Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - avril 2013

Lafrenière et Bellai & Frères ltée

2013 QCCLP 4816

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

6 août 2013

 

Région :

Outaouais

 

Dossiers :

488446-07-1211, 492661-07-1301, 492663-07-1301

 

Dossier CSST :

137625638

 

Commissaire :

Michèle Gagnon Grégoire, juge administrative

 

Membres :

Philippe Chateauvert, associations d’employeurs

 

Robert Potvin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Yvon Lafrenière

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Bellai & Frères ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 488446

 

[1]           Le 22 novembre 2012, monsieur Yvon Lafrenière (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 9 octobre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 27 juillet 2012 dans laquelle elle déclare que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux constitue un emploi convenable pour le travailleur et que ce dernier est capable de l’exercer à compter du 30 juillet 2012.

Dossier 492661

 

[3]           Le 18 janvier 2013, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 20 décembre 2012 par la CSST à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 2 novembre 2012 dans laquelle elle déclare que le travailleur ne peut récupérer, en vertu de l’article 51 de la loi, le droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues à l’article 45 de la loi ainsi que les autres prestations prévues à la loi.

Dossier 492663

 

[5]           Le 18 janvier 2013, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 6 décembre 2012 par la CSST à la suite d’une révision administrative.

[6]           Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 28 septembre 2012 dans laquelle elle déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 août 2012 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la loi.

[7]           Une audience se tient le 26 juin 2013 devant la Commission des lésions professionnelles à Gatineau. Le travailleur et son procureur sont présents à l’audience de même que monsieur Sylvain Roussel, directeur de la santé et de la sécurité chez Bellai & Frères ltée (l’employeur). La CSST est représentée par une procureure. Les dossiers sont mis en délibéré le 26 juin 2013.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 488446

 

[8]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux ne constitue pas un emploi convenable pour lui.

Dossier 492661

 

[9]           Advenant que la Commission des lésions professionnelles déclare que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux constitue un emploi convenable alors, le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il doit récupérer son droit aux indemnités de remplacement du revenu puisqu’il a dû abandonner l’exercice de cet emploi selon l’avis de son médecin, et ce, à l’intérieur du délai prévu à la loi.

Dossier 492663

 

[10]        Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 août 2012. 

LES FAITS

[11]         Le travailleur exerce l’emploi d’apprenti menuisier en coffrage chez l’employeur lorsqu’il se blesse en effectuant son travail le 19 janvier 2011. Le docteur Vafa Nateghy, omnipraticien, diagnostique une entorse de la cheville gauche.

[12]        Le 29 mars 2011, le docteur Guillaume Charbonneau, omnipraticien, ajoute le diagnostic de contusion au talon gauche. Il autorise le travailleur à effectuer une assignation temporaire chez son employeur.

[13]        Le 12 avril 2011, le docteur Charbonneau prescrit des traitements de physiothérapie à son patient. Puis, deux semaines plus tard, une imagerie par résonance magnétique (IRM) du pied gauche est demandée par le médecin qui ajoute le diagnostic de rupture d’une fascite plantaire du pied gauche.

[14]        L’IRM de la cheville gauche est effectuée le 18 mai 2011 par le docteur Lecompte, radiologiste, qui rapporte les trouvailles suivantes :

§  des séquelles d’une entorse mineure du ligament péronéo-astragalien antérieur;

§  de l’œdème sous-chondral focalisé au bord extrême du dôme astragalien;

§  un épanchement associé de l’articulation tibio-astragailienne; et

§  un léger œdème et un épaississement du fascia plantaire au niveau de la bande centrale rappelant plutôt des changements inflammatoires que traumatiques.

[15]        À la suite de l’IRM, le docteur Charbonneau retient les diagnostics d’entorse à la cheville gauche, de contusion au talon et de fascite plantaire. Il prolonge la période d’assignation temporaire. Il dirige son patient vers un chirurgien orthopédiste.

[16]        Puis, à plusieurs reprises, le travailleur consulte le docteur Pierre Saint-Georges qui lui administre des infiltrations en raison d’une entorse chronique de la cheville gauche.

[17]        Le 22 juin 2011, la docteure Odette Perron, chirurgienne orthopédiste, examine le travailleur. Elle maintient le plan de traitements conservateurs avec physiothérapie et assignation temporaire. Elle prescrit une orthèse plantaire moulée en raison d’un pied cavovarus un peu plus accentué à gauche qu’à droite.  

[18]        Une deuxième IRM de la cheville gauche est effectuée le 3 octobre 2011 par le docteur Lecompte. Il note qu’il n’y a plus d’épanchement articulaire ni de signe d’inflammation du fascia plantaire.

[19]        Le 25 octobre 2011, la docteure Perron prend note des résultats de l’IRM. Elle maintient les traitements de physiothérapie et elle ajoute des traitements d’ergothérapie.

[20]        La docteure Perron rédige un rapport d'évaluation médicale le 16 janvier 2012 en raison d’un diagnostic d’entorse à la cheville gauche. Elle note que la démarche du travailleur s’effectue avec une légère boiterie avec diminution de la mise en charge à gauche. La dorsiflexion est à 00, la flexion plantaire est à 300, l’inversion est à 50 et l’éversion est à 200. La midtarsienne est limitée de 50 % à gauche. Le tiroir est positif à gauche. De l’œdème et de l’inconfort à la palpation sont rapportés dans la région antéro-externe de la cheville. Il est impossible pour le travailleur d’opter pour la position talon ou pointe.

[21]        La docteure Perron attribue un déficit anatomo-physiologique de 11 % pour une entorse de la cheville gauche avec séquelles fonctionnelles et perte d’amplitudes. Elle rapporte que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :

Travailleur qui devrait éviter la marche en terrain accidenté ou glissant. Il devrait également éviter les changements rapides de position avec pivot sur le membre inférieur gauche.

 

Il devrait éviter les mouvements répétitifs avec le membre inférieur gauche, tel actionner un pédalier.

 

Il devrait éviter, de façon répétitive ou soutenue, d’effectuer des tâches en position à genoux ou accroupie.

 

Il devrait éviter d’utiliser, de façon répétitive ou fréquente, des escaliers incluant l’utilisation d’échelles ou d’échafaudages.

 

Par ailleurs, il devrait éviter de soulever, porter, pousser ou tirer, de façon répétitive ou fréquente, des charges de plus de 10 kilos.

 

 

[22]        Le 13 février 2012, la CSST entame un processus de réadaptation avec la collaboration du travailleur et de l’employeur. Ce dernier se montre ouvert à offrir au travailleur un poste en atelier s’il ne peut plus travailler sur les chantiers de construction.

[23]        Le 28 février 2012, la conseillère en réadaptation de la CSST rencontre le travailleur en présence de son procureur pour leur expliquer le processus de réadaptation. Le travailleur manifeste des inquiétudes face à sa capacité physique à effectuer un retour à son emploi habituel. Il exprime ses craintes face à un retour au travail puisqu’il est peu scolarisé et qu’il a toujours effectué des emplois de nature physique. D’autre part, il conserve des douleurs au talon gauche et il doit revoir son médecin à ce sujet. Le travailleur mentionne qu’il habite à Maniwaki et qu’il souhaite ne plus avoir à faire des déplacements à Gatineau quotidiennement comme il le fait depuis plusieurs années.

[24]        Le 14 mars 2012, monsieur Sylvain Roussel, directeur de la santé et de la sécurité chez l’employeur, rapporte à la conseillère en réadaptation les réticences exprimées par le travailleur face à un retour au travail. L’une de celles-ci porte sur la distance routière à parcourir pour exercer un emploi convenable chez l’employeur. Pour ce dernier, il ne s’agit pas d’un motif de refus valable si un emploi est disponible. Il mentionne que l’employeur déploiera les efforts nécessaires pour offrir un emploi convenable au travailleur comme il le fait pour tous ses autres travailleurs.        

