Leblanc c. Axa Assurances inc. |
2014 QCCS 4393 |
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JB 4644 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-067911-118 |
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DATE : |
Le 22 septembre 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DONALD BISSON, J.C.S. |
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RÉAL LEBLANC |
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et |
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RITA LEBRUN |
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Demandeurs |
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c.
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AXA ASSURANCES INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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INTRODUCTION
[1] Les demandeurs, mari et femme, ont-ils commis une faute intentionnelle à l’origine de l’incendie qui, le lundi 29 mars 2010, a détruit leur immeuble situé sur le boulevard Pauzé, municipalité d’Entrelacs (l’« Immeuble »), justifiant ainsi le refus de la défenderesse Axa Assurances Inc. (« Axa ») de payer toute indemnité d’assurance-habitation? Au cœur du débat se pose la question très litigieuse de la présence ou non du demandeur sur les lieux de l’incendie le matin du 29 mars 2010.
[2] Dans la mesure où la Cour est d’avis que seule la demanderesse doit être indemnisée par Axa, cette dernière peut-elle réclamer au demandeur paiement de cette indemnité aux termes de l’article 2464 du Code Civil du Québec (le « CcQ »)?
[3] Dans la mesure où la Cour est d’avis qu’il n’y a aucune faute intentionnelle de la part des deux demandeurs, ces derniers ont-ils droit à des dommages pour stress et inconvénients reliés au non-paiement de l’indemnité d’assurance par Axa? Enfin, le montant d’indemnité d’assurance doit-il être réduit en raison de l’absence de déclaration par les demandeurs de la location occasionnelle de leur Immeuble?
[4] Pour les raisons qui suivent, la Cour décide que :
a) l’incendie qui a détruit l’Immeuble le 29 mars 2010 est intentionnel;
b) les demandeurs n’ont pas commis de faute intentionnelle à l’origine de cet incendie et ont donc droit à une indemnité d’assurance pour le sinistre;
c) le montant d’indemnité d’assurance due par Axa aux demandeurs doit être réduit en raison de l’absence de déclaration par ces derniers de la location occasionnelle de leur Immeuble. Le montant auquel les demandeurs ont droit est une somme de 103,747.50 $;
d) le recours en dommages des demandeurs contre Axa pour stress et inconvénients doit être rejeté car cette dernière n’a pas commis de faute en adoptant la défense qu’elle a prise et en menant le présent dossier jusqu’à procès : une appréciation judiciaire de la conduite des demandeurs et de celle de tous les acteurs en présence était justifiée;
e) l’action des demandeurs sera donc accueillie en partie, et la défense et la demande reconventionnelle de Axa seront rejetées; et
f) compte tenu de la nécessité de détermination judiciaire des faits du présent dossier, chaque partie assumera le paiement des dépens.
LES FAITS NON CONTESTÉS ET LES ADMISSIONS
Les demandeurs et l’Immeuble
[5] Au moment de l’incendie du 29 mars 2010, les demandeurs sont mariés et sont copropriétaires de l’Immeuble, acheté en décembre 2004[1], au prix de 60,000 $, à titre de résidence secondaire ou de chalet. Les demandeurs sont alors titulaires d’une police d’assurance-habitation couvrant cet Immeuble, auprès de Axa[2]. Le montant des versements hypothécaires pour l’Immeuble, en mars 2010, est de 365 $ par mois, incluant les taxes municipales.
[6] Le demandeur et la demanderesse se sont mariés en 1979 et ont eu deux enfants dans les années 80.
[7] Le demandeur est également propriétaire des immeubles suivants :
- sa résidence familiale, située à Ste-Rose, à Laval, dont il est copropriétaire avec la demanderesse. Le montant des versements hypothécaires mensuels de cette demeure est de 120 $;
- un immeuble à logements situé à Montréal, sur la rue Aylwin. Le montant des versements hypothécaires mensuels pour cette propriété est de 660 $. Le montant des taxes municipales est de 4,000 $ par année;
- un chalet situé dans la municipalité de Nominingue, en copropriété avec son fils, acheté en 2007. Le montant des versements mensuels qui incombent au demandeur pour le prêt hypothécaire et les taxes municipales est de 400 $;
- un modeste chalet de pêche situé en la municipalité du Lac-du-Cerf, acheté comptant au prix de 11,500 $.
[8] En mars 2010, tous ces immeubles sont également assurés avec Axa en vertu de la même police d’assurance, sauf le chalet du Lac-du-Cerf qui n’est plus assuré depuis juillet 2009, le demandeur ayant alors mis fin à l’assurance pour diminuer ses dépenses. Outre ces immeubles, le demandeur a été propriétaire dans le passé d’autres chalets, qu’il a revendus.
[9] Le passe-temps du demandeur consiste en l’achat, la rénovation et la revente de chalets, ainsi que la jouissance de ceux-ci en y pratiquant certaines activités, telles la raquette et le vélo, ainsi que des réunions de famille. De 2004 à 2010, le demandeur se rend en alternance à chaque semaine à l’Immeuble et au chalet situé à Nominingue. À cette époque jusqu’à l’incendie, le demandeur est donc présent à l’Immeuble à chaque deux semaines. Il se rend moins fréquemment à son chalet situé au Lac-du-Cerf.
[10] Quant à elle, la demanderesse s’intéresse à la décoration intérieure des chalets et aux réunions de famille qui s’y tiennent. Cependant, à partir de 2008, la demanderesse accompagne moins souvent le demandeur dans ses visites à l’Immeuble et au chalet à Nominingue, car elle désire plutôt passer du temps avec sa fille et ses trois petits-enfants qui viennent de naître. Elle ne va presque jamais au chalet du Lac-du-Cerf.
[11] En mars 2010, le demandeur reçoit des prestations d’assurance-chômage. Il reçoit en plus des revenus de son immeuble à logements, estimés à 18,000 $ ou 19,000 $ par année. Le demandeur a recommencé à travailler en avril 2010.
[12] En mars 2010, la demanderesse travaille dans une imprimerie depuis 15 ans et son salaire se situe entre 35,000 $ et 40,000 $ par année.
[13] De 2008 à 2010, les demandeurs ont offert la location de l’Immeuble sur internet. Ils l’ont loué en 2009, pour 2 semaines, et en 2010, pour 3 semaines. Les demandeurs n’ont pas déclaré ces locations à Axa.
[14] Le demandeur loue également son chalet situé à Nominingue.
[15] En 2008 et 2009, les demandeurs ont annoncé la mise en vente de l’Immeuble sur internet, au prix de 89,000 $. Ils n’ont jamais reçu d’offre d’achat.
L’incendie du 29 mars 2010
[16] Le dimanche 28 mars 2010, le demandeur informe la demanderesse qu’il se rendra à son chalet à Nominingue le lendemain. Le lundi 29 mars 2010, la demanderesse quitte le domicile de Laval vers 6h00 pour aller travailler et y revient vers 18h30 ou 19h00. Le demandeur n’est alors pas présent, seul leur fils étant sur place.
[17] Peu de temps après, vers 20h00 ou 21h00, la demanderesse reçoit un appel téléphonique de M. Antonio Scafuro, voisin de l’Immeuble à Entrelacs, l’informant que l’Immeuble est en feu et que les pompiers sont sur place[3]. Ce voisin la rappelle quelques minutes plus tard pour lui dire que les pompiers ont vu des traces de pas dans la neige autour de l’Immeuble.
