Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal)

2019 QCCA 1435

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027017-177

(500-53-000432-169)

 

DATE :

 4 septembre 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE

APPELANTE - demanderesse

c.

 

VILLE DE MONTRÉAL (SERVICE DE POLICE DE LA VILLE DE MONTRÉAL)

INTIMÉE - défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit à l’encontre de deux jugements rendus respectivement les 18 mai et 28 juillet 2017 par le Tribunal des droits de la personne, district de Montréal (l’honorable Ann-Marie Jones). Le premier jugement déclare que le recours institué par l’appelante, qui agit en faveur de la plaignante Chantal Jalbert, est de nature extracontractuelle et est soumis à l’application de l’art. 586 de la Loi sur les cités et villes (« L.c.v. »)[1], alors que le second accueille une requête en irrecevabilité de l’intimée et rejette le recours au motif qu’il est prescrit[2].

[2]           Pour les motifs de la juge Hogue, auxquels souscrivent les juges Marcotte et Cotnam, LA COUR :

[3]           REJETTE la requête pour preuve nouvelle;

[4]           REJETTE l’appel;

[5]           AVEC les frais de justice.

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

Me Kathrin Felicitas Peter

COMMISSION DES DROITS DE LA PERS. ET LA JEUNESSE

Pour l’appelante

 

Me Valérie Korozs

GAGNIER GUAY BIRON

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

3 avril 2019


 

 

MOTIFS DE LA JUGE HOGUE

 

 

[6]           Le recours introduit par la Commission des droits de la personne contre la Ville de Montréal est-il prescrit? Le Tribunal des droits de la personne a conclu par l’affirmative et je suis d’avis qu’il a raison.

LES FAITS

[7]           En juin 2005, soit il y a plus de quatorze ans, le Service de police de la Ville de Montréal (le SPVM) et la Société de transport de Montréal (la STM) s’entendent pour qu’une unité du SPVM chargée d’assurer la sécurité dans le métro de Montréal soit créée. Dans ce contexte, ils conviennent que les agents de surveillance déjà à l’emploi de la STM auront accès à un processus d’embauche accéléré et préférentiel :

[] les policiers affectés à cette unité devraient, autant que faire se peut et en conformité avec les normes d’embauche du SPVM à l’égard de ses policiers, provenir du bassin des agents de surveillance déjà en service de la STM;

[8]           Le syndicat de la STM informe donc ses agents de l’entente intervenue et tient des rencontres d’information lors desquelles il leur remet un document décrivant le processus de sélection auquel ils devront se soumettre s’ils souhaitent être embauchés par le SPVM.

[9]           Le SPVM rencontre ces mêmes agents à deux occasions lors de séances d’information qu’il organise à son tour. Il invite alors ceux qui sont intéressés à compléter une demande d’emploi.

[10]        Madame Chantal Jalbert, une agente de surveillance à l’emploi de la STM, mais alors en arrêt de travail en raison d’un épisode dépressif, pose sa candidature. Elle passe un examen médical dans le cadre du processus de sélection, mais l’échoue.

[11]        Elle est informée du rejet de sa candidature le 15 août 2006 par une lettre dans laquelle le SPVM écrit : « à la suite de votre examen médical, nos médecins ont conclu que vous ne répondiez pas aux normes établies par le SPVM ».

[12]        Estimant être victime de discrimination fondée sur son état de santé (ou sur un handicap), elle communique par téléphone, dès le 17 août 2006, avec le responsable du recrutement pour cette nouvelle unité, M. Yan Filiatrault. Celui-ci lui confirme que son état de santé est la raison du rejet et qu’elle ne sera pas « accommodée ».

[13]        Madame Jalbert fait une demande d’accès à l’information en octobre 2006 et, en réponse à celle-ci, reçoit des documents le 2 février 2007. S’y trouve notamment un courrier confirmant que la raison du rejet de sa candidature est qu’elle est sujette à des dépressions récurrentes et souffre d’une intolérance au stress.

