Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - juin 2011

Lemieux et Otis Canada inc.

2013 QCCLP 736

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

8 avril 2013

 

Région :

Lanaudière

 

Dossiers :

444532-63-1107      444980-63-1107      447909-63-1108

449924-63-1109      478682-63-1208

 

Dossier CSST :

136260361

 

Commissaire :

Daniel Pelletier, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

444532          447909          449924

478682

444980

 

 

Serge Lemieux

Otis Canada inc.

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Otis Canada inc.

Serge Lemieux

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

RECTIFICATION D’UNE DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           La Commission des lésions professionnelles a rendu le 6 février 2013, une décision dans les présents dossiers;

[2]           Cette décision contient une erreur d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 429.55 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001;

[3]           Sur la page frontispice, dans la colonne de droite, nous lisons :

Otis Canada inc.

            Partie intéressée

[4]           Alors que nous aurions dû lire :

Otis Canada inc.

            Partie requérante

 

 

 

 

__________________________________

 

Daniel Pelletier

 

 

 

 

Me Pierre-Alexandre Clermont

Services juridiques Denis Monette

Représentant du travailleur

 

Me André Royer

Borden Ladner Gervais

Représentant l’employeur

 

Me Myriam Sauviat

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la partie intervenante

 

 

 


Lemieux et Otis Canada inc.

2013 QCCLP 736

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

6 février 2013

 

Région :

Lanaudière

 

Dossiers :

444532-63-1107      444980-63-1107      447909-63-1108

449924-63-1109      478682-63-1208

 

Dossier CSST :

136260361

 

Commissaire :

Daniel Pelletier, juge administratif

 

Membres :

Lorraine Patenaude, associations d’employeurs

 

Robert P. Morissette, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

444532          447909          449924

478682

444980

 

 

Serge Lemieux

Otis Canada inc.

Partie requérante

Partie intéressée

 

 

et

et

 

 

Otis Canada inc.

Serge Lemieux

Partie intéressée

Partie requérante

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 444532-63-1107

[1]         Le 20 juillet 2011, monsieur Serge Lemieux (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 21 juin 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue le 27 avril 2011 à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale (BEM) et déclare que la lésion professionnelle du travailleur subie le 12 mai 2010 est consolidée en date du 12 avril 2011 avec suffisance de traitements et soins à cette même date et déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente de 2 % en lien avec ladite lésion et qu’il a droit à une indemnité pour dommages corporels.

Dossier 444980-63-11007

[3]           Le 22 juillet 2011, Otis Canada inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste cette même décision du 21 juin 2011.

Dossier 447909-63-1108

[4]           Le 30 août 2011, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) à l’encontre d’une décision rendue le 28 juillet 2011 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[5]           Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue le 7 mars 2011 et déclare que le nouveau diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse n’est pas en relation avec l’événement du 12 mai 2010 et déclare que le travailleur a droit à la réadaptation étant donné qu’il conserve une atteinte permanente à la suite de sa lésion professionnelle.

Dossier 449924-63-1109

[6]           Le 26 septembre 2011, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 20 septembre 2011 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[7]           Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue le 1er août 2011 et déclare que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de mécanicien d’ascenseur au niveau de l’entretien à compter du 1er août 2011.

Dossier 478682-63-1208

[8]           Le 1er août 2012, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 26 juillet 2012 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[9]           Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue le 10 mai 2012 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive rechute ou aggravation en date du 28 mars 2012 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en lien avec cette réclamation.

[10]        Une audience est tenue à Joliette le 6 novembre 2012, à laquelle assistent le travailleur et son représentant. L’employeur et l’intervenante sont également représentés. Les parties demandent au tribunal de se prononcer en premier lieu sur deux questions préliminaires soulevées par le travailleur. Vu l’accord des parties et la complexité des dossiers, cette autorisation a été accordée.

[11]        Les parties ont également demandé un délai additionnel pour soumettre une argumentation écrite en lien avec la deuxième question préliminaire soulevée par le travailleur lors de l’audience. Cette demande est également accordée.

[12]        L’argumentation écrite de la CSST a été reçue le 7 décembre 2012 et la réplique du représentant du travailleur, le 18 décembre 2012. L’employeur n’a pas transmis d’argumentation écrite sur la deuxième question préliminaire. Le dossier est mis en délibéré en date du 18 décembre 2012.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[13]        Le travailleur prétend que l’avis du BEM est irrégulier pour le motif que le rapport infirmant du médecin désigné qui a servi à la demande de BEM n’a pas été précédé d’un examen médical contemporain.

[14]        Si cette première question préliminaire devait être acceptée, le travailleur soumet une deuxième question préliminaire. Il prétend que le rapport final émis par le médecin qui a charge en date du 24 mai 2011, doit être déclaré irrégulier puisqu’il ne s’agit pas d’un véritable rapport final, le médecin qui a charge n’ayant consolidé la lésion qu’à la suite et en conformité avec l’avis du BEM et non parce qu’il était d’opinion que la lésion du travailleur était véritablement consolidée. Il soumet au surplus que ce rapport n’a pas été transmis au travailleur, ce qui vicie ledit rapport et fait en sorte que ce rapport ne lie pas la CSST.

[15]        L’employeur et la CSST soumettent que la procédure d’arbitrage doit être confirmée étant donné que le rapport du médecin désigné par l’employeur a été précédé d’un examen du travailleur quelques semaines plus tôt, soit en novembre 2010. Ils prétendent que la loi n’exige pas que le médecin de l’employeur réexamine le travailleur à chaque fois.

[16]        Quant au rapport final, la CSST soumet que le dossier indique, que dans les faits, le médecin qui a charge était en accord avec les conclusions du médecin du BEM et qu’il n’y a donc pas lieu de le déclarer irrégulier. 

LA PREUVE SUR LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[17]        Le travailleur subit un accident du travail le 12 mai 2010. Alors qu’il procède aux vérifications d’usage sur un ascenseur qu’il vient de réparer et sur le toit duquel il est assis, le mécanisme de retenue de l’ascenseur cède brusquement. L’ascenseur chute et rebondit sur des ressorts provoquant un choc à la colonne cervicodorsolombaire du travailleur.

[18]        Le travailleur avise immédiatement son supérieur de l’incident et cesse de travailler. Il rentre chez lui avec son véhicule. Le lendemain, il se présente au travail, mais vers 11 h, devant la persistance de douleur lombaire, il quitte le travail et consulte à l’Hôpital Le Gardeur. Il est référé à la Clinique Le Gardeur où il passe des radiographies de toute la colonne, soit cervicale, dorsale et lombaire.

[19]        Les douleurs cervicales et lombaires s’estompent dans les jours qui suivent, mais la douleur paralombaire gauche persiste avec irradiation à la face postérieure de la cuisse gauche et se projetant jusqu’au mollet.

[20]        Après une période d’arrêt de quatre mois, le travailleur est affecté à des travaux de type sédentaire au rythme de deux journées par semaine.

[21]        Le 24 novembre 2010, il rencontre, à la demande de l’employeur, le docteur Pierre Bertrand. Ce dernier indique dans son rapport du 29 novembre 2010, que le travailleur est en attente du résultat d’un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui a été fait la semaine précédente à l’Hôpital Le Gardeur.

[22]        Le docteur Bertrand indique qu’il s’agit d’une IRM. Il mentionne que le travailleur doit voir son médecin, le docteur Barnave André, le lendemain, soit le 25 novembre 2010.

[23]        Le docteur Bertrand procède à un examen complet du travailleur avec mesure des amplitudes articulaires. Il note des limitations de mouvements de la colonne lombaire en flexion antérieure, en extension et lors des flexions latérales droite et gauche, avec présence de douleur associée.

 

[24]        Ses conclusions sont les suivantes :

Diagnostic :

 

Le diagnostic initial inscrit par le médecin traitant, Dr Barnave, était celui d’entorse cervico-dorso-lombaire. Il avait signalé le 26 juin 2010 la disparition de la symptomatologie au niveau cervical. Lors de l’examen de ce jour, il n’y a aucune symptomatologie au niveau cervical. Les mouvements sont complets.

 

La description d’arrachement cortiqué ne peut pas être relié à l’événement, elle serait encore symptomatique aujourd’hui. Or c’est à ce niveau que les symptômes ont disparu le plus rapidement.

 

o    En fonction de l’examen du Dr Rioux qui révélait une ankylose importante du segment lombaire,

 

o    En fonction de l’examen pratiqué aujourd’hui, qui révèle encore une diminution de mobilité au segment lombaire, avec spasmes musculaires, bien que l’amplitude de la mobilité se soit améliorée.

 

Le diagnostic d’entorse lombaire est médicalement justifié.

 

La lésion n’est pas jugée consolidée au moment de cet examen.

 

NÉCESSITÉ DE SOINS :

 

Les traitements de physiothérapie sont justifiés.

 

ATTEINTE PERMANENTE

 

Il est prématuré de statuer sur ce point.

 

LIMITATIONS FONCTIONNELLES

 

Il est prématuré de statuer sur ce point.

 

[…]

 

Pierre Bertrand, M.D. FRCSC (C)

Chirurgien orthopédiste

 

 

[25]        Dans une note médico-administrative jointe à son rapport, il mentionne :

Le seul diagnostic médicalement acceptable dans ces conditions est celui d’entorse lombaire. Monsieur devrait poursuivre les traitements de physiothérapie qu’il reçoit pour une période additionnelle de deux mois.

 

Bien qu’il soit prématuré de statuer sur une atteinte permanente, on peut conclure qu’il existe actuellement des limitations fonctionnelles temporaires.

 

 

Pendant cette période de deux mois, monsieur devrait éviter :

 

o    Le travail qui exige une attitude prolongée de flexion du tronc;

o    Le travail qui exige des mouvements combinés de torsion et extension du tronc, à répétition ou avec charges;

o    Le travail en position agenouillée ou accroupie;

o    La manipulation de poids excédant 10 kg.

 

Monsieur bénéficierait d’un retour au travail progressif qui respecterait les conditions énoncées ci-dessus.

 

Mentionnons pour terminer qu’une résonance magnétique a été faite le 20 novembre 2010. Le rapport n’est pas disponible aujourd’hui. Une note additionnelle pourrait être rédigée sur réception de ce rapport.

 

[…]

 

Pierre Bertrand, M.D. FRCSC (C)

Chirurgien orthopédiste

 

 

[26]        Le 10 décembre 2010, le docteur Bertrand transmet son rapport d’expertise à ses commettants en indiquant :

Vous trouverez sous pli un rapport d’expertise qui n’est pas complet. Nous sommes toujours en attente du rapport de la résonance magnétique. Celui-ci nous semble indispensable pour inscrire des conclusions objectives. Une note additionnelle sera donc rédigée sur réception de ce rapport.

 

Il nous semble toutefois utile de porter le texte de cette expertise à votre connaissance, même si elle est incomplète.

 

[…]

 

Pierre Bertrand, M.D. FRCSC (C)

Chirurgien orthopédiste

 

 

[27]        Le 16 décembre 2010, le docteur André complète un rapport médical dans lequel il pose un diagnostic d’entorse lombaire modérée, exacerbée avec le transport en automobile associé au travail régulier. Il recommande de continuer les travaux légers pendant deux à trois semaines : « Diminuer à 6 h/jour pour voir, compte tenu du transport. »

[28]        Le 16 janvier 2011, le docteur André complète un autre rapport médical dans lequel il indique : « Entorse lombaire post-traumatique avec lombalgie chronique, Exacerbation, même douleur lors du retour progressif, arrêt de travail complet jusqu’au 28 février 2011. Physiothérapie demandée et reprendre le 7 février (une semaine après infiltration) ».