[18] À ce moment, la demanderesse est affolée, mais elle ne peut rejoindre son mari le demandeur, ce dernier n’ayant pas de téléphone cellulaire et le chalet situé à Nominingue, où il a dit être allé, n’a pas de ligne téléphonique. Le seul moyen pour la demanderesse de rejoindre le demandeur est de se rendre en personne à Nominingue. Compte tenu de l’heure, de sa longue journée de travail de 12 heures et du fait que d’avertir le demandeur ne changerait rien à l’incendie, la demanderesse décide de se rendre à Nominingue seulement le lendemain matin. Elle se couche alors. Vers 2h00 ou 3h00 du matin, les policiers de la Sûreté du Québec téléphonent à la demanderesse à son domicile de Laval. Le contenu de cette conversation n’est pas en preuve.
[19] Le lendemain matin, mardi 30 mars 2010, la demanderesse, par l’entremise de sa sœur, avertit son employeur qu’elle ne pourra pas travailler ce jour-là et quitte son domicile de Laval vers 8h30. Lorsqu’elle arrive au chalet de Nominingue, elle informe le demandeur de l’incendie de l’Immeuble, survenu la veille. Ce dernier décide de terminer son déjeuner; la demanderesse déjeune avec lui, puisqu’elle n’a pas encore mangé ce matin-là.
[20] Le demandeur indique à la demanderesse qu’il va se rendre directement à l’Immeuble. La demanderesse décide alors de revenir à son domicile à Laval, ce qu’elle fait. Elle se couche en arrivant, étant épuisée.
[21] En chemin vers l’Immeuble, le demandeur change d’idée et décide de passer par sa maison de Laval, même si cela prend davantage de temps, environ 1 heure de plus de route. Il dit qu’il devait aller aux toilettes, pour cause reliée à la prostate.
[22] Une fois arrivé à son domicile de Laval, le demandeur contacte son courtier en assurances à deux reprises à 14h19 et 14h22[4], pour l’informer de l’incendie. Il n’appelle personne d’autre à ce moment. Il quitte ensuite son domicile de Laval et se rend à l’Immeuble.
[23] Une fois arrivé à Entrelacs vers 15h00, le demandeur inspecte les lieux et constate l’étendue des dégâts : l’Immeuble n’a pu être sauvé par les pompiers. Après trente minutes, le demandeur entend le bruit de l’automobile de Monsieur Gérald, un voisin, et il va lui parler.
[24] À son retour à son domicile de Laval à l’heure du souper, le demandeur contacte la Sûreté du Québec à Rawdon par téléphone, à 18h03[5].
Les admissions
[25] Les parties se sont entendues sur les admissions suivantes, relativement au quantum :
- La valeur du bâtiment est de 150,000 $ et la valeur de son contenu est de 11,150 $;
- La police d’assurance[6] émise par Axa couvre ces dommages, dans la mesure où il n’y a pas faute intentionnelle des demandeurs ni réduction pour cause d’absence de déclaration d’un risque.
Les questions en litige
[26] La Cour abordera l’étude des questions suivantes :
1) Les demandeurs ont-ils commis une faute intentionnelle à l’origine de l’incendie qui a détruit l’Immeuble?
2) Dans la mesure où seul le demandeur a commis une faute intentionnelle, l’indemnité d’assurance doit-elle être remise à la demanderesse et, si oui, Axa peut-elle réclamer au demandeur paiement de cette indemnité aux termes de l’article 2464 CcQ?
3) Le montant d’indemnité d’assurance doit-il être réduit en raison de l’absence de déclaration par les demandeurs de la location occasionnelle de leur Immeuble?
4) Dans la mesure où la Cour est d’avis qu’il n’y a aucune faute intentionnelle de la part des demandeurs, ces derniers ont-ils droit à des dommages pour stress et inconvénients reliés au refus de paiement de l’indemnité d’assurance par Axa?
ANALYSE ET DISCUSSION
1) Les demandeurs ont-ils commis une faute intentionnelle à l’origine de l’incendie qui a détruit l’Immeuble?
[27] Axa prétend que l’incendie est d’origine intentionnelle et que les demandeurs sont impliqués dans son déclenchement. Les demandeurs prétendent l’inverse.
Le caractère intentionnel de l’incendie
[28] La jurisprudence[7] enseigne que la Cour doit déterminer la cause probable de l’incendie en procédant par élimination, selon une preuve directe ou à l’aide de présomptions de faits graves, précises et concordantes. On doit présenter une preuve prépondérante permettant d’inférer une cause d’incendie, qui doit dépasser le seuil de l’hypothèse même vraisemblable[8]. Qu’en est-il dans le présent dossier?
[29] La Cour est d’avis que la preuve non contredite révèle ici le caractère intentionnel de l’incendie comme sa cause.
[30] Pour accéder à l’Immeuble de la route, le boulevard Pauzé, il faut stationner son véhicule dans une entrée au bord de la route, pour ensuite emprunter à pied un pont piétonnier qui traverse une petite rivière. L’Immeuble se trouve de l’autre côté de cette rivière, appelée rivière Venne.
[31] L’Immeuble possède deux portes d’accès au rez-de-chaussée et une au sous-sol. Les portes d’accès au rez-de-chaussée sont la porte de la véranda en avant et une porte en arrière dans la chambre. La porte avant donne accès à la véranda, laquelle comporte une porte-patio donnant accès à l’intérieur de l’Immeuble.
[32] À l’arrivée des pompiers le soir de l’incendie, ces derniers[9] ont remarqué des traces de pas dans la neige fraîchement tombée. Ces traces allaient du pont piétonnier à la porte de la véranda de l’Immeuble et revenant de la véranda sur le pont. Les lueurs du feu ont permis de voir ces traces. À partir de l’avant de l’Immeuble, aucune autre trace n’était visible ailleurs sur le terrain.
[33] Les pompiers ont également remarqué que la porte de la véranda était déverrouillée et que la porte-patio séparant la véranda de l’intérieur de l’Immeuble était fermée et verrouillée. Aucune trace d’effraction n’était présente sur ces deux portes.
[34] À leur arrivée, les pompiers ont remarqué que la partie arrière du chalet était embrasée et que le toit était déjà percé par les flammes.
[35] Axa a fait témoigner un expert en recherche et détermination de cause d’incendie, M Alain Thériault, au soutien de son rapport écrit[10]. Ce témoignage révèle ceci :
- Cet expert a visité les lieux de l’incendie à deux reprises, le 5 et le 9 avril 2010;
- La région d’origine de l’incendie est la portion arrière de l’Immeuble, au rez-de-chaussée ou à la mezzanine. Il n’est cependant pas possible de déterminer s’l y a un ou plusieurs foyer(s) d’incendie;
- L’étude du système électrique de l’Immeuble n’a pas permis de conclure qu’il s’agissait là d’une cause probable de l’incendie;
- Les autres causes d’incendies reliées à l’intervention humaine[11] doivent être écartées, car personne n’était présent dans l’Immeuble avant le feu;
- Aucune odeur spécifique n’était détectable par un nez humain. Le 9 avril 2010, une équipe de détection canine a cependant permis de détecter, avec un chien entraîné, des odeurs de produits pétroliers à trois endroits dans l’Immeuble. Suite à un creusage dans les débris pour atteindre le niveau du plancher, les résidus contenant les produits pétroliers ont été découverts. Des prélèvements ont été faits, lesquels ont révélé par deux analyses chimiques[12] la présence de résidus d’essence et de diesel à ces endroits dans l’Immeuble;
- Selon le demandeur[13], il n’y avait aucune essence ni diesel dans l’Immeuble, mais seulement de la peinture et du Varsol. L’analyse chimique[14] a conclu que les caractéristiques chimiques des prélèvements ne correspondent pas avec les produits utilisés dans la fabrication de peinture et de Varsol;
- L’observation faite par les pompiers à leur arrivée sur les lieux a démontré :
§ la présence de traces de pas dans la neige, « aller-retour » entre le pont piétonnier et la porte de la véranda de l’Immeuble;
§ aucune autre trace de pas dans la neige aux alentours de l’Immeuble;
§ la porte de la véranda était déverrouillée et la porte-patio séparant la véranda de l’intérieur de l’Immeuble était fermée et verrouillée;
§ aucune trace d’effraction sur ces deux portes;
- Même si personne n’a pu, au moment, de l’incendie faire une inspection de la porte arrière de l’Immeuble, à cause de la force du feu à cet endroit, l’absence de trace de pas menant de l’avant à l’arrière démontre qu’il est probable que personne ne soit entré par effraction par en arrière;
- Aucune autre cause d’incendie n’ayant pu être identifiée outre la présence d’accélérants, il en résulte donc que la cause probable de l’incendie de l’Immeuble est l’acte intentionnel.