[14]        Le 24 avril 2007, soit huit mois après avoir été informée que sa candidature n’avait pas été retenue, elle dépose une plainte à la Commission des droits de la personne dans laquelle elle soutient avoir été victime de discrimination à l’embauche, en contravention des articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[3].

[15]        Pour des raisons inexpliquées (et vraisemblablement difficilement explicables), ce n’est qu’en 2015, soit huit ans après le dépôt de cette plainte, que la Commission termine son enquête et propose des mesures de redressement à la Ville de Montréal (de qui relève le SPVM), que celle-ci refuse de mettre en œuvre.

[16]        Le 11 mars 2016, la Commission introduit donc une demande introductive d’instance contre la Ville au nom de Madame Jalbert.

[17]        Le 31 août 2016, la Ville dépose une requête en irrecevabilité dans laquelle elle soutient que le recours est prescrit puisque Madame Jalbert a déposé sa plainte plus de six mois après avoir été informée du rejet de sa candidature et avoir connu le motif de celui-ci. Elle s’appuie sur l’article 586 de la Loi sur les cités et villes[4] qui édicte une courte prescription de six mois.

[18]        Le Tribunal des droits de la personne rend une première décision le 18 mai 2017 dans laquelle il conclut que le recours introduit par la Commission est extracontractuel.

[19]        Après avoir permis à la Commission d’amender sa demande introductive d’instance et de modifier son mémoire pour faire état de la demande d’accès à l’information faite par Madame Jalbert et des informations reçues le 2 février 2007, le Tribunal rend une deuxième décision le 28 juillet 2017 par laquelle il accueille le moyen d’irrecevabilité présentée par la Ville et rejette le recours de la Commission.

[20]        D’avis que Madame Jalbert a admis lors de son interrogatoire au préalable connaître depuis le 17 août 2006 le motif ayant entraîné le rejet de sa candidature, il retient cette date comme point de départ de la prescription. La plainte n’ayant été déposée que le 24 avril 2007, ce qui constitue le premier geste interruptif de prescription[5], il conclut que le recours est prescrit.

[21]        Après y avoir été autorisée par un juge de la Cour, la Commission se pourvoit à l’encontre de ces deux jugements[6].

[22]        Au-delà de la question de la norme d’intervention applicable sur laquelle je reviendrai, les parties soulèvent essentiellement deux questions dans leurs mémoires : 1) le recours est-il contractuel ou extracontractuel et 2) à quel moment la prescription a-t-elle commencé à courir?

[23]        À l’audience, la Commission ajoute un moyen relatif au domaine d’application de la courte prescription de six mois édictée par l’article 586 de la Loi. Elle soutient que celle-ci est inapplicable lorsque les gestes reprochés sont posés par une Ville qui agit à titre d’employeur et non dans un cadre « municipal ».

[24]        Voulant permettre aux parties d’en traiter adéquatement, la Cour a octroyé à la Ville le droit de déposer un mémoire supplémentaire traitant de cette question et à la Commission le droit d’y répondre.

[25]        Les deux parties se sont prévalues de l’offre qui leur a été faite et ont déposé des mémoires complémentaires. La cause a été prise en délibéré après la réception du dernier de ces mémoires le 8 mai 2019.

[26]        Auparavant, soit le 15 décembre 2017, la Commission a déposé une requête pour permission de produire une preuve nouvelle. Elle veut déposer des documents relatifs à l’entente intervenue entre la STM et le SPVM démontrant notamment que tant la STM que la Ville ont approuvé l’octroi des fonds nécessaires à sa mise en œuvre. Alléguant avoir été prise par surprise lorsque la Ville a plaidé, en première instance, que les formalités nécessaires à la conclusion d’un contrat n’étaient pas remplies, elle indique vouloir permettre à la Cour de trancher cette question en toute connaissance de cause.

[27]        Cette requête nous a été déférée par une formation de la Cour[7]. J’en traiterai donc avant de m’attarder à la norme d’intervention applicable pour ensuite procéder à l’analyse de la décision du Tribunal des droits de la personne.

