Décision

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Cloutier et Ministère de la Justice

2023 QCCFP 16

 

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

2000012

 

DATE :

19 juillet 2023

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Denis St-Hilaire

______________________________________________________________________

 

 

Anne-Isabelle Cloutier

Partie demanderesse

 

et

 

ministère de la justice

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

[1]                 Le 28 septembre 2022, Me Cloutier dépose un appel à la Commission de la fonction publique (Commission) en vertu de l’article 127 de la Loi sur la fonction publique[1].

[2]               Elle conteste la décision de son employeur, le ministère de la Justice (ministère), de refuser de lui reconnaitre une année de scolarité additionnelle aux fins de la détermination de sa rémunération.

[3]               Plus spécifiquement, Me Cloutier prétend avoir droit à l’échelon 3 de son échelle salariale, plutôt que l’échelon 1 qui lui a été accordé, en raison d’une année de scolarité additionnelle effectuée dans le cadre de son programme universitaire à l’Université McGill.

[4]               Pour sa part, l’employeur considère que la rémunération de Me Cloutier a été établie correctement, en toute conformité à la Directive concernant l’attribution de la rémunération des fonctionnaires[2] (Directive sur la rémunération).

CONTEXTE

[5]               Me Cloutier est embauchée à titre d’avocate non syndiquée à la Cour d’appel du Québec et débute cet emploi le 19 août 2021.

[6]               À la suite de l’analyse de son dossier, l’échelon 1 lui est attribué, tel que le confirme son acte de nomination.

[7]               Cet emploi se termine le 30 janvier 2023.

[8]               Me Cloutier est diplômée du programme en droit combiné BCL/JD avec mineure en sociologie de la faculté de droit de l’Université McGill.

[9]               Ce programme, totalisant d’abord 105 crédits, lui permet d’obtenir deux diplômes, soit un baccalauréat en droit civil (BCL) et un de Juris Doctor (JD).

[10]           Le parcours avec mineure permet aux étudiants d’enrichir leur formation dans un autre champ d’études. Ainsi, Me Cloutier effectue 18 crédits additionnels en sociologie, pour un total de 123 crédits dans le cadre de ce seul et même programme.

[11]           Elle suit le programme sur quatre années, soit de l’automne 2016 à l’hiver 2020.

[12]           Pour l’attribution de sa rémunération, dès le 7 septembre 2021, Me Cloutier demande à son employeur qu’on lui octroie l’échelon 3 plutôt que 1, puisqu’elle est informée que d’autres avocats recherchistes détenant le baccalauréat en droit combiné BCL/JD régulier de l’Université McGill ont, dans le passé, obtenu à leur embauche deux échelons supplémentaires par la reconnaissance d’une année de scolarité additionnelle.

[13]           De plus, des collègues détenteurs d’un JD d’autres universités québécoises ont aussi obtenu deux échelons additionnels.

[14]           À cet effet, Me Cloutier échange plusieurs courriels sur une longue période avec le ministère.

[15]           Ce n’est toutefois que le 14 septembre 2022 qu’une décision finale est rendue à l’égard de sa rémunération.

[16]           Essentiellement, on l’informe qu’au niveau universitaire, une année de scolarité correspond à 30 crédits et que pour être reconnue cette année doit être pertinente aux tâches de l’emploi visé et ne pas avoir été utilisée lors de l’admission à la classe d’emplois des avocats et des notaires.

[17]           En effet, les années de scolarité relatives à un diplôme reconnu aux fins des conditions minimales dadmission de la classe demplois ne peuvent être reconnues une seconde fois comme de la scolarité additionnelle.

[18]           Plus précisément, le programme BCL/JD de l’Université McGill comporte 105 crédits menant à l’obtention de deux diplômes. Ces crédits sont tous utilisés pour l’admission à la classe d’emplois des avocats et des notaires. Quant aux 18 crédits relatifs à la mineure en sociologie, ils sont insuffisants puisqu’une année de scolarité au niveau universitaire correspond à 30 crédits.

[19]           Dit autrement, pour le ministère, sur 123 crédits, 105 sont utilisés pour l’admission à la classe d’emplois et les 18 restants sont insuffisants pour représenter une année de scolarité additionnelle.

