[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 janvier 2016 par la Cour supérieure, chambre criminelle et pénale, district de Roberval (l’honorable Louis Dionne), qui a accueilli la requête en certiorari du ministère public, infirmé le jugement de la juge Paradis et rejeté sa requête visant à forcer le ministère public à l’informer de l’existence ou non de renseignements et à lui révéler l’identité des personnes qui les détiennent dans le contexte d’accusations pour conduite d’un véhicule moteur avec une alcoolémie supérieure à la limite permise.
[2] Pour les motifs de la juge Thibault, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Gagnon, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME le jugement de première instance;
[5] REJETTE la requête en certiorari.
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MOTIFS DE LA JUGE THIBAULT |
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[6] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 janvier 2016 par la Cour supérieure, chambre criminelle et pénale, district de Roberval (l’honorable Louis Dionne), qui a accueilli la requête en certiorari du ministère public, infirmé le jugement de la juge Paradis et rejeté sa requête visant à forcer le ministère public à l’informer de l’existence ou non de renseignements et à lui révéler l’identité des personnes qui les détiennent[1] dans le contexte d’accusations pour conduite d’un véhicule moteur avec une alcoolémie supérieure à la limite permise[2].
[7] Le 31 août 2012, l’appelante, Justine Awashish, est arrêtée. Un chef d’accusation d'avoir conduit un véhicule alors que le taux de son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang et un chef de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool sont déposés contre elle. Elle comparaît le 22 février 2013 et plaide non coupable à ces accusations.
[8]
Les accusations ont été portées en vertu des articles
[9] Dans ce contexte, le ministère public a communiqué à l’appelante les renseignements suivants :
1. Le rapport policier comprenant le récit des faits et sa déclaration;
2. Le certificat du technicien qualifié;
3. Le certificat de l’analyse;
4. Les fiches imprimées de l’alcootest Alco-Sensor IV - RBT IV faisant état des résultats des tests de contrôle et des résultats obtenus;
5. Le relevé d’utilisation de l’appareil de détection approuvé, le registre d’utilisation de la solution d’alcool type;
6. L’intégralité des registres d’entretien et de réparation de l’alcootest Alco-Sensor IV - RBT IV, de l’appareil de détection approuvé et du simulateur employé.
[10] Le ministère public affirme qu’il n’avait pas l’obligation de divulguer tous ces éléments, mais qu’il les a communiqués « dans un esprit de collaboration visant à accélérer les débats ».
[11] Le 19 février 2014, l’appelante présente une requête en divulgation de renseignements additionnels et en arrêt des procédures. Elle demande la communication de nombreux éléments supplémentaires (la liste est reproduite au paragraphe 4 du jugement dont appel). Elle ne fait pas entendre de témoin, elle ne pointe aucune difficulté particulière quant à l’utilisation ou au fonctionnement des appareils utilisés pour prélever ses échantillons d’haleine et mesurer son taux d’alcoolémie et elle ne démontre pas autrement la pertinence des éléments dont elle cherche à obtenir la divulgation.
[12] Le ministère public refuse d’accéder à la demande de divulgation supplémentaire. Il indique qu’il a déjà communiqué les fruits de l’enquête « en sa possession ou sous son contrôle » et qu’il ignore l’existence des éléments supplémentaires demandés par l’appelante dans sa requête :
Cher confrère,
Nous réitérons qu’à ce stade-ci, la divulgation de preuve qui vous a été remise est complète. Les fruits de l’enquête en notre possession ou sous notre contrôle vous ont intégralement été remis.
De plus, sans en admettre la pertinence et dans un esprit de collaboration visant à accélérer les débats, nous vous avons remis lors de la divulgation de la preuve tous les renseignements pouvant constituer un registre d’entretien détenu par le corps policier (rapports de défectuosité, rapports d’étalonnage, certificats de renouvellement).
Nous ignorons cependant l’existence des autres éléments mentionnés à votre requête en divulgation. De plus, ne considérant pas que ces éléments soient pertinents et n’étant pas renseignés sur leur existence, nous n’avons pas à faire davantage de démarche pour en constater l’existence ou l’inexistence.
