Myrtil et Syndicat du personnel d'enquête de la Commission de la construction du Québec |
2016 QCTAT 3491 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1]
Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal
administratif du travail[1] (la LITAT) est
entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail (le Tribunal)
qui assume les compétences de la Commission des relations du travail (la Commission)
et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article
[2] Le 15 septembre 2015, Roselynn Myrtil (la plaignante) dépose une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail[2] (le Code) contre le Syndicat du personnel d’enquête de la Commission de la construction du Québec (le syndicat). Elle allègue que le syndicat a fait preuve de négligence grave dans le traitement de sa réclamation contre son employeur, la Commission de la construction du Québec (la CCQ).
[3] Elle demande au Tribunal de l’autoriser à soumettre sa réclamation à l’arbitrage comme s’il s’agissait d’un grief et de continuer à être représentée par le syndicat.
[4] Le syndicat reconnaît qu’il a fait preuve de négligence grave dans la représentation des intérêts de la plaignante. Jérôme Dubé, son président, a été entendu comme témoin.
[5] La CCQ soutient que la plainte n’a pas été déposée dans le délai de six mois prévu au Code tout en soulignant que la réclamation de la plaignante n’avait aucune chance raisonnable de succès devant un arbitre de grief. Elle ajoute que le Tribunal ne peut conclure que le syndicat a fait preuve de négligence grave sans connaître la raison pour laquelle celui-ci n’a pas déposé de grief à l’intérieur du délai de 35 jours prévu à la convention collective.
[6] La plaignante n’est pas représentée par avocat. Au début de l’audience, le Tribunal explique la nature du recours dont il est saisi et les règles de preuve applicables. Il est convenu de procéder sans autres formalités.
[7] La plaignante est embauchée par la CCQ le 14 septembre 2009. Elle occupe un poste de conseillère en techniques comptables.
[8] L’article 31.04 de la convention collective régissant ses conditions de travail prévoit que l’employeur peut accorder un avancement de deux échelons additionnels à un employé à la date anniversaire de son embauche s’il satisfait certaines conditions. Cette disposition se lit comme suit :
31.04 L’avancement de deux échelons additionnels est accordé à la date d’avancement prévue [le 14 septembre, date anniversaire de l’embauche de la plaignante] lorsque l’employé a réussi des études de perfectionnement d’une durée équivalente à (1) année d’études à temps complet, pourvu que ces études soient jugées directement pertinentes par l’Employeur et qu’elles soient supérieures aux exigences et qualifications à laquelle l’employé appartient.
[9] À l’été 2010, la plaignante réussit les examens de comptable en management accrédité (CMA). La CCQ refuse alors de lui accorder l’avancement de deux échelons additionnels demandé, ce qu’elle ne conteste pas à l’époque.
[10]
Au printemps 2013, elle envisage de suivre d’autres formations et se
renseigne sur leur pertinence en regard des fonctions qu’elle exerce auprès de Lise
Gaudette,
chef de section, formation et structure organisationnelle à la CCQ. Celle-ci réexamine
à cette occasion la demande d’avancement d’échelons concernant sa formation de
CMA.
[11] Le 27 juin 2013, la CCQ lui accorde un avancement de deux échelons additionnels à compter du 14 septembre 2011 en raison de l’obtention de son titre de CMA le 21 janvier 2011.
[12] Lise Gaudette résume ainsi les motifs de la décision :
Suite aux différentes discussions relativement au sujet cité en rubrique, veuillez trouver ci-dessus le résultat de l’analyse de votre dossier :
OBJET 1 : CMA
Une augmentation de deux échelons vous sera reconnue pour la réussite de votre formation menant à l’obtention du titre de CMA le 21 janvier 2011. Cette reconnaissance est accordée puisque selon l’Ordre des CPA du Québec, et en vertu d’ententes avec certaines universités, cette formation est intégrée à des programmes de 2e cycle. Cette augmentation sera effective rétroactivement à votre date d’avancement prévue le 14 septembre 2011.
[,,,]
(reproduit tel quel)
[13]
Afin de bien cerner l’objet de la réclamation de la plaignante, il convient
de reproduire également l’échange de courriels qui s’ensuit entre madame
Gaudette et
la plaignante.
