Club de tir l'Acadie c. Tribunal administratif du Québec |
2020 QCCS 2664 |
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COUR SUPÉRIEURE
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MonTRÉAL |
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No : |
500-17-105113-180 |
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DATE : |
26 août 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CHRISTIAN IMMER, J.C.S. |
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CLUB DE TIR L’ACADIE |
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Demandeur |
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c. |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC |
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Défendeur |
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et |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Mis-en-cause |
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JUGEMENT |
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sur le pourvoi en contrôle judiciaire |
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[1] Le Club de tir de l’Acadie se pourvoit en contrôle judiciaire d’une décision du 12 septembre 2018 du Tribunal administratif du Québec (« TAQ »). Cette décision confirme l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire (« SAP ») de 10 000 $ au Club de tir de l’Acadie pour un manquement à l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement[1]. Il est reproché au Club d’avoir émis ou permis l’émission de bruits dont la présence est susceptible de porter atteinte au bien-être ou au confort de l’être humain.
[2] Les membres du Club, en conjonction avec les membres de Pêcheurs et Chasseurs de Montréal inc., s’adonnent au tir au pistolet et à la carabine sur un champ de tir à Saint-Jean-sur-Richelieu (« Ville ») depuis 1960. Avec l’urbanisation croissante du secteur avoisinant, des résidents se sont progressivement installés à proximité du champ de tir.
[3]
En 2013, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de
la Faune et des Parcs du Québec (« MELCC »)[2]
reçoit des plaintes de la Ville et de citoyens relativement aux bruits émis par
le champ de tir. Il procède à la prise de mesures sonores, il conclut que les
activités du Club constituent un manquement au deuxième alinéa in fine,
de l’article
[4] Une rencontre a lieu en décembre 2013 entre la Ville, le MELCC et le Club. Un plan d’action est proposé au terme duquel les activités de tir seraient transférées dans un bâtiment fermé. Or, ce plan s’avère mort-né, car une condition préalable au plan proposé, soit le changement du schéma d’aménagement de la MRC, ne pourra être effectuée dans un avenir prévisible, étant donné les exigences que le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire pose en 2015.
[5] Le MELCC procède alors à une nouvelle série de mesures de bruit et constate que le bruit s’est intensifié. Il reçoit en parallèle plusieurs expertises qui concluent toutes à l’émission de bruits excessifs. Un nouvel avis de non-conformité est émis. Le MELCC estime que les conséquences des manquements à la LQE sont modérées et qu’il y a présence de facteurs aggravants. Il impose donc une SAP au Club et lui réclame 10 000 $.
[6] Le Club demande le réexamen de cette décision, sans succès, au Bureau de réexamen du MELCC. Puis, le Club la conteste devant le TAQ, à nouveau sans succès. Il introduit donc un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure.
[7] Au soutien de son pourvoi, le Club plaide d’abord qu’il y a eu absence d’équité procédurale en ce que le MELCC et en particulier l’inspectrice Danièle Poulin n’aurait pas agi de façon impartiale et aurait outrepassé ses pouvoirs d’inspection viciant de façon irrémédiable le processus d’imposition de la SAP. Dans un deuxième temps, il soutient que la décision est déraisonnable, car elle ne s’appuie pas sur une analyse multifactorielle du bruit, comme le commande la Cour d’appel dans l’affaire Iredale[4]. En particulier, le Club plaide que la décision comporte des lacunes graves en ne tenant pas compte notamment de l’antériorité des opérations du champ de tir, que les plaintes étaient l’œuvre essentiellement d’un seul plaignant et qu’un litige en Cour supérieure relativement à la réglementation municipale a mené à un règlement quant aux modalités d’opération du Club.
[8] Les questions en litige sont donc :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable sur la question portant sur l’équité procédurale ?
2. Le TAQ a-t-il erré en considérant que les principes d’équité procédurale avaient été respectés par le MELCC ou, que subsidiairement, de tels défauts avaient pu être corrigés par la suite devant le Bureau et devant le TAQ ? En particulier :
2.1 Le MELCC a-t-il agi de façon partiale ? Et si oui, ce manquement à l’équité procédurale pouvait-il être redressé par le Bureau de réexamen ou le TAQ ?
2.2 L’inspectrice a-t-elle excédé ses pouvoirs d’inspection et a-t-elle mené une enquête ? La SAP est-elle de ce fait frappée de nullité ?
3. La décision du TAQ fait-elle fi de l’analyse multifactorielle du bruit dans son analyse de la violation de l’article 20, alinéa 2 in fine et la décision est-elle donc déraisonnable ?
[9] Pour les motifs plus amplement élaborés ci-dessous, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale. Par ailleurs, le Club ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable.
[10] Avant de trancher les questions en litige il est nécessaire d’établir le cadre législatif, réglementaire et administratif applicable lors de l’imposition d’une SAP en vertu de la LQE et de sa contestation devant le Bureau de réexamen ou devant le TAQ.
[11]
Le régime des SAP prévu aux articles
[12] Il s’inscrit dans la vaste gamme de mesures à la disposition de l’État québécois, et en particulier du MELCC ou de son ministre, pour assurer le respect des lois environnementales québécoises. Au moment où se déroule les procédures pertinentes, la LQE prévoyait en effet qu’un manquement à cette loi ou à ses règlements peut entraîner : l’envoi d’un avis de non-conformité, l’imposition d’une SAP[6], une poursuite pénale[7], des mesures administratives telles l’émission d’une ordonnance[8] ou la suspension d’une autorisation[9] et des mesures judiciaires civiles[10]. L’architecture fondamentale de la LQE demeure après la refonte effectuée en 2017, bien que l’étendue des recours ou leurs modalités ont pu être modifiées[11].
[13] La mise en application de l’une ou l’autre de ces mesures n’est pas exclusive. En d’autres termes, un manquement peut entraîner l’exercice de plusieurs mesures en parallèle. Toutefois, une SAP ne peut être imposée à une personne en raison d’un manquement lorsqu'un constat d'infraction lui a été antérieurement signifié en raison d'une contravention à la même disposition, survenue le même jour et fondée sur les mêmes faits[12].
[14]
En ce qui a trait en particulier aux SAP, la LQE établit les sanctions
monétaires qui pourraient être réclamées d’une personne morale[13].
Elles sont de 1 000 $, 2 000 $, 5 000 $ ou 10 000 $.
Chacun des articles
- L’imposition d’une SAP et le cadre général d'application de ces sanctions administratives en lien avec l'exercice d'un recours pénal
[15]
L’article
[16] Pour la période visée par le présent recours, le Cadre est celui émis par le ministre en juillet 2013[15]. Il n’est pas aisé de faire la qualification juridique de ce document. Il ne constitue ni un texte de loi ni un règlement. Son adoption est toutefois mandatée par la LQE. Ainsi, il ne s’agit pas non plus d’une simple directive comme celle étudiée par la Cour d’appel dans Atocas de l’érable[16]. Pour les fins du présent dossier, il suffit de noter que le Cadre est appliqué par le MELCC, le Bureau de réexamen et le TAQ[17].
[17]
La section 3 du Cadre précise que la poursuite pénale sera « généralement
priorisée » lorsque l’atteinte réelle ou appréhendée est grave ou
suffisamment grave. C’est le Directeur des poursuites criminelles et
pénales qui est responsable de prendre la décision d’intenter cette poursuite
pénale, à moins que cette responsabilité ait été confiée à une municipalité
dans une disposition réglementaire[18].
Si l’accusé est déclaré coupable, le tribunal pourra imposer une peine
importante. Ainsi, dans le cadre d’une infraction à l’article
[18] La section 4 du Cadre traite des SAP. Les directeurs régionaux du Centre de contrôle environnemental du Québec sont notamment désignés pour imposer ces SAP[21]. En l’instance, c’est le directeur régional de la direction régionale du Centre de contrôle environnemental de l’Estrie et de la Montérégie, Daniel Savoie, qui l’impose[22]. Il revient, à ces directeurs régionaux « d’évaluer l’opportunité » d’imposer une SAP, « seule ou en sus des autres mesures administratives ou judiciaires disponibles, en tenant compte de l’ensemble des circonstances propres à chaque dossier »[23].
[19] Toujours dans la section ayant trait aux SAP, le Cadre fait une distinction fondamentale selon que les conséquences de l’atteinte réelle ou appréhendée sur l’être humain sont mineures ou modérées.
[20] Lorsque les conséquences de l’atteinte sont modérées, le Cadre prévoit que « de manière générale », la SAP est imposée, et ce « sans égard au retour à la conformité »[24]. Il faut toutefois noter que la jurisprudence du TAQ reconnaît qu’il est possible pour la personne qui est responsable d’un manquement à la LQE d’invoquer sa diligence raisonnable en défense à l’imposition d’une SAP[25].
[21] Si les conséquences du manquement sont mineures, une SAP « n’est pas imposée si la personne (…) se conforme après qu’un avis de non-conformité lui ait été notifié »[26]. Toutefois, le Cadre précise que même en présence d’une atteinte mineure, une SAP peut néanmoins être imposée, sans égard au retour à la conformité, si le directeur régional du contrôle « évalue qu’il s’agit de la mesure la plus appropriée compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment dans les cas suivants » :
· Un manquement à la Loi ou à ses règlements de même degré de gravité objective, ou de gravité objective plus élevée, a été commis par la même personne ou municipalité ou par une entreprise dirigée ou administrée par un même dirigeant ou administrateur dans les cinq (5) ans précédant la constatation d’un nouveau manquement, et ce manquement antérieur a fait l’objet d’une communication écrite de la part d’un représentant du Ministère ou d’un constat d’infraction à l’intérieur de ce délai;
· Si plusieurs manquements commis par la même personne ou municipalité sont constatés le même jour.
[22] La LQE prévoit que chaque manquement susceptible de donner lieu à l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire constitue un manquement distinct pour chaque jour durant lequel il se poursuit[27]. Une SAP peut donc être imposée pour chaque telle journée.
[23] La LQE stipule qu’un avis de non-conformité « peut être » notifié à la personne ou à la municipalité en défaut, afin de l’inciter à prendre, sans délai, les mesures requises pour remédier au manquement[28]. Le Cadre précise que cet avis de non-conformité « constitue un avis préalable à une éventuelle » SAP[29]. C’est le « moyen par lequel le ministre informe la personne concernée lorsqu’un manquement » à la LQE est constaté[30]. Selon le Cadre, dès la réception d’un tel avis, la personne visée peut communiquer avec le MELCC afin de soumettre ses observations quant au manquement constaté[31].
[24] Lorsque le directeur régional impose une SAP à une personne, elle doit lui notifier sa décision par un avis de réclamation[32] qui doit, entre autres exigences, énoncer le montant réclamé et les motifs de son exigibilité[33]. Il doit aussi faire mention du droit d’obtenir le réexamen de cette décision et le délai pour en faire la demande.