Finalement, nous considérons toutefois que notre obligation de divulgation de la preuve est continue. Par conséquent, suivant l’identification d’une défaillance objective au dossier de votre client, qui serait liée à une défense réelle, nous ferons des démarches supplémentaires raisonnables pour s’assurer que vous ayez en mains tous les éléments utiles à la préparation de votre cause.
[Je souligne]
[13] Le 23 avril 2014, la juge Micheline Paradis de la Cour du Québec accueille la requête de l’appelante. Elle ordonne la divulgation de certains des éléments de preuve supplémentaires demandés. Selon elle, le ministère public est tenu de divulguer tous les éléments se rapportant à l’enquête et qui sont sous son contrôle (R. c. Stinchcombe[6]), mais il n’a pas l’obligation de divulguer ce qui n’a aucune pertinence.
[14] Elle reconnaît qu’un accusé doit, de façon minimale, établir le fondement de sa demande de divulgation[7] pour permettre au juge d’écarter celles qui reposent sur des conjectures, ou qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires[8]. Selon la juge, de vagues allégations selon lesquelles les renseignements demandés sont généralement pertinents sont insuffisantes pour justifier une ordonnance de divulgation.
[15] La juge conclut, en conséquence, que l’appelante n’a pas établi le bien-fondé de sa requête en divulgation. Contre toute attente, elle accueille tout de même la requête parce que : 1) un accusé doit obtenir les renseignements qui peuvent lui être raisonnablement utiles pour attaquer la présomption d’exactitude des résultats, dans la mesure où ils sont disponibles; et 2) pour « éviter une prolongation indue des procédures, et cela, même si la preuve faite peut apparaître défaillante sur la pertinence »[9].
[16] La juge Paradis ordonne la divulgation des renseignements suivants :
➢ Relativement à l'appareil de détection approuvé :
• le ou les manuels d'entretien et de réparation du fabricant de l'appareil;
• les registres d'entretien, de réparation et d'étalonnage de l'appareil de détection approuvé;
➢ Relativement au simulateur utilisé lors de l'échantillonnage :
• les fiches d'entretien dudit appareil n'ont pas été demandées mais il y aurait lieu de les fournir à la défense, sur demande;
➢ Relativement à l'appareil alcootest :
• les manuels d'entretien et de réparation de l'appareil (module RBT-IV et son CEM);
• les résultats des analyses et calibration et leur périodicité;
➢ Relativement au simulateur de marque GUTH :
• il n'y a pas de preuve relativement à l'utilité pour la défense à obtenir des informations supplémentaires;
➢ Relativement à la solution d'alcool :
• la preuve que les analyses faites respectent les normes de laboratoire Can-P-1578 et ISO 17025;
➢ Relativement au technicien qualifié :
• la date d'obtention de sa qualification et les attestations démontrant toute mise à jour de sa formation.
[17] Le 20 mai 2014, le ministère public dépose une requête en certiorari à l’encontre de ce jugement. Le 11 août 2014, la juge Manon Lavoie accueille la requête et infirme le jugement de la juge Paradis[10], qui aurait commis une erreur manifeste en ordonnant la divulgation de certains renseignements, vu l’absence de fondement de la requête en divulgation. Selon la juge Lavoie, l’appelante devait soulever un doute réel sur le fonctionnement ou l’utilisation des appareils utilisés pour prélever des échantillons de son haleine et mesurer son taux d’alcoolémie. Dans ce but, elle devait, par exemple, faire appel à un technicien ou à un expert et établir le mauvais fonctionnement des appareils ou leur utilisation incorrecte. La juge Lavoie déclare que le ministère public n’a aucun fardeau de preuve à satisfaire tant que l’appelante ne s’est pas déchargée du sien, « soit de présenter un fondement à la requête en divulgation de preuve »[11]. Elle conclut que la juge Paradis a excédé sa compétence en accueillant la requête en divulgation de l’appelante.
