Sûreté du Québec et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2008 QCCLP 1987 |
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[1] Le 29 août 2006, l’employeur, Sûreté du Québec, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 23 août 2006, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 9 décembre 2005 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi le 31 octobre 2004 par le travailleur, monsieur Luc Boutin, doit être imputé à l’employeur.
[3] Par une ordonnance rendue le 12 mars 2007 par la présidente de la Commission des lésions professionnelles, Me Micheline Bélanger, le présent dossier a été réuni à plusieurs autres dossiers dans lesquels les questions en litige sont en substance les mêmes.
[4] Ce même jour, la présidente de la Commission des lésions professionnelles désignait une formation de trois commissaires pour entendre l’ensemble de ces dossiers, lesquels concernent tous une demande de transfert de coûts en raison d’un accident attribuable à un tiers.
[5] Le tribunal a tenu des audiences les 21 et 22 juin 2007 à Québec et les 26 octobre et 26 novembre 2007 à Montréal. Les employeurs Ville de Montréal, Sûreté du Québec, Ministère des Transports du Québec, Expertech Bâtisseur Réseaux inc., Fondation Pétrifond cie ltée et Bell Canada de même que la CSST ont mandaté des procureurs à l’audience. Le Ministère des Transports et Bell Canada ont aussi délégué des représentants.
[6] Le délibéré dans tous ces dossiers a débuté le 26 novembre 2007.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au transfert des coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur puisque cet accident est attribuable à un tiers.
LES FAITS
[8] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et des admissions faites par les parties, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[9] Monsieur Boutin est policier à l’emploi de la Sûreté du Québec.
[10] Il est admis par les parties que cette organisation compte 7180 employés, dont 4082 policiers affectés à la Direction de la Surveillance du territoire, incluant la patrouille routière. De ces 4082 policiers, la majorité sont des patrouilleurs mais certains sont des policiers cadres-officiers qui effectuent des fonctions de gestion et non de patrouille. Les 3148 autres employés sont des policiers affectés à d’autres secteurs d’activités et des employés civils (2010) (SQ-1).
[11] Il est également admis que la Sûreté du Québec est classée dans l’unité de classification 58040 qui correspond aux Services de l’administration provinciale pour les années 2005 à 2007. Auparavant, l’employeur était classé dans l’unité 72010 qui correspond aux Services de détention (SQ-1 et CSST-5).
[12] Le 31 octobre 2004, le travailleur conduit un véhicule de la Sûreté du Québec pour retourner au bureau, à la suite d’une enquête. Il est impliqué dans un accident de la route lorsqu’il est frappé par un autre véhicule s’engageant dans l’intersection malgré la présence d’un feu rouge.
[13] Il appert du rapport du service de police de la Ville de Montréal que l’autre conducteur croyait que le feu vert lui était destiné. Le policier indique dans son rapport que les feux de circulation à cet endroit sont inadéquats et rendent l’intersection dangereuse. Il ajoute qu’il est fortement recommandé de changer la configuration des feux de circulation pour éviter des problèmes d’interprétation.
[14] La CSST accepte la réclamation du travailleur.
[15] Le 7 décembre 2004, l’employeur adresse à la CSST une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[16] Le 9 décembre 2005, la CSST refuse la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur. Elle déclare que même si l’accident était attribuable à un tiers, il n’est pas injuste d’en imputer les coûts à l’employeur puisque cet accident fait partie des risques inhérents à ses activités.
[17] Cette décision est confirmée le 5 mai 2006 à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] Le tribunal doit décider si l’employeur a droit au transfert des coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur en date du 31 octobre 2004 et ce, en vertu de l’article 326 de la loi :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[19] Afin de statuer sur le présent litige, le tribunal réfère aux motifs élaborés dans la décision rendue le 28 mars 2008 concernant l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2].
[20] Ainsi, pour réussir dans son recours, l’employeur doit démontrer que l’« accident du travail » survenu est « attribuable » à un « tiers » et qu’il est « injuste » de faire supporter à l’employeur les coûts de cette lésion professionnelle.
[21] En l’espèce, il est clair que l’accident du travail subi par le travailleur est attribuable non pas à un seul mais à deux tiers : l’autre conducteur et la Ville de Montréal, responsable de la signalisation déficiente tel que l’affirme un policier à son service.
[22] Il reste donc à décider si l’imputation à l’employeur est injuste, eu égard aux facteurs suivants :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi ;
[23] Aucun élément de preuve ne permet de conclure que l’accident en cause ne relève pas des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur. Le fait pour un enquêteur de devoir se déplacer pour effectuer son travail s’inscrit dans le cadre des activités normales et courantes de l’employeur.
[24] Même si un policier enquêteur se déplace moins souvent en véhicule qu’un patrouilleur, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une activité incontournable pour lui puisqu’il doit visiter certains lieux et rencontrer des gens dans le cadre de son travail.
