COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC QUÉBEC, le 30 SEPTEMBRE 1992 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: JEAN-GUY ROY DE QUÉBEC RÉGION: Saguenay- ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: JACQUES ARCHAMBAULT, L a c - S a i n t - J e a n médecin DOSSIER: 12940-02-8907 DOSSIER CSST: 9280 202AUDITION TENUE LE: 28 NOVEMBRE 1991 DOSSIER BRP: 60263391 À: JONQUIÈRE D A T E D U D É L I B É R É : 11 MAI 1992 SUCCESSION ROBERT BRADETTE 745, chemin Saint-Pierre CHICOUTIMI (Québec) G7H 5R3 PARTIE APPELANTE et SECAL 1955, boul. Mellon JONQUIÈRE (Québec) G7S 4L2 PARTIE INTÉRESSÉE et COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL Direction régionale Saguenay-Lac-St-Jean 901, boul. Talbot CHICOUTIMI (Québec) G7H 6P8 PARTIE INTERVENANTE D É C I S I O N Le 26 juillet 1989, le procureur de la Succession Robert Bradette (la partie appelante) en appelle d'une décision du 9 juin 1989 du Bureau de révision de la région Saguenay-Lac-Saint-Jean.Ce Bureau de révision, dans un premier temps, décidait qu'il avait compétence dans la présente affaire puisque c'est la date de production de la réclamation et non la date du décès du travailleur qui doit déterminer en vertu de quelle loi, soit la Loi sur les accidents du travail (L.R.Q. c. A.-3) soit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001), la réclamation de la partie appelante doit être traitée.
Sur le fond, le Bureau de révision, modifiant une décision du 28 avril 1988 de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission), décidait alors majoritairement, le représentant des travailleurs étant dissident, qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la réclamation à titre d'indemnité pour dommages corporels puisque M. Robert Bradette (le travailleur) n'était pas décédé en raison de sa maladie professionnelle, soit le cancer de vessie, et qu'ainsi celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 272 de la loi.
La Commission est intervenue dans la présente affaire conformément à l'article 416 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
À l'audience, les parties ont convenu de présenter par écrit leur argumentation. Le dernier document ayant été reçu le 11 mai 1992, c'est donc à cette dernière date que la présente affaire a été prise en délibéré.
OBJET DE L'APPEL La partie appelante demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision du 9 juin 1989 du Bureau de révision et de déclarer que c'est en vertu de la Loi sur les accidents du travail que doit être traitée sa réclamation.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Commission d'appel concluerait à l'applicabilité de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la partie appelante demande que soit reconnu le droit à l'indemnité pour dommages corporels prévue à l'article 83 de cette loi.
LES FAITS La Commission d'appel, après avoir pris connaissance du dossier et avoir entendu les parties, retient les éléments suivants de la présente affaire.
Le travailleur a débuté son emploi chez SÉCAL (l'employeur) le 12 mai 1941, à titre d'opérateur de cuves.
Le 10 août 1973, le travailleur est l'objet d'un diagnostic de cancer de la vessie. Il subit, le 28 août 1973, une cystectomie radicale.
Le travailleur décède le 10 janvier 1983 d'un infractus du myocarde. Ce diagnostic est confirmé par l'autopsie pratiquée le 11 janvier 1983. L'examen microscopique du 21 janvier 1983 révèle notamment un "status de cystectomie radicale avec vessie iléale pour carcinome de la vessie en 1973 (aucune évidence actuelle de récidive ou de métastase)".
Le 1er avril 1986, la Commission reçoit, au nom du travailleur, le formulaire "Avis d'accident et demande de prestations", non daté, non signé et dans lequel on inscrit "cystectomie, vessie iléale en août 1973".
Le 30 mars 1987, M. Claude Bradette, au nom de la partie appelante, signe le formulaire "Réclamation du travailleur" sur lequel il inscrit "cancer de la vessie et prostate". Il ajoute que le travailleur a oeuvré dans les salles de cuves de l'employeur de 1941 à 1973. La réclamation est présentée à titre de maladie professionnelle.