[29]        Le 28 janvier 2011, il complète un nouveau rapport dans lequel il rapporte que le travailleur souffre d’un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse reliée au stress. Il recommande un arrêt de travail et fait état d’une pression des employeurs sur le travailleur. Il recommande une consultation en psychologie.

[30]        Le 28 janvier 2011, il réitère son diagnostic d’entorse lombaire post-traumatique avec lombalgie consécutive. Il note une exacerbation marquée des douleurs lors du retour progressif au travail. Il recommande un arrêt de travail complet jusqu’au 28 février 2011, il prescrit un arrêt de la physiothérapie et une reprise de la physio une semaine après l’infiltration.

[31]        Le 1er février 2011, il est vu par le docteur Claude Bouthillier, physiatre, qui procède à des blocs facettaires sous scopie aux niveaux L4-L5 et L5-S1 à droite et à gauche. Il indique que le patient présente une dysfonction mécanique lombosacrée sans évidence de radiculopathie. Il note qu’une dysfonction sacro-iliaque est toujours possible et s’il n’y avait pas d’amélioration suffisante, qu’une infiltration à ce niveau est toujours possible.

[32]        Le 25 février 2011, le docteur Bertrand complète un second rapport. Il ne voit pas le travailleur à ce moment. Il rapporte que son examen du travailleur remonte au 24 novembre 2010. Il relève qu’il avait constaté à ce moment que le travailleur présentait une lombalgie irradiant à la racine du membre inférieur gauche sans sciatalgie franche, ni paresthésie décrite. Il relate le contenu des examens antérieurs et poursuit en indiquant :

Conclusion

 

Après avoir relu l’expertise déjà rédigée et les documents reçus récemment, nous émettons l’avis que rien ne permet de conclure à un écrasement de corps vertébral traumatique ou à une hernie discale.

 

Le diagnostic d’entorse lombaire inscrit lors de l’examen est maintenu dans ces conditions.

 

Le 29 novembre 2010, nous avions suggéré une période additionnelle de consolidation de deux mois.

 

En fonction du diagnostic d’entorse lombaire, nous émettons l’avis qu’il y a consolidation en date du 28 janvier 2011, en effet, c’est à cette date qu’apparaît un nouveau diagnostic, soit trouble d’adaptation.

 

Lorsqu’on relit le rapport médical expédié à la CSST du 21 janvier 2011, il est fait mention d’une reprise de travail le 7 février 2011, une semaine après infiltration. Bien qu’aucun document ne mentionne cette infiltration, il faut rappeler que le médecin avait suggéré une demande en physiatrie et il est possible que Monsieur ait été examiné par un physiatre qui aurait pratiqué une infiltration.

 

Plus tard, soit le 28 janvier 2011, date à laquelle selon mes prévisions on aurait pu considérer un retour au travail, il est inscrit : « Trouble d’adaptation avec humeur anxieuse relié au stress, arrêt de travail et pression des employeurs. Consultation en psychologie. »

 

Il est important de signaler que le rapport de résonance magnétique du 18 novembre 2010 mentionne des conditions personnelles préexistantes. La possibilité d’un petit hémangiome au niveau du corps de D12 est certainement une condition personnelle. Elle n’est quand même pas démontrée de façon certaine puisque le radiologue suggère une scintigraphie osseuse. Toutefois, il est médicalement connu qu’un kyste osseux anévrismal peut être douloureux. Cela ne serait pas d’origine traumatique. Par ailleurs, on mentionne une sténose foraminale bilatérale avec arthrose facettaire au niveau de L3-L4 et aussi au niveau de L4-L5. De plus, il y a PROBABILITÉ d’anomalies de transition à L5 avec hypoplasies du disque L5-S1. Si cette probabilité est démontrée, il s’agit encore une fois d’une condition personnelle. L’arthrose facettaire mentionnée à L3-L4 et L4-L5 n’est pas une anomalie chez une personne de cet âge.

 

La persistance des douleurs lombaires nous semble donc en partie reliée à une condition personnelle et cela peut expliquer la notion récente de trouble d’adaptation.

 

En effet, l’événement est survenu le 12 mai 2010 et le 20 octobre 2010, le médecin traitant suggérait un retour progressif avec début de programme de préretour à l’emploi. Cet intervalle entre la date du fait accidenter et la suggestion de préretour à l’emploi constitue une période normale et suffisante pour obtenir une consolidation en fonction d’un diagnostic d’entorse lombaire, puisqu’aucun signe ni symptôme de compression radiculaire n’est démontré cliniquement ou radiologiquement.

 

Nous émettons l’avis que la prolongation s’explique par la présence de conditions personnelles entraînant de plus cette notion de stress.

 

En résumé

 

Diagnostic

 

Le diagnostic médicalement acceptable reste celui d’entorse lombaire.

 

Date de consolidation

 

La date de consolidation est le 28 janvier 2011.

 

Nécessité de soins

 

Il y a suffisance de soins en fonction de ce diagnostic d’entorse lombaire.

 

Existence de limitations fonctionnelles

 

Nous avions déjà inscrit des limitations fonctionnelles à titre temporaire prévisible pour une période de deux mois.

Nous avions inscrit que Monsieur devait éviter le travail :

 

o    qui exige une attitude prolongée de flexion du tronc;

o    qui exige des mouvements combinés de torsion et extension du tronc, è a répétition ou avec charges;

o    en position agenouillée ou accroupie;

o    La manipulation de poids excédant 10 kg.

 

N’ayant pas revu monsieur depuis l’examen original (24 novembre 2010), il n’est pas possible aujourd’hui d’émettre un avis objectif sur les limitations fonctionnelles.

 

Existence d’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur

 

Nous ne disposons pas aujourd’hui de données objectives pour quantifier une atteinte éventuelle.

En effet, d’une part je ne peux pas affirmer qu’il n’y a ni séquelles ni restriction, mais d’autre part, je ne dispose d’aucunes données objectives pour maintenir les restrictions émises sur une base temporaire et/ou quantifier une éventuelle atteinte à l’intégrité physique.

 

[…]

 

Pierre Bertrand, M.D. FRCSC (C)

Chirurgien orthopédiste

 

 

[33]        C’est le rapport infirmant.

[34]        Le 28 février 2011, le docteur André pose le diagnostic d’entorse lombaire avec lombalgie chronique réfractaire. C’est le rapport contesté.

[35]        Le 16 mars 2011, le docteur André indique dans son rapport que le travailleur souffre « d’une entorse lombaire post-traumatique, 2è lombalgie chronique avec sciatalgie on/off exacerbation nouvelle. Le patient fait de la physio en extra à domicile à partir d’un programme, il doit continuer idem. Il maintient l’arrêt de travail. Il demande un scan cérébral à cause des étourdissements et un électromyogramme pour les membres inférieurs ».

[36]        Le 18 mars 2011, il rédige un rapport complémentaire dans lequel il réitère son diagnostic d’entorse lombaire et le fait que la condition de santé du travailleur s’est aggravée avec le retour au travail, nécessitant qu’il réduise la physiothérapie. Il s’interroge sur le fait que le docteur Bertrand puisse contester l’aggravation de la condition du travailleur en l’absence d’examen de ce dernier. Il maintient que la lésion du travailleur n’est pas consolidée.

[37]        Une demande est transmise à la CSST par l’employeur pour obtenir un avis du BEM sur les trois premiers points, soit le diagnostic, la date de consolidation et la nature, nécessité et suffisance des soins sur la base du rapport du docteur Pierre Bertrand. L’employeur veut contester le rapport du docteur André émis le 28 février 2011.

[38]        Le travailleur est vu par le docteur Hubert Labelle du BEM, le 12 avril 2011. Relativement à l’examen du docteur Bertrand et à sa conclusion sur la date de consolidation, il mentionne ce qui suit :

En ce qui concerne le médecin désigné, il consolide au 28 janvier 2011, mais sans avoir réévalué le patient. Il nous apparaît difficile d’accepter cette date de consolidation de la lésion puisque le médecin désigné n’a pas réévalué le travailleur et n’est donc pas en mesure de statuer sur sa condition physique. Lorsqu’il l’avait évalué au mois de novembre, le médecin désigné reconnaissait que la lésion n’était pas consolidée à cette date.

 

Nous ne pouvons donc pas accepter la recommandation du médecin désigné de consolider la lésion au 28 janvier 2011.

 

Par ailleurs, à l’examen clinique d’aujourd’hui, nous avons toujours une limitation objectivable de mobilité de la colonne dorsolombaire. Il nous faut constater que tous les traitements effectués à date n’ont pas apporté d’amélioration de la condition du travailleur. […] Pour cette raison, nous considérons que devant l’atteinte évidente d’un plateau dans la symptomatologie un an après l’événement, il y a lieu de consolider la lésion en date d’aujourd’hui, soit au 12 avril 2011.

 

 

[39]        Le docteur Labelle considère qu’il y a suffisance de soins à cette même date et usant de son pouvoir discrétionnaire reconnait une atteinte de 2 % code 204004 pour séquelles d’entorse dorsolombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et il reconnait que le travailleur est porteur de limitations fonctionnelles de classe I de l’IRSST.

[40]        À la suite de cet avis du BEM, le 12 avril 2011, le docteur André produit un rapport final dans lequel il indique :

Entorse lombaire avec séquelles voir BEM

Il indique que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles;

À la question produirez vous le rapport d’évaluation médicale, il coche : Non

À la question : Si non, avez-vous référé le travailleur à un autre médecin?

Il répond : Voir rapport DR Hubert Labelle, orthopédiste MD BEM.

Son rapport indique qu’il a vu le travailleur le 24 mai 2011.

 

 

[41]        Le travailleur confirme dans son témoignage avoir rencontré le docteur André le 24 mai 2011, mais il mentionne que ce dernier ne l’a jamais informé du fait qu’il produisait un rapport final, ni du contenu du rapport final. Il ne lui en a pas remis de copie.

[42]        Les rapports subséquents au dossier sont les rapports des 21 juin et 19 juillet 2011. Les mentions qui y figurent sont en relation avec la lésion psychique du travailleur.

[43]        Le 11 octobre 2011, le docteur André complète un rapport dans lequel il indique :

Entorse lombaire avec séquelles exacerbée récemment en réorientation. Ajustement médication. Considérer reprendre physio?

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[44]        Le travailleur s’appuyant sur l’affaire Sagala[2], soumet que l’absence d’examen par le docteur Bertrand, avant la rédaction du second rapport du 25 février 2011, contrevient aux dispositions de l’article 212 de la loi et vicie ledit rapport et la procédure d’évaluation médicale qui s’en est suivie devient irrégulière et doit être annulée.

[45]        Sur la seconde question préliminaire, il soulève que le médecin qui a charge n’a pas véritablement consolidé la lésion du travailleur puisqu’il a continué à lui prodiguer des soins après la date de consolidation déterminée par le BEM et n’a jamais complété de rapport d’évaluation médicale. Le docteur André a plutôt agi en réaction à cet avis. Au surplus, il n’a pas informé le travailleur du contenu de son rapport final, ce qui le rend invalide.

[46]        Le procureur de l’employeur s’appuie, quant à lui, sur l’affaire Ganotec[3]. Il plaide que le docteur Bertrand a rédigé deux rapports, le premier le 29 novembre 2010 et le deuxième le 25 février 2011. Avant la rédaction du premier rapport, il a examiné le travailleur le 24 novembre 2011. S’appuyant sur les dispositions de la loi et la jurisprudence, il soumet que la loi ne prévoit pas qu’il doive y avoir un examen contemporain avant chaque rédaction de rapport, mais un examen, peu importe le moment où il est effectué.

