[1.]
Le
31 août 1999, monsieur Réjean Guénette (le travailleur) dépose à la Commission
des lésions professionnelles, une contestation d'une décision rendue le 23 août
1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST)
agissant en révision en application de l'article
[2.]
Par
cette décision, la «CSST en révision» rejette une demande de révision logée par
le travailleur le 13 janvier 1999 et confirme une décision rendue par la CSST
en première instance le 16 décembre 1998, décision par laquelle
celle-ci refuse la réclamation du travailleur, niant par le fait même que ce
dernier ait été victime le 3 septembre 1998 d'une rechute, récidive ou
aggravation d'une lésion professionnelle antérieure, et détermine que l'article
OBJET DE LA CONTESTATION
[3.]
Le
travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la
décision de la «CSST en révision», de déclarer qu'il a droit de recevoir
l'indemnité de remplacement du revenu en application de l'article
[4.] Subsidiairement, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui reconnaître le droit de recevoir à nouveau l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 23 octobre 1998, date à laquelle le médecin en ayant charge a noté qu'il était en mesure de travailler trois jours par semaine et selon un horaire de jour seulement.
[5.] Incidemment, le travailleur ne prétend plus avoir été victime d'une rechute, récidive ou aggravation le 3 septembre 1998 et déclare explicitement en l'instance ne pas contester le volet de la décision de la «CSST en révision» portant sur cette question.
[6.] Le travailleur et la CSST étaient présents et dûment représentés par procureur à l'audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 21 janvier 2000 alors que l'employeur avait avisé de son absence et produit une argumentation écrite dont le travailleur et la CSST ont pu prendre connaissance séance tenante.
LES FAITS
[7.] La Commission des lésions professionnelles se réfère d'abord à l'ensemble de la preuve médicale, factuelle et administrative colligée au dossier tel que constitué, en retenant plus spécialement pour valoir comme s'ils étaient ici au long récités, le texte de l'entente intervenue entre les parties et entérinée par une décision du Bureau de révision en date du 15 novembre 1996, le formulaire intitulé «réclamation du travailleur» produit par ce dernier à la CSST en date du 18 novembre 1998 et le texte de la décision initiale de la CSST qui est à l'origine de la présente contestation.
[8.] La Commission des lésions professionnelles se réfère également au résumé des faits tels que retenus et relatés par la «CSST en révision» dans la décision qui est contestée en l'instance. Ce résumé se lit comme suit :
«(…)
Le travailleur est âgé de 46 ans. Il était pileur de bois.
Le 8 août 1995, le travailleur est victime d'une lésion professionnelle au dos. Il s'agit d'une entorse dorso-lombaire. La lésion est consolidée, le 10 janvier 1996, avec une atteinte permanente de 2 %. Toutefois, le travailleur se retrouve sans limitation fonctionnelle suite à l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale daté du 10 avril 1996.
Une rechute, récidive ou aggravation survenue le 29 mars 1996 est acceptée par la CSST. Le travailleur est consolidé, le 20 mai 1997, sans augmentation du pourcentage de l'atteinte permanente et avec des limitations fonctionnelles.
Le 15 novembre 1996, le Bureau de révision entérine une entente intervenue entre les parties et déclare que le travailleur suite à l'événement du 8 août 1995 présente des limitations fonctionnelles, que le travailleur n'est pas capable de refaire son emploi de pileur de bois et que ce dernier est capable d'exercer l'emploi convenable de gardien de sécurité disponible chez son employeur à partir de la date de consolidation de la rechute, récidive ou aggravation survenue le 29 mars 1996. Ceci signifie que le travailleur est en mesure d'occuper l'emploi convenable de gardien de sécurité à partir du 20 mai 1997.
Le 18 novembre 1998, le travailleur présente à la CSST une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 3 septembre 1998. Il n'y a pas de nouveau fait accidentel. Le travailleur affirme qu'il doit diminuer ses heures de travail suite à des problèmes diabétiques.
Au dossier, il y a seulement une note du médecin traitant datée du 23 octobre 1998 qui précise que le travailleur peut travailler 3 jours par semaine et de jour seulement. Le document n'en précise pas la raison.
(…)»
[9.] Enfin, la Commission des lésions professionnelles prend évidemment aussi en compte les documents déposés en preuve par le travailleur sous les cotes T-1 à T-3 à l'audience tenue le 21 janvier 2000, soit des notes médicales évolutives du médecin en ayant charge pour la période s'étendant du 10 septembre 1998 au 23 octobre 1998, une attestation émise par la médecin en ayant charge le 21 octobre 1999 et une autre attestation émise par la même médecin en date du 20 janvier 2000, ainsi que le témoignage du travailleur entendu à cette audience.
