CSST s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire CSST et Lapointe Télécommunication A.R. Ltée[4] pour conclure que le tribunal n’a pas d’assise juridique pour accorder à la travailleuse les sommes demandées.
L’AVIS DES MEMBRES
[62] Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, le soussigné a requis l’avis de membres des associations syndicales et d’employeurs.
[63] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la travailleuse a droit au montant compensatoire réclamé. Ces montants correspondent à la valeur des mesures d’adaptation que nécessitait la résidence de la travailleuse, si elle avait été adaptable. Comme on ne peut l’adapter, la travailleuse devait en acquérir une nouvelle possédant les caractéristiques déterminées par un architecte et un ergothérapeute mandatés par la CSST. Il ne voit pas pourquoi la travailleuse ne peut se faire rembourser ces coûts parce qu’elle a décidé d’acheter une maison usagée alors qu’elle était en droit de les obtenir si elle se faisait construire une résidence neuve. La loi ne fait pas une telle distinction. La CSST a l’obligation de mettre en œuvre des moyens visant à procurer à la travailleuse une maison adaptée à ses besoins. L’achat d’une maison usagée adaptable, comportant les caractéristiques prescrites par l’architecte et l’ergothérapeute mandatés par la CSST, fait partie de ces moyens et était, dans les circonstances, la solution la plus appropriée. La travailleuse est en droit de se faire rembourser la valeur des mesures d’adaptation recommandées dans son dossier et qu’elle a dû défrayer lors de l’achat de sa nouvelle résidence.
[64] La membre issue des associations d’employeurs est quant à elle d’avis que le tribunal devrait rejeter la requête de la travailleuse. La situation juridique dans laquelle se trouvait la travailleuse a changé lorsqu’elle a décidé d’acquérir une résidence usagée. L’article 153 prévoit que si la résidence de la travailleuse est adaptable, la CSST paie pour les mesures d’adaptation de cette résidence et rien d’autre. La loi ne prévoit pas que la CSST doit contribuer au coût d’achat de la résidence. Si la travailleuse voulait obtenir le montant de 139 844,61 $, elle devait le faire dans le contexte de la construction d’une résidence neuve.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[65] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit, en sus de la somme de 59 325,75$ qui lui est accordée par la CSST pour l’adaptation de son domicile, au remboursement de la somme de 97 794,61 $ correspondant à la valeur de certaines mesures d’adaptation suggérées par l’architecte Morin et l’ergothérapeute Bougie, mandatés par la CSST. Ce montant correspond au coût de construction d’un garage de 400 pieds carrés, à la superficie additionnelle de la résidence usagée achetée et au coût d’acquisition d’un terrain d’une superficie plus grande.
[66] La demande de la travailleuse s’inscrit dans le cadre de la réadaptation sociale prévue par la loi.
[67] Pour avoir droit à la réadaptation sociale, la travailleuse doit d’abord être admise en réadaptation :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[68] En l’espèce, la travailleuse a droit à la réadaptation sociale puisqu’elle a subi une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à la suite de sa lésion professionnelle. D’ailleurs, la CSST a mis en place un processus de réadaptation et a déjà accepté plusieurs mesures visant à améliorer sa réinsertion sociale.
[69] L’article 152 de la loi prévoit :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[70] Les articles 153 et 154 prévoient ce qui suit en regard de l’adaptation du domicile :
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
__________
1985, c. 6, a. 153.
154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.
À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.
__________
1985, c. 6, a. 154.
[71] Rappelons également que la loi a été adoptée pour les raisons mentionnées à l’article 1 :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[notre soulignement]
[72] Il s’agit donc d’apprécier si les mesures de réadaptation que réclame la travailleuse répondent à l’objectif énoncé à l’article 151 de loi :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
[73] L’article 181 de la loi est la seule disposition qui impose une limite financière au droit à la réadaptation. Cette disposition se lit comme suit :
181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.
Dans la mise en œuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
__________
1985, c. 6, a. 181.
[74] Quant à l’article 184, il prévoit à son cinquième paragraphe que la CSST peut prendre toutes mesures qu’elle estime utiles pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle :
184. La Commission peut :
[…]
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 184.
