COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3
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Appel entendu : 30 mars 2017 Jugement rendu : 1er février 2018 Dossier : 36605 |
Entre :
Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (anciennement connue sous le nom de Commission de la santé et de la sécurité du travail)
Appelante
et
Alain Caron
Intimé
- et -
Procureure générale du Québec, Tribunal administratif du travail (anciennement connu sous le nom de Commission des lésions professionnelles), Centre Miriam, Conseil du patronat du Québec inc., Ontario Network of Injured Workers’ Groups, Industrial Accident Victims’ Group of Ontario, Centrale des syndicats du Québec et Syndicat canadien de la fonction publique
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Rowe
Motifs de jugement : (par. 1 à 58) |
La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Karakatsanis, Wagner et Gascon) |
Motifs concordants quant au résultat : (par. 59 à 115) |
Le juge Rowe (avec l’accord de la juge Côté) |
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
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québec (cnesst) c. caron
Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité
du travail (anciennement connue sous le nom de Commission
de la santé et de la sécurité du travail) Appelante
c.
Alain Caron Intimé
et
Procureure générale du Québec,
Tribunal administratif du travail (anciennement connu
sous le nom de Commission des lésions professionnelles),
Centre Miriam,
Conseil du patronat du Québec inc.,
Ontario Network of Injured Workers’ Groups,
Industrial Accident Victims’ Group of Ontario,
Centrale des syndicats du Québec et
Syndicat canadien de la fonction publique Intervenants
Répertorié : Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron
2018 CSC 3
No du greffe : 36605.
2017 : 30 mars; 2018 : 1er février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Rowe.
en appel de la cour d’appel du québec
Accidents du travail -- Droits de la personne -- Droits des personnes handicapées -- Retour au travail -- Obligation d’accommodement -- Travailleur victime d’une lésion professionnelle demandant que l’on tienne compte de l’obligation d’accommodement raisonnable imposée à l’employeur par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour décider si un emploi convenable est disponible -- Régime législatif applicable n’imposant pas en termes exprès à l’employeur l’obligation d’accommoder raisonnablement le travailleur atteint d’une invalidité -- L’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnables conformément à la Charte québécoise s’applique-t-elle aux travailleurs dont l’invalidité résulte d’une lésion professionnelle? -- Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, art. 236, 239 -- Charte des droits et libertés de la personne, CQLR, c. C-12, art. 10, 16.
Législation -- Interprétation -- Droits de la personne -- Principe d’interprétation fondé sur les « valeurs de la Charte » -- Régime législatif accordant au travailleur dont l’invalidité résulte d’une lésion professionnelle le droit de retourner travailler pour l’employeur -- Régime législatif applicable n’imposant pas en termes exprès à l’employeur l’obligation d’accommoder raisonnablement le travailleur atteint d’une invalidité -- Faut-il interpréter le régime législatif comme prévoyant l’obligation de prendre des mesures d’accommodement raisonnables conformément à la Charte québécoise? -- Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, CQLR, c. A-3.001, art. 236, 239 -- Charte des droits et libertés de la personne, CQLR, c. C-12, art. 10, 16.
Droit administratif -- Organismes et tribunaux administratifs -- Commission des lésions professionnelles -- Contrôle judiciaire -- Norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de refuser d’appliquer l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnables conformément à la Charte québécoise -- Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, CQLR, c. A-3.001, art. 236, 239 -- Charte des droits et libertés de la personne, CQLR, c. C-12, art. 10, 16.
En 2004, C a subi une lésion professionnelle qui l’a rendu incapable de reprendre l’emploi qu’il occupait auparavant. On l’a informé par la suite qu’aucun autre emploi convenable, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, n’était disponible. À l’époque, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») et, en appel, la Commission des lésions professionnelles (« CLP »), étaient les organismes administratifs chargés de la mise en œuvre de la Loi. La CSST a informé C que, comme son employeur n’avait aucun emploi convenable à lui offrir, elle poursuivrait le processus de réadaptation professionnelle et chercherait des solutions ailleurs. C a fait valoir que cette décision était prématurée et que le processus de réadaptation devait se poursuivre auprès de son employeur afin d’assurer l’application des protections contre la discrimination garanties par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (« Charte »), y compris l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement. Au terme de son examen, la CSST a conclu que l’obligation d’accommodement découlant de la Charte ne s’applique pas à la Loi. La CLP a rejeté l’appel de C, concluant que les prestations prévues par les dispositions législatives pertinentes représentent la pleine étendue de l’obligation d’accommodement qui incombe aux employeurs, et qu’aucune autre mesure d’accommodement ne pouvait leur être imposée. À l’issue d’un contrôle judiciaire, la Cour supérieure a annulé cette décision et a ordonné le réexamen de l’affaire conformément à l’obligation d’accommodement imposée à l’employeur par la Charte. La Cour d’appel s’est dite du même avis et a conclu que la Loi devait être interprétée conformément à l’obligation d’accommodement imposée par la Charte.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Gascon : La loi québécoise sur les accidents du travail s’applique aux travailleurs qui sont devenus invalides par suite de blessures subies à leur lieu de travail. Elle constitue une mesure législative visant à empêcher que les victimes d’accidents du travail soient traitées injustement en raison de leur invalidité. Elle offre des moyens de remédier aux conséquences financières, personnelles et physiques de ces blessures, et vise à protéger le plus pleinement possible les droits des travailleurs afin d’éviter que ces derniers ne fassent l’objet de discrimination au travail en raison d’une invalidité résultant de telles blessures. Le régime législatif empêche le travailleur victime d’une lésion professionnelle d’intenter une action en responsabilité civile, ce qui veut dire que, d’après le régime, le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne dispose d’aucun autre recours et ne peut s’adresser à aucune autre instance pour défendre ses droits. Toute solution qui s’offre au travailleur victime d’une lésion professionnelle réside donc dans l’interprétation et l’application du régime législatif.
La question en litige dans le présent pourvoi consiste à se demander si l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnables en faveur de quelqu’un ayant une invalidité, une obligation constituant un principe central et transcendant en matière de droits de la personne, s’applique aux travailleurs subissant une invalidité à leur lieu de travail. La Loi prévoit un régime complet d’indemnisation des accidentés du travail, mais n’impose pas expressément l’obligation de les accommoder. L’obligation d’accommodement exige un accommodement tel que l’employeur peut démontrer qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu.
À l’instar de toutes les autres lois québécoises, la Loi doit être interprétée conformément à la Charte québécoise. L’obligation de prendre des mesures d’accommodement raisonnables en faveur des employés invalides est un précepte fondamental du droit du travail canadien, et plus particulièrement du droit du travail québécois. L’obligation d’accommodement étant l’un des principes centraux de la Charte, elle s’applique donc à l’interprétation et à l’application des dispositions de la loi québécoise sur les accidents du travail. Il n’existe aucune raison de priver quelqu’un qui devient invalide par suite d’un accident du travail des principes applicables à toutes les personnes invalides, notamment du droit à des mesures d’accommodement raisonnables. Les droits et avantages qu’accorde la Loi au travailleur victime d’une lésion professionnelle doivent donc être interprétés et mis en œuvre conformément à l’obligation de l’employeur d’accommoder raisonnablement les employés ayant subi une lésion professionnelle. L’examen des objectifs et politiques de la Loi ainsi que des droits qu’elle confère — comme le droit à la réintégration, à un emploi équivalent ou à un emploi convenable — révèle que le régime établi par celle-ci prévoit clairement la prise de mesures raisonnables visant à faciliter autant que possible le retour au travail du travailleur invalide. L’obligation d’accommodement raisonnable sert à indiquer comment il faut mettre en application ces droits au vu des faits de l’espèce sans que cela ne cause une contrainte excessive.
La mise en œuvre de cette obligation à la lumière de la Charte québécoise ne perturbe pas le régime soigneusement calibré d’obligations et de rapports établi par la Loi. Elle ne fait que requérir une conception plus robuste de la mise en application des droits des travailleurs invalides par la CSST et la CLP et, nécessairement, par l’employeur. Cela veut dire en fin de compte que la CSST et la CLP possèdent le pouvoir de réparation exclusif d’imposer à l’employeur des mesures d’accommodement raisonnablement possibles à l’égard de la lésion subie par le travailleur invalide.