- Demande de réexamen de la SAP auprès du MELCC
[25] L’administré à qui un avis de réclamation a été transmis peut demander le réexamen de la décision de lui imposer une SAAP dans les 30 jours de la notification de l’avis de réclamation[34]. La personne qui mène ce réexamen est désignée par le ministre, mais doit relever d’une autorité administrative distincte de celle de qui relèvent les personnes qui imposent de telles sanctions[35]. Elle doit donner au demandeur l’occasion de présenter ses observations et, s’il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier[36]. Elle décide ensuite sur dossier, sauf si elle estime nécessaire de procéder autrement[37].
[26] La personne qui effectue le réexamen peut confirmer la décision qui fait l’objet du réexamen, l’infirmer ou la modifier[38]. Sa décision doit être écrite en termes clairs et concis et elle doit être motivée[39].
- Contestation devant le TAQ
[27] La décision en réexamen confirmant la SAP peut ensuite être contestée devant le TAQ[40]. Cette contestation suspend l’exécution de la décision, sous réserve de la comptabilisation des intérêts[41]. Au moment des faits, la LQE prévoyait que la décision en réexamen confirmant l’imposition de la SAP pouvait être contestée par la personne visée par cette décision devant le TAQ dans les 60 jours de sa notification[42].
[28] C’est la section du territoire du TAQ qui est chargé de statuer sur des recours relatifs au rejet de contaminants[43]. Ces recours sont instruits et décidés par une formation de deux membres dont un est avocat ou notaire[44]. Ces deux membres possèdent une expérience pertinente de dix ans à l’exercice des fonctions du Tribunal[45]. Ils appliquent les règles de preuve et de procédure prévue à la Loi sur la justice administrative (« LJA »)[46] et à l’époque, celles stipulées dans les Règles de procédure du Tribunal administratif du Québec[47].
[29] En rendant sa décision, le TAQ peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée, c’est-à-dire l’imposition de la SAP et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu[48]. En présence d’une SAP, le Tribunal peut donc confirmer son imposition ou refuser de l’imposer.
[30] Ce cadre législatif, réglementaire et administratif étant établi, le Tribunal analyse à présent les questions en litige.
[31] Le cadre d’analyse de la Cour suprême de la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique au cas de contestation qui porte sur le fond d’une décision administrative.
[32] Ainsi, lorsque le Tribunal est appelé à réviser la décision du TAQ portant sur l’application de l’approche multifactorielle relative au bruit, il s’agit clairement d’une demande de contrôle du fond de la décision administrative. La présomption de la norme de la décision raisonnable s’applique. Les parties conviennent que cette présomption n’est pas repoussée en l’instance. Les normes législatives applicables ne prescrivent pas la norme de la décision correcte[49] ni de mécanisme d’appel[50]. Cette question n’est pas de celles où le respect de la primauté du droit exige que le Tribunal applique la norme de la décision correcte[51].
[33] La détermination du cadre juridique dans lequel s’opère la révision portant sur l’équité procédurale est plus délicate. La Cour suprême précise dans Vavilov que le cadre d’analyse qu’elle établit pour un contrôle de la décision administrative sur le fond ne vise pas celui pour un examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale[52].
[34] Dans un tel cas, les tribunaux, comme la Cour suprême dans Khela[53], indiquent fréquemment que la révision se fait sur la base de la norme de la décision correcte. La Cour fédérale d’appel note avec justesse dans Chemin de fer du Pacifique que de « tenter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est […], en fin de compte, un exercice non rentable »[54]. Le Tribunal favorise ce point de vue. Il est donc d’avis que la « question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre »[55].
[35] La mise en cause réplique que ce n’est pas l’équité procédurale de l’audience devant le TAQ qui est en jeu. C’est plutôt l’équité du processus ayant mené à cette audience devant le TAQ qui l’est, c’est-à-dire : l’envoi de l’avis de non-conformité et l’imposition de la SAP et la supposée partialité de l’inspectrice qui aurait outrepassé ses pouvoirs en sollicitant activement des plaintes de voisins pour conclure au manquement. Or, selon la mise en cause, ces questions ont été plaidées devant le TAQ et le TAQ les a traitées dans sa décision aux paragraphes 37 à 50. Ainsi, la demande de contrôle judiciaire vise le fond de cette décision du TAQ. Cela commande selon la mise en cause l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.
[36] L’argument n’est pas sans mérite. Il n’en reste pas moins que le Club formule sa question en litige dans son exposé amendé ainsi : « le TAQ a-t-il erré en considérant que les principes d’équité procédurale avaient été respectés par le MDDELCC ou, que subsidiairement, de tels défauts avaient pu être corrigés par la suite devant le Bureau et devant le TAQ ? ». Nul doute, la réponse à cette question est vraisemblablement en partie du domaine du contrôle de la décision sur le fond. L’argument du Club vise toutefois le processus dans sa globalité, incluant l’audience devant le TAQ. L’audience devant le TAQ n’aurait pas permis, selon lui, de corriger le fait que le Club n’a pu en temps opportun faire valoir les motifs qui le disculpaient et que le MELCC et le TAQ qui confirme sa décision s’appuient sur des preuves irrecevables.
[37] Quoi qu’il en soit, la réponse à ce débat n’a pas de conséquence pratique comme le démontrera l’analyse qui suit. En effet, même en appliquant un critère permettant une plus grande intervention du tribunal en matière d’équité procédurale, le Tribunal conclut qu’au terme de l’audience devant le TAQ, le Club connaissait la preuve à réfuter, a eu l’occasion, sans restrictions, d’y répondre et que rien dans le comportement du MELCC ne rend la SAP nulle ab initio.
[38] Le Club plaide que le MELCC et l’inspectrice n’ont fait aucune démarche auprès du Club pour obtenir des informations qui auraient pu le disculper avant d’émettre l’avis de non-conformité 2015 et la SAP. Le Club avance qu’au contraire, l’inspectrice a activement sollicité des fiches d’observation de plaignants et aurait permis que les fiches approuvées par son ministère soient adaptées afin de faciliter la collecte d’information et de plaintes, quitte à rendre ces fiches plus suggestives. D’ailleurs, ce n’est qu’au moment de l’audition devant le TAQ que le Club apprend que les plaintes émanaient majoritairement d’un seul plaignant et que les fiches d’observation des plaignants (FOP) étaient remplies à l’écrasante majorité par le même plaignant. Au final, tout ce comportement trahit le manque d’impartialité du MELCC et de son inspectrice.
[39] Par ailleurs, le Club avance que l’inspectrice a excédé les pouvoirs qui lui sont accordés à titre d’inspectrice en vertu de la LQE en sollicitant des fiches d’observations de tiers. Cela aurait pour effet de frapper la SAP de nullité[56].
[40] Selon le Club, ces manquements ne pouvaient être corrigés ni devant le Bureau, ni devant le TAQ, puisqu’il s’agit d’une question d’impartialité dans la constitution de la preuve et de compétence, et non pas d’une simple question de prendre connaissance de la preuve en temps opportun. Ainsi, le cas présent doit être distingué des autres affaires où le TAQ s’est penché sur le manque d’équité procédurale et où le TAQ était d’avis que le manque d’équité pouvait être remédié[57].
[41] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette ces arguments et conclut que dans l’ensemble, en tenant compte de la demande de réexamen devant le Bureau de réexamen et devant le TAQ, le Club a bénéficié de l’équité procédurale.
[42] Le Tribunal établira d’abord la chronologie des événements ayant mené à l’audience devant le TAQ (2.1). Ensuite, il passera en revue les principes juridiques applicables (2.2) et les appliquera aux faits du présent dossier (2.3).
[43] Le TAQ dresse de façon exhaustive le contexte factuel aux paragraphes 2 à 34 de sa décision. Compte tenu des arguments soulevés par le Club, il est néanmoins nécessaire de faire une chronologie détaillée des différentes étapes, c’est-à-dire : l’avis de non-conformité de 2013, l’avis de non-conformité de 2015 et l’envoi de l’avis de réclamation de la SAP, la demande de réexamen devant le Bureau de réexamen et les procédures devant le TAQ.
- Inspection et avis de non-conformité en 2013
[44] Comme le souligne le TAQ[58], en août 2013, le MELCC reçoit à la fois une plainte très détaillée d’une citoyenne[59] et une résolution du conseil municipal de la Ville[60]. Dans cette résolution, le conseil municipal de la Ville manifeste son inconfort et sa préoccupation quant aux conséquences possibles du bruit découlant du champ de tir. La Ville indique aussi qu’elle a mandaté des consultants pour effectuer une étude de bruit.
[45] Le MELCC informe la Ville qu’il entreprendra sous peu une inspection avec mesures sonores[61]. Effectivement le 29 septembre et 1er octobre 2013, l’inspectrice, Danièle Poulin, procède à des mesures sonores sur un terrain résidentiel « tout près » du site du Club[62]. Comme l’explique le TAQ[63], elle retient que le bruit attribuable au Club avec correctif pour le bruit d’impact est de 55,06 dBA, alors que le bruit résiduel du secteur est de 44,62 dB. Puisque ce bruit résiduel est inférieur au critère de 45 dBA pour un secteur de zonage résidentiel de la Norme d’instructions 98-01 (« NI 98-01 »), elle calcule l’écart par rapport au seuil plus élevé de bruit maximal de jour de 45 dBA et conclut qu’il y a dépassement de 10 dBA[64].
[46] Dans l’intervalle, elle reçoit aussi le rapport d’expert commandé par la Ville[65]. Comme l’explique le TAQ[66], ces experts mesurent le bruit excessif non pas selon le critère maximal de 45 dB de la NI 98-01, mais plutôt selon ce qu’il identifie comme étant la « norme municipale » de 60 dBA. Malgré ce seuil plus élevé de 15 dBA, ils notent des dépassements moyens de 3,9 dBA pendant 19 des 93 mesures prises, dont un dépassement de 8 dBA. Ces résultats sont remis à l’inspectrice avant qu’elle achève son rapport[67].
[47]
L’inspectrice conclut que l’alinéa 2 in fine de l’article
[48] Un avis de non-conformité daté du 30 octobre 2013 est signé par sa chef d’équipe Irène Diaz et il est transmis au Club[69]. L’avis exige que le Club transmette un plan de corrections d’ici le 23 novembre 2013.
[49] Une rencontre a lieu le 3 décembre 2013 entre des représentants du Club, de la Ville et du MELCC. Dès ce moment, tous, incluant le Club, constatent qu’ils n’existent pas d’autre solution que de déplacer les tirs dans un bâtiment intérieur. Bien que la décision du TAQ n’en fasse pas mention, le président du Club reconnaît dès le 9 décembre 2013 « que le statu quo n’est pas possible » et que le « MDDEFP et la ville sont conscients que la solution passe par un changement de vocation du terrain ou du tir à l’intérieur »[70]. En effet, la Ville conclut dans une lettre qu’il n’existe pas de « solutions viables qui permettraient de réduire considérablement et définitivement le bruit produit par les coups de feu » et que construire un club de tir totalement intérieur est la seule solution[71]. Le Club propose donc des pistes possibles au MELCC qui lui accorde un délai de trois mois pour fournir le plan d’action[72]. Le 24 mars 2014, le directeur général du Club, Robert Trahan fournit un plan d’action des mesures temporaires et à plus long terme qu’il compte mettre en place et que le TAQ reproduit au paragraphe 18 de la Décision. Il indique son « intention de faire un Club de tir intérieur dans les prochaines années » de pair avec le développement résidentiel du terrain[73].
