Décision

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Gabarit EDJ

Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles

2014 QCCS 6379

 

JO 0267

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N°:

200-17-019337-138

 

 

 

DATE :

16 décembre 2014

______________________________________________________________________

 

L’HONORABLE SUZANNE OUELLET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, personne morale constituée par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (RLRQ, chapitre S-2.1), ayant son siège au 524, rue Bourdages, Québec, province de Québec,  G1K 7E2, district de Québec;

 

Requérante

 

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES, tribunal administratif constitué par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ, chapitre A-3.001), ayant son siège au 900, Place D’Youville, bureau 700, Québec, province de Québec, G1R 3P7, district de Québec;

 

Intimée

 

Et

 

9069-4654 QUÉBEC INC., faisant affaires sous le nom de SUPERVAC 2000, ayant un établissement au 1043, rue Renault, Saint-Jean-Chrysostôme, province de Québec, G6Z 1B6, district de Québec;

 

Mise en cause

 

JUGEMENT

 

1.         Contexte

[1]   La CSST se pourvoit en révision judiciaire d’une décision du 28 octobre 2013 rendue par Ann Quigley, juge administrative. Elle soumet que cette décision est « à sa face même irrationnelle, incohérente et déraisonnable ».

[2]   En somme, la CSST reproche d’avoir statué selon l’article 326(1) au lieu de l’article 326(2) de la LATMP tel que l’a demandé l’employeur.

[3]   Selon la CSST, cette décision contrevient aussi aux principes de justice naturelle.

[4]   À ce titre, elle allègue ce qui suit :

« 85. La CSST pouvait en outre avoir l’attente légitime que le litige ne soit pas détourné sur l’application du premier alinéa de l’article 326 LATMP par la commissaire Quigley en fin d’argumentation;

86.  Cette croyance légitime a conditionné sa décision de ne pas intervenir au dossier comme le lui permet l’article 429.16 LATMP;

87.  Si la CSST avait été informée que le litige porterait sur cette question, elle aurait mandaté ses procureurs afin d’intervenir au dossier en raison de l’importance de cette question;

88.  Elle aurait alors eu l’occasion d’administrer une preuve sur l’impact pour le régime de la position retenue par le tribunal; »[1]

2.         Analyse et décision

[5]   En 2011, Monsieur Nicolas Lessard est soudeur-assembleur pour Supervac 2000.

[6]   Le 15 août 2011, il est victime d’un accident du travail alors qu’il est heurté par un réservoir.

[7]   La CSST accepte sa demande d’indemnisation en lien avec un diagnostic d’entorse cervico-dorsale et de contusions au thorax.

[8]   Le 14 mars 2012, Monsieur Lessard est congédié pour insubordination. Selon la directrice des ressources humaines, l’assignation temporaire autorisée par le médecin de Monsieur Lessard était toujours disponible et l’aurait été jusqu’à la consolidation de la lésion professionnelle[2].

[9]   Le 16 mars 2012, l’employeur dépose à la CSST une demande de transfert de l’imputation du coût de la lésion du travailleur en vertu de l’article 326(2) LATMP. L’employeur allègue que l’imputation à son dossier du coût de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) versée en raison de l’interruption de l’assignation temporaire résultant du congédiement constituerait une injustice au sens de l’alinéa 2 de l’article 326 de la LATMP.

[10]        Sa demande vise donc à faire transférer à l’ensemble des employeurs l’indemnité de remplacement du revenu versé à partir du 15 mars 2012.  

[11]        Le 22 novembre 2012, la CSST rejette la demande de transfert d’imputation de l’employeur. Cette décision est confirmée le 29 janvier 2013 en révision administrative[3]. L’employeur se pourvoit contre cette décision devant la CLP.

[12]        Lors de l’audience devant la CLP, le procureur de l’employeur est invité par la commissaire à soumettre une argumentation écrite concernant l’application de l’article 326(1) LATMP[4].

[13]        L’argumentation de l’employeur est transmise à la CLP le 8 octobre 2013, accompagnée des décisions auxquelles la commissaire a fait allusion au cours de l’audience[5].