Étant donné que la CSST et la CLP ont jugé que le concept d’accommodement raisonnable au sens de la Charte québécoise ne s’appliquait pas, ni l’une ni l’autre de ces organisations n’ont tiré de conclusion de fait quant à savoir si C avait bénéficié de mesures d’accommodement raisonnables. En particulier, la CLP n’a formulé aucune conclusion relativement à la question de savoir s’il y aurait eu un emploi convenable chez l’employeur si ce dernier avait pris en sa faveur des mesures d’accommodement raisonnables. Il convient d’annuler la décision de la CLP et de renvoyer l’affaire au Tribunal administratif du travail (l’institution qui a succédé à la CLP) pour qu’il la réexamine en tenant compte de l’obligation d’accommodement raisonnable.
Les juges Côté et Rowe : Il y a accord avec la majorité pour renvoyer l’affaire afin que l’on décide si l’employeur s’est acquitté de son obligation d’accommodement dans les circonstances, mais il y a désaccord avec elle pour appliquer une présomption générale de conformité de la Loi à la Charte car cette présomption est contraire à la jurisprudence de la Cour et à l’art. 51 de la Charte.
Le principe d’interprétation fondé sur les « valeurs de la Charte » ne permet pas au tribunal de proposer, au nom des valeurs de la Charte, une interprétation non étayée par le texte de la loi. La Loi et la Charte ont des objets différents. La Loi constitue un régime d’indemnisation sans égard à la faute pour lésions professionnelles. La Charte québécoise a un objectif plus général de protection des droits fondamentaux, dont le droit à l’égalité, ce qui comprend l’obligation d’accommodement. Contrairement à la Loi, l’origine de l’invalidité n’a pas d’importance pour la Charte québécoise; il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’un accident du travail, mais elle s’applique à l’invalidité résultant d’un tel accident. Les deux régimes juridiques sont distincts sur le plan conceptuel, ce qui signifie que les droits garantis par la Charte au travailleur existent en sus des droits que lui confère la Loi.
L’obligation d’accommodement dans des cas comme celui en l’espèce n’oblige pas l’employeur à créer de toutes pièces un nouveau poste pour l’employé atteint d’une invalidité. Il ne s’agirait pas d’un accommodement raisonnable. Elle signifie plutôt que, lorsque l’employeur examine les postes disponibles, il doit à la fois se demander s’il a un emploi convenable au sens de la Loi et ce que les obligations que lui impose la Charte exigent sur le plan de la souplesse dans l’application des normes d’emploi. Si ce qui empêche un poste d’être convenable tient à un accommodement raisonnable (sans qu’il n’en résulte pour l’employeur une contrainte excessive), la Charte oblige l’employeur à prendre les mesures qui s’imposent pour accommoder le travailleur atteint d’une invalidité.
La décision contrôlée en l’espèce est celle de la CLP affirmant qu’elle ne pouvait accorder à C une réparation fondée sur la Charte. Vu l’importance que revêt cette question pour le système juridique, notamment le régime de justice administrative, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. L’affirmation de la CLP selon laquelle la Loi représente la pleine étendue de l’obligation d’accommodement d’un employeur était donc incorrecte en ce que la CLP avait le pouvoir et le devoir de donner effet aux droits que la Charte garantit à C, ainsi qu’à ceux que lui confère la Loi.
La Cour a établi une
démarche à deux volets pour décider si un tribunal administratif a compétence
pour accorder diverses réparations sur le fondement du par.
Dans l’accomplissement de son mandat légal, la CLP avait (et le Tribunal administratif du travail a désormais) compétence pour accorder des réparations fondées sur la Charte, y compris la réparation demandée en l’espèce, soit une ordonnance enjoignant à l’employeur d’accommoder C au moment de déterminer s’il a un emploi convenable. En effet, la CLP était expressément investie du pouvoir de trancher des questions de droit et la réparation demandée en l’espèce relève des pouvoirs qui lui ont été conférés. Par conséquent, la CLP a eu tort de décider que les pouvoirs dont le législateur l’a investie ne l’autorisaient pas à trancher cette question.
Jurisprudence
Citée par la juge Abella
Arrêt
appliqué : Québec (Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal,
Citée par le juge Rowe
Arrêts appliqués :
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal,
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2a), 24(1).
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, préambule, art. 1 à 38, 1 à 9, 3, 9.1, 10, 16 à 20, 16, 49, 51, 52, 53.
Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1, art. 1 al. 2, 6, 9, 10.
Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3.
Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, art. 1, 2 « emploi convenable », « emploi équivalent », « lésion professionnelle », « prestation », 4, 32, 48, 49 al. 1, 57(1), 145 et seq., 145, 166, 167, 170, 171, 172, 173 al. 1 et 2, 174, 176, 181, 235(1), 236, 239, 240, 242 al.1 et 2, 244, 255, 281, 326, 349, 351 al.1, 358, 359, 369 [abr. 2015, c. 15, s. 116], 377 [abr. idem], 378 [abr. idem], 438.
Doctrine et autres documents cités
Brun,
Henri, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet.
Cormier, France. « La victime de harcèlement et le processus de réadaptation professionnelle », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, vol. 263, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail. Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007, 113.
POURVOI contre un
arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Hilton, Bélanger et Schrager),
François Bilodeau et Lucille Giard pour l’appelante.
Sophie Cloutier et Frédéric Tremblay, pour l’intimé.
Patrice Claude, Dana Pescarus et Abdou Thiaw, pour l’intervenante la Procureure générale du Québec.
Marie-France Bernier, pour l’intervenant le Tribunal administratif du travail (anciennement connu sous le nom de Commission des lésions professionnelles).
Pierre Douville et Isabelle Auclair, pour l’intervenant le Centre Miriam.
Jean-Claude Turcotte et Sébastien Parent, pour l’intervenant le Conseil du patronat du Québec inc.
Maryth Yachnin, Ivana Petricone et Rachel Weiner, pour les intervenants Ontario Network of Injured Workers’ Groups et Industrial Accident Victims’ Group of Ontario.
Claudine Morin, Nathalie Léger et Amy Nguyen, pour l’intervenante la Centrale des syndicats du Québec.
Josée Aubé, Céline Giguère et Julie Girard-Lemay, pour l’intervenant le Syndicat canadien de la fonction publique.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Gascon rendu par
La juge Abella —
[1] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] régit le régime d’indemnisation des accidentés du travail au Québec. Elle précise que le travailleur qui devient invalide par suite d’une lésion professionnelle bénéficie d’un certain nombre de prestations, entre autres d’une indemnité de remplacement du revenu, de soutien en vue de sa réadaptation et, lorsque certaines conditions sont remplies, du « droit au retour au travail » chez son employeur.
[2] Le travailleur victime d’une lésion professionnelle qui peut retourner au travail dans un délai précis a le droit de réintégrer l’emploi qu’il occupait avant de se blesser ou un emploi équivalent[2]. Si, en raison de cette lésion professionnelle, le travailleur est incapable de réintégrer l’emploi qu’il occupait, il a le droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible chez son employeur[3].
[3] Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et la Commission des lésions professionnelles (CLP) doivent tenir compte de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnables à l’égard d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle lorsqu’elles décident si un retour au travail est possible en vertu du régime, et selon quelles modalités.
[4] La présente affaire appartient à la sphère classique de la décision raisonnable — la CLP interprète la portée et l’application de sa loi constitutive. À mon avis, toutefois, sa conclusion selon laquelle le régime n’impose aucune obligation d’accommodement raisonnable aux employeurs ne résiste pas à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
Contexte
[5]
Alain Caron travaillait comme éducateur spécialisé au Centre
Miriam, un centre pour personnes ayant des déficiences intellectuelles. Le
20 octobre 2004, il s’est blessé au coude gauche en heurtant un cadre de
porte pendant qu’il exerçait ses fonctions; il a développé une épicondylite
latérale ou « coude du joueur de tennis ». Cette blessure a été
reconnue comme une lésion professionnelle au sens de l’art.
. . .
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation;
[6] Le jour suivant celui où M. Caron s’est blessé, le Centre Miriam l’a affecté temporairement au poste de chef d’équipe du quart de nuit. Durant la période concernée, le Centre Miriam était chargé de transférer des patients ayant des déficiences intellectuelles ou des troubles du développement de l’hôpital Rivière-des-Prairies vers des endroits adaptés à leurs besoins, par exemple des résidences spécialisées. M. Caron aidait à remplir les documents nécessaires, en plus de former et d’appuyer le personnel — existant et nouveau — de l’équipe de nuit.
