Gazaille c. Lebeau |
2016 QCCS 6238 |
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JP-2304 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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N° : |
455-17-001007-145 |
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DATE : |
19 décembre 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S. |
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GUY GAZAILLE |
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et |
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MARYSE PARÉ |
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et |
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GUILLAUME GAZAILLE |
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et |
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MARIKIM GAZAILLE |
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Demandeurs |
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c. |
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YVON LEBEAU |
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et |
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MARTINE BOUCHARD |
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Défendeurs |
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et |
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OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE MISSISQUOI |
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Mis en cause |
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JUGEMENT
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l’aperçu
[1] Les demandeurs sont les propriétaires d’un quadruplex qu’ils ont acquis des défendeurs le 20 septembre 2011.
[2] Dans le cadre de travaux visant à corriger une problématique d’infiltration d’eau qui s’est produite à l’hiver 2013-2014, les demandeurs constatent l’existence d’un pont thermique au niveau de la fondation de l’immeuble. Le froid pénètre dans le bâtiment à la base des murs extérieurs.
[3] Aussi, les demandeurs découvrent que les tuiles de céramique installées le long des murs extérieurs se fissurent puisque placées sur une surface instable.
[4] Ils requièrent la résolution de la vente en raison de la présence de vices cachés, subsidiairement, une compensation pécuniaire pour leur permettre de corriger ces malfaçons.
[5] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que la résolution de la vente n’est pas le remède approprié puisque l’immeuble n’est pas affecté d’un ou de vices substantiels de construction et que le coût des travaux correctifs par rapport au prix de la vente n’est pas important.
[6] De plus, la crainte des demandeurs que l’immeuble puisse comporter d’autres vices n’est pas justifiée tout comme la perte de la valeur de l’immeuble dans le cadre d’une éventuelle vente.
[7] Toutefois, le Tribunal estime que les demandeurs ont droit à une diminution du prix de vente d’une somme de 44 771,27 $ qui correspond au coût des travaux correctifs (pont thermique et tuiles de céramique). Il n’y a pas lieu de les déprécier pour tenir compte d’une plus-value apportée à l’immeuble vu la nature des travaux.
le contexte
[8] Le 26 avril 2006, les défendeurs font l’acquisition d’un terrain pour y ériger un immeuble à logements.
[9] Les travaux commencent à l’automne 2006 et se terminent en janvier 2007.
[10] Les défendeurs louent les quatre appartements pour la période de 2007 jusqu’à la vente de l’immeuble aux défendeurs le 20 septembre 2011 pour la somme de 385 000 $. Bien que les codemandeurs Guillaume et Marikim Gazaille habitent un des logements à compter de l’acquisition, l’objectif des demandeurs en est un d’investissement.
[11] À l’hiver 2013-2014, une problématique survient suite à une tempête de verglas. Les deux dalles de béton des patios extérieurs des logements numéro 1 et 2 se soulèvent et endommagent une portion du mur mitoyen des logements. Également, de l’eau s’infiltre dans ces logements par la base du mur ainsi que par le dessus de la porte patio.
[12] À l’occasion des interventions visant à établir la cause des dommages, les demandeurs constatent que le froid provenant de l’extérieur pénètre à la base des murs extérieurs du bâtiment.
[13] D’abord, l’entrepreneur Patrick Pollender puis l’architecte Yves Lussier leur confirment l’existence d’un pont thermique au niveau de la fondation. Les demandeurs découvrent également une problématique visant l’installation des tuiles de céramique sur le plancher le long des murs extérieurs.
[14] Le 20 mars 2014, les demandeurs avisent les défendeurs des problèmes et les somment de venir constater l’état de la situation, ce qu’ils font dans les jours suivants.
[15] Le 14 avril 2014, les demandeurs soumettent aux défendeurs une soumission écrite au montant de 39 781,35 $ qui concerne les travaux correctifs pour le pont thermique. Le 28 septembre 2015, les demandeurs obtiennent de l’entrepreneur Pollender une évaluation au montant de 4 989,92 $ pour les coûts des travaux pour corriger le problème de céramique. Les parties ne réussissent pas à s’entendre sur une compensation financière.