[50] Or, le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire («MAMOT») pose des conditions à la modification du schéma d’aménagement en 2015, première étape requise pour la construction du champ de tir intérieur[74] qui rendent le projet irréalisable dans un court ou moyen terme.
[51] Les parties se retrouvent donc à la case de départ.
- Inspection et avis de non-conformité de 2015
[52] C’est donc dans ce cadre factuel que le MELCC mène en 2015 le suivi annoncé dans le rapport d’inspection précédant l’envoi de l’avis de non-conformité en 2013.
[53] Le 13 juin 2015, l’inspectrice Poulin effectue une nouvelle série de prises de mesures. Elle note que le bruit résiduel est de 53,33 dBA ce qui est plus important que le critère de bruit maximal le jour dans une zone résidentielle de 45 dBA prévu à la NI 98-01. Ce bruit résiduel devient donc, de ce fait, le critère. La moyenne du bruit de la source, le Club, est de 61,60 dBA auquel elle applique une pénalité pour le bruit d’impact. Ainsi, le bruit particulier du champ de tir avec correctifs est de 65,90 dBA. Elle conclut donc que le dépassement par rapport au critère, soit le bruit résiduel (ou du secteur), est de 12,57 dBA[75].
[54] L’inspectrice finalise son rapport et le signe le 23 juillet 2015[76].
[55] Elle explique dans la mise en contexte du rapport tous les éléments de suivi effectués depuis le premier avis de non-conformité du 30 octobre 2013 dont notamment :
· La réception du rapport INGAC daté du 26 septembre 2013 commandé par la Ville[77]. Ce rapport dont le TAQ traite sommairement au paragraphe 7 de la Décision mesure entre autres le bruit à sept emplacements situé au pourtour du terrain où opère le club. Il conclut à des bruits excédants la norme municipale de 60 dBA. Il constate que seule la mise en place d’un champ de tir intérieur permettrait de respecter cette limite pour tous les points et pour toutes les directions du vent[78];
· La réunion du 3 décembre 2013;
· L’avis de la santé publique reçu en novembre 2014[79]. Le TAQ en fait mention au paragraphe 53 de la Décision en citant un extrait de la décision du Bureau de réexamen. Or, ce rapport précise que lorsque l’intensité du bruit double, cela ajoute environ 3 dBA[80]. Ce rapport relate aussi en détail les plaintes des personnes vivant à proximité du terrain et le fait qu’en 2014 et qu’une nouvelle résolution du conseil municipal réitérait l’inconfort et invitait le MELCC à l’action[81]. L’auteure du rapport constate que l’exposition aux bruits est une source de nuisance bien réelle et que d’un point de vue de la santé, il y a donc nécessité d’instaurer différents mécanismes de réduction de bruit;
· La rencontre du 25 mars 2015 avec « les plaignants » durant laquelle le MELCC a « demandé aux plaignants de compléter des fiches d’observation afin de faire état des nuisances ».
[56] Comme le relève le TAQ[82], l’inspectrice mentionne aussi dans son formulaire « terrain » de mesures sonores que durant l’enregistrement des sons, « le bruit est de plus en plus fort voir insupportable et la cadence des coups de feu très intenses. Je mets des bouchons d’oreille ».
[57] Elle conclut sur la base des mesures sonores qu’il y a dépassement de 12,57 dBA par rapport au bruit résiduel (ou du secteur) de 53,33 dBA et, en conséquence, manquement à l’article 20 al. 2, in fine de la LQE. Elle ajoute : « de plus, les fiches d’observation des plaignants démontrent bien l’atteinte au bien-être et au confort de l’être humain »[83].
[58] L’inspectrice évalue à présent les conséquences réelles ou appréhendées du manquement à modérées, alors que dans son premier rapport, elles étaient qualifiées de mineures. Elle relève à titre de facteurs aggravants qu’il y a déjà eu envoi d’un avis de non-conformité en 2013 et que « l’intervenant malgré ses démarches afin de trouver une solution permanente (construction d’un champ de tir intérieur) n’a pas mis en place de mesures permettant d’atténuer significativement le bruit et le temps d’incomfort [sic] ».
[59] Elle propose donc l’envoi d’un nouvel avis de non-conformité. Elle suggère que la Direction des politiques de la qualité de l’atmosphère fournisse un avis technique afin d’approuver ses analyses de prise de mesures sonores. Ensuite, le MELCC pourrait imposer une SAP.
[60] Rappelons que selon le Cadre, tel qu’expliqué au paragraphe 20 du présent jugement, si les conséquences réelles ou appréhendées sont modérées, la SAP est imposée de façon générale.
[61] Sa chef de service Iris Diaz confirme qu’il faut préparer la SAP dès réception de l’avis technique.
[62] L’avis de non-conformité est émis le 31 juillet 2015. Il est aussi laconique que celui de 2013. À nouveau, le MELCC demande qu’un plan de mesures correctives lui soit transmis d’ici le 28 août 2015.
[63] C’est à ce moment que le Club adopte une approche plus agressive. Dans une lettre du 28 août 2015, l’avocate du Club demande[84] :
· quels faits ont été constatés par l’inspectrice ayant réalisé l’inspection du 13 juin 2015 ?
· Citant l’affaire Iredale de la Cour d’appel[85], quels éléments contextuels ont été pris en considération par l’inspectrice pour fonder sa conclusion ?
[64] Le Club indique qu’à défaut de recevoir ces informations, il n’est pas possible de déterminer quelles actions sont requises.
[65] Dans la même lettre, le Club nie que le bruit émanant des activités du champ de tir est susceptible de porter atteinte au bien-être et au confort de l’être humain. Il indique aussi qu’il procèdera à la construction du talus sans admission.
[66] Mme Diaz répond à cette lettre. Elle ne fournit pas d’information autre que la courte réponse suivante :
Nous avons bien reçu votre courriel en réponse à l’avis de non-conformité du 31 juillet 2015.
Ce dernier est basé sur les mesures de bruit prises par Mme Poulin ainsi que l’étude de fiches d’observations produites pour plusieurs plaignants, dont les constats indiquent clairement les atteintes à leur bien-être et leur confort.
Pour avoir une copie complète du dossier, vous devez faire une demande d’accès à l’information à Mme Isabelle Lavoie (elle est déjà en c.c.).
[Soulignés du Tribunal]
[67] Avec cette réponse, le Club n’est pas plus avancé. Le Club recevra manifestement de l’information par la voie d’une demande d’accès à l’information tel qu’en témoignent les pièces déposées par le Club au soutien de son pourvoi en contrôle judiciaire. Toutefois, le Tribunal ne sait pas quand la demande d’accès à l’information a été faite par le Club ni quand il a reçu l’information.
[68] Dans l’intervalle, l’expert du ministère, Charles Pelletier révise l’analyse des mesures sonores de l’inspectrice et rend son rapport[86]. Le TAQ cite les constats de l’agente de réexamen quant aux conclusions de l’expert Pelletier. Ainsi, les mesures du niveau de bruit des activités du champ de tir sont 71,3 et 76,2dBA[87].
[69] Le 25 septembre 2015, l’avis de réclamation pour la SAP est émis. Le manquement reproché est formulé dans des termes aussi succincts que ceux de l’avis de non-conformité[88]. L’avis précise le droit de demander le réexamen de la SAP et éventuellement la contestation de la décision rendue à la suite de ce réexamen devant le TAQ.
- Demande de réexamen devant le Bureau de réexamen
[70] Le Club demande le réexamen de la décision le 23 octobre 2015. Il soulève trois motifs, c’est-à-dire : que la SAP a été imposée à la mauvaise personne (motif qui n’est plus pertinent), que l’application de l’article 20, alinéa 2 in fine est erronée et que le ministère n’avait pas les éléments de preuves suffisants afin d’émettre la sanction administrative pécuniaire et que sa décision de le faire était mal fondée.
[71] Une contestation plus étoffée est déposée par l’avocat du Club après « l’analyse des documents relatifs à la SAP en question »[89]. Le Tribunal ne sait pas de quels documents il s’agit, mais présume qu’il s’agit des documents reçus à la suite d’une demande d’accès à l’information[90].
[72]
Dans cette contestation, sous le titre équité procédurale, le Club se
plaint que l’avis de non-conformité est insuffisant et ne respecte pas les
principes de l’équité procédurale. Aussi, le Club plaide que l’avis de
réclamation étant « la décision », il a été pris sans le bénéfice des
observations de sa cliente, ce qui viole l’article
[73] Le Club reproche aussi au MELCC de « tout simplement ne pas avoir fait d’analyse multifactorielle ». Elle cite un très long extrait de la décision de la Cour d’appel dans Iredale[91]. Elle reproche aussi au MELCC d’avoir basé son analyse sur le critère de 45 dBA de la NI 98-01 « non contraignant » selon elle.
[74] Le Club conclut en indiquant que la Ville et le Club ont récemment réglé le litige et qu’un nouveau règlement sera adopté incessamment qui réglera définitivement la problématique de bruit.
[75] Le Bureau de réexamen, par l’entremise de l’agente de réexamen Brigitte Bérubé rend sa décision le 16 juillet 2016[92] :
· Sur l’équité procédurale, elle indique que le réexamen a « laissé l’opportunité [au Club] de consulter les documents ayant servi à lui imposer la sanction et en lui ayant donné la possibilité de faire valoir ses motifs, ceux qu’elle n’avait pas pu soulever auparavant »;
· Elle résume l’analyse des mesures sonores et conclut à la présence de bruits excessifs;
· Elle confirme que le MELCC en imposant la SAP a bien effectué une analyse multifactorielle du bruit et énumère les facteurs retenus;
· Elle conclut que le MELCC a établi par preuve prépondérante que le Club est responsable du manquement reproché et que la SAP est imposée conformément au Cadre.
- Procédures devant le TAQ
[76] Le 15 août 2016, le Club demande la révision de la décision par le TAQ. Il y annexe ses motifs de contestation. À nouveau, il soulève les arguments que l’équité procédurale n’a pas été respectée et que le MELCC n’a pas effectué d’analyse multifactorielle[93].
[77] Tel qu’il en ressort de l’étude du cadre législatif ci-dessus, le processus devant le TAQ est de novo. Une audience a donc lieu devant le TAQ le 13 juin 2018. Les parties y déposent un important nombre de pièces. Le représentant du Club, M. Robert Trahan, l’inspectrice, Danièle Poulin, l’expert, Charles Pelletier, et le directeur du service de l’urbanisme, de l’environnement et du développement économique de la Ville, Luc Castonguay, témoignent et sont contre-interrogés[94].
[78] Le 12 septembre 2018, le TAQ par sa Décision rejette les motifs de contestation et confirme l’imposition de la SAP[95].