[7] Le Centre Miriam a mis fin à l’affectation temporaire de M. Caron en 2007, une fois terminé le processus de transfert des personnes confiées à ses soins. Le Centre a aussi décidé qu’en raison de son invalidité, M. Caron ne pouvait réintégrer le poste d’éducateur qu’il occupait avant de se blesser et lui a affirmé ne disposer d’aucun emploi convenable à lui offrir.
[8]
À l’époque, la CSST et, en
appel, la CLP, étaient les organismes administratifs chargés de la mise en
œuvre de la Loi[4]. La CSST a compétence exclusive pour
examiner et décider toute question visée par la Loi[5], y
compris les conclusions sur la capacité d’un travailleur de réintégrer l’emploi
qu’il occupait avant sa blessure ou d’exercer un emploi convenable (Société
des établissements de plein air du Québec c. Syndicat de la fonction publique
du Québec,
[9] La CLP peut rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu[10]. Elle peut décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence[11], et elle peut rendre toute ordonnance qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties[12].
[10] La CSST a informé M. Caron que, comme aucun emploi convenable n’était disponible au Centre Miriam, elle poursuivrait le processus de réadaptation professionnelle et chercherait des solutions ailleurs. M. Caron a fait valoir que cette décision était prématurée et que le processus de réadaptation devait se poursuivre auprès du Centre Miriam afin d’assurer l’application des protections contre la discrimination garanties par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec[13], y compris l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement.
[11] Au terme de son examen, la CSST a conclu que l’obligation d’accommodement découlant de la Charte québécoise ne s’applique pas à la Loi.
[12]
La CLP a rejeté l’appel
de M. Caron (
[13]
À l’issue d’un contrôle judiciaire, la Cour supérieure du Québec
a annulé la décision de la CLP et a ordonné le réexamen de l’affaire
conformément à l’obligation d’accommodement imposé à l’employeur par la Charte
québécoise (
[14]
La Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel (
Analyse
[15]
La législation québécoise sur les accidents du travail
« transpose un compromis social, longuement mûri, entre diverses forces
contradictoires » (Béliveau
St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics
inc.,
[16]
L’objet de ce régime et son
évolution ont été décrits comme suit dans l’arrêt Béliveau :
« [faire en sorte que] les accidents du travail [. . .]
échappe[nt] au domaine de la responsabilité civile » (par. 109).
Le compromis atteint dans la loi initiale en 1909 est qu’en échange du fait
d’éviter les « aléas des poursuites civiles » (par. 109) et de
ne pas avoir à établir la faute de l’employeur, les travailleurs victimes d’une
lésion professionnelle avaient droit à une compensation partielle et
forfaitaire sans égard à la faute. Autrement dit, en échange de la renonciation
par les travailleurs à la possibilité d’obtenir compensation pleine et entière,
les employeurs avaient l’obligation d’offrir une compensation partielle dès
lors qu’il se produisait un accident. Les coûts furent répartis entre les
travailleurs et les employeurs (voir de Montigny c. Brossard (Succession),
[17] Quand la réforme législative fut introduite en 1985, le système d’indemnisation a été modifié, mais non les principes qui le sous-tendaient. De plus, selon l’art. 349, toute affaire liée au régime était exclusivement confiée à la CSST.
[18] L’article 438 est la disposition qui fait de la Loi un régime exclusif :
438. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.
Ainsi donc, d’après le régime[14], le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne dispose d’aucun autre recours et ne peut s’adresser à aucune autre instance pour défendre ses droits (SEPAQ; Tembec). Par conséquent, toute solution réside dans l’interprétation et l’application du régime législatif.
[19] À l’instar des lois similaires adoptées ailleurs au Canada, la loi québécoise sur les accidents du travail s’applique aux travailleurs qui deviennent invalides par suite de blessures subies à leur lieu de travail. Elle constitue dans les faits une mesure législative visant à empêcher que les victimes d’accidents du travail soient traitées injustement en raison de leur invalidité. Elle offre des moyens de remédier aux conséquences financières, personnelles et physiques de ces blessures, et vise à protéger le plus pleinement possible les droits des travailleurs afin d’éviter que ces derniers ne fassent l’objet de discrimination au travail en raison d’une invalidité résultant de telles blessures. La loi québécoise reconnaît expressément cet objectif à l’art. 32 :
32. L’employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou à cause de l’exercice d’un droit que lui confère la présente loi.
[20] La question en litige dans le présent pourvoi consiste à se demander si l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnables en faveur de quelqu’un ayant une invalidité, une obligation constituant un principe central et transcendant en matière de droits de la personne, s’applique aux travailleurs subissant une invalidité à leur lieu de travail. La Loi prévoit un régime complet d’indemnisation des accidentés du travail, mais n’impose pas expressément l’obligation de les accommoder.
[21]
Les art.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.
Il s’agit de savoir si le régime législatif devrait être interprété comme englobant une obligation d’accommodement qui s’accorde avec l’approche adoptée conformément à ces dispositions de la Charte québécoise.
[22]
L’obligation de prendre des mesures d’accommodement raisonnables
en faveur des employés invalides est un précepte fondamental du droit du
travail canadien, et plus particulièrement du droit du travail québécois. La
juge Deschamps a résumé l’objet de l’obligation d’accommodement en contexte
d’emploi comme étant le fait « de permettre à l’employé capable de
travailler de le faire [. . .] L’obligation d’accommodement a pour
objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement
exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans
créer de contrainte excessive » (Hydro-Québec c. Syndicat des
employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec,
section locale 2000 (SCFP-FTQ),
[23]
Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of
Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights),
Les employeurs et autres personnes régies par une loi concernant les droits de la personne sont maintenant requis, dans tous les cas, de tenir compte dans leurs normes des caractéristiques des groupes touchés, au lieu de maintenir des normes discriminatoires complétées par des mesures d’accommodement pour ceux qui ne peuvent pas y satisfaire. L’incorporation de l’accommodement dans la norme elle-même assure que chaque personne est évaluée selon ses propres capacités personnelles, au lieu d’être jugée en fonction de présumées caractéristiques de groupe. [Italiques dans l’original; par. 19.]
[24] Comme l’a expliqué la juge McLachlin dans Meoirin, « il y a lieu de prendre en considération la possibilité d’exécuter le travail de différentes manières tout en réalisant l’objet légitime lié à l’emploi que vise l’employeur. Les aptitudes, les capacités et l’apport potentiel du demandeur et de ceux qui sont dans la même situation que lui doivent être respectés autant qu’il est possible de le faire » (par. 64).
[25]
L’obligation d’accommodement n’est pas illimitée; sa portée est
dans chaque cas définie par les concepts symétriques d’« accommodement
raisonnable » et de « contrainte excessive ». Dans l’arrêt Conseil
des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc,
La jurisprudence de notre Cour révèle que l’existence d’une contrainte excessive peut être établie lorsque la norme ou l’obstacle est « raisonnablement nécessaire » dans la mesure où il existe un « risque suffisant » qu’un objectif légitime comme la sécurité soit assez compromis pour justifier le maintien de la norme [. . .], lorsqu’on a pris « les mesures qui peuvent être raisonnables pour s’entendre sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs » [. . .], lorsqu’il n’existe aucune autre solution raisonnable [. . .], lorsque l’exercice d’un droit est seulement assujetti à des « limites raisonnables » [. . .], lorsque l’employeur ou le fournisseur de services démontre « qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu » [. . .]. Il y a contrainte excessive lorsque les moyens raisonnables d’accommoder ont été épuisés et qu’il ne reste que des options d’accommodement déraisonnables ou irréalistes. [Citations omises; par. 130.]
[26] Comme l’a expliqué la juge Deschamps dans l’arrêt Hydro-Québec :
Ce qui est véritablement requis ce n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances.
[. . .]