[47]        La seule conséquence qui peut se rattacher au fait de ne pas avoir un examen contemporain est la force probante du rapport et non sa validité. La loi ne doit pas être interprétée de façon restrictive. L’absence d’examen n’a pas causé de préjudice au travailleur.

 

[48]        La CSST fait siens les propos du procureur de l’employeur sur cette première question. Sur la question du rapport final, elle soumet que le dossier laisse clairement voir que le docteur André était en accord avec les conclusions du rapport du BEM quant à la date de consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles et pour ce motif, la validité du rapport final doit être confirmée.

L’AVIS DES MEMBRES

[49]        Conformément à l’article 429.50 de la loi, le soussigné a requis l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs.

[50]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir les deux questions préliminaires soulevées par le travailleur. En ce qui a trait à la première question, il est d’avis que le docteur Bertrand ne pouvait émettre le deuxième rapport infirmant du 25 février 2011 dans lequel il consolide la lésion du travailleur, sans avoir réexaminé le travailleur, étant donné qu’il avait constaté, dans son examen du 24 novembre 2010 que la lésion du travailleur n’était pas consolidée et nécessitait des soins additionnels. Il est d’avis que la date de consolidation fixée au 28 janvier 2011 n’a aucune correspondance avec la condition physique du travailleur puisqu’elle est fixée en référence à l’émission d’un diagnostic de nature psychique.

[51]        Quant à la deuxième question préliminaire, il est d’avis de l’accueillir. Il retient que le témoignage du travailleur voulant qu’il n’ait pas été informé du contenu du rapport final est crédible et n’a pas été contredit. La loi prévoit que le médecin qui a charge doit informer le travailleur du contenu de son rapport. Ne l’ayant pas fait, ce rapport devient irrégulier et les effets prévus par la loi quant au caractère liant du rapport final ne peuvent s’appliquer.

[52]        La membre issue des associations d’employeurs est d’opinion que l’avis du BEM est irrégulier puisque le docteur Bertrand, lors de son examen médical du 24 novembre 2010 ne concluait pas à la consolidation de la lésion ayant constaté des limitations dans les amplitudes du travailleur lors de son examen. C’est sans doute la raison pour laquelle il suggérait deux mois additionnels de traitements. En l'absence d'un nouvel examen médical de sa part, ce constat demeure, à moins qu’il ne réexamine à nouveau le travailleur. Ne l’ayant pas fait, son deuxième rapport infirmant, non appuyé d’un nouvel examen médical, vicie la procédure d'évaluation médicale qui devient irrégulière.

 

 

[53]        Sur la question du rapport final, elle est d’avis que ce dernier lie le travailleur et toutes les parties. Elle ne croit pas la version du travailleur qui mentionne qu’il ignorait l'existence et le contenu du rapport final émis par son médecin traitant le 24 mai 2011 pour le motif qu’il a été très impliqué tout au long de ce dossier et dans la note clinique du 24 mai 2011. En plus d'un examen médical détaillé, on retrouve une note qui indique que la CSST doit réorienter le travailleur afin de respecter ses limitations. Il indique également que le travailleur a besoin d'une lettre pour son avocat, maître Denis Monette, lettre qu'il a rédigée le 27 mai 2011.

[54]        Elle retient également qu’après la production de ce rapport final, le travailleur a continué à revoir son médecin régulièrement, mais uniquement pour sa condition psychologique, et ce, jusqu'en octobre 2011. Durant cette même période, il était en processus de réorientation avec la CSST. Il était alors représenté par son syndicat et par maître Monette, lequel a même assisté à une rencontre avec l'employeur le 19 mai 2011 en vue de déterminer un emploi convenable.

[55]        Elle considère invraisemblable la version du travailleur qui prétend ignorer l'existence de ce rapport et pour ce motif, cette question préliminaire devrait être rejetée.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[56]        Le tribunal doit déterminer, dans un premier temps, si la procédure d’évaluation médicale initiée par l’employeur respecte la loi. S’il en vient à la conclusion que cet avis est irrégulier, il doit également se prononcer sur la validité et le caractère liant du rapport final produit par le docteur André, le 24 mai 2011.

[57]        Le tribunal considère que les articles suivants de la loi sont pertinents à la solution du litige :

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

212.1.  Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 5.

 

 

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[58]        En l’espèce, la procédure d’évaluation médicale a été initiée par le dépôt du deuxième rapport du docteur Bertrand, soit celui du 25 février 2011. Bien que le docteur Bertrand indique qu’il s’agit d’un rapport complémentaire, la demande adressée au BEM ne fait pas référence au rapport du 29 novembre 2010.

[59]        Dans ce deuxième rapport, le docteur Bertrand modifie les conclusions de son expertise du 29 novembre 2010 jugeant que la lésion du travailleur est consolidée en date du 28 janvier avec suffisance de soins et traitements, et ce, sans avoir examiné de nouveau le travailleur. En ce qui a trait à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles, il mentionne que n’ayant pas eu l’opportunité de réexaminer le travailleur, il ne peut donner une opinion le moindrement objective sur ces questions.

[60]        L’expertise du docteur Bertrand semble suggérer que le docteur Bertrand modifie son opinion parce que l’IRM aurait révélé la présence de conditions personnelles qui, seules maintenant, prolongent la nécessité des soins et justifient le fait que la lésion ne soit pas consolidée. Ce qui est le plus paradoxal toutefois, c’est qu’il fixe une date de consolidation au 28 janvier 2011, étant donné que c’est à cette date qu’apparaît un autre diagnostic de trouble d’adaptation.

[61]        La question préliminaire concerne la régularité de la procédure d’arbitrage médical. Cette question a fait couler beaucoup d’encre tant de la Commission des lésions professionnelles que de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP).

 

[62]        Le travailleur a porté à l’attention du tribunal l’affaire Sagala, précitée qui s’appuie sur les motifs de la décision rendue dans Redburn et Ville de Montréal. Dans cette affaire, le juge administratif a fait une revue de la jurisprudence de la CALP et de la Commission des lésions professionnelles sur la question, tel qu’en fait foi le passage suivant :

[28.]     Selon la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, l’examen du travailleur ou de la travailleuse est une obligation impérative qui, s’il n’est pas effectué, invalide la procédure d’évaluation médicale.  En d’autres mots, l’examen du travailleur par le médecin de l’employeur est obligatoire selon les termes de l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

[29.]     Dans l’affaire Perron et Sucre Lantic Ltée1, il s’agissait d’une affaire où le médecin de l’employeur avait produit un rapport médical daté du 12 octobre, mais basé sur un examen médical effectué antérieurement, soit le 2 août.  Le médecin désigné par l’employeur jugeait que lors de cet examen effectué le 2 août la lésion du travailleur pouvait s’améliorer puisqu’il l’orientait alors vers un spécialiste.  La CALP déclarait que le médecin de l’employeur ne pouvait donc en octobre fixer la date de consolidation de la lésion au 1er octobre sans avoir préalablement évalué l’évolution de l’état du travailleur depuis l’examen du  2 août.  La CALP concluait dans le contexte d’une requête en révision pour cause qu’il y avait lieu de considérer que l’employeur avait engagé sa contestation sans avoir fait valablement examiner le travailleur et que cette omission rendait irrégulière, tant la procédure d’arbitrage que la décision de la CSST y faisant suite.  La CALP écrivait ce qui suit :

 

«Le travailleur soutient enfin que la Commission d’appel aurait dû invalider l’arbitrage ainsi que la décision résultant au motif que le rapport du Dr Maillé, par lequel l’employeur a engagé contestation, a été obtenue sans que le travailleur ne soit alors examiné

 

 

Dans le présent dossier, l’employeur a engagé contestation … par la transmission à la Commission d’un rapport complété par le Dr Maillé le 12 octobre.

 

Dans ce rapport, le Dr Maillé fait référence à l’examen qu’il a effectué le 2 août.  Bien que l’article précité de la loi ne contienne pas de spécification quant au moment où doit être effectué l’examen, il va sous le sens que doit exister une corrélation entre les observations faites à l’examen clinique et les conclusions qui s’en dégagent; en d’autres termes, les conclusions du rapport doivent être conséquentes avec l’examen effectué, y faire suite.

 

 

Il ressort de l’évaluation faite lors de l’examen du 2 août que, de l’avis du Dr Maillé, l’état de la lésion professionnelle du travailleur peut encore s’améliorer.  Son point de vue est explicite à cet égard, le médecin jugeant insuffisant les traitements administrés et recommandant même que le patient soit dirigé vers un spécialiste en vue de l’élaboration de mesures thérapeutiques convenant à sa condition.

 

Le médecin ne pouvait toutefois s’en tenir à considérer comme anormale que la convalescence se poursuive depuis le 23 juin et fixer consolidation au 1er octobre, sans avoir préalablement à nouveau vérifié l’état de la condition du travailleur, son évolution depuis le dernier examen, l’effet sur la lésion professionnelle des traitements entrepris depuis, pour décider, comme il le fait, de clore les traitements au 1er octobre.

 

Dans les circonstances, il y a lieu de conclure que l’employeur a engagé contestation sans que son médecin n’ait examiné le travailleur.  Le tribunal estime qu’il s’agit là d’une omission qui affecte la validité de sa démarche, entraînant l’irrégularité de l’arbitrage ainsi que dans la décision rendue en conséquence par la Commission.

 

Par l’effet de cette irrégularité sur l’issue de l’appel, savoir que la Commission demeure, suivant le premier alinéa de l’article 224 de la loi, liée par l’avis du médecin ayant charge du travailleur relativement à la question de consolidation, la décision faisant l’objet de la présente requête doit être révisée.»  (Nos soulignements)

 

[30.]     Dans une autre affaire, Manon Alarie et Gamebridge Inc.2 la CALP rappelait que l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pose deux conditions essentielles pour permettre à un employeur de contester l’avis du médecin qui a charge à savoir l’examen médical du travailleur et un avis du médecin examinateur infirmant une ou plusieurs conclusions du médecin qui a charge.  La CALP s’exprimait comme suit :

 

«Considérant qu’en l’espèce, l’une des conditions essentielles à l’application de l’article 212 n’est pas rencontrée, à savoir un examen médical par le médecin qui émet l’avis infirmant celui du médecin qui a charge;

 

Considérant que, dans les circonstances, l’arbitrage a été irrégulièrement enclenché;

 

Considérant la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) à l’effet qu’un arbitrage irrégulier doit être annulé et que doit être annulée la décision qui y fait suite

 

 

Déclare qu’aux fins de rendre une décision, la Commission de la santé et de la sécurité du travail demeure liée par l’avis du médecin qui a charge sur le diagnostic et les autres conclusions relatives au sujet mentionné aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l’article 212.»

 

[31.]     Cette dernière décision fut maintenue en révision pour cause3.  Par la suite, l’affaire fut soumise à l’attention de la Cour supérieure4 qui déclarait que l’interprétation du commissaire en regard des conditions prévues à l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles traitant de la procédure d’arbitrage médical est loin d’être manifestement déraisonnable.  La Cour supérieure ajoutait même au contraire que cette interprétation était tout à fait raisonnable, rationnelle et conforme à la loi.

 

 

 

[32.]     Dans une autre affaire Commission Scolaire des Mille Iles et Jean-Claude Robillard5 la CALP rappelait le caractère impératif de l’examen du travailleur pour permettre d’amorcer la procédure d’arbitrage médical.  La CALP s’exprimait comme suit :

 

«…  Le rapport qu’a obtenu l’employeur, daté du 4 juin 1987 et signé par le Dr Marcel Pelletier, a été fait sans examen du travailleur.

