Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

RÉGION:

Estrie

SHERBROOKE, le 16 août 1999

 

DOSSIER:

110825-05-9902

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Me François Ranger

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

Émile Provencher

 

 

Associations d'employeurs

 

 

Maurice Brisebois

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST:

110702321

AUDIENCE TENUE LE :

25 juin 1999

 

 

 

À :

Sherbrooke

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MONSIEUR GILLES DESROCHERS

125, Boulevard Dussault

Trois-Lacs (Québec)

J1T 3M7

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

ET

 

 

 

 

 

JM ASBESTOS INC.

111, Boulevard St-Luc, C.P. 1500

Asbestos (Québec)

J1T 3N2

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


DÉCISION

1.      Le 22 février 1999, monsieur Gilles Desrochers (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de la décision rendue le 15 février 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) en révision administrative. Par celle-ci, il est jugé que l’assignation temporaire que lui propose JM Asbestos inc. (l’employeur) aux mois de novembre 1998 et janvier 1999 est conforme aux prescriptions que prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).

2.      Lors de l’audience, le travailleur est représenté par Me Marie-Anne Roiseux, et l’employeur l’est par madame Line Pellerin.

OBJETS DE LA CONTESTATION

3.      Au moyen de sa requête, monsieur Desrochers demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST en reconnaissant que l’assignation temporaire en cause est inadéquate, car elle comporte des dangers pour sa santé et qu’elle n’est pas favorable à sa réadaptation.

LES FAITS

4.      Monsieur Desrochers est au service de l’employeur depuis près de trente ans.  Il est titulaire d’un poste d’opérateur de chariot élévateur.

5.      Par ailleurs, il a aussi été victime de lésions professionnelles aux épaules. Du côté gauche, il est question d’une rupture de la coiffe des rotateurs et du tendon du biceps. Selon l’évaluation du Dr Hould du 25 novembre 1997, il en résulte qu’il ne peut accomplir d’activités qui nécessitent des mouvements de l’épaule ou soulever des poids à l’aide de sa main gauche. Quant au côté droit, il est fait état d’une tendinite de l’épaule, avec rupture de la longue portion du biceps. Suivant l’évaluation du Dr Marosi du 29 mars 1993, cette lésion est responsable d’un déficit anatomo-physiologique, mais d’aucune limitation fonctionnelle.

6.      Au mois de janvier 1998, alors qu’il profite d’un plan de réadaptation qui vise à lui identifier un emploi convenable, son employeur l’affecte au poste de préposé aux bennes de pierres concassées, et le travailleur décide de contester cette assignation temporaire.

7.      Le 12 mars 1998, le Comité de santé et de sécurité, qui est constitué chez l’employeur, analyse cette contestation et il exprime un avis qui traduit sa division. Cependant, personne ne conteste sa décision et monsieur Desrochers accepte d’occuper temporairement cette tâche.

8.      Au mois de septembre 1998, le travailleur soumet une nouvelle demande d’indemnisation, car il estime que l’état de son épaule droite s’est altéré.

9.      Le 2 novembre 1998, il cesse d’exercer l’occupation qui lui avait été assignée temporairement depuis le mois de mars précédent et il dépose une autre demande qui intéresse cette fois son épaule gauche.

10.  Le 26 novembre 1998, l’employeur obtient l’accord du Dr Gilles Morin pour affecter de nouveau monsieur Desrochers au poste de préposé aux bennes de pierres concassés. Incidemment, l’examen du document que signe ce médecin confirme que cette assignation est pratiquemment identique à la précédente, car le formulaire employé pour la première assignation décrit les tâches du travailleur comme suit :

« Nous prévoyons lui assigner le poste de préposé aux bennes de pierres concassées. Son horaire sera de 40 heures par semaine à raison de 8 heures par jour. Il travaillera, en alternance, une semaine de 8 heures à 16 heures et la semaine suivante de 18 heures à minuit. Il pourra aller manger à la cafétéria s’il le désire. Ce travail peut s’effectuer debout ou assis, au choix du travailleur et ne demande que l’usage d’une main afin d’appuyer sur un bouton (geste à effectuer 10 fois par heure au maximum.) Le travailleur devra se rendre au bureau de la mine au début de son quart de travail et le contremaître de quart ira le déposer à son poste de travail. Il devra ensuite monter un escalier de quelques marches pour débuter son travail. Il n’aura pas à soulever de charges ni à utiliser ses bras. De plus, le travailleur sera en contact continuel avec ses compagnons de travail de la mine à ciel ouvert par le biais des ondes radiophoniques. »

alors que celui que complète le Dr Morin prévoit ceci :