[36] Les demandeurs n’ont offert aucune preuve quant au caractère intentionnel ou non de l’incendie. Ils ont seulement contre-interrogé l’expert M. Thériault en lui faisant reconnaître que l’Immeuble n’était pas sécurisé après l’incendie et qu’une personne aurait pu théoriquement y pénétrer pour « contaminer » la « scène d’incendie ». M. Thériault a cependant expliqué, de façon convaincante, qu’il était pratiquement impossible que l’accélérant ait été ajouté après ’incendie, car des traces de l’accélérant auraient été détectées dans ce cas, en superficie sur les débris. Or, ici, les traces d’accélérants étaient enfouies sous les décombres et seul un creusage a permis de les découvrir, ce qui élimine la possibilité d’un ajout d’accélérants après l’incendie.
[37] Lors des plaidoiries, les demandeurs n’ont même pas abordé la question du caractère intentionnel de l’incendie.
[38] La Cour conclut donc au caractère intentionnel de l’incendie de l’Immeuble en date du 29 mars 2010.
L’implication des demandeurs dans le déclenchement de l’incendie
[39] Axa prétend que les demandeurs ont commis une faute intentionnelle en étant impliqués ainsi dans le déclenchement volontaire de l’incendie :
a) les demandeurs désiraient vendre l’Immeuble. Or, ils ne pouvaient plus le vendre au prix demandé avec profit, en raison du fait que la propriété voisine était devenue encombrée au fil des ans depuis l’achat en 2004 et qu’il y avait des chiens agressifs en liberté sur cette propriété. La mise en vente de l’Immeuble n’a généré aucune offre d’achat;
b) la situation financière des demandeurs s’était détériorée depuis que le demandeur avait perdu son emploi et touchait des prestations d’assurance-chômage, lesquelles se terminaient un mois plus tard en avril 2010. Les demandeurs avaient des obligations financières importantes causées par les immeubles dont ils étaient propriétaires. Le demandeur a d’ailleurs mis fin à son assurance-habitation pour son chalet situé au Lac-du-Cerf pour économiser;
c) au moment de l’incendie, la demanderesse n’allait plus à l’Immeuble et le demandeur y allait très rarement;
d) le demandeur a été vu avec son chien à l’Immeuble le matin de l’incendie, selon le témoignage de M. François Dagenais et Mme Angélique Levasseur, les voisins d’en face;
e) après avoir appris l’incendie de l’Immeuble le 30 mars 2010 quand la demanderesse le lui apprend en personne, au chalet de Nominingue, le demandeur ne s’est pas rendu immédiatement sur les lieux du feu. Il a plutôt terminé son déjeuner et est revenu à son domicile à Ste-Rose, Laval pour ensuite partir pour l’Immeuble. Il n’a appelé les policiers qu’après sa visite à l’Immeuble. Selon Axa, le demandeur aurait été réticent dans ses déclarations à cet égard;
f) en 2009, avant l’incendie, les demandeurs ont augmenté le montant de la couverture d’assurance pour les meubles de l’Immeuble;
g) l’absence d’entrée par effraction dans l’Immeuble constatée par les pompiers à leur arrivée démontre que le demandeur est impliqué dans l’incendie de l’Immeuble;
h) la valeur totale de l’indemnité d’assurance prévue à la police est de 172,000 $, un montant bien plus élevé que le prix de 89,000 $ demandé pour la vente de l’Immeuble; et
i) le fait que le demandeur ait mentionné uniquement à son fils qu’il n’avait pas accepté la proposition de la Sûreté du Québec de subir un test de polygraphe, sans en informer son épouse la demanderesse.
[40] Selon Axa, la demanderesse serait de connivence avec le demandeur. Ce faisant, selon Axa, les demandeurs ont mis le feu à l’Immeuble intentionnellement, ou ont demandé à quelqu’un de le faire pour eux, dans le but de toucher l’indemnité d’assurance-habitation.
[41] Les demandeurs réfutent tous ces 9 arguments, en insistant principalement sur le témoignage du demandeur, selon lequel il n’était pas sur les lieux le 29 mars 2010.
[42] Compte tenu ici des admissions quant au droit des demandeurs à l’indemnité d’assurance en vertu de la police d’assurance, la jurisprudence[15] indique que l’assureur qui invoque la faute intentionnelle de l’assuré a le fardeau de prouver que les dommages subis par son assuré résultent d’une faute intentionnelle de ce dernier. Cette preuve peut être directe ou par présomptions. Concernant les présomptions de fait, l’article 2849 CcQ s’applique :
Art. 2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.
[43] Dans son Traité des obligations[16], l’auteur Larombière explicite cette norme de « présomptions graves, précises et concordantes » dans les termes suivants :
« Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l’existence de l’un établit, par une induction puissante, l’existence de l’autre […].
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S’il était également possible d’en tirer les conséquences différentes et mêmes contraires, d’en inférer l’existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n’auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute ou l’incertitude.
Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu’il s’agit de prouver. Si elles se contredisent et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l’esprit du magistrat. »
[44] Plus récemment, le juge Pierre Tessier de la Cour supérieure et Monique Dupuis décrivent ainsi la question dans leur article « Les qualités et les moyens de preuve »[17] :
« Les présomptions invoquées s'apprécient en fonction du poids des probabilités et la partie demanderesse qui a le fardeau d'établir sa cause doit fournir une preuve prépondérante. Les faits mis en preuve doivent mener à une conclusion qui, sans être certaine, doit à tout le moins être probable, et non seulement possible. Les présomptions de faits sont laissées à l'appréciation du tribunal (art. 2849 C.c.Q.).
En vertu de l'article 2849 C.c.Q., le tribunal ne doit en effet prendre en considération que les présomptions de faits qui sont graves, précises et concordantes. Les faits sont graves lorsque le fait à déterminer s'infère logiquement du fait connu; ils sont précis lorsque le fait inconnu découle forcément du fait connu et ils sont concordants lorsque, ensemble, ils tendent à établir l'existence du fait inconnu. »
[45] Dans son ouvrage La preuve civile[18], Le professeur Royer résume ainsi la jurisprudence concernant la recevabilité de la preuve par présomption de fait :
« […]
Une présomption de fait ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures. Le fait inconnu qu'un plaideur veut établir ne sera pas prouvé, si les faits connus rendent plus ou moins vraisemblable un autre fait incompatible avec celui que l'on veut prouver ou s'ils ne permettent pas d'exclure raisonnablement une autre cause d'un dommage subi. Les indices connus doivent rendre probable l'existence du fait inconnu, sans qu'il soit nécessaire toutefois d'exclure toute autre possibilité. »
[46] La jurisprudence récente[19] sur les présomptions de fait en matière d’assurances est au même effet.
[47] La Cour doit décider selon la prépondérance des probabilités. En effet, comme l’édicte l’article 2804 CcQ, la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante.