L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail. [par. 12 et 16]
[27]
Bref, l’obligation d’accommodement exige un accommodement
important à un point tel que l’employeur peut démontrer qu’il « n’aurait
pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les
conséquences fâcheuses pour l’individu » (Moore c. Colombie-Britannique
(Éducation),
[28]
Dans l’arrêt McGill University Health Centre (Montreal General
Hospital) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal,
Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé. En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise. [par. 22]
(Voir aussi VIA Rail, par. 123)
[29] Tout récemment, dans l’affaire Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591, le juge Gascon, dissident, mais non sur ce point, a résumé les principes clés : l’employeur n’est pas tenu de démontrer qu’il est « impossible d’accommoder » l’employé, mais seulement qu’aucune autre solution de rechange raisonnable ou pratique ne s’offre à lui; une analyse individualisée est nécessaire; l’obligation d’accommodement implique tant des obligations procédurales que des obligations de fond; le critère de la contrainte excessive signifie que l’employeur doit toujours supporter une certaine contrainte (par. 125-128).
[30]
Au Canada, il a été jugé que toutes les lois sur les droits de la
personne prohibant la discrimination comportent une obligation d’accommodement,
y compris la Charte québécoise (Québec (Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier
Aéronautique Centre de formation),
[31]
Ces constatations nous amènent à l’examen de la question qui est
au cœur du présent pourvoi, celle de savoir si le régime législatif devrait
être interprété et appliqué compte tenu de l’obligation d’accommodement
raisonnable incombant à l’employeur, eu égard aux art.
[32]
Les outils servant à aborder les questions soulevées en l’espèce
se trouvent dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal,
Dans le droit du Québec, dans les matières relevant de la compétence de l’Assemblée nationale, la Charte québécoise se trouve élevée au rang de source de droit fondamental. L’interprétation de la législation doit s’inspirer de ses principes. La disposition préliminaire du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, souligne d’ailleurs que ce dernier, à titre de droit commun du Québec, doit s’interpréter en harmonie avec elle. [Italiques ajoutés; par. 20]
Il s’agit d’une méthode qui a généralement
été employée dans la jurisprudence québécoise. Elle adhère au point de vue
selon lequel toutes les lois du Québec doivent être interprétées
conformément à la Charte québécoise. Il n’est donc pas nécessaire de
traiter de l’argument, que M. Caron a invoqué la première fois devant
notre Cour, selon lequel l’arrêt R. c. Conway,
[33] Cette approche a également été appliquée à l’extérieur du Québec, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Via Rail :
[D]u fait qu’elle énonce « une politique générale applicable à des questions d’intérêt général », une loi sur les droits de la personne fait partie de l’ensemble des règles de droit pertinentes nécessaires pour aider un tribunal administratif à interpréter sa loi habilitante. [par. 114]
(Voir
aussi Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien
aux personnes handicapées),
[34]
Elle a été appliquée à la loi sur les accidents du travail par la
Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Gauthier c. Demers (2007), 65 Admin.
L.R. (4th) 222. Cet arrêt portait sur le sens de l’expression « une autre
cause juste et suffisante » figurant à l’art.
En quelque sorte, les dispositions de la Charte qui assurent la protection des droits fondamentaux sont partie intégrante de toute loi sans qu’il soit nécessaire d’en faire mention dans le texte de celle-ci.
Plus particulièrement, la disposition de la [Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1,] qui fait état d’une « cause juste et suffisante » doit être interprétée tout comme si elle comportait les mots « et conforme à la Charte ». C’est le principe de la suprématie de la Charte, loi quasi constitutionnelle. [par. 51 et 52]
[35] L’obligation d’accommodement étant l’un des principes centraux de la Charte québécoise, elle s’applique donc à l’interprétation et à l’application des dispositions de la loi québécoise sur les accidents du travail. Il n’existe aucune raison de priver quelqu’un qui devient invalide par suite d’un accident du travail des principes applicables à toutes les personnes invalides, notamment du droit à des mesures d’accommodement raisonnables.
[36] La mise en œuvre de cette obligation à la lumière de la Charte québécoise ne perturbe pas le régime soigneusement calibré d’obligations et de rapports établi par la Loi. Elle ne fait que requérir une conception plus robuste de la mise en application des droits des travailleurs invalides par la CSST et la CLP et, nécessairement, par l’employeur.
[37] Interpréter et mettre en œuvre la Loi dans un cas donné conformément au principe de l’accommodement raisonnable est, en fait, compatible avec les efforts envisagés par le régime en vue de permettre au travailleur de retourner au travail. L’examen des objectifs et politiques sous-jacents de la Loi révèle que le régime établi par celle-ci prévoit clairement la prise de mesures raisonnables visant à faciliter autant que possible le retour au travail du travailleur invalide.
[38] La Loi permet au travailleur victime d’une lésion professionnelle de réintégrer son ancien emploi, de réintégrer un « emploi équivalent » ou d’occuper un « emploi convenable », comme le prévoient les art. 236 et 239 :
236. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle qui redevient capable d’exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement son emploi dans l’établissement où il travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion ou de réintégrer un emploi équivalent dans cet établissement ou dans un autre établissement de son employeur.
239. Le travailleur qui demeure incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle et qui devient capable d’exercer un emploi convenable a droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible dans un établissement de son employeur.
Le droit conféré par le premier alinéa s’exerce sous réserve des règles relatives à l’ancienneté prévues par la convention collective applicable au travailleur.
[39] Le travailleur qui redevient capable d’exercer l’emploi qu’il occupait au moment de la lésion a le droit de réintégrer cet emploi ou d’être affecté à un « emploi équivalent » chez l’employeur.
[40] L’expression « emploi équivalent » est définie à l’art. 2 comme étant un « emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l’emploi qu’occupait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d’exercice ». Un emploi équivalent est offert au travailleur qui est techniquement capable d’exercer l’emploi qu’il occupait avant la lésion, mais qui ne peut le réintégrer pour des motifs étrangers à la lésion, telle l’abolition du poste (France Cormier, « La victime de harcèlement et le processus de réadaptation professionnelle » dans Barreau du Québec, vol. 263¸ Développements récents en droit de la santé et de la sécurité au travail (2007), 113; Gougeon (Re), 1999 CanLII 21577 (C.L.P. Qué.)).
[41] En conséquence, le travailleur qui se rétablit suffisamment pour réintégrer son emploi avant le délai prescrit réintègre cet emploi ou un emploi équivalent, et il a droit aux mêmes salaire et avantages que s’il avait continué à exercer son emploi[15]. Le travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi après l’expiration du droit de retour au travail aura accès à des services de support en recherche d’emploi[16] et recevra une indemnité de remplacement du revenu pendant une période maximale d’un an[17].
[42]
Et suivant l’art.
[43] Le travailleur qui obtient un « emploi convenable » chez l’employeur reçoit le salaire et les avantages liés à cet emploi, compte tenu de l’ancienneté et du service continu qu’il a accumulés[18]. Le versement d’une indemnité réduite de remplacement du revenu permet d’indemniser le travailleur de tout écart entre le salaire tiré de l’emploi qu’il occupait avant de subir la lésion professionnelle et le salaire tiré de l’« emploi convenable »[19].
[44] S’il n’y a aucun « emploi convenable » disponible chez l’employeur, le travailleur peut bénéficier de services d’évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l’aider à déterminer un emploi convenable qu’il pourrait exercer ailleurs, en plus d’avoir accès à des programmes de formation professionnelle et à des services de support en recherche d’emploi[20].
[45] Tous ces droits — réintégration, emploi équivalent ou emploi convenable — témoignent du fait de permettre « à l’employé capable de travailler de le faire » (Hydro-Québec, par. 14). Et cela concorde avec l’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur, obligation qui influe sur la manière dont ces droits doivent être mis en application compte tenu des faits de l’espèce.
[46] Les dispositions de la Loi qui traitent de la réadaptation témoignent également de l’obligation d’accommodement. Le travailleur qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle a droit à des mesures de réadaptation en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle[21]. Le travailleur aura ainsi accès à un plan personnalisé de réadaptation, préparé et mis en œuvre par la CSST, avec sa collaboration[22]. Ce plan peut comprendre un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
[47] Le programme de réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur ou de la travailleuse dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si cet objectif ne peut être atteint, l’accès à un emploi convenable[23]. La Loi définit de manière générale en quoi peut consister un programme de réadaptation professionnelle. Un tel programme peut comprendre un programme de recyclage, une évaluation des possibilités professionnelles, un programme de formation professionnelle, des services de support en recherche d’emploi, le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l’embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, le paiement de frais pour explorer un marché d’emplois ou pour déménager près d’un nouveau lieu de travail, le paiement de subventions au travailleur, et, plus particulièrement, l’adaptation d’un poste de travail[24].