[75] L’article 351 de la loi prévoit ce qui suit :
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
__________
1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[76] L’article 377 prévoit les pouvoirs qui sont dévolus au présent tribunal :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
__________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[77] Le tribunal croit opportun de citer l’extrait suivant d’une décision précédente rendue par la Commission des lésions professionnelles dans le dossier de la travailleuse[5], où nous lisons :
[67] Selon la jurisprudence bien établie sur la question, l’article 152 de la loi comporte une énumération non limitative des différentes mesures de réadaptation sociale que peut revendiquer un travailleur victime d’une lésion professionnelle3.
[…]
[76] Dans la présente affaire, il est vrai que la CSST a accordé à la travailleuse, sous différentes formes, de nombreuses mesures de réadaptation.
[77] Par contre, il importe de souligner qu’au moment de l’événement, la travailleuse était âgée de 33 ans et était mère de deux très jeunes enfants.
[…]
[79] Les conséquences de la lésion professionnelle sont importantes et ont entravé de façon majeure l’autonomie et le dynamisme qui caractérisaient la vie de la travailleuse auparavant.
[…]
[89] Autoriser l’adaptation de la roulotte va tout à fait dans le sens des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Cayouette et Gestion Clément Cayouette7:
[61] Sous l’angle de la réadaptation sociale, le tribunal a déjà indiqué que les programmes énumérés à la loi ne sont pas exhaustifs et toutes mesures visant à aider le travailleur à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle et lui permettent de s’adapter à la nouvelle situation qui découle de cette lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles peuvent être envisagées. (Je souligne)
[90] Il en va de même dans l’affaire Lefebvre et Carborundum Canada inc.8 :
[37] Les mesures de réadaptation sociale visent donc à aider le travailleur à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, pour qu’il puisse s’adapter à sa nouvelle situation qui découle de sa lésion professionnelle et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.
[38] Lorsque le législateur indique à l’article 152 que « un programme de réadaptation social peut comprendre notamment… », on peut comprendre que les mesures de réadaptation ne se limitent pas seulement à celles qui y sont énumérées. D’autres mesures peuvent être envisagées en autant qu’elles contribuent à aider le travailleur à surmonter les conséquences personnelles et sociales qui découlent de sa lésion professionnelle.
[39] Comme en conclut la commissaire Landry dans l’affaire Mathieu et Désourdy-Duranceau Ent. Inc.5, la combinaison des articles 145, 151, 152 et 184 de la Loi permet d’envisager une mesure sociale qui n’est pas spécifiquement énumérée à la Loi mais qui répond à l’objectif visé par la réadaptation sociale.
__________
5 Précitée, note 4.
[91] Enfin, la soussignée retient les principes énoncés par la juge administratif Lamarre dans l’affaire Gauthier9:
[46] Force est de constater que les éléments qui doivent être pris en considération pour décider du droit à la réadaptation sociale sont des concepts très larges qui laissent beaucoup de place à l’appréciation du tribunal. Le droit à une mesure de réadaptation sociale n’est, cependant, pas automatique10. Il faut qu’une analyse soit faite pour déterminer si la mesure demandée a pour but de l’aider à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de la lésion professionnelle, à s’adapter à la nouvelle situation découlant de la lésion et à redevenir autonome.
__________
10 Grenier et Manac inc., précitée note 9.
______________
6 Julien et Construction Nationair inc., C.L.P. 120819-32-9907, 7 août 2000, G. Tardif; Letendre et Relezon Canada inc., [2004] C.L.P. 1769; Du Tremble et Toitures Protech, C.L.P. 239633-64-0407, 20 juin 2005, R. Daniel.