[14] Le 2 juillet 2013, la plaignante demande à madame Gaudette de lui expliquer pourquoi elle ne retient pas la date du 14 septembre 2010, puisqu’elle a réussi ses examens de CMA à l’été 2010 :
Je vous écris ce courriel afin d’obtenir quelques précisions sur les résultats de l’analyse de mon dossier sur le titre objet 1 : CMA
L’augmentation de deux échelons est-elle accordée à partir de la réussite de ma formation ou à l’obtention de mon titre CMA? Pouvez-vous me confirmer à quelle date l’ajustement salarial et le versement rétroactif seront appliqués? […]
[15] Le 5 juillet, madame Gaudette lui répond qu’elle considère la date d’obtention de son titre de CMA et non celle de la réussite des examens, donc le 21 janvier 2011 :
Vous êtes membre en règle depuis le 21 janvier 2011. C’est donc cette date qui est retenue pour le présent dossier.
L’augmentation sera effective rétroactivement à votre date d’avancement prévue le 14 septembre 2011.
Enfin, voici les dates où les ajustements salariaux seront effectifs :
Ajustement salarial : 17 juillet 2013
Rétroactivité : le ou vers le 22 août 2013
[16] La plaignante est insatisfaite de cette réponse. Elle ne comprend pas pourquoi elle n’a pas droit à l’avancement de deux échelons dès le 14 septembre 2010, à la suite de la réussite de sa formation de CMA, à l’été 2010. Le cas échéant, l’augmentation salariale serait rétroactive au 14 septembre 2010 et non au 14 septembre 2011. Elle se tourne donc vers le syndicat pour obtenir son assistance.
[17] Toujours le 5 juillet, elle discute avec Christiane Dubois, une déléguée syndicale, de la position prise par la CCQ en regard de l’application de l’article 31.04 de la convention.
[18] Le 6 juillet 2013, elle lui écrit pour lui rappeler la problématique :
Tel que discuté un simple rappel pour obtenir les réponses aux questions suivantes;
1- Lorsque un employe réussi son programme d’etude en janvier et sa date d’embauche est en septembre, il perd 9 mois pour l’augmentation déchelons?
2- Si l’avancement d’echelon est accorde à la réussite des etudes de perfectionnement…Pourquoi, est-ce lors de l’obtention de mon permis comptable et non a la réussite de mon programme d’etude qu’on reconnait l’avancement de 2 echelons…
Voila mes questions, je considere que ton explication est plausible si c’est la position que les RH veulent prendre concernant le point 2, cad que c’est le fait que je dois faire une demande pour obtenir mon permis vs le diplome universitaire qui fait la difference…(si cest possible davoir une confirmation de ta comprehension de la situation.)
(reproduit tel quel)
[19] Début septembre 2013, la plaignante, bien qu’elle ait vu la déléguée Dubois à plusieurs reprises, n’a toujours pas de réponse du syndicat. La déléguée Dubois lui confirme qu’elle s’occupe de sa réclamation. Il convient de reproduire les courriels échangés :
C. Dubois - 9 septembre 2013
Salut, ai parlé avec Karine Fata, elle devait en discuter avec Lise Godette et me revenir.
Te redonne des nouvelles
R. Myrtil - 12 septembre 2013
J’en profite pour féliciter pour ta contribution auprès du syndicat. Tout le monde est d’avis que c’est une grande perte mais te souhaite bonne chance dans tes futurs projets.
Je voulais simplement savoir si je dois me référer à quelqu’un d’autre pour les questions au sujet de mon dossier. En espérant qu’ils vont bientôt répondre car ca fait déjà plusieurs semaines.
Merci
(reproduit tel quel et soulignement ajouté)
[20] Toujours au mois de septembre, Alexandre Groulx, également délégué syndical, est chargé de la réclamation de la plaignante. Celle-ci le rencontre pour lui donner des explications et lui transmettre les courriels en sa possession. Il n’aura pas de réponse concrète à lui donner par la suite et lui suggérera, en novembre, de communiquer avec le président du syndicat, Daniel Gamelin.
[21] Au début du mois de novembre 2013, la plaignante parle au président Gamelin et lui transmet, le 28 du même mois, copie des courriels échangés avec madame Gaudette au mois de juillet précédent.