[14]        La décision de la CLP rendue le 28 octobre 2013 conclut comme suit :

« [17] ACCUEILLE la requête déposée par Supervac 2000, l’employeur, le 25 février 2013;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 29 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à Monsieur Nicolas Lessard, le travailleur, à compter du 15 mars 2012. »

[15]        En parallèle, le 23 mai 2012, la CSST entérine un avis du Bureau d’évaluation médicale qui conclut que la lésion de Monsieur Lessard est consolidée le 11 mai 2012 et qu’il est capable d’occuper son emploi à compter du 12 mai 2012[6].

[16]        Cette décision est contestée par Monsieur Lessard en révision administrative puis à la Commission des lésions professionnelles (CLP)[7].

[17]        Le 28 mai 2013, la CLP infirme la décision de la CSST faisant suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale. La CLP décide que la lésion professionnelle de Monsieur Lessard n’est toujours pas consolidée, qu’il a droit de recevoir des traitements et qu’il est prématuré de se prononcer sur son déficit anatomo-physiologique, ses limitations fonctionnelles et sa capacité de reprendre l’emploi[8].

[18]        La CLP déclare que Monsieur Lessard a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu depuis le 11 mai 2012.

2.1        La norme de contrôle applicable

[19]        Dans le cadre d’une gestion de l’instance tenue le 17 janvier 2014 devant l’Honorable Jacques Blanchard, j.c.s., les parties conviennent, à juste titre, que la norme applicable est celle de la raisonnabilité.

[20]        En effet, selon les critères développés par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir[9], la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable puisqu’elle porte sur l’application des dispositions de la LATMP plaidée devant un tribunal spécialisé qui jouit d’une clause privative étanche[10].

[21]        Le motif de révision portant sur le respect d’une règle de justice naturelle obéit également à la norme de la décision raisonnable lorsqu’elle est soulevée dans un cadre législatif particulier[11] comme c’est le cas en l’espèce.

[22]        La déférence s’impose.

2.2        Le respect des principes de justice naturelle et d’équité procédurale

[23]        Premièrement, les auditions devant la CLP sont de novo[12].

[24]        Deuxièmement, l’article 377 de la LATMP prévoit ce qui suit :

« 377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contesté et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu. » (soulignements ajoutés)

[25]        La CLP bénéficie donc d’un large pouvoir décisionnel qui n’est pas limité au libellé de la demande d’une partie.

[26]        D’autre part, le pouvoir de « rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu »[13] lui permet d’analyser le litige sous un angle qui n’a pas été débattu devant la CSST ni en révision :

« [71]  Pour le tribunal, la problématique soulevée par la demande de l’employeur d’examiner le dossier non seulement sous l’angle d’un transfert mais également sous l’angle d’un partage ne remet donc pas en jeu la compétence du tribunal mais fait plutôt appel au principe du « de novo » qui caractérise le processus de contestation devant la Commission des lésions professionnelles. »[14]

[27]        Le Tribunal estime enfin que l’objet du débat devant la CLP est demeuré le même. La question en litige devant toutes les instances porte sur le transfert de l’imputation du coût des prestations à l’employeur.

[28]        La CSST exerce un pouvoir de décision sur toute question visée par la LATMP[15] :

« 349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme. »

[29]        La CSST ne peut ignorer les principes précités et se plaindre de n’avoir pu présenter ses arguments alors qu’elle pouvait le faire :

« 429.16. La Commission peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition.

Lorsqu'elle désire intervenir, elle transmet un avis à cet effet à chacune des parties et à la Commission des lésions professionnelles; elle est alors considérée partie à la contestation.

Il en est de même du travailleur concerné par un recours relatif à l'application de l'article 329. » [16]

[30]        Enfin, la CSST fut dûment avisée de l’audition du 13 août 2013. Une copie du document intitulé « Avis d’enquête et d’audition - convocation » lui fut transmise[17].

[31]        Le motif de révision basé sur la contravention aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale est rejeté.