7 C.L.P. 244581-63-0409, 7 juin 2006, J.-P. Arsenault.
8 C.L.P. 219710-04-0311, 26 mars 2004, S. Sénéchal.
9 Gauthier et 2745992 Canada inc., C.L.P. 377310-71-0905, 20 avril 2011, M. Lamarre.
[78] La CSST s’appuie sur l’affaire CSST et Lapointe Télécommunication A.R. Ltée[6] pour soutenir que le présent tribunal n’a pas d’assise juridique pour accorder la demande de la travailleuse puisque la loi ne prévoit que l’adaptation du domicile de la travailleuse et non son coût d’acquisition. On peut lire ce qui suit dans cette dernière affaire :
La Commission d'appel révise la décision du 25 novembre 1992 pour les raisons suivantes.
Dans cette décision, le commissaire a fait trois erreurs de droit. Ainsi, il ne pouvait prétendre que la loi n'empêche pas la Commission de défrayer la différence entre le prix de vente de l'ancienne maison et de la nouvelle. En effet, la loi prévoit clairement les diverses mesures de réadaptation et il n'est nullement fait mention d'une telle possibilité. Dans ce sens, selon la Commission d'appel, la loi empêche bel et bien la Commission de rembourser une telle somme. En second lieu, il apparaît à la Commission d'appel que le terme «notamment» de l'article 152, indique simplement que la liste sous-jacente n'est pas exhaustive mais concerne les diverses mesures prévues expressément dans la loi. On a simplement indiqué ici un résumé des mesures prévues ailleurs dans la loi. Interpréter autrement ou comme le travailleur le fait, signifierait qu'on peut ajouter un peu de tout et enlèverait, bien sûr, presque tout sens aux autres articles particuliers. Finalement, il est exact que l'article 153 ne mentionne nullement, comme l'a prétendu le commissaire, qu'il doit s'agir de la solution la plus économique.
Ceci apparaît dans un autre article.
De ces trois erreurs de droit, la Commission d'appel constate que les deux premières sont importantes et entachent sérieusement et irrévocablement la décision du 25 novembre 1992.
La Commission d'appel ne peut partager la prétention du travailleur à l'effet qu'il fallait ici adopter l'interprétation téléologique, interpréter l'ensemble de la loi. D'une part, la liste précise des mesures de réadaptation, notamment quant à l'adaptation du domicile et au changement de résidence, ne laisse aucune place à l'interprétation générale proposée. D'ailleurs, cette façon de lire la loi ne répond aucunement au problème particulier soumis.
Dans les circonstances, la Commission d'appel qui ne peut en aucun temps ajouter à la loi, doit, tel que déjà mentionné, réviser la décision du 25 novembre 1992 et décider, dès lors, que le travailleur n'a pas droit au remboursement d'un montant de 30 000,00$, représentant la différence entre la vente de sa première résidence et l'achat de la seconde.
[79] Cette décision a été fréquemment citée dans la jurisprudence du tribunal pour soutenir le principe qu’un travailleur accidenté n’a pas droit à la différence de coûts entre la vente d’une automobile déclarée non adaptable et l’acquisition d’une nouvelle automobile alors que les dispositions de la loi à cet égard s’apparentent à l’adaptation du domicile :
155. L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui-même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.
__________
1985, c. 6, a. 155.
156. La Commission ne peut assumer le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal du travailleur visé dans l'article 153 ou 155 que si celui-ci lui fournit au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés et dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige, et lui remet copies des autorisations et permis requis pour l'exécution de ces travaux.
__________
1985, c. 6, a. 156.
[80] Par ailleurs, toujours en s’appuyant sur les dispositions des articles 155 et 156, une tendance jurisprudentielle s’est développée voulant que la CSST, même si elle ne peut que défrayer les coûts relatifs à l’adaptation d’un véhicule, puisse tout de même rembourser au travailleur la valeur des mesures d’adaptation d’un véhicule dans le cas où le véhicule du travailleur ne peut être adapté.
[81] Dans l’affaire Julien et Construction Nationar inc. (faillite)[7], la Commission des lésions professionnelles mentionne ce qui suit :
[21] […] En effet, la capacité résiduelle du travailleur ne lui permet pas de prendre place au siège du conducteur en se transférant de son fauteuil roulant à un siège standard. Il doit être en mesure d’avoir accès, en fauteuil roulant ou en triporteur, à l’intérieur du véhicule. Seulement un certain type de véhicule comporte une porte principale assez large et une suspension assez robuste pour permettre au travailleur d’y avoir accès. Seulement si cet accès est possible, les autres adaptations requises seront utiles. Ces recommandations ont été considérées dans l’acquisition du véhicule en 1989 qui doit maintenant être remplacé.