[22] La plaignante est en congé de maternité à compter de la fin du mois de mars 2014. Pendant cette période, elle échange des courriels et des coups de téléphone avec Dominique Dufresne, la troisième déléguée qui a la responsabilité de son dossier. Elle demeure cependant sans nouvelles du président Gamelin jusqu’à l’été 2014.
[23] Le 3 juillet 2014, la déléguée Dufresne lui annonce qu’un règlement est sur le point d’intervenir : « Bonjour Roselynn, il [le président] m’a dit que c’était presque réglé mais je ne sais pas le résultat, je crois qu’il attend une confirmation, je le vois demain, je vais lui demander ».
[24] Autour du 25 août 2014, la plaignante discute avec le président Gamelin. Celui-ci n’a toujours pas de réponse des ressources humaines. Il lui parle qu’un grief est déposé.
[25] En janvier 2015, la plaignante apprend que le président Gamelin a pris sa retraite.
[26] En mars 2015, elle communique avec le nouveau président, Jérôme Dubé, en poste depuis le 26 novembre 2014, pour lui expliquer sa réclamation. Le 5 mars, elle lui transmet les courriels de madame Gaudette qu’elle avait déjà transmis à son prédécesseur en novembre 2013.
[27] Le président Dubé est membre du comité de griefs depuis 2013. Tous les griefs sont discutés au sein de ce comité paritaire avant d’être portés à l’arbitrage. Le syndicat n’a jamais déposé de grief pour la plaignante. Il ne sait pas pourquoi et ne comprend pas que cela n’ait pas été fait.
[28] Il ne se souvient pas d’en avoir informé la plaignante dès le 5 mars 2015 ni qu’elle s’enquiert du suivi d'un grief que le syndicat aurait déposé. Elle veut avoir des nouvelles de son dossier. Il croit cependant lui avoir dit que le syndicat n’avait pas déposé de grief, mais ne peut préciser la date. Après examen des documents transmis, il entreprend des démarches « pour qu’elle ait gain de cause ». La plaignante déclare qu’elle parle au président Dubé à son retour de congé de maternité. De mémoire, il ne lui mentionne pas que le syndicat n’avait pas déposé de grief : « il n’y a pas de fatalité » dans son souvenir.
[29] Le 18 mars 2015, le président Dubé écrit à Gaëtan Labelle, chef de section, relations de travail et santé sécurité à la CCQ :
On lui a reconnu la pertinence de sa formation, mais pour le mois de janvier 2011. En fonction de l’info reçue (voir document ci-joint), j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi on a attendu un an pour lui donner ses échelons supplémentaires lorsque ledit document démontre clairement une preuve de réussite en 2010, et ce, avant l’augmentation annuelle de Mme?
Je sais que Lise Gaudette n’est plus à l’emploi de la CCQ, mais ma prétention est à l’effet que ce genre de dossier ne peut avoir de zone grise . Soit c’est noir (cours non reconnu) ou c’est blanc (cours reconnu à la réussite). Si on lui a reconnu son cours, la convention (article 31.04) indique clairement que la date de réussite doit être celle que l’on considère. Dans ce cas-ci, on a utilisé comme date la journée où Mme est devenue membre en règle des CMA… pourquoi?
Ce n’est pas un dossier nouveau et je conviens du fait que ce n’est pas évident de la prendre à ce stade, et ce, autant pour moi que pour toi, mais peux-tu y jeter un coup d’œil lorsque tu auras quelques instants?
[…]
(reproduit tel quel)
[30] À la fin du mois de mars 2015, la réclamation de la plaignante fait l’objet d’une nouvelle analyse par la CCQ. La déléguée Dufresne échange plusieurs courriels avec la plaignante à ce sujet et celle-ci lui transmet tous les documents demandés par la CCQ.
[31] Le 30 avril, le président Dubé interpelle à nouveau monsieur Labelle après avoir reçu une réponse négative du Service de la dotation.
[32] Le 17 juin suivant, il relance monsieur Labelle et suggère la tenue d’une rencontre avec le Service de dotation :
Je t’envois ce courriel pour voir au suivi de certains cas que je t’ai soumis au cours des dernières semaines.