[79] La Cour suprême résume dans Vavilov les principes énoncés dans l’affaire Baker qui délimite l’obligation d’équité procédurale en droit administratif : elle est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte[96].
[80] La LQE donne des pouvoirs très étendus au MELCC et à son ministre. Il faut donc s’interroger comment s’articule le droit à l’équité procédurale et le droit à l’impartialité lors de l’envoi d’un avis de non-conformité et de l’imposition d’une SAP.
[81] Comme le rappelle le juge Lebel dans l’arrêt phare Cie Pétrolière Impériale[97], la LQE est la pièce centrale de la volonté de la société québécoise de préserver l’environnement. Le MELCC est appelé à jouer un rôle clé dans l’application de cette loi et de ses règlements d’application, et dans la mise à exécution des politiques générales qui les inspirent[98].
[82] Toujours dans Cie Pétrolière Impériale, la Cour suprême reconnaît que l’exigence d’impartialité constitue l’une des obligations fondamentales des tribunaux de l’ordre judiciaire. Il explique que parmi les droits fondamentaux de la personne, se trouve celui d’obtenir une audition impartiale devant un tribunal indépendant et sans préjugés. Le juge Lebel note que « née dans l’ordre judiciaire, cette obligation fait aussi partie maintenant des principes de la justice administrative et l’obligation de justice naturelle régit l’action des décideurs administratifs, ce qui est d’ailleurs confirmé par la LJA »[99].
[83] La Cour suprême met toutefois en garde contre la tentation de mesurer le MELCC comme un juge de l’ordre judiciaire en traitant de son impartialité. Le contenu de cette impartialité, « tout comme celui de l’ensemble des règles d’équité procédurale, est susceptible de varier pour s’adapter au contexte de l’activité d’un décideur administratif et à la nature de ses fonctions ». Il importe d’opérer le contraste entre d’une part les tribunaux administratifs, dont le travail « juridictionnel, est très voisin des tribunaux judiciaires », et d’autre part les « organismes remplissant des tâches multiples, où la fonction juridictionnelle ne constitue qu’un aspect d’attributions étendues qui incluent parfois l’exercice de pouvoirs réglementaires ». L’intensité des obligations que l’équité procédurale ou la justice naturelle imposent au décideur administratif dépend donc de la nature des fonctions exercées et de la volonté du législateur[100].
[84] En l’instance, si le MELCC avait été d’avis que les conséquences réelles ou appréhendées étaient graves, le MELCC aurait pu choisir de prioriser la voie de la poursuite pénale. Il aurait transmis le dossier au Directeur des poursuites pénales et criminelles qui aurait déterminé si un constat d’infraction devait être transmis. Le cas échéant, le dossier aurait alors suivi son cours et aurait été gouverné, entre autres, par les garanties constitutionnelles applicables.
[85] Le MELCC a toutefois jugé que les conséquences n’étaient pas graves, mais bien modérées, contrairement aux constats de 2013 lorsqu’il a jugé que les conséquences étaient mineures. Ainsi, la personne désignée par le ministre, soit le directeur régional du Centre de contrôle environnemental du Québec de l’Estrie et de la Montérégie, a opté pour l’imposition d’une SAP.
[86] Le ministre exécute des fonctions d’administration et d’application de la législation sur la protection de l’environnement. Il remplit un rôle avec le souci de protéger l’intérêt public, pour atteindre les objectifs de la législation sur la protection de l’environnement. Comme le souligne le juge Lebel dans Cie Pétrolière Impériale, le rôle que la législation attribue au ministre place parfois celui-ci inévitablement en conflit avec des administrés[101].
[87] Ayant mis la question de l’impartialité dans le bon éclairage, il faut examiner l’équité procédurale dont a bénéficié le Club en tenant compte de toutes les étapes menant à la décision finale, c’est-à-dire jusqu’à la décision du TAQ.
[88] S’il y a manquement à l’équité procédurale au départ, l’appel ou le réexamen pourra ou ne pourra pas corriger le manquement à l’équité procédurale constaté lorsque la décision initiale est rendue, selon le cadre législatif applicable.
[89] En effet, c’est ce qu’enseigne la Cour suprême dans King[102]. Dans cette affaire, un comité universitaire refuse d’accorder un baccalauréat en droit à un étudiant, sans lui donner l’occasion de se défendre et en lui niant, de ce fait, son droit d’être entendu. Le sénat universitaire, un « small and very able body », réexamine toutefois la décision. Ce sénat accorde à l’étudiant « every advantage of natural justice » et cela a pour conséquence de rendre « nugatory an alleged earlier failure to accord him such natural justice »[103].
[90] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique cite l’excellent extrait suivant des auteurs britanniques Smith, Woolf & Jowell comme guide pour le tribunal dans cet exercice[104] :
(…) recent case law indicates that the courts are increasingly favouring an approach based in large part upon an assessment of whether, in all the circumstances of the hearing and appeal, the procedure as a whole satisfied the requirements of fairness. At one end of the spectrum, when provision is made by statute or by the rules of a voluntary association for a full rehearing of the case by the original body (constituted differently where possible) or some other body vested with and exercising original jurisdiction, a court may readily conclude that a full and fair rehearing will cure any defect in the original decision. However, where the rehearing is appellate in nature, it becomes difficult to do more than to indicate the factors that are likely to be taken into consideration by a court in deciding whether the curative capacity of the appeal has ensured that the proceedings as a whole have reached an acceptable minimum level of fairness.
[91] Par exemple, lors de l’établissement d’un avis de cotisation en matière fiscale, même si le contribuable est d’avis que le ministre abuse de ses pouvoirs, il ne peut pas contester dès ce moment le processus. En effet, selon la Cour fédérale d’appel dans JP Morgan[105], le contribuable doit d’abord faire appel sous le régime de la procédure générale de la Cour canadienne de l’impôt. Ce recours est un recours « approprié et curatif »[106]. Les parties auront la possibilité d’obtenir la communication de documents, de présenter des preuves documentaires, d’appeler des témoins et de faire des observations. S’appuyant notamment sur King, la Cour énonce que « la jouissance ultérieure de droits procéduraux peut remédier à des vices de procédure antérieurs »[107].
[92] En empruntant le vocabulaire des auteurs Smith, Woolf & Jowell, l’article 115.9 constitue donc en quelque sorte un « full rehearing of the case » lorsque la personne chargée du réexamen examine le dossier :
115.9 Après avoir donné au demandeur l’occasion de présenter ses observations et, s’il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier, la personne chargée du réexamen décide sur dossier, sauf si elle estime nécessaire de procéder autrement. Elle peut alors confirmer la décision qui fait l’objet du réexamen, l’infirmer ou la modifier.
[93] La personne chargée de ce réexamen est toutefois désignée par le ministre et donc il y aura nécessairement un doute sur son impartialité. Le Cadre prévoit à cet effet que cette personne doit relever d’une autorité administrative distincte de celle de qui relèvent les personnes qui imposent la SAP. N’en demeure comme le constate le TAQ dans Brais que « l’agent de réexamen ne tranche pas un litige entre l’administration et l’administré, étant lui-même un représentant de l’administration, il est uniquement chargé de vérifier si un de ses collègues a rendu une décision conformément aux orientations ministérielles »[108].
[94] C’est pour cette raison que l’administré peut ensuite contester l’imposition de la SAP devant le TAQ. Comme le note avec justesse le TAQ dans Brais, « c’est uniquement au stade de l’appel au Tribunal que l’administré aura le droit à une audition devant un Tribunal impartial pour trancher un litige l’opposant à l’administration »[109].
[95]
L’article
15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
Lorsqu’il s’agit de la contestation d’une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.
[96] La jurisprudence du TAQ citée dans la Décision aux paragraphes 42 et 43 est à l’effet que le TAQ n’est pas limité aux moyens et aux faits présentés à l’origine et qu’il est possible pour l’administré de présenter une nouvelle preuve devant lui[110]. En d’autres mots, il décide de novo.
[97] En matière de SAP, c’est le TAQ qui en dernier ressort décidera si la SAP doit être confirmée ou non et si le MELCC a raison de l’imposer. Il conduit cet exercice dans le respect du devoir d’agir équitablement comme le prévoit la LJA[111]. C’est ce processus qui se rapprochera du processus judiciaire, tout en tenant compte de la spécificité de la justice administrative et du souci d’en assurer la qualité, la célérité et l’accessibilité[112].
[98] Le Club a-t-il donc, en bout de ligne, eu l’occasion de faire valoir sa position en bénéficiant de l’équité procédurale et en particulier par un décideur impartial ?
[99] Le Club soulève deux éléments factuels qui établiraient la partialité et le manque d’équité procédurale du MELCC en émettant l’avis de non-conformité 2015 et la SAP : l’absence de démarches auprès du Club pour obtenir des éléments qui aurait pu le disculper et le fait de colliger des fiches d’observation de bruit auprès de voisins.
[100] Selon le Club, l’audience devant le TAQ n’a pas pu corriger l’absence d’équité procédurale qui en a résulté.
- Les démarches pour collecter des éléments de preuve qui auraient pu disculper le Club
[101] Tel qu’expliqué ci-haut, il est évident qu’en effectuant son inspection et en délivrant une SAP, le MELCC se trouve dans un conflit d’intérêts avec l’administré. Cela étant, il est faux de prétendre que l’inspectrice n’a pas tenu compte de faits que le Club aurait pu avancer pour se disculper. Tel qu’il ressort de l’analyse du contexte factuel, les événements de 2015 s’imbriquent dans un récit chronologique qui débute en 2013. L’inspectrice explique, dans son rapport, le contexte de l’avis de non-conformité de 2013 et la réunion qui s’en est suivi. Elle reconnaît, dans son rapport comme mentionné précédemment, que « malgré ses démarches afin de trouver une solution permanente (construction d’un champ de tir intérieur), [le Club] n’a pas mis en place de mesures permettant d’atténuer significativement le bruit et le temps d’incomfort [sic] ».
[102] Il est toutefois vrai, comme l’avance le Club que le processus d’avis de non-conformité en 2015 ne donne pas une occasion véritable au Club de faire valoir ses observations avant l’imposition de la SAP.
[103] D’abord, la formulation de l’avis de non-conformité de 2015 est trop laconique pour le permettre. Il suit manifestement un format standardisé et fournit très peu d’information.
[104] L'article
[105] Le Tribunal constate qu’il est impossible pour le Club de tirer de l’avis de non-conformité 2015 autres choses que le fait que le Club a fait l’objet d’une inspection et que le MELCC considère que le bruit rejeté, dégagé ou émis par le champ de tir est susceptible de porter atteinte au bien-être et au confort de l’être humain. L’avis ne fait état d’aucune mesure; aucune information n’est fournie quant au lieu ou à l’heure à laquelle le son a été mesuré. Le Club est invité à transmettre un plan des mesures correctives dans les 30 jours.