 

Contrairement à l’arbitre médical, pour qui l’examen du travailleur est facultatif, selon l’article 220 de la loi, la Commission d’appel a toujours interprété l’obligation de l’article 212 comme étant impérative.

 

 

La CSST n’était donc pas liée par les conclusions de l’arbitre médical à cause du vice de fond concernant l’absence d’examen médical de la part du médecin de l’employeur.

 

La décision de la CSST étant donc irrégulière, c’est l’article 224, premier alinéa qui doit guider la décision à rendre.»

 

[33.]     La Commission des lésions professionnelles réfère également à d’autres décisions confirmant le caractère obligatoire de l’examen du travailleur dans les affaires suivantes :

-           Parent et Steinberg, CALP 38497-60-9204, 25 mai 1994, Me Louise Thibault, commissaire;

-           Boudreau et N. Morissette Canada Inc., CALP 31259-08-9107, 14 novembre 1994, Me Thérèse Giroux, commissaire;

 

[34.]     La Commission des lésions professionnelles fait donc le constat dans le présent dossier que le rapport produit par le médecin de l’employeur, le Dr Desjardins est le 7 mai 1997 n’a pas été confectionné à la suite d’un examen spécifique de la travailleuse.  Cet examen était obligatoire selon la jurisprudence précitée et son défaut d’y avoir procédé constitue une irrégularité qui emporte l’annulation de la procédure d’évaluation médicale.

 

[35.]     Il est vrai toutefois que le médecin de l’employeur avait examiné la travailleuse le 19 mars 1997, soit environ 50 jours plus tôt ou 7 semaines avant le 7 mai 1997.  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cet examen effectué le 19 mars 1997 ne peut être considéré comme un examen valable pouvant servir à appuyer le rapport du 7 mai 1997.

 

[36.]     En effet, dans le rapport du 19 mars 1997, le Dr Desjardins n’infirmait pas véritablement les conclusions émises par le médecin traitant de la travailleuse le Dr Filiatrault, le 5 mars 1997 lorsque celui-ci évoquait un diagnostic de DIM au niveau L5-S1 avec sciatalgie gauche tronquée.  Le Dr Desjardins parlait d’une lombalgie avec irradiation au membre inférieur gauche qu’il qualifiait de lombosciatalgie atypique avec possibilité de dégénérescence discale au niveau L5-S1.  Quant à la relation et à la justification de l’absence, le Dr Desjardins admettait qu’il y avait un lien entre l’événement du 13 janvier 1997 et la symptomatologie présentée par la travailleuse.  Son examen permettait de justifier la poursuite des traitements et il concluait qu’il était trop tôt pour se prononcer sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

 

 

[37.]     Ce rapport du 19 mars 1997 était complet en soi et apportait des réponses précises sur la condition médicale de la travailleuse à la date de cet examen, soit le 19 mars 1997.  Au surplus, l’employeur n’a soumis aucune demande de contestation au Bureau d’évaluation médicale sur la base de ce rapport produit par le Dr Desjardins le 19 mars 1997.  En conséquence, le rapport du 19 mars 1997 ne peut être utilisé à titre de rapport qui infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur dans son rapport du 24 avril 1997 selon les termes de l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

[38.]     Il est vrai que la jurisprudence de la CALP a reconnu que le rapport du médecin de l’employeur pouvait être antérieur à celui du médecin du travailleur6Toutefois la jurisprudence de la CALP ajoute également que le rapport du médecin de l’employeur, s’il peut être antérieur, doit cependant être contemporain au rapport du médecin du travailleur qui est contesté.  Sur cette question, le tribunal renvoie à une affaire précitée Perron et Sucre Lantic Ltée qui traitait de cette question de façon précise.  Dans cette dernière affaire, la CALP avait considéré qu’un rapport produit le 12 octobre et s’appuyant sur un examen effectué le 2 août précédent ne pouvait valablement valider l’opinion médicale du médecin examinateur pour l’employeur.

 

[39.]     Dans une autre affaire,  Cayer et Tye-Sil Corporation Ltée7, la CALP rappelait cette exigence d’un rapport contemporain dans les termes qui suivent :

 

«Il est vrai , comme le mentionne l’employeur, que le délai de 30 jours prévu à l’article 212 de la loi permet, et c’est là l’interprétation de la Commission d’appel, que le rapport du médecin de l’employeur puisse être antérieur à celui du médecin du travailleur.  Cependant, ce rapport doit être quand même contemporain du rapport contesté comme l’a également fait remarquer la Commission d’appel dans l’affaire Perron et Sucre Lantic Ltée…»  (Nos soulignements)

 

[40.]     En conséquence, même si on considérait à la limite que le rapport du 19 mars 1997 pouvait être utilisé en vue d’amorcer la procédure d’évaluation médicale, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que celui-ci n’est pas suffisamment contemporain au rapport contesté, soit celui du 24 avril 1997 émis par le Dr Filiatrault.  En effet, au 19 mars 1997, le Dr Desjardins faisait des constats sur la condition médicale de la travailleuse notamment sur le diagnostic, la consolidation et la nécessité des traitements.  Le 7 mai 1997, le même médecin, après avoir pris connaissance d’une tomodensitométrie lombaire modifie complètement le diagnostic pour retenir celui d’entorse lombaire tout en consolidant la lésion de la travailleuse en date du 13 avril 1997 en quelque sorte de façon rétroactive.  Or, le Dr Desjardins n’a jamais examiné la travailleuse ce 7 mai 1997 ni même le 13 avril 1997.  La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il est arbitraire de fixer la date de consolidation de cette façon sans examen de la travailleuse.  C’est dans ce contexte qu’il y a lieu de conclure, en l’absence d’un examen contemporain au rapport contesté, qu’on ne peut valablement utiliser un rapport produit antérieurement par le médecin de l’employeur dans le présent dossier.

 

[41.]     La Commission des lésions professionnelles ajoute enfin que le Dr Desjardins en faisant référence à l’éventualité d’un examen par tomographie axiale ou résonance magnétique par le Dr Filiatrault n’a pas véritablement réservé son opinion suite à la production de ses examens.  En fait, le Dr Desjardins s’est plutôt prononcé clairement sur les différents aspects médicaux du dossier dans son rapport produit le 21 mars 1997 suite à un examen de la travailleuse.  Le Dr Desjardins évoque seulement la possibilité du recours à un tel examen par le Dr Filiatrault sans toutefois réserver son opinion suite à la réception des rapports appropriés.  En fait, le Dr Desjardins répond à l’ensemble des questions médicales qui lui sont soumises en regard du diagnostic, de la justification des soins, de la relation médicale, de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles sans réserve .En conséquence, son rapport était complet en soi dès ce moment et le seul fait qu’il ait évoqué la possibilité qu’il y ait d’autres examens par d’autres médecins ne permet pas de considérer le rapport du 7 mai 1997 comme un simple rapport complémentaire à celui produit le 21 mars 1997.  Ces deux rapports existent de façon autonome et indépendante puisque le rapport du 21 mars 1997 était complet en soit.

 

_______________

  CALP 10757-60-8902, 9 mai 1990, Me Gabrielle Lavoie, commissaire;

2  [1994] CALP 1410

3  [1994] CALP 1398

4   [1994] CALP 1759

5   [1995] CALP 139

6  Winter et Centra d’accueil Louis-Riel [1986] CALP 107

7   [1995] CALP 370

 

[Nos soulignés]

 

 

[63]      Le procureur de l’employeur, s’appuyant sur les affaires Ganotec, précitée et rendue en 2004, et Lahreche et Provigo (Division Montréal Détail)[4] rendue en 2003, soumet que l’examen et le rapport du médecin désigné ne sont soumis à aucun délai particulier. L’absence de contemporanéité du rapport ou de l’examen n’affectant que la force probante dudit rapport. Il attire l’attention du tribunal sur le passage suivant :

[41]      On ne trouve pas, à l’article 212 de la loi, d’indication formelle quant au délai entre l’examen clinique et le rapport du médecin désigné. On ne trouve pas, non plus, d’indication quant au délai entre l’examen clinique du médecin désigné par l’employeur et le rapport que l’employeur veut contester. La seule indication, dans la loi, est le délai dans lequel l’employeur peut contester le rapport du médecin qui a charge du travailleur : trente jours de sa réception.

 

[42]      La célérité est de mise et il est souhaitable que tous les examens médicaux soient contemporains. Cependant, c’est la loi qui détermine les obligations des parties.

 

[43]      La Commission des lésions professionnelles a interprété les dispositions de l’article 212 et de cette nécessaire célérité. La conclusion de cette interprétation est l’exigence d’une corrélation entre l’examen clinique du médecin désigné et le rapport qu’il produit .

 

[44]      Dans la décision Lahreche et Provigo (Division Montréal Détail)8, la Commission des lésions professionnelles est spécifiquement saisie du moyen préliminaire du travailleur qui soulève la question de déterminer si l’examen du médecin désigné par l’employeur doit être contemporain à l’examen du médecin qui a charge du travailleur. La Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit à ce sujet :

 

 

[50]        La Commission des lésions professionnelles remarque que cet article n’impose aucune obligation quant au moment où l’employeur doit obtenir le rapport de son médecin expert si ce n’est qu’il doit, bien entendu, être obtenu après la survenue de la lésion professionnelle dont il vise à déterminer les conséquences médicales. Il n’est fait aucune mention d’un délai d’obtention antérieur ou postérieur au rapport contesté. Il n’est fait aucune mention d’une quelconque exigence quant au caractère contemporain du rapport de l’employeur en regard de celui qu’il vise à infirmer. La Commission des lésions professionnelles estime qu’elle ne peut imposer de telles obligations à l’employeur sans ajouter à la loi.

 

[51]        Il faut également se garder de faire preuve d’un formalisme outrancier dans l’interprétation de ces dispositions législatives.

 

[52]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que, dès qu’on peut retrouver au dossier un rapport du médecin traitant émis dans les 30 jours précédant la demande de l’employeur et que le rapport du médecin expert de l’employeur infirme ce rapport du médecin traitant sur l’un ou l’autre des sujets prévus à l’article 212 de la loi, la CSST peut validement soumettre le dossier à l’attention du membre du Bureau d’évaluation médicale conformément aux articles 212.1, 217 et 219 de la loi.

 

 

[45]      Le soussigné partage cet avis.

 

[46]      En l’instance, le second rapport du docteur Renaud, préparé en février 2003, sur la foi des observations faites lors d’un examen clinique tenu en août 2001, rencontre les exigences de l’article 212 de la loi. Par ailleurs, le rapport contesté est celui du docteur Tremblay qui a eu lieu le 22 mai 2001. La reprise des mêmes conclusions par le docteur Renaud en ce qui concerne l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles n’est pas entachée du fait que le diagnostic retenu par la Commission des lésions professionnelles est une entorse lombaire alors que le docteur Renaud a retenu un diagnostic de discarthrose au niveau lombaire. Le site de la lésion est le même et le docteur Renaud est conscient que le diagnostic émis par les médecins du travailleur est une entorse lombaire.

 

[47]      Ajoutons que la détermination d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles souffre moins d’un délai pour un examen clinique. Si l’atteinte est permanente, elle devrait toujours être présente.

_____________________

8          [2003] C.L.P. 448 .