[25]        Le 19 mars 2012, la docteure Perron rapporte une entorse sévère de la cheville gauche et de la talalgie. Elle écrit :

J’ai revu M. Lafrenière le 19 mars 2012 en raison de cette douleur alléguée au talon gauche. Bien que le premier examen par résonance magnétique du 18 mai 2011 fasse état d’un épaississement de la bandelette centrale laissant évoquer un tableau inflammatoire plus tôt que cicatriciel au Dr Lecompte, cet examen para clinique était redevenu normal au 3 octobre 2011.

 

Également l’examen clinique objectif du 19 mars dernier démontre la présence d’une talalgie ou douleur au coussinet graisseux du talon sans douleur à l’insertion ou à la mise sous tension du fascia plantaire, et ce faisant ne démontre pas de façon objective ce diagnostic.

 

La douleur au talon peut être reliée à l’événement et peut avoir également occasionnée par une orthèse plantaire moulée inadéquate, laquelle a été represcrite aujourd’hui. À noter que l’orthèse plantaire est en lien avec la séquelle d’entorse à la cheville gauche et a été acceptée par la CSST.

 

Il est de notre avis que cette douleur au talon ne modifie pas le déficit anatomo-physiologique octroyé à Monsieur ni les limitations fonctionnelles, qui devront être respectées en lien avec un emploi convenable. Par ailleurs, il est de notre avis qu’une orthèse plantaire adéquate permettra de régler ce problème douloureux, et que seule la séquelle d’entorse sévère à la cheville gauche persistera.

 

[…]

 

 

[26]        Lors d’une conversation téléphonique le 24 avril 2012 avec le travailleur, la conseillère en réadaptation tente de rassurer ce dernier face à ses craintes en vue d’un retour au travail chez son employeur. Le travailleur exprime ses difficultés à accepter sa nouvelle situation.  

[27]        Le 25 avril 2012, la docteure Perron prescrit des chaussures orthopédiques au travailleur.

[28]        Le 11 mai 2012, une visite en entreprise est organisée concernant deux possibilités d’emplois, soit : assistant finisseur de béton ou commis à la réparation et à l’entretien de panneaux d’aluminium. Sont présents à cette rencontre, le travailleur et son procureur, monsieur Sylvain Roussel, madame Stéphanie Bélanger ergonome et la conseillère en réadaptation de la CSST.

[29]        Après discussion, le travailleur se montre moins intéressé par le poste d’assistant finisseur de béton. Il a des craintes quant à ses capacités à exercer cet emploi et il ne se sent pas à l’aise pour conduire les camions de livraison entre les différents chantiers et l’atelier.

[30]        La conseillère en réadaptation rapporte les explications fournies par monsieur Roussel concernant le poste de commis à la réparation et à la maintenance des panneaux PERI :

Il décrit les tâches de l’emploi convenable en insistant sur le fait que ce type de système est employé sur la plupart des chantiers.

 

La taille et le poids des panneaux peuvent varier mais lorsque le travail de nettoyage vise un panneau de grande taille, les hommes travaillent en équipe de 4 personnes.

 

Le travailleur pourrait s’attendre à travailler 12 mois par an à ce type de travail. Le travail se fait en équipe de deux. Il y a toujours quelqu’un à proximité si le travailleur a besoin d’aide.

 

Le travail se fait en atelier donc à l’intérieur selon l’horaire de 7 h 00 à 15 h 15. Le travailleur aurait 30 minutes de dîner et un 15 minutes de pause. Le dernier 15 est soustrait de la journée de travail pour partir plus tôt.

 

 

 

Les tâches de cet emploi sont les suivantes :

 

§  Inspection de la qualité des panneaux PERI;

§  Nettoyer l’excédent de béton des panneaux pour l’installation du scellant;

§  Remplacer les contre-plaqués endommagés;

§  Repercer les trous de rivet;

§  Application du scellant;

§  Travail en atelier.

 

Si cette solution était retenue, le travailleur accomplirait un travail hors CCQ. Il ne pourrait donc plus bénéficier des assurances collectives et contribuer à son fonds de  pension.

 

Cependant, le travailleur pourrait contribuer à un autre régime collectif offert par l’employeur pour les hommes travaillant en atelier.

 

Le salaire de l’emploi convenable serait possiblement inférieur. Nous expliquons brièvement la protection de la capacité de gain assurée par la CSST.

 

Le travailleur se montre intéressé mais nomme sa crainte de devoir rester debout. Le travailleur indique ne pas avoir repris autant d’autonomie que l’avait laissé entrevoir docteure Perron.

 

L’employeur se montre prêt à accommoder le travailleur en lui permettant de s’asseoir au besoin et d’exécuter d’autres tâches pour prendre des micro-pauses.

 

L’employeur indique que le travailleur doit absolument faire connaître son besoin d’aide afin d’éviter de se blesser ou d’outrepasser sa capacité.

 

 

[31]        À la suite de ces explications, une visite du poste de travail est effectuée puisque le travailleur et son représentant manifestent de l’ouverture face à ce travail. Il est convenu qu’un suivi sera apporté lorsque l’ergonome aura déposé son rapport.

[32]        Madame Bélanger rédige un rapport le 31 mai 2012 concernant les deux emplois proposés par l’employeur. Elle rapporte les informations fournies par ce dernier. Elle prend des mesures avec un ruban à mesurer  et un dynamomètre. Au sujet des efforts physiques de l’emploi de commis à la réparation et à la maintenance de panneaux PERI, elle écrit :

Le travail exige de se tenir debout ou de marcher durant toute la journée de travail. Notons toutefois, que M. Roussel mentionne que les travailleurs prennent une pause de 15 minutes le matin et 30 minutes pour dîner à midi. De plus, il nous confirme que le travailleur peut s’asseoir au besoin pendant son quart de travail.

 

Le travailleur exige de soulever et transporter les panneaux de PERI devant être inspecter et nettoyer. Chaque panneau de 2 X 4 à un poids d’environ 6.6 kilos.

 

 

 

[33]        Madame Bélanger évalue que l’emploi de commis à la réparation et à la maintenance de panneaux PERI respecte les limitations fonctionnelles énumérées par la docteure Perron avec la mise en garde que le travailleur devra faire attention de bien changer son corps de direction avec les changements de position comme expliqué lors de son programme de réadaptation. Elle précise que le travailleur n’a pas à se mettre à genoux ou accroupie ni à utiliser des échelles ou des escaliers. Elle ajoute que le poids d’un panneau PERI est d’environ 6.6 kilos. Il n’a pas à manipuler davantage de poids. Le poids des outils utilisés est nettement inférieur à 10 kilos. Elle termine son rapport en mentionnant que l’employeur dispose d’une quinzaine de personnes dans l’atelier et, advenant des difficultés, le travailleur pourra demander de l’aide sans problème.

[34]        Une rencontre se tient le 19 juin 2012 avec le travailleur et son représentant, l’employeur, l’ergonome et la conseillère en réadaptation à la suite de l’évaluation du poste de travail effectuée par madame Bélanger.

[35]        Lors de cette rencontre, les deux titres d’emplois offerts par l’employeur sont discutés puisqu’ils ont tous les deux été jugés convenables par l’ergonome pour le travailleur. Ce dernier exprime sa préférence pour le poste de commis à la réparation et l’entretien de panneaux. Il aimerait faire une tentative de retour au travail, car il craint la station debout prolongée, ce à quoi ne s’objecte pas l’employeur qui accepterait un retour progressif. L’ergonome opine que les limitations fonctionnelles du travailleur sont toutes respectées. Une discussion s’en suit sur le salaire de l’emploi convenable. L’employeur évalue le salaire à 20,00 $ de l’heure alors que le travailleur réclame le salaire minimum en arguant qu’à la suite de son accident ses possibilités d’obtenir un emploi ailleurs sur le marché du travail sont désormais réduites. La conseillère en réadaptation mentionne que cette question sera décidée ultérieurement après des vérifications.