QUESTION EN LITIGE

[20]           La Commission doit ainsi répondre à la question en litige suivante :

  • Est-ce que le programme en droit combiné BCL/JD, avec mineure en sociologie, de l’Université McGill, permet que l’on reconnaisse à Me Cloutier une année de scolarité additionnelle aux fins de l’attribution de la rémunération, pour l’emploi d’avocate-recherchiste qu’elle a occupé à la Cour d’appel du Québec du 19 août 2021 au 30 janvier 2023?

[21]           La Commission répond positivement à cette question.

TÉMOIGNAGES

Me Cloutier

[22]           Me Cloutier explique en détail les particularités de son parcours académique dans le cadre de son baccalauréat à l’Université McGill.

[23]           Appuyée d’informations provenant de sites Web, elle met en lumière les différences avec d’autres programmes, notamment les programmes BCL et JD de l’Université de Montréal qui n’utilise pas la formule intégrée.

[24]           Du mois de septembre 2021 à la décision finale du 14 décembre 2022, elle échange de nombreux courriels avec Mme Chantal Vachon, analyste en procédés administratifs au ministère, afin d’obtenir l’échelon 3 de son échelle salariale plutôt que l’échelon 1 qui lui a été attribué.

[25]           Elle prétend que certaines personnes auraient obtenu l’échelon 3 avec les mêmes diplômes.

[26]           Elle explique également son travail à la Cour d’appel du Québec.

[27]           D’emblée, elle précise qu’elle est attitrée à un seul juge pour qui elle rédige des sommaires, qu’elle assimile à des opinions juridiques, et ce, dans différents domaines du droit.

[28]           Me Cloutier considère que ses cours en sociologie sont pertinents puisque, dans le cadre des travaux qu’elle réalise, elle doit comprendre la réalité des institutions sociales et l’impact du contexte juridique sur certains groupes sociaux parfois non représentés dans les débats devant les tribunaux.

[29]           À cet effet, elle dépose en preuve deux essais rédigés dans le cadre des cours SOCI 499 et SOCI 525 qui exposent un contenu propre à préparer un étudiant à comprendre certaines réalités sociales.

[30]           Elle fait ainsi le lien entre ses connaissances en sociologie, notamment sa compréhension de la méthodologie utilisée lors de recherches en sciences sociales qui touche la force probante d’une preuve, et la pertinence qu’elles peuvent avoir dans le cadre de son travail à la Cour d’appel.

[31]           Pour elle, cette formation additionnelle augmente la qualité de son travail. Elle affirme que, lors de son entrevue d’embauche, deux juges l’ont d’ailleurs questionnée sur sa formation en sociologie ce qui en démontre la pertinence et l’intérêt.

Me Gabriel Pelletier

[32]           Me Gabriel Pelletier est analyste politique et avocat à l’Union des consommateurs du Québec et travaille parallèlement en pratique privée.

[33]           Il a déjà effectué le même travail que Me Cloutier à la Cour d’appel du Québec.

[34]           Outre son baccalauréat en droit, il a complété en 2015 une mineure en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal.

[35]           Dans le cadre de son travail, il a traité deux dossiers pour lesquels il considère que des études en sciences sociales sont utiles.

[36]           En contre-interrogatoire, il précise avoir obtenu plus de 30 crédits dans le cadre de sa mineure en sciences politiques et qu’il n’a pas d’études en sociologie.

Me Laurence Prud’homme

[37]           Madame Me Laurence Prud’homme est employée au service de recherche de la Cour d’appel du Québec à Montréal depuis juin 2021.

[38]           Elle est diplômée de la Faculté de droit de l’Université de Montréal et détentrice d’une maîtrise en droit (LLM) de l’Université McGill.

[39]           Dans le cadre de son travail, elle est appelée à travailler sur des dossiers touchant plusieurs domaines du droit, notamment en matière constitutionnelle, mais aussi en droit administratif, criminel et civil.

[40]           Elle est assignée à un juge pour qui elle rédige des opinions juridiques sur différents sujets.

[41]           Elle doit prendre en considération l’impact de l’arrêt qui sera rendu sur différentes institutions ou groupes sociaux. Il y a donc des enjeux connexes qui peuvent notamment toucher l’économie, le travail social ou la sociologie.  

[42]           Elle témoigne que son expérience de travail lui fait réaliser que des connaissances en sociologie et sur la méthodologie de recherche en sciences sociales sont pertinentes pour sa prestation de travail, notamment pour comprendre les preuves par expertise et les recherches.