« Nous prévoyons lui assigner le poste de préposé aux bennes de pierres concassées. Son horaire sera de 40 heures par semaine à raison de 8 heures par jour. Ce travail peut s’effectuer debout ou assis, au choix du travailleur et ne demande que l’usage d’une main afin d’appuyer sur un bouton (geste à effectuer 10 fois par heure au maximum.) Le travailleur devra se rendre au bureau de la mine au début de son quart de travail et le contremaître de quart ira le déposer à son poste de travail. Il devra ensuite monter un escalier de quelques marches pour débuter son travail. Il n’aura pas à soulever de charges ni à utiliser ses bras. De plus, le travailleur sera en contact continuel avec ses compagnons de travail de la mine à ciel ouvert par le biais des ondes radiophoniques. »

11.  En outre, le 22 janvier 1999, le Dr Péloquin se déclare d’accord avec cette même affectation, si un fauteuil confortable est mis à la disposition de monsieur Desrochers.

12.  Insatisfait de cette assignation, monsieur Desrochers loge une nouvelle contestation.

13.  Le 25 janvier 1999, le Comité de santé et de sécurité dispose de cette demande en émettant un avis divisé. Les représentants des travailleurs sont majoritairement contre l’assignation, et ceux qui représentent l’employeur sont unanimement pour. Cette fois, l’employeur et le travailleur demandent une révision de cette décision.

14.  Le 15 février 1999, dans le cadre d’une révision administrative, la CSST considère que :

« (…) les médecins qui avaient charge du travailleur sont d’accord avec l’assignation temporaire proposée et qu’ils sont d’avis que le travail de préposé aux trémies de pierres concassées respecte les conditions énumérées à l’article 179 de la loi. »

15.  Au sujet de ces observations, il y a lieu de préciser que le travailleur ne prétend pas que la procédure qui a conduit à son assignation temporaire est viciée. De même, il ne remet pas en question le fait que l’employeur a bien obtenu au moins un avis favorable d’un médecin qui en a charge avant de lui désigner ce travail, quoiqu’il signale que cette opinion a été exprimée en fonction des renseignements qui figurent sur les formulaires pertinents.

16.  Après l’analyse de toute l’affaire, la CSST déclare que l’assignation temporaire que propose l’employeur est adéquate.

17.  Le 22 février 1999, monsieur Desrochers dépose une requête à l’encontre de cette décision. Il s’agit du litige qui nous occupe.

18.  À l’appui de ce recours, le travailleur s’inspire largement de son expérience précédente pour dire qu’il pourrait aggraver ses lésions professionnelles en se rendant simplement dans la cabine où il doit effectuer le travail qui lui est assigné. À ce propos, il précise qu’il doit circuler à bord d’une camionnette pendant trois à cinq minutes pour gagner ce poste. Or, comme il risque de devoir prendre place dans la boîte du véhicule, il prétend qu’il pourrait se blesser, en raison de son incapacité à s’agripper aux composantes de la camionnette, pour conserver son équilibre. En effet, il fait valoir qu’il devrait nécessairement lever ses bras au-dessus des épaules pour ce faire, et que ceci lui apparaît contraire à ses limitations fonctionnelles. En outre, il souligne que l’état de la route fait en sorte qu’il est régulièrement secoué durant le trajet, et qu’il en résulte une augmentation de ses douleurs aux épaules.

19.  D’autre part, une fois rendu à destination, monsieur Desrochers signale qu’il doit emprunter un escalier qui compte une vingtaine de marches en acier pour gagner la cabine où est disposé le panneau de contrôle des bennes (pièce T-1 A). Comme il est incapable de se servir de son membre supérieur gauche, il dit qu’il doit grimper cet escalier sans s’assister des rampes, car son autre membre supérieur est requis pour transporter son bidon d’eau et son lunch. Or, comme des résidus d’amiante ou de la neige s’accumulent sur les marches, il dit craindre de tomber.

20.  Quant à l’exercice du travail proprement dit, il faut noter que monsieur Desrochers ne remet pas sérieusement en question sa capacité de l’exercer, car il se résume à appuyer sur un bouton pour assurer le chargement des camions.