[16] Le 25 août 2014, les demandeurs intentent leur requête introductive d’instance qu’ils modifient le 10 mai 2016 ainsi que le 14 juin 2016 soit lors de la deuxième journée d’instruction devant le soussigné.
[17] Ils demandent dans un premier temps la résolution de la vente puisque, disent-ils, les problèmes de construction de l’immeuble sont importants. Ils ajoutent ne plus avoir confiance en l’immeuble et craignent qu’il soit affecté d’autres vices. Ils avancent également que lorsqu’ils voudront vendre l’immeuble, le prix de vente sera revu à la baisse en raison des problèmes rencontrés.
[18] De façon subsidiaire, ils réclament la somme de 44 771,27 $, somme nécessaire pour effectuer les travaux correctifs qui s’imposent.
[19] Les défendeurs prétendent que l’immeuble n’est pas atteint de vices cachés. Le pont thermique, bien qu’il puisse constituer un vice ou une malfaçon, n’est pas d’une gravité telle qu’il rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou en diminue tellement son utilité que les demandeurs ne l’auraient pas acheté à ce prix.
[20] Aussi, la problématique reliée aux tuiles de céramique était connue avant l’achat. Les demandeurs devaient donc, comme tout acheteur prudent et diligent, investiguer davantage, ce qu’ils ont négligé de faire. De plus, le coût réclamé pour réparer les tuiles de céramique est exagéré.
questions en litige
[21] Les questions auxquelles le Tribunal doit répondre sont les suivantes :
1) L’immeuble est-il affecté d’un ou de vices cachés au sens de la loi?
2) Si tel est le cas, les demandeurs ont-ils droit à la résolution de la vente?
3) Les demandeurs ont-ils droit à une diminution du prix de vente? Dans l’affirmative, laquelle?
l’analyse et la discussion
- L’immeuble est-il affecté d’un ou de vices cachés au sens de la loi?
Le droit applicable
[22] Les règles de droit applicables à la garantie légale contre les vices cachés sont fort bien résumées par le juge Patrick Théroux, J.C.Q. dans l’affaire Lortie c. Grimard[1]. Elles sont les suivantes :
« [38] La loi prévoit en effet que le
vendeur d'un bien est légalement tenu de garantir à son acheteur que le bien
qu'il lui vend est exempt de vices cachés. Cette obligation est stipulée à
l'article
1726.
" Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. "
[39] Comme le texte de l'article 1726 l'indique, la loi exclut de la portée de cette garantie le vice apparent ou le vice connu de l'acheteur. L'analyse menant à la détermination d'une situation de vice caché donnant ouverture à la garantie légale obéit généralement à quatre critères:
▪ La gravité: Le vice doit être grave; il doit causer des inconvénients sérieux à l'usage du bien qui en est affecté. Sa gravité doit être telle que l'acheteur n'aurait pas payé le prix convenu ou n'aurait pas acheté le bien s'il l'avait connue.
▪ Le caractère inconnu: Le vice doit être inconnu de l'acheteur. L'acheteur peut connaître l'existence d'un vice sans l'avoir lui-même constaté. Ainsi, un vice dénoncé par le vendeur, même s'il est matériellement caché, est exclu de la garantie lorsque l'acheteur en a une connaissance suffisante.
▪ Le caractère occulte: Un vice est caché lorsqu'il ne peut être découvert par un acheteur prudent et diligent sans devoir recourir à l'examen d'un expert. Aucun indice n'est perceptible; rien ne doit suggérer sa présence. Auquel cas, l'acheteur pourra être tenu de recourir à un expert pour satisfaire son obligation de prudence et de diligence.
▪ L'antériorité: Le vice doit être présent lors de la vente puisque c'est l'état du bien à ce moment que le vendeur est tenu de garantir. Un vice qui survient postérieurement ne relève pas de la portée de la garantie légale.
[40] La connaissance du vice par le
vendeur n'est pas un facteur pertinent à la détermination de l'existence d'un
vice caché lors de la vente. C'est l'état véritable du bien que le vendeur
doit garantir, peu importe s'il le connaît ou non. Toutefois, l'acheteur, qui
établit que son vendeur connaissait ou ne pouvait ignorer le vice caché
affectant le bien qu'il lui a vendu, aura droit à une compensation pour les
dommages-intérêts qui en résultent. L'article
1728.
" Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur. " »
[23] Cela étant dit, les problèmes de pont thermique et de céramiques fissurées constituent-ils des vices cachés au sens de la loi?
o Pont thermique
[24] À l’hiver 2014, lors de la première intervention de M. Patrick Pollender, celui-ci constate que le plancher près des murs extérieurs est particulièrement froid par rapport à la température ambiante de la pièce où il se trouve. Il procède à la lecture de la température au plancher et au plafond du même mur extérieur. Il constate qu’il y a une différence de 12 degrés, le plancher étant l’endroit le plus froid.
[25] Un examen plus poussé permet de déterminer que les tuiles de céramique placées le long des murs extérieurs reposent en partie directement sur la fondation de béton, sans qu’il se trouve une matière isolante entre les deux.
[26] Aussi, aucun isolant ne couvre la partie extérieure du mur de fondation de sorte que le froid pénètre par la partie non isolée de la fondation. Plus précisément, le froid rejoint la base des murs extérieurs à l’endroit où reposent les tuiles de céramique du plancher. Monsieur Pollender conclut à l’existence d’un pont thermique important au niveau de la fondation qu’il y a lieu de corriger.
[27] Cette problématique est également observée par l’expert retenu par les demandeurs qui conclut comme suit[2] [reproduction littérale]:
« De par notre relevé nous avons constaté qu’il existe un pont thermique important au niveau de la dalle de béton du plancher. Le froid provenant de l’extérieur se transfert à la base du mur sur une largeur importante, sur toute la périphérie du bâtiment. Il est à noter que la position exacte varie légèrement sur le contour du bâtiment.
(…)
En conclusion, afin de régler la situation au niveau des ponts thermiques, nous proposons de corriger la situation par l’ajout d’isolant à l’extérieur de la fondation le tout tel que le croquis " corrections " en annexe. (…) ».
[28] L’expert des défendeurs, bien qu’il admette la présence d’un pont thermique, soutient que celui-ci « n’est que très minime »[3]. Il ajoute que ce problème de construction est tout à fait standard pour ce type de construction réalisée en 2006. Il conclut qu’il ne s’agit pas d’un vice caché puisque la problématique soulevée n’est pas d’une gravité telle qu’elle rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné.
[29] De l’avis du Tribunal, cette problématique de pont thermique comporte tous les attributs d’un vice caché au sens de l’article 1726 C.c.Q[4].
[30] D’abord, la preuve démontre que l’origine du pont thermique est le mauvais positionnement des murs extérieurs sur la fondation[5]. Au lieu d’être placés directement sur la fondation, en ligne droite avec celle-ci, les murs sont plutôt décalés de quelques pouces de sorte qu’ils excèdent la fondation pour la partie extérieure (2¼") et le dessus de la fondation se trouve à découvert pour la partie intérieure (1½" à 2").
[31] C’est par ce dernier endroit, la partie de la fondation à découvert, que le froid trouve son chemin pour pénétrer dans le bâtiment, au bas des murs extérieurs, à l’endroit où sont placées les tuiles de céramique.
[32] L’expert des défendeurs, à l’occasion de son contre-interrogatoire, affirme « le fait que le mur n’est pas bien placé, sur la fondation, n’est pas idéal ». Il ajoute « voir cela à l'occasion, mais normalement le mur est placé entièrement sur la fondation, la situation du dossier n’est par normal, c’est une malfaçon ». Enfin, il conclut « cela crée un pont thermique causé par la situation du fait que le mur n’est pas à sa place ».
[33] Malgré ses affirmations, l’expert des défendeurs soutient que les règles de l’art sont respectées. Il ajoute que 95 % des résidences construites à cette époque souffrent d’un pont thermique à des degrés divers; la situation des demandeurs étant comparable aux autres.
[34] Il est pour le moins étonnant qu’un architecte de 37 ans d’expérience, qui a participé à multiples projets d’envergure, affirme être en présence d’un vice, d’une malfaçon, mais étant donné que la très grande majorité des bâtiments résidentiels construits comptent de telles malfaçons, alors la règle de l’art est respectée.