[18] Le 23 janvier 2015, l’appelante présente une nouvelle requête en divulgation de la preuve. La liste des renseignements dont elle demande la communication est sensiblement la même[12] que celle contenue à sa première requête en divulgation (elle est reproduite au paragraphe 10 du jugement dont appel). L’appelante joint à cette deuxième requête en divulgation une requête de type McNeil par laquelle elle cherche à obtenir une ordonnance pour enjoindre le ministère public à l’informer de l’existence ou non des renseignements dont elle demande la divulgation ainsi que, le cas échéant, de l’identité des personnes qui les détiennent.
[19] Le 4 mai 2015, la juge Paradis rend un jugement[13] qui porte uniquement sur la requête de type McNeil. Elle ordonne notamment au ministère public d’informer par écrit l’appelante et le tribunal de l’existence ou non des documents énumérés dans la requête en divulgation :
[23] ORDONNE au DPCP d’informer, par écrit, d’ici trente (30) jours, les requérants-accusés et le Tribunal si, à sa connaissance, en regard de chacun des éléments demandés dans les requêtes en divulgation de preuve additionnelle, et ce, dans chacun des dossiers :
Ø il en reconnaît l’existence et le contrôle, ou
Ø il en nie l’existence, ou
Ø les documents sont en possession de tiers, ou
Ø les documents en question sont visés par un privilège.
[20] Selon la juge Paradis, l’intimée a l’obligation de se renseigner auprès des autres organismes ou ministères pour connaître l’existence des éléments de preuve dont l’appelante demande la divulgation. Elle cite l’extrait suivant de l’affaire Rodrigues c. Desaulniers :
[47] L'obligation de se renseigner s’applique lorsque la poursuite est informée de l’existence d’éléments de preuve potentiellement pertinents quant à la crédibilité ou à la fiabilité des témoins. La poursuite n’est pas une partie comme les autres. En effet, en tant qu’officier de justice, elle doit œuvrer sans réserve à la bonne administration de la justice. Ainsi, lorsqu’elle est informée de l’existence de renseignements pertinents, elle ne peut se contenter de n’en faire aucun cas. À moins que l’information ne semble pas fondée, la poursuite ne saurait apprécier pleinement le bien-fondé de l’affaire et s’acquitter de son obligation d’officier de justice si elle ne s’informe pas davantage et ne tente pas raisonnablement d’obtenir les renseignements en question.
[48] La poursuite doit faire preuve de la plus grande bonne foi lorsqu'elle décide quels renseignements communiquer. Elle doit également s'assurer que cette communication se fasse de manière suivie. Il faut nécessairement se fier dans une large mesure à l'intégrité de la police et des avocats de la poursuite, de qui on attend une conduite témoignant de la plus grande bonne foi. C'est la raison pour laquelle tout écart par rapport à cette lourde obligation est traité comme un manquement très grave à la déontologie.[14]
[Références omises]
[21] Le 28 mai 2015, l’intimée dépose une seconde requête en certiorari. Le 6 janvier 2016, le juge Louis Dionne de la Cour supérieure accueille la requête[15].
2- Le jugement de la Cour supérieure
[22] Le juge Dionne affirme que le ministère public pouvait contester le jugement de la juge Paradis par voie de requête en certiorari. Selon lui, la règle interdisant l’utilisation d'un recours extraordinaire pour se pourvoir contre un jugement interlocutoire ne s’applique pas lorsque la décision visée ordonne la divulgation de certains éléments de preuve. En effet, ce jugement interlocutoire aurait, à l’égard du ministère public, un effet contraignant et définitif[16] puisque, contrairement à l’appelante, ce dernier ne disposerait d’aucun autre recours utile pour s’opposer à ce jugement, une fois la preuve divulguée.
[23] Sur le bien-fondé de la demande de divulgation supplémentaire, le juge Dionne note que le ministère public a déjà communiqué à l’appelante les « fruits de l’enquête ». Les renseignements supplémentaires demandés ne constituant pas des « fruits de l’enquête » et étant en possession de tiers, le ministère public n’a pas à faire plus. Selon lui, l’appelante n’a pas démontré la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, une exigence qui permet d’éviter les « expéditions de pêche ». Pour être assujettis à une obligation de divulgation, les renseignements détenus par des tiers doivent être vraisemblablement pertinents. Ici, l’appelante n’a pas fait cette démonstration, de sorte que la juge Paradis a commis une erreur à la face même du dossier en accueillant la requête en divulgation de l’appelante.