[10.] Dans le cadre de son témoignage, le travailleur allègue d'abord que, suite à une crise d'angine subie en 1993, il a été affecté à un nouvel emploi chez «Produits forestiers DG ltée» (l'employeur), soit à un poste de «pileur de bois». Le travailleur allègue par ailleurs qu'à la suite d'un accident du travail dont il a été victime en 1995, accident du travail reconnu à ce titre par la CSST, il s'est vu déterminer un emploi convenable de «gardien de nuit».
[11.] Le travailleur allègue essentiellement que sa condition de diabétique, condition connue depuis 1994 mais contrôlée, l'a rendu incapable d'exercer l'emploi convenable de «gardien de sécurité» travaillant de nuit, emploi occupé à compter du 20 mai 1997.
[12.] Le travailleur raconte à la Commission des lésions professionnelles qu'il lui est souvent arrivé, alors qu'il était au travail, d'entrer en hypoglycémie, expliquant qu'il présente alors des sueurs abondantes au point de l'obliger à changer de vêtements et qu'il doit alors s'alimenter d'urgence.
[13.] Le travailleur raconte aussi avoir été victime vers le 3 septembre 1998, d'une crise d'angine importante l'ayant amené à faire mesurer sa tension artérielle dans une pharmacie où il a été constaté que sa tension artérielle était incontrôlable. Le travailleur raconte qu'il a alors dû se rendre à l'urgence d'un hôpital où il a été hospitalisé pendant une période de cinq jours.
[14.] Le travailleur insiste sur le fait que le travail de «gardien de sécurité» travaillant la nuit, réduit considérablement la durée quotidienne de son sommeil, ce qui rend son taux de glycémie très difficile à contrôler.
AVIS DES MEMBRES
[15.] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d'avis que la preuve disponible établit de façon prépondérante que le travailleur présentait, avant la détermination de son emploi convenable de «gardien de sécurité», des conditions personnelles susceptibles de produire des effets le rendant incapable d'exercer ses fonctions de «gardien de sécurité» pendant la nuit alors qu'il est seul dans l'établissement.
[16.]
Les
deux membres considèrent en fait que, dans la mesure où le médecin ayant charge
du travailleur est d'avis que ce dernier n'est pas capable d'exercer son emploi
convenable de «gardien de sécurité» selon un horaire impliquant de travailler
pendant la nuit et que le travailleur a en conséquence dû cesser d'exercer cet
emploi convenable, l'article
MOTIFS DE LA DÉCISION
[17.] La question dont la Commission des lésions professionnelles doit disposer dans le cadre de la présente instance, consiste à déterminer si le travailleur a ou non «récupéré son droit à l'indemnité de remplacement du revenu et aux autres prestations prévues par la LATMP» à compter du moment où il a dû abandonner son «emploi convenable» sur l'avis du médecin en ayant charge, soit à compter du 23 octobre 1998, date à laquelle la médecin en ayant charge a exprimé son avis quant à son incapacité de continuer à exercer l'emploi en cause selon un horaire impliquant de travailler la nuit.
[18.]
L'article
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Avis médical.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui - ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
--------
1985, c. 6, a. 51.
[19.] À la simple lecture de la disposition législative précitée, il appert clairement que le législateur a voulu y prévoir une mesure de prudence permettant de pallier ou d'autrement corriger les conséquences néfastes et imprévues de l'exercice d'un «emploi convenable» juridiquement déterminé à ce titre.
[20.]
À
cet égard, la Commission des lésions professionnelles réitère intégralement en
l'espèce les motifs dont elle faisait état dans sa décision disposant de
l'affaire (Gaston Plante et Garage Léopold Côté inc. et CSST
«(…)
Ainsi, la Commission d'appel considère que le législateur a
manifestement voulu, par l'article
Toutefois, la Commission d'appel croit important de rappeler que la condition personnelle empêchant le travailleur d'être raisonnablement en mesure d'occuper un emploi convenable ou en regard de laquelle l'emploi convenable comporte des dangers pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur doit être préexistante à la détermination de cet emploi convenable, une incapacité découlant d'une cause autre qu'une lésion professionnelle et survenue après la détermination de l'emploi convenable n'étant manifestement pas du ressort de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, ni, donc, aucunement génératrice de droit en vertu de cette loi.
Sur ce point, la Commission d'appel fait sien l'argument de
la Commission à l'effet que le législateur n'a évidemment pas voulu donner à
l'article 51, précité, la portée ou l'étendue d'une «assurance tous risques»
contre tout événement de nature à rendre le travailleur incapable de continuer
à exercer son emploi convenable. La Commission d'appel estime cependant que le
législateur a voulu empêcher, par cette protection additionnelle créée par
l'article 51, que la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un
travailleur soient compromises dans le cadre ou en raison de l'application même
du processus de détermination et d'affectation du travailleur dans un emploi
convenable au sens de la définition précitée prévue à l'article
En l'espèce, la preuve soumise est à l'effet que l'état de santé précaire du travailleur est antérieur à la détermination de son emploi convenable d'agent de sécurité et que le travailleur occupait à plein temps son emploi convenable depuis moins de deux ans lorsqu'il a dû l'abandonner.