[22] Le cas soumis en l’espèce se distingue de l’affaire Charrette et Centco5. Dans cette affaire, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) conclut que le travailleur n’a pas droit au remboursement de la différence entre le montant obtenu de la vente du véhicule qu’il utilisait avant de se blesser et un nouveau véhicule, après avoir énoncé les principes applicables :
« […]
De la lecture des dispositions applicables, la Commission d’appel constate que la loi est spécifique sur la nature des coûts soumis par la Commission. Il ne s’agit que des coûts d’adaptation du véhicule, par opposition aux coûts d’achat dudit véhicule, pour quelque motif que ce soit.
Cette conclusion s’infère du texte clair des dispositions citées.
De plus, on peut constater, dans le cas du véhicule principal, que l’article 157 prévoit spécifiquement que la Commission défraiera un coût supérieur au coût d’adaptation uniquement lorsque les frais d’assurances ou d’entretien supplémentaire sont entraînés par l’adaptation du véhicule. Il s’agit d’une disposition limitative qui montre bien que la Commission ne défraie pas d’autres coûts que ceux d’adaptation du véhicule ou ceux décrits et spécifiquement reliés à l’adaptation du véhicule.
On peut aussi constater, par comparaison, à la lecture des articles 153 et 154 qui s’appliquent à l’adaptation du domicile, que l’hypothèse d’un déménagement est prévue par le législateur et que même dans ce cas, uniquement certains frais de déménagement, par opposition au coût d’achat, sont remboursés.
Le remboursement du coût d’achat par opposition au coût d’adaptation n’est donc pas autorisé par la loi dans le cadre de la réadaptation sociale d’un travailleur.
[…] »
[23] En l’espèce, la demande est tout autre. Il n’est pas question de rembourser au travailleur le coût d’achat de son véhicule. La demande concerne les adaptations requises pour le véhicule principal du travailleur. La preuve révèle que les véhicules « standards » ne sont pas adaptables à la capacité résiduelle du travailleur à moins d’en modifier considérablement la structure, ce qui n’est pas recommandé par les entreprises spécialisées dans ce domaine comme l’explique M. Trudel dans sa lettre du 20 juillet 2006. Il ne s’agit donc pas d’une solution appropriée.
[24] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que les caractéristiques spécifiques relatives à la dimension de la porte centrale et à la rigidité de la suspension doivent en l’espèce être considérées comme des adaptations nécessaires au véhicule du travailleur, tout comme l’a été « l’espace additionnelle » dans l’adaptation de la résidence principale du travailleur.
[25] Chaque cas est particulier. La nature des adaptations qui peuvent être mises en œuvre dans le cadre du programme de réadaptation sociale s’évalue en fonction des conséquences de la lésion professionnelle et de la perte de capacité qu’elle a entraînée. L’objectif du programme qui vise à redonner à un travailleur une autonomie dans les activités habituelles rend juste l’interprétation que la Commission des lésions professionnelles donne en l’espèce aux termes « adaptation du véhicule ».
[26] Le travailleur a estimé que ces adaptations représentent un coût additionnel d’environ 10 000 $ par rapport au coût moyen d’un autre véhicule. La méthode de calcul est équitable et réaliste.
_________________
5 C.A.L.P. 40446-63-9206, 94-01-14, J. L’Heureux.
[notre soulignement]
[82] Dans l’affaire Picard et Abitibi Consolidated (Scierie des Outardes)[8] , nous lisons ce qui suit:
[16] Le tribunal précise que l'article 155 de la loi porte sur l’adaptation du véhicule et non sur l'achat d'un nouveau. D’ailleurs, la jurisprudence en la matière2 est à l’effet que le coût de remplacement ou d’acquisition d'un véhicule n'est pas prévu par la loi. Le travailleur doit donc l’assumer.