[24] Le juge Dionne conclut enfin que la juge Paradis a excédé sa compétence en rendant son ordonnance parce que le débat portant sur la communication de la preuve avait été vidé par la juge Lavoie. Celle-ci avait précisé que le procès devait débuter « sans qu’il soit nécessaire qu’une preuve additionnelle soit divulguée ». Le jugement de la juge Lavoie, n’ayant pas fait l’objet d’un appel, est exécutoire. En obligeant le ministère public à s’informer de l’existence des renseignements dont la divulgation était demandée et à prendre position à leur égard, la juge Paradis aurait permis à l’appelante de faire indirectement ce qu’elle ne pouvait plus faire directement.
[25] Le juge Dionne infirme le jugement prononcé le 4 mai 2015 par la juge Paradis et il rejette la requête visant à forcer le ministère public à informer l’appelante de l’existence ou non des renseignements énumérés dans la requête en divulgation de la preuve.
3- Les moyens d’appel
[26] L’appelante propose l’examen de trois questions :
1- Le juge Dionne a-t-il erré en concluant que le certiorari était disponible dans les circonstances?
2- A-t-il erré en affirmant que la juge Paradis avait excédé sa compétence en ignorant l’existence de la chose jugée découlant du jugement Lavoie?
3- A-t-il erré en concluant que la juge Paradis a commis une erreur à la face même du dossier?
4- L’analyse
La disponibilité du recours en certiorari
[27] L’appelante plaide que le ministère public ne peut pas se pourvoir contre le jugement interlocutoire rendu par la juge Paradis sur la requête de type McNeil par voie de certiorari : un recours contre une décision interlocutoire est irrecevable en l’absence d’un défaut ou d’un excès de compétence. Les parties doivent dans ce cas présenter leurs moyens à la Cour d’appel lors de l’appel sur le verdict.
[28] Dans Mills c. R., la Cour suprême rappelle le principe interdisant les appels de décisions interlocutoires en matière criminelle :
On a posé la question de
savoir s'il peut y avoir quelque chose de la nature d'un appel interlocutoire
grâce auquel le requérant en vertu du par. 24(1) de la Charte pourrait, en cas
de rejet de sa demande, en appeler immédiatement et avant la fin du procès. Selon
un principe bien établi, les seuls appels permis en matière criminelle sont
prévus par la loi et il ne devrait pas y avoir d'appels interlocutoires dans
les affaires criminelles. Ce principe se trouve renforcé par notre Code
criminel (art. 602, précité [aujourd’hui l’article
[Je souligne]
[29] Un accusé peut faire réviser une décision interlocutoire lorsque le juge a agi sans compétence ou si ce dernier a commis une erreur de droit manifeste à la face du dossier[18]. Le juge réviseur jouit alors d’un pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non le certiorari[19]. L’erreur de droit manifeste à la face du dossier est rare. Des raisons de politique judiciaire et de saine administration de la justice expliquent la réticence des tribunaux à permettre le recours en certiorari à l’endroit de jugements ou d’ordonnances interlocutoires. Dans l’arrêt Procureur général (Québec) c. Cohen, le juge Pigeon écrivait qu’il est d’une « importance primordiale » d’éviter de retarder inutilement un procès :
Il ne faut jamais oublier que le certiorari est un recours de nature discrétionnaire. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une enquête préliminaire, il est essentiel à l’administration efficace de la justice pénale, de bien considérer qu’il est d’importance primordiale d’éviter tout retard inutile, particulièrement le retard à mener une affaire au procès. Si un certiorari est émis au stade de l’enquête préliminaire, il peut y avoir appel et on voit en l’espèce à quel point cela peut retarder le procès : la requête en certiorari est datée du 10 février 1975.[20]
[30] La réticence des tribunaux à autoriser un certiorari - qui interrompt le procès criminel, fragmente les procédures et allonge les délais - repose sur l’idée que la décision interlocutoire est susceptible d’être révisée en appel :
[2]
Il est reconnu que les
recours en révision judiciaire, qu'ils soient de la nature d'un certiorari
ou de la prohibition, sont à proscrire lorsqu'ils portent sur des jugements
interlocutoires rendus en matière criminelle et pénale : Forest c. La
Reine,
[Je souligne]
[31] Notre Cour a toujours appliqué ces enseignements. Dans les arrêts Tessier[22], Banville[23] et Belleau[24], le ratio decidendi est le même : 1 - « il n’est pas souhaitable d’interrompre des procès criminels par des attaques contre des jugements interlocutoires concernant l’administration de la preuve, les cas qui pourront justifier ces interruptions seront exceptionnels »[25] et 2 - un jugement refusant ou accordant une divulgation peut, d’une part, être revu par le juge durant le procès si les circonstances ont changé et, d’autre part, il ne peut être l’objet d’un appel immédiat[26].