La Commission d'appel est donc d'avis que l'existence des
dangers identifiés par le médecin ayant charge du travailleur, le Dr Richard
Jacob, ainsi que la conclusion de ce dernier à l'effet que le travailleur doit
abandonner son emploi convenable en raison de l'existence de ces dangers
donnent ouverture à l'application de l'article
(…)»
[21.] Par ailleurs, en référence aux deux autres décisions jurisprudentielles soumises par le travailleur en l'instance, soit l'affaire «Thérèse Lacharité et Pantapile ltée, dossier CALP 48869-62-9302, monsieur le Commissaire Yves Tardif, 5 juillet 1995, et l'affaire Claude Poirier et Nazdar Québec ltée, CALP 29010-62-9105, madame la Commissaire Sylvie Moreau, le 7 juin 1993», la Commission des lésions professionnelles constate qu'elles ne vont pas à l'encontre des éléments ou motifs précités en ce que la première mettait en cause les limitations fonctionnelles médicalement identifiées aux fins de la détermination de l'emploi convenable, le médecin ayant charge de la travailleuse en ajoutant deux et en modifiant une, alors que dans la seconde affaire, le travailleur avait abandonné son emploi pour des motifs médicalement étrangers à ses limitations fonctionnelles et fondés sur une condition personnelle qui est apparue après la détermination et le début de l'exercice de l'emploi convenable en cause.
[22.] Dans le présent cas, la preuve disponible révèle que le travailleur présente une condition athérosclérotique qui provoque des crises d'angine relativement fréquentes depuis 1993 ainsi qu'une condition diabétique connue depuis 1994 et contrôlée par la prise d'hypoglycémiants depuis le début de l'année 1997, et que ces deux conditions personnelles sont donc préexistantes à la détermination de l'emploi convenable en cause de «gardien de sécurité» (de nuit) chez l'employeur.
[23.] Par ailleurs, la médecin ayant charge du travailleur est d'avis que les conséquences d'un tel état de faits associées aux risques additionnels que le travailleur entre en hypoglycémie ou soit victime d'une crise d'angine alors qu'il est seul à son travail, constituent un danger pour sa santé et sa sécurité et que, dans la mesure où il doit l'exercer selon un horaire impliquant de travailler la nuit, le travailleur n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi et doit en conséquence l'abandonner.
[24.] La Commission des lésions professionnelles retient en fait que, de l'avis de la docteure Dufour, médecin ayant charge du travailleur, tel qu'explicité dans ses attestations du 21 octobre 1999 et du 20 janvier 2000, le caractère solitaire et stressant de l'emploi de «gardien de sécurité» travaillant la nuit, constitue une condition relativement dangereuse pour la sécurité du travailleur compte tenu de sa vulnérabilité aux crises d'angine et de sa difficulté à contrôler efficacement son taux de glycémie, et que ces deux conditions personnelles préexistantes à la détermination de l'emploi convenable en cause, l'ont obligé à abandonner cet emploi avant l'expiration du délai de deux ans suivant la date à laquelle il a commencé à l'exercer, soit le 20 mai 1997.
[25.]
Ainsi,
la Commission des lésions professionnelles estime que les conditions donnant
ouverture à l'application de l'article
[26.] PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
ACCUEILLE la contestation logée par monsieur Réjean Guénette le 31 août 1999;
INFIRME en partie la décision rendue par la «CSST en révision» le 23 août 999;
INFIRME en partie la décision rendue par la CSST en l'instance le 16 décembre 1998;
DÉCLARE que monsieur Réjean Guénette a dû abandonner son «emploi convenable» chez «Produits forestiers DG ltée» sur l'avis émis par la médecin en ayant charge, la docteure Julie Dufour, en date du 23 octobre 1998;
et
DÉCLARE que monsieur Réjean
Guénette a en conséquence récupéré son droit à l'indemnité de remplacement du
revenu et aux autres prestations prévues par la LATMP à compter du 23 octobre
1998, le tout en application de l'article
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Commissaire |
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(Mme Hélène Dubreuil) 155, boul. Charest Est Québec (Québec) G1K 3G6 |
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Représentante de la partie requérante |
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(Me Normand Drolet) 70, rue Dalhousie, bur. 500 C.P. 190 Québec (Québec) G1K 7A6 |
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Représentant de la partie intéressée |
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PANNETON, LESSARD (Me Jean-Sébastien Noiseux) 777, rue des Promenades Saint-Romuald (Québec) G6W 7P7 |
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Représentant de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.