[36]        Le 13 juillet 2012, la conseillère en réadaptation rencontre le travailleur avec son procureur. Elle a terminé son analyse et elle convient que le travailleur ne peut réintégrer son emploi habituel. Elle mentionne qu’à son avis l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux PERI respecte les critères de l’emploi convenable. L’employeur peut accueillir le travailleur dès la semaine suivante. Il a vérifié le salaire pour cet emploi auprès du service des ressources humaines qui  confirme le salaire de 20,00 $ de l’heure. Le travailleur est en désaccord complet avec le salaire offert, d’autant plus qu’il n’aura plus accès aux avantages sociaux offerts par la CCQ ni au fonds de pension.

[37]        Plusieurs échanges se tiennent entre le travailleur et l’employeur de même qu’avec la conseillère en réadaptation au sujet du salaire horaire proposé pour l’emploi convenable. L’employeur ne modifie pas sa proposition et la CSST informe le travailleur qu’elle rendra sa décision de capacité de travail. L’emploi étant disponible, elle mettra fin aux indemnités de remplacement du revenu. Pour déterminer le revenu annuel brut, la CSST utilise le taux horaire de 20 $ en le multipliant par 40 heures/semaine et par 52,14 semaines par année ce qui donne un revenu brut annuel de 41 712 $.

[38]        Le 27 juillet 2012, la CSST rend sa décision déterminant que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de commis à la réparation et l’entretien de panneaux à compter du 30 juillet 2012. Cet emploi étant disponible chez l’employeur, les indemnités de remplacement du revenu se termineront à cette date. Le salaire de l’emploi convenable est estimé à 41 712,00 $. Le travailleur aura droit à des indemnités de remplacement du revenu réduites. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative. Le tribunal est saisi de cette question à la demande du travailleur.

[39]        Le 23 août 2012, le docteur Parand Rezaeifar, omnipraticien, demande une nouvelle consultation auprès de la docteure Perron en raison de l’entorse à la cheville gauche du travailleur lui causant de la talalgie. Le médecin recommande un arrêt de travail au travailleur, lequel se dit incapable de continuer son travail actuel.

[40]        Lors d’un suivi en réadaptation le 28 août 2012, le travailleur exprime ses difficultés depuis son retour au travail. Il note une recrudescence de la douleur et de l’enflure à la cheville. Une médication d’appoint lui cause de la somnolence. Le travailleur remet un billet médical à la suite d’une consultation à l’urgence. Il est en attente de revoir la docteure Perron. La conseillère dit devoir attendre ce rapport avant de traiter une demande de récidive, rechute ou aggravation. Elle propose au travailleur des traitements de réadaptation fonctionnelle tels que l’ergonome l’avait suggéré. Le travailleur doute de l’efficacité de ces traitements. Il discutera avec son employeur d’aménagements au niveau du travail puisque celui-ci est ouvert à toute proposition.

[41]        Le 4 septembre 2012, le travailleur dépose une Réclamation du travailleur alléguant une récidive, rechute ou aggravation le 23 août 2012. Il rapporte notamment  une augmentation de la douleur et une difficulté à se déplacer depuis son retour au travail survenu trois semaines auparavant.    

[42]        Le 17 septembre 2012, la docteure Perron examine le travailleur et elle fait le constat suivant :

Monsieur Lafrenière avait tenté de reprendre le travail où il effectuait ses tâches à la journée longue autour de panneaux qu’il devrait peindre et nettoyer. Dès les premières heures, l’inconfort s’installait. Il avait la pause du repas, mais par la suite il n’a jamais été capable de compéter ses journées, la station debout prolongée et en partie stationnaire étant très incommodante. Bien que l’orthèse ait été améliorée, il y a eu une certaine modification des symptômes, mais jamais de façon telle que monsieur ait pu reprendre ce travail.

 

 

Cliniquement, l’œdème et la douleur demeurent persistants au niveau du complexe externe et antéro-externe de la cheville, le tout étant tout à fait compatible avec les séquelles de l’entorse, avec une dorsiflexion qui est à 0, une flexion plantaire qui est à 30 et très douloureuse, une inversion à 0, éversion à 20 très douloureuse et une midtarsienne qui est limitée de 50 %. Par ailleurs, l’inconfort demeure présent  la palpation du coussinet graisseux du talon et s’apparente à une talalgie.

 

Monsieur présente donc des séquelles objectives persistantes de cette entorse sévère de la cheville, avec des amplitudes de mouvement qui se sont détériorées et une condition inflammatoire persistante. Il est de notre avis que la talalgie est en lien avec l’événement et que l’orthèse qui était inadéquate a su accentuer cette problématique, d’autant plus qu’en raison des séquelles sévères de la cheville avec une ankylose importante de la sous-astragalienne, la mise en charge se fait de façon moins plantigrade par rapport au niveau pré-accidentel. Également, il est de notre avis qu’il est non bénéfique pour monsieur de travailler avec de lourdes bottes de construction et d’être debout sur des surfaces dures, soit en marche ou en position stationnaire de façon prolongée, et en ce sens le travail déterminé convenable par la CSST devrait être revu.

 

[…]

 

 

[43]        Le 28 septembre 2012, la CSST refuse la réclamation du travailleur au sujet d’une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 23 août 2012 en raison de l’absence de détérioration objective de son état de santé. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative. Le tribunal est saisi de cette question.

[44]        Le 5 octobre 2012, le procureur du travailleur demande à la CSST de reprendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur en raison de l’abandon par ce dernier de l’exercice de son emploi convenable. Il allègue que cet abandon fait  suite à l’avis du médecin du travailleur qui croit que ce dernier n’est pas en mesure d’occuper raisonnablement l’emploi convenable déterminé par la CSST.

[45]         Le 2 novembre 2012, la CSST refuse de reprendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur en vertu de l’article 51 de la loi puisqu’elle détermine que l’employeur est en mesure de tenir compte des recommandations de la docteure Perron au sujet de bottes de travail plus légères et de la position de travail debout ou en marche sur une période prolongée. Des sièges assis/debout lui seront fournis afin de pouvoir varier ses postures de travail. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative. Le tribunal est saisi de cette question.  

[46]        Le 7 novembre 2011, la conseillère en réadaptation demande à l’employeur de l’aviser lorsque les sièges seront livrés afin qu’elle puisse effectuer une visite du poste de travail.

[47]        Le 21 novembre 2012, la docteure Perron recommande une modification des orthèses du travailleur et elle précise que les limitations fonctionnelles énoncées doivent être respectées.

[48]        Le 30 novembre 2012, le travailleur mentionne à la conseillère en réadaptation que ses conditions de travail ne sont pas améliorées par les adaptations de travail. Il affirme qu’il n’est pas possible d’effectuer l’emploi convenable à l’aide des sièges assis/debout. Il fait son travail en position debout et il prend des pauses en position assise.

[49]        Monsieur Éric Champion, collègue du travailleur, témoigne à l’audience. C’est lui que l’on voit sur la vidéo présentée à l’audience par le travailleur. Il exerce l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux chez l’employeur depuis deux ans et il n’a jamais manqué de travail à ce jour. Un autre travailleur a été embauché en même temps que lui et l’employeur a engagé deux autres travailleurs par la suite.

[50]        Monsieur Champion dit que ce travail est son premier emploi régulier. Il travaille cinq jours par semaine, de 6 h 45 à 15 h 45. Il a une pause de 15 minutes en avant-midi et une pause plus longue pour son dîner à 11 h 45. À ses débuts, son taux horaire était de 15,00 $, maintenant il gagne 16,00 $ de l’heure. C’est un emploi qui est disponible pendant toute l’année. Il a deux semaines de vacances, dont une à Noël.