[35] Bref, ce que propose l’expert des défendeurs n’est rien d’autre que l’application de la théorie du nivellement par le bas. En d’autres mots, l’entrepreneur qui exécute mal ses travaux, respecte tout de même les règles de l’art dans la mesure où la qualité de ses travaux correspond à celle d’un entrepreneur négligent, moyennement soucieux du travail bien fait.
[36] Il est vrai que le défendeur Yvon Lebeau a fait placer un isolant (uréthane) sur une partie de la fondation, sous la fourrure (1" X 3") et la feuille de gypse. La quantité d’isolant placée à cet endroit est loin de répondre aux normes d’isolation requise (R-20). Aussi, contrairement à ce qu’affirme le défendeur Yvon Lebeau, cet isolant ne recouvre pas la partie de la fondation sur laquelle reposent les tuiles.
[37] La preuve démontre que sur une surface d’un pouce et demi à deux pouces, le froid pénètre sans difficulté vers l’intérieur des logements du rez-de-chaussée. Le Tribunal est du même avis que l’entrepreneur Pollender et l’architecte Lussier quant à la mauvaise qualité des travaux d’érection des murs extérieurs et du fait que le pont thermique est important.
[38] La présence d’un pont thermique ne représente pas seulement un léger inconvénient pour les demandeurs ou leurs locataires. Il s’agit d’un immeuble résidentiel. Il est anormal que la température dans une pièce donnée varie de plus de 12 degrés dépendant de l’endroit où l’on se trouve. Les locataires ont le droit à un minimum de confort et de vivre dans un logement pleinement habitable.
[39] Contrairement à ce qu’affirment les défendeurs, au moins un locataire s’est plaint que le long des murs extérieurs, il y avait un grand froid durant la période hivernale[6].
[40] Il est vrai que la simple présence d’un déficit d’usage ne suffit pas en elle-même pour justifier la qualification d’un vice caché. Cela dit, comme l’enseigne la Cour suprême dans l’affaire ABB inc.[7] , « il n’est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien, mais simplement qu’il en réduise l’utilité de façon importante, en regard des attentes légitimes d’un acheteur prudent et diligent ».
[41] Les demandeurs ont acheté à grand prix un immeuble résidentiel récemment construit. Ils sont en droit de s’attendre à ce que celui-ci puisse servir, sans contrainte significative, pour les fins auxquelles il est destiné.
[42] L’immeuble est intéressant; la finition des logements est d’une belle qualité. La défenderesse Martine Bouchard dira à l’instruction « l’immeuble a été construit comme si j’allais l’habiter ».
[43] Un tel type d’immeuble, dont les coûts de construction sont importants vise généralement une clientèle privilégiée. Celle-ci est disposée à payer un prix de loyer élevé en contrepartie de la pleine jouissance de lieux confortables, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[44] Le Tribunal est d’avis que le problème de pont thermique réduit de façon importante l’utilisation du bien, en regard des attentes légitimes d’un acheteur prudent et diligent. Le vice est « grave » au sens de la loi.
o Céramiques fissurées
[45] Plusieurs tuiles de céramique placées près des murs extérieurs sont fissurées parallèlement au mur, à quelques pouces de celui-ci.
[46] La preuve démontre que les tuiles placées le long des murs extérieurs sont collées en partie sur trois surfaces différentes, soit la dalle du plancher, un matériau isolant quelconque puis directement sur la fondation.
[47] Les deux experts divergent d’opinions quant à la cause de la fissuration des tuiles. Celui des demandeurs est d’avis que le mouvement soit de la dalle du plancher ou du mur de fondation est à l’origine des fissures. Cela provoque une pression sur la tuile qui fissure entre la dalle et la fondation, soit à l’endroit où se trouve le matériau isolant.
[48] L’expert des défendeurs est plutôt d’avis que les fissures sont causées par le poids d’une personne ou d’un objet quelconque placé sur les tuiles. Il soutient que l’endroit où se trouve le matériau isolant constitue une surface instable, favorise la fissuration des tuiles de céramique qui, dans les présentes circonstances, est d’autant propice à se produire puisque celles-ci sont de qualité moyenne, donc fragiles à la pression.