[17] Cependant, à la note évolutive consignée le 15 février 2011, la CSST s’engage à rembourser au travailleur le montant du coût de l’option d’une transmission automatique pour l’achat d’un nouveau véhicule. Le travailleur achète un nouveau véhicule, mais le coût de l’option pour la transmission automatique n’apparaît pas sur la facture.
[18] L’agent de la CSST fait des démarches afin d’établir le montant supplémentaire que le travailleur a déboursé pour l’achat d’un véhicule à transmission automatique par rapport à une manuelle. Le concessionnaire explique que le véhicule acheté par le travailleur n’existe pas avec une transmission manuelle. Donc, il n’y a pas de détail pour l’option automatique puisque c’est la seule version de ce véhicule.
[…]
[22] Le tribunal convient que le montant du coût d’une modification de transmission manuelle à automatique est fort probablement plus élevé que 1646,22 $. Cependant, même si le travailleur avait été en mesure de démontrer que le coût des travaux de modification de la transmission aurait été de 7000 $, il ne s’agit pas de l’objet du litige. Dans la présente affaire, la CSST rembourse au travailleur la différence de prix entre un véhicule à transmission manuelle et un véhicule à transmission automatique et non pas le coût que représentent les travaux qui auraient été effectués. C’est ce qui est clairement convenu et noté au dossier.
[23] Puisque la modification n’était pas possible, ce qui est payé par la CSST au travailleur est la différence de prix qu’il a possiblement dû assumer pour se procurer un véhicule à transmission automatique. En effet, puisque le modèle acheté par le travailleur ne se fait pas avec une transmission manuelle, c’est à bon droit que la CSST a cherché à établir un comparable pour indemniser le travailleur.
[24] Le tribunal constate que la CSST a déterminé le montant à payer en vérifiant chez différents concessionnaires l’écart de prix entre une transmission automatique et une manuelle sur un même modèle. Ainsi, la CSST a versé au travailleur la plus haute évaluation trouvée dans sa recherche.
_______________
2 Voir notamment Leblanc et Arsenault et CSST, [1990] C.A.L.P. 803; Bacon et Érecteurs Raymond (1989) inc., 18901-09-9005, 6 novembre 1992, R. Chartier; CSST et Lapointe et Construction en télécommunication A. R. ltée, 30067-05-9106, 31 mai 1993, G. Perreault; Charrette et Centco, 40446-63-9206, 14 janvier 1994, J. L’Heureux; Croteau et Sables Olimag inc., 28056-03-9104, 8 décembre 1994, C. Bérubé; Bibeau et Atco ltd (ATCO MÉTAL), C.L.P. 105613 - 62-9810, 11 août 1999, S. Mathieu; Bertrand et Construction Del-Nor inc., C.L.P. 201584-64-0303, 3 novembre 2003, M. Montplaisir; Duhaime et Lavalum S.E.C., C.L.P. 348771-04-0805, 25 septembre 2008, M. Watkins.
[83] Dans l’affaire D.H. et Compagnie A[9], on reprend avec approbation cette même interprétation de la loi :
[127] Le tribunal est bien conscient que le véhicule, objet de la demande du travailleur, n’est pas adapté au sens propre du terme. Mais, le tribunal a déjà décidé dans l’affaire Parisé et Maconnerie Pro-Val inc.9 que l’adaptation difficile d’un véhicule et l’urgence d’agir justifiaient un travailleur de procéder au changement d’un véhicule plutôt que de l’adapter. Pour ces raisons, et afin de rendre une décision en toute justice, considérant la preuve au dossier, la démonstration des besoins du travailleur, l’objectif hautement social de la loi visant d’abord la réparation d’une lésion professionnelle et le principe de la réparation, il y a lieu d’avoir une interprétation large de la notion d’adaptation. Il apparaît plus approprié de considérer la finalité recherchée plutôt que le processus pour l’obtenir. L’objectif de la loi n’est pas d’adapter un véhicule, mais que le travailleur puisse bénéficier d’un véhicule adapté à ses besoins, conséquences de sa lésion, afin de surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelles.