[48] Enfin, la jurisprudence[20] est également à l’effet que, si la prépondérance de la preuve pointe vers une participation de l’assuré à un incendie volontaire, s’opère alors un renversement du fardeau de la preuve forçant celui-ci à donner des explications plausibles ou à écarter les éléments de preuve incriminants.
[49] Que révèle la preuve ici? La Cour passera en revue les 9 arguments de Axa et les évaluera globalement ensuite, afin de savoir si Axa a réussi à prouver par présomptions l’implication des demandeurs dans le déclenchement de l’incendie de l’Immeuble.
a) Le désir des demandeurs de vendre de l’Immeuble :
[50] La preuve démontre que les demandeurs désiraient vendre l’Immeuble. En 2008 et 2009, ils ont mis l’Immeuble en vente sur internet, au prix de 89,000 $. Ils ont utilisé les services de Mme Gisèle Dicaire, agent immobilier[21]. Mme Dicaire a indiqué que plusieurs acheteurs potentiels ont visité l’Immeuble, mais n’ont jamais fait d’offre, principalement à cause de l’état du terrain du voisin M. Antonio Scafuro et de la présence de chiens agressifs en liberté sur ce terrain. Le terrain de M. Scafuro est en effet encombré d’une multitude d’objets pêle-mêle[22], tels des enseignes, des pneus, des planches de bois, des résidus, des voitures plus ou moins abandonnées, une roulotte. Même si ces objets sont presqu’imperceptibles lorsqu’on se trouve dans l’Immeuble lui-même, ils sont excessivement visibles du reste du terrain des demandeurs et de la route.
[51] Bref, les demandeurs n’ont jamais reçu d’offre d’achat pour l’Immeuble. Le demandeur a reconnu[23] que l’état du terrain du voisin M. Scafuro était probablement la cause d’absence d’offres.
[52] Es-ce là un motif pour mettre le feu à l’Immeuble? La Cour est d’avis qu’en soi, ce motif ne mène à aucune conclusion en ce sens.
[53] La Cour indique en terminant sur cet élément qu’elle estime non fondés les reproches de Axa selon lesquels le demandeur, lors de ses interrogatoires avant le procès, n’aurait pas été transparent sur ses tentatives de vendre l’Immeuble et sur les locations de l’Immeuble. Une simple lecture des ces interrogatoires[24] démontre le contraire.
b) La situation financière des demandeurs
[54] La Cour va étudier les revenus et les dépenses des demandeurs, en fonction de la preuve.
[55] En mars 2010, le demandeur reçoit des prestations d’assurance-chômage. Il reçoit en plus des revenus de son immeuble à logements, estimés à 18,000 $ ou 19,000 $ par année. Le demandeur a recommencé à travailler en avril 2010. Il n’y a au dossier aucune preuve de ses revenus de travail à partir d’avril 2010, de ses revenus de chômage ou de ses revenus avant la période de chômage. Même la période de chômage du demandeur n’a pas été prouvée. Le montant des revenus de location de l’Immeuble et du chalet de Nominingue n’a pas non plus été mis en preuve. La Cour ne peut cependant ignorer que de tels revenus existent.
[56] En mars 2010, la demanderesse gagne entre 35,000 $ et 40,000 $ par année avant impôts et ce, depuis plusieurs années.
[57] Les versements annuels que les demandeurs doivent faire en 2010 sont les suivants :
- versements hypothécaires de l’Immeuble et taxes municipales : 4,380 $;
- versements hypothécaires de la résidence familiale à Laval : 1,440 $. Le montant des taxes municipales n’est pas en preuve;
- versements hypothécaires et taxes municipales pour l’immeuble à logements à Montréal : 11,920 $;
- versements hypothécaires et taxes municipales pour le chalet de Nominingue : 4,800 $;
- montant des primes d’assurances pour la résidence familiale, l’Immeuble et le chalet de Nominingue : 2,781.89 $[25]. Le montant des primes d’assurance de l’immeuble à logements à Montréal n’est pas en preuve;
TOTAL : 25,321.89 $
[58] Le demandeur a indiqué qu’il a cessé d’assurer son chalet du Lac-du-Cerf en juillet 2009, afin de diminuer ses dépenses.
[59] Aucune preuve de l’existence d’autres dettes des demandeurs n’a été faite, à l’exception du retard dans le paiement d’une portion des taxes municipales 2014 de l’Immeuble.
[60] Donc, selon la preuve, en 2010, les demandeurs gagnent au minimum 59,000 $ avant impôts et ont des dépenses au minimum de 25,321.89 $. Ces dépenses n’incluent pas l’électricité, la nourriture, les vêtements, les taxes municipales de la résidence familiale, les dépenses de transports, les loisirs.
[61] De l’avis de la Cour, les demandeurs n’étaient pas dans une situation financière précaire. Peut-être n’était-ce pas la situation rêvée, mais est-ce là un motif pour mettre le feu à l’Immeuble? La Cour est d’avis qu’en soi, ce motif ne mène à aucune conclusion en ce sens.
c) Le peu de fréquentation de l’Immeuble
[62] La preuve révèle qu’en mars 2010, le demandeur se rend à l’Immeuble à toutes les deux semaines, alors que la demanderesse n’y va plus.
[63] Es-ce là un motif pour mettre le feu à l’Immeuble? La Cour est d’avis qu’en soi, ce motif ne mène à aucune conclusion en ce sens.
[64] Le demandeur a indiqué[26] que la tonte du gazon de l’Immeuble prenait du temps l’été, mais il n’a aucunement mentionné que cela était un fardeau, une source de problèmes ou de désintéressement, contrairement aux arguments de Axa.
d) Où était le demandeur le jour de l’incendie?
[65] Il s’agit de la question la plus centrale à tout le débat. La preuve est contradictoire à cet égard.
[66] En preuve principale, le demandeur a témoigné que, le 29 mars 2010, il a passé la journée à son chalet de Nominingue. Il a affirmé qu’il est parti seul de son domicile de Laval vers 14h30, alors que la demanderesse était au travail, pour arriver à Nominingue vers 16h30. Il a dit alors avoir inspecté son terrain, et vu passer un cycliste sur la rue. Enfin, il a indiqué avoir soupé seul, regardé la télévision et s’être couché vers 23h00. Le demandeur n’a pas de téléphone cellulaire et le chalet de Nominingue n’a pas de ligne téléphonique, de sorte que le demandeur n’était pas rejoignable pendant toute la journée du 29 mars 2010.
[67] La défense a fait témoigner M. François Dagenais et son épouse Mme Angélique Levasseur, les voisins d’en face de l’Immeuble, qui donnent la même version des faits. Ils ont indiqué que, la matin de l’incendie, vers 9h00,10h00 ou 10h30, ils ont vu le demandeur arriver en voiture à l’Immeuble, se stationner dans l’entrée, marcher avec son chien vers l’Immeuble et discuter ensuite avec son voisin, M. Antonio Scafuro. M. Dagenais et Mme Levasseur ont vu le demandeur au travers des vitres de leur maison, alors qu’ils s’apprêtaient à aller faire des commissions, après le départ de leur fils à l’école.