[51]        Pour exercer son travail, monsieur Champion est constamment debout. Il circule autour des panneaux pour les réparer et les nettoyer. Au fur et à mesure que les panneaux sont réparés, il les transporte à bout de bras et il les empile dans un enclos jusqu’à une hauteur approximative de six pieds. Il n’a pas à monter sur un escabeau. Il doit aussi changer les panneaux de contre-plaqués endommagés. Il arrive qu’il effectue son travail en équipe. Il y a quatre travailleurs dans l’atelier. Il n’a jamais fait ce travail en position assise, il ne croit pas que cela soit possible. C’est sur ces panneaux qu’il travaille lors de la prise de la vidéo. Normalement, le nettoyage d’un panneau prend environ 30 minutes, mais sur la vidéo il n’a pris que dix minutes. Il lui restait à appliquer un scellant, ce qui prend en moyenne cinq minutes.

[52]        Monsieur Champion travaille aussi sur une autre catégorie de panneaux appelés « trios » et servant à faire les murs. Ces panneaux sont beaucoup plus gros. Il évalue qu’ils sont de la grosseur de la table d’audience. À l’aide d’un chariot élévateur, lui ou un de ses collègues de travail, transporte ces panneaux dans l’atelier. Il les dépose sur un chevalet. Tout comme pour l’autre catégorie de panneaux, il les nettoie. Puis, il grimpe sur ces panneaux et il s’agenouille afin de poser des rivets. Cette tâche prend environ cinq minutes.

[53]        Monsieur Champion évalue qu’il lui est arrivé de travailler la moitié de son temps sur les trios et l’autre moitié sur les petits panneaux.

[54]        Le chariot élévateur a trois pédales. Il utilise ses deux pieds, mais il pourrait le conduire avec son pied droit seulement. À sa connaissance, le travailleur n’a pas utilisé le chariot élévateur. Il a déjà vu le travailleur en position assise pour réparer les panneaux. Puis, il a noté qu’il prenait des pauses à une fréquence plus rapprochée, soit aux deux heures ou au besoin.

[55]        Le travailleur témoigne à l’audience. Il est à l’emploi de l’employeur depuis 1981 comme journalier. Il explique que lors de son accident du travail, son pied gauche s’est renversé après avoir sauté sur un muret. La douleur s’est fait sentir sur le côté externe de son pied et sur le dessus. Son employeur lui a fait faire des travaux légers, notamment la réparation de « clips » en position assise. Il a cessé cette assignation temporaire à l’automne 2011 en raison de douleurs au pied et au talon.

[56]        Le travailleur dit qu’il n’avait pas de problème avec son talon avant la survenance de son accident. Des orthèses lui ont été prescrites. Elles ont dû être changées puisqu’elles étaient inadéquates.

[57]        Au sujet des démarches de réadaptation, le travailleur mentionne qu’il avait des doutes quant à sa capacité d’exercer l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux puisqu’à sa connaissance cet emploi s’exerce en position debout continuellement. Or, il dit que cette position accentue ses douleurs au talon et qu’il doit augmenter ses périodes de repos.

[58]        Le travailleur dit qu’il a commencé à effectuer l’emploi convenable vers le mois d’août 2012. Il confirme que les tâches sont celles présentées sur la vidéo. Toutefois, il n’a jamais réparé de panneaux « trios » puisqu’il se dit incapable de travailler à genoux pour visser les rivets. Son horaire de travail est semblable à celui de monsieur Champion. Toutefois, il dit qu’après la pause du matin, il doit prendre de plus en plus de pauses. Son contremaître l’autorise à se reposer dans la salle à manger. Il en profite  pour placer des sacs de glace sur son pied.

[59]        Le travailleur affirme qu’il a rarement été capable d’accomplir une journée complète de travail. Au début, il ne travaillait que du lundi au jeudi. Il dit qu’il ne réussit à exécuter que la moitié de la charge de travail de son collègue. Il est incapable de mettre le panneau sur le chevalet en raison de sa grandeur. Pour appliquer l’enduit sur le panneau, il dit devoir grimper sur un chevalet parce qu’il n’est pas assez grand. Il ne conduit pas le chariot élévateur parce qu’il ne peut se servir de la pédale d’embrayage avec son pied gauche.

[60]        Le travailleur précise que d’après ses notes, la moitié de son temps de travail a été occupée à réparer les petits panneaux. N’étant pas capable de travailler sur les trios, il a été affecté à la réparation de « clips » et au balai. À sa connaissance, il n’a pas travaillé sur les panneaux depuis le mois de janvier 2013, à l’exception d’une journée en juin 2013. Il a cessé de travailler chez l’employeur le 21 juin 2013.

[61]        Le travailleur admet qu’il a déjà vu le système PERI sur un autre chantier de construction, notamment à Kingston. Toutefois, il n’a jamais travaillé avec ce système. Il croit que, mis à part son employeur, l’entreprise Pomerleau utilise ce système qui est plus rapide sur les chantiers, mais plus long à réparer. Il dit que le système PERI est en expansion sur les chantiers de construction. À son avis, son employeur utilise ce système dans une proportion de 70 %.   

[62]        Lorsque le travailleur a vu la docteure Perron en septembre 2012, il lui a expliqué du mieux qu’il le pouvait les exigences de son emploi. Celle-ci lui a dit qu’il ne devait pas travailler en position debout prolongée et qu’il ne devait pas porter des bottes à bouts durs. La CSST lui a dit qu’il pouvait se procurer des bottes plus légères et travailler en position assise. Le travailleur dit que cela n’est pas possible. S’il devait changer d’employeur, il dit qu’il ne pourra pas conserver son travail puisque cela lui prend 45 minutes à réparer un panneau.

[63]        Contre-interrogé, le travailleur confirme avoir toujours voyagé de Maniwaki à Hull pour travailler chez l’employeur. Toutefois, il recevait une prime monétaire pour ses déplacements. Il dit qu’il doit maintenant prendre des médicaments qui sont des dérivés de la morphine ce qui lui cause des problèmes lors de la conduite de son véhicule. Il admet qu’aucun contremaître ne lui a donné d’avis disciplinaire en raison du temps qu’il prend pour réparer un panneau.

[64]        Lors d’une intervention à l’audience, monsieur Roussel précise que les deux types de panneaux, soit les petits et les trios, sont des panneaux PERI lesquels sont de plus en plus utilisés sur les chantiers de construction.

[65]        Madame Sophie Carrier, conseillère en réadaptation à la CSST, témoigne à l’audience. Elle  a noté que la perception du travailleur face à un retour au travail chez son employeur était faible, tant vis-à-vis son emploi régulier que pour un emploi convenable. Elle commente la visite du poste de travail de l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux proposé par l’employeur. Lors de cette visite, il n’a pas été question des « trios ». Elle a appris cela à l’audience.

[66]        Madame Carrier mentionne que le travailleur ne s’est pas prévalu des suggestions de l’ergonome quant à l’alternance entre des périodes de travail et des traitements de physiothérapie pour faciliter sa récupération. Elle dit qu’elle était favorable à cette suggestion, même si cette démarche n’était pas obligatoire.

 

[67]        Pour établir le salaire de l’emploi convenable, madame Carrier dit qu’elle a utilisé celui proposé par l’employeur de 20,00 $ de l’heure puisque c’est ce salaire qui était versé au travailleur. Elle croit qu’il se justifie en tenant compte de l’expérience de travail du travailleur. Elle n’a pas demandé à l’employeur le salaire des autres travailleurs. 

[68]        Concernant la capacité du travailleur à effectuer l’emploi convenable de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux, la conseillère en réadaptation affirme que toutes les limitations fonctionnelles énumérées dans le rapport d'évaluation médicale de la docteure Perron sont respectées. Elle dit que l’employeur permet au travailleur de prendre des micro pauses, de travailler à son rythme et en position assise. De plus, cet emploi lui permet d’utiliser ses compétences professionnelles et il favorise son maintien en emploi chez son employeur. Pour les possibilités raisonnables d’embauche, elle dit que l’employeur garde ses travailleurs en emploi même lors des périodes de ralentissement. Finalement, d’autres employeurs utilisent le système PERI.