Le 7 avril 1988, le Dr Gilles Thériault, spécialiste en santé communautaire, signe le document suivant: «Après avoir pris connaissance de l'histoire professionnelle de M. Robert Bradette, CSST # 9280-202, et de l'appréciation de son exposition aux goudrons exprimée en années BaP, je suis d'avis que cette exposition était suffisante (selon le seuil établi par le comité d'experts convoqué à cet effet par la CSST le 24 janvier 1986) pour reconnaître une relation de causalité avec la présence éventuelle d'un cancer de la vessie.» La Commission, le 28 avril 1988, rend la décision suivante: «Suite à la réclamation que vous nous avez soumise pour M. Robert Bradette, nous vous avisons qu'il a été établi qu'il y avait relation entre son travail antérieur et le cancer de la vessie.
Cependant, puisque la réclamation fut soumise alors que M. Bradette était décédé, il n'y a aucune indemnité pour dommages corporels à verser.
Également, il nous est impossible d'établir s'il y a relation entre la cause du décès et le cancer de la vessie, puisque nous n'avons aucun document médical relatif au décès.
Sur réception de tels documents, il nous sera possible de réétudier ce dossier.» La partie appelante, le 5 mai 1988, demande la révision de cette décision de la Commission et conteste le fait que ne soit pas versée l'indemnité pour dommages corporels.
La Commission, le 8 juin 1988, informe la partie appelante qu'aucune indemnité de décès ne peut être versée puisqu'il n'y a "pas de relation entre la cause du décès et le cancer de la vessie". Cette décision de la Commission n'a pas été contestée.
Apparaît au dossier une lettre du 3 août 1988 du coordonnateur du secteur "Coordination-révision L.A.T.", M. Pierre Simard, dans laquelle celui-ci indique, qu'après analyse, il constate que le présent dossier lui a été acheminé par erreur puisque la date de la réclamation de ce dossier fait en sorte, en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, que celle-ci doit être traitée en vertu de cette dernière loi.
Le Bureau de révision, le 9 juin 1989, décide d'abord qu'il a compétence pour entendre la contestation du 5 mai 1988 de la partie appelante et, sur le fond, conclut que la Commission ne peut verser l'indemnité pour dommages corporels puisque le travailleur n'est pas décédé en raison de la maladie professionnelle dont il souffrait, soit le cancer de la vessie, et que sa réclamation ne satisfait pas aux exigences de l'article 272 de la loi. C'est de cette décision dont la partie appelante appelle, le 26 juillet 1989.
À la demande de la partie appelante, M. Gilles Harvey, témoigne.
Celui-ci est actuellement conseiller technique à la Fédération des syndicats du secteur aluminium Inc. (le Syndicat) et a occupé antérieurement différents postes de responsabilité syndicale, dont ceux de vice-président et de secrétaire du Syndicat.
Le témoin fait d'abord état d'un rapport de recherche intitulé "Cancer de la vessie chez les travailleurs des industries d'électrolyse de l'aluminium" réalisé par le Dr Gilles Thériault, M. Claude Tremblay et Mme Suzanne Gingras pour le compte de l'École de santé au travail de l'Université McGill et produit en juillet 1983.
M. Harvey indique que c'est en mars 1984 que le Syndicat émet des communiqués afin d'informer les travailleurs des résultats de l'étude épidémiologique du Dr Thériault et informe ces derniers de la procédure à suivre pour présenter une réclamation à la Commission.
En novembre et décembre 1984, le témoin assiste à différentes rencontres avec les représentants de la Commission, dont notamment M. Gaétan Lessard et le Dr Émile Simard, afin d'établir les modalités relatives aux réclamations susceptibles d'être présentées, à la suite du rapport Thériault. C'est alors qu'on s'entend pour sélectionner 20 dossiers qui serviront à la Commission pour établir les différentes modalités pour l'étude de l'ensemble des dossiers visés et la recevabilité des différentes réclamations. On convient alors de ne pas produire d'autres réclamations à la Commission pour les travailleurs atteints du cancer de la vessie. Le Syndicat conserve donc les réclamations qui lui avaient été acheminées jusqu'alors.
Une note de service du 14 décembre 1984 de M. Lessard adressée au secrétaire du Syndicat donne la liste des 20 dossiers ainsi sélectionnés. Le nom du travailleur n'y apparaît pas.