[49] La détermination de la cause exacte de la problématique n’est pas utile dans les circonstances puisque peu importe celle retenue, force est de conclure à une mauvaise installation des tuiles, puisque placées sur une surface instable. À moins d’être informé du problème ou d’avoir été témoin d’indices, l’installation des tuiles sur une surface instable constitue un vice caché au sens de la loi.
[50] Les défendeurs avancent que la problématique des tuiles était connue des demandeurs avant l’achat ou aurait dû l’être puisqu’ils bénéficiaient d’indices qui commandaient de pousser plus loin leur investigation, ce qu’ils ont négligé de faire.
[51] La preuve démontre que lors des visites de l’immeuble précédant l’achat, les demandeurs constatent que des tuiles sont craquées. Il y en a près des murs extérieurs et également au second étage, à un endroit qui n’a rien à voir avec la problématique ci-devant mentionnée.
[52] La présence de tuiles fissurées est aussi constatée par M. Stéphane Dagenais lors de son inspection préachat. Il mentionne à ce sujet ce qui suit[8] [reproduction littérale]:
« Surveillance recommandée
Plusieurs tuiles sont craquées. Le propriétaire c’est engagé à les réparer car selon lui il s’agit d’un problème de support sous ces dernières. Assurez- vous d’obtenir la garantie qu’il réparera les tuiles qui craquent là ou il y a un problème de support (non visible pour l’inspecteur). »
[53] Comme ils se sont engagés, les défendeurs procèdent aux travaux de réparation des tuiles. Cependant, ils ne changent que les tuiles fissurées sans apporter les corrections nécessaires afin que celles nouvellement placées se brisent à leur tour et sans corriger le problème entier quant aux tuiles placées le long des murs extérieurs.
[54] Bien que les demandeurs et leur inspecteur aient constaté la présence de tuiles fissurées, qu’ils se soient fait dire par le défendeur Yvon Lebeau qu’il y avait possiblement un problème de support sous ces tuiles, force est de conclure qu’à partir du moment où les défendeurs s’engagent à faire les réparations et qu’ils les font, les demandeurs sont en droit de penser que le problème est réglé.
[55] Dans les circonstances, les demandeurs n’avaient pas à remettre en question les réparations ainsi faites par les défendeurs de même qu’à procéder à d’autres investigations puisque le problème devait être réglé. Il s’agit d’une situation où un vice apparent devient juridiquement caché en raison du comportement des vendeurs qui procèdent à la réparation ou à la correction des malfaçons et laissent croire aux acheteurs qu’ils ont résous la problématique[9].
[56] Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la situation des tuiles le long des murs extérieurs est un vice caché dont les défendeurs doivent répondre.
- Les demandeurs ont-ils droit à la résolution de la vente?
[57] Les demandeurs requièrent la résolution de la vente dans leurs procédures. Cependant, lors de l’instruction, ils n’insistent pas véritablement sur cette demande et concentrent plutôt leurs efforts à convaincre le Tribunal de leur droit à une compensation pécuniaire correspondant aux coûts correctifs des vices ci-devant allégués.
Le droit applicable
[58] Les articles pertinents du Code civil du Québec en matière de résolution de la vente pour vices cachés sont les suivants :
« 1590. L'obligation confère au créancier le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.
Lorsque le débiteur, sans justification, n'exécute pas son obligation et qu'il est en demeure, le créancier peut, sans préjudice de son droit à l'exécution par équivalent de tout ou partie de l'obligation:
1° Forcer l'exécution en nature de l'obligation;
2° Obtenir, si l'obligation est contractuelle, la résolution ou la résiliation du contrat ou la réduction de sa propre obligation corrélative;
3° Prendre tout autre moyen que la loi prévoit pour la mise en oeuvre de son droit à l'exécution de l'obligation. »
« 1604. Le créancier, s'il ne se prévaut pas du droit de forcer, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature de l'obligation contractuelle de son débiteur, a droit à la résolution du contrat, ou à sa résiliation s'il s'agit d'un contrat à exécution successive.
Cependant, il n'y a pas droit, malgré toute stipulation contraire, lorsque le défaut du débiteur est de peu d'importance, à moins que, s'agissant d'une obligation à exécution successive, ce défaut n'ait un caractère répétitif; mais il a droit, alors, à la réduction proportionnelle de son obligation corrélative.
