Jin et DBA Trimble Canada |
2015 QCCLP 5716 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 30 septembre 2014, madame Yu Jin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle demande la révocation ou la révision d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 juillet 2014.
[2] Par cette décision, le tribunal confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 janvier 2014 lors d’une révision administrative, déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 9 septembre 2013 et, en conséquence, qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] La présente audience s’est tenue à Longueuil le 13 octobre 2015 en présence de la travailleuse, qui n’est pas représentée. La procureure de l’employeur a avisé le tribunal que ni elle ni son client ne seraient présents à l’audience et a produit une argumentation écrite par laquelle elle soutient que la présente requête en révision ou en révocation produite par la travailleuse n’a pas été déposée dans un délai raisonnable et qu’elle est donc irrecevable.
[4] Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] La travailleuse demande tout d’abord au présent tribunal de déclarer que sa requête en révision ou en révocation déposée le 30 septembre 2014 à l’encontre de la décision rendue le 14 juillet 2014 est recevable.
[6] Par ailleurs, la travailleuse demande au présent tribunal de révoquer la décision rendue le 14 juillet 2014, à la suite d’une audience tenue le 9 juillet 2014, en son absence, et de convoquer les parties à la tenue d’une nouvelle audience.
[7] Au soutien de la présente requête, la travailleuse invoque donc l’application du second paragraphe de l’article 429.56 de la loi, soit qu’elle n’a pu être entendue lors de cette audience du 14 juillet 2014.
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs partagent le même avis et croient que la requête produite par la travailleuse le 30 septembre 2014 à l’encontre de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 14 juillet 2014 est recevable.
[9] Pour les membres, même si le dépôt de cette requête par la travailleuse dépasse le délai généralement accepté par la jurisprudence en la matière, soit un délai de 45 jours, les membres sont d’avis qu’il y a lieu de relever la travailleuse des conséquences de son défaut, conformément aux dispositions de l’article 429.19 de la loi.
[10] Pour les membres, la travailleuse a en effet fait la démonstration d’un motif raisonnable expliquant son défaut d’avoir excédé de seulement quelques jours le délai usuellement appliqué de 45 jours, soit le fait qu’elle n’ait pris connaissance de la décision rendue le 14 juillet 2014 qu’au retour d’une absence prolongée de son domicile, soit le 13 août 2014 et qu’alors, elle n’a pu rejoindre son avocat qui était en vacances. Lorsqu’elle a pu le faire, la travailleuse, n’ayant pas obtenu de conseil utile de la part de celui-ci, s’est résolue à consulter une conseillère dans un centre communautaire où elle a obtenu de l’aide, d’où la production de sa requête.
[11] Pour les membres, la travailleuse a fait preuve de diligence dans la conduite de son dossier et elle ne saurait être pénalisée par le contexte difficile dans lequel elle s’est retrouvée à son retour à la maison en août 2014.
[12] Quant au « mérite » de la requête, les membres partagent de nouveau le même avis et croient que la requête de la travailleuse doit être accueillie.
[13] Pour les membres, la travailleuse a démontré un motif suffisant au sens de l’article 429.56 de la loi permettant de comprendre pourquoi elle n’a pu être entendue lors de l’audience tenue le 9 juillet 2014.
[14] En effet, les membres retiennent de la preuve soumise que la travailleuse s’était fait dire par son procureur au dossier que l’audience devant se tenir le 9 juillet 2014 avait été remise, à la suite de tractations tenues avec la représentante de l’employeur, et qu’elle n’avait pas à s’y présenter.
[15] Pour les membres, cette preuve, soutenue par une déclaration faite sous le serment d’office du procureur de la travailleuse, permet de soutenir que la travailleuse elle-même ne peut être taxée d’une quelconque négligence en regard de son absence à l’audience, tenue en l’absence des parties le 9 juillet 2014.
[16] Dans les circonstances, il y a donc lieu de révoquer la décision rendue le 12 juillet 2014 et de convoquer les parties à une nouvelle audience.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[17] Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 juillet 2014.
[18] L’article 429.49 de la loi rappelle le caractère final et sans appel d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles. Cet article se lit comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[19] Toutefois, le législateur a prévu l’exercice d’un recours en révision ou révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles en présence de circonstances bien précises. Ce recours, qualifié d’exceptionnel, est prévu à l’article 429.56 de la loi qui énonce :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[20] Par ces dispositions, le législateur a voulu assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal[2]. En conséquence, il y a lieu d’interpréter celles-ci de façon à respecter les objectifs législatifs.
[21] Avant d’analyser s’il y a matière à révoquer la décision du 14 juillet 2014, la Commission des lésions professionnelles doit d’abord disposer de la question préliminaire de la recevabilité de la requête en révision de la travailleuse. L’article 429.57 de la loi prévoit ceci:
429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.
[…]
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1997, c. 27, a. 24.
[22] En l’espèce, il appert que la décision ici en litige a été rendue par le premier juge le 14 juillet 2014 et qu’elle a été expédiée par le tribunal à la travailleuse le 16 juillet 2014, alors que la présente requête en révision ou en révocation a été déposée au tribunal par la travailleuse le 30 septembre 2014, soit 76 jours « de la décision visée», selon les termes utilisés à l’article 429.57, ci-dessus.
[23] Or, la jurisprudence[3] constante du tribunal a établi que le délai raisonnable prévu à cette disposition est assimilable à celui édicté par le législateur pour contester une décision de la CSST devant la Commission des lésions professionnelles, soit un délai de 45 jours, tel qu’édicté à l’article 359 de la loi.
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[24] D’emblée, le soussigné constate une différence de texte dans le libellé de l’article 359 et celui de l’article 429.57 de la loi.