[48] Le coût de la réadaptation est assumé par la CSST[25]. Par ailleurs, cette dernière perçoit des employeurs les sommes requises pour l’application de la Loi[26]. De plus, elle impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi[27].
[49] La CSST peut aussi, en vertu de l’art. 176[28], rembourser les frais d’adaptation d’un poste de travail, y compris le coût d’achat et d’installation des matériaux et équipements nécessaires, si cette adaptation permet au travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle d’exercer son emploi, un « emploi équivalent » ou un « emploi convenable ». Cette disposition prévoit la possibilité que des changements indemnisables soient apportés à un poste de travail pour l’adapter et ainsi permettre au travailleur de réintégrer son emploi ou d’exercer un emploi équivalent ou un emploi convenable. Tout cela démontre aussi que le régime envisage clairement une certaine forme d’accommodement en faveur du travailleur.
[50] Comme l’indique l’examen qui précède, les objectifs du régime d’indemnisation des accidentés du travail du Québec recoupent ceux de la Charte québécoise. Le régime d’indemnisation des accidentés du travail vise à « faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l’accès à un emploi convenable »[29]. De même, la Charte québécoise vise à « empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient pas injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive » (Hydro-Québec, par. 14). C’est là l’essence de l’obligation d’accommodement raisonnable. Le régime d’indemnisation des accidentés du travail prévoit divers types d’accommodement, comme la réintégration, un emploi équivalent ou, à défaut, l’emploi qui convient le mieux. Le fait que le régime prévoit certains types d’accommodement n’exclut pas l’accommodement général plus vaste qu’exige la Charte québécoise.
[51]
Les droits et avantages qu’accorde la Loi au travailleur
victime d’une lésion professionnelle doivent donc être interprétés et mis en
œuvre conformément à l’obligation de l’employeur d’accommoder raisonnablement
les employés ayant subi une lésion professionnelle, conclusion qui, à son tour,
emporte que la CSST et la CLP possèdent le pouvoir
de réparation exclusif, dans la mise en œuvre des art.
[52] En conséquence, comment s’appliquent ces obligations dans les circonstances de l’espèce?
[53]
M. Caron invoque le droit de retourner au travail et
d’occuper un emploi convenable que lui confère l’art.
[54] M. Caron a fait état de deux emplois « convenables » qu’il pourrait, selon lui, exercer au Centre Miriam si l’on prenait des mesures d’accommodement raisonnables en sa faveur : (1) le poste d’éducateur qu’il occupait avant de se blesser, à condition que l’on y apporte certaines modifications afin de tenir compte de sa limitation fonctionnelle; et (2) le poste de chef d’équipe qu’il a occupé temporairement au Centre Miriam.
[55] Étant donné que la CSST et la CLP ont jugé que le concept d’accommodement raisonnable au sens de la Charte québécoise ne s’appliquait pas, ni l’une ni l’autre de ces organisations n’ont tiré de conclusion de fait quant à savoir si M. Caron avait bénéficié de mesures d’accommodement raisonnables. En particulier, la CLP n’a formulé aucune conclusion relativement à la question de savoir s’il y aurait eu un « emploi convenable » chez l’employeur si ce dernier avait pris en sa faveur des mesures d’accommodement raisonnables. Si l’employeur avait tenu compte de son obligation d’accommodement lorsqu’il cherchait s’il existait un emploi convenable, peut-être aurait-il trouvé d’autres postes convenables que M. Caron aurait pu occuper.
[56] Vu la directive donnée dans les présents motifs selon laquelle il faut interpréter et appliquer le régime législatif en conformité avec l’obligation d’accommodement raisonnable imposée à l’employeur par la Charte québécoise, il me semble que l’on devrait donner à M. Caron la possibilité de défendre ses droits en tant que travailleur victime d’une lésion professionnelle conformément à l’approche modifiée. Je reconnais que les procédures ont été longues, peut-être même indûment longues, mais il restait encore à se prononcer sur des principes juridiques importants.
[57] Par conséquent, à l’instar de la Cour d’appel, j’annulerais la décision de la CLP et renverrais l’affaire au Tribunal administratif du travail (l’institution qui a succédé à la CLP) pour qu’il puisse trancher la réclamation de M. Caron eu égard à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnables en conformité avec la Charte québécoise. Selon l’art. 240[30] de la Loi, les droits que confèrent le régime peuvent être exercés pendant des périodes limitées. Il revient au Tribunal administratif du travail de décider si le délai doit s’appliquer à M. Caron compte tenu de cette approche modifiée et des circonstances pertinentes de l’espèce.
[58] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs des juges Côté et Rowe rendus par
Le juge Rowe —
I. Introduction
[59] J’ai eu l’occasion de lire les motifs de la juge Abella et je suis d’accord avec elle quant au résultat, qui consiste à renvoyer l’affaire au Tribunal administratif du travail (« TAT »), anciennement connu sous le nom de Commission des lésions professionnelles (« CLP »), pour qu’il décide si l’employeur s’est acquitté de son obligation d’accommodement.
[60]
Là où la juge Abella et moi divergeons d’opinion, c’est sur
l’approche à adopter pour atteindre ce résultat. Ma collègue retient une
approche dans le cadre de laquelle elle interprète le régime législatif comme
« englobant une obligation d’accommodement » (motifs de la juge
Abella, par. 21) en conformité avec l’opinion que « toutes les
lois du Québec doivent être interprétées conformément à la Charte
québécoise » (motifs de la juge Abella, par. 32) (souligné dans l’original).
À mon avis, cela va au-delà de la méthode d’interprétation législative
établie par la Cour selon laquelle « [l]’interprétation de la législation
doit s’inspirer [des] principes [de la Charte québécoise] »
(Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)
c. Communauté urbaine de Montréal,
[61]
Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited
Partnership c. Rex,
[62] Vu le caractère quasi constitutionnel de la Charte québécoise et les similitudes qu’elle présente avec la Charte canadienne sur les plans de la dérogation, de l’interprétation et de la justification, le rôle d’interprétation des tribunaux devrait se jouer de façon semblable à l’égard de ces deux instruments. Une présomption générale de conformité à la Charte québécoise pourrait « contrecarrer le respect de l’intention véritable du législateur, contrairement à ce que prescrit la démarche privilégiée en matière d’interprétation législative » (Bell ExpressVu, par. 64), tout comme une telle présomption générale pourrait le faire dans le cas de la Charte canadienne.
[63]
De plus, bien qu’il soit possible, suivant l’art. 53, de
recourir à la Charte québécoise « [s]i un doute surgit dans l’interprétation
d’une disposition » d’une loi, l’art.
[64] Le cheminement analytique que je propose ressemble à celui suivi par les cours inférieures. Il est fondé sur la compétence de la CLP et du TAT en tant que tribunaux administratifs ayant le pouvoir de décider des questions de droit et de rendre des ordonnances propres à donner effet aux droits des parties. Cette approche préserve le caractère distinct des deux régimes et correspond à la réparation fondée sur la Charte québécoise que M. Caron a demandée à la CLP.
II. Faits
[65] Le 20 octobre 2004, l’intimé, M. Alain Caron, a développé une épicondylite (aussi appelée « coude du joueur de tennis ») alors qu’il exerçait ses fonctions d’éducateur spécialisé au Centre Miriam, un centre pour personnes ayant des déficiences intellectuelles. Il a été affecté temporairement, le lendemain, au poste de chef d’équipe du quart de nuit. Cette affectation a été rendue possible en raison des besoins du Centre Miriam à ce moment-là; il recevait des patients transférés d’un autre hôpital.
[66] Le 6 octobre 2006, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») a décidé que la lésion professionnelle était consolidée et laissait une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le 5 octobre 2007, le Centre Miriam a mis fin à l’affectation temporaire de M. Caron parce que le processus de transfert des patients était terminé. La CSST a décidé à ce stade que M. Caron pouvait réintégrer son emploi antérieur. Cette décision a été contestée par le Centre Miriam; elle a été infirmée par la CLP en 2009.
[67] Le 16 avril 2010, le Centre Miriam a informé la CSST qu’il n’avait aucun emploi convenable à offrir à M. Caron, ce qui a été contesté par le syndicat de M. Caron au motif que le Centre Miriam aurait dû tenir compte de son obligation d’accommodement découlant de la Charte québécoise pour déterminer s’il existait un emploi convenable. Selon le syndicat, deux postes auraient pu être offerts à M. Caron si le Centre Miriam l’avait fait. La CSST a donné raison au Centre Miriam, pour le motif que la Loi constitue un régime d’accommodement complet pour les lésions professionnelles. Selon la CSST, il n’est donc pas nécessaire de recourir à la Charte québécoise pour compléter ce qui est prévu par la Loi. Le Centre Miriam a mis fin à l’emploi de M. Caron peu de temps après.