[69]        Madame Carrier dit avoir tenu compte de toutes les conditions du travailleur incluant ses douleurs au talon. Elle souligne que dans son rapport d'évaluation médicale, la docteure Perron n’a pas émis de restriction quant à la station debout prolongée.

[70]        Concernant la demande du travailleur de récupérer son droit aux indemnités de remplacement du revenu en vertu de l’article 51 de la loi, la conseillère en réadaptation dit que les adaptations de poste proposées, telles que le siège, la botte plus légère et les micro pauses sont en lien direct avec les démarches initiales de réadaptation. Elle a rendu sa décision de refus, malgré sa connaissance du dépôt par le travailleur d’une réclamation de récidive, rechute ou aggravation.

L’AVIS DES MEMBRES

Dossier 488446

 

[71]        Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête du travailleur puisqu’à son avis l’emploi de commis à la répartition et à l’entretien de panneaux respecte les limitations fonctionnelles émises par la docteure Perron suivant la preuve présentée devant le tribunal. De plus, cet emploi existe sur le marché du travail et c’est plutôt le travailleur qui ajoute des restrictions à celles résultant de sa lésion.

[72]        Le membre issu des associations syndicales accueillerait la requête du travailleur puisqu’il considère que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux ne respecte pas le critère de la possibilité raisonnable d’embauche. À son avis, le travailleur n’est pas compétitif sur le marché du travail en général.

 

Dossier 492661

 

[73]        Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête du travailleur concernant l’article 51 de la loi puisque la preuve ne démontre pas d’une manière prépondérante que les critères pour appliquer cet article sont démontrés.

[74]        Compte tenu de son avis au sujet de l’emploi convenable, le membre issu des associations d’employeurs et des associations syndicales est d’avis que la décision de la CSST portant sur l’article 51 de la loi est sans effet et que la requête du travailleur devient sans objet.

Dossier 492663

 

[75]        Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales rejetteraient la requête du travailleur puisqu’ils considèrent que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, un changement significatif de sa condition médicale.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Dossier 488446

 

[76]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux constitue un emploi convenable pour le travailleur à compter du 30 juillet 2012. Le cas échéant, elle doit se prononcer sur le salaire de l’emploi convenable.

[77]        Préalablement à l’analyse de l’emploi convenable, le tribunal doit s’assurer que l’élaboration du plan individualisé de réadaptation respecte les exigences de la loi.

[78]        La détermination de l’emploi convenable s’inscrit dans le cadre de la réadaptation professionnelle dont il est question aux articles 166 et 171 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[79]        Ces articles stipulent :

166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 166.

 

171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.

 

Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.

__________

1985, c. 6, a. 171.

 

 

[80]        La détermination de l’emploi convenable fait partie du plan individualisé de réadaptation prévu à l’article 146 de la loi :

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[81]        La notion d’emploi convenable est définie à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[82]        Cette définition comporte les critères à considérer afin de qualifier un emploi d’emploi convenable. La Commission des lésions professionnelles décrit ainsi ces critères dans l’affaire Duguay et Constructions du Cap-Rouge inc.[2] :

[51]  Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes

 

être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;

 

permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;

 

permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;

 

présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite.

 

[…]

 

ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ni de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.

 

[Souligné dans le texte original]

 

 

[83]        Comme le mentionne à bon droit la Commission des lésions professionnelles dans une autre décision[3] :

[170] Il ne suffit pas que l’emploi convenable déterminé respecte les critères énumérés à l’article 2 de la loi, il faut aussi que le plan individualisé de réadaptation respecte les prescriptions de l’article 146, c'est-à-dire qu’il soit élaboré avec la collaboration du travailleur9.

_________

9          St-Amant et Domtar inc., C.A.L.P. 12788-05-8904, 17 juin 1997, É. Harvey, (J4-11-13) ; April et D'Orazio & frères inc., C.L.P. 127656-61-9912, 31 mars 2000, S. Di Pasquale ; Lavoie et Pétro-Canada, C.L.P. 130338-73-0001, 11 janvier 2001, J.-D. Kushner ; Service de personnel Pro-extra enr. et Charest, C.L.P. 123311-62-9909, 10 janvier 2002, L. Boucher ; Sylvain et Les toitures Trois Étoiles inc., C.L.P. 182250-71-0204, 14 octobre 2003, L. Couture, (03LP-197) ; Yetman et Les entreprises Cloutier Gagnon (1988) ltée, C.L.P. 201002-71-0302, 22 juin 2004, D. Gruffy, (04LP-61) ; Coull et C.O. Bisson & Ass., [2005] C.L.P. 730 ; Sferra et Promotions Sanway ltée, [2007] C.L.P. 1643 ; Coop de solidarité en aide domestique des 1001 corvées et Périard, C.L.P. 301418-07-0610, 25 janvier 2008, S. Séguin, (07LP-263).

 

 

[84]        Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que la CSST s’est acquittée de son obligation concernant la mise en œuvre d’un plan de réadaptation. En effet, plusieurs discussions ont eu lieu avec le travailleur afin de cerner ses intérêts et ses qualifications. Des échanges sont aussi tenus avec l’employeur afin de vérifier si un emploi convenable est disponible dans son entreprise. D’autre part, une évaluation en ergonomie est effectuée afin d’éclairer la CSST sur le caractère convenable requis par la loi de l’emploi offert par l’employeur.

[85]        En conséquence, la Commission des lésions professionnelles constate que la CSST a élaboré un plan individualisé de réadaptation avec la collaboration du travailleur comme l’exige la loi.

[86]        Cette question étant réglée, procédons maintenant à l’analyse de l’emploi convenable retenu par la CSST.

[87]        Dans un premier temps, il y a lieu d’évaluer si le tribunal dispose d’une preuve suffisante et crédible quant aux exigences de l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux puisqu’il a été révélé à l’audience que la catégorie des panneaux « trios » n’a pas été évaluée par la conseillère en réadaptation. En effet, suivant son témoignage, il n’a pas été question de ces panneaux lors de la visite de poste chez l’employeur en présence de l’ergonome désignée par la CSST.

[88]        La preuve à ce sujet se résume au seul témoignage de monsieur Champion, collègue du travailleur, qui a expliqué en quoi consistait les tâches reliées à la réparation et à l’entretien des deux types de panneaux, dont ceux désignés sous le vocable de « trios ». Soulignons que la vidéo présentée à l’audience a été soumise par le travailleur. De plus, son représentant a mentionné dans son argumentation qu’il était au courant des deux catégories de panneaux sur lesquels son client était appelé à travailler.  

[89]        Cette preuve est-elle suffisante?

[90]        Le tribunal répond par l’affirmative étant donné la présence de l’employeur à l’audience lequel aurait pu, par son témoignage, nuancer les propos du témoin voire les contredire. Or, l’employeur a choisi de ne pas témoigner. Le tribunal induit de son silence que les propos de monsieur Champion sont conformes aux exigences de la tâche concernant ces panneaux.

[91]        D’autre part, ni l’employeur ni la CSST n’ont soumis au tribunal une demande d’ajournement afin d’évaluer cet aspect de l’emploi désigné comme étant un emploi convenable. Finalement, malgré que le travailleur était au courant des deux types de panneaux, il a choisi de présenter à l’audience une vidéo permettant au tribunal de visualiser seulement les exigences concernant la réparation des petits panneaux et non pas celles portant sur les trios.  Ce choix est étonnant, mais tel est le cas. En conséquence, le tribunal tiendra compte des deux types de panneaux dans son évaluation puisque la preuve révèle qu’un employé affecté à la réparation et à l’entretien des panneaux est appelé à travailler sur les deux catégories de panneaux.

[92]        Le travailleur allègue que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux n’est pas un emploi convenable pour lui puisqu’à son avis cet emploi ne lui permet pas d’utiliser sa capacité résiduelle et qu’au surplus il ne lui offre pas de possibilité raisonnable d’embauche.  