[43]           La preuve est souvent vaste, complexe et volumineuse et peut faire appel à d’autres disciplines. Elle mentionne, à titre d’exemple, un dossier, sur lequel elle a travaillé, touchait la protection de l’enfance et les groupes autochtones.

[44]           Elle admet par ailleurs n’avoir réalisé aucune étude en sociologie.

 Mme Vachon

[45]           Mme Vachon travaille dans la fonction publique québécoise depuis une quinzaine d’années.

[46]           Présentement, elle est analyste en procédés administratifs et conseillère en gestion des ressources humaines au ministère.

[47]           Elle se souvient très bien du dossier de Me Cloutier.

[48]           Mme Vachon explique au tribunal la façon d’établir la rémunération lors de l’embauche.

[49]           Elle identifie d’abord l’échelle salariale d’un employé en fonction de sa classe d’emplois et, par la suite, elle détermine l’échelon selon son expérience et sa scolarité comme le veut la Directive sur la rémunération.

[50]           Pour effectuer ce travail, elle utilise le dossier de l’employé, les documents acheminés en surplus par ce dernier, le cas échéant, et fait des vérifications et des validations si nécessaire.

[51]           C’est de cette façon que l’échelon 1 a été attribué à Me Cloutier. Aucune expérience ni scolarité additionnelle ne lui ont été reconnues.

[52]           De façon plus précise, elle explique sa compréhension du dossier voulant que le baccalauréat de Me Cloutier lui ait octroyé deux diplômes qui correspondent respectivement à environ 90 crédits pour le baccalauréat en droit (trois tranches de 30 crédits environ) et environ 15 crédits pour le diplôme de JD.

[53]           Selon elle, les 15 crédits du JD ne sont pas suffisants pour reconnaitre une année de scolarité additionnelle puisque la Directive sur la rémunération établit qu’une année de scolarité correspond à 30 crédits.

[54]           Questionnée sur le sujet, elle explique que, si Me Cloutier avait obtenu ses deux diplômes dans son programme en totalisant 120 crédits, elle aurait considéré une année additionnelle du fait que le diplôme en droit correspond environ à 90 crédits et, dans ce cas hypothétique, le diplôme de JD équivaut environ à 30 crédits, bien qu’ils aient été acquis dans un même programme.

[55]           Les 18 crédits en sociologie étaient « en plus » et ne représentaient pas une tranche de 30 crédits.

[56]           Elle explique par ailleurs que les 105 crédits attribuables aux deux diplômes (BCL/JD) servaient à accéder à la classe d’emplois des avocats et des notaires et ne pouvaient donc plus servir pour reconnaitre de la scolarité additionnelle. Quant aux 18 crédits en sociologie « restants », ils n’étaient pas suffisants puisqu’il en faut 30 pour reconnaitre une année de scolarité.

[57]           Elle ne s’est jamais attardée à la pertinence de la scolarité en sociologie puisque ce n’était pas nécessaire dans les circonstances.

[58]           La démarche de validation auprès du Secrétariat du Conseil du trésor explique que la décision finale ait été acheminée à Me Cloutier le 14 septembre 2022, soit plus d’une année après le début des échanges avec cette dernière.

DROIT APPLICABLE

[59]           Me Cloutier est une fonctionnaire non syndiquée, mais la Convention collective des avocats et des notaires (2015-2020) (Convention collective) lui est applicable, à l’exception du régime syndical et de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage, en vertu de l’article 14 de la Directive concernant les conditions de travail des fonctionnaires[3] (Directive sur les conditions de travail).

[60]           La Directive sur la rémunération lui est également applicable.

POSITIONS DES PARTIES

Me Cloutier

[61]           Me Cloutier présente d’abord un argument principal selon lequel le programme combiné qu’elle a suivi à l’Université McGill contient d’abord un baccalauréat en droit d’environ 90 crédits qui respecte la condition minimale d’admission à la classe d’emplois des avocats et des notaires, mais également un diplôme de JD d’environ 15 crédits qui est l’équivalent d’une année de scolarité additionnelle.

[62]           La Directive sur la rémunération permet cette interprétation à son article 2 par l’utilisation de la formulation « une année d’études à temps complet ou son équivalent ».

[63]           Le JD n’est pas requis pour l’admission à la classe d’emplois des avocats et des notaires et sa pertinence est admise par le ministère. Ce n’est pas ce diplôme qui lui a permis d’être admise comme membre du Barreau et d’être inscrite au tableau de l’ordre.