***

La requête pour preuve nouvelle

[28]        L’article 380 C.p.c. permet la présentation d’une preuve nouvelle à certaines conditions :

380. La Cour d’appel peut autoriser la présentation par une partie d’une preuve nouvelle indispensable après avoir donné l’occasion aux parties de soumettre leurs observations.

[Soulignement ajouté]

380. The Court of Appeal may authorize a party to present indispensable new evidence after giving the parties an opportunity to make representations.

[Emphasis added]

[29]        La preuve qu’une partie souhaite introduire ne sera donc autorisée que si 1) elle est nouvelle 2) elle est indispensable 3) les circonstances sont exceptionnelles et 4) les fins de la justice requièrent qu’elle soit admise[8].

[30]        Celle que veut présenter la Commission en l’espèce ne remplit pas ces critères.

[31]        Elle n’est pas nouvelle puisqu’elle existait et était disponible lors de l’audition en première instance. Si la Commission s’estimait prise par surprise par l’argument de la Ville, il lui incombait de demander un ajournement pour lui permettre d’administrer la preuve qu’elle jugeait nécessaire pour y répondre adéquatement. Le fait qu’elle ne l’a pas fait ne rend pas la preuve « nouvelle » pour autant. 

[32]        Une preuve quasi identique à cette preuve que la Commission souhaite introduire a d’ailleurs été présentée dans le cadre de l’affaire Bergevin[9], une affaire entendue antérieurement par la Cour supérieure qui s’inscrit également dans la foulée de l’entente intervenue entre la STM et le SPVM et au processus d’embauche qui en a découlé.

[33]        Or, dans le contexte du présent dossier, la Ville et la Commission ont formulé de nombreuses admissions et ont notamment admis les faits rapportés aux paragraphes 2 à 18 du jugement rendu dans l’affaire Bergevin :

[2]        Conformément au pouvoir qu’elle détient en vertu de la Charte de la Ville de Montréal(L.R.Q., chapitre C-11.4), la défenderesse a institué un service de police (SPVM) ayant pour mission de protéger la vie et les biens des citoyens, de maintenir la paix et la sécurité publique, de prévenir et combattre le crime et de faire respecter les lois et les règlements en vigueur sur tout le territoire de la Ville de Montréal (article 48  et 69 Loi sur la police L.R.Q., chapitre P-13.1)

[3]        Depuis l’inauguration du métro la STM maintenait un service de surveillance composé d’agents ayant principalement pour mission d’assurer la sécurité des installations, des infrastructures et des usagers et de voir au respect et à l’application des lois et des règlements de la STM, notamment ceux relatifs à la sécurité et au comportement des personnes.

[4]        Les agents devaient fréquemment requérir l’intervention du SPVM parce qu’ils n’avaient ni la juridiction, ni les compétences nécessaires, pour accomplir certains actes réservés exclusivement aux corps policiers, tels l’arrestation et la détention d’un prévenu.

[5]        Pour pallier ce dédoublement de fonctions, la défenderesse décide d’accroître l’implication et la présence du SPVM dans les installations du métro.

[6]        De 1995 à 2005, les modalités de cette implication donnent lieu à de nombreuses discussions et propositions de travail, ainsi qu’en font foi les documents déposés (R-8 à R-13).

[7]        Le 16 juin 2005, les membres du comité de travail conjoint STM-SPVM sur la sécurité dans le métro s’entendent sur certains paramètres, notamment :

a)    À compter du 1er janvier 2006, le SPVM débuterait l’implantation d’une unité dédiée au métro;

b)    Cette unité serait composée de 96 agents et 12 sergents en plus d’une structure de commandement;

c)    Un poste de police, sous la responsabilité d’un commandant, serait établi dans les installations de la STM;

d)    Cette unité, en plus de sa mission de base en matière de sécurité publique, aurait comme responsabilité première de veiller à l’application des règlements édictés par la STM, d’aider à la fiabilité et à la fluidité du réseau et d’appuyer les inspecteurs de la STM pour la perception des droits de passage;

e)    Les inspecteurs de la STM seraient, quant à eux, responsables de la sureté industrielle, de l’application des règlements relatifs à la perception des droits de passage et pourraient également appliquer les dispositions relatives aux comportements des usagers pouvant affecter la circulation des trains (ex : portes retenues, intrusions en tunnel) ;

f)     Les policiers affectés à cette unité devraient, autant que faire se peut et en conformité avec les normes d’embauche du SPVM à l’égard de ses policiers, provenir du bassin des agents de surveillance déjà en service de la STM ».