[93]        En ce qui concerne la capacité résiduelle du travailleur, celui-ci cherche à ajouter une limitation fonctionnelle, soit celle de la station debout prolongée, à celles retenues par la docteure Perron dans son rapport d'évaluation médicale du 16 janvier 2012 qui n’en fait pas état.

[94]        Sur cette question, tel que l’a déjà décidé à bon droit la Commission des lésions professionnelles[4], outre les cas où la preuve d’une erreur de la part du médecin qui a charge du  travailleur est démontrée ou encore si la condition du travailleur connaît une évolution inattendue, la CSST n’est pas liée par un deuxième rapport médical modifiant le premier. Agir autrement consisterait en une manière détournée de contester l’opinion du médecin qui a charge et ne respecterait pas le principe de la stabilité des décisions.

[95]        Au surplus, le travailleur invoque sa douleur au talon pour ne pas être capable de travailler en position debout prolongée. Or, tel que le mentionne la docteure Perron, dans un avis du 19 mars 2012, l’œdème et l’épaississement du fascia plantaire détectés dans la première IRM du 18 mai 2011 sont disparus dans la deuxième IRM du 3 octobre 2011. De plus, elle précise que cette douleur au talon ne modifie pas le déficit anatomo-physiologique et les limitations fonctionnelles octroyés précédemment.

[96]        En conséquence, dans son analyse de la conformité de l’emploi convenable déterminé par la CSST, le tribunal doit utiliser les limitations fonctionnelles déterminées par la docteure Perron dans son rapport d'évaluation médicale du 16 janvier 2012. Ces limitations fonctionnelles sont les suivantes :

Travailleur qui devrait éviter la marche en terrain accidenté ou glissant. Il devrait également éviter les changements rapides de position avec pivot sur le membre inférieur gauche.

 

Il devrait éviter les mouvements répétitifs avec le membre inférieur gauche, tel actionner un pédalier.

 

Il devrait éviter, de façon répétitive ou soutenue, d’effectuer des tâches en position à genoux ou accroupie.

 

Il devrait éviter d’utiliser, de façon répétitive ou fréquente, des escaliers incluant l’utilisation d’échelles ou d’échafaudages.

 

Par ailleurs, il devrait éviter de soulever, porter, pousser ou tirer, de façon répétitive ou fréquente, des charges de plus de 10 kilos.

 

 

[97]        Pour ce qui est de la réparation de la pose des petits panneaux, le tribunal considère que l’analyse de l’ergonome est suffisamment détaillée pour conclure au respect des limitations fonctionnelles du travailleur. Son opinion est émise à la suite d’une visite du poste de travail. La preuve démontre qu’elle a analysé chacune des tâches de cet emploi en tenant compte de toutes les limitations fonctionnelles.

[98]        Les témoignages de monsieur Champion et du travailleur, de même que le visionnement de la vidéo ne contredisent pas cette analyse. Le terrain n’est ni accidenté ni glissant. Le travailleur n’a pas à travailler en position à genoux ou accroupie de façon répétitive ou soutenue. Il n’utilise ni échelle ni escabeau et la limite de poids est respectée. En ce qui a trait à l’usage d’un pédalier, le travailleur pourrait avoir à le faire lors de la conduite d’un chariot élévateur. Toutefois, la preuve ne révèle pas que cette tâche soit de nature répétitive. Au surplus, monsieur Champion a témoigné qu’il pourrait utiliser seulement son pied droit pour actionner les trois pédales du chariot élévateur.

[99]        En ce qui concerne les panneaux « trios », le tribunal note que le travailleur doit grimper sur les panneaux afin de visser les rivets. Pour ce faire il doit se positionner sur les genoux. Toutefois, la preuve ne révèle pas que ces actions soient effectuées de façon répétitive ou soutenue. En ce qui concerne le poids de ces panneaux, la preuve ne fait pas état de poids précis. Toutefois, elle révèle que d’autres travailleurs sont sur place dans l’atelier et que le travail d’équipe est permis par l’employeur. Il y a donc lieu de croire qu’en cas de difficultés, cette limitation pourrait être contournée. 

[100]     Le travailleur fait aussi état de la prise de médicaments qui affecterait ses capacités de conduite. À ce sujet, le tribunal note qu’aucune preuve médicale en ce sens n’est déposée. Le seul témoignage du travailleur sur cette question d’ordre médical apparaît insuffisant pour être considéré par le tribunal.

[101]     Une des particularités dans ce dossier, c’est que le travailleur exprime des doutes depuis le début quant à sa capacité de travail dans un emploi que pourrait lui offrir son employeur. Il met beaucoup d’emphase sur une restriction de station debout et de marche prolongée. Or, le tribunal ne peut tenir compte de cette restriction pour les motifs exprimés précédemment.

[102]     Le travailleur allègue aussi être lésé sur le plan financier du fait que l’emploi convenable suggéré ne lui permet pas de conserver ses avantages sociaux. Or, à ce chapitre, sa situation ne sera pas différente s’il travaille chez un autre employeur. Dans une telle situation, le travailleur bénéficiera des avantages sociaux que cet employeur lui offrira. À ce stade-ci, rien ne garantit au travailleur qu’il conservera ses avantages.  

[103]     D’autre part, l’employeur a laissé le travailleur effectuer l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux à son propre rythme. Il lui a permis d’exécuter seulement les tâches qu’il se considérait apte à faire, et ce, malgré que les exigences de ce poste n’étaient pas contraires à ses limitations fonctionnelles. Pour sa part, le travailleur allègue qu’il s’est adapté aux recommandations de la docteure Perron.

[104]     L’employeur a-t-il été tolérant pour des raisons de reconnaissance envers un travailleur à son emploi depuis de nombreuses années? Est-ce pour des raisons financières? Le tribunal ne connaît pas les motivations de l’employeur, mais de cette tolérance, il ne peut tirer aucune conclusion d’incapacité du travailleur à exercer l’emploi convenable offert puisque les exigences physiques du poste de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux sont respectées. Si la soussignée agissait autrement, elle ajouterait un critère à la loi, ce qu’elle ne peut faire.

[105]     En conséquence, la Commission des lésions professionnelles  considère que le critère de la capacité résiduelle du travailleur à exercer l’emploi convenable déterminé est respecté.

[106]     Comme deuxième argument, le travailleur allègue que l’emploi convenable ne respecte pas la possibilité raisonnable d’embauche puisqu’il ne rencontre pas les critères normaux de performance. À son avis, aucun autre employeur ne l’embauchera dans un poste tel que celui de l’emploi convenable compte tenu de son manque de rapidité et aussi du fait qu’il n’accomplit pas toutes les tâches.

[107]     Sur cette question, la jurisprudence du tribunal[5] énonce que l’emploi convenable offert par un employeur ne doit pas être dénaturé à un point tel qu’il n’existe pas véritablement ailleurs sur le marché du travail. De plus, le travailleur doit demeurer compétitif sur le marché du travail. 

[108]     Or, dans le cas présent, la preuve démontre que le poste de commis à la réparation et à l’entretien des panneaux est un emploi qui existe réellement sur le marché du travail tel que l’a confirmé le travailleur lui-même. De plus, monsieur Champion a mentionné que trois autres travailleurs effectuaient le même genre d’emploi. Il a aussi ajouté qu’il travaillait à temps plein depuis deux ans, sur une base annuelle, et qu’il n’avait pas manqué de travail.

[109]     Tout comme pour le critère de la capacité de travail, la Commission des lésions professionnelles considère que c’est le travailleur lui-même qui ajoute des limitations fonctionnelles et qui se restreint dans son emploi. D’autre part, croire que l’employeur ne lui offre ce travail que pour le mettre à pied par la suite est une pure spéculation. De l’avis du tribunal, puisque l’emploi respecte la capacité résiduelle du travailleur, alors un autre employeur devrait être en mesure de l’embaucher advenant le cas où le travailleur perde son emploi chez son employeur. 