[25] Si à l’article 429.57 le législateur demande qu’une requête en révision ou en révocation soit déposée dans un « délai raisonnable à partir de la décision visée », plutôt qu’en requérant qu’elle le soit dans un « délai raisonnable à partir de la notification de la décision visée », passant ainsi sous silence la notion de « notification » de la décision que l’on désire contester et que l’on retrouve à l’article 359 de la loi lorsqu’il est question du dépôt d’une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST, le soussigné est d’avis que l’on doit néanmoins nécessairement s’interroger quant à cette question de la date à laquelle la décision a été notifiée à la partie qui l’attaque en révision.
[26] C’est en ce sens, selon le soussigné, qu’il y a lieu de considérer la jurisprudence qui « assimile » le délai de l’article 429.57 de la loi à celui de l’article 359. En effet, comment pourrait-on exiger d’une partie qu’elle demande la révision ou la révocation d’une décision du tribunal « dans un délai raisonnable à partir de la décision rendue » si l’on ne pouvait tenir compte du moment où cette partie a pris connaissance de ladite décision, de sa « notification ».
[27] À cet égard, le soussigné partage entièrement l’analyse faite par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gnonthaboun et Bombardier Aéronautique et CSST[4] alors que le tribunal résume les principes applicables en la matière :
[20] La loi détermine donc que le délai pour déposer une requête en révision est un délai raisonnable qui commence à courir à compter de la décision.
[21] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, se calquant sur la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ainsi que sur celle de la Cour supérieure en matière de recours extraordinaires, a assimilé le délai « d’appel » au délai de révision. C’est ainsi que s’exprime la Commission des lésions professionnelles dans la décision Thi Ngoc Bich Do et Café Romy2 :
[11] Le législateur a donc laissé au tribunal le soin de fixer ce qui constitue un délai raisonnable en matière de révision ou révocation.
[12] Avant le 1er avril 1998, le délai d’appel devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) était de 60 jours et la jurisprudence avait aussi fixé à 60 jours le délai pour demander la révision pour cause d’une décision.2
[13] La Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec avaient d’ailleurs avalisé le choix de la Commission d’appel de fixer un délai précis pour le dépôt d’une requête en révision pour cause3.
[14] Dans l’affaire Émond et Environnement Routier NRJ inc.4 rendue après l’arrivée de la Commission des lésions professionnelles, la commissaire s’exprimait comme suit :
« […]
[17] Également, depuis le 1er avril 1998, l’article 359 de la loi prévoit que le nouveau délai d’appel est fixé à 45 jours. Dans ce contexte, la nouvelle jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a précisé que, désormais, le « délai raisonnable » pour demander une révision d’une décision est de 45 jours. Ce délai ayant été déterminé à partir de celui prévu à l’article 359 de la loi pour contester une décision de la CSST auprès de la Commission des lésions professionnelles.
[18] La jurisprudence a clairement établi que les règles suivantes devaient être respectées pour présenter une requête en révision ou en révocation en vertu du nouvel article 429.57 de la loi :
1° la requête doit être présentée dans un délai raisonnable fixé à 45 jours de la notification de la décision dont on demande la révision; si non
2° toute demande déposée à l’extérieur de ce délai doit être justifiée en démontrant la présence d’un motif raisonnable, conformément au droit prévu en ce sens à l’article 429.19 de la loi.
[19] Cette interprétation du « délai raisonnable » de 45 jours pour présenter une requête en révision en vertu de l’article 429.57 de la loi a été reconnue dans les causes suivantes :
[Jurisprudence omise]
[15] Depuis le 1er avril 1998, la jurisprudence a donc fait l’analogie entre le délai raisonnable imparti pour demander la révision ou révocation d’une décision et celui prévu pour déposer une contestation prévue à l’article 359 de la loi :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[16] Ce délai est donc fixé à 45 jours, ce que le soussigné estime raisonnable compte tenu du caractère exceptionnel de la requête en révision ou révocation qui constitue une exception au principe du caractère final et irrévocable des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.
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2 Société canadienne des postes et Auclair, [1991] CALP 809
3 Fortin et Externat Sacré-Coeur de Rosemère, [1993] CALP 199; Moulin de préparation de bois en transit de Saint-Romuald, [1998] CALP 574 (C.A.)
4 104687-62-9807, 20 mars 2000, D. Lévesque
[22] Il y a lieu d’ajouter, à ces motifs, celui de la nécessaire stabilité des décisions3. Ainsi, la CSST et les parties sont en droit de se fier à un délai bien établi afin de pouvoir exécuter ou demander l’exécution d’une décision, en principe finale, de la Commission des lésions professionnelles.
[23] Le délai pour présenter une requête en révision est donc, selon cette jurisprudence, de 45 jours à compter de la décision. C’est le délai que la Commission des lésions professionnelles retient en l’instance.
[24] La jurisprudence a encore précisé la portée de l’article 429.57 en retenant comme date de départ de la computation du délai de contestation non pas la date de la décision mais le moment de la notification de cette décision. Le raisonnement soutenant cette interprétation étant que l’on ne peut demander la révision d’une décision dont on ne connaît pas le contenu5:
[17] La procureure de la CSST a fait valoir que le point de départ du délai raisonnable se calcule «à partir de la décision visée», suivant le libellé de l’article 429.57, et non à partir de la notification de cette décision en s’appuyant sur la décision rendue dans Charette et Sancella inc.1.
[18] La Commission des lésions professionnelles ne peut faire droit à cette prétention. D’une part, les circonstances de cette affaire étaient particulières. La travailleuse avait été informée par son représentant qu’une décision négative avait été rendue et des recours possibles. La travailleuse exigeait de recevoir du tribunal sa propre copie de la décision et n’a pas agi tant que cela n’a pas été fait.
[19] D’autre part, cette interprétation apparaît minoritaire. Certes le texte de l’article 429.57 de la loi ne réfère pas à la notification. Il faut rappeler que l’article 429.57 impose uniquement «un délai raisonnable à partir de la décision visée». La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a assimilé ce délai à celui pour contester devant la Commission des lésions professionnelles une décision de la révision administrative. Or l’article 359 de la loi prévoit que cette contestation doit se faire «dans les 45 jours de la notification».