[68] En contre-preuve, la demande a fait témoigner M. Antonio Scafuro, le voisin de l’Immeuble, ainsi que sa conjointe Mme Mario Lupacchino et son ancienne conjointe Mme Maria Raitano, lesquels ont tous affirmé que M. Scafuro n’était pas à Entrelacs le 29 mars 2010, mais plutôt à Montréal au domicile de Mme Lupacchino. Mme Raitano est l’ancienne conjointe de M. Scafuro et, en mars 2010, ils sont déjà séparés, ne vivent plus ensemble et ont un garçon de 2 ans; ils sont cependant co-propriétaires d’un véhicule, qu’ils se partagent. Selon ces trois témoins, qui ont tous la même version des faits, Mme Raitano a conduit M. Scafuro à Montréal le dimanche 28 mars 2010 pour que ce dernier se rende chez sa nouvelle conjointe, Mme Lupacchino, afin de visiter cette dernière et leur nouveau bébé de 2 mois. Selon ces témoins, M. Scafuro a couché chez Mme Raitano le soir du 28 mars 2010 et, a passé la journée du 29 mars 2010 chez Mme Raitano avec leur bébé. Mme Raitano est venue chercher M. Scafuro avec leur automobile vers 16h30 ou 17h00, avant le souper, pour le reconduire à Entrelacs, en compagnie de leur garçon et de sa mère. Toujours selon ces témoins, ils sont arrivés vers 17 h30 ou 18h00 chez M. Scafuro à Entrelacs, et Mme Raitano et sa mère sont reparties vers 18h30 ou 19h00 pendant les nouvelles télévisées, en laissant le garçon à M. Scafuro, dont c’était la semaine de garde. En partant, Mme Raitano n’a vu aucun feu à l’Immeuble, ni même trace d’activité, ni de lumière dans l’Immeuble. Elle a aussi remarqué qu’il n’y avait aucun véhicule stationné dans l’entrée de l’Immeuble et que la chaîne sur le pont des demandeurs était mise en place.
[69] Quinze ou vingt minutes après le départ de Mme Raitano et sa mère, M. Scafuro a appelé Mme Raitano sur son téléphone cellulaire pour lui demander si elle n’a pas vu de fumée ou de flammes à l’Immeuble, car il indique que ce dernier est maintenant en feu. M. Scafuro appelle ensuite Mme Lupacchino pour lui faire part du feu, ce qui inquiète cette dernière, celle-ci craignant que le feu ne se propage à la maison de M. Scafuro. Ce dernier l’informe qu’il n’y a pas de danger.
[70] Mme Lupacchino atteste se rappeler que la visite de M. Scafuro à Montréal chez elle a eu lieu la journée de l’incendie, à cause de l’inquiétude qu’elle a eu pour son conjoint. Mme Raitano dit se rappeler que la visite de M. Scafuro à Montréal chez elle s’est déroulée la journée de l’incendie, puisqu’il s’agissait de la journée où ils échangeaient la garde de leur fils. Dans son témoignage, Mme Raitano a été très catégorique à l’effet qu’en 2010, les changements de garde se faisaient le jeudi ou le vendredi. Or, la Cour rappelle que le 29 mars 2010 était un lundi. M. Scafuro n’indique pas la raison spécifique pour laquelle il se rappelle de ces événements.
[71] Que retenir de cette preuve totalement contradictoire? Il s’agit essentiellement d’une question de crédibilité.
[72] Le demandeur indique qu’il était à Nominingue le 29 mars 2010, alors que M. Dagenais et Mme Levasseur indiquent l’avoir vu le matin marcher sur son terrain à Entrelacs et parler à son voisin M. Scafuro. Or, M. Scafuro, Mme Lupacchino et Mme Raitano mentionnent que M. Scafuro était à Montréal le 29 mars 2010.
[73] Les témoignages de M. Dagenais et Mme Levasseur sont très catégoriques et remplis de plusieurs détails concordants : ils ont vu le demandeur le matin du 29 mars parler avec M. Scafuro. La Cour ne peut conclure qu’ils auraient pu voir le demandeur sur son terrain à une date donnée et que la conversation avec M. Scafuro aurait eu lieu à une autre date. La Cour doit retenir ces deux témoignages au complet ou pas du tout.
[74] La preuve révèle une querelle de voisin entre M. Dagenais et M. Scafuro, laquelle a des proportions titanesques et dure depuis l’arrivée de M. Dagenais en 2006. Les deux ont témoigné que chacun a fait des menaces de mort à l’autre et que chacun a fait des menaces de mettre le feu à la maison de l’autre. M. Scafuro a indiqué que M. Dagenais avait fait un signalement à la direction de la protection de la jeunesse quant à ses enfants. M. Scafuro a mentionné que M. Dagenais a fait plusieurs plaintes à la municipalité d’Entrelacs concernant l’état de son terrain, ses chiens et l’état de son pont piétonnier. M. Dagenais a affirmé que M. Scafuro a battu ses enfants et a violenté Mme Raitano. Mme Raitano a confirmé qu’elle a été agressée une fois par M. Scafuro et a dû aller se réfugier chez M. Dagenais pour faire des appels téléphoniques.
[75] La preuve révèle que M. Scafuro a eu plusieurs démêlés avec la justice :
- En 1995, il a été déclaré coupable de recel;
- En 2003, il a été déclaré coupable d’avoir troublé l’ordre public et s’est engagé à garder la paix à l’égard d’une femme;
- En 2007, 2010 et 2010, il a été accusé d’Intimidation, voie de fait et menaces de mort, et il a été acquitté de toutes ces accusations. La poursuite alléguait que certains de ces actes étaient à l’endroit de M. Dagenais ou de Mme Levasseur ou le maire de la municipalité d’Entrelacs;
- M. Scafuro a été poursuivi plusieurs fois au civil par la municipalité d’Entrelacs pour diverses violations de la réglementation municipale sur les ponts et les chiens, mais la preuve révèle que M. Scafuro a gagné toutes ces causes;
- M. Scafuro a déposé des poursuites civiles contre M. Dagenais, Mme Levasseur et la ville d’Entrelacs pour divers propos racistes et discriminatoires. Aucune décision n’a encore été rendue.
[76] Pour sa part, M. Dagenais a indiqué n’avoir aucun dossier criminel. Il a cependant fait l’objet d’une poursuite criminelle pour menaces envers M. Scafuro, dont il a été acquitté.
[77] M. Scafuro a témoigné qu’il a quatre chiens et a installé sur son terrain des caméras de surveillance avec micros, le tout afin de se protéger de M. Dagenais.
[78] La preuve a aussi révélé que M. Dagenais a toujours été intéressé depuis 2006 à acheter l’Immeuble, afin de pouvoir avoir un accès direct et privé à la rivière Venne et de pouvoir soit rénover la bâtisse ou séparer le lot pour en vendre la partie de l’autre côté de la rivière. M. Dagenais n’a pas fait d’offre d’achat en 2008 et en 2009, car le prix de 89,000 $ demandé par les demandeurs était trop élevé selon lui. Après l’incendie, M. Dagenais a contacté le demandeur pour lui acheter l’Immeuble au prix de 10,000 $, offre qu’a refusé le demandeur qui demandait 20,000 $.
[79] Enfin, la preuve révèle que les demandeurs n’avaient aucun conflit avec leurs voisins M. Dagenais ou M. Scafuro.
[80] La Cour conclut que M. Dagenais et M. Scafuro se haïssent et se veulent du mal. La preuve ne démontre pas que les demandeurs soient impliqués dans les chicanes de ces deux voisins. D’un côté, de l’avis de la Cour, M. Dagenais et Mme Levasseur ont tout intérêt à indiquer que le demandeur a discuté avec M. Scafuro le jour de l’incendie, afin de soulever des doutes quant à une implication potentielle de M. Scafuro dans l’incendie de l’Immeuble. Cela fait partie de la querelle titanesque décrite ci-haut. De l’autre côté, M. Scafuro a intérêt à ne pas être mêlé à cette histoire d’incendie, compte tenu de ses autres démêlés avec la justice et la municipalité d’Entrelacs. De plus, le témoignage de Mme Raitano est imprécis sur la journée où M. Scafuro serait allé à Montréal chez Mme Lupacchino : elle dit de façon catégorique qu’il s’agissait de la journée où ils échangeaient la garde de leur fils, ce qui se passait en 2010 le jeudi ou le vendredi. Or, la Cour rappelle encore ici que le 29 mars 2010 était un lundi. Aussi, elle situe l’incendie avec des flammes vives vers 18h50 ou 19h20, au moment où M. Scafuro l’appelle sur son téléphone cellulaire, alors que la preuve est à l’effet que l’incendie a débuté vers 20h00[27]. Enfin, les pompiers n’ont pas indiqué qu’il y avait une chaîne sur le pont piétonnier de l’Immeuble à leur arrivée.