Le 9 décembre 1985, le témoin, accompagné du président du Syndicat, M. Lévis Desgagnés, rencontre des représentants de la Commission. Celle-ci les informe alors que Mme Hélène Beaudoin remplacera M. Lessard pour le traitement des réclamations. De plus, les représentants syndicaux sont informés qu'une décision sera rendue, au début de l'année 1986, relativement aux 20 dossiers qui avaient été précédemment sélectionnés. La Commission demande également au Syndicat de lui faire parvenir les autres dossiers qui étaient gardés en attente.
En janvier 1986, le mensuel du Syndicat, intitulé "Contact", comporte l'article suivant: «DOSSIER - CANCER DE LA VESSIE Vous vous souviendrez que suite à l'étude faite par l'Université McGill sur les cancers de la vessie, la F.S.S.A. avait invité toutes les personnes concernées par le problème à rencontrer leur officier afin de soumettre leur cas à la C.S.S.T. dans le but de faire reconnaître cette maladie comme maladie professionnelle.
À date, 102 cas ont été soumis et seront étudiés.
Beaucoup de dossiers sont complets et les autres sont à être complétés.
Il y a eu plusieurs démarches et rencontre avec la C.S.S.T. dont la dernière date du 9 décembre 1985.
La C.S.S.T. a formé un comité de cinq (5) médecins, ce sont: Dr Rochette, directeur médical C.S.S.T., Dr Émile Simard de la région, Dr Gilles Thériault de McGill responsable de l'étude sur le cancer de la vessie et deux (2) spécialistes de l'Hôpital Enfant-Jésus.
Ces médecins ont à étudier les 102 dossiers soumis, cas par cas, et feront des recommandations à la C.S.S.T.
qui aura à prendre les décisions finales. Nous nous attendons à ce que les premières décisions soient connues prochainement.
Si vous êtes concernés par ce problème et que vous n'avez pas encore soumis votre cas, voyez votre officier qui fera le nécessaire pour acheminer votre dossier correctement.
Nous vous tiendrons au courant des développements dans ce dossier! Le 27 février 1986, sous la signature de Mme Hélène Beaudoin, la Commission rend sa décision dans les 20 dossiers qui avaient été préalablement sélectionnés. Ces décisions indiquent notamment que la Commission accepte qu'il y a relation entre le cancer de la vessie dont souffre les travailleurs et leur travail antérieur. Elle accepte également de verser des indemnités pour la période d'incapacité totale temporaire qui a suivi le premier diagnostic relatif à cette maladie. Ces décisions fixent également le taux d'incapacité partielle permanente ou le déficit anatomo-physiologique dont souffre les travailleurs et certains dossiers sont dirigés en réadaptation sociale afin que soit évalué le taux d'inaptitude à reprendre le travail.
La Commission indique également à ceux qui ont pris leur pré- retraite ou leur retraite qu'ils ne recevront plus de prestations pour incapacité totale temporaire à compter de ce moment. Dans le cas des travailleurs décédés, la Commission précise que les indemnités seront payables à la succession et, le cas échéant, aux personnes à charge.
C'est le 6 janvier 1987 que le témoin fait parvenir à Mme Beaudoin la lettre suivante: «Tel qu'entendu lors de notre conversation du 5 janvier 1987, je vous fais parvenir, par la présente, la liste des personnes qui ont soumis leur dossier à la C.S.S.T.
afin de faire reconnaître que le cancer de la vessie a une relation avec leur travail.
Lorsque Monsieur Gaétan Lessard s'occupait des dossiers précités, nous recevions copie de toute correspondance et pouvions ainsi tenir nos dossiers à jour. Comme nous ne recevons plus cette correspondance et ce depuis le départ de Monsieur Lessard, auriez-vous l'amabilité de vérifier si cette liste représente bien les dossiers soumis et qui sont présentement sous étude. Ceci nous permettra de remettre nos dossiers à date et un meilleur suivi.» Sont annexés à cette lettre les "Cas soumis en date du 31 décembre 1986". Cette liste comprend 155 noms. Le nom du travailleur y apparaît.
Mme Beaudoin, dans une lettre du 19 janvier 1987 qu'elle fait parvenir à M. Harvey, annote et commente ainsi la liste des noms que celui-ci lui avait fait parvenir: « Suite à votre lettre du 6 janvier dernier, j'ai vérifié la liste que vous m'avez fait parvenir et je tiens à vous informer que dans plusieurs cas, il n'y a aucun dossier ouvert.