[25] Il est aussi probable qu’un tel policier soit confronté à pareil accident compte tenu du contexte et des conditions de travail qui lui sont propres.
[26] Cependant, le tribunal estime en l’espèce qu’il existe des circonstances déterminantes dans la survenance du fait accidentel qui possèdent un caractère extraordinaire, inusité, rare ou exceptionnel, assimilable à un piège ou à un guet-apens.
[27] En effet, la preuve démontre que l’accident est survenu à cause de feux de circulation inadéquats faisant en sorte que les automobilistes pouvaient difficilement savoir lequel du feu vert ou du feu rouge s’adressait à eux. Il n’est pas de l’apanage d’un système d’indication routière de prêter à interprétation. Il est indéniable que les panneaux de signalisation et les feux de circulation doivent être clairs et dépourvus d’ambiguïté puisqu’il est important qu’un automobiliste puisse constater rapidement et facilement la règle qu’on lui demande de respecter.
[28] Tout automobiliste se doit d’être prudent mais encore faut-il qu’il puisse raisonnablement comprendre ce à quoi on s’attend de lui, à défaut de quoi on peut conclure à un piège.
[29] En conséquence, force est de conclure que l’imputation à l’employeur des coûts résultant de l’accident du 31 octobre 2004 est injuste au sens de l’article 326 de la loi.
[30] La demande de l’employeur est donc bien fondée.
[31] Les tiers à qui l’accident du travail est attribuable dans le présent dossier sont un individu au volant d’un véhicule ayant frappé celui du travailleur et un employeur assujetti qui a fait défaut d’installer une signalisation inadéquate.
[32] Selon les termes du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, le présent tribunal peut imputer le coût des prestations dues en raison de l’accident survenu le 31 octobre 2004 aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
[33] Le tribunal estime que lorsque le tiers impliqué est une personne non assujettie au régime prévu à la loi, comme par exemple un individu, il est préférable d’imputer les coûts à l’ensemble des employeurs afin de faire supporter par le plus grand nombre possible de personnes les frais découlant d’un accident auquel aucun d’entre eux n’a contribué.
[34] Lorsque plusieurs tiers employeurs ont contribué à la survenance d’un accident, le tribunal estime qu’on doit alors imputer le coût des prestations aux employeurs de plusieurs unités, soit celles où évoluent les tiers employeurs concernés et ce, en parts égales. Il devient, en pareilles circonstances, équitable et logique de transférer les coûts de façon égalitaire entre chacune des unités dont ils font partie[3].
[35] Lorsqu’un seul tiers employeur est à la source d’un accident, le tribunal croit qu’il est alors équitable d’imputer les coûts aux employeurs de l’unité dont fait partie cet employeur. Il serait injuste de faire supporter aux employeurs de d’autres unités les coûts découlant directement de l’action ou de l’omission d’un employeur en particulier[4].
[36] Comme la loi ne permet pas d’imputer ces coûts au dossier d’un employeur en particulier[5], il y a lieu de les imputer plutôt à l’unité de classification à laquelle appartient le tiers employeur. C’est ce niveau qui permet l’imputation la plus juste à défaut de pouvoir imputer directement et uniquement le dossier de l’employeur à qui l’accident est attribuable.
[37] Comme en l’espèce un des tiers est un individu et l’autre un employeur assujetti, le tribunal estime juste de transférer 50% des coûts aux employeurs de toutes les unités et 50% à l’unité comprenant la Ville de Montréal.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Sûreté du Québec, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 août 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que 50% du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par monsieur Luc Boutin, le travailleur, le 31 octobre 2004 doit être imputé à l’ensemble des employeurs et l’autre 50% à l’unité à laquelle appartient la Ville de Montréal.
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Me Jean-François Clément, président |
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Commissaire |
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Me Diane Lajoie |
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Commissaire |
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Me Jean-François Martel Commissaire |
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Me Chantal Favreau Procureure de la Sûreté du Québec
Me François Fortier |
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PANNETON LESSARD |
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Procureur de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c.A-3.001
[2] C.L.P. 288809-03B-0605, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F Martel.
[3] GMC ltée et CSST [1996] C.A.L.P. 866 , révision rejetée 50690-60-9304, 20 mars 1997, E. Harvey
[4] CSST et Échafaudage Falardeau inc. [1998] C.L.P. 254 ; Aménagements Pluri-Services inc. et Simard-Beaudry Construction inc. 104279-04-9807, 26 novembre 1999, J.-L. Rivard; Castel Tina 1987 enr. et Lofti Tebessi, 123916-71-9909, 18 décembre 2000, D. Gruffy.
[5] Castel Tina 1987 enr. et Lofti Tebessi, 123916-71-9909, 18 décembre 2000, D. Gruffy
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