[81] Par ailleurs, les demandeurs ont argumenté que l’incendie de l’Immeuble profitait à M. Dagenais, car ce dernier pourrait alors pouvoir acheter le terrain, à un prix réduit.
[82] La Cour conclut que les témoignages de M. Dagenais et de son épouse Mme Levasseur quant à la présence du demandeur à l’Immeuble le 29 mars 2010 ne peuvent être retenus. La Cour conclut aussi que les témoignages de M. Scafuro, Mme Lupacchino et Me Raitano quant à la date de la visite à Montréal ne peuvent être retenus. La Cour est songeuse quant à tous ces témoins.
[83] De l’avis de la Cour, tous ces éléments de preuve ne mènent pas à des présomptions précises ou concordantes au sens de l’article 2849 CcQ. Il est en effet possible ici de tirer de ces témoignages des conséquences différentes et même contraires, quant à la présence ou non du demandeur sur les lieux le 29 mars 2010. Le caractère de précision n’est pas présent; la preuve ne fait naître que le doute ou l’incertitude.
[84] Les présomptions ne sont pas non plus concordantes, puisque les versions des faits sont différentes et ne tendent aucunement, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu’il s’agit de prouver. Puisqu’elles se contredisent et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute entre dans l’esprit de la Cour.
[85] Bref, les témoignages de M. Dagenais, Mme Levasseur, M. Scafuro, Mme Raitano et Mme Lupacchino ne peuvent donner lieu à la présomption de fait selon laquelle le demandeur était présent à l’Immeuble le 29 mars 2010. La présence du demandeur que veut prouver Axa n’est pas prouvée par présomptions puisque les faits connus rendent plus ou moins vraisemblable un autre fait incompatible avec celui que Axa veut prouver et ils ne permettent pas d'exclure raisonnablement une autre présence physique du demandeur. Bref, la présence du demandeur à l’Immeuble le 29 mars 2010 est seulement possible, mais cela n’est pas suffisant : sa présence n’est pas probable, à la lumière de la preuve présentée en défense.
[86] Que reste-t-il donc dans la preuve? La Cour retient le témoignage du demandeur selon lequel il était à Nominingue le 29 mars 2010. Il n’y a par ailleurs aucun élément de preuve selon lequel le demandeur, bien qu’étant à Nominingue, aurait demandé à quelqu’un d’autre de mettre le feu à l’Immeuble. Bien que les demandeurs se soient retrouvés bien malgré eux pris dans une querelle entre voisins, rien dans la preuve ne permet de conclure qu’ils ont mis le feu ou fait mettre le feu à l’Immeuble puisqu’ils n’ont pas réussi à le vendre au prix de 89,000 $.
[87] Bref, la conclusion de la Cour sur ce motif ne soutient aucunement la faute intentionnelle des demandeurs, au contraire.
e) Le comportement peu empressé du demandeur et les prétendues réticences
[88] Axa reproche au demandeur de ne pas avoir été empressé de se rendre à l’Immeuble suite à l’arrivée de la demanderesse à Nominingue pour lui faire part de l’incendie. Il est vrai que le demandeur ne s’est pas rendu immédiatement sur les lieux. Il a plutôt terminé son déjeuner.
[89] Il est également été prouvé que le demandeur a alors indiqué à la demanderesse qu’il allait se rendre directement à l’Immeuble. Or, en chemin, le demandeur a indiqué qu’il a changé d’idée et a alors décidé de passer par son domicile de Laval, même si cela prend davantage de temps, environ 1 heure de plus de route. Il dit qu’il devait aller aux toilettes, pour cause reliée à la prostate.
[90] Une fois arrivé à son domicile de Laval, le demandeur contacte son courtier en assurances à deux reprises à 14h19 et 14h22, pour l’informer de l’incendie. Il n’appelle personne d’autre à ce moment. Il quitte ensuite son domicile de Laval et se rend à l’Immeuble. À son retour à son domicile de Laval à l’heure du souper, le demandeur téléphone à la Sûreté du Québec à Rawdon, à 18h03.
[91] Est-ce là un comportement étrange, menant à la conclusion que le demandeur a mis le feu à l’Immeuble ou a demandé à quelqu’un d’y mettre le feu? La Cour y voit simplement les gestes d’une personne bouleversée par un événement tragique, sans plus.
[92] En réalité, la base de ce reproche de Axa à l’endroit du demandeur est qu’elle estime que ce dernier lui a caché qu’il était passé par son domicile de Laval avant de se rendre à l’Immeuble. Or, au procès, le témoignage du demandeur est très clair en ce sens et ne contient pas de telles cachettes, tout comme l’interrogatoire du demandeur du 21 janvier 2011[28] : il est passé par sa maison de Laval. De plus, l’interrogatoire du demandeur du 1er avril 2010[29] démontre qu’on ne lui a pas posé la question de façon directe et précise; la Cour ne voit aucune réticence du demandeur.
[93] Enfin, Axa a fait grand état du fait que le demandeur ne se rappelle plus s’il avait son chien avec lui le 29 mars 2010, alors qu’il voyage toujours en sa compagnie et que la demanderesse a indiqué que le demandeur devait avoir son chien avec lui à cette date. La Cour comprend l’argument de Axa, mais estime qu’il s’agit d’un détail tout à fait secondaire, et qu’il est normal que le demandeur ne se rappelle plus de cet élément, dû à la nervosité et l’enjeu.
f) Augmentation de la couverture d’assurance pour les meubles de l’Immeuble en 2009
[94] En 2009, avant l’incendie, les demandeurs ont augmenté la couverture d’assurance pour les meubles de l’Immeuble, la faisant passer de 5,000 $ à 20,000 $[30]. Aucun élément de preuve n’est venu expliquer ce fait.
[95] Es-ce là un motif pour mettre le feu à l’Immeuble? La Cour est d’avis qu’en soi, ce motif ne mène à aucune conclusion en ce sens.
g) Absence d’effraction
[96] Selon Axa, l’absence d’entrée par effraction dans l’Immeuble démontre que le demandeur est impliqué dans l’incendie de l’Immeuble. La Cour est en désaccord avec cet argument.
[97] Les pompiers ont constaté que la porte-patio située en avant de la véranda n’avait pas de trace d’effraction et était verrouillée de l’intérieur. Cependant, ils n’ont pas pu vérifier l’état de la fenêtre qui est située un peu plus loin sur la véranda, ni n’ont pu vérifier l’état de la porte arrière de l’Immeuble, à cause de la force des flammes.
[98] De plus, l’Immeuble a été loué deux fois en 2008 et 2009, de sorte que les demandeurs ont dû remettre une copie des clés aux locataires. Quelqu’un aurait pu en faire d’autres copies.
[99] Enfin, même si la preuve révèle que les traces de pas menaient uniquement du pont piétonnier à la véranda et qu’il n’y avait aucune trace de pas sur les côtés de l’Immeuble, il est toujours possible qu’une personne soit rentrée dans l’Immeuble par l’arrière, en provenance d’un autre terrain voisin, sans jamais passer par les côtés. Il n’y a aucune preuve selon laquelle le pont piétonnier serait l’unique accès à l’Immeuble; la preuve est plutôt à l’effet que le pont piétonnier est le seul accès en provenance de la route, le boulevard Pauzé.
h) La valeur de l’indemnité d’assurance
[100] Axa argumente que les demandeurs avaient intérêt à ce que leur Immeuble brûle, puisque la valeur totale potentielle de l’indemnité d’assurance prévue à la police d’assurance[31] est de 172,000 $, un montant bien plus élevé que le prix de 89,000 $ demandé pour la vente de l’Immeuble.