[20] Dans la très grande majorité des décisions en révision, le point de départ du délai raisonnable retenu est la date où la partie a reçu la décision2. On peut difficilement imposer à un justiciable un délai pour agir qui commencerait à courir avant que la décision lui soit notifiée. La Commission des lésions professionnelles a même précisé récemment que cette notification doit être écrite, une information verbale ne suffit pas3.
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1 72435-62-9508, 02-03-18, G. Godin, révision rejetée, 02-08-29, M. Bélanger
2 Voir à titre d’illustrations les décisions suivantes, antérieures et postérieures à l’affaire Charrette et Sancella inc. : Laroche et Gilles Tétreault ltée, 95009-63-9803, 99-09-27, C. Bérubé; Hydro-Québec et Coutu, 78410-08-9604, 99-10-21, C. Lessard; Chavez et Rosmar litho inc., 93423-73-9712, 00-02-01, D. Lévesque, Chic Négligé inc., [2001] C.L.P. 189; Charland et Serge Lemay inc., 127673-04B-9912, 01-06-01, M. Allard; Fontaine et Berklyne inc., 130757-07-0001, 01-12-04, P. Perron; Poulin et Service d’entretien Empro inc., 94313-72-9802, 03-04-02, B. Roy.
3 Hazan et Distex ind. Inc., 135304-72-0003, 03-06-03, L. Landriault
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(2) CLP 301489-71-0610-R, 26 juin 2008, J.-F. Clément, juge administratif.
(3) Palmieri et Christina Canada inc., [1997] CALP 320.
(4) Moffette et Constructions RFP inc., CLP 135204-63-0004-R et al., 21 novembre 2003, L. Nadeau, juge administratif.
(Tous les soulignements sont du soussigné)
[28] C’est d’ailleurs la position qu’adopte la procureure de l’employeur à son argumentation écrite alors qu’elle indique que le délai de 45 jours commence à courir à compter de la notification de la décision, référant le tribunal à une autre décision de la Commission des lésions professionnelles, l’affaire Cube Restaurant et Gonzalez5.
[29] Pour appliquer les principes établis ci-dessus au présent cas, le soussigné est d’avis qu’il convient tout d’abord d’analyser les circonstances ayant entouré le dépôt par la travailleuse, le 30 septembre 2014, de la présente requête en révision ou en révocation, à l’encontre de la décision du 14 juillet 2014.
[30] Qu’en est-il dans le présent dossier ?
[31] Le soussigné a interrogé madame Yu Jin, la travailleuse, afin qu’elle explique les circonstances ayant entouré le dépôt de sa requête en révision ou en révocation de la décision rendue par le tribunal le 14 juillet 2014.
[32] D’emblée, le soussigné a pu constater que la travailleuse a répondu de façon fort crédible aux questions du tribunal. Madame Yu Jin, d’origine chinoise, s’exprime exclusivement en anglais, ce qui explique d’ailleurs que l’ensemble des documents et décisions émanant de la CSST ou de la Commission des lésions professionnelles apparaissant au dossier ont été traduits en anglais.
[33] La travailleuse reconnaît avoir reçu l’avis daté du 18 mars 2014 (en français et en anglais) la convoquant à l’audience du 9 juillet 2014 devant le premier juge. Elle ajoute qu’elle sait que son représentant au dossier à l’époque, Me José Dorelas, avait également reçu un semblable avis de convocation pour cette audience.
[34] La travailleuse explique qu’elle ne s’est pas présentée à l’audience du 9 juillet 2014 devant le premier juge parce qu’elle était convaincue que ladite audience avait été remise.
[35] En toute candeur, la travailleuse insiste pour dire au tribunal qu’elle veut assumer la responsabilité de son absence lors de l’audience qui a eu lieu le 9 juillet 2014 devant le premier juge, ajoutant que Me Dorelas est un ami personnel qui avait accepté de l’aider bénévolement dans son dossier de réclamation à la CSST, ayant notamment déposé pour elle la requête au tribunal en regard de la décision de la CSST du 17 janvier 2014 rendue lors d’une révision administrative. Elle considère Me Dorelas comme un ami et ne veut pas lui causer d’ennuis.
[36] Néanmoins, elle témoigne que son avocat au dossier, Me Dorelas, lui avait confirmé qu’une remise aurait lieu dans son dossier et que l’audience du 9 juillet 2014 n’aurait donc pas lieu.
[37] Madame Yu Jin dépose au tribunal une copie des courriels échangés entre une représentante de l’employeur, madame Ghislaine Ringuette, et Me Dorelas, en mai et juin 2014, indiquant qu’une remise de l’audience prévue pour le 9 juillet 2014 est nécessaire, à la demande de l’employeur, les parties convenant même entres elles d’une date possible de report, soit le 17 octobre 2014 à 13 h 30.
[38] Ainsi, tel qu’il appert d’un courriel adressé le 27 mai 2014 par Me Dorelas à madame Ringuette, représentante de l’employeur, Me Dorelas suggérait la date du 15 septembre 2014 pour la remise de l’audience du 9 juillet.
[39] Le 28 mai 2014, madame Ringuette écrit ceci :
Bonjour Me Dorelas,
La date du 15 septembre n’est pas disponible pour le tribunal. Les dates suggérées ci-dessous sont bloquées pour 24 heures. Nous devons donc agir rapidement. Veuillez confirmer votre date préférée. Voici les dates disponibles :
Vendredi le 17 octobre 2014 9 h le matin ou dans l’après-midi 13 h 30
Ou
Lundi le 1er décembre dans l’après-midi
Ou
Mardi le 2 décembre dans l’avant-midi ou dans l’après-midi.
Merci beaucoup.