[68] M. Caron a contesté la décision de la CSST devant la CLP. C’est cette décision qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire.
III. Historique judiciaire
A.
Commission des lésions professionnelles,
[69] Dans sa décision, la CLP a reconnu qu’elle avait le pouvoir de décider de toute question de droit nécessaire à l’exercice de sa compétence et que cela comportait le pouvoir et le devoir d’appliquer la Charte québécoise.
[70] Toutefois, la CLP a estimé qu’elle était liée par la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec et par ses propres décisions selon lesquelles les mesures prévues par la Loi épuisent l’obligation d’accommodement. Par conséquent, l’employeur n’était pas tenu d’accommoder M. Caron au-delà de ce que prévoyait la Loi. La CLP a également décidé que le droit au travail que la Loi conférait à M. Caron était expiré. La CLP n’a donc accordé aucune réparation à M. Caron; elle a rejeté son appel.
B.
Cour supérieure du Québec,
[71] M. Caron a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour supérieure. Le juge Dugré a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. À son avis, il s’agissait non pas d’une question de compétence, mais plutôt de savoir si la CLP avait rendu une décision qui établissait un équilibre raisonnable entre les valeurs de la Charte québécoise et la Loi.
[72]
Il a estimé que la décision de la CLP était déraisonnable. À son
avis, la CLP a confondu la question de savoir si l’employeur avait respecté les
obligations que lui imposait la Charte québécoise et la question
de savoir si la Loi était conforme à la Charte québécoise. Selon le juge
Dugré, si l’absence d’emploi convenable résulte d’une violation d’un droit
protégé par la Charte québécoise — c.-à-d. si le demandeur a
été victime de discrimination en raison de son handicap résultant d’une lésion
professionnelle — la CLP a le devoir d’accorder une réparation fondée sur l’art.
[73]
Dans la même veine, selon le juge Dugré, la décision de la CLP
portant que le droit au retour au travail de M. Caron avait expiré était
déraisonnable. Ayant décidé qu’elle ne pouvait se prononcer sur la question de
savoir si M. Caron avait été victime de discrimination en raison de son
handicap, la CLP n’a pas procédé à l’analyse appropriée quant à savoir si l’art.
C.
Cour d’appel du Québec,
[74]
La juge Bélanger, avec l’accord des juges Hilton et Schrager, a
tiré une conclusion semblable. La Cour d’appel l’a fait en appliquant la norme
de la décision correcte, au motif que l’application de la Charte
québécoise est une question de droit d’une importance capitale pour le système
juridique et étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif (Dunsmuir c.
Nouveau-Brunswick,
[75] La Cour d’appel a conclu que la CLP avait le pouvoir d’obliger un employeur à accommoder un employé atteint d’une incapacité pour ce qui est d’un emploi convenable, conformément à la Charte québécoise. Même si l’obligation d’accommodement prévue par la Charte québécoise et les mesures de réparation prévues par la Loi ont évolué de façon parallèle, cela n’empêche pas la CLP d’avoir recours à la Charte québécoise dans l’exercice du pouvoir que lui confère la Loi. Son pouvoir de trancher des questions de droit l’autorise à accorder la réparation demandée par M. Caron. L’obligation d’accommodement découlant de la Charte québécoise peut très bien s’imbriquer dans la Loi.
[76]
Quant à l’expiration du droit au retour au travail prévu à l’art.
IV. Dispositions pertinentes
[77] Voici les dispositions pertinentes de la Charte québécoise et de la Loi :
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
52. Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.
Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d’une lésion, le paiement d’indemnités de remplacement du revenu, d’indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d’indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle.
349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu’une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contesté et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu. [Maintenant abrogé. Voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, CQLR, c. T-15.1, art. 9.]
378. La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d’ordonner l’emprisonnement.
Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions : ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu’ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.
Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d’un acte accompli de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions. [Maintenant abrogé. Voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, art. 9 et 10.]
V. Analyse
A. Norme de contrôle
[78] La Cour a statué qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard d’un tribunal qui rend une décision relevant de son expertise, même s’il a recours à la Charte québécoise :
Lorsque le Tribunal agit à l’intérieur de son champ d’expertise et qu’il interprète la Charte québécoise et applique ses dispositions aux faits pour décider de l’existence de discrimination, la déférence s’impose.
(Mouvement
laïque québécois c. Saguenay (Ville),
[79] La CLP a décliné compétence au motif que la Loi épuisait l’obligation d’accommodement d’un employeur et qu’elle ne pouvait accorder des réparations en sus de celles prévues par la Loi (décision de la CLP, par. 87). On pourrait considérer qu’il s’agit d’un tribunal spécialisé qui interprète sa loi constitutive, auquel cas la norme déférente de la décision raisonnable s’appliquerait (Dunsmuir, par. 54).
[80] Par contre, la CLP ayant décidé qu’elle ne pouvait accorder une réparation fondée sur la Charte québécoise, sa décision pourrait être qualifiée de décision touchant à l’étendue des pouvoirs dont le législateur l’a investie, c.-à-d. sa compétence. Selon cette qualification, la décision serait examinée en fonction de la norme de la décision correcte :
Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence. [. . .] [U]ne véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question.
(Dunsmuir, par. 59)
[81] Au bout du compte, je me laisse convaincre par l’analyse à laquelle s’est livrée la Cour d’appel du Québec :
Dans la présente affaire, nous ne sommes pas en présence d’une question relative à l’application de la Charte en soi, mais plutôt en face d’un refus de l’appliquer.
Ce que cette question sous-tend c’est l’obligation pour un tribunal spécialisé d’appliquer sa loi constitutive en tenant compte de la loi quasi constitutionnelle qu’est la Charte.
À mon avis, le législateur québécois n’a pas voulu protéger la compétence d’un tribunal spécialisé comme la CLP de décider ou non d’appliquer la Charte québécoise. Il s’agit là aussi d’une question de droit général d’importance pour le système juridique, comprenant le système de justice administrative. La norme de la décision correcte s’applique donc. [par. 35-37 (CanLII)]
B. Les objets de Loi et de la Charte québécoise
(1) La Loi
[82]
La Loi constitue la version actuelle du compromis historique
entre employeurs et employés concernant la réparation des lésions liées au
travail par l’entremise d’un régime d’indemnisation sans égard à la faute
destiné aux victimes de lésions professionnelles. Cet objet est énoncé au
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d’une lésion, le paiement d’indemnités de remplacement du revenu, d’indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d’indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle.
[83] La Cour a commenté le caractère indemnitaire de la Loi :
L’évolution et les caractéristiques de cet ensemble normatif permettent de conclure à sa large autonomie face au droit commun. Il transpose un compromis social, longuement mûri, entre diverses forces contradictoires [. . .] Elle établit en effet un système d’indemnisation fondé sur les principes d’assurance et de responsabilité collective sans égard à la faute, axé sur l’indemnisation et donc sur une forme de liquidation définitive des recours.
(Béliveau St-Jacques, par. 114)
[84]
Le droit au retour au travail et le droit à la réadaptation
conférés par la Loi sont des ajouts apportés assez récemment (voir L.Q. 1985,
c. 6) au régime d’indemnisation québécois. Comme l’a expliqué la Cour d’appel,
la Loi elle-même n’impose aucune obligation d’accommodement à l’employeur;
au contraire, selon l’art.
(2) La Charte québécoise
[85] L’objectif prépondérant de la Charte québécoise, énoncé à son préambule, est la reconnaissance et la protection des libertés et droits fondamentaux :
. . .
Considérant qu’il y a lieu d’affirmer solennellement dans une Charte les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation.
[86]
La Charte québécoise protège le droit à l’égalité
et son corollaire, l’interdiction de toute discrimination. L’article
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[87]
L’article
[88]
La Cour a reconnu l’existence de l’obligation d’accommodement
en 1985 (quelques mois après l’adoption de la Loi) (Commission
ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd.,
. . . l’obligation d’accommodement [. . .] implique que l’employeur est tenu de faire preuve de souplesse dans l’application de sa norme si un tel assouplissement permet à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. . . .