[106] Le Club demande donc des précisions. Tel que relaté ci-dessus, une réponse vague et imprécise est fournie par la chef d’équipe Irène Diaz. Cette réponse est inadéquate. En effet, l’affirmation que « les mesures de bruit prises par Mme Poulin ainsi que l’étude de fiches d’observations produites pour plusieurs plaignants, dont les constats indiquent clairement les atteintes à leur bien-être et leur confort » n’est d’aucune utilité, si l’administré n’a pas accès aux mesures et aux fiches pour déterminer de quel endroit émanent les plaintes.
[107] Il faut opérer ici le contraste avec un cas où l’administré fournit lui-même les données sur des contaminants ou des concentrations de contaminants rejetés au MELCC en réponse à des exigences de la LQE ou de ses règlements. Dans un tel cas, l’administré sait à quoi s’en tenir. En l’instance, le Club n’a aucune idée de la nature ni de l’emplacement des mesures enregistrées.
[108] Offrir à l’administré comme seule alternative de faire une demande d’accès à l’information pour obtenir les informations pour présenter des observations est à première vue inéquitable.
[109] L’avocat de la mise en cause explique que des enjeux de confidentialité contraignent le MELCC à agir ainsi. Peut-être bien, mais c’est la chef d’équipe, Mme Diaz, qui indique que l’avis de non-conformité « est basé sur les mesures de bruit prises par Mme Poulin ainsi que l’étude de fiches d’observations produites pour plusieurs plaignants, dont les constats indiquent clairement les atteintes à leur bien-être et leur confort ». Il paraît pour le moins incongru que l’administré n’ait pas accès aux mesures et aux constats sur lequel le MELCC s’appuie pour émettre un avis de non-conformité, lorsqu’il doit formuler ses observations.
[110] Compte tenu de ces circonstances, le Tribunal est d’avis que le TAQ aurait tort de suggérer, comme il semble le faire aux paragraphes 38 et 39 de sa Décision, que le Club a obtenu une véritable occasion de faire valoir ses observations avant l’émission de la SAP, lorsqu’il transmet des observations le 28 août 2015[114]. Le TAQ relève dans de nombreuses décisions que cette façon de procéder prive les administrés de la possibilité de faire valoir leurs droits de la bonne façon, au moment opportun, sans devoir encourir des délais et des frais additionnels[115].
[111] Cela étant, en jugeant de la question de l’équité procédurale, le Tribunal ne peut s’arrêter à la période de temps avant la transmission de l’avis de réclamation de la SAP. Il doit tenir compte de l’ensemble du processus de contestation prévu dans la LQE, ce qui inclut la demande de réexamen et la contestation devant le TAQ.
[112] À cet égard, le TAQ démontre avec justesse aux paragraphes 40 à 44 que le Club a entièrement eu occasion de faire valoir son point de vue après l’émission de la SAP, autant lors de sa demande de réexamen devant le Bureau de réexamen que lors de sa contestation devant le TAQ.
[113] Bien que le Tribunal n’ait pas une compréhension précise de quand et comment cela s’est fait, il est clair que le Club a eu accès aux fiches d’observation et au rapport de l’inspectrice avant de soumettre ses motifs d’appels détaillés du 11 mai 2016 à l’analyste du Bureau de réexamen[116]. Il a donc pu faire valoir ses arguments qui auraient pu le disculper. L’agente de réexamen indique d’ailleurs dans sa décision que le processus de réexamen a « laissé l’opportunité à la demanderesse de consulter les documents ayant servi à lui imposer a sanction et en lui ayant donné la possibilité de faire valoir ses motifs, ceux qu’elle n’avait pas pu soulever auparavant »[117].
[114] Qui plus est, le Club a eu l’occasion de bonifier sa compréhension des faits et de présenter à nouveau et d’étoffer ses arguments devant le TAQ[118].
[115] En effet, la LJA prévoit à l’article 114 que l’autorité administrative dont la décision est contestée est tenue, dans les 30 jours de la réception de la requête qui conteste la décision, de transmettre au Tribunal « copie du dossier relatif à l’affaire ». Le TAQ donne une interprétation très étendue de cette notion de dossier relatif à l’affaire[119].
[116] Le dossier tel que constitué devant le Tribunal ne démontre pas si cela a été fait en l’instance, mais le Club y avait certainement droit. Par ailleurs, le Club semble s’être satisfait du caractère caviardé de l’information transmise par le MELCC et n’a pas insisté que les personnes ayant rempli les fiches soient présentes à l’audience pour témoigner sur leur contenu. C’est son choix.
[117] Le Club a donc eu entièrement l’occasion d’obtenir la preuve et d’argumenter que cette preuve la disculpe.
[118] Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.
- La collecte de fiches d’observations
[119] Contrairement à ce que plaide le Club, rien ne s’oppose à ce que l’inspectrice et le MELCC fassent les démarches qu’elles ont faites relativement aux fiches d’observations auprès de tierces parties.
[120] Le TAQ traite de ces démarches de façon assez succincte dans sa décision aux paragraphes 46 et 47. Puisque le Club en fait un point important de son argument, le Tribunal dressera en détail la séquence des événements ayant mené à la confection et à la transmission de ces fiches d’évaluation. Il ne faut toutefois pas conclure de cet exercice détaillé que le Tribunal considère que le traitement qu’en fait le TAQ dans la Décision est trop sommaire ou inadéquat.
[121] L’information qui permet de reconstituer la séquence des événements se trouve dans des documents qui ont été transmis au Club après une demande d’accès à l’information et sont en partie caviardés pour préserver la confidentialité de certaines informations, dont le nom des plaignants et leur domicile[120]. Il ressort de ces documents que des fiches d’observations sont régulièrement expédiées par le ou des plaignants du mois de mars au mois d’août 2015. On note que les fiches d’observations contiennent de l’écriture émanant de différentes personnes.
[122] De façon contemporaine à l’audience devant le TAQ, il a été confirmé que l’inspectrice a reçu approximativement 75 courriels de plaignants, dont 46 émanent du même plaignant. En ce qui a trait aux fiches d’observations en particulier, en 2015, elle en a reçu 41 de ce qui semble être neuf plaignants[121].
[123] Plus particulièrement, l’analyse de la correspondance échangée par courriel met en lumière comment ces fiches viennent en la possession de l’inspectrice[122] :
· Le 2 mars 2015, un plaignant transmet ses notes personnelles pour 2013 et 2014 relativement à ses constats quant au bruit à l’inspectrice Poulin; l’inspectrice lui répond que pour « les prochaines observations », le plaignant devrait utiliser le fichier « fiche d’observations » que l’inspectrice a transmis à un autre plaignant; le plaignant manifeste qu’il trouve cette fiche insatisfaisante, car le formulaire comprend des questions très ouvertes et qu’il ne dispose pas de critères d’évaluations pour plusieurs paramètres[123]; il proposera ultérieurement un autre formulaire;
· Une rencontre a lieu le 25 mars 2015 entre le MELCC et ce qui semble être un regroupement de plaignants. Un compte-rendu est expédié par un plaignant le 2 avril et la chef d’équipe Mme Iris Diaz en accuse réception. Elle informe le plaignant que le MELCC fera des nouvelles prises de mesures pour rendre le dossier contemporain et elle précise : «nous nous attendons à recevoir les fiches de bruit dont nous avons mentionné l’importance pour traiter le dossier bruit »[124];
· Lors de cette rencontre ou peu de temps après, une fiche d’observation adaptée est transmise par un plaignant; le 22 avril 2015, Mme Poulin le transmet à l’expert de bruit au sein du ministère, M. Charles Pelletier, en indiquant que « de notre côté des remarques ont été faites dans le sens que cette fiche serait trop suggestive ». M. Pelletier lui signifie alors que « nous sommes d’accord avec la fiche proposée par le regroupement de plaignants, car ce format permettrait de récolter plus d’informations sur la nuisance »[125]; elle confirme donc le 29 avril à la plaignante que son formulaire est approuvé par la « Direction des politiques de la qualité de l’atmosphère »[126];
· À partir de ce moment, des fiches d’observations adaptées remplies sont périodiquement expédiées à l’inspectrice Poulin[127];
[124] L’inspectrice effectue ensuite ses mesures le 13 juin 2015. D’autres communications sont échangées avec un ou des plaignants :
· Le 22 juin, l’inspectrice relate au plaignant l’issue des mesures prises à sa résidence. Elle indique que ces mesures doivent être analysées « avant tout par Québec puis nous pourrons par la suite poursuivre le dossier »; par ailleurs, elle lui demande : « pouvez-vous SVP me transmettre votre dernière fiche d’observation du plaignant (information sur la nuisance) que [caviardé] et d’autres plaignants autant que possible »[128];
· Le 6 juillet, elle écrit au plaignant qu’elle a reçu ses fiches concernant quelques journées en mars, avril, mai et juin 2015. Elle s’enquiert : « savez-vous si d’autres plaignants ont complété des fiches et si oui SVP pouvez-vous vous assurer qu’elles me soient transmises afin de mieux étoffer le dossier »[129].
[125] Elle finalise son rapport le 23 juillet 2015 et elle fait référence à ces fiches d’observation pour soutenir la conclusion qu’elle tire des mesures sonores, c’est-à-dire, que « les fiches d’observations des plaignants démontrent bien l’atteinte au bien-être et au confort de l’être humain »[130].
[126] Les échanges se poursuivent néanmoins avec un ou des plaignants :
· Le 27 juillet 2015, un plaignant insiste pour « simplifier » la fiche d’observation; l’inspectrice répond d’abord que oui, le plaignant peut reprendre la fiche standard du MELCC, et face à son insistance l’inspectrice indique que les deux versions sont les seules reconnues et validées par la Direction des politiques de la qualité de l’atmosphère et qu’elle ne peut pas se substituer à leur opinion[131];
· Le 31 juillet 2015, un plaignant envoie une lettre formelle mettant en doute l’utilité de continuer à remplir des fiches d’observation et faisant part de sa frustration d’avoir besoin de fournir encore plus de plaintes. C’est dans ce contexte, que l’inspectrice Poulin répond qu’elle « comprend très bien [ses] doléances, mais afin de poursuivre [leurs] actions dans ce dossier », le MELCC a besoin de ces fiches[132].
[127] Le ton des courriels de l’inspectrice est neutre et non partisan et en fait, elle en réfère à l’expert Pelletier avant d’accepter la fiche d’observation proposée par la plaignante. Ces fiches ne sont que venues complémenter ses mesures sonores non équivoques et celles de plusieurs experts qui établissent un bruit excessif. Il est tout à fait opportun que l’inspectrice tienne compte des observations des personnes qui subissent les bruits. Cela fait partie intégrante de la surveillance des activités du Club.
[128] Il est raisonnable de conclure comme le TAQ le fait au paragraphe 47 de sa Décision qu’il est « tout à fait naturel pour le ministère d’indiquer à un plaignant que si d’autres personnes vivent la même situation, elles auraient avantage à se regrouper pour présenter un dossier plus complet et plus représentatif de l’ensemble de la situation ».Il n’y a rien de choquant à ce que l’inspectrice indique que les fiches d’observation permettront d’ « étoffer son dossier ». Elle n’est pas en train de les obtenir par des moyens détournés ou subreptices en abusant de la confiance d’un administré ou d’un tiers.