[40] Le 11 juin 2014, Me Dorelas a répondu à ce courriel en indiquant à madame Ringuette que sa cliente était disponible pour une audience le 17 octobre 2014.
[41] Le même jour, à 10 h 57, madame Ringuette écrit ceci :
Bonjour Me Dorelas,
J’ai fait bloquer le vendredi 17 octobre à 13 h 30. Je vais leur faire parvenir aujourd’hui une télécopie afin de confirmer le tout.
Je vous remercie de votre collaboration dans ce dossier.
Bonne journée.
[42] Puis, dans un autre courriel daté du 11 juin 2014, à 11 h 48, adressé par madame Ringuette à Me Dorelas, madame Ringuette écrit :
Bonjour Me Dorelas,
Voici la télécopie envoyée à la CLP pour la remise d’audience, soit le 17 octobre 2014 à 9 h am.
Merci et bonne fin de journée.
[43] On ne retrouve pas au dossier la « télécopie » qui aurait été envoyée à la Commission des lésions professionnelles ou à Me Dorelas par madame Ringuette.
[44] De même, après vérification au plumitif du tribunal, il appert qu’aucune demande de remise n’a été produite au tribunal avant l’audience du 9 juillet 2014.
[45] Par ailleurs, la travailleuse dépose une lettre datée du 12 octobre 2015 de Me Dorelas, plus précisément une déclaration solennelle rendue sous son serment d’office, laquelle apporte les explications suivantes :
Le 12 octobre 2015
Sous toutes réserves
OBJECT : YU JIN vs Trimble Canada
CLP number : 534942 62 1402
To whom is concern,
The undersigned, José Dorelas, practising lawyer, having its place of business at 515 Decarie boul, Ville Saint-Laurent, in the judicial district of Montreal, solemnly declare, on my oath of office the following :
1) I was the responsible attorney in the case mentioned above for which a hearing has been set for the 9th of july 2014.
2) On or around May 1st, 2014, Ms. Ghislaine Ringuette, representing the opposite party, told the undersigned of her inability to attend the hearing on the 9th of july 2014 that requires rescheduling for the hearing in question, as it appears from the rescheduling copy of this e-mail, dated 1 may 2014.
3) The undersigned and Ms. Ghislaine Ringuette agreed to postpone until october 17, 2014 the hearing of the dispute between the parties and Mrs. Ringuette sends the following email to the undersigned : « I booked Friday, October 17 at 13:30. I’ll send a fax today confirming everything ».
4) On the same date, Ms. Ringuette sends a second email : This is the fax sent to the plc for the postponement of the hearing, on october 17, 2014 at 9 Am », as appears from the copies of email dated June 11, 2014.
Following these exchanges with the opposing party, the undersigned has advised his client, Mrs Yu Jin, that the hearing on 9 July, 2014, was rescheduled for the 19th of october, 2014. Therefore, the undersigned asked his client not to appear in court on july 9, 2014.
Therefore, the undersigned affirms and confirms that the client did not know that remission was not paid to the court file, as promised by Ms. Ringuette. Ms Yu Jin was not at fault in deciding not to appear in court July 9th, 2014.
In any event, the undersigned asks the court to consider that is client would suffer serious prejudice if the court upholds the decision made on the 9th of July, 2014.
In addition, the undersigned believes that if there is fault or negligence, where this offense would come from the attorney of Mrs. Eugene [sic], under the constant case law, one cannot punish a defendant for misconduct of a prosecutor.
Please receive my respectful greetings. [sic]
[Notre soulignement]
[46] Madame Yu Jin explique de plus que puisqu’on lui avait dit que l’audience du 9 juillet 2014 était remise, qu’elle a pris des arrangements pour quitter le pays le 15 juillet 2014 afin d’aller quérir des traitements auprès d’un médecin, le Dr William Chow, à San Francisco, traitements qu’elle avait d’ailleurs commencés en décembre 2013. Pour ce faire, elle s’est rendue le 15 juillet 2014 en autobus jusqu’à l’aéroport de Burlington et de là, en avion jusqu’à San Francisco.
[47] À la demande du soussigné, la travailleuse a produit un relevé électronique de ses billets d’avion (« e-tickets ») montrant qu’elle a pris un vol de Burlington pour San Francisco le 15 juillet 2014, avec escale à Newark, et que son retour s’est effectué au départ de San Francisco la veille, le 12 août 2014, via Newark, et arrivée à Burlington le 13 août 2014, à 12 h 18.
[48] La travailleuse a de plus indiqué qu’à son retour au domicile le 13 août 2014, elle était passablement fatiguée du fait des traitements reçus et du voyagement de sorte « qu’elle croit ne pas » avoir pris connaissance de son courrier le même jour.
[49] C’est ainsi que la travailleuse a témoigné « qu’elle croit avoir reçu » la décision de la Commission des lésions professionnelles, datée du 14 juillet 2014, uniquement vers le 16 ou le 17 août 2014. À noter toutefois que dans un des documents produits lors de la présente audience, la travailleuse indique :
1. Reasons for delay of my response
1) Aug.13.2014, Received letter, but in French. Do not understand. (Language barrier); see proof 1
[…]
[Notre soulignement]
[50] Lorsqu’elle prend connaissance de la décision rendue par le premier juge, à la suite de l’audience tenue le 9 juillet 2014 en son absence et bien qu’elle ne lise le français que très difficilement, elle comprend qu’il y a eu audience et que sa réclamation a été rejetée.
[51] La travailleuse indique qu’elle a des difficultés à rejoindre Me Dorelas, qui est alors en vacances6. Lorsqu’elle le fait, plusieurs semaines plus tard, Me Dorelas lui confirme qu’il ne s’était pas rendu lui non plus à l’audience. Lors de cette conversation, la travailleuse indique qu’elle comprend que son avocat se sent coupable ou responsable de la situation, mais qu’il n’a pas de suggestion à lui faire.