(Document intitulé « Comité de travail STM-SPVM sur la sécurité dans le métro comité exécutif de la Ville de Montréal 22 juin 2005 ») (D-3)

[8]        Par la suite, cette entente est approuvée par la STM et par la Ville de Montréal (R-2.1, R-2.2 et R-2.3).

[9]        D’un commun accord, la STM et le SPVM conviennent d’impliquer leurs syndicats respectifs dans les discussions relatives aux ressources humaines et relations de travail, et de mettre en place un comité quadripartite ayant pour mandat d’assurer la mise en œuvre du volet ressources humaines du projet.

[10]      Par un communiqué du 2 mai 2006, le syndicat informe les agents de l’avancement des travaux du comité tripartite et du fait que ce dernier veille à ce que « le plus d’agents possibles (transfèrent) parmi les effectifs du SPVM ». (D-4 et D-5).

[11]      Le document remis aux agents lors des réunions d’information, tenues par leur syndicat les 11 et 12 mai 2006, indique clairement « qu’un processus d’embauche complet au SPVM doit être fait ». Il énumère les dix étapes du processus de sélection et mentionne aussi que le mandat des agents, qui resteront à la STM, sera « la perception (R-037), le R-036 modifié et la sécurité industrielle » (D-6).

[12]      À son tour la STM convoque les agents à des rencontres, les 1er et 2 juin 2006, pour :

·         Rappeler le contexte et le mandat

·         Informer sur l’état actuel du dossier

·         Informer sur les prochaines étapes

[13]      Le document élaboré pour ces réunions décrit les étapes de réalisation du projet :

·         Identification des personnes intéressées

·         Processus de sélection du SPVM selon les normes d’embauche

·         Développement d’un AEC spécifique

·         Formation des personnes ne détenant pas un DEC en techniques policières

·         Formation à l’ÉNP

[14]      Les 18, 19 et 20 juillet 2006 le SPVM rencontre les agents au quartier général de la police pour les informer des points suivants :

·         Le modèle organisationnel

·         Le processus d’embauche

·         Les modalités d’accueil

[15]      À ces rencontres des formulaires de demande d’emploi, à être complétés et retournés avant le 28 juillet 2006, sont remis aux agents qui le désirent (D-8).

[16]      Intéressés à devenir policiers, les six demandeurs posent leur candidature et sont soumis aux différentes étapes du processus de sélection.

[17]      Par lettre du 16 octobre 2006, ils sont informés que leur profil ne correspond pas aux critères d’embauche du SPVM (R-3). Cette décision est confirmée par Monsieur François Landry (Landry), assistant-directeur aux ressources humaines du SPVM, dans une lettre qu’il adresse aux demandeurs, le 15 janvier 2007, après que cinq d’entre eux eurent formulé une demande d’accès à leurs dossiers (R-4).

[18]      Approuvée par le comité exécutif de la Ville de Montréal, le 7 mars 2007, l’unité policière dédiée au métro devient opérationnelle le 18 juin 2007 (R-5).

[34]        Les documents que l’appelante veut maintenant déposer n’ajoutent rien de déterminant à ces faits et j’estime ainsi que n’étant pas susceptibles d’entraîner un résultat différent, ils ne sont pas indispensables[10].

[35]        Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de permettre la production de la preuve visée par cette requête.

Le pourvoi

La norme de contrôle applicable

[36]        Le Tribunal des droits de la personne est un tribunal administratif spécialisé. La Cour doit donc faire preuve de déférence et appliquer la norme de la décision raisonnable aux décisions qu’il rend et qui relèvent de son champ de compétence spécialisée[11].