[128] Dans le présent cas, la seule preuve soumise au tribunal démontre que l'adaptation d'un véhicule n'est pas moins onéreuse que l'acquisition d'un véhicule récréatif comprenant les composantes nécessaires au respect des limitations fonctionnelles du travailleur. Une autre preuve aurait peut-être révélé autre chose, mais elle est absente du dossier. Ainsi, dans le présent cas, le coût de la solution appropriée la plus économique s'avère être l'acquisition d'un véhicule récréatif, lequel respecte les besoins de l’adaptation. Il y a lieu de reprendre un paragraphe de l’affaire Fleury et Boulangerie Gadouas Ltée10, lequel se lit comme suit :
[80] Encore une fois, l’objet de la loi est de réparer les conséquences d’une lésion professionnelle, et notamment, de pourvoir à la réadaptation que requiert le cas particulier d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle. En cette matière, tout est question de valeur probante de la preuve dont dispose le tribunal.
_______________
9 C.L.P. 304214-62-0611, 3 mars 2008, H. Marchand.
10 339742-31-0802, 19 septembre 2008, G. Tardif.
[84] Dans le présent dossier, la CSST a accepté le concept de l’indemnité compensatoire pour permettre à la travailleuse de se procurer une résidence adaptée à ses besoins en acceptant de rembourser à la travailleuse une somme de 139 844,61 $ correspondant aux coûts des mesures d’adaptation de la résidence qu’elle possédait au moment de subir sa lésion professionnelle, étant donné que sa résidence n’était pas adaptable. C’est écrit en toutes lettres dans la décision rendue par la CSST dans laquelle on peut lire :
Devant l’impossibilité d’adapter votre domicile, un montant dans le but de construire une maison adaptée à vos besoins a été proposé en janvier 2010. Le montant proposé tenait compte des coûts additionnels liés à l’adaptation d'un domicile et fut élaboré par l’architecte Miron.
[…]
Ainsi en tenant compte des coûts du marché, des règlements en vigueur à la CSST et de vos besoins, la CSST accepte de vous verser un montant de 139 844,61$ (incluant taxes) pour vous permettre de construire un domicile adapté à vos besoins.
[85] Le rapport de l’architecte Miron, produit le 25 août 2010, définissait précisément la nature de cette indemnité versée à la travailleuse :
L’esprit dans lequel a été produit le rapport est que l’aide financière apportée à Mme Deguire puisse contribuer à ce qu’elle se bâtisse une maison adaptée selon la qualité de vie qu’elle détient présentement, ni plus ni moins.
[86] De l’avis du tribunal, l’architecte Miron résume très bien les obligations qui incombent à la CSST en regard de l’adaptation du domicile de la travailleuse. L’article 1 de la loi précise que l’objet de la loi est la réparation des conséquences de la lésion professionnelle. L’article 152 prévoit que le programme de réadaptation sociale doit prévoir la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile adapté à sa capacité résiduelle.
[87] Si le domicile de la travailleuse peut être adapté, l’article 153 circonscrit les mesures d’adaptation auxquelles a droit la travailleuse, soit ce qui est nécessaire et qui constitue la solution appropriée pour permettre à la travailleuse d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile.
[88] Le domicile dont il est question à cet article est celui que la travailleuse possède au moment où elle subit sa lésion professionnelle. Mais, lorsqu’on ne peut adapter ce domicile, l’article 154 prévoit que le travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $ pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être. Cette disposition signifie-t-elle que le travailleur accidenté doit assumer seul le coût d’acquisition d’une nouvelle résidence adaptable et qu’il n’a droit qu’à des frais de déménagement et aux coûts d’adaptation du nouveau domicile? De l’avis du soussigné, non.
[89] La CSST, en acceptant de défrayer une somme de 139 844,61 $ pour la construction d’une résidence neuve, ne peut soutenir une interprétation aussi restrictive de la loi et cette interprétation se concilie mal avec l’objet de la loi qui est la réparation des conséquences de la lésion professionnelle.