Également, il y a environ 25 cas ou les dossiers furent fermés soit parce qu'ils ont été refusés ou que les travailleurs n'ont jamais donné suite à notre demande d'information. Je joins à cette liste, copie de notre dernière correspondance dans ces cas.
Enfin, il y a 20 réclamations qui nous ont été soumises par les travailleurs eux-mêmes, sans votre intermédiaire et qui ne sont pas inclus dans votre liste. Je vous inclus les noms de ces travailleurs dans la liste ci-annexée.» Aucune annotation spéciale n'apparaît vis-à-vis le nom du travailleur.
Lors de son témoignage, M. Harvey indique également que lors de rencontres avec des représentants de la Commission il avait posé des questions à ceux-ci pour s'enquérir sous quelle loi seraient traitées les réclamations des travailleurs. On lui a alors répondu qu'on appliquerait sans doute la Loi sur les accidents du travail si le travailleur était décédé et que, dans les autres cas, ce serait la date des réclamations qui déterminerait la loi applicable. Il admet cependant qu'aucune décision à cet effet ne semblait avoir été alors prise.
Le témoin dépose également un document daté du 26 février 1985, signé par un garçon du travailleur, qui autorise le Service des archives de l'Hôpital de Chicoutimi à faire parvenir au Syndicat l'ensemble du dossier de celui-ci.
Interrogé par le procureur de l'employeur, le témoin indique que le communiqué syndical de mars 1984 a été distribué à tous les travailleurs de l'usine au moment où ceux-ci se présentaient aux barrières et qu'il a été acheminé par voie postale à tous ceux qui n'étaient plus au service de l'employeur. De même, le témoin ajoute que le Syndicat avait été informé que l'employeur avait écrit aux travailleurs qui n'étaient plus à son emploi pour leur demander d'aller passer des tests d'urine afin de s'assurer qu'ils ne souffraient pas du cancer de la vessie.
Interrogé par le procureur de la Commission, le témoin confirme qu'il y a une entente sur le fait de ne traiter, au départ, que 20 dossiers et que les autres dossiers devaient restés en attente. C'est pourquoi, après décembre 1984, le Syndicat disait aux travailleurs de garder leurs dossiers et qu'on communiquerait avec eux quand le temps serait venu. On voulait éviter ainsi, ajoute-t-il, de monter des dossiers pour rien alors qu'on ne savait pas encore l'orientation de la décision de la Commission concernant les 20 dossiers déjà sélectionnés.
Ce n'est que lorsque le Syndicat a su qu'une décision serait rendue au début de l'année 1986, que celui-ci a mis en place les mécanismes pour que soient présentés à la Commission les différents dossiers. Enfin, le témoin précise se souvenir qu'un représentant de la Commission lui avait demandé s'il était capable de fournir les dates où les travailleurs avaient, pour la première fois, rencontré le Syndicat relativement à leurs dossiers.
Pour sa part, la Commission fait témoigner Mme Hélène Beaudoin, chef d'équipe au Service de la réparation qui a notamment rendu les décisions de février 1986 dans les 20 dossiers qui avaient préalablement été sélectionnés.
Le témoin dépose un document manuscrit intitulé "Cancer de la vessie pour les travailleurs de l'aluminium" daté du 10 décembre 1984 et préparé par M. Gaétan Lessard. Il s'agit de la liste de 74 dossiers soumis à la Commission, en 1984, et dans laquelle les parties ont sélectionné les 20 dossiers ciblés. Le nom du travailleur n'y apparaît pas.
Le témoin dépose également un document qu'elle a confectionné, vers le mois de février 1986, et qui établit la liste des réclamations reçues à la Commission après le 19 août 1985. Cette liste comprend 55 noms dont notamment celui du travailleur.
Le témoin ne peut confirmer ou infirmer le fait qu'il y aurait eu des dossiers ouverts entre décembre 1984 et août 1985.
Mme Beaudoin explicite la façon dont étaient traités les dossiers reçus avant le 19 août 1985. Elle indique que chaque dossier, une fois complété, était soumis à un comité spécial, à Montréal, et que celui-ci devait établir s'il y avait relation entre le cancer de la vessie et le travail exercé et, dans l'affirmative, il déterminait le déficit anatomo-physiologique approprié. Dans le cas de décès, le comité indiquait également si la cause du décès était reliée au cancer de la vessie dont souffrait le travailleur.