[32] Dans ces trois arrêts, l’accusé cherchait à se pourvoir par certiorari contre un jugement interlocutoire refusant la communication de renseignements. La Cour a décidé que l’erreur alléguée ne constituait pas une erreur affectant la compétence du décideur ni une erreur à la face du dossier. De la même façon, le jugement interlocutoire ordonnant la communication d’éléments de preuve n’emporte pas, en principe, une erreur de compétence[27]. À mon avis, il n’y a aucune raison qui permet de distinguer la situation d’un accusé de celle du ministère public[28].
[33] La situation peut être différente dans les cas d’atteinte irréparable à un droit fondamental lorsque l’appel n’offre aucun remède efficace. À titre d’exemple, dans Canada (Procureur général) c. Dubois[29], le procureur général du Canada avait intenté un recours en certiorari. Il plaidait notamment que « [l]'appel n'est d'aucun secours pour réparer le préjudice susceptible d'être causé à la Couronne et à l'indicateur de police si le témoin est forcé de divulguer le nom ou l'identité de ce dernier ». Le juge Tyndale exprime alors l’avis selon lequel l’appel n’offre aucun remède utile en cas de violation du droit au privilège du secret et qu’il s’agit de l’un des rares cas qui justifie le certiorari pendant un procès criminel :
It
seems to me that violation of such a fundamental rule of law as the privilege
of secrecy, for which an appeal affords no effective remedy, is one of the rare
exceptional cases which are equated to an excess of jurisdiction and which
justify the intervention of the Superior court during a criminal trial: Létourneau, Gilles, « The Prerogative Writs in Canadian
Criminal Law and Procedure », 1976, pp 52, 152; Béliveau, Pierre,
« Cours de la Formation Professionnelle du Barreau du Québec »,
1985-86, 249, 254; Madden c. R. (No 2), 35 C.C.C.(2nd) 385 (Ont.H.C.); Dubois c. R.,
Although valid analogies between civil and criminal law are rare, I think there is one with the civil rule about appeal from a decision on an objection to evidence. An interlocutory judgment, during trial, dismissing an objection to evidence is not as a rule immediately appealable; but an exception lies when violation of privilege is involved, precisely because a later appeal cannot repair the damage.[30]
[Je souligne]
[34] On peut penser à d'autres cas d'atteinte irréparable à un droit fondamental de l’une des parties. À titre d'illustration, la décision du juge du procès d'ordonner à une accusée d'enlever son niqab pour témoigner à visage découvert pourrait, si elle est erronée, faire l'objet d'un certiorari. La décision du juge du procès d’ordonner à l’avocat du ministère public de révéler une information couverte par le secret professionnel offre un autre exemple où le certiorari serait possible.