[64]           Ainsi, les conditions de l’article 11 de la Directive sur la rémunération sont toutes respectées, soit que le JD est pertinent, de niveau égal ou supérieur à la scolarité exigée pour l’accès à la classe d’emplois, effectué dans un même programme d’études, attesté par l’autorité compétente et n’a pas été utilisé pour l’admission à la classe d’emplois comme l’a confirmé Mme Vachon.

 

[65]           Par ailleurs, elle soumet à la Commission, de façon subsidiaire, que si son argument principal n’est pas retenu, ses 123 crédits contiennent environ 15 crédits relatifs au diplôme de JD et 18 crédits en sociologie qui proviennent d’un même programme et qui lui donnent une année de scolarité additionnelle, puisque non utilisés pour l’accès à la classe d’emplois des avocats et des notaires.

[66]           Lors de l’audience, le ministère reconnaît la pertinence du JD par une admission et la preuve permet d’établir que les cours en sociologie sont également pertinents compte tenu du lien avec le travail effectué.

[67]           Pour Me Cloutier, l’interprétation de l’employeur est déraisonnable puisqu’elle désavantage les étudiants de ce programme combiné offert par l’Université McGill comparativement, par exemple, aux étudiants qui auraient suivi un baccalauréat en droit et un JD dans le cadre de programmes distincts alors que le résultat est le même.

Le ministère

[68]           Le ministère fait plutôt valoir que la question en litige consiste simplement à se demander si la décision de l’employeur est conforme à la Directive sur la rémunération, ce qui est le cas en espèce.

[69]           Il s’agit donc d’une décision raisonnable.

[70]           Les 105 crédits reconnus pour l’accès à la classe d’emplois forment un tout indissociable et les 18 crédits en sociologie ne représentent pas une année de scolarité additionnelle puisqu’il en faut 30.

[71]           Le ministère invite la Commission à la prudence puisque le diplôme qui est reconnu pour l’admission à la classe d’emplois ne compte plus par la suite.

[72]           Les crédits du baccalauréat en droit (BCL) et ceux du diplôme de JD ne font qu’un, il est impossible de départager les crédits.

[73]           Le ministère explique également que la directive concernant la classification des avocats et des notaires[4] exige, pour être admis à la classe d’emplois, d’être inscrit au tableau de l’ordre des avocats du Québec.

[74]           C’est la Loi sur le Barreau[5] qui dispose de l’admission au Barreau et de l’inscription au tableau de l’ordre d’un avocat.

[75]           Pour être avocat, il faut évidemment être titulaire d’un diplôme en droit reconnu[6].

[76]           Il conclut donc que le BCL/JD est un diplôme reconnu pour accéder à la classe d’emplois et que cela a pour effet d’utiliser l’entièreté des 105 crédits concernés.

[77]           Il précise aussi que l’interprétation de son témoin, Mme Vachon, est erronée et ne lie pas le ministère lorsqu’elle explique que ce sont environ 90 crédits sur les 105 qui sont utilisés pour l’accès à la classe d’emplois.

[78]           En effet, pour cette témoin, ce sont ces crédits, soit à peu près trois tranches de 30 crédits, qui représentent la portion attribuable au baccalauréat en droit.

[79]           Le ministère demande à la Commission de s’en tenir à la réponse officielle écrite qui a été rendue dans le dossier et acheminée à Me Cloutier.

[80]           En ce qui concerne les cours en sociologie, leur pertinence n’a pas été démontrée par une preuve convaincante qui aurait dû faire le lien entre les cours suivis et les tâches effectuées.

[81]           L’opinion de Me Prud’homme ne peut être retenue en ce qui concerne leur pertinence puisqu’elle n’a suivi aucun cours universitaire dans ce domaine d’études pour soutenir son opinion sur le sujet.

ANALYSE

[82]           Le présent dossier met en lumière la diversité des parcours de formation universitaire, et ce, dans un même domaine d’études, ce qui rend l’exercice de la reconnaissance de la scolarité parfois complexe.

[83]           Il concerne quatre concepts de la Directive sur la rémunération qu’il ne faut pas confondre, soit les crédits, lannée de scolarité, le programme d’études et le diplôme.