[37]        La proposition de la Commission voulant que seules les décisions où le Tribunal interprète la Charte québécoise et applique ses dispositions aux faits pour décider de l’existence ou non de discrimination relèvent de son champ de compétence et justifient l’application de la norme de la décision raisonnable est mal fondée. En fait, la Cour, saisie d’un pourvoi à l’encontre d’un jugement du Tribunal, appliquera généralement la norme de la décision raisonnable, à moins que la question soulevée soit une question de droit générale d’importance pour le système juridique ou que le législateur ait clairement exprimé son intention de ne pas protéger la compétence du Tribunal dans l’éventualité d’un appel[12]

[38]        Or, la question de la nature du recours introduit et celle relative au point de départ de la prescription ne peuvent être qualifiées de questions de droit d’importance. Les règles de droit qui leur sont applicables sont en effet connues et la Commission ne conteste essentiellement que la façon dont elles ont été appliquées aux faits de l’affaire. Elles sont donc assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[39]        Par contre, la question visant à déterminer si la courte prescription s’applique lorsqu’une ville agit en qualité d’employeur est une question de droit d’importance, sur laquelle d’ailleurs plusieurs autres tribunaux pourraient être appelés à se pencher. Elle est nouvelle et est susceptible d’être soulevée dans des affaires de toute nature où des dommages sont réclamés d’une ville. J’estime donc que celle-ci, contrairement aux deux autres, doit être décidée à la lumière de la norme de la décision correcte.

[40]           Cela étant, regardons maintenant chacune de ces questions à la lumière de la norme applicable.

La nature du recours entrepris

[41]        Dans sa décision du 18 mai 2017, le Tribunal déclare que le recours de la Commission est extracontractuel. Il rappelle d’abord les conclusions de la Cour supérieure dans le dossier Bergevin, à l’effet que l’entente conclue entre le SPVM et la STM ne comporte pas de stipulation pour autrui, puis rejette la proposition de la Commission voulant qu’une offre de contracter ait été faite aux agents par les représentants du SPVM et que celle-ci ait été acceptée par ceux ayant complété le formulaire de demande d’emploi, la preuve n’ayant pas établi que l’offre alléguée contenait les éléments essentiels du contrat. 

[42]        Au surplus, le Tribunal ajoute que rien dans la preuve ne permet de conclure que les employés des ressources humaines qui participaient aux réunions pour renseigner les agents de la STM avaient le pouvoir de lier la Ville.

[43]        L’appelante conteste cette conclusion. Elle soutient d’abord qu’un contrat s’est formé lorsque les agents de la STM ont accepté l’offre du SPVM de participer au processus d’embauche puisque toutes les étapes de ce processus étaient déterminées et le candidat identifié. Elle ajoute que les représentants du SPVM présents avaient un pouvoir délégué de lier la Ville en matière de ressources humaines.

[44]        J’estime qu’elle a tort et que la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

[45]        Comme on le sait, pour conclure à l’existence d’un contrat issu de l’acceptation d’une offre de contracter, l’offre doit être claire, complète et précise. L’article 1388 C.c.Q. requiert la présence de trois éléments essentiels, soit (1) la proposition (2) la proposition qui doit tendre de manière ferme à la conclusion d’un contrat donné et (3) la présence dans la proposition de « tous les éléments essentiels » du contrat projeté[13]

[46]        La conclusion du Tribunal en l’espèce est essentiellement fondée sur son appréciation de la preuve entendue et sur son constat qu’elle ne révèle pas l’existence des éléments nécessaires à la formation d’un contrat. Ainsi, il prend acte de l’admission voulant que le SPVM ait informé les agents présents aux rencontres du modèle organisationnel, du processus d’embauche et des modalités d’accueil, mais souligne que les faits admis ne permettent pas de connaître la teneur des échanges intervenus. La Commission ne démontre pas en quoi cette affirmation du Tribunal est erronée et n’identifie ni erreur de droit ni erreur manifeste dans son analyse.