[129] La démarche de l’inspectrice est empreinte de réserve et de prudence. Son comportement est conforme à la norme d’équité procédurale à la lumière des enseignements de l’affaire Cie pétrolière Impériale.
[130] Le Club plaide qu’en sollicitant des fiches d’observation auprès de tiers, l’inspectrice a outrepassé ses pouvoirs d’inspection qui sont énumérés de façon limitative à l’article 119 et que de ce fait, la décision d’imposer une SAP sur cette base est frappée de nullité.
[131] Le tribunal est d’avis que le Club se méprend sur les limites qu’il voudrait voir imposer aux pouvoirs de l’inspectrice.
[132] Les sociétés modernes sont lourdement réglementées pour assurer l’équilibre délicat entre les droits de l’individu et de la société. L’État doit pouvoir surveiller la conformité à cette imposante réglementation. Les fonctionnaires chargés de cette surveillance peuvent donc prendre connaissance et obtenir des informations disponibles ou prendre connaissance d’informations que des tiers lui soumettent volontairement. Les lois applicables donnent parfois aux fonctionnaires le pouvoir extraordinaire d’accéder aux terrains, aux places d’affaires et à des documents détenus par des administrés pour effectuer cette surveillance de la conformité et pour faire des échantillonnages et des tests.
[133] Pour assurer le respect du cadre législatif et réglementaire par les administrés, le législateur peut sanctionner des manquements à ces lois en établissant des infractions qui peuvent entraîner des sanctions très importantes, comme le montre la LQE. Ces infractions sont qualifiées par la Cour suprême dans Sault-Sainte-Marie d’infractions contre le bien-être public[133].
[134] Or, puisque l’État a, d’une part, ce pouvoir d’inspection et de surveillance et qu’il a, d’autre part, le pouvoir de sanctionner une violation par la délivrance de constats d’infraction, les tribunaux s’assurent que le pouvoir d’inspection et de surveillance ne soit pas utilisé de façon abusive pour en fait constituer des enquêtes d’établir la responsabilité pénale de l’administré.
[135] Il est
inévitable que de l’information colligée dans le cadre d’une inspection puisse
éventuellement servir à prouver une infraction. Néanmoins, l’État ne doit pas
abuser de ses pouvoirs et exercer ce qui peut en fait constituer des fouilles, des
saisies ou des perquisitions sans autorisation, dont l’objet prédominant est
d’établir la responsabilité pénale de l’administré et non la surveillance des
activités. Une telle utilisation abusive pourrait violer l’article
[136] L’importance de délimiter les sphères respectives, d’une part, de la surveillance de la conformité à la loi et, d’autre part, de l’établissement de la responsabilité pénale est soulignée dans l’affaire R. c. Jarvis[134]. La Cour suprême est appelée dans cette affaire à s’interroger sur les limites des pouvoirs d’inspection établis par la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. 1985, ch. 1 (5ième supp.)). Cette loi donne au ministre de vastes pouvoirs d’inspection « pour l’application et l’exécution » de cette loi, incluant le « droit de pénétrer dans un lieu qui n’est pas une maison d’habitation sans mandat ou autorisation pour inspecter, vérifier ou examiner » une vaste gamme de documents.
[137] La Cour suprême indique que les fonctionnaires ne doivent pas « franchir le Rubicon » qui sépare d’un côté l’inspection pour les fins de surveillance de la conformité de l’enquête et l’autre côté, l’enquête dont l’objectif est d’établir la responsabilité pénale[135]. Or, contrairement à l’armée de César qui connaissait parfaitement l’emplacement de la rivière Rubicon qu’elle ne devait pas franchir, il n’existe pas d’indices non équivoques pour décider quand l’inspecteur traverse le Rubicon notionnel juridique pour passer de l’inspection à l’enquête. La Cour suprême énumère donc un ensemble de facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer quel est l’objet prédominant de la vérification : la surveillance ou la responsabilité pénale.
[138] La LQE opère aussi cette distinction entre l’inspection et l’enquête.
[139] D’une part, la LQE encadre les pouvoirs d’inspection aux articles 119, 120 et 121 :
- L’inspecteur peut pénétrer sur un terrain, ou dans un édifice afin de consulter des livres, registres et dossiers ou d’examiner les lieux pour les fins de l’application de la LQE ou de ses règlements;
- toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle de ces livres, registres et dossiers, doit en donner communication au fonctionnaire et lui en faciliter l’examen;
- Les fonctionnaires peuvent requérir de toute personne qui fait, a fait ou a manifesté l’intention de faire une chose visée par la LQE toutes les informations nécessaires à l’exercice de leurs fonctions;
- Nul
ne doit entraver l’exercice des fonctions d’un fonctionnaire ou employé visé
dans l’article
[140] D’autre
part, la LQE établit à l’article
[141] C’est donc à cette question épineuse de déterminer si l’inspecteur est en mode d’inspection ou en mode d’enquête que les auteurs Duchaine et Dubé s’intéressent dans l’article sur lequel s’appuie lourdement le Club au soutien de son argument[138]. L’inspection dont traitent les auteurs est « le fait d’entrer dans les lieux dans le but d’y vérifier le respect des dispositions législatives et réglementaires »[139]. En d’autres mots, ils s’intéressent aux pouvoirs de l’inspecteur lors d’une visite et de possibles limites dans la consultation de données dans ce cadre.
[142] Les arguments que les auteurs exposent dans cet article de doctrine pour limiter les droits d’inspection du MELCC lors de telles visites ne sont d’aucun secours au Club dans le cas présent.
[143] En premier
lieu, les fiches n’ont pas été obtenues dans le cadre d’une visite qui s’appuie
sur l’article
[144] De plus, la collecte de fiches n’a pas mené au dépôt de poursuites pénales. Bien au contraire, ces fiches ont servi à fournir un contexte pour complémenter les mesures sonores que l’inspectrice s’apprête à prendre ou avaient déjà prises, le tout dans une démarche administrative qui mènera à l’imposition d’une SAP et non à une poursuite pénale.
[145] En effet, les SAP ne sont pas de nature pénale ou criminelle. La Cour suprême dans Guindon distingue les SAP des procédures de nature pénale ou criminelle. Elle indique que la disposition sera de nature pénale si la procédure employée est de nature pénale et si la conséquence est pénale[140]. Or, les SAP n’ont pas de conséquences pénales et la procédure pour les imposer n’est pas de nature pénale.
[146] L’honorable Guy Cournoyer fait une révision étoffée de l’état du droit quant à la portée de l’article 8 de la Charte en matière réglementaire dont il convient de reproduire un large extrait[141] :
[203] Si les défendeurs avaient contesté le Règlement en vertu de l’article 8 de la Charte, leur contestation aurait été vouée à l’échec, car la jurisprudence considère que la saisie ou la demande de production de documents ne s’avère pas abusive au sens de l’article 8 en contexte réglementaire.
[204] En effet, puisque l’application de la méthode d’interprétation contextuelle encadre et module la protection accordée par l’article 8 de la Charte en contexte réglementaire, la Cour suprême reconnaît que les agents de l’État peuvent obtenir la communication de documents ou en prendre copie sans autorisation judiciaire préalable130.
[205] Lorsque l’objet de la loi contestée est de nature réglementaire et non criminelle, des normes moins sévères peuvent s’appliquer131.
[206] Ainsi, la norme du caractère raisonnable applicable dans le cas des fouilles, perquisitions et saisies effectuées dans le cadre de la mise en application du droit criminel ne sera généralement pas appropriée pour déterminer le caractère raisonnable dans un contexte administratif ou réglementaire132.
[207] Plus l'on s'éloigne du domaine du droit criminel, plus la façon d'aborder la norme du caractère raisonnable sera souple. Le recours à une façon moins rigide d'aborder les fouilles, perquisitions et saisies dans le contexte administratif ou réglementaire est conforme à une interprétation fondée sur l'objet de l’article 8133.
[208] Pour cette raison, les critères de l'arrêt Hunter c. Southam134, exigeant un système d'autorisations préalables basées sur l'existence de motifs raisonnables et probables, ne s'appliquent pas aux inspections administratives dans un secteur réglementé d’une industrie135.
[209] En matière d’application des lois fiscales, l’article 8 de la Charte n’interdit pas la production de documents au moyen de demandes péremptoires, car le droit du contribuable au respect de sa vie privée à l’égard de documents dont la production peut être exigée est relativement faible136.
[210] Les journaux de bord et les rapports radio requis par la Loi sur les pêches137, indiquant la quantité et l'emplacement des prises, peuvent être utilisés comme éléments de preuve dans des poursuites pour surpêche intentées contre des pêcheurs138.
130
Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash,
131 Goodwin c. Colombie-Britannique
(Superintendent of Motor Vehicles),
132 British Columbia Securities Commission c. Branch,
133 Ibid.
134 Hunter c. Southam Inc.,
135 Comité
paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash; Comité
paritaire de l'industrie de la chemise c. Sélection Milton,
136 R.
c. Jarvis,
137 LRC 1985, c. F-14.
138 R.
c. Fitzpatrick,
[147] Il faut toutefois noter que la Cour suprême dans Goodwin indique que si la fouille s’avère particulièrement invasive, il pourrait y avoir application de l’article 8 même si la fouille est reliée à un processus réglementaire[142]. La présente affaire ne soulève toutefois aucune telle considération, puisque les fiches d’observation sont volontairement soumises par des tiers et non obtenues du Club.
[148] Ainsi, même si les fiches transmises volontairement par des tiers pouvaient constituer une saisie, une fouille ou une perquisition du Club, le Club ne pourrait pas invoquer l’article 8 de la Charte pour en contester l’utilisation, car cette information a été obtenue dans un cadre réglementaire.
[149] Le TAQ
aurait tout de même pu refuser de recevoir les fiches en preuve s’il avait
constaté qu’elles n’« étaient pas de nature à servir les intérêts de la
justice », comme l’article
[150] Il n’est donc pas déraisonnable ni inéquitable pour le TAQ de conclure comme suit :
[47] Même si une fiche d’observation peut être suggérée afin d’aider les plaignants à exprimer plus clairement les inconvénients qu’ils subissent, rien n’empêche un plaignant de créer sa propre fiche où [sic] de modifier celle suggérée afin de mieux l’adapter à la situation qu’il vit. De plus, il est tout à fait naturel pour le personnel du ministère d’indiquer à un plaignant que si d’autres personnes vivent la même situation, elles auraient avantage à se regrouper pour présenter un dossier plus complet et plus représentatif de l’ensemble d’une situation.
[151] Le Club n’a donc pas démontré que le TAQ a agi de façon déraisonnable ou a fait fi de l’équité procédurale en ne concluant pas que l’inspectrice a dépassé ses pouvoirs d’inspection. Le Club n’a pas démontré non plus que même si l’inspectrice avait excédé ses pouvoirs, il aurait été raisonnable et équitable d’annuler la SAP, alors qu’elle s’appuyait sur une preuve importante, autre que les seules fiches d’observation.