[110]     Concernant les trois autres critères requis pour déterminer qu’un emploi est convenable soit le caractère approprié de l’emploi, les qualifications professionnelles du travailleur et l’absence de danger, la preuve ne démontre pas qu’ils ne seraient pas respectés. D’ailleurs, le travailleur ne le prétend. 

[111]     En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve prépondérante milite vers la détermination que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux constitue un emploi convenable pour le travailleur et que ce dernier est capable de l’exercer depuis le 30 juillet 2012.

[112]     Reste maintenant à se prononcer sur le salaire de l’emploi convenable. La preuve révèle que l’employeur a offert un salaire horaire de 20 $ au travailleur. La CSST prétend que ce salaire se justifie en raison de l’expérience professionnelle du travailleur. D’autre part, le témoignage d’un autre travailleur à l’emploi de l’employeur démontre que celui-ci a commencé ce travail au taux horaire de 15 $.

[113]     La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur doit se voir établir le même salaire que celui versé à monsieur Champion pour le poste qui lui est offert. Il est vrai que le travailleur a de l’expérience dans le domaine de la construction. Toutefois, le poste offert ne requiert pas une telle expérience. Dès lors, le tribunal ne voit pas pourquoi un salaire supérieur devrait lui être offert. D’ailleurs, advenant le cas où le travailleur offrirait ses services chez un autre employeur, rien ne démontre qu’il serait mieux rémunéré que les autres travailleurs. Au surplus, l’une des raisons faisant en sorte que la CSST a utilisé le salaire de 20 $ c’est que l’employeur lui a mentionné qu’il s’agissait du salaire versé aux autres travailleurs pour un tel emploi. Or, cette information s’avère inexacte suivant la preuve présentée à l’audience. 

[114]     En conséquence, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur doit se voir offrir un salaire de 15 $ de l’heure. Donc, en multipliant ce taux par 40 heures et par 52,14 semaines alors le revenu annuel est de 31 284 $. Les indemnités de remplacement du revenu réduites du travailleur devront donc être ajustées en conséquence à compter du 30 juillet 2012.

Dossier 492661

 

[115]     La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur peut récupérer son droit aux indemnités de remplacement du revenu en raison de son abandon de l’emploi convenable selon l’avis de son médecin, et ce, à l’intérieur du délai prévu à la loi.  

[116]     C’est l’article 51 de la loi qui prévoit cette possibilité. Cet article stipule ce qui suit :

51.  Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.

 

Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 51.

 

 

[117]     Ainsi, l’article 51 de la loi prévoit quatre conditions d’ouverture pour s’appliquer :

§  Occuper à plein temps un emploi convenable;

§  Abandonner cet emploi dans les deux ans suivant le début d’exercice;

§  Abandonner cet emploi suivant l’avis du médecin qui a charge;  

§  Obtenir un avis du médecin qui a charge à l’effet que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable ou que celui-ci comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

[118]     Dans le présent dossier, les deux premières conditions sont établies. En effet, le travailleur a commencé à exercer l’emploi convenable le 30 juillet 2012 et il a abandonné cet emploi à l’intérieur du délai de deux ans requis par la loi.

[119]     En ce qui concerne les deux autres conditions portant sur l’avis du médecin sur l’incapacité du travailleur à exercer l’emploi convenable, voyons ce qu’en dit la Commission des lésions professionnelles dans une autre décision[6] sur le caractère de l’avis du médecin :

[30] En outre, pour récupérer son droit aux indemnités, le tribunal est d’avis que le travailleur doit produire un avis du médecin dont on peut raisonnablement apprécier qu’il respecte les critères établis à l’article 516.  Il doit par conséquent en ressortir, à tout le moins de façon minimale, que le médecin connaît les antécédents médicaux et les limitations fonctionnelles du travailleur, sait de quel emploi il est question et ce qu’il comporte comme tâches et exigences physiques et est en mesure de motiver sa recommandation au travailleur d’abandonner cet emploi.  Il faut donc qu’il y ait un véritable avis médical motivé et non un simple rapport des allégations d’incapacité d’un travailleur.  L’impact de cet avis médical est trop important pour ne pas devoir s’assurer de façon minimale qu’il constitue véritablement une opinion médicale et que celle-ci est éclairée.

____________________________

(6) Auger et Jeno Newman & Fils inc., C.L.P. 110873-64-9902, 99-07-14, L.Couture;  Parent et Sani-Eco inc.,C.L.P. 162316-62B-0105, 02-05-13, A. Vaillancourt

 

 

[120]     Puis, dans une autre décision[7], la Commission des lésions professionnelles énonce que l’on devra être en mesure de détecter à la lecture de l’avis du médecin qu’il a une certaine connaissance de l’emploi convenable établi dans le cas de son patient.  :

[53] On ignore si la docteure Jacques connaît l’emploi convenable qui a été retenu pour le travailleur après deux évaluations de son ancien poste, si elle connaît les exigences de ce poste. Elle n’en fait pas mention dans son bref résumé des problèmes reliés à la lésion professionnelle et traite elle-même le dossier comme une rechute, récidive ou aggravation. Quand elle écrit que le travailleur devra changer de travail, on n’est pas en mesure de savoir s’il s’agit d’une opinion sur l’emploi convenable qu’il a exercé pendant trois jours. On ne peut pas conclure des commentaires de la docteure Jacques qu’elle est d’avis que «le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable ou que celui-ci comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur».

 

[54] Sans faire preuve de formalisme et sans avoir à reprendre les termes exacts de l’article 51, le médecin doit tout de même fournir les éléments essentiels à son application10. Un parallèle peut être fait avec l’opinion demandée au médecin traitant pour une assignation temporaire (art. 179). Il doit être informé de l’emploi proposé afin de donner son avis.

 

[56] Lorsqu’un médecin émet un avis sur la capacité d’exercer l’emploi convenable, on doit être en mesure de comprendre de son avis qu’il connaît cet emploi, ses exigences et sur quels motifs repose sa recommandation au travailleur d’abandonner l’emploi convenable. L’opinion de la docteure Jacques est insuffisante à cet égard.

 

 

10            Cauchon et Inspecteur général des institutions financières, [1998] C.L.P. 595

 

 

[121]     Dans le présent dossier, la preuve révèle que le 23 août 2012, le travailleur voit le docteur Rezaeifar lequel dirige le travailleur à la docteure Perron et indique que le travailleur se dit incapable de continuer le travail actuel. Rien dans ce rapport ne permet d’établir d’une manière probante que le médecin a une connaissance suffisante des exigences de l’emploi effectué par le travailleur.   

[122]     Puis, le travailleur voit la docteure Perron le 17 septembre 2012. Dans son avis, le tribunal note qu’elle rapporte les plaintes du travailleur quant à la station debout et la marche. Toutefois, son avis n’est pas spécifique quant à l’abandon de son emploi convenable. Au contraire, sa recommandation vise plutôt le port d’une botte de travail adaptée. D’autre part, cet avis sert aussi au travailleur à réclamer la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, les problématiques rapportées par la docteure Perron ne font pas état d’un changement significatif de la condition du travailleur. C’est pourquoi il est difficile de comprendre comment il se fait qu’à ce moment, le médecin ajoute une restriction quant à la station debout ou à la marche si ce n’est qu’elle reprend l’affirmation du travailleur.

[123]     De plus, il appert de la preuve soumise au tribunal que le travailleur n’a pas abandonné son emploi malgré les observations de la docteure Perron. Au contraire, il a poursuivi son travail jusqu’au 21 juin 2013. D’autre part, la preuve révèle que le travailleur a eu la possibilité de changer ses bottes de travail et qu’il a pu bénéficier d’un siège assis/debout. 

[124]     En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les critères requis à l’application de l’article 51 de la loi ne sont pas remplis dans leur entièreté de telle sorte que le travailleur ne peut récupérer son droit aux indemnités de remplacement du revenu.