Quant aux réclamations soumises après le 19 août 1985, le témoin indique qu'on ne demandait à ce comité que de se prononcer sur la relation entre le travail effectué et le cancer de la vessie.
Quand la Commission acceptait que le travail était relié au cancer de la vessie, elle en informait le travailleur et elle lui demandait de faire alors évaluer par son médecin l'atteinte permanente dont il souffrait. Dans le cas d'un travailleur décédé, la Commission payait seulement l'indemnité de décès prévue à la Loi sur les accidents du travail si le décès était survenu avant août 1985.
En somme, précise Mme Beaudoin, les réclamations présentées avant le 19 août 1985 ont été traitées en vertu de la Loi sur les accidents du travail et la Commission se replaçait dans le temps, comme si ces réclamations avaient été reçues au moment où les cancers s'étaient déclarés. On faisait comme si, au moment du diagnostic de cancer de la vessie, le rapport Thériault avait été connu.
Mme Beaudoin témoigne également qu'elle a précisé à M. Harvey, en mai 1988, qu'elle était prête à traiter les dossiers en vertu de la Loi sur les accidents du travail si elle avait la preuve que le travailleur avait soumis son cas au Syndicat avant le 19 août 1985.
Interrogée par le procureur du travailleur, Mme Beaudoin reconnaît que les indemnités versées dans les 20 dossiers qui avaient été sélectionnés rétroagissaient à la date du diagnostic.
De plus, elle admet que si le dossier du travailleur avait été soumis à la Commission avant le 19 août 1985, elle aurait sans doute appliqué à celui-ci les mêmes règles qu'elle a appliquées aux 20 cas précités.
ARGUMENTATION DES PARTIES Le représentant de la partie appelante expose que la réclamation qui a été présentée le 1er avril 1986 doit être traitée en fonction de la Loi sur les accidents du travail puisque ce n'est qu'en vertu d'une entente entre la Commission et le Syndicat si cette réclamation n'a pas été présentée avant le 19 août 1985.
Cette entente visait essentiellement le fait qu'aucune réclamation ne devait être présentée à la Commission tant que celle-ci n'aurait pas décidé du sort des 20 réclamations qui avaient été déjà sélectionnées en décembre 1984, décisions qui ont été rendues le 27 février 1986. C'est donc à compter de cette dernière date, soutient ce procureur, que doit s'effectuer la computation du délai pour présenter la réclamation.
Ce procureur argumente également que la Commission avait le pouvoir de conclure une telle entente et que, dans ce contexte, la date de réclamation ne peut être retenue pour déterminer si c'est l'ancienne loi ou la nouvelle loi qui doit recevoir application.
Pour sa part, le procureur de l'employeur expose que la réclamation du travailleur en constitue une à titre de maladie professionnelle et que, dans ce cas, les dispositions de la loi ne souffrent pas d'interprétation. En effet, précise-t-il, les articles 553 et 478 établissent clairement que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s'applique à toute réclamation présentée après le 19 août 1985 et on ne saurait invoquer qu'une entente entre un syndicat et la Commission puisse déroger à ces dispositions législatives, par ailleurs d'ordre public.
Dans un deuxième temps, le procureur de l'employeur expose que la réclamation de la partie appelante n'est pas recevable puisqu'en vertu des articles 270 et 272 de la loi, il faut, pour que notamment l'indemnité pour dommages corporels soit payable, que le travailleur soit décédé de sa maladie professionnelle, ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire.
À titre subsidiaire, le procureur de l'employeur expose, dans l'hypothèse où la Commission d'appel concluerait que la partie appelante pouvait loger la réclamation de maladie professionnelle en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, que celle-ci a été de toute façon produite en dehors du délai imparti et qu'aucune preuve n'a été présentée qui permettrait à la Commission d'appel de relever la partie appelante de son défaut.
Pour sa part, le procureur de la Commission, s'il ne nie pas l'entente intervenue entre celle-ci et le Syndicat, spécifie que cette entente administrative visait avant tout à éviter des frais financiers d'ouverture d'un nombre important de dossiers dont on ignorait le sort qui leur serait dévolu. Il insiste sur le fait que la preuve démontre que la Commission a traité comme ayant été reçue par elle-même toute réclamation déposée au Syndicat tout comme si cette réclamation avait été effectivement déposée à la Commission.