[47]        La Commission affirme que la preuve démontre l’existence d’un contrat ou à tout le moins d’un avant-contrat, mais elle s’appuie pour ce faire en grande partie sur l’entente intervenue entre la STM et le SPVM. Il n’y a pas de doute que la STM et le SPVM ont conclu une entente, mais cela ne permet pas de conclure que la relation entre Madame Jalbert et le SPVM est de nature contractuelle.

[48]        Il est possible qu’une relation contractuelle puisse se créer dans le cadre d’un processus d’embauche, mais tout est fonction des faits et, ici, le Tribunal a estimé qu’ils ne permettaient pas de conclure à une telle relation.

[49]        La question du pouvoir des employés du SPVM de lier la Ville n’est quant à elle que subsidiaire et ne se pose que si l’on conclut d’abord que la preuve révèle un accord de volontés portant sur tous les éléments essentiels du contrat. Puisque ce n’est pas le cas, il n’y a pas lieu de s’y attarder.

Le point de départ de la prescription

[50]        Rappelons d’abord que la prescription ne commence à courir que lorsque la victime a connaissance qu’une faute lui ayant causé un dommage a été commise et que le moment où cette connaissance est acquise varie selon les circonstances. Ainsi, alors que la connaissance sera souvent acquise dès que la victime constatera le dommage, la faute étant évidente, il est reconnu que, dans certains cas, la connaissance de la faute ne sera acquise que postérieurement, notamment lorsqu’une source externe confirmera l’impression que pouvait avoir la victime qu’une faute a été commise[14] :

[2]        Avec égards, elle a cependant commis une erreur en fixant le point de départ de la prescription à la date à laquelle les appelantes ont cessé de consulter chacun des intimés, ou à l'époque à laquelle les appelantes ont consulté des avocats (été et automne 2007). Selon les allégations de la procédure introductive d'instance, les appelantes ont appris l'existence d'une possible erreur de diagnostic en janvier 2008, de sorte que leur recours, intenté en décembre 2010, n'était pas prescrit.

[51]        Ce sera généralement le cas lorsque la partie ayant commis la faute retient volontairement l’information permettant de la constater[15] ou encore lorsqu’une expertise particulière est requise pour déterminer si une faute a été commise, par exemple en matière médicale.

[52]        Cela étant, la règle générale veut que la prescription commence à courir dès lors que la victime sait qu’une faute a été commise et qu’elle connaît le dommage en ayant résulté. Le fait qu’elle reçoive ultérieurement d’autres informations confirmant sa conviction ne lui permet pas d’en repousser le point de départ jusqu’à ce moment.

[53]        Or, le moment où cette connaissance est acquise par la victime est essentiellement une question de fait.

[54]        En l’espèce, le Tribunal, se fondant sur le témoignage au préalable de Madame Jalbert, a retenu que celle-ci avait connaissance de la faute commise à son endroit depuis sa conversation téléphonique avec le responsable du processus d’embauche, monsieur Yan Filiatrault, tenue le ou vers le 17 août 2006. Celui-ci, à cette occasion, a confirmé l’impression qu’elle avait déjà que sa candidature avait été rejetée en raison de son état de santé, notamment en lui disant qu’il ne pouvait pas attendre qu’elle se rétablisse et qu’elle ne pourrait pas reposer sa candidature dans le futur. Elle avait dès lors, selon le Tribunal, connaissance de l’existence de la faute qu’elle allègue.

[55]        Encore ici, je ne vois pas de motifs justifiant la Cour d’intervenir. Cette conclusion de fait n’est pas déraisonnable et la Commission ne pointe aucune erreur manifeste et déterminante.

[56]        Dans la mesure où le Tribunal se fonde sur une admission faite par Mme Jalbert lors de son interrogatoire au préalable, la prudence ne lui commandait pas de rejeter la requête en irrecevabilité et de déférer la question de la prescription au juge du fond. Quoiqu’il soit impératif de le faire lorsque l’irrecevabilité alléguée requiert une appréciation de la preuve, la situation est toute autre lorsqu’une admission en constitue le fondement. Il n’y a pas lieu, lorsque cette admission est claire, de retarder indument l’inévitable.