[Notre souligné]

 

 

[64]      Le fait que la loi ne prévoit pas un délai spécifique pour l’obtention du rapport du médecin désigné et l’examen du travailleur par ce dernier est un constat que l’on retrouve dans plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles, certaines vont même jusqu’à mettre de côté l’exigence de la contemporanéité.

[65]      Ainsi, dans l’affaire Pouch Yi et Nalpac inc.[5] rendue en 2004, la juge administrative apporte une nuance intéressante entre l’exigence d’un rapport contemporain et l’exigence d’un examen pertinent aux questions médicales contestées. Elle s’exprime ainsi :

[46]      Ainsi, dans l’affaire Perron et Sucre Lantic5 , le principal grief reproché eu égard à la procédure d’évaluation médicale n’est pas l’absence d’un rapport contemporain au rapport contesté, mais bien l’absence d’un examen médical justifiant les nouvelles conclusions émises par le médecin expert de l’employeur. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les faits de la présente affaire se distinguent de celle-ci en ce que, dès le 3 octobre 2002, le docteur Renaud croit que son examen lui permet de conclure à la consolidation prochaine de la lésion professionnelle et à l’inexistence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Il y a donc corrélation entre les observations qu’il fait et les conclusions qu’il tire de son examen et, dès lors, la décision précitée est inapplicable à la présente instance.

 

[47]      L’affaire Redburn  est identique à l’affaire Sucre Lantic. Elle est donc également inapplicable en l’espèce.

 

[48]      Il reste l’affaire CLSC-Saint-Laurent6  où le tribunal reconnaît que le rapport du médecin expert de l’employeur peut être antérieur ou postérieur à celui du médecin traitant, mais où, contre toute attente, il exige que l’examen médical et le rapport du médecin expert de l’employeur « se situent » « dans une période contemporaine de 30 jours » du rapport contesté. Les affaires Sucre Lantic et Redburn sont invoquées à l’appui d’une telle opinion. Avec respect, le présent tribunal ne peut partager cette interprétation qui, à son avis, ne se dégage pas des décisions précitées, qui est contraire au libellé de l’article 212 de la loi et qui impose à l’employeur une exigence de délai qui n’est nullement prévue au chapitre VI de la loi.

 

[49]      En fait, la Commission des lésions professionnelles partage plutôt les conclusions émises, entre autres, dans les affaires Romero et Vestshell inc et CSST-Montréal 27 , Stanley et Écolait ltée8, Estuardo Garcia et Oratex inc.9 , Meubles LT enr., Grandbois et CSST-Yamaska10  et Lahreche et Provigo inc. (Montréal détail)11 puisque, au-delà du cas d’espèce, elles représentent le courant jurisprudentiel majoritaire en cette matière.

 

[50]      Ces décisions déterminent que le rapport du médecin expert de l’employeur peut précéder ou suivre celui qu’il infirme. Il peut même servir à contester plusieurs rapports différents du médecin traitant. La seule conséquence rattachée à l’utilisation d’un rapport d’expert qui n’est pas contemporain à celui qu’il infirme ou qui ne tient pas compte de toutes les données médicales au dossier est d’entacher la crédibilité ou la valeur probante des conclusions qui y sont proposées. Cependant, cela ne peut empêcher la CSST de référer le dossier au membre du Bureau d’évaluation médicale ou rendre invalides les décisions qui font suite à l’avis de celui-ci.

 

 

 

[51]      La Commission des lésions professionnelles rejette donc le moyen préliminaire soulevé par la représentante du travailleur.

________________

5              Précitée à la note 3.

6              Précitée à la note 3.

7              C.L.P. 109389-72-9901 et 111164-72-9902, le 28 juillet 2000, M. Lamarre.

8              C.L.P. 149583-64-0010, le 21 mai 2002, J.-F. Martel.

9              C.L.P. 108141-73-9812 et 109101-73-9901, le 27 avril 2001, D. Taillon.

10             C.L.P. 144934-62B-0008, le 23 mars 2001, A. Vaillancourt.

11             C.L.P. 195934-71-0212 et 202835-71-0303, le 16 juillet 2003, C. Racine.

 

[Notre souligné]

 

 

[66]      Le tribunal retient dans cette affaire que la juge administrative n’écarte pas l’exigence d’un examen du médecin désigné qui est en corrélation avec les questions médicales en litige dans le rapport du médecin qui a charge que l’on désire contester. 

[67]      Dans l’affaire Providence Notre-Dame de Lourdes et Girard[6], on écartait clairement l’exigence que le rapport du médecin désigné soit contemporain au rapport contesté, la qualifiant d’ajout à la loi :

[49]      Quant à l’argument voulant que le rapport de l’expert de l’employeur doive être contemporain au Rapport médical contesté, le tribunal considère que la loi ne prévoit pas une telle exigence.

 

[50]      Dans l’affaire Grenier et Construction Del-Nor inc.4 , la Commission des lésions professionnelles considère valide l’avis du membre d’un Bureau d'évaluation médicale à la suite d’un moyen préalable similaire. Le tribunal s’exprime ainsi :

 

[47]        Le tribunal ne retrouve pas une telle exigence dans le texte de loi, fut-ce dans son esprit. Il est entendu que la valeur probante d’un rapport médical peu ou pas contemporain au rapport contesté pourra être moindre. Peut-être même cela empêchera-t-il de conclure qu’il infirme le rapport du médecin qui a charge du travailleur, ce qui l’invalidera pour supporter la contestation de ce dernier. Mais l’absence de « contemporanéité » du rapport médical soumis au soutien de la contestation de l’employeur ne rend pas automatiquement nulle la contestation de ce dernier. Cette position semble d’ailleurs maintenant retenue de façon majoritaire par la Commission des lésions professionnelles4.

 

[48]        La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, puis l’actuelle Commission des lésions professionnelles, ont bien semblé retenir à quelques reprises cette exigence de « contemporanéité »5, mais à peu près toujours dans des contextes factuels particuliers, en précisant qu’il fallait bien examiner les circonstances de chaque cas, en acceptant parfois même comme « contemporain » un rapport médical antérieur de huit mois6 au rapport contesté eu égard aux circonstances en l’espèce et en s’appuyant par ailleurs principalement sur d’autres éléments déterminants pour invalider la procédure, tel que, dans les deux décisions plus particulièrement à l’origine de ce courant jurisprudentiel7, l’absence d’examen médical à l’appui du rapport du médecin désigné par l’employeur. Or, dans les décisions qui ont suivi, ces premières décisions sont généralement appliquées sans cette nuance et sans autre discussion sur le principe.

 

[49]        En fait, il serait préférable, juridiquement et socialement, tout en étant cohérent avec les arguments invoqués au soutien de cette dernière approche, de considérer que ce « critère » de contemporanéité constitue non pas une exigence procédurale supplémentaire, mais plutôt l’un des éléments à examiner pour s’assurer que le rapport médical produit par l’employeur au soutien de sa contestation peut être considéré comme infirmant véritablement l’une ou plusieurs des conclusions du médecin qui a charge du travailleur, ce qui est une exigence de l’article 212.

____________________

4     Voir notamment : Romero et Vestshell inc. et CSST, C.L.P. 109389-72-9901, 28 juillet 2000, M. Lamarre; Grandbois et CSST, C.L.P. 144934-62B-0008, 23 mars 2001, A. Vaillancourt; Garcia et Oratex inc., C.L.P. 108141-73-9812, 27 avril 2001, D. Taillon; Stanley et Écolait ltée, C.L.P. 149583-64-0010, 21 mai 2002, J.-F. Martel; Lahreche et Provigo (Division Montréal Détail), [2003] C.L.P. 448 ; Tissus Géo Sheard (1994) Ltée et Harrisson, 198218-05-0301, 12 septembre 2003, F. Ranger; Nadeau et Fempro inc., 210299-63-0306, 30 août 2004, F. Mercure; Pouch Yi et La compagnie Nalpac inc., 214708-71-0308, 28 octobre 2004, C. Racine.

5     Perron et Sucre Lantic ltée, C.A.L.P. 10757-60-8902, 28 février 1001, G. Lavoie (décision accueillant la requête en révision); Cayer et Tye-Sil corporation ltée, [1995] C.A.L.P. 370 ; Redburn et Ville de Montréal, 107119-63-9811, 25 novembre 1999, J.-L. Rivard; Khouya et Viasystems Canada inc. C.L.P. 167736-62C-0108, 30 novembre 2001, R. Hudon; CLSC Saint-Laurent et Prévost, C.L.P. 183283-72-0204, 3 avril 2002, P. Perron; Bélanger et Les entreprises GBL électrique inc. C.L.P. 196246-64-0212, 7 août 2003, M. Zigby; Henry et Holiday Inn centre-ville, C.L.P. 195800-71-0212, 25 septembre 2003, L. Landriault.

6    Jutras et Wal-Mart du Canada, C.L.P. 200133-05-0302, 8 juilllet 2003, M. Allard.

7    Perron et Sucre Lantic ltée, précitée, note 5; Redburn et Ville de Montréal, précitée, note 5.

 

[51]      Dans une autre affaire5, le tribunal s’est exprimé dans le même sens quant à la nécessité, pour un employeur, d’obtenir un rapport contemporain afin que la contestation soumise au Bureau d'évaluation médicale soit régulière :

 

[44]        Le tribunal demeure d’avis, en l’absence de toute précision à cet égard dans le texte de loi, que la notion de « contemporanéité » constitue un ajout à l’article de la loi et ne saurait constituer un argument suffisant permettant d’invalider, sur ce seul aspect, la procédure d’évaluation médicale prévue à ces articles.  En effet, il n’est pas du ressort du tribunal d’apprécier cette notion en termes de délai.  Cette notion de « contemporanéité » doit-elle s’apprécier par un délai de deux mois, de cinq mois, de dix mois ?  Ou ne serait-ce pas en termes de jours dans certains cas, si la maladie d’un travailleur évolue plus rapidement ? 

 

[45]        Le tribunal estime que si un employeur décide de contester, par une expertise antérieure, les conclusions du médecin qui a charge, le délai entre ces deux rapports constituera un élément à retenir dans l’appréciation de la force probante de cette expertise pour dégager la conclusion à laquelle parviendra le membre du Bureau d’évaluation médicale ou encore le tribunal s’il est saisi de la question.  Toutefois, ce seul délai ne saurait invalider la procédure en elle-même sur ce seul motif.

 

[52]      Le tribunal ajoute que dans le présent dossier, il n’aurait pas été utile pour l’employeur de produire une expertise plus récente par le docteur Potvin puisque ce dernier concluait déjà en juin 2008 que la lésion professionnelle de la travailleuse était consolidée sans séquelles. Il ne suggérait pas d’investigation supplémentaire et il ne réservait aucunement son avis. La lésion professionnelle de la travailleuse n’évolue pas d’une façon particulière par la suite. De l’avis du tribunal, l’employeur n’avait pas l’obligation d’obtenir un nouveau rapport qui infirme les conclusions du médecin qui a charge de la travailleuse dans ce contexte.

 

[53]      Le tribunal conclut que la procédure d’évaluation médicale est régulière et que l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale est valide.

________________

4              [2005] C.L.P. 1103 .

5              Côté et C.H. Université de Montréal, C.L.P. 239915-64-0407, 20 juin 2006, R. Daniel.

 

 

[68]      Le tribunal constate que le juge administratif dans cette affaire réfère au critère de « l’utilité » ou non de produire une expertise plus récente en fonction d’une condition qui aurait pu évoluer. Il conclut dans cette affaire qu’il n’aurait pas été utile de le faire compte tenu de la situation particulière de son dossier.