[84]           Ces concepts sont bien dissociables et distinguables au sein même des articles 2 et 11 de cette directive :

2. Dans cette directive, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

« année de scolarité » : une année d'études à temps complet ou son équivalent terminée avec succès.

Au niveau universitaire, une année de scolarité correspond à 30 crédits. Toutefois….

11….

Afin d’être reconnue, une année de scolarité doit répondre aux conditions suivantes :

a) être pertinente aux tâches de l’emploi visé ;

b) être de niveau égal ou supérieur à la scolarité prévue aux conditions minimales d’admission de la classe d’emplois ;

c) être effectuée dans un même programme d’études ;

d) être attestée officiellement par l’autorité compétente ;

e) ne pas avoir été reconnue lors de son admission à la classe d’emplois notamment lorsque le candidat a dû compenser une année d’expérience de travail manquante.

Les années de scolarité relatives à un diplôme reconnu aux fins des conditions minimales d’admission de la classe d’emplois ne sont pas reconnues aux fins du présent article.

[Soulignements de la Commission]

[85]           Une lecture attentive de ces articles permet d’abord de faire trois constats essentiels.

[86]           Au niveau universitaire, une année de scolarité correspond à 30 crédits.

[87]           Cette année de scolarité doit être effectuée dans un seul programme.

[88]           Les années de scolarité relatives à un diplôme reconnu pour accéder à la classe d’emplois ne peuvent être reconnues une seconde fois.

[89]           Dans le présent dossier, il est indéniable que Me Cloutier a complété 123 crédits dans le cadre du programme BCL/JD offert par l’Université McGill.

[90]           Ce cheminement lui a permis d’acquérir deux diplômes et une mineure en sociologie.

[91]           Les deux diplômes en question représentent 105 crédits alors que la mineure en sociologie en totalise 18.

[92]           La preuve ne révèle pas avec précision le nombre de crédits attribuables au baccalauréat en droit, tout comme pour celui de JD puisque le programme BCL/JD adopte une approche combinée[7].

[93]           Ce ne sont certainement pas l’ensemble des 105 crédits qui correspondent à la portion du baccalauréat en droit.

[94]           Mme Vachon affirme lors de son témoignage qu’un baccalauréat en droit représente environ 90 crédits.

[95]           Bien que le ministère ait mentionné qu’il n’était pas lié par cette affirmation erronée et qu’il fallait s’en tenir à la décision écrite de l’employeur à l’égard de Me Cloutier, il n’en demeure pas moins que Mme Vachon précise sa compréhension voulant qu’une année de scolarité universitaire correspond à 30 crédits et que le baccalauréat en droit quant à lui correspond à environ à 90 crédits.

[96]           Elle mentionne bien, fidèle à la position du ministère, que les 105 crédits sont utilisés pour être admis à la classe d’emplois, donc inutilisables une seconde fois pour former une tranche additionnelle de 30 crédits.

[97]           La Commission est en désaccord avec cette position qui n’est pas conforme à la Directive sur la rémunération.

[98]           La totalité des 123 crédits proviennent tous d’un seul et même programme et ils représentent trois composantes différentes, soit un baccalauréat en droit, un JD et une mineure en sociologie.

[99]           La directive permet une certaine appréciation de ce que constitue une année d’études à temps complet puisque l’article 2, qui en établit sa définition, y ajoute « ou son équivalent ».

[100]      Par ailleurs, on retrouve au même article une précision sur l’année de scolarité de niveau universitaire qui correspond à 30 crédits.

[101]      À ce propos, la Commission retient de la jurisprudence, sur la reconnaissance de la scolarité, un consensus à appliquer cette norme qualifiée d’impersonnelle et d’universelle, dès 1990, dans une décision[8] sur le sujet qui traite de l’admissibilité à un concours, mais dont les principes sont applicables au présent dossier.

[102]      Une seconde décision[9] n’a pas tardé à réaffirmer la norme en précisant toutefois que les 30 crédits devaient être à l’intérieur d’un même programme, évitant ainsi l’accumulation de crédits éparpillés dans plusieurs programmes.

[103]      La jurisprudence s’est ensuite abondamment rangée derrière cette norme[10].

[104]      La Commission constate qu’une décision qui s’en est écartée a été renversée en révision pour des raisons d’impartialité et d’équité[11].

[105]      Le témoignage de Mme Cloutier ainsi que la preuve documentaire déposée au cours de l’audience sont suffisants pour convaincre la Commission, par la prépondérance de la preuve, que les crédits relatifs au JD et ceux de la mineure en sociologie sont suffisants pour équivaloir à une année de scolarité et correspondent à 30 crédits.