[57]        Je m’attarde donc maintenant au dernier moyen, soit celui relatif au domaine d’application de l’article 586 de la Loi.

Le domaine d’application de l’article 586 de la Loi

[58]        L’article 586 de la Loi[16] se lit :

586. Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

                  [Soulignement ajouté]

586. Every action, suit or claim against the municipality or any of its officers or employees, for damages occasioned by faults, or illegalities, shall be prescribed by six months from the day on which the cause of action accrued, any provision of law to the contrary notwithstanding.

 

                        [Emphasis added]

[59]        Quoiqu’une faute puisse être tant contractuelle qu’extracontractuelle et que le législateur n’ait pas précisé la nature de celle visée par l’article 586, les tribunaux, se fondant sur l’historique de cette disposition d’exception, ont établi qu’elle ne s’applique qu’en matière extracontractuelle. Ainsi la juge Thérèse Rousseau-Houle, pour cette Cour, écrit[17] :

[20]      Il a toujours existé une disparité dans la Loi des cités et villes entre les régimes contractuels et extracontractuels. Les avis et les courts délais de prescription en matière extracontractuelle ont été institués afin de permettre aux municipalités de faire les enquêtes nécessaires pour déterminer, dans un délai raisonnable après la naissance du droit d'action, le fondement de ce dernier ainsi que les circonstances et les faits pouvant engager leur responsabilité.

[21]      En matière contractuelle, il n'existe aucune justification pour faire bénéficier les villes d'un traitement particulier. On constate d'ailleurs que la tendance du législateur est plutôt de réduire le nombre et la portée des dispositions exorbitantes du droit commun en matière de prescription conférant aux villes des avantages particuliers. L'article 2930 C.c.Q. qui maintient le délai de prescription de trois ans, lorsque l'action est fondée sur l'obligation de réparer le préjudice corporel à autrui, le démontre. On ne saurait donc présumer que parce que le législateur a omis de qualifier le mot « faute », il a eu l'intention de déroger au droit préexistant et faire passer le délai de prescription de trois ans à six mois.

[22]      On note incidemment que le mot « faute » que l'on retrouve à l'alinéa 7 de l'article 585 C.V. n'a pas été qualifié. Or, il vise à l'évidence la faute extracontractuelle. Sous le régime du Code civil, un aperçu non exhaustif des articles où le mot « faute » apparaît démontre qu'il est généralement employé seul et qu'il faut s'en remettre au contexte pour déterminer s'il désigne une faute contractuelle ou extracontractuelle ou à la fois l'une et l'autre.

                                                                          [Soulignement ajouté; renvois omis]

[60]        Depuis, les tribunaux ont systématiquement exclu les recours de nature contractuelle du champ d’application des articles 585 et 586 de la Loi. Cette règle n’est pas remise en question ici. En fait, ce que la Commission soutient c’est que l’absence de contrat d’emploi n’est pas fatale puisque, dit-elle, le champ d’application de l’article 586 doit être limité davantage pour en exclure également les recours de nature extracontractuelle lorsque la faute alléguée participe d’une activité « privée » par opposition à une activité « publique » ou « municipale ».

[61]        Quoique l’argument soit intéressant, j’estime qu’il ne peut être retenu sans réécrire l’article 586 de la Loi, ce qui n’est pas le rôle de la Cour. Celui-ci vise en effet toute action, poursuite ou réclamation sans aucune distinction, et l’historique de la disposition ne permet pas davantage d’en faire.

[62]        Historiquement, la courte prescription bénéficiait tant aux administrés qu’à l’administration municipale, mais ne s’appliquait qu’à certains recours spécifiques au monde municipal[18]. Elle a toutefois évolué et celle édictée par la Loi actuelle ne bénéficie maintenant qu’aux villes. Son domaine d’application a toutefois été élargi puisque le législateur a choisi de l’étendre à toute action, poursuite ou réclamation […] pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités.


