Trad et Crdited de Montréal |
2012 QCCLP 3811 |
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[1] Le 30 décembre 2011, madame Aziza Trad (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision initiale rendue le 14 novembre 2011 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 17 août 2011.
[3] L’audience est tenue à Montréal le 13 avril 2012. La travailleuse est présente et représentée. Le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de Montréal (CRDITED) (l’employeur) est représenté. La cause est prise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle, plus particulièrement un accident du travail, le 17 août 2011.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête au motif que, lors de son témoignage, la travailleuse donne des explications satisfaisantes quant au délai de déclaration à l’employeur et quant au délai de consultation médicale. De plus, il estime que la preuve démontre, de façon prépondérante, la survenance d’un accident du travail causant une lombalgie.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête pour les motifs suivants : la version de la travailleuse rapportée aux notes évolutives pour expliquer le délai de déclaration à l’employeur ne concorde pas avec la version offerte lors de son témoignage; la présomption de lésion professionnelle ne trouve pas application en l’absence d’un diagnostic de blessure; il est difficile d’établir l’existence d’une relation causale entre l’événement et le diagnostic posé 33 jours plus tard alors que la travailleuse allègue ne pas faire de travail physique, la dégradation de sa condition est, dans ces circonstances, inexpliquée.
LA PREUVE
[7] La travailleuse est éducatrice spécialisée et réclame à la CSST pour une lombalgie apparue à la suite d’un événement qu’elle allègue être survenu au travail le 17 août 2011. La travailleuse affirme n’avoir aucun antécédent de lombalgie.
[8] Ses tâches consistent à enseigner et à superviser un groupe de neuf personnes déficientes intellectuelles ou aux prises avec des troubles envahissants du développement. Ces personnes sont stagiaires au CHSDL Réal-Morel pour personnes âgées et effectuent des tâches dans un but de réinsertion sociale. La travailleuse utilise le terme « client » pour parler d’eux.
[9] L’événement en cause survient alors qu’elle enseigne, à un nouveau stagiaire souffrant d’anxiété, comment procéder au lavage d’un fauteuil roulant à l’aide de la machine[1] prévue à cette fin.
[10] Voici la description au formulaire « Déclaration d’un événement accidentel » complété par la travailleuse le 23 août 2011 :
En aidant un client à sortir la chaise roulante de la machine de lavage de fauteuils je me suis trouvée à lever tout le poids alors qu’il n’a rien levé du tout. Plus (illisible) Je pense (illisible) la chaise. Le client n’a pas bougé du tout et je me suis retrouvée à faire le travail du levé de la charge seule. [sic]
[11] Voici la description au formulaire « Réclamation du travailleur » complété par la travailleuse le 28 septembre 2011 :
En aidant un client à sortir la chaise de la machine de lavage des fauteuils Je me suis retrouvée à lever toute seule le poids alors que (illisible) client n’a rien levé du tout. J’ai (illisible) force alors que le client qui était censé faire le travail avec moi n’a pas bougé du tout. J’ai ainsi eu toute la charge à moi seule. [sic]
[12] La travailleuse explique que la manipulation du fauteuil roulant qui doit être lavé est une tâche qui se fait à deux. Chacun, de son côté, prend l’accoudoir et la poignée arrière et, au signal, soulève le fauteuil pour l’insérer dans la machine. À l’inverse pour le sortir. Les autres clients sont habitués de faire cette tâche et la font ensemble. La travailleuse ne fait que superviser.
[13] Ce mercredi, 17 août 2011, le client en cause est nouveau et anxieux. La travailleuse lui enseigne la tâche en l’exécutant avec lui. C’est au moment de sortir le fauteuil de la machine que l’événement survient.
[14] La travailleuse explique faire dos à la porte ouverte de la machine, avoir les pieds écartés, les genoux fléchis. Elle se penche vers l’avant, dans un mouvement de flexion antérieure du rachis dorsolombaire, et se tourne vers la gauche, dans un mouvement de torsion afin se saisir le fauteuil. Au signal, le client fait les mêmes gestes mais sans fournir d’effort de soulèvement. Donc, en effectuant les mouvements, la travailleuse supporte seule le poids du fauteuil qu’elle considère lourd[2]. Elle ressent alors un claquement dans le dos et une douleur lombaire centrale.
[15] La travailleuse ne cesse pas de travailler. Elle complète le formulaire de déclaration à l’employeur, le 23 août 2011. Elle consulte un médecin pour la première fois le 20 septembre 2011. Ce dernier pose un diagnostic de lombalgie. Des traitements de physiothérapie lui sont prescrits mais elle ne cesse pas de travailler. Elle est mise en arrêt de travail le 17 octobre 2011 lorsque la condition devient incapacitante. Avec les traitements de physiothérapie, la condition se rétablit et permet un retour au travail en décembre 2011. La lésion est consolidée le 9 janvier 2012, sans séquelles.
[16] La décision initiale de la CSST ainsi que celle de l’instance de révision refusent la réclamation de la travailleuse principalement en raison de ces délais de déclaration à l’employeur et de consultation médicale.
[17] Aux notes évolutives du 3 novembre 2011, l’agente de la CSST rapporte :
[...]