[101] Aucun élément de preuve ne vient soutenir cet argument.
[102] La Cour est d’avis qu’il s’agit ici d’un argument qui milite en faveur de la thèse de Axa.
i) La question du polygraphe
[103] La preuve[32] démontre que le demandeur a mentionné uniquement à son fils ne pas avoir accepté la proposition de la Sûreté du Québec de subir un test de polygraphe, sans en informer son épouse la demanderesse. Axa prétend qu’il s’agit là d’un comportement étrange du demandeur.
[104] Peut-être est-ce là un comportement étrange, mais, de l’avis de la Cour, ce fait ne mène à aucune conclusion en soi.
Évaluation globale
[105] Selon la Cour, pris individuellement, aucun des 9 arguments présentés par Axa ne milite en faveur de l’établissement de présomptions selon lesquelles les demandeurs auraient participé à l’incendie de l’Immeuble, sauf l’élément h) relié à la valeur de l’indemnité d’assurance. Or, cet élément en soi n’est aucunement déterminant. Lorsque pris collectivement, les arguments de Axa ne résistent pas et ne démontrent aucune présomption de faute intentionnelle des demandeurs.
[106] La Cour conclut donc que les demandeurs n’ont pas commis une faute intentionnelle à l’origine de l’incendie qui a détruit l’Immeuble. Axa doit donc leur verser une indemnité d’assurance, dont le montant sera étudié ci-après.
2) Dans la mesure où seul le demandeur a commis une faute intentionnelle, l’indemnité d’assurance doit-elle être remise à la demanderesse et, si oui, Axa peut-elle réclamer au demandeur paiement de cette indemnité aux termes de l’article 2464 CcQ?
[107] Compte tenu de la conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas commis de faute intentionnelle, la Cour n’a pas à aborder la question 2, soulevée dans la demande reconventionnelle de Axa, qui sera rejetée. La Cour émettra cependant un obiter dictum.
[108] Si la Cour en était venue à la conclusion que seule la demanderesse devait être indemnisée, et non pas le demandeur, Axa aurait pu réclamer au demandeur paiement de cette indemnité aux termes de l’article 2464 CcQ. Cette disposition se lit ainsi :
2464. L'assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou par la faute de l'assuré, à moins qu'une exclusion ne soit expressément et limitativement stipulée dans le contrat. Il n'est toutefois jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l'assuré. En cas de pluralité d'assurés, l'obligation de garantie demeure à l'égard des assurés qui n'ont pas commis de faute intentionnelle.
Lorsque l'assureur est garant du préjudice que l'assuré est tenu de réparer en raison du fait d'une autre personne, l'obligation de garantie subsiste quelles que soient la nature et la gravité de la faute commise par cette personne. (soulignements ajoutés)
3) Le montant d’indemnité d’assurance doit-il être réduit en raison de l’absence de déclaration par les demandeurs de la location occasionnelle de leur Immeuble?
[109] Les parties ont admis, sous réserve de la présente question, que le montant de l’indemnité d’assurance est de 161,150 $, c’est-à-dire la valeur du bâtiment de 150,000 $ et la valeur de son contenu de 11,150 $. Ce montant doit-il être réduit?
[110] Axa prétend que les demandeurs ont fait défaut de dévoiler ce risque, de sorte que la prime annuelle d’assurance pour l’Immeuble aurait dû être d’un montant de 1,475 $ au lieu du montant de 960 $. Puisque l’assureur a reçu dans les faits paiement de 65% de la valeur de la prime qui aurait dû être payée, Axa argumente que l’indemnité d’assurance due devrait être un montant qui représente 65% de 161,150 $, soit 104,747.50 $.
[111] La preuve a révélé que, de 2008 à 2010, les demandeurs ont offert la location de l’Immeuble sur internet. Ils l’ont finalement loué en 2009, pour 2 semaines, et en 2010, pour 3 semaines. Les demandeurs n’ont pas alors déclaré l’existence de ces locations à Axa. Le demandeur a expliqué qu’il n’était pas au courant qu’il devait faire une telle déclaration, puisque les communications écrites de Axa ne le spécifiaient pas.
[112] Les lettres[33] du courtier d’assurances aux demandeurs concernant les déclarations que doivent faire les assurés d’assurance-habitation ne mentionnent pas la location comme élément à déclarer. Cependant, il ne s’agit pas là d’une excuse légitime.
[113] En effet, il est clair et même non contesté par les demandeurs que ces derniers avaient l’obligation de déclarer l’existence de ces locations de l’Immeuble à Axa, puisqu’il s’agit d’une aggravation de risque au sens de l’article 2466 CcQ. Ne l’ayant pas fait, les articles 2411 et l’alinéa 2 de l’article 2466 CcQ s’appliquent :
2411. En matière d'assurance de dommages, à moins que la mauvaise foi du preneur ne soit établie ou qu'il ne soit démontré que le risque n'aurait pas été accepté par l'assureur s'il avait connu les circonstances en cause, ce dernier demeure tenu de l'indemnité envers l'assuré, dans le rapport de la prime perçue à celle qu'il aurait dû percevoir.
2466. L'assuré est tenu de déclarer à l'assureur, promptement, les circonstances qui aggravent les risques stipulés dans la police et qui résultent de ses faits et gestes si elles sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l'établissement du taux de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de maintenir l'assurance.
Lorsque l'assuré ne remplit pas cette obligation, les dispositions de l'article 2411 s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. (soulignements ajoutés)
[114] Quelle réduction de l’indemnité d’assurance la Cour doit-elle retenir?
[115] Selon les demandeurs, la Cour ne peut retenir la prétention de Axa selon laquelle la prime annuelle d’assurance pour l’Immeuble aurait dû être d’un montant de 1,475 $ au lieu du montant de 960 $, n’eut été de la déclaration. Les demandeurs argumentent que cette augmentation est déraisonnable et ne tient aucunement compte du risque réel relié à la location de l’Immeuble pour 2 ou 3 semaines par année. En conséquence, prétendent les demandeurs, Axa n’aurait droit à aucune réduction de l’indemnité d’assurance. Les demandeurs n’ont pas présenté de preuve à cet égard.
[116] Axa a fait témoigner Mme France Janson Grenon, souscripteure principale chez Axa en 2010, et a mis en preuve la documentation établissant le risque et la nouvelle prime[34]. Ce témoignage révèle que la prime annuelle d’assurance pour l’Immeuble en 2008, 2009 et 2010 aurait dû être d’un montant de 1,475 $ au lieu du montant de 960 $, soit une différence de 65%. Ainsi, selon Mme Grenon, puisque Axa a reçu paiement de 65% de la valeur de la prime qui aurait dû être payée, l’indemnité d’assurance due devrait être un montant qui représente 65% de l’indemnité prévue à la police d’assurance.
[117] Mme Grenon a clairement indiqué que la prime ainsi augmentée est au même montant, peu importe le nombre de semaines de location, que ce soit 2 ou 3, comme l’ont fait les demandeurs, ou même 10 ou plus. Il s’agit d’une question de risque, l’assureur ne pouvant alors évaluer les circonstances factuelles entourant les locataires, dont il ignore tout, contrairement au cas des assurés.
[118] La Cour mentionne de nouveau que les demandeurs n’ont offert aucune preuve pour supporter leur argument du caractère déraisonnable Leur contre-interrogatoire de Mme Grenon n’a pas non plus affecté la crédibilité de cette dernière.