 

[63]        Les tribunaux, on l’a vu, ont interprété la disposition législative actuelle comme ne s’appliquant qu’en matière extracontractuelle. La Commission n’identifie toutefois aucune décision dans laquelle la distinction qu’elle propose, fondée sur la capacité dans laquelle la Ville agit, est effectuée.

[64]        Le texte de l’article 586, lorsqu’on le compare aux versions antérieures des dispositions législatives édictant cette courte prescription, démontre, à mon avis, l’intention du législateur de ne plus restreindre le champ d’application de la courte prescription de six mois aux recours propres au monde municipal et de plutôt l’élargir pour y inclure tous les recours en dommages-intérêts, exception faite bien sûr des recours en dommages pour préjudice corporel (2930 C.c.Q.) et des recours de nature contractuelle.

[65]        J’estime donc que ce moyen de la Commission n’est pas fondé.

[66]        La Commission, en terminant, soulève un argument additionnel qu’elle n’a pas fait valoir devant le Tribunal. Selon elle, l’application littérale de l’article 586 de la Loi oblige à conclure que seules les conclusions en dommages-intérêts auraient dû être rejetées par le Tribunal, laissant ainsi subsister la conclusion visant à forcer la Ville à « offrir une nouvelle promesse d’embauche [à Mme Jalbert] et lui permettre de reprendre le processus de sélection ».

[67]        Sans me prononcer sur la prescription qui serait applicable à une demande ayant principalement pour objet l’exécution forcée d’une obligation, je considère que c’est à juste titre que le Tribunal a rejeté l’ensemble de la réclamation. En effet, ayant conclu à l’absence de promesse d’embauche, le recours, à cet égard, ne présentait aucune chance de succès.

[68]        La Commission n’a pas soulevé cet argument en temps utile devant le tribunal, et celui-ci n’a pas pu se pencher sur la pertinence pour Mme Jalbert de reprendre, dix ans plus tard (2007-2017), un processus d’embauche qui n’est plus en cours. Dans tous les cas, l’omission de faire valoir ce moyen devant le tribunal suggère que le recours de la Commission en était essentiellement un en dommages-intérêts.

[69]        Dans ces circonstances, je recommande donc à la Cour de rejeter le pourvoi.

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 



[1]     Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2017 QCTDP 12.

[2]     Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2017 QCTDP 16.

[3]     Charte québécoise des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.

[4]     RLRQ, c. C-19.

[5]     Art. 76 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.

[6]     Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2017 QCCA 1534.

[7]     Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Ville de Montréal (SPVM), 2018 QCCA 113.

[8]     Droit de la famille - 191159, 2019 QCCA 1096; Droit de la famille - 171068, 2017 QCCA 814.

[9]     Bergevin c. Montréal (Ville de), 2011 QCCS 7579, appel rejeté 2013 QCCA 1825 et requête pour permission d’appeler à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2014-03-13) 35662.

[10]    Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820.

[11]    Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3, 2015 CSC 16, paragr. 46.

[12]    Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3, 2015 CSC 16, paragr. 49.

[13]    Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Éditions Thémis, 2018, pp. 223 et ss.

[14]    Dufour c. Havrankova, 2013 QCCA 486.

[15]    Voir notamment Bolduc c. Lévis (Ville de), 2015 QCCA 1428, où la Ville avait gardé secrète l’existence d’un rapport expliquant la cause des dommages subis par la propriété du demandeur.

[16]    Loi sur les cités et villes, L.R.Q. ch. C-19.

[17]    Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada ltée, [2002] R.J.Q. 2589 (C.A.)

[18]    Voir l’art. 5803 Cités et villes, S.R.Q. 1909, vol. II, Titre XI, ch. 1, p. 443; l’art. 623 Cities and Towns, R.S.Q. 1925, vol. II, ch. 102, p. 1433; et l’art. 623 Cités et villes, S.R.Q. 1941, vol. III, ch. 233, p. 889.

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