2.3        La décision du 28 octobre 2013 est-elle déraisonnable?

[32]        Le litige porte sur l’application de l’article 326 de la LATMP :

« 326. La Commission impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou d’obérer injustement un employeur.

L’employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d’un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l’année suivant la date de l’accident. »

[33]        Les motifs de la décision sont étayés aux paragraphes 54 à 142.

2.3.1.    L’appréciation de la preuve

[34]        L’appréciation de la preuve par la CLP commande une grande déférence[18]. Il n’appartient généralement pas à une cour de révision de se livrer à un exercice de réévaluation de la preuve[19].

[35]        Le témoignage de Nadine Demers est résumé aux paragraphes 25 à 38 de la décision et la conclusion qu’en tire la CLP est raisonnable.

[36]        Après avoir passé en revue la jurisprudence développée par la CLP sur l’article 326 de la LATMP, la Commissaire applique les principes qu’elle en a dégagés « au cas à l’étude »[20]. Elle écrit :

« [133] À la lumière des principes énoncés précédemment, le tribunal doit maintenant déterminer si le coût des prestations imputé au dossier de l’employeur à compter du 15 mars 2012 doit l’être à son dossier financier.

[134] À ce propos, il appert de l’ensemble de la preuve offerte qu’à compter du 15 mars 2012, l’employeur a dû interrompre l’assignation temporaire puisqu’il venait de congédier le travailleur en raison d’un comportement violent et inadéquat survenu au travail la veille, soit le 14 mars 2012.

[135] La preuve révèle également que l’interruption de l’assignation temporaire est directement reliée au congédiement du travailleur qui, à la suite de celui-ci, n’était plus en mesure de poursuivre l’assignation temporaire qui était pourtant autorisée par son médecin traitant, la docteure Vachon, tel qu’il appert du formulaire d’assignation temporaire du 12 février 2012 dûment rempli.

[136] La preuve offerte convainc le tribunal que cette assignation temporaire était toujours disponible à la date du congédiement, soit le 14 mars 2012, et qu’elle l’aurait été jusqu’à la date de consolidation de la lésion puisqu’il s’agissait d’une série de tâches qui sont disponibles toute l’année compte tenu du roulement de l’entreprise et des spécificités des activités qu’on y exerce. À ce propos, le tribunal accorde une valeur probante au témoignage de madame Demers.

[137] Ceci étant dit, le tribunal en vient à la conclusion, sur la base de l’ensemble de la preuve offerte, que l’interruption de l’assignation temporaire et par conséquent la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu sont reliées à une situation étrangère à l’accident du travail du 15 août 2011 survenue chez l’employeur.

[138] N’eût été cette situation étrangère à l’accident du travail, le travailleur aurait, selon toute probabilité, continué d’effectuer les tâches en assignation temporaire disponibles chez l’employeur et la CSST ne lui aurait versé aucune indemnité de remplacement du revenu. »

[37]        La CSST soumet que l’énoncé du paragraphe 138 relève de « l’art divinatoire ». Il s’agit plutôt d’une déduction découlant de la preuve offerte par l’employeur et d’une conséquence juridique appuyée sur la LATMP.

2.3.2.    Le processus décisionnel

[38]        Le processus décisionnel est rationnel, intelligible et transparent; voici pourquoi :

-      La Commissaire adopte une méthode d’analyse basée sur l’interprétation contextuelle des dispositions législatives[21] :

« En ce sens, dans un premier temps, il apparaît opportun au tribunal de situer l’article 326 dans le contexte global de la loi. »[22]

-      Elle considère, à juste titre, l’interrelation des dispositions législatives traitant du financement[23] :

« […] permet ainsi de mettre en place des modalités assurant la pérennité du régime d’indemnisation. »[24]

-      Elle énumère les principes d’imputation et les exceptions[25];

-      Elle détermine la « portée réelle » de la requête de l’employeur pour déterminer l’article applicable (art. 326(1) ou 326(2) de la LATMP)[26];

-      Elle passe en revue la jurisprudence relativement aux demandes de transfert de l’imputation des coûts[27];