Quant à l'indemnité pour dommages corporels que recherche la partie appelante dans la présente affaire, le procureur de la Commission soutient que la Commission d'appel doit en disposer en fonction de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qu'elle est compétente pour ce faire et que cette réclamation à titre d'indemnité pour dommages corporels n'est pas recevable.
Sur le fait qu'il faille appliquer la nouvelle loi, le procureur de la Commission invoque notamment les articles 478 et 553 de cette loi et le fait que la preuve ne démontre aucunement que la réclamation du travailleur a été déposée à la Commission ou, à défaut, au Syndicat, avant le 19 août 1985.
Quant au fait que la partie appelante ne puisse réclamer une indemnité pour dommages corporels, le procureur de la Commission soutient qu'il est notamment fondé sur les articles 272 et 91 de la loi.
En réplique, le procureur de la partie appelante admet que la Commission et le Syndicat ne pouvait s'entendre, à supposer que telle entente ait existé, sur la loi applicable à la présente affaire, compte tenu du caractère d'ordre public de celle-ci.
Ce procureur s'insurge cependant sur le fait que la l'employeur et la Commission aient insisté sur le fait que la preuve n'avait pas été faite concernant le dépôt, avant le 19 août 1985, de la réclamation de la partie appelante au Syndicat. Sur ce sujet, il est d'avis que l'objet de l'entente intervenue entre la Commission et le Syndicat était d'autoriser ce dernier à agir pour et au nom des travailleurs et qu'il n'y a pas lieu de faire de distinction entre la réclamation que le Syndicat a reçue et a conservée en rétention et les réclamations qu'il n'a pas reçues parce qu'il a conseillé au travailleur d'attendre le moment propice pour les présenter.
À titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Commission d'appel concluerait qu'il faille appliquer la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le procureur de la partie appelante soutient que les réclamations ont été présentées dans le délai imparti puisqu'elles l'ont été dans les six mois qui suit le 27 février 1986, moment où la Commission a rendu les décisions dans les 20 dossiers sélectionnés et qu'il s'agit là également du moment où la partie appelante a su qu'il y avait relation entre la maladie dont souffrait le travailleur et le travail de celui-ci. Avant cette période, conclut-il, la partie appelante était dans l'impossibilité d'agir.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si c'est la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles doit trouver application dans la présente affaire. Le cas échéant, elle devra disposer du fond de l'appel, à savoir si la partie appelante est en droit de réclamer l'indemnité pour dommages corporels, à la suite de la réclamation qu'elle a présentée.
Après analyse de l'ensemble de la preuve, la Commission d'appel ne peut conclure autrement qu'à l'applicabilité de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Signalons au départ les dispositions de l'article 553 de cette loi: 553. Sous réserve de l'article 555, les dispositons de la présente loi s'appliquent aux accidents du travail et aux décès qui surviennent à compter de la date de leur entrée en vigueur.
Sous réserve de l'article 555 et du premier alinéa de l'article 576, ces dispositions s'appliquent aux maladies professionnelles pour lesquelles une réclamation est faite à compter de la date de leur entrée en vigueur.
Ces dispositions s'appliquent en outre à la classification et à la cotisation faites pour l'année 1986 et les années subséquentes et à l'imputation faite à compter de la date de leur entrée en vigueur.
Pour sa part, l'article 478 constitue en quelque sorte le pendant de l'article 553 de la loi. Il se lit ainsi: 478. La Loi sur les accidents du travail (chapitre A- 3), modifiée par les articles 479 à 483, et les règlements adoptés en vertu de celle-ci demeurent en vigueur aux fins du traitement des réclamations faites pour des accidents du travail et des décès qui sont survenus avant le 19 août 1985 et des réclamations faites avant cette date pour des maladies professionnelles, sauf s'il s'agit d'une récidive, d'une rechute ou d'une aggravation visée dans le premier alinéa de l'article 555.
Sous réserve des articles 580 et 581, cette loi, ainsi modifiée, et ces règlements demeurent en vigueur également aux fins de la classification des industries et de la cotisation des employeurs faites pour une année antérieure à l'année 1986.