[…]
- Cas de Roselynn Mytrill (formation reconnue et échelon salariale) : Je sais, je suis tenace dans ce cas-là et tout à fait disposer à rencontrer la dotation parce que je ne comprends vraiment pas. On lui a confirmé la réussite de son programme en août 2010. L'obtention du titre de CPA, CMA, le 21 janvier 2011 n’a absolument aucune pertinence dans ce dossier selon moi. L’article 31.04 de la convention collective est très clair. L’avancement d’échelon est accordé suite à la réussite du cours pas l’obtention du titre. Je trouve qu’on se sert de la date de l’obtention du titre pour s’exempter d’une année de rétroactivité.
Encore une fois, si une rencontre avec la dotation est nécessaire, je suis on ne peut plus disposer à y être. D’ailleurs, si je regarde les cas que nous avons jusqu’à maintenant, il appert qu’une rencontre serait même fort pertinente!!
(reproduit tel quel et soulignement ajouté)
[33] Le 23 juin 2015, la CCQ maintient que les échelons ont été conformément accordés à la date anniversaire d’embauche suivant l’obtention du titre de CMA. François Brodeur, conseiller en relations du travail à la CCQ, explique que la plaignante a suivi un programme de formation de deux ans et que l’article 31.04 de la convention collective s’applique dans le cas d’études à temps complet d’une durée d’un an. Il ajoute que l’obtention du titre de CMA lui a cependant permis de satisfaire aux conditions prévues à cet article.
[34] À la suite de ce refus, le président Dubé confie à Annie Roberge, déléguée syndicale au comité de formation, le mandat d’entreprendre une ultime démarche à la prochaine séance de ce comité auquel participent également des représentants de la CCQ.
[35] Le 1er juillet suivant, cette déléguée, la quatrième à être chargée de la réclamation de la plaignante, en plus des deux présidents, annonce à celle-ci qu’il n’y a rien à faire :
Il semble qu’étant donné que nous ne puissions plus faire de grief, que l’employeur reste ferme sur sa position.
Sois assurée que nous en rediscuterons lord de notre prochain comité de formation, mais […] , cela semble bien négatif..
(reproduit tel quel et soulignement ajouté)
[36] La plaignante déclare qu’elle est surprise que le syndicat ne puisse plus faire de grief. Elle considère avoir fait ce qu’elle devait faire. Elle ne répond pas à ce courriel. Elle se souvient d’avoir reparlé à l’une des déléguées Dufresne ou Roberge.
[37] Le 19 août 2015, François Lapointe, délégué syndical au comité de formation, avise la plaignante que le syndicat ne peut pas exercer de recours et qu’elle peut déposer une plainte devant la Commission si elle n’est pas satisfaite de sa conduite dans le dossier.
[38]
Le devoir de représentation est défini à l’article
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave envers des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
[39] En l’espèce, le syndicat ne conteste pas le bien-fondé de la plainte. Cet élément et la bonne relation que celui-ci entretient avec la plaignante n’établissent pas qu’ils se soient entendus pour faire revivre le grief, et ce, au mépris des droits de l’employeur[3]. Cependant, cela ne permet pas automatiquement d’accueillir la plainte. Le Tribunal doit néanmoins déterminer si la plaignante a démontré que le syndicat, dans les circonstances, a fait preuve de négligence grave.
[40]
Par ailleurs, le Code prévoit que les obligations prévues à
l’article
47.3. Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique, selon les articles
116. Toute plainte à la Commission reliée à l'application des articles 12 et 13 et, dans le cas du refus d'employer une personne, à l'application de l'article 14, doit être déposée dans les 30 jours de la connaissance de la contravention alléguée.
Le délai prévu à l'article 47.3 s'applique à une plainte à la Commission reliée à l'application de l'article 47.2, même lorsque la plainte ne porte pas sur un renvoi ou une sanction disciplinaire.
(soulignement ajouté)
[41]
Le 27 juin 2013, la CCQ accorde à la plaignante l’avancement d’échelons,
qui lui avait été initialement refusé au cours de l’été 2010, mais seulement à
compter du
14 septembre 2011.
[42] La plaignante croit que cet avancement d’échelons devrait prendre effet à compter du 14 septembre 2010 puisqu’elle a réussi les examens requis pour l’obtention du titre de CMA au cours de l’été 2010.