[35] La même règle s’applique dans le cas d’atteinte contraignante et définitive au droit d’un tiers parce que ce dernier n’a, contrairement aux parties, aucun autre recours pour s’opposer à un jugement qui affecte ses droits. Dans R. c. Cunnigham, la Cour suprême écrit :
[57] […] La demande présentée par un avocat pour cesser d’occuper ne s’apparente ni au renvoi à procès ni à la libération à l’issue de l’enquête préliminaire. Elle se rapproche davantage de la situation considérée dans l’affaire Dagenais, où la demande était présentée par un tiers. Le juge de première instance peut statuer sans délai et définitivement sur la demande d’autorisation de cesser d’occuper. Comme l’indique la juge Steel dans l’arrêt Deschamps, le rejet d’une telle demande est une décision contraignante et définitive vis-à-vis de l’avocat (par. 38). Dans ce contexte, il convient donc de reconnaître au certiorari sa portée normale et de ne l’accorder qu’en présence d’une décision erronée sur la compétence ou d’une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier (Dagenais, p. 864-865).[31]
[Je souligne]
[36] Je signale que la Cour d’appel de l’Alberta a conclu à la disponibilité du certiorari pour le ministère public dans une situation semblable à la nôtre dans R. v. Black. Elle prend appui sur les arrêts R. c. Cunningham[32] et Dagenais c. Société Radio-Canada[33] dont elle applique les enseignements. Elle écrit qu’il n’y a pas de raison de faire une différence entre les décisions interlocutoires qui affectent les droits du ministère public et celles qui affectent les droits des tiers :
[27] Neither Cunningham nor Dagenais involved applications by the Crown, but because the language in each decision directs the inquiry to the nature of the order, in cases where an order affects legal rights on a final basis, I see no reason to differentiate between legal errors that affect the Crown and legal errors that affect third parties. In some cases, leaving the impugned order in place can have a significant effect on the practice. […][34]
[Je souligne]
[37] Dans Rodrigues c. Desaulniers, le juge Guy Cournoyer exprime son désaccord avec l’arrêt R. v. Black précité. Il explique que les arrêts sur lesquels la Cour d’appel de l’Alberta se fonde concernaient des tiers. Ceux-ci doivent nécessairement recourir au certiorari pour faire réviser une ordonnance erronée, car, n’étant pas des parties au litige, ils n’ont pas droit à l’appel. Il écrit :
[167] L'arrêt Cunningham ne concerne donc pas le recours interlocutoire d'une partie, mais celui d'un tiers. On ne peut l'interpréter comme autorisant le recours interlocutoire d'une partie en cours d'instance, car cela contredit les principes généraux formulés plus haut.[35]
[38] Je partage l’opinion du juge Cournoyer. Il y a lieu de faire une différence entre la demande de certiorari qui émane des parties et celle qui provient d’un tiers. Le tiers peut se prévaloir du recours dans les cas où la décision qui le concerne est erronée parce que l’appel ne lui est pas ouvert tandis que les parties doivent démontrer que le juge a excédé sa compétence ou que la décision rendue affecte un droit fondamental de façon définitive. On dit alors qu’il s’agit d’une erreur de compétence[36].
[39] La décision interlocutoire du juge du procès d'ordonner ou non au ministère public de communiquer des renseignements ne soulève généralement pas une question d’absence ou d’excès de compétence, mais elle constitue une décision prononcée dans l’exercice de sa compétence, auquel cas le recours au certiorari n’est pas ouvert. Pour respecter l’objectif primordial de limiter l’intervention des tribunaux supérieurs pendant un procès et les délais susceptibles d’en résulter, il faut éviter de voir dans toute ordonnance de divulgation de renseignements une violation irréparable d’un droit fondamental. Le juge Dionne a appliqué un test erroné. Il devait se demander si l’ordonnance de divulgation violait un droit fondamental de l’intimée, et ce, de façon irréparable et non pas se demander si l’ordonnance interlocutoire avait sur ce dernier un caractère contraignant et définitif.
[40] Ces mêmes principes trouvent également application dans le cas où l’ordonnance vise, comme en l’espèce, à révéler si les renseignements existent et l’identité des personnes qui les détiennent. Dans la mesure où les renseignements recherchés par une requête de type McNeil ne sont pas privilégiés ou préjudiciables à l’intérêt public, la communication d’informations préliminaires à la divulgation de leur contenu ne cause aucun tort irréparable au ministère public. Même si le juge commettait une erreur de droit en rendant sa décision, celle-ci n’est pas révisable par voie de certiorari, sauf si elle équivaut à un excès de compétence.