. . . les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. [. . .] L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.
(Hydro-Québec
c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau
d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ),
[89]
L’article
[90]
En cas d’atteinte à un droit, soit par l’État soit par une partie
privée, l’art.
Il faut parfois mettre fin à des comportements ou modifier des usages ou des méthodes incompatibles avec la Charte québécoise, même en l’absence de faute au sens du droit de la responsabilité civile [. . .] Ainsi, dans le cadre de l’exercice des recours appropriés devant les organismes ou les tribunaux compétents, la mise en œuvre [du droit des libertés civiles] peut conduire à l’imposition d’obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec la Charte québécoise.
(Communauté urbaine de Montréal, par. 26)
En l’espèce, la réparation demandée entre dans cette catégorie; M. Caron cherche à obtenir un accommodement raisonnable de la part du Centre Miriam, une obligation de faire destinée à corriger une situation incompatible avec la Charte québécoise.
(3) Conclusion sur les objets de la Loi et de la Charte québécoise
[91] La Loi et la Charte québécoise ont des objets différents. La Loi constitue un régime d’indemnisation sans égard à la faute pour lésions professionnelles. La Charte québécoise a un objectif plus général de protection des droits fondamentaux, dont le droit à l’égalité, ce qui comprend l’obligation d’accommodement. Par contre, les droits à l’indemnisation et au retour au travail à la suite d’un accident du travail découlent de la Loi. Les deux régimes juridiques sont distincts sur le plan conceptuel. Néanmoins, ils peuvent se recouper en pratique.
[92]
À moins que le fait de prendre des mesures ne crée une contrainte
excessive, le manque de souplesse d’un employeur dans l’application de ses
normes d’emploi constitue un défaut d’accommoder et, par conséquent, une
pratique discriminatoire. Contrairement à la Loi, l’origine du handicap
n’a pas d’importance pour la Charte québécoise; il n’est pas nécessaire
qu’il s’agisse d’un accident du travail, mais elle s’applique au handicap
résultant d’un tel accident. Le défaut d’un employeur de fournir un
accommodement raisonnable à un employé atteint d’un handicap est
discriminatoire, car il constitue une violation du droit à l’égalité de cet
employé. Ces victimes de discrimination ont droit, en vertu de l’art.
[93] L’affirmation de la CLP selon laquelle la Loi représente la pleine étendue de l’obligation d’accommodement d’un employeur était incorrecte en ce que la CLP avait le pouvoir et le devoir de donner effet aux droits que la Charte québécoise garantit à M. Caron, ainsi qu’à ceux que lui confère la Loi. En termes simples, les droits que la Charte québécoise garantit à M. Caron existent en sus des droits que lui confère la Loi.
C. Compétence pour accorder des réparations fondées sur la Charte québécoise
(1) Le critère énoncé dans l’arrêt Conway
[94]
Dans R. c. Conway,
[95] Certains indices permettent de répondre à la seconde question. Par exemple, le règlement rapide et efficace par un tribunal de toutes les questions dont l’essence relève de la compétence spécialisée que lui confère la loi joue en faveur de la reconnaissance d’une compétence pour accorder la réparation demandée :
Ainsi, les citoyens sont autorisés à faire valoir les droits qui leur sont garantis par la Charte de façon rapide, peu coûteuse et informelle. Les parties ne sont pas obligées de présenter deux requêtes à deux juridictions différentes pour que soient tranchées deux questions juridiques distinctes. Un tribunal spécialisé peut rapidement passer les faits au crible et dresser un dossier pour le tribunal d’appel.
(Weber
c. Ontario Hydro,
Cela facilite la défense des droits garantis par la Charte canadienne et vise à éviter le fardeau et l’inefficacité des instances multiples; il vaut mieux trancher la question devant un seul tribunal administratif.
[96] De même, lorsqu’il risque d’y avoir atteinte à des droits garantis par la Charte canadienne, le tribunal a le pouvoir de trancher les questions accessoires liées à la Charte, à moins que cette compétence ne soit expressément exclue :
lorsqu’un législateur confie à un tribunal judiciaire ou administratif une fonction l’amenant à trancher des questions susceptibles de toucher des droits garantis par la Charte et le dote de mécanismes et procédures lui permettant de décider de façon juste et équitable ces questions accessoires liées à la Charte, il faut alors en déduire, en l’absence d’intention contraire, que le législateur entendait habiliter ce tribunal à appliquer la Charte.
(R.
c. 974649 Ontario Inc.,
[97]
Contrairement au par.
L’article 49 ne dit rien à ce sujet. Il faut en déduire que le tribunal qui peut donner suite à une demande fondée sur [l’article] 49 doit être un tribunal qui est compétent suivant le droit ordinaire pour accorder le redressement réclamé.
(H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd., 2014, p. 1082)
[98]
Bien que le cadre énoncé dans l’arrêt Conway l’ait été
dans le contexte de la Charte canadienne, je ne vois pas pourquoi le
raisonnement qui le sous-tend ne devrait pas s’appliquer lui aussi à la Charte
québécoise. Les similitudes entre ces deux instruments ont donné lieu à une
« pollinisation croisée » dans la jurisprudence. Fait à souligner, la
Cour a appliqué le cadre d’analyse fondé sur l’article
[99]
Cela n’est pas nouveau. La Cour d’appel du Québec a appliqué mutatis
mutandis le cadre énoncé dans l’arrêt Conway pour décider si la
Commission des relations du travail (qui fait aussi maintenant partie du TAT)
avait compétence pour accorder une réparation fondée sur les Chartes québécoise
et canadienne (Association des cadres de la Société des casinos du Québec c.
Société des casinos du Québec,
[100] Il n’en demeure pas moins que la Charte québécoise et la Charte canadienne sont des instruments distincts; par conséquent, elles peuvent commander des approches différentes dans des situations différentes. L’application en l’espèce du cadre énoncé dans l’arrêt Conway n’écarte ni ne diminue en rien la possibilité que des approches distinctes soient justifiées, selon le contexte.
(2) La CSST (aujourd’hui la CNESST)
[101]
Je rappelle que la décision contrôlée est celle de la CLP, et non
la décision initiale de la CSST; un appel interjeté devant la CLP est un appel de
novo (Moulin de préparation de bois en transit de St-Romuald c.
Commission d’appel en matière de lésions professionnelles,
[102] Dans le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Conway, il faut se demander si le tribunal a le pouvoir de trancher des questions de droit. À l’intérieur du cadre administratif québécois, la CSST (maintenant la CNESST) exerce des « fonctions administratives » au sens de la Loi sur la justice administrative, RLRQ c. J-3, plutôt que des fonctions « juridictionnelles » ou quasi judiciaires. Si les fonctions administratives font l’objet de certaines garanties procédurales, elles sont qualitativement différentes des fonctions juridictionnelles. Notamment, les organismes juridictionnels fonctionnent dans le contexte d’un débat contradictoire, présidé par un juge administratif, tandis que les organismes administratifs donnent effet à des régimes législatifs dans un contexte bureaucratique.
[103] La disposition de la Loi qui confère des pouvoirs à la CSST (aujourd’hui la CNESST) investit celle-ci d’une compétence exclusive sur toute question relative à la Loi :
349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu’une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
Le pouvoir de décider des questions de droit de façon générale n’est pas prévu. La nature administrative, plutôt que juridictionnelle, de la CSST (aujourd’hui la CNESST) signifie qu’il ne s’agit pas d’un tribunal conçu pour trancher des questions relatives à des droits garantis par la Charte québécoise.
(3) La CLP (aujourd’hui le TAT)
[104] En revanche, la CLP était expressément investie du pouvoir de trancher des questions de droit :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence. [Maintenant abrogé, voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ, c. T-15.1. art. 9.]
Son successeur, le TAT, possède une
compétence semblable en vertu de l’art.
[105] Dans le second volet du critère énoncé dans Conway, il faut se demander si la réparation demandée s’agence avec le cadre législatif du tribunal. En l’espèce, la réparation demandée est une ordonnance enjoignant au Centre Miriam d’accommoder M. Caron au moment de déterminer s’il a un emploi convenable (décision de la CLP, par. 14). À mon avis, la CLP avait (et le TAT a maintenant) le pouvoir d’accorder cette réparation. La question de savoir s’il y a lieu d’accorder une réparation de ce genre dans les circonstances est une autre question, qu’il reste à trancher.