[152] Le TAQ
résume au paragraphe 52 de façon succincte l’approche à adopter en matière de
bruit. Il cite un extrait important de la décision Iredale. Il établit
donc correctement le cadre jurisprudentiel et l’interprétation à donner à
l’alinéa 2 in fine de l’article
[153] Le Club reproche toutefois au TAQ que bien qu’il ait correctement relevé l’extrait pertinent d’Iredale, il n’a, dans les faits, pas appliqué la démarche imposée par la Cour d’appel et n’a pas fait un examen factuel, contextualisé et individualisé. Il y aurait dû y avoir conjugaison des intérêts non seulement des plaignants, mais aussi du contexte et des facteurs économiques et sociaux du Club dont ils ont fait la preuve.
[154] Il s’agit d’abord de souligner que le TAQ a déjà souligné, dans les sections avant celle traitant de l’analyse multifactorielle, la très grande intensité des bruits enregistrés en 2015. Il cite la décision du Bureau de réexamen qui relève que l’expert du MELCC a calculé des niveaux de bruit aux deux points de mesure attribuables aux activités du champ de tir de 71,3 et 76,8 dBA[144]. Auparavant, il avait noté que le propre expert du Club avait relevé que des niveaux de bruit particuliers LAeq (15 min) pour le point P-3 peuvent chacun dépasser 65 dBA et que le niveau global peut donc parfois dépasser 70 dBA[145].
[155] Le TAQ souligne donc que ces niveaux dépassent les seuils de 45 dBA du ministère (dans la NI 98-01) et de 60 dBA dans la réglementation municipale[146]. Il faut rappeler à ce propos que cette dernière limite est celle que le Club a acceptée dans son règlement avec la municipalité qui a mené à l’adoption du règlement no 1466 entré en vigueur le 24 mai 2016[147].
[156] Ainsi, c’est en présence de tels niveaux de bruit très élevés que l’analyse multifactorielle est effectuée.
[157] Dans la
section « la nature contextuelle de la norme établie par l’article
- le fait que de nombreux citoyens habitant dans des zones résidentielles à proximité du champ ont déposé des plaintes depuis 2013 et ont rempli des fiches qui établissent une atteinte à leur bien-être et confort;
- L’intervention de la Ville qui a commandé un rapport sur le bruit et qui a modifié sa réglementation pour réduire les nuisances occasionnées par le champ de tir;
- L’analyse de la Santé publique.
[158] Selon le Club cet exercice ne conjugue pas tous les éléments pertinents. Ainsi, le TAQ n’a pas tenu compte dans ses motifs de :
- l’antériorité du champ de tir : il est opéré depuis 1960 et les zones d’habitation se sont installées par la suite. Le TAQ aurait dû noter que cette antériorité est à ce point déterminant qu’elle a mené l’honorable juge Auclair à suspendre la réglementation municipale tout juste avant l’émission de la SAP;
- le peu de représentativité du plaignant : que les plaintes émanaient dans la plus vaste proportion d’un seul plaignant;
- le règlement du différend avec la Ville : un nouveau règlement permettant les activités de tir a remplacé celui suspendu par la Cour supérieure.
[159] Selon Vavilov, le TAQ doit tenir compte de la preuve et de la matrice factuelle générale[148]. Il doit aussi traiter des arguments soulevés[149].
[160] C’est au TAQ, un organisme spécialisé, d’évaluer cette preuve. Le tribunal qui contrôle cette décision du TAQ ne doit pas refaire le procès de novo[150], mais doit déterminer si le demandeur s’est déchargé de son fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable.
[161] Pour évaluer le caractère raisonnable de la décision, le Tribunal ne doit pas limiter son analyse aux motifs explicites de la décision, mais il doit tenir compte des motifs implicites et du contexte. Le TAQ n’a pas à reprendre chaque argument ni chaque élément de preuve.
[162] Il est manifeste à la lecture de la Décision que le TAQ est pleinement conscient de l’antériorité du site, mais qu’il n’a pas considéré que cette antériorité est déterminante.
[163] En effet, le TAQ a pris acte du fait que le champ de tir est en activité depuis 1960. Il a tenu compte que le champ est à l’origine situé en pleine nature, mais qu’il est aujourd’hui entouré d’une dizaine de noyaux résidentiels[151]. L’emplacement des noyaux résidentiels est d’ailleurs bien illustré dans l’étude INGAC[152].
[164] Le TAQ a donc clairement compris que le champ de tir était antérieur aux zones résidentielles et que ce n’est qu’en 2013 que les plaintes ont été déposées.
[165] Le Club reproche aussi au MELCC et au TAQ de ne pas avoir tenu compte d’un jugement de l’honorable juge Auclair prononçant une ordonnance de sauvegarde suspendant les effets d’un règlement municipal qui limitait sévèrement les heures auxquelles le tir pouvait être exercé[153]. Le Club plaide que cette décision s’appuyait sur l’antériorité du champ de tir et que le TAQ ne pouvait faire abstraction de ce précédent.
[166] Le Club attribue une portée à ce jugement qu’il n’a pas. Pour s’en convaincre, il faut examiner les circonstances dans lesquelles ce jugement de nature intérimaire a été rendu.
[167] En 2014, la Ville prend une approche plus agressive par rapport au champ de tir. Une nouvelle résolution est adoptée où la Ville « se déclare opposée à cette activité commerciale nuisible », où elle fait part de sa demande au MELCC de faire respecter la LQE et où elle indique qu’elle prendra action[154].
[168] La Ville prend effectivement action en adoptant le règlement municipal 1358 qui interdit les tirs le samedi, de 10 h 00 et 16 h 00, entre le 1er mai et le 30 septembre inclusivement et qui limite aussi fortement les activités le dimanche. Par ailleurs, il limite le bruit à un maximum de 60 dBA[155].
[169] Le Club saisit alors la Cour supérieure d’une demande d’ordonnance de sauvegarde cherchant à suspendre l’effet de ce règlement. Le 16 juillet 2015, l’honorable juge Auclair prononce l’ordonnance et suspend l’application du Règlement 1358 jusqu’au 11 décembre 2015[156].
[170] Le litige portait donc sur la validité d’un règlement municipal qui interdisait l’exercice du tir les samedis et la plupart des dimanches. C’est dans ce contexte que le juge Auclair s’est dit surpris que l’activité soit interdite, alors que ce sont les résidents qui sont venus s’installer à proximité du champ de tir[157]. Il notait qu’il n’y avait aucune preuve que le Club avait commis une infraction. Le juge Auclair explique donc qu’il était surprenant que la Ville choisisse tout simplement d’interdire les activités de tir la fin de semaine. Ainsi, au stade de l’ordonnance de sauvegarde, l’honorable juge Auclair juge qu’il y a une apparence de droit sérieuse que le règlement est déraisonnable, abusif et discriminatoire.
[171] Le Club a tort de plaider que le jugement du juge Auclair est déterminant sur l’importance à donner au facteur d’antériorité. Le juge Auclair n’avait pas en main la preuve de l’intensité du bruit des coups de feu mesuré par l’inspectrice et analyser par l’expert Pelleter. Ce n’était pas le débat qui était devant lui.
[172] Le débat devant le TAQ se présente de façon très différente. Le TAQ ne doit pas déterminer, au stade de l’apparence, mais bien au fond si, le 13 juin 2015, un bruit excessif a été émis qui était susceptible de porter atteinte au bien-être et au confort des personnes. Bien que l’antériorité puisse venir moduler l’attente des voisins quant à la quiétude à laquelle ils ont droit, elle ne peut venir justifier un bruit d’une telle intensité qu’il crée indubitablement une nuisance.
[173] En effet, comme le souligne la Cour d’appel dans Granby Multi-Sports, ce n’est pas l’antériorité du champ de tir qui est pertinent, mais l’antériorité des inconvénients subis par les voisins[158]. Rappelons que dans cette affaire, le champ de tir était bordé, au départ, d’une section campagnarde qui devient peu à peu une banlieue[159].
[174] La Cour d’appel cite aussi l’auteur Jean Teboul qui souligne que l’antériorité n’est pas un moyen de défense et l’auteur Me Michel Gagné qui précise que l’antériorité ne crée pas un droit acquis si le trouble du voisinage dépasse la mesure normale des inconvénients[160].
[175] Le TAQ cite d’ailleurs de larges extraits de l’affaire Granby Multi-Sports en conclusion de sa décision[161].
[176] En tenant compte de l’intensité des bruits mesurés par tous les experts et les observations de l’inspectrice et des plaignants ayant rempli des fiches d’observation, il n’est pas déraisonnable pour le TAQ de ne pas retenir que le facteur de l’antériorité est déterminant.
[177] Le Club soulève que les plaintes émanaient surtout d’un seul plaignant. Il tire ces conclusions d’une analyse par le MELCC des fiches d’observation qui lui ont été soumises en 2016 et 2017[162].
[178] Or, le TAQ a tenu compte de plaintes venant de diverses sources. D’abord, la Ville a adopté une résolution en 2013 appelant le MELCC à l’action en réponse à l’insatisfaction de ses citoyens. Ensuite, un plaignant transmet une plainte très détaillée le 14 août 2013 soulignant qu’il représente plusieurs citoyens[163]. Finalement, les fiches d’observation transmises à l’inspectrice en 2015 émanent de 9 personnes différentes. Il y a aussi eu rencontre le 25 mars 2015 avec des plaignants.
[179] Le Club cherche à amener le Tribunal à refaire l’analyse de la preuve sans soulever une lacune grave dans le processus décisionnel du TAQ. Cela n’est pas acceptable.
[180] Finalement, le Club indique que la décision d’imposer une SAP est prématurée, car au moment de son imposition, elle était en négociation avec la Ville, ce qui mènera à l’adoption du règlement no 1466[164].
[181] La Décision du TAQ traite de l’argument de la prématurité de façon générale aux paragraphes 48 à 50. Il ne fait pas explicitement référence au règlement du litige avec la Ville. Il est évident que le TAQ retient que le Club s’est trainé les pieds et qu’il ne pouvait être question de prématurité :
[49] Le Club de tir est informé depuis au moins 2013 des inconvénients que vivent des citoyens du voisinage. Or, depuis cette époque, malgré des discussions avec la Ville et le ministère, le Club de tir n’a pas apporté de solution à ce problème et cherche plutôt à utiliser les plaintes de citoyens à son avantage en fixant comme condition préalable à une solution au problème de bruit l’obtention des autorisations nécessaires des autorités régionales et municipales pour réaliser un développement résidentiel sur ses terrains.
[50] La sanction administrative est totalement justifiée pour inciter le Club de tir à prendre sans délai les mesures requises pour mettre fin aux manquements à la loi ou à ses règlements et d’en dissuader la répétition.
[182] Le fait qu’un règlement soit intervenu avec la Ville plus d’un an après l’imposition de la SAP n’y change rien et la décision du TAQ est raisonnable. Comme le souligne avec justesse le Bureau d’examen, le fait qu’il y ait une entente « intervenue avec la municipalité concernant la réglementation municipale n’est pas recevable à l’encontre de la sanction puisqu’elle ne permet pas d’excuser le manquement commis par la demanderesse »[165].