[90] Pourquoi un travailleur accidenté, dont la maison n’est pas adaptable, devrait-il défrayer le coût des mesures d’adaptation de son nouveau domicile s’il achète une résidence usagée, alors que celui dont la maison est adaptable ou celui qui se fait construire une résidence neuve n’a pas à les supporter? Une telle interprétation de la loi donne lieu à des situations absurdes. À titre d’exemple, si la travailleuse avait acheté une résidence usagée sans garage et qu’il eût été nécessaire d’en construire un, comme dans le cas qui nous occupe, la CSST aurait sans doute été disposée à défrayer ce coût, puisqu’il était inclus dans la première indemnité proposée de 139 844,61 $. Parce que la travailleuse s’est acheté une résidence usagée, dont le garage est déjà construit, la travailleuse ne peut se faire rembourser le coût de ce garage.
[91] De l’avis du tribunal, si le domicile de la travailleuse n’est pas adaptable, elle a droit à l’application de l’article 152 de la loi, soit que la CSST mette en œuvre un plan de réadaptation comprenant la mise en œuvre de moyens pour lui procurer un domicile adapté à ses besoins. C’est ce que la CSST a fait en envisageant la possibilité de verser à la travailleuse une somme de 139 844,61 $ en vue de l’aider à construire une résidence neuve qui serait adaptée à ses besoins. Le tribunal ne voit aucune disposition de la loi qui empêche que la mise en œuvre de ces moyens se fasse par le biais d’une aide financière à l’acquisition d’une résidence usagée qui comporte déjà les adaptations répondant aux besoins de la travailleuse.
[92] La travailleuse demande que la CSST applique une partie de l’indemnité compensatoire déterminée pour la construction d’une résidence neuve à la maison usagée qu’elle a acquise parce qu’une partie du prix payé pour cette résidence usagée correspond au coût additionnel des mesures d’adaptation recommandées par l’architecte et l’ergothérapeute désignés par la CSST, soit la superficie plus grande du terrain et de la résidence ainsi que le coût de construction du garage.
[93] La CSST plaide que la loi ne prévoit pas cette option. Avec égards, le tribunal ne partage pas cette interprétation restrictive de la loi. Si la loi ne prévoit pas cette possibilité, on pourrait également soutenir qu’elle ne prévoit pas non plus la possibilité de se faire construire une résidence neuve, financée en partie par la CSST, puisqu’aucune disposition spécifique de la loi ne le prévoit, pourtant c’est ce que la CSST était disposée à faire en octroyant une somme de 139 844,61 $ pour permettre à la travailleuse de se faire construire une résidence neuve.
[94] De l’avis du tribunal, l’article 152 de la loi prévoit que la CSST a l’obligation de mettre en œuvre des moyens visant à procurer à la travailleuse un domicile adapté à ses besoins. La mise en œuvre de ces moyens ne se limite pas à la seule option d’une construction neuve. Il n’y a aucune raison qui empêche la CSST d’examiner la possibilité que la travailleuse achète une maison usagée comprenant déjà un certain nombre des adaptations requises et de terminer les adaptations selon les besoins de la travailleuse, si le nouveau domicile de la travailleuse ne les possède pas.
[95] Les seules restrictions à cette solution sont exposées à l’article 181 de la loi qui indique que la CSST assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché, soit de permettre à la travailleuse d’acquérir une résidence adaptée à ses besoins et qui lui permet également d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile.
[96] Est-ce que cela signifie que la travailleuse a droit à la totalité du coût d’acquisition de la nouvelle résidence? De l’avis du tribunal, non. L’obligation de la CSST se limite à la réparation des conséquences de la lésion professionnelle et à ce qui est nécessaire pour procurer à la travailleuse un domicile adapté à ses besoins.
[97] De l’avis du tribunal, l’architecte Miron a clairement évalué ce à quoi la travailleuse a droit, soit la valeur des mesures d’adaptation du domicile qu’elle occupait au moment de subir sa lésion professionnelle, si ce dernier avait été adaptable. Cette valeur est de 139 844,61 $.