21.  Par contre, toujours en se référant à l’expérience qu’il a acquise entre les mois de mars et novembre 1998, le travailleur affirme qu’il n’a pratiquement rien à faire lorsqu’il est assigné à ce poste. À cet effet, il explique qu’il doit simplement attendre qu’un camion se place sous l’une des bennes pour actionner une commande, et il mentionne qu’il peut s’écouler de longues heures entre deux chargements. En fait, il explique que l’achalandage varie en fonction des conditions climatiques. Par exemple, s’il pleut, il expose que l’état des routes de la mine se dégrade et que ceci commande l’utilisation de pierres concassées. Dans ces circonstances, il indique qu’il peut compléter quotidiennement une dizaine de chargements. Par contre, lorsqu’il fait beau, il dit qu’il lui arrive de ne servir aucun camion pendant toute la durée de son quart de travail. Il raconte qu’il passe alors toute sa journée à ne rien faire et que ceci lui laisse le sentiment d’être complètement inutile. D’ailleurs, il mentionne qu’il lui est arrivé à plus d’une reprise de devoir rentrer à pied, car son contremaître avait tout simplement oublié d’aller le chercher à la fin de son quart de travail. Aussi, pour éviter que cette situation ne se répète trop souvent, il souligne qu’il avait développé le réflexe de communiquer avec lui au moyen de la radio qui garnit son poste pour lui remémorer sa présence.

22.  Enfin, comme il est seul à ce poste, il trouve que les conditions d’exercice de ce travail sont passablement déprimantes.

23.  Par ailleurs, deux témoins indiquent que le poste de préposé aux bennes de pierres concassées n’est pas spécifiquement encadré par la convention collective qui est en force chez l’employeur. À ce propos, monsieur Gaston Duchesneau dit qu’il est assumé par des travailleurs qui profitent d’une assignation temporaire. S’il est vacant, il ajoute qu’il est comblé uniquement lorsqu’il est nécessaire de répondre aux demandes ponctuelles qu’impliquent les opérations de l’employeur. Ce témoin mentionne aussi que cette situation était différente à l’époque où l’employeur disposait de 30 à 40 camions. Cependant, comme il n’en reste plus que 6 ou 7, monsieur Duchesneau déclare que les besoins ne sont évidemment plus les mêmes. Pour sa part, monsieur Marc Gilbert explique que ce travail relevait auparavant du champ de compétence des journaliers. De même, il confirme qu’il demeure maintenant un des emplois qui est privilégié pour procéder à des assignations temporaires, car la convention collective fait en sorte qu’un travailleur blessé ne peut être temporairement assigné à un poste que détient un autre salarié.

24.  Enfin, l’employeur fait entendre monsieur Claude Prince. À cette occasion, le témoin explique qu’il occupe depuis 1970 une fonction de superviseur dans la mine qu’exploite l’employeur.

25.  Au sujet des questions qui nous intéressent, monsieur Prince précise que pour se rendre du bureau de la mine aux bennes, il faut franchir une distance d’environ 500 pieds, et que ce trajet s’effectue sur une route dont l’assiette est majoritairement asphaltée. Quant au reste, il est recouvert de pierres. Ensuite, il rapporte que si monsieur Desrochers désire prendre place dans la cabine de la camionnette plutôt que dans sa boîte, il dit qu’il lui suffit de formuler cette demande, et que ce désir sera sans doute exaucé en raison de son état de santé.

26.  Quant à l’escalier qui permet d’accéder au poste pertinent, monsieur Prince indique que l’employeur offre à ses travailleurs des courroies pour leur permettre de transporter leurs charges. Ainsi, cet équipement leur permet de garder les mains libres. En utilisant ce genre de procédé, il estime que monsieur Desrochers pourrait facilement contrer le risque de chute qu’il invoque.

27.  Au sujet des bennes de pierres concassées, monsieur Prince confirme qu’aucun travailleur n’est spécifiquement assigné à leur fonctionnement. Quoiqu’il juge qu’il serait pratique s’il en était autrement, il fait valoir que des contraintes financières font en sorte que l’employeur ne peut se permettre de combler ce poste. Ainsi, en l’absence d’un opérateur, le témoin relate que le camionneur qui se présente aux bennes doit descendre de son véhicule, gagner le poste de commandes et actionner la commande nécessaire pour compléter un chargement. Par contre, si des besoins importants le requièrent, monsieur Prince dit qu’il s’assure de la disponibilité d’un opérateur. À cette fin, il explique qu’il décharge un autre salarié de ses tâches habituelles pour l’assigner aux bennes. Il explique que cette situation peut se produire de façon ponctuelle, par exemple en cas d’accident, ou si les conditions climatiques font en sorte que les chemins de la mine se détériorent. Dans ce dernier cas, il estime qu’une moyenne de deux camions peut se rendre aux bennes à toutes les heures, et que 5 minutes sont nécessaires pour compléter un chargement.

