Décision

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Gabarit EDJ

Brasseur c. Reid

2015 QCCQ 6815

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

LACHUTE

« Chambre civile »

N° :

725-32-000387-147

 

 

 

DATE :

14 JUILLET 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

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MÉLANIE BRASSEUR

-et-

SERGE-ALEXANDRE BOUCHARD

-et-

FERME VALLÉE DES ALPAGAS

Demandeurs / défendeurs reconventionnels

c.

CATHERINE REID

-et-

DANIEL BENOIT

-et-

ALPAGE DU NORD SENC

Défendeurs / demandeurs reconventionnels

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

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[1]           Mélanie Brasseur, Serge-Alexandre Bouchard et Ferme Vallée des alpagas (ci-après collectivement appelés «Vallée des alpagas») réclament 6 448,56 $ à Catherine Reid, Daniel Benoit et Alpage du Nord senc (ci-après collectivement appelés «Alpage du Nord»), et ce, pour des dommages qui leur ont été causés suite à l’achat d’un chien de race berger de maremme destiné à garder un troupeau d’alpagas.

[2]           La réclamation se détaille comme suit : 2 000 $ pour le remboursement complet de la somme payée pour l’achat du chien, 2 000 $ pour chacun des deux bébés alpagas morts en raison du comportement du chien ainsi que 448,56 $ représentant les frais de vétérinaire pour l’euthanasie du chien.

[3]           Alpage du Nord refuse de payer le montant réclamé, et ce, considérant qu’elle n’a commis aucune faute et qu’il ne peut y avoir aucune garantie en ce qui a trait au comportement d’un chien une fois déplacé dans son nouvel environnement.

[4]           Elle se porte demanderesse reconventionnelle et réclame 3 000 $ pour tous les troubles et inconvénients qui lui ont été occasionnés.

Les faits pertinents à la solution du litige

En demande

[5]           Vallée des alpagas décide de procéder à l’élevage d’alpagas et d’acquérir 9 bêtes. Voulant aussi acquérir un chien, une première rencontre se tient en 2012 chez Alpage du Nord, le but ultime étant l’achat d’un berger de maremme afin de garder le troupeau.

[6]           Les discussions se tiennent particulièrement entre mesdames Mélanie Brasseur et Catherine Reid. Plusieurs rencontres d’une durée de plusieurs heures chacune se tiennent. Un contrat d’achat d’un chien intervient entre les parties le 17 avril 2013. Le contrat est signé par mesdames Brasseur et Reid.

[7]           Vers le mois de juin 2013, le chien Luminara est amené chez Vallée des alpagas. Madame Brasseur et monsieur Bouchard témoignent à l’effet que, bien que  madame Reid leur ait confirmé qu’il s’agissait de l’un de ses meilleurs chiens, Luminara n’a pas les comportements attendus de lui.

[8]           Il ne fait pas son travail de gardien de troupeau, qu’il soit avec les mâles, les femelles ou encore avec les jeunes bêtes.

[9]           Les parties auront des contacts réguliers tout au long de l’année 2013 pour tenter d’améliorer la situation. Madame Reid tente de les aider mais cela s’avère infructueux.

[10]        Il y aurait eu un incident vers le mois de septembre 2013, duquel ni madame Brasseur ni monsieur Bouchard n’ont cependant été témoins. Un bébé alpaga serait mort à ce moment.

[11]        Un second incident survient au mois de février 2014 alors qu’en fin de journée, madame Brasseur découvre un autre alpaga mort et éviscéré dans son enclos. À ce moment, Luminara a du sang sur lui.

[12]        Conformément aux dispositions du contrat liant les parties, on contacte alors madame Reid qui ne veut pas reprendre l’animal et qui en autorise l’euthanasie.

En défense

[13]        Madame Reid affirme qu’après plusieurs rencontres, notamment avec les enfants de madame Brasseur et monsieur Bouchard, elle leur a vendu le chien Luminara qui était un chien exemplaire et travaillant de très belle façon chez elle, autant avec les femelles qu’avec un troupeau mâle ou de plus jeunes bêtes.

[14]        Elle explique que plusieurs aspects du comportement du chien peuvent avoir  été changés, selon la façon dont il est élevé, ou selon l’environnement dans lequel il se trouve.

[15]        Elle n’est pas d’accord avec madame Brasseur sur certains aspects de la nouvelle vie du chien Luminara. Selon elle, le chien a beaucoup changé.

[16]        Finalement, elle soutient que le contrat ne contient aucune garantie quant au comportement du chien, élément qui demeure trop imprévisible, surtout lors d’un changement de milieu de vie.

Analyse et décision

Le fardeau de preuve

[17]        Afin de faciliter la compréhension du présent jugement par les parties, le Tribunal croit important de reproduire les articles du Code civil du Québec qui reçoivent ici application.

[18]        L'article 2803 C.c.Q énonce:

« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

[19]        Cet article impose au demandeur le fardeau de prouver les allégations contenues dans sa demande, et ce, par prépondérance de preuve.

 

[20]        L'article 2804 C.c.Q. ajoute:

« La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[21]        Ce dernier article permet au Tribunal d'apprécier la preuve présentée de part et d'autre par les parties, afin de déterminer si, effectivement, l'existence d'un fait est plus probable que son inexistence.