Dossier 492663

 

[125]     La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 23 août 2012.

[126]     La notion de « lésion professionnelle » est définie à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[127]     La loi ne définit pas en quoi consiste une récidive, rechute ou aggravation. Il faut s’en remettre à la jurisprudence[8] bien établie en la matière qui, au fil des ans, a reconnu à titre de lésion professionnelle la réapparition, la reprise évolutive ou la recrudescence de la lésion ou de ses symptômes.

[128]     Ainsi, il y a lieu de regarder le sens commun de ces termes comme l’a mentionné le tribunal dans la décision Harrisson et Groupe Relations Matane inc.[9] :

[23] (…) et de considérer qu’il s’agit d’une réapparition, d’une reprise évolutive ou d’une recrudescence de la lésion ou de ses symptômes. Il n’est pas nécessaire qu’un fait nouveau survienne, qu’il soit accidentel ou non. La preuve doit cependant établir une relation de cause à effet entre la lésion professionnelle initiale et celle alléguée à titre de récidive, rechute ou aggravation.

 

[24] Il a également été mentionné à plusieurs reprises dans les décisions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) et de la Commission des lésions professionnelles qu’il ne fallait pas uniquement examiner la notion d’aggravation, mais également les notions de récidive et de rechute.

 

[25] La Commission d’appel s’exprime ainsi dans l’affaire Michaud-Rousseau et Via-Rail Canada4 : « L’aggravation n’est qu’un des termes utilisés, elle ne doit pas devenir le terme de référence, sinon elle écarte la volonté du législateur de ne pas encarcanner cette reprise évolutive d’une lésion et de ses symptômes à la seule existence d’une aggravation ».

                      

4             [1996] C.A.L.P. 1108

 

 

[129]     Puis, tout comme l’a décidé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Dubé et Les Entreprises du Jalaumé enr.[10], il paraît à la soussignée, que la formulation adéquate du fardeau qui incombe au travailleur doit se résumer ainsi:

§  Il lui faut prouver une modification de son état de santé par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de la lésion professionnelle ainsi que ;

 

§  L’existence d’un lien de causalité entre cette modification et la lésion professionnelle.

 

 

[130]     La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’une telle relation médicale ne peut se présumer ou se déduire seulement en tenant compte du témoignage du travailleur ou de théories médicales sans assise dans la preuve et les faits du dossier[11].

[131]     La jurisprudence[12] a déterminé certains critères permettant d’établir la reconnaissance d’une lésion professionnelle  sous l’angle d’une récidive, rechute ou aggravation :

-              la gravité de la lésion initiale;

-              la continuité de la symptomatologie;

-              l’existence ou non d’un suivi médical;

-              le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;

-              la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;

-              la présence ou l’absence d’une condition personnelle;

-              la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;

-              le délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.

 

 

 

[132]     Aucun de ces critères n’est à lui seul décisif, mais pris ensemble ils permettent de se prononcer sur le bien-fondé de la réclamation.

[133]     Le rappel de ces critères étant fait, qu’en est-il en l’espèce?

[134]     Dans le présent dossier, le tribunal note que le travailleur rapporte des douleurs persistantes à la cheville gauche et au talon. Il dépose le rapport du 23 août 2012 du docteur Rezaeifar lequel n’est pas suffisamment explicite pour justifier une récidive, rechute ou aggravation. En effet, il ne motive pas les raisons justifiant l’arrêt de travail qu’il suggère et rapporte les propos du travailleur.

[135]     Pour ce qui est de l’avis de la docteure Perron, elle aussi rapporte la symptomatologie du travailleur. Si l’on compare son examen clinique du 17 septembre 2012 avec celui effectué le 16 janvier 2012, lors du rapport d'évaluation médicale, seule l’inversion est diminuée de 5 degrés. Toutes les autres amplitudes articulaires sont les mêmes. Pour ce qui est de la tatalgie, il ne s’agit pas d’une nouvelle information puisque cette condition a déjà été mentionnée auparavant lors des rapports médicaux de la docteure Perron. En effet, dans son rapport du 19 mars 2012, elle avait spécifié qu’aucun déficit anatomo-physiologique ni aucune limitation fonctionnelle ne pouvait être ajouté au travailleur en raison de cette douleur au talon. Ainsi, bien que le médecin ajoute une limitation fonctionnelle quant à la station debout et à la marche, il est difficile de l’associer à autre chose qu’à des plaintes subjectives du travailleur. Finalement, il est vrai qu’il fût une période où les orthèses du travailleur étaient inadéquates selon le médecin. Toutefois, celles-ci ont été changées et le travailleur a aussi pu se procurer des chaussures orthopédiques.

[136]     En conséquence, la Commission des lésions professionnelles détermine que la preuve médicale ne démontre pas d’une manière prépondérante que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 23 août 2012.     

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 488446

ACCUEILLE en partie la requête déposée le 22 novembre 2012 par monsieur Yvon Lafrenière, le travailleur;  

MODIFIE la décision rendue le 9 octobre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’emploi de commis à la réparation et à l’entretien de panneaux est un emploi convenable;

DÉCLARE que le travailleur a la capacité d’exercer l’emploi convenable à compter du 30 juillet 2012;

DÉCLARE que le revenu annuel brut de l’emploi convenable est celui de 31 284 $;

DÉCLARE que le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu réduites en tenant compte de ce revenu annuel brut.

 

Dossier 492661

REJETTE la requête déposée le 18 janvier 2013 par monsieur Yvon Lafrenière, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue le 20 décembre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur ne peut récupérer son droit aux indemnités de remplacement du revenu en vertu de l’article 51 de la loi.

 

Dossier 492663

REJETTE la requête déposée le 18 janvier 2013 par monsieur Yvon Lafrenière, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue le 6 décembre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 août 2012.

 

 

 

 

__________________________________

 

Michèle Gagnon Grégoire

 

 

 

 

Me Guy Laporte

Leblanc, Donaldson

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Abira Selvarasa

Vigneault, Thibodeau, Bergeron

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           [2001] C.L.P. 24.

[3]           Carle et Loeb Club Plus Maniwaki, C.L.P. 343573-07-0803, 6 avril 2010, S. Séguin.

[4]           Weiland et Publi-Calen Art Ltée, C.L.P. 180412-61-0203, 7 juin 2002, L. Nadeau.

[5]           Laporte et Affinia Canada corp., C.L.P. 268319-71-0508, 22 février 2008, D. Lévesque; Sabourin et Camions Inter Estrie 1991 inc., C.L.P. 234335-05-0405, 18 avril 2005, F. Ranger.

[6]           Grenier et Grands Travaux Soter inc., C.L.P. 150478-01B-001, 14 janvier 2003, L. Desbois.

[7]           Larivière et Produits d’acier Hason inc., C.L.P. 142509-63-0007, 30 avril 2003, L. Nadeau, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Joliette, 705-17-000660-033, 23 février 2004, j. Borenstein.

[8]           Lapointe et Cie minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38; Lafleur et Transport Shulman ltée, C.A.L.P. 29153-60-9105, 26 mai 1993, J. L’Heureux; Salaisons Brochu inc. et Grenier, C.A.L.P. 28997-03-9105, 18 juillet 1995, M. Beaudoin; Dussault-Verret et C.P.E. l’Écho Magique, 268106-32-0807, 9 janvier 2006, G. Tardif.

[9]           C.L.P. 334304-01A-0712, 30 janvier 2009, N. Michaud.

[10]         Dubé et Les entreprises du Jalaumé inc., C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif; Voir aussi Beauchamp et Inspec-Sol, C.L.P. 352639-63-0807, 21 avril 2009, I. Piché.

[11]         Guettat et Cie Minière Québec Cartier, C.A.L.P. 53020-61-9308, 18 août 1995, N. Lacroix; Baron et Langlois & Langlois, 30990-62-9107, 23 octobre 1995, M. Lamarre.

[12]         Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 1108.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.