[106]      La totalité des 105 crédits ne peut servir à être admis à la classe d’emplois puisqu’ils sont relatifs à deux diplômes et non à un seul.

[107]      En effet, la preuve est suffisamment convaincante pour que la Commission constate une année de scolarité additionnelle correspondant à 30 crédits, en sus des années de scolarité relatives au baccalauréat en droit reconnu aux fins des conditions minimales d’admission à la classe d’emplois des avocats et des notaires.

[108]      La Commission estime également que sont respectées les conditions pour la reconnaissance de cette année additionnelle prévues à l’article 11 de la Directive sur la rémunération.

[109]      En effet, l’année de scolarité est de niveau égal ou supérieur à la scolarité prévue aux conditions minimales d’admission de la classe d’emplois, soit de niveau universitaire.

[110]      Elle a été effectuée à l’intérieur d’un même programme d’études et attestée officiellement par l’autorité compétente.

[111]      Pour être admis à la classe d’emplois, c’est le baccalauréat en droit qui doit être reconnu et non le programme combiné qui octroie deux diplômes.

[112]      Bien que l’on ne soit pas en mesure de déterminer précisément le nombre de crédits attribuable au JD, la preuve est par ailleurs suffisamment convaincante pour conclure que ce diplôme et les 18 crédits en sociologie constituent une année de scolarité additionnelle et qu’elle correspond à 30 crédits.

[113]      Il serait pour le moins étonnant de conclure autrement alors que Me Cloutier a effectué son parcours universitaire sur quatre années, obtenant de surcroit deux diplômes ainsi qu’une mineure en sociologie, pour un total de 123 crédits.

[114]      Qu’en est-il maintenant de la pertinence des cours en sociologie qui composent en partie cette année de scolarité additionnelle?

[115]      La Commission retient d’abord du témoignage non contredit de Me Cloutier qu’elle a dû déposer une demande afin d’obtenir l’autorisation d’effectuer la mineure en sociologie dans le cadre de son programme[12]. Elle devait répondre à certaines conditions préalables dont notamment expliquer les raisons pour lesquelles elle souhaitait ajouter cette mineure à son parcours académique.

[116]      Un certain contrôle est donc exercé par la Faculté de droit pour permettre d’ajouter une perspective pluridisciplinaire pertinente au domaine du droit.

[117]      Me Cloutier explique que son travail à la Cour d’appel consiste notamment à produire des avis juridiques destinés à un juge qui devra trancher des appels qui auront parfois des impacts sur des groupes sociaux qui n’étaient pas impliqués directement dans le débat.

[118]      De ce fait, une connaissance des phénomènes sociaux qui pourront faire l’objet de ces avis juridiques et d’échanges avec son juge attitré et même d’expertises sur le sujet s’avère pertinente.

[119]      Examiner des dossiers d’appel, relire des projets de jugements et les commenter, prendre connaissance d’expertises en sciences sociales afin d’en analyser la force probante et produire des avis juridiques notamment en droit constitutionnel et administratif sur des dossiers qui se retrouvent devant le plus haut tribunal québécois constituent un amalgame de tâches pour lesquelles des études en sociologie sont pertinentes.

[120]      Le même commentaire peut s’appliquer à la capacité à analyser l’impact d’une législation ou d’un jugement sur des groupes sociaux.

[121]      Me Cloutier a déposé en preuve des essais rédigés dans le cadre de deux de ses cours en sociologie qui illustrent la pertinence des cours suivis pour son travail à la Cour d’appel en lien avec des problématiques sociales.

[122]      La Commission constate qu’aucune analyse de la pertinence des cours en sociologie n’a été effectuée par le ministère dans le dossier de Me Cloutier.

[123]      De plus, aucune preuve n’a été soumise lors de l’audience par le ministère sur ce sujet; il s’est contenté d’affirmer que la preuve de Me Cloutier est insuffisante.

[124]      Or, cette preuve a convaincu la Commission en ce qui a trait à la pertinence des cours suivis par rapport au travail effectué, par la prépondérance de la preuve.

[125]      Pour utiliser les mêmes qualificatifs que l’arbitre Charles Turmel dans une sentence arbitrale qui concerne un avocat qui détient un diplôme en gestion, les cours sont non seulement utiles, mais parfois indispensables afin d’offrir la prestation attendue[13].