[52] Madame Yu Jin indique que quelques jours plus tard, elle se rend à la « Chinese community Center » pour y chercher des conseils. Elle y rencontre une dame, Miss Wong, qui parle et lit le français. Elle lui montre la décision du 14 juillet 2014 et après l’avoir lue, Miss Wong lui en explique la teneur. Elle lui conseille d’obtenir une traduction de la décision, ce que fera la travailleuse le 19 septembre 2014 en téléphonant au tribunal. De plus, cette personne ressource lui donne quelques conseils, consulte la loi et lui mentionne l’existence de l’article 429.56. Enfin, elle aidera la travailleuse à rédiger la présente requête en révision ou en révocation.
[53] Cette requête, datée du 28 septembre 2014, a été expédiée par télécopieur au tribunal le 30 septembre 2014, tel qu’il appert du bordereau de transmission apparaissant au document. La travailleuse y invoque ceci :
Subject: Request for Review/Revoke file No: 534942
CLP: 534942
Dear Sir/Madam,
I am writing this letter concerning the decision that CLP has made on July 14, 2014. would like to explain the reason why my response to this decision is delayed:
1) During period of July 15, 2014 - Aug 12, 2014; Seek medical treatment for my disc hernia and finger pain in US (Out of country).
2) During period of Aug.12, 2014- Sept. 2014: Tried to contact my lawyer, but he was on vocation.
3) On Sept 19, 2014, I had phoned the CLP in Longueil to request a copy of decision in English due to the letter of decision from CLP sent to me was in French and I have difficulty in understanding French.
During this time I was still waiting to present in the court on Oct.17, 2014. Until recently I was surprised to know that CLP already made a decision based upon that both parties did not show on the court. I do not agree with this decision. The reason is as following:
1) My employer (Trimble Canada) requested to postpone the hearing as they were not available on july 9, 2014. See proof P-1: email from my employer to my Iawyer. In this email my employer gave several options of hearing date.
2) My employer (Trimble Canada) finally chose Oct.17, 2014. See Proof P-2; See email from my employer in which my employer chose hearing date an Oct. 17, 2014.
3) As my employer (Trimble Canada) requested to postpone, it was my employer’s responsibility to inform CLP to re-arrange the hearing date to Oct.17, 2014.
Based upon Act respecting accidents and occupational diseases 429.56.2: The board on an application, may review or revoke any decision or order it has made where a party, owing to reasons considered sufficient, could not be heard. I would like to request board to review or provoke that decision made on July 14, 2014.
If you need any further support document, please do not hesitate to let me know. Thank you very much for your concern. [sic]
[54] Pour les motifs suivants, le tribunal siégeant en révision est d’avis que la requête en révision ou en révocation déposée par la travailleuse le 30 septembre 2014 à l’encontre de la décision du tribunal du 14 juillet 2014 est recevable.
[55] Tout d’abord, le soussigné constate de la preuve disponible que la travailleuse a reçu la décision du 14 juillet 2014 à son retour de Californie où elle s’était rendue pour recevoir des traitements, soit le 13 août 2014.
[56] Le tribunal retient le témoignage de la travailleuse selon lequel elle s’est en effet absentée du pays et de son domicile entre le 15 juillet 2014 et le 13 août 2014, tel que le montre le relevé électronique de billets d’avion produit lors de la présente audience.
[57] Dans ce contexte, elle n’a pu recevoir la décision du tribunal, datée du 14 juillet, et envoyée7 par le tribunal à la travailleuse le 16 juillet 2014.
[58] Le soussigné estime que c’est bien le 13 août 2014 que la travailleuse a été notifiée de cette décision, tel que l’a indiqué la travailleuse dans un document déposé lors de la présente audience (pièce T-1), et non 4 ou 5 jours plus tard, tel qu’elle l’a mentionné à son témoignage. Certes, la travailleuse a probablement réalisé le 16 ou 17 août 2014 qu’une décision avait été rendue par le tribunal le 14 juillet précédent, mais il est probable qu’elle ait constaté la présence de cette décision dans son courrier dès son retour, le 13 août, d’où le fait qu’elle indique dans un document « 1. Reasons for delay of my response : 1) Aug.13.2014, Received letter, but in French. Do not understand ».
[59] De l’avis du soussigné, et tel que l’a expliqué la travailleuse dans son témoignage, sa compréhension du français est imparfaite, mais elle a compris qu’une décision avait été rendue et que sa réclamation avait été refusée. Par la suite, le 19 septembre 2014, elle demandera une traduction de la décision, décision traduite qu’elle recevra le 6 octobre 20148.
[60] De l’avis du soussigné, il y a lieu de considérer que c’est le 13 août 2014 que la travailleuse s’est vu notifier la décision du tribunal du 14 juillet 2014.
[61] À cet égard, le soussigné partage la position de la procureure de l’employeur soumise à son argumentaire et voulant que le délai, quant à la notification de la décision en l’espèce, débute au moment de la réception par la travailleuse de la décision rendue en français par le tribunal et non à compter de la réception de la traduction de cette décision9.
[62] Cela est d’autant plus vrai qu’en l’espèce, la travailleuse n’a pas attendu de recevoir la traduction de la décision du 14 juillet, le 6 octobre 2014, avant de déposer le 30 septembre 2014 sa requête en révision ou en révocation.
[63] Tel que le prévoit le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles10 :
39. Un écrit expédié par la poste est présumé reçu à la Commission le jour de l'oblitération postale.
L'écrit expédié par télécopieur est présumé reçu à la Commission à la date apparaissant sur le bordereau de transmission.
Le message expédié par courrier électronique est présumé reçu à la Commission à la date de réception apparaissant à son serveur.
D. 217-2000, a. 41; D. 618-2007, a. 27.
40. Dans le calcul d'un délai prévu au présent règlement, le jour qui marque le point de départ n'est pas compté et celui de l'échéance l'est. Les jours non juridiques sont aussi comptés.