-      Elle expose la controverse jurisprudentielle existant au sein de la CLP :

« [91] Devant cet état de fait, quelques décideurs de la Commission des lésions professionnelles ont exploré une autre approche visant à établir la proportion significative des coûts en considérant le régime financier auquel un employeur est assujetti. Il ne s’agit que de quelques décisions et l’on ne peut donc parler de courant jurisprudentiel. Cependant, il ressort d’une analyse de ces décisions une variabilité de paramètres dépendamment du régime auquel est assujetti l’employeur et des différents critères qui sont considérés, tels que les facteurs de chargement, la limite par réclamation choisie par l’employeur au régime rétrospectif, l’ajustement provisoire versus l’ajustement définitif de la cotisation, etc. Il va sans dire que le choix des paramètres retenus influera sur le sort du litige.

[92] Parallèlement à cette situation, notre revue de la jurisprudence révèle que depuis 2003, quelques décisions ont été rendues, traitant de ce type de demande en ayant recours au premier alinéa de l’article 326 de la loi plutôt qu’au deuxième alinéa. Pour ces décideurs, il apparaît plus logique de procéder par le premier alinéa de l’article 326 de la loi puisque les prestations imputées, que l’employeur veut voir retirer de son dossier financier, ne sont pas directement dues en raison de l’accident du travail.

-      Elle interprète l’article 326(2)[28] pour conclure qu’il vise « les situations de transfert total du coût lié à des éléments relatifs à l’admissibilité même de la lésion professionnelle »[29] :

« [108] De plus, un autre élément permet au tribunal de conclure que le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi vise un transfert total des coûts et non un transfert partiel. Il s’agit du délai prévu pour effectuer une telle demande.

[…]

[112] Dans le cas à l’étude, puisqu’il ne s’agit pas d’une demande de transfert total, le tribunal en vient à la conclusion qu’il faut l’analyser en vertu du principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi. »

-      Elle interprète aussi les termes de l’article 326(1)[30] pour conclure ce qui suit :

« [122] À la lumière des définitions énoncées plus haut et des décisions auxquelles il est fait référence, le tribunal est d’avis que l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail » que l’on retrouve au premier alinéa de l’article 326 de la loi présuppose qu’il doit exister un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail.

[123] Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur. »[31]

-      Elle distingue le droit à l’indemnisation et l’imputation des coûts[32];

[39]        Aux paragraphes [126] à [132], la Commissaire opte et fonde son analyse « sur une méthodologie privilégiée par l’un des deux courants jurisprudentiels »[33]. Elle appuie enfin son raisonnement sur un jugement récent de la Cour supérieure dans l’affaire CHUM-Pavillon Mailloux. Le juge Claude Bouchard, j.c.s., écrit :

« [47] D’autre part, bien que les décisions rendues par la CSST et contestées par les employeurs portent sur le financement et non sur l’indemnisation, les employeurs demandent que les coûts relatifs à l’assistance médicale ne soient pas imputés à leurs dossiers d’expérience, étant donné qu’ils ne sont pas dus en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à leur emploi.

[48] En d’autres termes, les mis en cause ne demandent pas à la CLP de se pencher sur le droit des travailleurs de recevoir les prestations qui leur ont été versées, mais plutôt de ne pas imputer à leurs dossiers le coût de ces prestations, si elles ne sont pas dues en raison d’un accident de travail. C’est aussi dans cette optique qu’ont été rendues les décisions de la CLP et plus particulièrement celles portant sur le fond du litige.

[49] Pour cette dernière, l’étape de l’imputation des coûts se distingue de celle relative à l’indemnisation et les litiges qui peuvent en résulter sont traités les uns par la division du financement et les autres par la division de l’indemnisation.

[…]

[77] Contrairement aux prétentions de la CSST, le tribunal ne peut conclure au caractère déraisonnable de cette décision, qui pourrait faire en sorte que des visites médicales ont pu être considérées comme étant en relation avec la lésion dans un premier temps, au stade de l’indemnisation, alors que le coût de ces visites ne peut être imputé aux employeurs en raison de l’absence de lien avec la lésion, au stade du financement.