Cette loi, ainsi modifiée, et ces règlements demeurent en vigueur également aux fins de l'application de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) et de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
L'examen de ces dispositions ne laisse aucun doute sur le fait que c'est la date de la réclamation pour maladie professionnelle qui détermine la loi qui doit s'appliquer à la personne qui réclame une indemnité pour dommages corporels.
Dans la présente affaire, la partie appelante a signé, le 30 mars 1987, le formulaire "Réclamation du travailleur". Un formulaire "Avis d'accident et demande de prestations", non daté et non signé, avait également été reçu à la Commission, le 1er avril 1986.
De la preuve dont elle dispose, la Commission d'appel comprend que le Syndicat, au nom des travailleurs visés, et la Commission ont convenu, devant les importantes conséquences qu'entraînait le rapport Thériault pour les travailleurs atteints du cancer de la vessie, de s'entendre pour que les dossiers visés puissent être traités adéquatement.
La Commission d'appel comprend les objectifs que recherchait alors le Syndicat qui voulait s'assurer que tous les dossiers qui étaient reliés au cancer de la vessie soient traités en bloc et que la même réponse soit apportée aux différentes situations qui se présentaient dans ces dossiers.
C'est au cours de la procédure de traitement des dossiers sur laquelle on s'était entendu que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est sanctionnée pour entrer en vigueur le 19 août 1985.
Même si la Commission d'appel partage les objectifs que la Commission et le Syndicat s'étaient fixés, à la suite de la publication du rapport Thériault, elle ne peut que constater, ainsi qu'il a été dit, que les dispositions des articles 553 et 478 viennent dorénavant établir les nouvelles règles du jeu et que c'est la date des réclamations qui devait guider la Commission dans sa décision d'appliquer à un cas de maladie professionnelle les dispositions de l'ancienne loi ou la nouvelle loi. Ce qui est vrai pour toutes les réclamations de maladie professionnelle qui ont été alors et depuis présentées à la Commission est également vrai pour les cancers de vessie chez l'employeur.
La Commission d'appel ne voit pas, devant des dispositions législatives aussi claires et pas susceptibles d'interprétation, en vertu de quel principe juridique elle pourrait conclure, relativement à l'entente intervenue entre le Syndicat et la Commission, qu'il serait possible de passer outre à ces dispositions législatives, surtout dans le contexte où la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d'ordre public, ainsi que l'édicte l'article 4 de cette loi qui se lit ainsi: 4. La présente loi est d'ordre public et une disposition d'une convention ou d'un décret qui y déroge est nulle de plein droit.
Cependant une convention ou un décret peut prévoir pour un travailleur, une personne qui exerce une focntion en vertu de la présente loi ou une association accréditée des dispositions plus avantageuses pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur.
L'analyse de la preuve démontre que dès février 1985, la partie appelante demande au Centre hospitalier de Chicoutimi de transmettre au Syndicat le dossier médical du travailleur.
De même, la preuve révèle que ce n'est que le 1er avril 1986 que la Commission reçoit une réclamation non datée et non signée dans laquelle on invoque la maladie professionnelle dont souffrait le travailleur.
Cette même preuve révèle également que ce n'est que sur la liste préparée par le Syndicat des 155 personnes dont les cas sont soumis à la Commission en date du 31 décembre 1986 que le nom du travailleur apparaît pour la première fois. Il n'apparaît pas à la liste du 10 décembre 1984 des 74 personnes qui ont servi à la pré-sélection des 20 cas types. Par contre, la liste des 55 noms qu'a confectionnée la représentante de la Commission, Mme Beaudoin, vers le mois de février 1986, indique que la réclamation du travailleur a été présentée à la Commission après le 19 août 1985.
La Commission d'appel constate également que Mme Beaudoin a offert au Syndicat de traiter toute réclamation en vertu de l'ancienne loi si celui-ci lui démontrait que telle réclamation avait été reçue par ce dernier avant le 19 août 1985. Or, rien dans la preuve ne permet de conclure que le Syndicat, dans la présente affaire, ait pu donner suite à cette offre de la Commission.
Dans les circonstances, la Commission d'appel ne peut que conclure que la réclamation pour maladie professionnelle de la partie appelante a été produite après l'entrée en vigueur de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et, en conséquence, que c'est en vertu de cette dernière loi que le droit revendiqué doit être envisagé.