[98] La travailleuse réclame une somme de 97 794,61 $ correspondant au coût de construction d’un garage, de la superficie plus grande de la maison et du terrain nécessaire afin que l’on puisse adapter la nouvelle résidence à ses besoins. Le tribunal ne voit aucune disposition qui empêche la CSST de rembourser à la travailleuse la valeur de ces mesures d’adaptation, au même titre qu’elle le fait lorsqu’elle rembourse à un travailleur accidenté la valeur de certaines « options » lorsqu’il acquiert un véhicule neuf, si ces options correspondent aux adaptations requises. Dans le présent dossier, la superficie plus grande de la résidence, du terrain, et le garage s’apparentent à des « options » que la travailleuse n’aurait pas nécessairement payées, n’eût été de sa lésion professionnelle et l’atteinte permanente grave résultant de ladite lésion.
[99] De l’avis du tribunal, la travailleuse a démontré que, considérant sa condition physique et psychique en 2012, il devenait impératif que des moyens soient mis en œuvre afin de lui procurer une résidence adaptée à ses besoins, trois ans et demi après avoir été victime d’une lésion professionnelle alors qu’elle habitait toujours une résidence non adaptée et qu’il était raisonnable de prévoir un délai additionnel d’un an à un an et demi avant qu’elle puisse espérer se faire construire une résidence adaptée.
[100] La solution d’acheter une résidence usagée, comportant déjà plusieurs des spécifications requises par l’ergothérapeute et l’architecte, était une solution appropriée. Il n’est pas démontré que cette solution ne soit pas la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
[101] Le tribunal retient qu’en additionnant les coûts déjà octroyés pour les mesures d’adaptation de la nouvelle résidence aux coûts réclamés par la travailleuse pour les adaptations défrayées lors de l’achat, on demeure sensiblement dans l’enveloppe de 139 844,61 $, si on indexe ce montant au coût de la vie. On doit se rappeler que ce montant a été déterminé en 2010 et que l’adaptation du domicile de la travailleuse est toujours en cours.
[102] Le tribunal retient de la preuve que les exigences de superficie additionnelle de la résidence, la construction du garage et la superficie additionnelle du terrain étaient nécessaires afin de procurer à la travailleuse un domicile adapté à ses besoins. Ces exigences ont été définies par l’ergothérapeute et l’architecte mandatés par la CSST. Ces exigences ont été reconnues par la CSST puisque leur valeur était incluse dans l’indemnité qu’elle était prête à lui verser, si elle choisissait l’option de la construction d’une maison neuve. Il n'est pas démontré que ces exigences n’étaient plus requises dans la maison usagée acquise par la travailleuse.
[103] Pour ces motifs, le tribunal fait droit à la requête de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Mélanie Deguire, la travailleuse;
MODIFIE la décision rendue le 21 août 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement de la somme de 97 794,61 $ à titre d’indemnité compensatoire pour la superficie additionnelle de sa résidence, le coût de construction d’un garage et la superficie additionnelle du terrain.
DÉCLARE que la travailleuse a également droit à la somme de 59 325,75 $ afin que l’adaptation de son domicile actuel soit complétée aux conditions déjà déterminées dans la décision rendue par la CSST en révision administrative le 21 août 2014.
|
__________________________________ |
|
Daniel Pelletier |
|
|
|
|
|
|
Me Naïsa Beaupré-Parent |
|
C.S.N. |
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Marie France Quintal |
|
VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
|
Représentante de la partie intervenante |
[1] 2011 QCCLP 5792.
[2] RLRQ, c. A-3.001.
[3] Morin et Industries James MacLaren inc. (F), 2012 QCCLP 5116.
[4] (1993) CALP 1016.
[5] Deguire et Société des alcools du Québec et CSST, 2011 QCCLP 5792.
[6] Précitée, note 4.
[7] C.L.P. 287920-31-0604, 8 juin 2007, M. Beaudoin, requête en révision rejetée, 12 octobre 2007, A. Suicco.
[8] 2012 QCCLP 801.
[9] 2014 QCCLP 6203.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.