[…]
D. 217-2000, a. 42; D. 618-2007, a. 28
[Nos soulignements]
[64] Appliquant ces principes, le soussigné constate qu’il s’est écoulé 48 jours entre le 13 août 2014 (jour qui marque le point de départ du délai et qui n’est pas compté) et le 30 septembre 2014, jour du dépôt par télécopie de la requête en révision ou en révocation.
[65] Comme indiqué précédemment, l’article 429.57 de la loi prévoit qu’une requête en révision ou en révocation doit être déposée « dans un délai raisonnable à partir de la décision visée » et, comme mentionné précédemment, il y a lieu de tenir compte du moment de la notification de la décision en question dans le calcul du délai. Par ailleurs, la jurisprudence « assimile » le délai raisonnable mentionné à l’article 429.57 à celui édicté par l’article 359 de la loi, soit 45 jours.
[66] Aussi, dans ce contexte, il y a lieu de retenir que la travailleuse n’a pas respecté le délai applicable, en déposant sa requête en révision ou en révocation 48 jours après la notification de la décision rendue le 14 juillet 2014.
[67] Ceci étant, si le délai pour déposer une requête au tribunal est dépassé, la loi permet au tribunal de relever la partie des conséquences de son défaut si elle démontre un « motif raisonnable » permettant de comprendre et d’expliquer la situation, si aucune autre partie n’en subit de préjudice :
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[68] Tel qu’il ressort de l’affaire Mesumard et Friefeld, Litwin & ass. (syndic)11, afin d’être relevée de son défaut, une partie qui dépose un recours en dehors du délai imparti par la loi doit fournir une explication raisonnable et sérieuse justifiant de manière satisfaisante son retard.
[69] Plus généralement, la question de savoir ce que sont des « motifs raisonnables » a déjà fait l’objet d’une analyse exhaustive par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Roy et Communauté urbaine de Montréal12. Dans cette affaire, continuellement suivie depuis13, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles écrit ce qui suit :
La notion de motif raisonnable est, selon la Commission d'appel, une notion large permettant de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d'indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, etc., si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure, de réflexion.
[70] Dans l’affaire Jean Coutu et CSST14, le tribunal rappelait que :
[37] Il est également bon de rappeler que la notion de « motif raisonnable » est une notion vaste dont l'interprétation pourra varier dans le temps tout comme celle de la notion du bon père de famille, de l'homme prudent et diligent. Il va sans dire qu'il doit y avoir un motif raisonnable et que le tribunal ne saurait cependant sanctionner la négligence des parties8.
[38] Enfin, le présent tribunal tient à préciser, en terminant sur les critères généraux de la notion de « motif raisonnable », qu’il est d’accord avec le principe voulant que le décideur jouisse d’une discrétion importante lorsque vient le temps d’examiner toutes les circonstances du cas particulier qui lui est soumis9.
(8) Voir notamment : Dansereau c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [1993] C.A.L.P. 1074, (C.S.); Daneault et La Brûlerie D'Ici, C.L.P. 161985-01A-0105, 11 juillet 2002, L. Desbois; De Miranda Napoles et Sanimax Lom inc., précitée, note 7.
(9) Chrétien et Société canadienne des postes, C.L.P. 232023-01B-0403, 4 mai 2006, L. Desbois
[Nos soulignements]
[71] De l’avis du soussigné, la travailleuse a démontré l’existence d’un tel motif raisonnable permettant de la relever des conséquences de son défaut.
[72] À son retour de Californie, le 13 août 2014, la travailleuse a constaté qu’une décision avait été rendue par le tribunal le 14 juillet, à la suite d’une audience tenue en son absence.
[73] Elle a alors tenté de joindre son procureur au dossier, mais n’a pu le faire avant plusieurs jours, celui-ci étant en vacances. Lorsqu’elle réussit à le joindre, en septembre 2014, celui-ci ne peut lui prodiguer de conseils utiles, n’ayant pas de solution à lui proposer.
[74] Puis, quelques jours plus tard, la travailleuse se rend dans un centre connu de la communauté chinoise pour y chercher des conseils. Elle y rencontre une conseillère qui lui explique la teneur de la décision rendue le 14 juillet précédent et qui l’oriente vers le dépôt d’une requête en révision auprès du tribunal, l’aidant même à la rédaction de cette requête qui sera produite le 30 septembre 2014.
[75] De l’avis du soussigné, l’on ne peut taxer de négligente la conduite de la travailleuse dans le présent dossier. Outre le problème évident de la langue qui ne permettait pas à la travailleuse de saisir parfaitement la portée de la décision rendue le 14 juillet 2014, la travailleuse a rapidement tenté de joindre son procureur au dossier pour obtenir des conseils, mais celui-ci était en vacances. Lorsqu’elle a réussi à le joindre, elle n’a pas obtenu les conseils attendus. Aussi, quelques jours plus tard, la travailleuse va-t-elle entreprendre des démarches auprès d’un centre communautaire, le « Chinese community Center », et là, on lui a prodigué des conseils menant au dépôt de la présente requête en révision ou en révocation, quelques jours plus tard.
[76] De l’avis du présent tribunal, l’analyse globale de la situation de la travailleuse permet d’en arriver à la conclusion que dans le contexte difficile dans lequel elle s’est trouvée au retour d’une absence au cours de laquelle elle a reçu des traitements, la travailleuse a, dans l’ensemble, fait preuve de diligence dans le suivi de son dossier et que les explications fournies au soussigné équivalent à un « motif raisonnable » au sens donné à cette expression par la jurisprudence.