[41] Le refus de permettre la divulgation d’un renseignement et celui d’ordonner une telle divulgation ont certes des conséquences, et ce, tant pour un accusé que pour le ministère public. Le refus de divulguer est susceptible de restreindre l’accusé dans l’établissement de sa défense. Le cas échéant, l’erreur pourra être réparée lors de l’appel sur le verdict. Une ordonnance de divulgation de renseignements est susceptible de causer des désagréments au ministère public, qui doit les recueillir et les communiquer. Tout comme pour l’accusé, il lui sera loisible de faire valoir en appel les moyens justifiant d’infirmer le verdict prononcé.
[42] À mon avis et avec beaucoup d’égards, le juge Dionne a commis une erreur en affirmant que le certiorari est ouvert au ministère public lorsqu’un juge d’instance prononce erronément une ordonnance de type McNeil. Il faut se rappeler que c’était là l’essence de la décision interlocutoire de la juge Paradis. Cette erreur a pour effet d’occulter le caractère exceptionnel et limité du recours en certiorari et de l’étendre, en faveur du ministère public, à toutes les ordonnances de divulgation de la preuve, aux ordonnances de type McNeil, aux cas de rejet d’objection à la preuve, même dans le cas où la preuve n’est pas confidentielle ni sujette à un privilège. Rappelons qu’un droit d’appel immédiat est prévu en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada[37] lorsque le tribunal conclut que la divulgation de renseignements « est préjudiciable au regard de raisons d’intérêt public déterminées ».
[43] La route empruntée par le juge Dionne est susceptible de conduire à l’interruption systématique des procès criminels. Dans tous les cas où le ministère public est visé par une ordonnance de divulgation avec laquelle il n’est pas d’accord, par exemple, s’il estime que les renseignements qu’on lui ordonne de divulguer ne sont pas pertinents, il pourrait se pourvoir par voie de certiorari devant la Cour supérieure, puis en appel devant notre Cour, et ensuite, sur permission, devant la Cour suprême. Il en serait de même lors d’un rejet d’une objection à la preuve formulée par le ministère public, en cas d’ordonnance de type McNeil.
[44] Pour ces motifs, je suis d’avis que le premier moyen d’appel est fondé. L’ordonnance de type McNeil prononcée par la juge Paradis ne donnait pas ouverture au certiorari.
La chose jugée
[45] L’appelante plaide que le juge Dionne a aussi commis une erreur en affirmant que le jugement de la juge Paradis allait à l’encontre de celui de la juge Lavoie, lequel avait acquis l’autorité de la chose jugée. L’appelante rappelle que la juge Lavoie a refusé de statuer définitivement sur la pertinence des renseignements dont la divulgation était demandée et réservé, de façon expresse, son droit d’en demander la divulgation dans l’avenir. Elle ajoute que l’existence des renseignements n’avait pas été établie devant la juge Paradis et que c’est ce qu’elle recherchait par sa requête de type McNeil.
[46] À mon avis et avec égards, le juge Dionne a commis une erreur en statuant de façon anticipée sur la requête en divulgation d’éléments additionnels que la juge Paradis n’avait pas tranchée. Il ne s’est pas attardé à l’objectif de la requête de l’appelante. Le jugement de la juge Lavoie n’empêchait pas cette dernière de vérifier l’existence de renseignements dont elle dit avoir besoin pour établir sa défense et l’identité des personnes qui les détiennent.
[47] Une fois en possession de ces informations, l’appelante pourra, si elle justifie de faits nouveaux, présenter une autre requête en divulgation de renseignements au cours du procès ou même convoquer les témoins pour déposer cette preuve. Elle devra à ce moment établir la pertinence des renseignements dont elle cherche la divulgation selon la norme applicable.
L’erreur à la face de même du dossier
[48] La juge Paradis n’a pas commis d’erreur révisable par voie de certiorari à cette étape du dossier. Comme je l’ai écrit plus d’une fois, elle était saisie d’une requête de type McNeil par laquelle l’appelante cherchait à savoir si certains renseignements destinés à vérifier la fiabilité des résultats des appareils existaient et, le cas échéant, l’identité des personnes qui les détiennent. Je rappelle que le devoir du ministère public est d’assister raisonnablement la défense lorsque celle-ci lui signale la possibilité qu’un élément de preuve pertinent soit entre les mains d’un tiers[38].