[106] Les considérations générales susmentionnées dont il est question dans les arrêts Weber et Dunedin s’appliquent en l’espèce. La CLP était un tribunal quasi judiciaire complexe qui se prêtait à l’étude approfondie de questions dans le cadre d’une procédure contradictoire. La Loi ne contenait aucune disposition excluant le pouvoir d’accorder des réparations en application de la Charte québécoise. De plus, il n’est manifestement pas souhaitable que M. Caron soit contraint de s’adresser d’abord à un autre tribunal pour obtenir une décision sur la question relative à la Charte québécoise avant de pouvoir interjeter appel devant la CLP afin d’obtenir une décision définitive en ce qui concerne l’accommodement.
[107]
La CLP a été investie de vastes pouvoirs lui permettant d’accomplir
son mandat légal. Comme la CLP entendait des appels de novo selon l’art.
[108]
Avec égards, je ne souscris pas à l’affirmation de ma collègue
selon laquelle l’art.
[109] Par conséquent, en affirmant qu’elle ne pouvait accorder une réparation fondée sur la Charte québécoise, la CLP a eu tort de décider que les pouvoirs dont le législateur l’a investie ne l’autorisaient pas à trancher cette question. Cette décision était incorrecte.
(4) Compétence de l’arbitre de griefs
[110]
La Cour d’appel du Québec s’est également penchée sur l’interaction
entre la compétence des arbitres de griefs, d’une part, et celle de la CSST et
de la CLP, d’autre part, lorsqu’une convention collective offre des avantages
plus grands que ceux prévus par la Loi (Université McGill c. McGill
University Non Academic Certified Association (MUNACA),
VI. L’obligation d’accommodement
[111]
L’obligation d’accommodement dans des cas comme celui qui nous
occupe n’oblige pas l’employeur à créer de toutes pièces un nouveau poste pour
l’employé atteint d’un handicap. Il ne s’agirait pas d’un accommodement
raisonnable. Elle signifie plutôt que, lorsque l’employeur examine les
postes disponibles, il doit à la fois se demander s’il a un emploi convenable
conformément à l’art.
[112] On peut comprendre la frustration des employés qui doivent obtenir une décision de la part de la CSST, la faire réviser au sein de cet organisme pour ensuite porter l’affaire en appel devant la CLP, où, à la suite d’un appel de novo, une ordonnance exigeant un accommodement peut être rendue. Je tiens à faire quelques remarques. Tout d’abord, le fait que la CSST ne peut pas obliger un employeur à prendre des mesures d’accommodement en faveur d’un employé ne signifie pas qu’elle ne peut pas discuter avec l’employeur de son obligation d’accommodement. En effet, il est à espérer que la CSST aide les employeurs à comprendre non seulement les droits que la Loi confère aux travailleurs, mais aussi ceux que leur confère la Charte québécoise.
[113] Ensuite, l’obligation d’accommodement ne prend pas naissance une fois que la CLP est saisie de l’affaire. L’obligation d’accommodement doit plutôt son existence à la Charte québécoise; la CLP se prononce sur l’application de l’obligation lorsqu’il y a un différend entre un employeur et un employé atteint d’un handicap. La bonne foi de l’employeur dans l’accomplissement de ses obligations devrait signifier que l’intervention de la CLP constitue l’exception et non la règle.
[114] Enfin, la différence entre la compétence de la CSST et celle de la CLP témoignent des différentes attributions que la Loi a confiées à chacune. Le fait que la CLP a le pouvoir de décider de toute question de droit et que la CSST n’a pas ce pouvoir a des conséquences sur ce que chacune d’elles peut faire. Trancher des questions relatives à la Charte québécoise est une fonction que la CLP est apte à exercer; cela diffère du rôle de décideur administratif expéditif que joue la CSST. L’Assemblée nationale aura tout le loisir de revoir cet octroi de pouvoirs à l’avenir.
VII. Conclusion
[115] À l’instar de ma collègue, je rejetterais le pourvoi avec dépens et renverrais l’affaire au TAT pour qu’il décide si l’obligation d’accommodement a été respectée dans le cas de M. Caron et, dans la négative, si le délai de prescription fait obstacle à toute réparation dans les circonstances.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Paquet Tellier, Saint-Jérôme.
Procureurs de l’intimé : Poudrier Bradet, Québec.
Procureur de l’intervenante la procureure générale du Québec : Procureure générale du Québec, Québec.
Procureurs de l’intervenant le Tribunal administratif du travail (anciennement connu sous le nom de Commission des lésions professionnelles) : Verge Bernier, Québec.
Procureurs de l’intervenant le Centre Miriam : Monette Barakett, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le Conseil du patronat du Québec inc. : Loranger Marcoux, Montréal.
Procureur des intervenants Ontario Network of Injured Workers’ Groups et Industrial Accident Victims’ Group of Ontario : IAVGO Community Legal Clinic, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Centrale des syndicats du Québec : Barabé Casavant, Montréal.
Procureur de l’intervenant le Syndicat canadien de la fonction publique : Syndicat canadien de la fonction publique, Montréal.
[1] RLRQ, c. A-3.001. Le présent litige est antérieur aux modifications apportées à la Loi, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016. Par suite de ces modifications, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») a été remplacée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST »), et la Commission des lésions professionnelles (« CLP ») a été remplacée par le Tribunal administratif du travail (« TAT »), division de la santé et de la sécurité du travail. Le rôle de ces organismes n’a pas changé substantiellement. Les acronymes CSST et CLP sont utilisés tout au long des présents motifs, et les dispositions dont on fait état dans ceux-ci sont celles de la Loi en vigueur à la date de la décision de la CLP. Lorsque les dispositions mentionnées n’existent plus, les motifs renvoient aux dispositions actuelles pour tenir compte des modifications entrées en vigueur en 2016.
[2]
Art.
[3]
Art.
[4] Comme il a été mentionné précédemment, les modifications apportées à la Loi sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016. La CSST a été remplacée par la CNESST, et la CLP a été remplacée par le TAT, division de la santé et de la sécurité du travail. Bien que le nom de ces organisations ait changé, le rôle de celles-ci est resté substantiellement le même.
[5] Art. 349.
[6] Art. 351, par. 1.
[7] Art. 358.
[8] Art. 359.
[9] Art. 369 (maintenant abrogé). Voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ c. T-15.1, art. 1, par. 2, et art. 6.)
[10] Art. 377, par. 2 (maintenant abrogé). Voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ c. T-15.1, art. 9, par. 2(4)).
[11] Art. 377, par. 1 (maintenant abrogé). Voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, art. 9, par. 1.)
[12] Par. 378(2) (maintenant abrogé). Voir la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, RLRQ c. T-15.1, art. 9, par. 2(3)).
[13] RLRQ, c. C-12.
[14] Selon les art.
[15] Art. 242, par. 1, et par. 235(1).
[16] Art. 173, par. 1, et art. 174.
[17] Art. 48 et par. 57(1).
[18] Art. 242, par. 2, et par. 235(1).
[19] Art. 49, par. 1.
[20] Art. 171, 172 et 173, par. 2.
[21] Art. 145.
[22] Art. 145 et suiv.
[23] Art, 166.
[24] Art. 167.
[25] Art. 181.
[26] Art. 281.
[27] Art. 326. Aux termes de l’art. 2, le mot « prestation » s’entend d’une indemnité versée en argent, d’une assistance financière ou d’un service fourni en vertu de la Loi.
[28] 176. La Commission peut rembourser les frais d’adaptation d’un poste de travail si cette adaptation permet au travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle d’exercer son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable.
Ces frais comprennent le coût d’achat et d’installation des matériaux et équipements nécessaires à l’adaptation du poste de travail et ils ne peuvent être remboursés qu’à la personne qui les a engagés après avoir obtenu l’autorisation préalable de la Commission à cette fin.
[29] Art. 166.
[30] 240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés
(1) dans l’année suivant le début de la période d’absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s’il occupait un emploi dans un établissement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période; ou
(2) dans les deux ans suivant le début de la période d’absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s’il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 travailleurs au début de cette période.
Le retour au travail d’un travailleur à la suite d’un avis médical n’interrompt pas la période d’absence continue du travailleur si son état de santé relative à sa lésion l’oblige à abandonner son travail dans la journée du retour.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.