[183] De toute façon, l’insistance du Club à plaider que ce règlement assure un retour à la conformité est, avec respect, surprenant. Le règlement ne fait rien de la sorte. Il vient encadrer une activité licite afin que les inconvénients que le champ de tir cause n’excèdent pas les inconvénients anormaux de voisinage. À cet égard, le règlement impose des modalités aux activités de champ de tir et, en particulier, il fixe une norme maximale de bruit de 60 dBA. L’article 13.1 de ce règlement se lit comme suit[166] :
13.1 Il est interdit de pratiquer une activité de tir dans un champ de tir ou dans un club de tir, ou de tolérer qu’une telle activité s’y pratique, si le niveau de bruit émanant d’une telle pratique et perçu au-delà des limites du terrain sur lequel est situé le champ de tir ou le club de tir, est supérieur à 60 dB(A) à un endroit où l’usage « Habitation » est autorisé en vertu du règlement de zonage no 0651 et ce, mesuré selon la méthode prévue à l’article 14.
[184] Les bruits mesurés en 2015 qui dépassent 60 dBA et qui atteignent même 72,6 dBA seraient donc interdits sous ce règlement no 1466.
[185] Cette décision est rationnelle, s’appuie sur la trame générale factuelle et sur la preuve et tient compte des arguments soulevés par le Club.
[186] Le Club ne s’est pas donc déchargé de son fardeau de démontrer que la décision du TAQ est déraisonnable.
[187] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire;
[188] LE TOUT, avec frais.
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CHRISTIAN IMMER, j.c.s.
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Me Fadi Amine |
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Me Romain Droitcourt |
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MILLER THOMSON SENCRL, LLP |
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Avocats du demandeur |
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Me Alexis Milette |
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MINISTÈRE DE LA JUSTICE (DGAJ) |
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Avocat du défendeur |
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Date d’audience : |
28 juillet 2020 |
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[1] RLRQ, c. Q-2.
[2] Pour les fins de commodité, le Tribunal emploiera l’acronyme de l’actuel nom du ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques.
[3] RLRQ c. Q-2.
[4]
Courses automobiles Mont-Tremblant inc. c. Iredale,
[5] Loi modifiant la Loi sur la qualité de l'environnement afin d'en renforcer le respect, LQ 2011, c 20, art. 61.
[6] LQE, art. 115.13 et suivants.
[7] Id., art. 115.29 et suivants.
[8]
Par exemple, l’article
[9]
Par exemple, au moment de l’imposition de la SAP, l’article
[10] Par
exemple, au moment de l’imposition de la SAP, l’article
[11] Loi modifiant la Loi sur la qualité de l'environnement afin de moderniser le régime d'autorisation environnementale et modifiant d'autres dispositions législatives notamment pour réformer la gouvernance du Fonds vert, LQ 2017, c 4.
[12] Id., art. 115.4.
[13] Il faut référer à la catégorie « autre cas » par le fait que la personne morale n’est pas une personne physique : voir LQE, art 1, définition de « personne ».
[14] Pièce R-23, p. 5, voir le Cadre général d'application de ces sanctions administratives en lien avec l'exercice d'un recours pénal qui confirme que la personne désignée n’a aucune discrétion pour déterminer le montant de la SAP qui est fixé par la LQE.
[15] Reproduit à la pièce R-23.
[16]
Québec (Procureur général) c. Atocas de l’érable inc.,
[17]
Voir les discussions de la portée juridique du Cadre dans Marie-Josée
Falardeau c. Québec (Développement durable, Environnement, Faune et
Parcs), 2017 CanLII 77883 (QC TAQ), par. 38; Corporation de Gestion du
Parc du Mont-St-Mathieu c. Québec (Développement durable, Environnement,
Faune et Parcs),
[18] Cadre, pièce R-23, p. 2.
[19] LQE, art. 115.32 10.
[20] LQE, art. 115.43.
[21] Cadre, pièce R-23, p. 3.
[22] Pièce R-25.
[23] Id.
[24] Cadre, pièce R-23, section 4.3.2., p. 4.
[25]
Cette défense est reconnue depuis 2015 par le TAQ comme en témoignent les
décisions suivantes : Excavation René St-Pierre Inc. c. Québec
(Développement durable, Environnement, Faune et Parcs),
[26] Cadre, pièce R-23, section 4.3.1, p. 4.
[27] LQE, art. 115.22.
[28] Id., art. 115.15.
[29] Cadre, pièce R-23, p. 4.
[30] Id.
[31] Id.
[32] LQE, art. 115.16.
[33] LQE, art. 115.48.
[34] LQE, art. 115.17.
[35] LQE, art. 115.18.
[36] LQE, art. 115.19.
[37] Id.
[38] Id.
[39] LQE, art. 115.20.
[40] LQE, art. 96, au moment où le recours devant le TAQ est déposé, aujourd’hui 118.3 LQE.
[41] LQE, art. 99, au moment où le recours devant le TAQ est déposé, aujourd’hui 118.3 LQE.
[42]
LQE, art. 115.49, le droit de contester se retrouve dorénavant à
l’article
[
[44] Id., art. 35.
[45] Id., art. 41.
[46] Id., art. 99 et seq.
[47] À l’époque : RLRQ, c. J-3, r. 3, depuis remplacé par le Règlement sur la procédure du Tribunal administratif du Québec, RLRQ, c. J-3, r. 3.01.
[48] LJA, art. 15.
[49]
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[50] Id., par. 36.
[51] Id., par. 53.
[52] Id., par. 123.
[53]
Établissement de Mission c. Khela,
[54]
Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur
général),
[55] Id, par. 56.
[56] Exposé amendé du Club, par. 30 à 49.
[57]
Contrairement à l’approche adoptée dans Énergie Valero Inc. c. Québec
(Développement durable, Environnement, Faune et Parcs),
[58] Décision, par. 3 à 6.
[59] Pièce R-3.
[60] Pièce I-3.
[61] Pièce R-4.
[62] Pièce R-5.
[63] Décision, par. 8 à 10.
[64] Rapport d’inspection du 24 octobre 2013.
[65] Pièce R-5, p. 2.
[66] Décision, par. 7.
[67] Pièce R-5, p. 2 de 11 : voir la mention au rapport dans la section Mise en contexte.
[68] Pièce R-5, p. 5, section 6.
[69] Pièce R-6.
[70] Pièce R-10.
[71] Pièce R-9.
[72] Pièce R-8.
[73] Pièce R-10.
[74] Pièce R-11 : cette modification avait fait l’objet du règlement 509. Une deuxième tentative de modifier le schéma, le règlement 518 connaîtra le même sort.
[75] Pièce R-12.
[76] Id.
[77] Pièce I-9.
[78] Id.
[79] Pièce I-1.
[80] Id., p. 12.
[81] Id., p. 22.
[82] Décision, par. 22.
[83] Pièce R-12.
[84] Pièce R-14.
[85] Iredale, préc., note 4.
[86] Pièce I-5.
[87] Décision, par. 44.
[88] Pièce R-15.
[89] Pièce R-17.
[90] Pièce R-22.
[91] Iredale, préc., note 4.
[92] Pièce R-18.
[93] Pièce R-19.
[94] Pièce R-20.
[95] Pièce R-1.
[96] Vavilov, préc., note 49, par. 77.
[97]
Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de
l’Environnement),
[98] Id., par. 19 à 21.
[99] Id., par. 28 et 29.
[100] Id., par. 31.
[101] Id., par. 33.
[102] King v. University of Saskatchewan, 1969 CanLII 89
(SCC),
[103] Id., p. 689.
[104] Taiga Works Wilderness Equipment Ltd. v. British
Columbia (Director of Employment Standards),
[105]
Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada)
Inc.,
[106] Id., par. 82.
[107] Id.
[108] Louis Brais c. Québec (Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques), 2018 CanLII 79320 (QC TAQ), par. 82.
[109] Id.
[110]
Kozlowski c. Ministère du Développement durable, de
l’Environnement, de la Faune et des Parcs,
[111] LJA, art. 2.
[112] Id., art. 1.
[113] Cadre, pièce R-23, section 4.4.
[114] Le TAQ a par ailleurs relevé à maintes reprises « le Ministère, de façon systématique, ne respecte pas les règles d’équité procédurale et que cela prive les administrés de la possibilité de faire valoir leurs droits de la bonne façon, au moment opportun, sans devoir encourir des délais et des frais additionnels ».
[115]
Succession Paul-Euclide Miron c. Québec (Développement durable,
Environnement, Faune et Parcs),
[116] Pièce R-17.
[117] Pièce R-18, p. 2 et 3.
[118] Pièce R-19, p. 14 et suivantes.
[119] Montréal, Maine & Atlantique Canada cie c. Québec (Développement durable, Environnement, Faune et Parcs, 2014 CanLII 43319 (QC TAQ).
[120] Pièce R-22.
[121] Pièce R-21.
[122] Pièce R-22.
[123] Id., p. 134.
[124] Id., p. 117.
[125] Id., p. 119.
[126] Id., p. 116.
[127] Id., p. 109 et 110.
[128] Id., p. 95.
[129] Id., p. 98.
[130] Pièce R-12.
[131] Pièce R-22, p. 62.
[132] Id., p. 55 et 56.
[133]
R. c. Sault-Sainte-Marie,
[134] R. c. Jarvis,
[135] Id., par. 88.
[136] LQE, art. 115.24.
[137] Id., art. 115.30.
[138] Christine DUCHAINE et Nicolas DUBÉ, Inspections, enquêtes, saisies et perquisitions en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement : comment s’y retrouver ?, Développements récents en droit de l’environnement, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2016, p. 249.
[139] Id., p. 254 et 257.
[140]
Guindon c. Canada,
[141]
Société de transport de Montréal c. Joubert,
[142]
Goodwin c. Colombie-Britannique
(Superintendent of Motor Vehicles),
[143] Pièce R-20, p. 74.
[144] Décision, par. 44.
[145] Décision, par. 33.
[146] Décision, par. 45.
[147] Pièce R-25.
[148] Id., par. 126.
[149] Id., par. 127.
[150] Id., par. 83.
[151] Décision, par 2 et 4.
[152] Pièce I-9.
[153]
Pièce R-24; également rapporté sous Club de tir L'Acadie c. St-Jean-sur-Richelieu
(Ville de),
[154] Reproduit à l’annexe du rapport I-1; également rapporté dans le jugement pièce R-24.
[155] Pièce R-25, par. 11 à 17; Club de tir L'Acadie, préc., note 153.
[156] Id.
[157] Club de tir L'Acadie, préc., note 153, par. 18 et 23.
[158]
Lefebvre c. Granby Multi-Sports,
[159] Id., par. 58.
[160] Id., par. 56.
[161] Décision, par. 67.
[162] Pièce P-21.
[163] Décision, par. 4 et 5; Pièce R-3.
[164] Pièce R-26.
[165] Pièce R-18, p. 4.
[166] Pièce R-23.
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