T nous informe
Qu’elle a déclaré à E une semaine après l’événement
Qu’elle croyait que ce n’était rien, que de toute façon lorsqu’elle travaillait, elle n’avait pas de douleur. La douleur était surtout chez elle
T est allée consulter 1 mois après l’événement
T croyait que la douleur allait passer [sic]
[...]
[18] Le travailleuse témoigne avoir téléphoné à la secrétaire administrative qui travaille au port d’attache de Verdun pour qu’elle lui envoie le formulaire de déclaration à l’employeur à son lieu de travail. N’ayant rien reçu trois jours plus tard, la travailleuse rappelle la secrétaire. Finalement, la travailleuse doit se rendre à Verdun chercher le formulaire et le complète six jours après l’événement, soit le 23 septembre 2011.
[19] La travailleuse explique qu’à la suite de l’événement, elle ressent de la douleur, au niveau lombaire, mais croit que cette douleur va se résorber et qu’il n’y aura pas de séquelles. Elle prend des Tylenol, se masse avec une pommade et continue de travailler car, de façon générale, à 75%-80% de son temps de travail, elle fait de l’enseignement, de la supervision, des tâches qui ne requièrent pas d’effort physique. Par contre, avec le temps, elle se sent « comme prise » dans le bas du dos, la mobilisation du rachis lombaire est difficile, par exemple pour descendre de son automobile. Le matin au réveil, elle est ankylosée.
[20] C’est pourquoi, le 20 septembre 2011, elle consulte le docteur Serge Dufresne qui pose un diagnostic de lombalgie, ne prescrit pas d’arrêt de travail mais prescrit de la physiothérapie. La travailleuse continue donc de travailler et reçoit ses traitements le soir mais sa condition se détériore.
[21] La travailleuse a de la difficulté à se mobiliser, à marcher, à maintenir une position debout ou assise pendant un certain temps. Son sommeil est perturbé par la douleur. Le docteur Dufresne prescrit un arrêt de travail le 17 octobre 2011. Elle continue ses traitements qui améliorent sa condition. Elle retourne au travail en décembre 2011 et la lésion est consolidée le 9 janvier 2012, sans séquelles.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[22] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, plus particulièrement un accident du travail, le 17 août 2011. Cette notion est définie à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[23] L’article 265 de la loi prévoit l’obligation pour la travailleuse de déclarer immédiatement l’événement à son employeur, sinon dès que possible :
265. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou empêché d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat, ou à défaut un autre représentant de l'employeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.
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1985, c. 6, a. 265; 1999, c. 40, a. 4.
[24] Le défaut de remplir cette obligation n’est pas sanctionné par la loi mais le moment de cette déclaration à l’employeur est l’un des éléments à considérer lors de la détermination de la survenance d’une lésion professionnelle. À défaut de preuve matérielle, cette démonstration repose essentiellement sur la preuve testimoniale, sa fiabilité et sa crédibilité. À cet égard, le tribunal doit vérifier si les motifs invoqués par la travailleuse sont plausibles, d’un point de vue subjectif, s’ils sont cohérents par rapport aux circonstances invoquées.
[25] Le tribunal précise d’abord que le témoignage de la travailleuse lui est apparu crédible et fiable. Les explications de cette dernière quant au délai de déclaration à l’employeur sont plausibles. Son lieu de travail, le CHSLD Réal-Morel, diffère du port d’attache où la secrétaire administrative dispense les formulaires de déclaration. Bien qu’ayant fait des démarches pour obtenir ce formulaire peu après l’événement du 17 août 2011, un mercredi, elle finit par l’obtenir et le compléter le mardi 23 août 2011. Ce délai n’est pas excessif et, dans les circonstances décrites, ne saurait faire échec à la réclamation de la travailleuse.
[26] Quant au délai d’environ un mois avant de consulter un médecin, la travailleuse explique qu’elle croit qu’avec les soins qu’elle se prodigue et avec le temps, la douleur va se résorber. De fait, elle continue de travailler car ses tâches ne demandent pas d’efforts physiques. Toutefois, graduellement, sa condition se détériore. Ce qui l’oblige à consulter un médecin. Encore-là, le tribunal estime que le témoignage de la travailleuse est crédible et il considère ses explications plausibles dans la mesure où un événement imprévu et soudain est survenu par le fait du travail, impliquant le rachis lombaire, et dans la mesure où il ne s’agit pas d’une condition aigue puisque la travailleuse ne cesse pas de travailler dans un premier temps. La détérioration de sa condition s’explique, en toute probabilité, par le fait qu’elle a continué de travailler sans recevoir les soins ou traitements appropriés. Par contre, avec les traitements prescrits, médication et physiothérapie, en quelques mois, elle est en mesure de reprendre son travail et sa lésion est consolidée sans séquelles.
[27] Pour revenir sur l’événement imprévu et soudain et la relation causale, le tribunal retient que le fait, pour la travailleuse, d’avoir effectué seule un effort de soulèvement d’une charge, en effectuant un mouvement combiné de flexion antérieure et de rotation, alors qu’elle croyait que la charge serait aussi supportée par le client, constitue un événement imprévu et soudain par le fait du travail qui correspond à un mécanisme lésionnel susceptible de causer une lombalgie. Le tribunal conclut donc que la preuve démontre, de façon prépondérante, que la travailleuse a subi un accident du travail.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Aziza Trad;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi un accident du travail le 17 août 2011 causant une lombalgie et a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Lina Crochetière |
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Me Denis Mailloux |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.