[…]

[84] Ces employeurs ne remettent toutefois pas en cause le droit des travailleurs qui ont reçu ces prestations et ne demandent pas à ce que leur coût soit remboursé par ceux-ci. Par contre, ils n’acceptent pas que ce coût soit imputé à leurs dossiers.

[85] Le tribunal est d’avis qu’il est [sic] n’est pas déraisonnable, au stade de l’imputation, de considérer que des visites médicales effectuées après la consolidation, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, ne soient pas en relation avec la lésion et par conséquent, que leur coût ne soit pas imputé au dossier d’un employeur, car c’est ce que prévoit le premier alinéa de l’article 326 de la LATMP. »

[40]        Cette analyse amène la CLP à conclure comme suit :

« [131] En résumé, le tribunal retient de son analyse que l’exception au principe général d’imputation prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, en regard de la notion d’obérer injustement, ne s’applique qu’à l’égard des demandes de transfert total de coûts qui visent généralement des situations liées à l’admissibilité même de l’accident du travail. Dans de tels cas, la notion « d’obérer injustement » ne fera pas l’objet d’interprétations contradictoires puisque la proportion significative des coûts devant être démontrée dans le cadre de telles demandes sera facilement établie puisqu’il s’agira de la totalité de ceux-ci.

[…]

[139]  Bien que le travailleur récupère son droit à l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de l’interruption de l’assignation temporaire, le versement de cette indemnité est directement relié, dans le cas à l’étude, au congédiement du travailleur et non à l’accident du travail du 15 août 2011. Il ne s’agit donc pas d’un empêchement à l’assignation temporaire relié à l’accident du travail, mais plutôt à une cause extrinsèque à celui-ci.

[140] En l’espèce, le travailleur est en assignation temporaire à compter de septembre 2011 pour des périodes parfois interrompues, tel qu’il appert de la description des faits. Au cours de la période de l’assignation temporaire, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu a été temporairement suspendu. Cependant, le travailleur a de nouveau bénéficié du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 15 mars 2012, date faisant suite à son congédiement qui n’est d’aucune façon relié à la lésion professionnelle du 15 août 2011.

[141] Il est vrai que le droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu provient de son incapacité à exercer son emploi prélésionnel. Ainsi, ce droit subsiste malgré l’assignation temporaire puisqu’il découle de son incapacité à effectuer son emploi prélésionnel.

[142]  Toutefois, le tribunal est d’opinion qu’il faut faire une distinction entre l’imputation du coût de ses prestations et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Ainsi, bien que le travailleur ait eu droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 15 mars 2012, il n’en demeure pas moins que ces coûts ne devaient pas être imputés au dossier de l’employeur puisqu’ils ne sont pas dus en raison de l’accident du travail survenu le 15 août 2011, mais plutôt à cause d’une situation étrangère à cet accident ou n’ayant pas de lien direct avec celui-ci, ce qui justifie le transfert du coût de ses prestations à l’ensemble des employeurs. »[34]

[41]        En optant comme elle l’a fait, la Commissaire a décidé selon l’une des issues possibles qui se justifient en droit.

[42]        Il est établi qu’une controverse jurisprudentielle ne constitue pas, en soi, un motif de révision judiciaire[35] et il n’appartient pas au Tribunal siégeant en révision de la trancher.

[43]        Le Tribunal estime que la décision du 28 octobre 2013 possède les attributs de la raisonnabilité. Paraphrasant le juge Claude Bouchard dans l’affaire précitée, il n’est pas déraisonnable, au stade de l’imputation, de considérer que le congédiement du travailleur ne soit pas en relation avec la lésion et par conséquent, que le coût des prestations reçues ne soit pas imputé au dossier de l’employeur, conformément à l’article 326(1) LATMP.

2.3        L’impact de la décision du 28 mai 2013 de la CLP[36]

[44]        Le 28 mai 2013, la CLP reconnaît à Monsieur Lessard son droit au versement des indemnités de remplacement du revenu à compter du 11 mai 2012 puisque sa lésion n’est pas encore consolidée.