Nature du contrat

[22]        La relation d'un être humain avec son chien en est une tout à fait particulière. Elle peut être gratifiante au point où on en vient à considérer l'animal comme un pair.

[23]        Juridiquement, il en est tout autrement. Le droit québécois est clair. Un chien est un simple meuble au sens des dispositions du Code civil du Québec. Du moins, telle était la situation en 2013.

[24]        Les parties sont donc liées par un contrat d’achat d’un bien meuble. Ce contrat écrit ne fait voir aucune garantie en ce qui a trait au type de travail que devra exécuter ce chien et sur la qualité de ce travail mais il est en preuve que les parties en ont longuement discuté entre elles et que des représentations ont été faites à ce sujet par le vendeur.

[25]        Quelle est donc la base du recours intenté par Vallée des alpagas ?

Fondement juridique du recours

i.          Garantie de qualité

[26]        Est-ce un recours fondé sur la garantie de qualité édictée aux articles 1726 et suivants du Code civil du Québec qui prévoient un cadre juridique spécifique concernant la responsabilité du vendeur d'un bien, afin qu'il en assure à l'acheteur la jouissance paisible. Une de ces garanties du droit de propriété est la garantie de qualité, souvent appelée la garantie contre les vices cachés.

[27]        L'article 1726 du Code civil du Québec précise:

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

[28]        Pour que la garantie de qualité d’un bien s’applique, il est maintenant bien établi que cinq grandes conditions doivent être démontrées par l’acheteur, c’est-à-dire que le bien est affecté d’un vice, que ce vice est grave, qu’il est antérieur à la vente, qu’il est inconnu de l’acheteur et finalement, qu’il a été dénoncé dans un délai raisonnable au vendeur.

[29]        Il est difficile de prévoir le comportement de tout animal, notamment d’un chien, même s’il est très bien dressé, lorsqu’on le place dans un nouvel environnement, lorsque ses habitudes de vie sont bousculées, ou encore dans toute autre contexte particulier.

[30]        Par ailleurs, la preuve des circonstances d’un incident en septembre 2013 n’a pas été faite puisqu’aucun des témoins à l’audience n’a vu ce qui s’est passé. Il en va ainsi pour l’incident du mois de février 2014. Les circonstances et le contexte exact de cet incident n’ont fait l’objet d’aucune preuve devant le Tribunal.

[31]        Que s’est-il passé réellement ? La preuve ne répond pas, du moins de façon prépondérante, à cette question.

[32]        Le contrat ne prévoit pas non plus d’obligations particulières quant au comportement de l’animal et à la qualité de son travail. Le Tribunal est d’avis que la preuve ne démontre pas que le bien était affecté d’un vice.

ii.         Faute contractuelle

[33]        Alpage du Nord a-t-elle commis une faute contractuelle, ou encore refusé d’exécuter ses obligations. À ce sujet, l'article 1458 du Code civil du Québec édicte que toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés. Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice.

[34]        La seule lecture du contrat tend à suggérer que Alpage du nord a satisfait à toutes ses obligations. Mais il y a plus, le Tribunal doit tenir compte des représentations, plus particulièrement celles de madame Reid, faites avant la vente, et qui sont admises à l’audience.

[35]        Luminara était un de ses meilleurs chiens, de sorte que les acheteurs ont été réconfortés. Ils étaient en droit de s’attendre à une performance s’approchant de celle décrite par madame Reid. Or, ce n’est pas ce qu’ils ont obtenu.

[36]        Usant de la discrétion judiciaire dont il jouit, le Tribunal conclut que Alpage du nord est responsable pour moitié de la perte de Vallée des alpagas relative à la valeur ou au prix d’achat du chien, soit la somme de 1 000 $.

[37]        Ce sont là les seuls dommages octroyés par le Tribunal.

iii.        Faute extracontractuelle

[38]        La pierre angulaire du droit de la responsabilité civile se retrouve à l'article 1457 du Code civil du Québec, lequel se lit ainsi:

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

 

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

 

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

[39]        Le Tribunal est d’avis que Catherine Reid, Daniel Benoit et Alpage du Nord senc ont ici respecté les règles de conduite qui s’imposaient dans les circonstances, qu’ils ont agi de bonne foi et, de façon générale, n’ont commis aucune faute extracontractuelle.

[40]        Par ailleurs, le dernier paragraphe de l’article 1457, jumelé à l’article 1466 C.c.Q. qui stipule que le propriétaire d’un chien est responsable des dommages causés par ce dernier, fait en sorte que la somme de 4 000 $ réclamée pour la perte des bébés alpagas est la responsabilité du propriétaire du chien, en l’absence de faute d’un tiers, et ne peut donc être réclamée à Alpage du Nord qui n’était plus propriétaire depuis plusieurs mois.

[41]        POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[42]        ACCUEILLE en partie la demande;

[43]        CONDAMNE Catherine Reid, Daniel Benoit et Alpage du nord senc à payer à Mélanie Brasseur, Serge-Alexandre Bouchard et Ferme Vallée des alpagas la somme de 1 000 $ avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q, à compter du 21 octobre 2014;

[44]        SANS FRAIS vu les circonstances.

 

 

__________________________________

JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

 

Date d’audience :

11 JUIN 2015

 

AVIS :
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