[77] Par ailleurs, l’employeur en l’espèce n’a soumis aucun élément ou argument permettant de croire qu’il subirait un préjudice grave si la travailleuse était relevée des conséquences de son défaut. Tel que l’enseigne la jurisprudence à ce sujet, le préjudice grave dont il est question à l'article 429.19 de la loi ne peut être le risque de voir s'envoler une décision favorable puisque toute prolongation de délai accordée par la Commission des lésions professionnelles comporte cette conséquence. Ce préjudice réfère plutôt à des situations où, à cause du délai, une partie ne peut plus constituer sa preuve ou se défendre15. Rien de tel ne se retrouve dans le présent dossier.
[78] Pour l’ensemble de ces motifs, la requête en révision ou en révocation déposée par la travailleuse le 30 septembre 2014 est donc recevable.
[79] Par ailleurs, et pour les motifs suivants, le soussigné est également d’avis qu’il y a lieu d’accueillir cette requête de la travailleuse.
[80] Manifestement, la travailleuse invoque à sa requête le second paragraphe de l’article 429.56 de la loi et soutient que la décision rendue le 14 juillet 2014 doit être révoquée, au motif qu’elle n’aurait pas pu se faire entendre lors de l’audience tenue le 9 juillet 2014.
[81] Le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi vise à protéger une partie qui n’aurait pas eu l’occasion, pour des raisons jugées suffisantes, d’être entendue par le tribunal avant qu’une décision finale et sans appel ne soit rendue.
[82] Lorsque la Commission des lésions professionnelles est saisie d’une requête en révocation qui s’appuie sur le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, elle doit apprécier la preuve en vue de déterminer si les raisons jugées suffisantes ont été démontrées pour expliquer que la partie n’a pu se faire entendre16.
[83] Dans l’affaire Les viandes Du Breton inc. et Dupont17, la Commission des lésions professionnelles a rappelé que l’article 429.13 de la loi prévoit qu’avant de rendre une décision, le tribunal permet aux parties de se faire entendre. De plus, elle a rappelé que le droit d’être entendu à l’audience est un droit fondamental reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne18. Dans cette affaire, le tribunal a également précisé que les raisons jugées suffisantes ne correspondent pas à une impossibilité d’exercer son droit d’être entendu puisque le libellé utilisé par le législateur est plus souple.
[84] Par ailleurs, dans l’affaire Hall c. C.L.P.19, la Cour supérieure a fait ressortir l’importance du droit d’être entendu, mais a souligné que cette règle n’a pas un caractère absolu puisqu’un « individu peut y renoncer, soit expressément, soit implicitement, ou par sa négligence »20, d’où la nécessité pour la partie qui invoque le deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi de démontrer qu’il n’y a pas eu négligence de sa part21.
[85] En l’espèce, le dossier montre clairement que l’audience ayant mené à la décision rendue le 14 juillet 2014 a eu lieu le 9 juillet précédent, en l’absence non seulement de la travailleuse, mais également de l’employeur, ce que note le premier juge.
[86] Par ailleurs, les parties avaient été convoquées en mars 2014 pour l’audience du 9 juillet 2014, mais la preuve soumise au soussigné révèle que des tractations ont eu lieu, dès le mois de mai 2014, entre une représentante de l’employeur et l’avocat de la travailleuse en vue de faire remettre l’audience en question.
[87] On constate de plus, de cette preuve soumise au soussigné, que la représentante de l’employeur aurait fait des démarches auprès du tribunal, démarches probablement téléphoniques, pour y chercher des plages horaires qui auraient été disponibles en vue du report de l’audience après quoi les parties se seraient entendues pour choisir la date du 17 octobre 2014 pour ce report d’audience.
[88] Le tribunal ignore ce qui a pu se passer par la suite quant aux démarches de la représentante de l’employeur avec le tribunal. Tel qu’il appert d’un courriel envoyé le 11 juin 2014 par cette représentante à l’avocat de la travailleuse, Me Dorelas, celle-ci aurait fait parvenir au tribunal un document confirmant la date choisie, soit le 17 octobre 2014, avec copie dudit document également envoyé à l’avocat de madame Yu Jin.
[89] Or, après vérification par le soussigné au plumitif du tribunal, aucune demande de remise n’a été produite au tribunal et encore moins traitée par le tribunal, de sorte que l’audience du 9 juillet 2014 a eu lieu.
[90] À son procès-verbal d’audience, le premier juge a noté avoir attendu les parties de 10 h 30 à 11 h 5 et indiqué que la travailleuse ne s’est pas présentée. À sa décision, le premier juge indique :
[3] Les parties ont été convoquées à une audience devant se tenir à Longueuil le 9 juillet 2014. Aucune des parties n’est présente ni représentée à l’audience. Les parties n’ont pas soumis de motif valable justifiant leur absence. La Commission des lésions professionnelles peut néanmoins procéder à l’instruction de l’affaire et rendre une décision, comme le lui permet l’article 429.15 de la loi.
[91] Dans les circonstances, aucun reproche ne peut être formulé à l’égard du premier juge. Les parties étaient dûment convoquées devant lui et rien ne pouvait expliquer leur absence. Il pouvait donc procéder comme il l’a fait et rendre sa décision quelques jours plus tard.
[92] Toutefois, le soussigné est d’avis que la travailleuse a établi un motif que le tribunal considère « suffisant » au sens du second paragraphe de l’article 429.56 de la loi dans la mesure où non seulement elle croyait que l’audience devant se tenir était remise, mais que son procureur au dossier lui a confirmé la chose et lui a expressément, pour cette raison, « dit de ne pas se présenter en cour » le 9 juillet 2014, tel que le révèle la lettre du procureur de la travailleuse du 12 octobre 2015, déposée lors de la présente audience.
[93] Pour le soussigné, cette lettre, qui est faite sous le serment d’office du procureur de la travailleuse, parle d’elle-même.
[94] Dans les circonstances, l’on ne saurait reprocher à la travailleuse elle-même quelque négligence que ce soit en regard de son absence à l’audience du 9 juillet 2014.