La réduction proportionnelle de l'obligation corrélative s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances appropriées; si elle ne peut avoir lieu, le créancier n'a droit qu'à des dommages-intérêts. »
[59] L’acheteur peut demander notamment la résolution de la vente si le défaut du vendeur est important (particulièrement si l’acheteur n’aurait pas acheté s’il avait connu la défectuosité lors de la vente), ou le maintien du contrat et la réduction du prix de vente[10].
[60] « La loi réserve le recours en résolution aux vices dont la gravité ou l’importance, par rapport à l’ensemble de la vente, justifie une sanction aussi sévère. »[11] « Le tribunal peut refuser la résolution demandée quand le vice est « de peu d’importance », selon la règle générale; l’acheteur doit alors se contenter de la réduction du prix de vente et, éventuellement, des dommages-intérêts. »[12]
[61] Une décision conclut que le recours en annulation ou en résolution de la vente pour vice caché est un remède exceptionnel[13].
[62] Enfin, dans l’affaire Beauchamp c. Lepage[14] la Cour supérieure décide que la résolution de la vente est le recours approprié lorsque le bien est affecté d’un vice substantiel et que le coût des travaux correctifs par rapport au prix d’achat est important.
décision
[63] Les problématiques du pont thermique et des céramiques qui se brisent à proximité des murs extérieurs ne sont pas des vices qui portent atteinte à la structure, à la solidité ou à la stabilité de l’immeuble.
[64] Une fois les travaux correctifs apportés, l’immeuble sera complètement fonctionnel sans compter que sur le plan esthétique, il ne sera aucunement hypothéqué.
[65] Bien que les coûts pour corriger les problèmes soient assez importants, ils ne représentent à peine plus de 10 % du prix de vente.
[66] Aussi, la vente est intervenue il y a presque cinq ans. Obliger les défendeurs à reprendre la propriété alors qu’ils sont passés à d’autres choses dans la vie n’est pas raisonnable dans les circonstances.
[67] La demande de résolution de la vente doit échouer puisque l’immeuble n’est pas affecté d’un vice substantiel et que le coût des travaux correctifs par rapport au prix de la vente n’est pas important.
- Les demandeurs ont-ils droit à une diminution du prix de vente? Dans l’affirmative, laquelle?
Diminution du prix de vente
[68] Pour les motifs qui suivent, il y a lieu d’accueillir la demande subsidiaire des demandeurs et de réduire le prix de vente d’un montant correspondant à la valeur des travaux correctifs. Aussi, il n’y a pas lieu de réduire ce montant pour tenir compte d’une plus-value apportée par les travaux puisque ceux-ci n’augmentent pas la valeur de l’immeuble ni ne l’améliorent ou prolongent sa durée de vie utile. Bref, les travaux n’ont pour but que de mettre l’immeuble conforme pour permettre son utilisation selon ce à quoi il est destiné à savoir, lieu d’habitation et qu’il conserve sa valeur marchande.
pont thermique
[69] Seuls les demandeurs proposent une solution au problème de pont thermique. Celle-ci est plus amplement précisée dans le rapport de l’expert Yves Lussier (pièce P-9). Les coûts associés à de tels travaux correctifs se chiffrent à la somme de 39 781,35 $ (taxes incluses)[15].
[70] La solution proposée et les coûts établis pour sa mise en œuvre ne sont pas véritablement contestés par les défendeurs. Le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de faire droit à la demande telle qu’elle est formulée, à laquelle il faut ajouter les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 14 avril 2014, soit le moment où les défendeurs reçoivent l’évaluation des coûts des travaux correctifs et qu’ils sont sommés de faire part aux demandeurs de leurs intentions en regard de cette réclamation.
céramiques fissurées
[71] Les demandeurs sont d’avis qu’il en coûtera 4 989,92 $[16] pour corriger la problématique des tuiles.
[72] Les défendeurs avancent plutôt qu’une somme d’environ 1 000 $ (plus les taxes applicables) serait suffisante.
[73] La différence résulte du fait que les travaux que propose chacun des experts diffèrent substantiellement. Celui des demandeurs est d’avis qu’il faut procéder à la pose d’un joint de dilatation de céramique alors que celui des défendeurs suggère plutôt la mise en place d’une membrane sous la céramique, le long des murs extérieurs.