[69]      Des décisions plus récentes ont réintroduit l’exigence d’une certaine contemporanéité et surtout d’une corrélation entre l’examen du médecin désigné par l’employeur et les questions médicales en litige dans le rapport que l’employeur désire contester.

[70]      Ainsi, dans l’affaire Gennarelli et Di Tech inc.[7], la juge administrative énonçait ce qui suit :

[48]      La procureure de la travailleuse soumet de la jurisprudence2 portant sur la nécessité que le rapport du médecin désigné soit contemporain au rapport contesté aux fins de soumettre le tout au Bureau d'évaluation médicale.

 

[49]      Il ressort de la jurisprudence que l’article 212 de la loi n’impose pas l’obligation à l’employeur du moment où il doit obtenir un rapport d’un médecin désigné pour soumettre le tout au Bureau d'évaluation médicale. Non plus, cette disposition ne prévoit pas de délai, qu’il soit antérieur ou postérieur au rapport contesté, dans lequel l’employeur doit obtenir un rapport de son médecin désigné. Toutefois, la jurisprudence s’accorde pour souligner qu’il doit y avoir une certaine contemporanéité entre les deux rapports. Sans imposer toutefois que ce rapport soit contemporain, il ressort de la jurisprudence qu’il doit exister une corrélation entre les observations du médecin désigné par l’employeur et l’état du dossier au moment où le rapport contesté est produit. Chaque situation s’apprécie selon les circonstances particulières du cas.

 

[50]      En l’espèce, il appert que dans son rapport du 11 octobre 2005, le docteur Potvin recommandait une investigation pour éliminer d’autres pathologie. Cette investigation a eu lieu par la suite et n’a donc pas été considérée par le docteur Potvin puisqu’il n’a pas réexaminé la travailleuse par la suite et n’a pas produit de rapport complémentaire à la suite de son rapport du 11 octobre 2005.

 

[51]      De plus, l’employeur n’a pas cru bon de demander que le dossier soit soumis au Bureau d'évaluation médicale à l’époque où il a obtenu l’expertise du docteur Potvin. En agissant de la sorte, l’employeur avait en quelque sorte accepté d’être lié par l’opinion du médecin traitant conformément aux dispositions de l’article 224 de la loi. Il a enclenché la procédure d'évaluation médicale après que la Commission des lésions professionnelles ait rendu une décision le 13 novembre 2006 reconnaissant que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 21 septembre 2005 entraînant une entorse cervicale et un étirement musculaire.

 

[52]      L’analyse des faits de l’espèce amène la Commission des lésions professionnelles à conclure que le rapport du médecin désigné par l’employeur suivant l’article 209 de la loi n’est pas suffisamment contemporain au rapport contesté émis par le docteur Ciricillo le 23 janvier 2007.

 

[53]      Les 16 mois qui séparent les deux rapports ne permettent pas de respecter le sens de la loi qui, à son article 212, permet à l’employeur de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale après que le professionnel de la santé qu’il désigne ait examiné le travailleur. En l’espèce, l’examen de la travailleuse réalisé par le docteur Potvin est si éloigné de la date du rapport contesté que ce médecin désigné par l’employeur n’a pu prendre connaissance de l’évolution médicale et émettre une opinion sur la condition de la travailleuse en 2007.

____________________

2        Redburn et Ville de Montréal, C.L.P. 107119-63-9811, 25 novembre 1999, J.-L. Rivard; Meubles LT enr. et Granbois et CSST, C.L.P. 144934-62B-0008, 23 mars 2001, Alain Vaillancourt; Bélanger et Les entreprises GBL électriques inc., C.L.P. 196246-64-0212, 7 août 2003, M. Zigby; Proulx et Action Ford ltée, C.L.P. 187083-07-0206, F. Poupart; Majeau et Acier Leroux inc., C.L.P. 200906-62B-0303, 12 septembre 2003, Alain Vaillancourt.

[Notre souligné]

 

 

[71]        Plus récemment encore, dans l’affaire Sagala, précitée et rendue en 2010, la juge administrative reprend le raisonnement de l’affaire Redburn et l’exigence de la contemporanéité, particulièrement dans un contexte où la condition de santé du travailleur a évolué entre les deux rapports et en y discutant de la question de la réserve de compétence du médecin qui est en attente du résultat d’un examen particulier :

[35]      La Commission des lésions professionnelles s’est d’ailleurs déjà prononcée à ce sujet. Dans l’affaire Redburn et Ville de Montréal2, le médecin de l’employeur, qui avait rédigé une expertise après avoir examiné une travailleuse, a modifié les conclusions de cette expertise, dans un rapport subséquent, après avoir pris connaissance des résultats d’un examen par tomodensitométrie lombaire, et ce, sans effectuer un nouvel examen médical de cette travailleuse. L’employeur avait enclenché la procédure d’évaluation médicale sur production de ce rapport subséquent. Après avoir procédé à une revue de la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles sur cette question, la Commission des lésions professionnelles a conclu que le défaut d’avoir procédé à un nouvel examen de la travailleuse constituait une irrégularité emportant l’annulation de la procédure d’évaluation médicale.

 

[36]      Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Nous sommes effectivement en présence d’un employeur qui a engagé le processus d’évaluation médicale en déposant une note médicale rédigée par son médecin sans que ce dernier n’ait à nouveau examiné le travailleur. La procédure d’évaluation médicale basée sur cette note médicale complémentaire est donc, de l’avis du présent tribunal, entachée d’une irrégularité de nature à la rendre nulle. En outre, le docteur Kornacki n’a pu constater si le travailleur présentait à nouveau une ankylose relative de la colonne dorsolombaire ou une sensibilité au niveau de la jonction dorsolombaire à D12 et à la palpation des 11e et 12e côtes du côté droit. Il n’a pu vérifier si les mouvements de la colonne dorsolombaire du travailleur étaient toujours limités.

 

[37]      Par ailleurs, à la rubrique « soins et traitements » de son expertise du 16 novembre 2009, le docteur Kornacki indique qu’il est « d’avis que le patient doit être investigué davantage, afin de déterminer la raison de son ankylose, soit une hernie discale, soit une autre lésion occulte » et que, pour cette raison, il « recommande une imagerie par résonance magnétique de la colonne dorsale et lombaire ». Or, le tribunal constate que les résultats des imageries par résonance magnétique pratiquées le 25 novembre 2009 ne font pas état d’une telle « autre lésion ». On ne peut donc expliquer pourquoi les conclusions du docteur Kornacki ont été modifiées, d’autant plus qu’à son examen du 16 novembre 2009, il ne note aucun signe de discordance.  

 

 

[38]      De plus, la dernière phrase de l’expertise docteur Kornacki du 16 novembre 2009 est la suivante: « ceci est toutefois à réévaluer lorsque j’aurai pris connaissance de son imagerie par résonance magnétique ». Compte tenu de la mise en page de cette expertise, qui place cette phrase à la rubrique « limitations fonctionnelles », et compte tenu du libellé de celle-ci, le tribunal n’est pas en mesure de déterminer précisément si le docteur Kornacki fait ici référence uniquement aux limitations fonctionnelles ou à l’ensemble de ses conclusions. N’étant pas à l’audience pour apporter un éclairage quant à la teneur de ces propos, le tribunal ne peut que constater la présence d’une ambiguïté quant à l’intention du docteur Kornacki à cet égard. S’il fait référence uniquement aux limitations fonctionnelles, le tribunal s’explique difficilement en quoi les résultats des résonances magnétiques du 25 novembre 2009 peuvent justifier une modification des conclusions sur cet aspect en l’absence d’un nouvel examen du travailleur.

 

[39]      Il est à noter que l’expertise du docteur Kornacki du 16 novembre 2009 n’aurait pu donner lieu à une demande d’avis du Bureau d'évaluation médicale en l’absence de litige entre les conclusions de ce rapport et celles du médecin qui a charge du travailleur. 

 

[40]      Ainsi, compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la procédure d’évaluation médicale amorcée par le dépôt de la note médicale complémentaire du docteur Kornacki du 7 décembre 2009 est irrégulière et que la décision rendue par la CSST le 25 février 2010, laquelle fait suite à l’avis émis par le docteur Hébert du Bureau d'évaluation médicale postérieurement à l’examen qu’il a effectué le 9 février 2010, doit être annulée. Pour les mêmes motifs, la décision de la CSST rendue le 26 mars 2010 à la suite d’une révision administrative, à l’origine du présent litige, doit être infirmée. 

 

[41]      En conséquence, la CSST est liée par les conclusions du médecin qui a charge du travailleur, conformément à l’article 224 de la loi.

_________________

2       C.L.P. 107119-63-9811-C, 9 décembre 1999, J. L. Rivard.

[Notre souligné]

 

 

 

 

 

[72]        Le tribunal constate que la jurisprudence n’est pas unanime sur la question. S’il est exact qu’un fort courant est d’avis que l’article 212 de la loi n’impose pas à l’employeur un délai pour d’obtention du rapport de son médecin désigné, un courant très significatif exige qu’un examen médical pertinent aux questions en litige ait été fait par ce dernier de manière contemporaine.

[73]        Plusieurs décisions réfèrent à la particularité des faits de chaque dossier pour appliquer ou non l’exigence de la contemporanéité du rapport ou de la corrélation entre l’examen du médecin désigné et les questions en litige. On souscrit plus facilement au principe de la contemporanéité si on constate que l’examen du médecin désigné n’a que peu de corrélation avec les questions en litige alors qu’on n’y souscrira pas si le passage du temps n’a aucune influence sur l’opinion du médecin désigné. Comment concilier ces principes qui se valent, tout en semblant contradictoires.

[74]        Le tribunal constate que le texte de l’article 212 fait référence à un rapport médical précis qui peut être contesté par l’employeur. Le principe de base de la loi prévu aux articles 224 et 224.1 est que la CSST et toutes les parties sont liées par l’opinion du médecin qui a charge du travailleur, à moins qu’un avis du BEM ait été obtenu.

[75]        Le législateur a imposé deux exigences à l’employeur. Il doit se désigner un médecin et ce dernier doit examiner le travailleur dans le but de confirmer ou d’infirmer les conclusions du médecin qui a charge figurant dans le rapport médical que l’employeur désire contester.

[76]        Le tribunal est d’avis que l’on doit tenir compte de l’intention du législateur lorsqu’il a introduit cette disposition dans la loi. Il envisageait certainement que les deux médecins examinent une même condition médicale. Ça tombe sous le sens. De l’avis du tribunal, ce n’est pas faire preuve d’un formalisme excessif que de s’assurer que la procédure imposée par le législateur soit appliquée selon le texte de l’article 212, son esprit et les exigences imposées par le législateur.

[77]        Suivre une certaine tendance jurisprudentielle voulant que l’on puisse utiliser un seul examen fait au début du processus pour contester tous les rapports subséquents qui pourraient être émis plusieurs mois ou années plus tard, par le médecin qui a charge, dénature le processus prévu par le législateur.

[78]        Le tribunal considère que le texte même de l’article 212 de la loi réfère à une certaine contemporanéité en exigeant qu’un examen soit fait par le médecin désigné pour contester un rapport précis. On impose même un délai de 30 jours à l’employeur, pour contester ce rapport. Ce que le texte de cet article exige surtout, c’est une corrélation entre l’examen et les questions en litiges figurant au rapport.

[79]        L’article 212 impose également une autre exigence pour initier la procédure devant le BEM, c’est qu’à la suite de l’examen, le rapport obtenu infirme les conclusions du médecin qui a charge.