[126]      D’ailleurs, il est bien établi que la pertinence doit s’apprécier au cas par cas en fonction du travail à réaliser[14].

[127]      En conclusion, la Commission rejette l’argument principal de Me Cloutier selon lequel les deux diplômes BCL/JD qu’elle a obtenus dans son programme intégré à l’Université McGill et qui totalisent 105 crédits lui permettent d’obtenir la reconnaissance d’une année de scolarité additionnelle.

[128]      Elle est toutefois en accord avec son argument subsidiaire que les crédits inhérents au diplôme de JD et ceux de la mineure en sociologie sont suffisants pour constituer une année de scolarité additionnelle.

[129]      De ce fait, Me Cloutier a démontré son droit d’obtenir deux échelons additionnels, passant à l’embauche de l’échelon 1 à l’échelon 3, aux fins de la détermination de sa rémunération.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

ACCUEILLE l’appel de Me Anne-Isabelle Cloutier.

ORDONNE au ministère de la justice d’effectuer les corrections nécessaires à la rémunération de Me Anne-Isabelle Cloutier soit de lui accorder l’échelon 3 de l’échelle salariale de sa classe d’emplois, rétroactivement à sa date d’embauche, soit le 19 août 2021, et de lui verser les sommes auxquelles elle a droit, incluant les intérêts légaux.

RÉSERVE sa compétence afin de trancher toute question ou toute difficulté découlant de la présente décision.

 

 

                                                                                                                                                 Original signé par :

 

 

_______________________________

Denis St-Hilaire

 

Me Anne-Isabelle Cloutier

Partie demanderesse

 

Me Maxime Simoneau

Procureur du ministère de la Justice

Partie défenderesse

 

Audience tenue par visioconférence

 

 

Date de l’audience :

1er juin 2023

 


[1] RLRQ, c. F-3.1.1.

[2] Recueil des politiques de gestion, C.T. 222946, 29 septembre 2020.

[3] C.T 203262 du 31 janvier 2006 et ses modifications.

[4] Directive concernant la classification des avocats et des notaires, Recueil des politiques de gestion, C.T. 222925, 29 septembre 2020.

[5] RLRQ c. B-1, art. 45 et 46.

[6] Règlement sur la formation professionnelle des avocats, c. B-1, r.14, art. 5, par. 2, Code des professions, chap. C-26, art. 184, Règlement sur les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement désignés qui donnent droit aux permis et aux certificats de spécialistes des ordres professionnels, chapitre C-26, r.2 art.1.03 e).

[7]Le site Web de l’université décrit une approche intégrée grâce à des cours transsystémiques où les traditions juridiques sont enseignées de manière comparative à l’aide d’exemples de diverses provenances. https://www.mcgill.ca/law/fr/bcl-jd.

[8] Brousseau et al. et La Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances, [1990] 7 no 2 R.D.C.F.P., p 305 et 320.

[9]  Delorme c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, [1991] 8 no 1 R.D.C.F.P. 23.

[10]Marchand et. Ministère de la Sécurité publique, [2008] 25 no 2 R.D.C.F.P. 559, p. 567; Turcotte et. Ministère de la Justice, [2007] 24 no 1 R.D.C.F.P. 113, par. 31, 32, 33, 34 et 35. Dubé et Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2011 QCCFP 30 (CanLII), Lavoie et Québec (Ministère de la Justice), 2011 QCCFP 10 (CanLII), Martinez et Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2000 CanLII 22140 (QC CFP), Cloutier et Centre de services partagés du Québec, 2010 QCCFP 11 (CanLII), Leblond et Québec (Sécurité publique), 2002 CanLII 49190 (QC CFP).

[11] Centre de services partagés du Québec et Dussault, 2012 QCCFP 48 (CanLII).

[12] À cet effet Mme a déposé en preuve un formulaire de demande intitulé : APPLICATION TO ENROLL IN A MINOR PROGRAM.

[13] Gouvernement du Québec (ministère de la justice) et Les avocats et notaires de l’État québécois, 2021 QCTA 352.

[14] Dussault et Société de l'assurance automobile du Québec, 2015 QCCFP 20 (CanLII) confirmé en révision; Société de l'assurance automobile du Québec et Dussault, 2016 QCCFP 10 (CanLII).

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