[95] Son avocat au dossier, après que l’employeur a requis qu’il consente à une demande de remise qui serait produite au tribunal, a accordé son consentement et convenu avec la représentante de l’employeur d’une nouvelle date pour l’audience qui convenait aux parties et qui, selon la représentante de l’employeur, était « disponible » au rôle du tribunal. Selon l’avocat de la travailleuse, la représentante de l’employeur lui aurait même fait parvenir un document « qu’elle aurait fait parvenir au tribunal » confirmant la démarche entreprise, après quoi l’avocat de la travailleuse lui a expressément dit que l’audience du 9 juillet 2014 était remise et qu’elle n’avait pas à s’y présenter.
[96] Tel que mentionné précédemment, le tribunal ignore ce que la représentante de l’employeur a fait, ou n’a pas fait, auprès du tribunal quant à la demande de remise de l’audience devant se tenir le 9 juillet et le soussigné n’a pas à tirer le tout au clair.
[97] C’est du point de vue de la partie qui invoque un motif suffisant au sens du second paragraphe de l’article 429.56 que le soussigné doit faire son analyse, en l’occurrence celui de la travailleuse, puisque le droit d’être entendu lui appartient 22 et il est patent, de la preuve soumise, que celle-ci croyait qu’elle n’avait pas à se rendre à l’audience du 9 juillet 2014 puisqu’elle croyait, sur la foi des propos de son procureur, que cette audience était remise.
[98] Pour ces motifs, le soussigné en arrive donc à la conclusion que la décision rendue le 14 juillet 2014 doit être révoquée puisque la travailleuse n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre.
[99] En l’espèce, dans ce contexte, tel que le demandent la travailleuse et la procureure de l’employeur à son argumentaire écrit, il y a lieu de retourner le dossier au tribunal pour qu’une nouvelle audience soit tenue, permettant aux parties de soumettre la preuve qu’ils jugeront nécessaire à leurs positions respectives quant à l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE recevable la requête en révision ou en révocation de madame Yu Jin, la travailleuse, déposée le 30 septembre 2014 à l’encontre de la décision rendue par le tribunal le 14 juillet 2014;
ACCUEILLE la présente requête en révocation ou en révision déposée le 30 septembre 2014;
RÉVOQUE la décision rendue le 14 juillet 2014 par la Commission des lésions professionnelles;
CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur le fond de la contestation logée par la travailleuse le 27 février 2014 à l’encontre de la décision de la CSST rendue le 17 janvier 2014 lors d’une révision administrative.
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Michel Watkins |
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Me Myriane Le François |
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BORDEN LADNER GERVAIS |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] RLRQ, c. A-3.001
[2] Voir en ce sens : Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. Montréal 550 - 05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais. Voir aussi Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783; Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004, (30009); Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] RJQ 2490 (CA).
[3] Voir par exemple : Moschin et Communauté urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860; Récupération Grand-Portage inc. et Lavoie, C.L.P. 86045-01A-0702, 5 février 1999, J.-L. Rivard; Godbout et Les Spécialités MB 1987 inc., C.L.P. 90735-62B-9708, 19 mars 1999, C. Lessard; Chouinard et Four Points par Sheraton Montréal (fermé), C.L.P. 362794-71-0811, 14 septembre 2010, L. Nadeau.
[4] 2008 CLP 983
5 C.L.P. 315790-62C-0704-R, 25 septembre 2008, L. Nadeau (décision rendue lors d’une requête en révision).
6 Note du tribunal : à sa requête, la travailleuse indique : « During period of Aug. 12, 2014-Sept. 2014, tried to contact my lawyer, but he was on vocation [sic] ».
7 Note du soussigné : tel qu’il appert du document « transmission de décision » apparaissant au dossier.
8 Note du tribunal : tel qu’il appert du document « Translation » déposé lors de la présente audience, (pièce T-1).
9 Hu et Agence de personnel Yott, 2012 QCCLP 6971.
10 RLRQ, c. A-3.001, r.12.
11 C.L.P. 127239-71-9911, 18 septembre 2000, Anne Vaillancourt, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-060727-003, 23 janvier 2001, j. Le Bel.
12 [1990] C.A.L.P. 916.
13 Voir par exemple : Purolator Courrier ltée et Langlais, C.A.L.P. 87109-62C-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur; Richard et Wal-Mart Canada inc., C.L.P. 206083-05-0304, 27 janvier 2006, F. Ranger; Viger et C.H.U.Q. (Pavillon Hôtel-Dieu), [2003] C.L.P. 1669; Bolduc et Manufacturiers Ste-Clotilde inc., [2005] C.L.P. 1066.
14 Pharmacie Jean Coutu enrg. et CSST, 2012 QCCLP 3821; voir aussi, Paquet et Caisse populaire Desjardins de La Haute Gaspésie, 2014 QCCLP 3802, dans laquelle le tribunal soulignait l’importante discrétion confiée au décideur en la matière.
15 Décor Tapis Émard inc. et Côté, C.L.P.159960-71-0104, 11 octobre 2001, C. Racine; Chemins de fer Nationaux du Canada et Fortin, C.L.P.282900-02-0601, 14 juillet 2006, C. Bérubé; Service Pneus Lavoie Outaouais et Godin, C.L.P.306743-07-0612, 21 décembre 2007, M. Langlois.
16 Imbeault et S.E.C.A.L., CLP 84137-02-9611, 24 septembre 1999, M. Carignan.
17 C.L.P. 89720-01A-9707, 18 décembre 2000, M. Carignan.
18 RLRQ, c. C-12.
19 [1998] C.L.P. 1076 (C.S.).
20 Beacon Plastics Ltd c. C.R.O., [1964] BR. 177.
21 Bérubé et G.D.S. Valoribois inc. (Div. Degelis) (F), 2014 QCCLP 748; Autobus Idéal inc. et St-Jean, 2011 QCCLP 1044.
22 Voir par exemple : Akzo Nobel Canada et Gosselin, 2011 QCCLP 6734.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.