[80]        Appliquant ces principes aux faits du présent dossier, le tribunal retient que le 24 novembre 2010, le docteur Bertrand a examiné le travailleur et il a produit un rapport le 29 novembre 2010, lequel n’infirmait aucune conclusion du médecin qui a charge du travailleur. Il était, pour l’essentiel, en accord avec le diagnostic, la nécessité de poursuivre des traitements de physiothérapie durant au moins deux mois additionnels puisqu’il constatait une diminution des amplitudes articulaires lors de son examen. Il mentionne clairement qu’il est trop tôt pour qu’il se prononce sur la question de l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[81]        Il est exact, par ailleurs, que le docteur Bertrand mentionne dans son rapport du 29 novembre 2010, qu’il est en attente du résultat de l’imagerie par résonance magnétique et qu’il y aura nécessité de produire un rapport complémentaire lorsqu’il recevra ce rapport. Mais il n’indique pas en quoi le résultat de l’imagerie aura une influence sur son opinion et il ne réserve pas son opinion sur aucune question particulière. Il mentionne qu’il a besoin du résultat de ce rapport pour pouvoir inscrire des conclusions objectives, mais sans préciser lesquelles.

[82]        Dans son rapport du 25 février 2011, le tribunal retient que le résultat de la résonance magnétique a été utile pour exclure la possibilité que le travailleur présente un écrasement du corps vertébral traumatique ou une hernie discale. Mais ces hypothèses étaient déjà présumées lorsqu’il a retenu le seul diagnostic probable d’entorse lombaire, lors de son premier examen.

[83]        Sur la question de la consolidation de la lésion, il semble utiliser le résultat de l’examen d’imagerie par résonance magnétique pour conclure que l’entorse lombaire est consolidée, sans que la condition globale du travailleur ne le soit. Il attribue la nécessité de traitements additionnels à des conditions personnelles révélées par l’examen d’imagerie par résonance magnétique et consolide la lésion sur la base d’une période moyenne de durée de consolidation pour des conditions d’entorse lombaire.

[84]        Étrangement toutefois, il fixe une date de consolidation au 28 janvier 2011 parce qu’elle coïncide avec le fait qu’un nouveau diagnostic de trouble d’adaptation a été posé par le médecin qui a charge à cette même date. Le tribunal ne voit pas le rapport entre ces deux éléments.

 

[85]        Il est en preuve que le travailleur a reçu une infiltration le 1er février 2011, le docteur Bertrand ne commente pas la nécessité ou non de cette infiltration. Il serait un peu illogique de considérer que le traitement était approprié alors que la condition du travailleur était consolidée le 28 janvier 2011. Le docteur Bertrand n’a jamais mentionné que l’infiltration n’était pas nécessaire.

[86]        De toute évidence, cette date de consolidation n’a aucune correspondance logique avec la condition du travailleur. C’est d’ailleurs l’opinion qui a été exprimée par le membre du BEM face à cette date fixée de façon plutôt arbitraire.

[87]        Sur la question de l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le docteur Bertrand reconnaît qu’il y avait nécessité de revoir le travailleur pour se prononcer sur ces questions et ça se conçoit très bien. Il y a nécessité d’examiner le travailleur à nouveau afin de connaître le degré d’évolution de sa condition, après deux mois additionnels de traitements. S’il y avait exigence d’un nouvel examen pour qu’il se prononce sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles pourquoi n’en serait-il pas de même pour fixer la date de consolidation. Comment le docteur Bertrand peut-il décider que les traitements suggérés ont donné les résultats escomptés sans nouvel examen du travailleur?

[88]        Comment, surtout, peut-il contester les conclusions du médecin qui a charge qui font état d’une aggravation de la condition du travailleur le 28 janvier 2011, à la suite du retour progressif au travail et d’une entorse lombaire avec lombalgie chronique réfractaire le 28 février 2011, dans le rapport contesté, si le docteur Bertrand ne l’a pas revu après le 24 novembre 2010? Le docteur André soulève avec justesse cette question dans son rapport complémentaire.

[89]        Le tribunal ne prétend pas que dans tous les cas un nouvel examen soit nécessaire. Tel que mentionné lors de l’audience, si le docteur Bertrand avait réservé son opinion sur une question précise, tel que le diagnostic en attendant le résultat de l’examen d’imagerie par résonance magnétique pour exclure ou confirmer un diagnostic, la question aurait été tout autre, puisque la situation du travailleur n’aurait pas évolué et son examen serait demeuré en corrélation avec les questions en litige.

[90]        Mais dans le cas qui nous occupe, la situation du travailleur est tout autre. La condition du travailleur a évolué entre le 24 novembre 2010 et le 28 février 2011, date du rapport que l’employeur désire contester, le portrait est différent et nécessite, pour que soit respecté les dispositions de l’article 212, qu’un nouvel examen ait lieu pour pouvoir initier la procédure d’arbitrage médical.

 

[91]        Pour ces différents motifs, le tribunal conclut que l’employeur n’a pas respecté la procédure prévue à l’article 212 de la loi pour initier la procédure de contestation médicale, puisqu’il n’a pas obtenu un rapport de son médecin désigné qui, après examen, infirmait les conclusions du médecin qui a charge se trouvant dans le rapport qu’il désirait contester.

[92]        Ainsi, compte tenu de ce qui précède, le tribunal conclut que la procédure d’évaluation médicale initiée par le dépôt du rapport complémentaire du docteur Bertrand, en date du 25 février 2011, est irrégulière et que les décisions rendues par la CSST à la suite de cet avis doivent être annulées.

[93]        Cette décision a pour effet de replacer les parties dans l’état où elles étaient avant la demande de l’employeur de soumettre le dossier au BEM.

[94]        À cette période, la lésion professionnelle du travailleur, dont le diagnostic a été reconnu par la CSST, soit une entorse lombaire, n’était pas consolidée. Toutefois, à la suite de l’avis du BEM du 18 avril 2011, le médecin qui a charge du travailleur, le docteur André, a produit un rapport final le 24 mai 2011, dans lequel il consolide la lésion à la date retenue par le BEM. Il mentionne que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles telles que reconnues par le BEM. Ce rapport final fait l’objet de la deuxième question préliminaire du travailleur.

Deuxième question préliminaire

[95]        Le procureur du travailleur soulève une deuxième question préliminaire, il allègue que le rapport final n’est pas un véritable rapport final puisque le médecin qui a charge n’a pas vraiment décidé de consolider la lésion du travailleur, il rédige ce rapport en réaction à l’avis du BEM, tant pour la date de consolidation qu’il fixe rétroactivement à la même date que le BEM, que pour l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles où il réfère les parties à l’avis du BEM. Il soumet finalement que c’est le docteur Bouthillier qui a procédé aux infiltrations qui auraient dû produire le rapport final puisqu’il est le spécialiste.

[96]        Le procureur du travailleur plaide également que ce rapport final est irrégulier puisque le médecin qui a charge n’a pas informé le travailleur de son contenu sans délai, tel que le prévoit l’article 203 de la loi.

 

 

[97]        En premier lieu, le tribunal écarte la prétention du travailleur voulant que ce soit le docteur Bouthillier qui devait produire le rapport final s’il y avait lieu. La preuve révèle que c’est le docteur André qui assure le suivi du travailleur depuis le début du processus, qui le réfère au docteur Bouthillier et qui assure le suivi après ladite infiltration. C’est lui qui complète le Rapport complémentaire exigé du médecin qui a charge. C’est lui qui a demandé tous les examens dans le dossier. En aucun moment, le docteur André n’abdique son rôle et il est demeuré le médecin qui a charge, de l’avis du tribunal.

[98]        Relativement à la prétention du travailleur voulant que le docteur André n’ait pas véritablement consolidé la lésion du travailleur au 12 avril 2011 étant donné que ce dernier a continué à lui prodiguer des soins après la date de consolidation de la lésion, encore ici, le tribunal ne partage pas le point de vue du travailleur.

[99]        Le tribunal retient en effet qu’à la suite de la production du rapport final du 24 mai 2011 qui suit l’avis du BEM, les rapports médicaux subséquents du docteur André ne concernent plus l’entorse lombaire, mais uniquement la lésion psychique. Ce n’est que le 11 octobre 2011 que le docteur André reprend ce diagnostic en mentionnant que la condition de l’entorse lombaire avec séquelles s’est exacerbée récemment alors que le travailleur est en réorientation. Il fait état d’un ajustement de la médication à ce moment et considère reprendre la physiothérapie.

[100]     Le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante permet de conclure que le docteur André était en accord avec la date de consolidation proposée par le BEM, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles puisqu’à partir de ce moment, il n’a pas suivi le travailleur pour sa condition physique, mais plutôt pour sa condition psychique. Il n’a pas recommandé de traitements de physiothérapie durant cette période. Ce n’est qu’en date du 11 octobre 2011, que le docteur André constate que la condition du travailleur s’aggrave et qu’il évalue la possibilité de reprendre les soins.

[101]     Reste à décider de la dernière question, soit le fait que le docteur André n’ait pas informé le travailleur du contenu du rapport final complété le 24 mai 2011.

[102]     Le témoignage du travailleur à ce sujet n’a pas été contredit quant au fait que le docteur André ne l’a pas informé du contenu de ce rapport. Les notes de consultation du docteur André pour cette même date du 24 mai 2011 ne font pas référence au rapport final. Il semble que le document ait été complété en l’absence du travailleur, selon le témoignage de ce dernier.

[103]     Le tribunal doit décider si cette omission d’informer le travailleur emporte l’irrégularité du rapport final.

[104]     Dans l’affaire Bouchard et Vitro Plus Ziebart[8] rendue récemment, on a considéré que le fait de ne pas avoir transmis le rapport d’évaluation médicale (REM) du médecin qui a charge du travailleur ne le rendait pas irrégulier et qu’il s’agissait d’une condition de forme qui bien qu’elle n’ait pas été respectée par le médecin qui a charge, ne permettait pas au travailleur de contester les conclusions de ce dernier.

[105]     À l’effet contraire, une décision récente dans l’affaire Poulin et CRT-Hamel[9] considérait que cette obligation de transmission du rapport d’évaluation médicale n’était pas qu’une simple formalité, mais une question de fond.

[67]      Tous ces éléments amènent le tribunal à conclure que le docteur Duquette n’a pas révélé au travailleur le 3 décembre 2009 le contenu de son rapport d’évaluation médicale rédigée en janvier 2010.

 

[68]      Il ressort de ces faits que le docteur Duquette ne s’est pas conformé à l’exigence prévue au dernier alinéa de l’article 203 de la loi. Il n’a pas informé le travailleur du contenu de son évaluation.

 

[69]      Dans l’affaire Latulippe et CSST7, le tribunal rappelle cette obligation du médecin et souligne ce qui suit :

 

[53]        Dans l’affaire Lapointe et Sécuribus inc.7, la Cour d’appel, par l’opinion du juge Dalphond, mentionne ceci quant à l’obligation du médecin qui a charge d’informer le travailleur :

 

[32]         La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l’appelante en juin 1998 était désormais le Dr Roy. Il demeure que l’appelante a allégué dès la décision de la CSST connue, qu’elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l’obligation faite à l’art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l’informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l’allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr Roy ne pouvait lier l’appelante en vertu de la Loi, car violant l’art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art. 192) et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier.