[43] Le 5 juillet 2013, et à l’intérieur du délai prévu à la convention collective pour déposer un grief, la plaignante sollicite l’assistance du syndicat pour interpréter et appliquer correctement l’article 34.01 de la convention collective.
[44] Cela étant, la preuve montre que le syndicat n’a pas déposé de grief dans le délai prévu à la convention collective pour sauvegarder le droit de la plaignante de contester la décision de la CCQ quitte à le retirer après avoir analysé la situation de celle-ci et fait les consultations nécessaires.
[45]
Dans un premier temps, la CCQ prétend que la plaignante sait, dès sa
première conversation avec le président Dubé, le 5 mars 2015, qu’aucun grief n’a
jamais été déposé et, par conséquent, que sa plainte, déposée devant la
Commission le
15 septembre suivant, l’a été dans les jours suivant l’expiration du délai de
six mois.
[46] Or, le fait que le président Dubé siège au comité de griefs depuis la mi-année 2013 et qu’il sache que la réclamation de la plaignante n’a pas fait l’objet d’un grief ne prouve pas qu’il l’en ait informée dès leur première conversation.
[47] Certes, on peut s’interroger sur le fait que la plaignante ne cherche pas à obtenir d’informations relatives au grief dont le président Gamelin lui a parlé, en août 2014. Cela n’est cependant pas suffisant pour établir qu’elle connaissait ou devait connaître les faits reprochés au syndicat plus de six mois avant le dépôt de sa plainte. D’abord, à l’été 2014, les pourparlers de règlement sont toujours en cours selon ce qu’elle rapporte de son entretien avec le président Gamelin et cela n’est pas contredit par monsieur Brodeur. D’ailleurs, en mars et avril 2015, la CCQ procède à un nouvel examen de sa réclamation. Elle a des motifs de croire que son dossier est toujours actif.
[48] En fait, à partir de septembre 2013, le syndicat prend en charge la réclamation de la plaignante, sans aviser celle-ci qu’il n’a pas déposé de grief, ni qu’il ne lui est plus possible de le faire, ni qu’elle peut se plaindre de cette omission devant la Commission. Les interventions des différents représentants syndicaux, sans un tel avis, lui laissent croire que ses intérêts sont adéquatement représentés, ce qui n’est pas déraisonnable.
[49]
La plaignante est mise au courant du contraire beaucoup plus tard. C’est
le président Dubé, à une date dont il n’a pas gardé souvenir, mais postérieure
à sa communication du 5 mars 2015 avec la plaignante, et la déléguée Roberge,
le 1er juillet 2015, qui, tout en poursuivant des démarches auprès
de la CCQ, l’ont avisée que le syndicat n’avait jamais déposé de grief. Par
conséquent, la plainte a été déposée à l’intérieur du délai de 6 mois prévu au
Code.
[50] Dans l’arrêt Noël c. Société d’énergie de la Baie James[5], la Cour suprême définit ainsi la négligence grave :
51 Le quatrième élément retenu dans l’art.
[51] La CCQ plaide que l’omission de déposer un grief dans le délai prévu à la convention collective ne peut être qualifiée de négligence grave parce que la réclamation de la plaignante est vouée à l’échec en arbitrage et que les raisons pour lesquelles aucun grief n’a été déposé demeurent inconnues.
[52] L’objet du grief et ses chances de succès peuvent effectivement être considérés par le Tribunal. C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu la Cour d’appel, dans Benedetti c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (CSN)[6] :
[29] Tout
d’abord, on ne peut pas reprocher ici à la Commission d’avoir usurpé la
fonction de l’arbitre de grief. Il était naturel que le commissaire examine les
chances de succès du grief, puisqu’il aurait été inutile de renvoyer à
l’arbitrage, en vertu de l’article
(soulignement ajouté)
[53] Dans le présent cas, la plaignante prétend, avec le soutien du syndicat, que la CCQ, en lui accordant un avancement de deux échelons, reconnaît qu’elle satisfait aux conditions de l’article 31.04 de la convention collective, mais qu’elle ajoute au texte en exigeant l’obtention du titre de CMA en plus de la réussite des examens. La lecture de cet article, en tenant compte des positions des parties, convainc le Tribunal que sa réclamation soulève une question sérieuse relativement à l’interprétation et à l’application de l’article 31.04 de la convention collective et ne peut être rejetée à sa face même.