28.  En somme, il dit que les opérations qu’il supervise sont facilitées lorsqu’un travailleur qui a été victime d’une lésion professionnelle est temporairement assigné à ce poste, car il peut alors compter en tout temps sur cette personne pour voir au chargement des camions.

29.  Enfin, monsieur Prince mentionne que l’employé qui se voit assigné ce travail peut toujours utiliser la radio, s’il présente des besoins de communiquer avec ses collègues.

ARGUMENTATION DES PARTIES

30.  Dans son plaidoyer, l’avocate du travailleur fait valoir que le but d’une assignation temporaire est de faciliter la réadaptation d’un travailleur et non de réduire les coûts que doit supporter un employeur. Or, selon Me Roiseux, forcer monsieur Desrochers à se morfondre dans la cabine de commandes des bennes de pierres concassées n’aide en rien sa réadaptation. De plus, elle fait valoir que son état de santé fait en sorte qu’il ne peut en toute sécurité se rendre occuper ce poste de travail. Conséquemment, elle demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que l’assignation qu’a proposée l’employeur ne satisfait pas aux exigences qu’impose la LATMP.

31.  Pour sa part, la représentante de l’employeur rappelle que les médecins consultés sont d’accord avec l’assignation qui est proposée. Quant aux contraintes qu’invoque le travailleur pour s’y soustraire, madame Pellerin prétend qu’il est facile d’y remédier. Par exemple, elle expose qu’il lui est loisible de prendre tout le temps qu’il désire pour grimper l’escalier qui mène à la cabine de commandes et qu’il peut même, à la limite, le monter sur ses fesses pour éviter de tomber.

32.  Par ailleurs, si elle concède que ce poste n’offre pas constamment du travail, madame Pellerin expose qu’il constitue néanmoins une occupation valable pour les fins d’une assignation temporaire. À cet égard, elle dresse un parallèle entre son titulaire et la personne qui occupe un emploi de gardien pour dire que nul ne prétendra que le gardien ne fait rien s’il ne se produit aucun incident durant son quart de travail. À ces yeux, ce qui importe est le fait que les collègues de monsieur Desrochers puissent compter sur lui en cas de besoin et qu’il conserve un lien avec son milieu de travail. Pour ces raisons, elle invite la Commission des lésions professionnelles à rejeter le recours du travailleur.

AVIS DES MEMBRES

33.  S’il doit être occupé à temps complet, les membres issus des associations syndicales et des employeurs croient que le poste de préposé aux bennes de pierres concassées ne peut constituer un véritable travail, car il ne fait qu’occuper sporadiquement son titulaire. Ainsi, ils pensent que l’assignation que suggère l’employeur ne satisfait pas aux exigences que prévoit la LATMP, en raison du fait qu’elle n’est pas susceptible de favoriser la réadaptation de monsieur Desrochers.

MOTIFS DE LA DÉCISION

34.  Compte tenu des prétentions du travailleur, la Commission des lésions professionnelles doit ici se demander si l’occupation que propose l’employeur à titre d’assignation temporaire répond aux conditions qu’imposent le second et le troisième paragraphes de l’article 179 de la LATMP. Cette disposition édicte ceci :

179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:

  1  le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

  2  ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

  3  ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

  Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

________

1985, c. 6, a. 179.

35.  Pour débuter, et quoique cet argument n’ait pas été soulevé, il y a lieu d’indiquer que la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le fait que monsieur Desrochers ait exercé auparavant le poste qui nous occupe dans un contexte d’assignation temporaire ne le prive pas de son droit de loger la présente contestation. En effet, comme cette première assignation est intervenue dans le cadre d’une autre lésion professionnelle, on ne peut lui opposer le principe de la chose jugée. D’ailleurs, considérant que la décision du Comité de santé et de sécurité du 12 mars 1998 est l’objet d’une division, on peut ajouter que l’opinion du médecin qui avait charge du travailleur à l’époque n’a jamais été confirmée[1].


36.  Cependant, cette expérience précédente démontre tout de même que monsieur Desrochers a été capable de se présenter au poste en question durant une période de près de huit mois, car sa première affectation s’est échelonnée du mois de mars à celui de novembre 1998. Cette situation laisse donc présumer qu’il peut se déplacer du bureau de la mine à la cabine qui abrite les commandes des bennes. De plus, pour circuler d’un point à un autre, on note que monsieur Desrochers doit franchir une distance de quelques 500 pieds à bord d’une camionnette qui circule sur une route carrossable. Aussi, il est prouvé que ce trajet s’exécute en moins de 5 minutes. Par ailleurs, malgré qu’il s’estime victime d’une récidive, d'une rechute ou d'une aggravation au moment de la nouvelle affectation, il faut remarquer qu’aucun médecin ne laisse entendre que sa capacité d’effectuer un tel déplacement est davantage limitée au mois de novembre 1998.