 

[54]        Dans l'affaire Bergeron et Fondations André Lemaire8, la Commission des lésions professionnelles mentionne ceci quant à l’obligation d’information du médecin qui a charge dans le cadre de l’article 212.1 de la loi9 :

 

[51]         Le second motif qui amène le tribunal à ne pas accorder un caractère liant à l’information médicale complémentaire écrite du docteur Dextradeur réside dans le fait que la procédure de l’article 212.1 de la LATMP n’a pas été respectée notamment en ce qui concerne l’obligation du médecin qui a charge d’informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport. Cette exigence n’est pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond compte tenu des conséquences qu’a l’opinion du médecin qui a charge sur les droits du travailleur. Cette étape est le seul moment où le travailleur a l’occasion de faire valoir son point de vue et d’exercer le droit qui lui est dévolu à l’article 192 de la LATMP d’avoir recours au médecin de son choix si jamais il est en désaccord avec le contenu de ce rapport.

 

[55]        Le tribunal considère que le Rapport complémentaire du docteur Maurais n’est pas suffisamment motivé et n’a pas le caractère liant nécessaire pour éviter une procédure d’évaluation médicale. De plus, le tribunal retient que le docteur Maurais avait l’obligation d’aviser sans délai le travailleur du contenu de son rapport et il n’a pas respecté ce qui est prévu par la loi quant à cet aspect.

 

[56]        Le tribunal est donc d’avis d’annuler le Rapport complémentaire du docteur Maurais et de retourner le dossier à la CSST afin de recommencer la procédure d’évaluation médicale. En conséquence, les décisions rendues par la CSST les 16 décembre, 18 décembre et 21 décembre 2009 sont annulées.

____________

7    C.A. Montréal : 500-09-013413-034, 2004-03-19, jj. Forget, Dalphond, Rayle.

8    C.L.P. 334647-71-0712, 9 avril 2009, J.-C. Danis.

9    Cette disposition de la loi est similaire à ce que prévoit l’article 205.1 de la loi, mais dans le cas d’un rapport provenant du médecin désigné par l’employeur.

 

[70]      Cette exigence du législateur ne constitue pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond, et ce, en raison des conséquences que cela peut avoir sur les droits d’un travailleur.

 

[71]      Or, la procédure d’évaluation ne doit pas prendre par surprise un travailleur comme cela est survenu dans le présent dossier. Le contexte entourant le dépôt par le docteur Duquette à la CSST le 19 janvier 2010 d’un rapport d’évaluation médicale, sans que le travailleur en reçoive une copie et qu’il ait eu l’occasion d’en discuter de nouveau avec ce dernier, ne rencontre pas les exigences du législateur.

 

[72]      Devant une telle situation, le tribunal n’a d’autre choix que de conclure, tout comme l’a reconnu implicitement le docteur Duquette le 25 février 2010, que son rapport ne liait pas la CSST. Ce médecin a d’ailleurs demandé que l’évaluation des séquelles permanentes soit effectuée par un médecin désigné par la CSST.

 

[…]

__________

2        Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry; Brochu et Groupe Optivert inc., C.L.P. 184035-05-0205, 7 février 2007, F. Ranger; Scierie Parent et Duguay, [2007] C.L.P. 872 , révision rejetée, C.L.P. 271310-04-0509, 24 octobre 2008, J.M. Dubois (08LP-156); Gaudreault et Technologies Directes P.G. inc., [2008] C.L.P. 513 ; Desrosiers et Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, C.L.P. 375761-08-0904, 13 mai 2010, P. Champagne.

3        Lapointe c. C.L.P., C.A. Montréal, 50009-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle, (03LP-313).

4        2011 QCCLP 909 .

5        [1987] 119 G.O. II, 5576.

6        Précitée note 4.

7        2010 QCCLP 7325 .

 

 

 

 

[106]     Dans l’affaire Geoffrey et Guy Millaire & fils inc. (fermé)[10], également une décision récente, le soussigné, après une revue de la jurisprudence sur la question, en venait à la conclusion que le fait de ne pas transmettre au travailleur le rapport complémentaire constitue un vice de fond. Dans le présent dossier, il ne s’agit ni du Rapport d’évaluation médicale, ni du Rapport complémentaire, mais bien du Rapport final.

[107]    Le tribunal constate toutefois que bien qu’il s’agisse de rapports différents, l’obligation d’information prévue au texte de l’article 212.1 qui concerne le Rapport complémentaire est la même que celle prévue dans le texte de l’article 203, se rapportant au Rapport final. Cette obligation d’information n’apparaît pas pour le Rapport sommaire (article 200), le Rapport d’évolution (article 201) ou le Rapport d’information médicale complémentaire, prévu à l’article 202 de la loi.

[108]    Le tribunal retient qu’en fonction de l’importance des effets juridiques qui se rattachent aux différents rapports, le législateur impose au médecin qui a charge une obligation d’information au travailleur pour les rapports ayant les effets juridiques les plus importants alors qu’il ne l’impose pas pour d’autres.

[109]    Non seulement le travailleur doit-il être informé, mais il doit être informé sans délai. Le tribunal doit donner effet à cette disposition législative claire. Dans un tel contexte, il ne peut souscrire à l’interprétation que cette obligation d’information n’est qu’une formalité qui peut être ignorée sans conséquence et il ne peut, en présence de textes similaires conclure que l’omission d’informer le travailleur du contenu du Rapport complémentaire n’entraîne pas les mêmes conséquences que l’omission qui se rapporte au Rapport final. En présence de textes similaires, il y a présomption que les termes utilisés ont le même sens[11] :

Dans Schwartz c. Canada, le juge La Forest a exprimé la même idée comme suit :

 

Selon un principe d’interprétation bien établi, les termes employés par le législateur sont réputés avoir le même sens dans chacune des dispositions d’ne même loi […] Comme pour tout principe d’interprétation, il ne s’agit pas d’une règle, mais d’une présomption qui doit céder le pas lorsqu’il ressort des circonstances que telle n’était pas l’intention du législateur. »123

_____________

123     Schwartz c. Canada, [1996] 1. R.C.S. 255, p. 298

 

 

 

 

 

[110]     Le tribunal ne retrouve pas dans le texte des différents articles d’indication que le législateur s’attend à ce que l’on interprète différemment l’obligation d’information dévolue au médecin qui a charge, selon qu’il s’agisse du rapport complémentaire ou du rapport final.

[111]     Pour ces motifs, le tribunal partage l’avis exprimé par son collègue dans l’affaire Poulin, précitée, et retient que l’obligation d’information est une condition de fond qui se rattache à la validité du rapport final et à son caractère liant pour la CSST et toutes les parties, et en conséquence considère irrégulier et nul le rapport final complété le 24 mai 2011 par le docteur Barnave André.

[112]     Dans les circonstances, le tribunal ayant déclaré irrégulière la procédure d’arbitrage ayant conduit à l’avis du BEM, il se doit également de prononcer l’annulation des décisions qui font suite à cet avis et il doit replacer les parties dans la situation où elles étaient avant cet avis. Cette décision emporte donc l’annulation des décisions de la CSST du 21 juin 2011 en révision administrative entérinant l’avis du BEM et portant sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[113]     Le tribunal en en venant à la conclusion que le rapport final a été irrégulièrement produit, doit retourner le dossier à la CSST afin que la date de consolidation de la lésion soit déterminée selon les exigences de la loi, soit par une demande au médecin qui a charge ou soit selon les autres formalités prévues par la loi et au besoin, le processus d’évaluation médicale repris, selon ces mêmes règles.

[114]     Compte tenu de cette annulation, la partie de la décision de la CSST du 21 juin 2011 en révision administrative portant sur le droit à la réadaptation doit également être annulée puisque cette référence en réadaptation est prématurée en l’absence de consolidation de la lésion selon les règles. Il en est de même de la décision portant sur la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable. La décision rendue par la CSST, le 20 septembre 2011, est infirmée parce que prématurée.

[115]     Reste la décision de la CSST rendue en révision administrative le 26 juillet 2012 et portant sur la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation le 28 mars 2012. Comme le tribunal ne peut anticiper la date de consolidation qui sera retenue pour l’événement initial, il ne peut disposer de ces litiges et réserve les droits des parties sur cette question tout comme pour la décision rendue par la CSST le 7 mars 2011 et portant sur le nouveau diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse qui n’est pas visée par la présente décision préliminaire qui fera l’objet d’une nouvelle convocation des parties.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossiers 444532-63-1107 et 444980-63-1107

ACCUEILLE les deux questions préliminaires soulevées par monsieur Serge Lemieux, le travailleur;

ACCUEILLE la requête du travailleur;

REJETTE la requête de Otis Canada inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 21 juin 2011, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE irrégulière la procédure d’évaluation médicale initiée par le dépôt du rapport complémentaire du docteur Bertrand, en date du 25 février 2011;

DÉCLARE IRRÉGULIER le rapport final complété par le docteur Barnave André, le 24 mai 2011;

DÉCLARE que la lésion professionnelle d’entorse lombaire n’est toujours pas consolidée et qu’il est prématuré que la Commission de la santé et de la sécurité du travail se prononce sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles du travailleur;

DÉCLARE que la décision portant sur l’atteinte permanente de monsieur Serge Lemieux, le travailleur, est prématurée;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que soit complété le processus d’évaluation médicale.

Dossier 449924-63-1109

ACCUEILLE les deux questions préliminaires soulevées par monsieur Serge Lemieux, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 20 septembre 2011;

DÉCLARE que la décision portant sur la capacité du travailleur à exercer l’emploi de mécanicien d’entretien d’ascenseur est prématurée.

Dossier 447909-63-1108

 

ACCUEILLE les questions préliminaires soulevées par monsieur Serge Lemieux, le travailleur, et le droit à la réadaptation du travailleur est prématuré;

 

INFIRME en partie la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 28 juillet 2011 en révision administrative;

 

RÉSERVE le droit des parties quant au diagnostic de trouble d’adaptation et sa relation avec la lésion professionnelle;

 

RECONVOQUE les parties afin que la Commission des lésions professionnelles dispose de la requête de Otis Canada inc., l’employeur, dans le dossier 478682-63-1208 quant au volet trouble d’adaptation et sa relation avec la lésion professionnelle.

 

Dossier 478682-63-1208

 

ACCUEILLE les questions préliminaires soulevées par monsieur Serge Lemieux, le travailleur;

 

RÉSERVE le droit des parties quant à la requête de monsieur Serge Lemieux, le travailleur, déposée dans ce dossier;

 

RECONVOQUE les parties afin que la Commission des lésions professionnelles dispose des contestations dans ce dossier, soit la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation le 28 mars 2012.

 

 

 

 

__________________________________

 

Daniel Pelletier

 

 

 

Me Pierre-Alexandre Clermont

Services juridiques Denis Monette

Représentant du travailleur

 

Me André Royer

Borden Ladner Gervais

Représentant l’employeur

 

Me Myriam Sauviat

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la partie intervenante

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Sagala et Toitures Continental enr., 2010 QCCLP 7784 ;

[3]           Ganotec mécanique et Tanguay, C.L.P. 210665-62-0306, 2 septembre 2004, R. L. Beaudoin.

[4]          [2003] C.L.P. 448 .

[5]           C.L.P. 214708-71-0308, 28 octobre 2004, C. Racine; voir également au même effet Huppé et Hôpital St-Luc (Pavillon), C.L.P. 171887-62-0111 et al., 25 novembre 2003, H. Marchand.

[6]           2010 QCCLP 399 .

[7]           2008 QCCLP 5341 .

[8]           2012 QCCLP 2817 .

[9]          2011 QCCLP 5996 , confirmée en révision 2012 QCCLP 3078 .

[10]         2012 QCCLP 5218 .

[11]         Interprétation des lois, 3e édition, Pierre-André CÔTÉ, Les Éditions Thémis, 1999, p. 420.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.