[54] Cela étant, l’omission du syndicat constitue-t-elle dans les circonstances de la négligence grave?
[55] Dans Rousseau c. Syndicat des spécialistes et professionnels d’Hydro-Québec, section locale 4250 (SCFP-FTQ)[7], la Commission a décidé que le défaut de contester dans le délai le rejet de la candidature du plaignant à un poste qui aurait constitué pour lui une promotion constitue de la négligence grave. L’extrait suivant s’applique à la présente plainte :
[15] En tenant compte de cet enseignement, qu'en est-il dans le présent cas ? L'omission du syndicat de déposer un grief dans le délai prévu à la convention collective cumulée aux conséquences de celle-ci sur le plaignant constitue une négligence grave. L'importance du travail dans la vie d'une personne n'est plus remise en question. Elle lui permet de se définir et de s'accomplir. Les règles de dotation du personnel sont régies par la convention collective et lui permettent de faire valoir son expérience professionnelle et de progresser professionnellement dans une organisation.
[16] Le comportement du syndicat a empêché le plaignant de contester la décision de l'employeur de ne pas lui accorder la fonction convoitée. Nous ne sommes pas devant une cause de contestation d'octroi de temps supplémentaire, mais devant une décision ayant des effets beaucoup plus importants pour le salarié.
(soulignement ajouté)
[56] La plaignante se trouve dans une situation assimilable à celle précédemment décrite. L’omission du syndicat de déposer un grief dans le délai imparti la prive de pouvoir procéder à l’arbitrage de sa réclamation et, advenant une décision arbitrale favorable, d’obtenir un ajustement salarial pour l’avenir ainsi que le remboursement du salaire dont l’a privée la décision de la CCQ depuis le 14 septembre 2010. Cette omission, compte tenu du caractère sérieux et permanent de ses conséquences pour la plaignante, constitue de la négligence grave et viole le devoir de représentation du syndicat. Les efforts qu’il déploie à la suite de son erreur ne changent rien au caractère gravement négligent de sa conduite.
[57] Par ailleurs, le fait que le président Dubé ne soit pas en mesure de fournir le motif pour lequel le syndicat n’a pas déposé de grief dans le délai prévu à la convention collective ne saurait empêcher le Tribunal de rendre une décision favorable à la plaignante dans les circonstances. Dans Morin c. Syndicat des employées et employés des techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, Syndicat canadien de la fonction publique[8], la Commission a rejeté un pareil argument :
[20] L’absence de preuve sur les circonstances entourant cette erreur de l’intimé [le syndicat] ne doit pas avoir un effet déterminant sur l’issue du litige. En effet, vu l’importance des griefs, il était de son devoir d’en assurer un suivi adéquat et de faire en sorte que les droits des plaignantes ne soient pas perdus.
(soulignement ajouté)
[58] Vu l’importance de la réclamation pour la plaignante, le syndicat devait s’assurer de sauvegarder le droit de celle-ci de procéder à l’arbitrage de sa réclamation pendant toute la durée de ses démarches auprès de la CCQ et il ne l’a pas fait.
[59] Le Tribunal est finalement d’avis que le syndicat peut représenter la plaignante devant l’arbitre et acquiesce à la demande de celle-ci.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la plainte;
AUTORISE Roselynn Myrtil à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par la ministre du Travail, aux frais du Syndicat du personnel d’enquête de la Commission de la construction du Québec, pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief.
|
|
|
Esther Plante |
|
|
Roselynn Myrtil |
|
Pour elle-même
|
|
Me Anne-Julie Rolland |
|
BARABÉ CASAVANT |
|
Pour la partie défenderesse |
|
|
|
Me France Legault GRAVEL2 AVOCATS |
|
Pour la partie mise en cause |
/ld
[1] RLRQ, c. T-15.1.
[2] RLRQ, c. C-27.
[3] Walker c. Syndicat des travailleurs et travailleuses du
Bonaventure (CSN),
[4] Depuis le 1er janvier 2016, c’est l’article
[5]
[6]
[7] 2006 QCCRT 0003
[8] 2014 QCCRT 0019
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.