Il reste donc à déterminer si, comme le réclame la partie appelante, celle-ci a droit à l'indemnité pour dommages corporels à laquelle aurait pu avoir droit le travailleur.
La Commission d'appel croit d'abord utile de préciser qu'il ne faut pas confondre l'indemnité pour dommages corporels ainsi payable en cas de décès et les indemnités de décès prévues aux articles 98 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui sont versées lorsqu'un travailleur décède en raison de sa lésion professionnelle.
Dans la présente affaire, la preuve démontre que, relativement aux indemnités de décès, la Commission a informé la partie appelante, le 8 juin 1988, qu'aucune telle indemnité ne serait versée puisqu'il n'y avait aucune relation entre la cause du décès et la maladie professionnelle dont souffrait le travailleur. Cette décision n'a pas été contestée.
C'est en fonction de l'article 91 de la loi que le droit à l'indemnité pour dommages corporels doit être analysé. Cet article se lit ainsi: 91. L'indemnité pour dommages corporels n'est pas payable en cas de décès du travailleur.
Cependant, si le travailleur décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle et qu'à la date de son décès, il était médicalement possible de déterminer une séquelle de sa lésion, la Commission estime le montant de l'indemnité qu'elle aurait probablement accordée et en verse un tiers au conjoint du travailleur et l'excédent, à parts égales, aux enfants qui sont considérés personnes à charge.
En l'absence de l'un ou l'autre, la Commission verse le montant de cette indemnité au conjoint ou aux enfants qui sont considérés personnes à charge, selon le cas.
Dans un premier temps, il y a lieu de remarquer que l'indemnité pour dommages corporels n'est pas payable à la succession comme telle, mais bien aux personnes spécifiquement énumérées à l'article 91 de la loi, soit le conjoint du travailleur décédé et les enfants à charge.
Dans un deuxième temps, la Commission d'appel constate que cette indemnité pour dommages corporels n'est pas payable en cas de décès du travailleur à moins, ainsi que le précise le deuxième alinéa de l'article 91 de la loi, que celui-ci décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle et qu'à la date de son décès il était médicalement possible de déterminer une séquelle de sa lésion.
A priori, puisque la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s'applique, il apparaît que les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 91 de la loi sont susceptibles de trouver application dans la présente affaire. En effet, le travailleur est décédé d'un infarctus du myocarde, soit d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle.
Cependant, l'état du dossier que possède la Commission d'appel ne lui permet pas de déterminer les séquelles possibles de la lésion professionnelle du travailleur ni à qui l'indemnité qui pourrait être accordée en conséquence devrait être versée.
Dans de telles circonstances, la Commission d'appel juge opportun de retourner le dossier à la Commission afin que celle-ci décide de ces questions.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES: REJETTE l'appel du 26 juillet 1989 de la Succession Robert Bradette; CONFIRME, en partie, la décision du 9 juin 1989 du Bureau de révision de la région Saguenay-Lac-Saint-Jean; DÉCLARE que les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s'appliquent à la demande d'indemnité pour dommages corporels présentée à la Commission de la santé et de la sécurité du travail; DÉCLARE que la Succession Robert Bradette n'a pas droit à l'indemnité pour dommages corporels, à la suite du décès de M.
Robert Bradette; RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que celle-ci décide, conformément à l'article 91 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, des séquelles de la lésion professionnelle de M. Robert Bradette qui étaient médicalement possible de déterminer au moment du décès de celui-ci et, le cas échéant, les bénéficiaires de l'indemnité payable.
JEAN-GUY ROY Commissaire TRUDEL, NADEAU, LESAGE, CLEARY ET ASSOCIÉS (Me Sylvain Seney) 5000, boul. des Gradins Bureau 300 QUÉBEC (Québec) G2J 1N3 Représentant de la partie appelante OGILVY RENAULT (Me Christian Beaudry) 1981, avenue McGill College MONTRÉAL (Québec) H3A 3C1 Représentant de la partie intéressée CHAYER, PANNETON, LESSARD (Me Daniel Malo) 1199, rue de Bleury 12e étage MONTRÉAL (Québec) H3C 4E1 Représentant de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.