[74] La proposition de l’expert des défendeurs laisse perplexe le Tribunal. La membrane a un huitième de pouce d’épaisseur. Comment fera-t-il pour placer celle-ci le long des murs extérieurs, remettre le tout en place et couler le ciment dans les joints alors que les autres tuiles du plancher sont collées directement sur la dalle de ciment?
[75] En d’autres mots, comment l’ajustement des tuiles longeant les murs se fera avec celles placées tout juste à côté et qui seront directement sur le sol sans membrane?
[76] La pose d’une membrane n’implique-t-elle pas nécessairement que tout le plancher soit refait, c’est-à-dire, tuiles enlevées, membrane posée puis tuiles recollées? Si tel est le cas, le Tribunal doute que les coûts soient de l’ordre de grandeur de ceux suggérés par l’expert des défendeurs.
[77] Si l’on s’en tient à ce que suggère l’expert des défendeurs soit une membrane le long des murs extérieurs seulement, sur le plan esthétique, à quoi ressemblera le plancher de ces logements dits confortables et de belle qualité?
[78] Le Tribunal estime que la solution proposée par les demandeurs est raisonnable et permettra une solution entière à ce problème. Aux coûts des travaux de 4 989,92 $ s’ajoutent les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle. Puisque les demandeurs n’ont pas signifié de mise en demeure aux défendeurs en regard de cette réclamation, les intérêts et l’indemnité additionnelle courront à compter du présent jugement.
[79] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[80] CONDAMNE les défendeurs à payer aux demandeurs la somme de 39 781,35 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 14 avril 2014;
[81] CONDAMNE les défendeurs à payer aux demandeurs la somme de 4 989,92 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
[82] LE TOUT avec les frais de justice incluant les frais de l’expert des demandeurs au montant de 2 711,99 $[17].
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__________________________________ SYLVAIN PROVENCHER, J.C.S. |
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Maître Thomas A. Lavin |
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(Lavin Gosselin avocats) |
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Procureur des demandeurs |
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Maître Joannie Tardif |
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Mme Alexandra Pagé |
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(LB avocats inc.) |
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Procureurs des défendeurs |
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Dates d’audience : |
13, 14 juin et 12 décembre 2016 |
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[1]
[2] Pièce P-9 (rapport de l’expert Yves Lussier, architecte, 8 septembre 2015).
[3] Pièce D-9 (rapport de l’expert Denis Favreau, architecte, daté du 20 juillet 2016).
[4] Le vice de construction est grave en ce qu’il diminue l’usage de l’immeuble, inconnu des demandeurs au moment de la vente, caché puisque non visible ni ne pouvait être constaté par les demandeurs sans avoir défait les murs intérieurs, ce qu’ils n’avaient pas à faire, antérieurement à la vente.
[5] Le défendeur Yvon Lebeau détient une licence de compétence pour les travaux de construction au moment de la construction de l’immeuble en plus d’une licence d’entrepreneur général et l’autorisation pour la construction d’immeubles résidentiels de quatre logements. Il a participé à la construction de l’immeuble à titre d’entrepreneur général. Il s’est occupé d’embaucher des sous-traitants; il a suivi de près l’ensemble des travaux incluant la mise en place des murs.
[6] L’architecte Yves Lussier, lors de sa visite des lieux, rapporte que le locataire du logement numéro 1 se plaint du froid important le long des murs extérieurs en période d’hiver.
[7]
ABB inc. c. Domtar inc.,
[8] Pièce P-3, p. 21.
[9]
Siméon c. Boluk,
[10] Jacques deslauriers et autres, Obligations et contrats dans Collection de droit 2014-2015, École du Barreau, vol. 5, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 211.
[11] Pierre-Gabriel jobin, avec la collaboration de Michelle cumyn, La vente, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 234.
[12] Id.
[13] Martel c. Desbiens, C.S. St-Maurice, no 410-05-000767-988, 11 octobre 2000, j. Jacques Babin.
[14]
[15] Pièce P-5A.
[16] Pièce P-10.
[17] 1 234,55 $ (P-9) + 672,60 $ (585 $ + taxes, admise lors de l’instruction) + 804,84 $ (facture transmise par courriel par Me Lavin, le 15 décembre).
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