[45]        Cette décision est devenue finale selon l’article 429.49 LATMP. Partant, le versement de l’IRR a été ordonné pour des raisons reliées à l’accident du travail.

[46]        Toutefois, la décision de la CLP du 28 octobre 2013 s’inscrit dans un tout autre contexte, soit celui d’une demande de transfert de l’imputation des coûts des prestations fondée sur l’article 326 LATMP, considérant l’impossibilité pour le travailleur d’effectuer le travail en assignation temporaire autorisé par son médecin, en raison d’une cause étrangère : son congédiement.

[47]        La CLP reconnaît l’existence de la décision antérieure de la CLP du 28 mai 2013. Elle distingue cependant l’indemnisation de la lésion professionnelle procurant certains droits au travailleur de la notion de financement procurant certains droits à l’employeur.

[48]        Les paragraphe 139 à 142 précités de la décision de la CLP du 28 octobre 2013 expliquent la conséquence de cette distinction. Cette justification est raisonnable.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[49]        REJETTE la requête en révision judiciaire.

[50]        Avec dépens.

 

 

 

__________________________________

SUZANNE OUELLET, j.c.s.

Me Pierre-Michel Lajeunesse

Me Annick Marcoux

Vigneault Thibodeau Bergeron

Procureurs de la CSST

Casier 187

 

Me Marie-France Bernier

Verge Bernier

Procureurs de la CLP

900, Place d'Youville

7e étage

Québec (QC)  G1R 3P7

 

Me Jean-Sébastien Cloutier

Norton Rose Fulbright

Procureurs de 9069-46545 Québec inc.

Casier 92

 

Date d’audience :

14 mars 2014

 

 



[1]     Requête introductive d’instance en révision judiciaire, par. 85 à 88.

[2]     Décision, Pièce P-1, par. 35.

[3]     Pièce P-2, p. 104, 106.

[4]     Procès-verbal d’audience, Pièce P-3.

[5]     Pièce P-7.

[6]     Décision, Pièce P-1, par. 41-44.

[7]     Pièce P-2, p. 97, 101.

[8]     Décision, Pièce P-6.

[9]     Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] R.C.S. 190.

[10]    Art. 429.59 LATMP.

[11]    Syndicat des travailleuses et travailleurs de ADF-CSN c. Syndicat des employés d’Au Dragon Forgé inc., 2013 QCCA 793.

[12]    Simon c. Commission scolaire de l’Or-et-des-bois, [2006] CLP 323, par. 32 (C.A.); Griffiths c. Arshinoff & Cie Ltée, 2007 QCCA 1682.

[13]    Art. 377 LATMP.

[14]    Pâtisserie Chevalier inc., CLP 215643-04-04-0309, 28 mai 2004 (Me Sophie Sénéchal, juge administratif)

[15]    Article 349 de la LATMP.

[16]    Article 429.16 de la LATMP.

[17]    Pièce MC-1.

[18]    Canada (Citoyenneté et immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 89.

[19]    Perrault C. CSST et CLP, 2014 QCCS 125, par. 33.

[20]    Décision P-1, p. 31.

[21]    Décision P-1, par. 57 à 61.

[22]    Id., par. 61.

[23]    Id., par. 62 à 68.

[24]    Id., par. 63.

[25]    Id., par. 69 à 72.

[26]    Id., par. 73 à 76.

[27]    Id., par. 77 à 96.

[28]    Id., par. 100 à 112.

[29]    Id., par. 110.

[30]    Id., par. 114 à 127.

[31]    Id., par. 122, 123.

[32]    Id., par. 128 à 130.

[33]    Id., par. 110.

[34]    Id., par. 131, 139, 142.

[35]    Domtar inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756; Syndicat des éducatrices et éducateurs professionnelles et professionnels et techniciennes et techniciens du Centre Hospitalier Robert-Giffard (FP-CSN) c. Institut universitaire en santé mentale de Québec, 2012 QCCA 534, par. 7.

[36]    Pièce P-6.

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