[49] Même si la juge Paradis avait commis une erreur à cette étape du dossier ou à une étape ultérieure en ordonnant la communication de renseignements additionnels, il s’agirait d’une erreur commise dans l’exercice de sa compétence, qui n’est pas révisable par voie de certiorari, et ce, quelle que soit la partie qui le demande.
[50] Le dossier, tel que constitué, présente une difficulté importante qui empêche la Cour de statuer sur l’étendue de l’obligation de communication du ministère public à l’égard des informations concernant la manipulation et l’entretien des appareils qui servent à prélever les échantillons d’haleine et à mesurer le taux d’alcoolémie. La Cour n'a, en effet, aucune information sur la pertinence des renseignements faisant l’objet de la requête en divulgation sur laquelle un juge de la Cour du Québec n’a pas encore statué. Il n'est donc pas possible de classer les renseignements demandés dans la catégorie des fruits de l'enquête ou non, de savoir si l'information est en possession du ministère public ou d'un tiers et, en conséquence, de statuer sur la norme de pertinence applicable[39]. Il faut se rappeler que la pertinence d’un renseignement s’évalue en fonction de l’usage que compte en faire l’appelante pour sa défense[40].
[51] Le juge Dionne a donc mal usé de sa discrétion en accueillant la requête en certiorari. Le déroulement du présent dossier illustre avec éloquence les vicissitudes de la thèse qui ouvre le certiorari au ministère public en cas d’ordonnance interlocutoire. L’arrestation remonte à près de quatre ans et les parties en sont toujours à un stade préliminaire[41], faut-il le rappeler.
[52] Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel, d'infirmer le jugement de première instance et de rejeter la requête en certiorari.
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FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
[1] Il s’agit d’une requête de type McNeil.
[2]
R. c. Paradis,
[3] L.C. 2008, c. 6.
[4]
[5] Ibid., paragr.48.
[6]
[7]
Elle réfère aux arrêts R. c. Stinchcombe précité et R. c.
Egger,
[8]
R. c. Chaplin,
[9] R. c. Awashish,
[10]
R. c. Paradis,
[11] Ibid., paragr. 42.
[12] Il y a quatre éléments différents.
[13] R. c. Awashish,
[14] Ibid., paragr. 15, citant Rodrigues c.
Desaulniers,
[15] Jugement dont appel, supra, note 1.
[16] Ibid., paragr. 50-51.
[17] [1986] 1 R.C.S. 863, 959.
[18] Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 22e éd., par Martin Vauclair, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, no 2841, p. 1278. L’erreur à la face même du dossier ne doit pas être interprétée comme signifiant, dans tous les cas, une erreur de droit. Le recours au certiorari pour une telle erreur est réservé au tiers.
[19] Ibid., no 2865, p. 1288.
[20]
Procureur général (Québec) c. Cohen,
[21]
Hurens c. R.,
[22]
R. c. Tessier,
[23]
Banville c. R.,
[24]
Belleau c. R.,
[25] R. c. Tessier, supra, note 22, paragr. 4 (C.A.).
[26]
Supra, note 24, paragr. 6, citant Banville c.
R.
[27] Procureur général (Québec) c. Cohen, supra, note 20, 310.
[28]
R. c. Russell,
[29]
[1987] R.J.Q. 2030 (C.A.). Cette situation serait maintenant couverte par
l’article
[30]
Canada (Procureur général) c. Dubois,
[31] R. c. Cunningham,
[32] Ibid.
[33]
Dagenais c. Société Radio-Canada,
[34] R. v. Black,
[35] Rodrigues c. Desaulniers, supra, note 14, paragr. 167.
[36] R. c. Russell, supra, note 28, paragr. 29-30.
[37] Supra, note 29.
[38] Pierre Béliveau et Martin Vauclair, supra, note 18, no 1963, p. 886.
[39] R. c. McNeil,
[40] R. c. Chaplin, supra, note 8, paragr. 22.
[41] Je note au passage que, lors de l’audition de l’appel, l’avocat de l’appelante a affirmé que les renseignements dont il demande la divulgation ont été fournis dans les dossiers des deux autres accusés qui ont présenté la même requête que l’appelante.
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