37.  Conséquemment, il devient difficile d’imaginer que ce court voyage pourra être préjudiciable à sa santé, et ce, d’autant plus qu’il lui est toujours loisible, comme l’indique monsieur Prince, de prendre place dans la cabine du véhicule. En somme, cette activité semble à ce point banale que le fait que monsieur Desrochers soutienne être incapable de l’exercer mine sa crédibilité.

38.  D’autre part, il n’est pas contredit qu’il peut gravir ou descendre l’escalier du poste de travail où il doit être assigné au rythme qui lui convient. En outre, avec un minimum d’imagination et de bonne volonté, il lui est sans doute possible de pallier au risque qu’il dénonce lorsqu’il doit l’emprunter. Enfin, quoique la description du poste que dresse l’employeur peut ne pas traduire fidèlement la réalité, lorsqu’il est énoncé qu’il devra « monter un escalier de quelques marches pour débuter le travail », il demeure qu’aucun médecin n’accrédite les craintes qu’invoque monsieur Desrochers.

39.  Dès lors, il faut conclure qu’il n’est pas démontré que l’occupation que cherche à lui assigner son employeur comporte vraisemblablement un danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.

40.  Par contre, la Commission des lésions professionnelles ne voit pas comment le fait d’exercer le poste de préposé aux bennes de pierres concassées durant 40 heures par semaine, comme le propose l’employeur, peut raisonnablement favoriser la réadaptation de monsieur Desrochers.

41.  En effet, la preuve démontre, sans le moindre doute, que cette occupation ne peut fournir du travail sur une base régulière. En fait, le titulaire de cette fonction n’est sollicité pour la peine que lorsqu’il s’agit de satisfaire à quelques besoins ponctuels, ou quand les conditions climatiques sont telles qu’elles provoquent une détérioration des chemins de la mine. Mis à part ces situations qui semblent exceptionnelles, il est démontré que le préposé aux bennes n’a d’autre chose à faire que de rester seul pendant de longues heures dans une cabine à attendre la venue d’un camion dont le conducteur pourrait toujours se servir lui-même. Dans de telles circonstances, il n’est pas surprenant que l’employeur s’abstienne d’affecter un salarié à ce travail sur une base permanente et que le contremaître de monsieur Desrochers ait même oublié son existence, en omettant d’aller le récupérer à la fin de quelques quarts de travail.

42.  Vu ces éléments, la Commission des lésions professionnelles n’a donc aucune difficulté à comprendre que monsieur Desrochers puisse craindre de se sentir inutile, isolé et déprimé en étant assigné, à raison de 40 heures par semaine, à une occupation qui n’en constitue pas vraiment une.

43.  Par conséquent, elle doit reconnaître que le travail en cause est susceptible de favoriser la réadaptation du travailleur seulement lorsqu’il est exercé au moment où les besoins justifient son exercice. Or, ici l’employeur fait abstraction de cette réalité en y affectant le travailleur à temps complet, soit à raison de quarante heures par semaine.

44.  POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du 22 février 1999 de monsieur Gilles Desrochers;

INFIRME la décision du 15 février 1999 de la Commission de la Santé de la sécurité du travail;

DÉCLARE que l’assignation temporaire qu’a proposée les 26 novembre 1998 et 22 janvier 1999 JM Asbestos inc. à monsieur Gilles Desrochers, à savoir d’exercer à raison de quarante heures par semaine le poste de préposé aux bennes de pierres concassées, n’est pas une assignation temporaire conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;


DÉCLARE, par conséquent, que monsieur Gilles Desrochers n’était pas tenu d’accepter d’exercer ladite assignation temporaire.

 

 

_____________________

 

François Ranger

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

C.S.D.

(Me Marie-Anne Roiseux)

608, Boulevard Simoneau

Asbestos (Québec)

J1T 4P8

 

 

 

Représentante de la partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

MADAME LINE PELLERIN

111, Boulevard St-Luc, C.P. 1500

Asbestos (Québec)

J1T 3N2

 

 

 

Représentante de la partie intéressée

 

 

 

 



[1] JM Asbestos inc. vs Jean-Guy Jacques, CALP no 83665-05-9611, monsieur le commissaire Réal Brassard, 12 mai 1997.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.