[119] Dans ces circonstances, la Cour ne peut retenir l’argument des demandeurs, qui est somme toute pure spéculation, non appuyée sur des faits. La Cour ne possède aucun élément pour déterminer si la prime augmentée est déraisonnable ou non. De plus, les demandeurs n’ont invoqué aucune base légale à leur argument.
[120] La Cour retient donc la seule preuve présentée sur la question de la réduction de l’indemnité d’assurance, soit celle de Axa.
[121] Ainsi, la prime annuelle d’assurance pour l’Immeuble aurait dû être d’un montant de 1,475 $ au lieu du montant de 960 $. Puisque l’assureur a reçu dans les faits paiement de 65% de la valeur de la prime qui aurait dû être payée, l’indemnité d’assurance due doit être un montant qui représente 65% du quantum admis de 161,150 $, soit un montant de 104,747.50 $.
[122] Pour établir le montant final d’indemnité d’assurance, la Cour doit déduire de ce montant de 104,747.50 $ une franchise de 1,000 $, tel que prévu aux termes de la police d’assurance[35]. Le montant final d’indemnité d’assurance auquel les demandeurs ont droit est donc de 103,747.50 $.
4) Dans la mesure où la Cour est d’avis qu’il n’y a aucune faute intentionnelle de la part des demandeurs, ces derniers ont-ils droit à des dommages pour stress et inconvénients reliés au refus de paiement de l’indemnité d’assurance par Axa?
[123] Puisqu’il n’y a aucune faute intentionnelle de leur part, les demandeurs réclament de Axa une somme 50,000 $ pour les dommages suivants qu’ils allèguent avoir subis :
- Un montant de 1,022.45 $[36] qu’ils ont dû débourser pour qu’un évaluateur spécialisé fasse une estimation de la valeur totale de reconstruction de l’Immeuble; et
- Stress et inconvénients reliés au refus de paiement de l’indemnité d’assurance, aux insinuations de Axa selon lesquelles ils seraient des criminels et au fait qu’ils n’ont pu assurer aucun de leurs immeubles depuis la naissance du présent litige.
[124] La preuve révèle que les demandeurs ont payé ce montant de 1,022.45 $. Cependant, il ne s’agit pas d’un montant qui peut être considéré comme un dommage, puisque l’établissement de la valeur totale de reconstruction de l’Immeuble incombe aux assurés en vertu de la police d’assurance[37]. Le fait qu’il y ait eu le présent litige ne change rien à cette obligation.
[125] Par ailleurs, la preuve au procès a aussi révélé que les demandeurs ont subi un stress important et plusieurs inconvénients reliés au refus de paiement de l’indemnité d’assurance par Axa, par les insinuations de Axa selon lesquelles ils seraient des criminels et au fait qu’ils n’ont pu assurer aucun de leurs immeubles depuis la naissance du présent litige. Ces dommages sont prouvés.
[126] Y a-t-il cependant faute de la part de Axa? La Cour estime que non.
[127] La Cour fait le parallèle avec la décision Turpin c. Optimum Assurances agricoles Inc.[38], dans laquelle le juge Pierre Dallaire de la Cour supérieure s’exprime ainsi :
« [173] Par conséquent, l’assureur n’a tout simplement pas réussi à convaincre le Tribunal de l’existence de présomptions « graves, précises et concordantes» qui sont laissées à l'appréciation du juge par le Code civil du Québec.
[174] Ceci ne veut pas dire que l’assureur a été téméraire ou irresponsable en portant la question devant le Tribunal. Il n’y a aucun doute qu’il y a en l’espèce plusieurs faits qui peuvent justifier des doutes à l’égard de l’assuré et il n’est pas déraisonnable, à la lumière de ces éléments, d’avoir voulu une appréciation judiciaire de la situation. » (italiques dans l’original; soulignements ajoutés)
[128] Dans le présent dossier, Axa n’a pas commis de faute en adoptant la défense qu’elle a prise et en menant le dossier jusqu’à procès. En effet, une appréciation judiciaire de la conduite des demandeurs et de celle de tous les acteurs en présence était justifiée. La longueur du présent jugement et le détail de l’analyse des témoignages des demandeurs et de ceux de M. Dagenais, Mme Levasseur, M. Scafuro, Mme Raitano et Mme Lupacchino le démontrent.
[129] La Cour va donc rejeter le recours en dommages des demandeurs.
CONCLUSION
[130] La Cour va donc accueillir en partie le recours des demandeurs et rejeter la défense et la demande reconventionnelle de Axa.
[131] Comte tenu de la nécessité de détermination judiciaire des faits du présent dossier, chaque partie assumera le paiement de ses dépens[39], comme ce fut le cas dans la décision Turpin c. Optimum Assurances agricoles Inc.[40].
[132] Le point de départ du calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle sera le 30 juin 2011, date de la réception par Axa de la mise en demeure des demandeurs[41].
[133] Enfin, la Cour mentionne qu’elle n’a pas à se prononcer sur une objection plaidée par Axa lors des plaidoiries. Lors de l’interrogatoire de la demanderesse en chef au procès, Axa s’est objectée à ce que cette dernière réponde à la question de savoir si elle croyait que son mari le demandeur avait mis le feu à l’Immeuble ou était impliqué dans l’incendie, au motif qu’il s’agit d’une question soit non pertinente ou soit d’opinion. La Cour avait alors permis la réponse, sous réserve de cette objection. La Cour mentionne qu’elle n’a pas du tout tenu compte de la réponse de la demanderesse dans son analyse de la preuve et dans son raisonnement, comme le démontre le présent jugement. La Cour ne se prononcera donc pas sur cette objection, devenue sans objet.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[134] ACCUEILLE en partie la Requête introductive d’instance des demandeurs;
[135] REJETTE la Défense et la Demande reconventionnelle de la défenderesse;
[136] ACCUEILLE en partie le recours des demandeurs à l’encontre de la défenderesse pour paiement d’indemnité d’assurance-habitation;
[137] CONDAMNE la défenderesse à payer aux demandeurs, dans les 30 jours du présent jugement, la somme de 103,747.50 $ à titre d’indemnité d’assurance-habitation, avec intérêts et indemnité additionnelle depuis le 30 juin 2011;
[138] REJETTE le recours en dommages des demandeurs à l’encontre de la défenderesse;
[139] LE TOUT SANS FRAIS.
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__________________________________ DONALD BISSON, J.C.S. |
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Me Nathalie Darveau-Langevin |
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Bougie Laframboise, avocats |
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Avocate des demandeurs |
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Me Bertrand Paiement |
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Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, S.E.N.C.R.L. |
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Avocat de la défenderesse |
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Date d’audience : |
16 au 18 septembre 2014 |
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[1] Acte de vente, Pièce P-1.
[2] Police d’assurance no. 01-028-955, Pièce P-2 en liasse. Le courtier en assurances des demandeurs est le Groupe Lyras.
[3] Le rapport d’incendie du Service des Incendies de la municipalité d’Entrelacs, Pièce D-13, mentionne que les pompiers ont été appelés à 20h23. L’heure de début et de fin de l’incendie n’est pas en jeu ici : l’incendie a débuté vers 20h00.
[4] Voir registre des appels du demandeur, Pièce D-17.
[5] Idem à la note précédente.
[6] Pièce P-2 en liasse.
[7] St-Maurice compagnie d’assurance c. St-Gabriel-de-Brandon (Ville), REJB 2002-35922 (C.S.), par. 226 et 227.
[8] Lumbermen’s Mutual Insurance Co. C. RCA Ltée, [1984] J.Q. no. 48, [1984] R.D.J. 523 (C.A.), par. 26.
[9] Témoignage du pompier Patrik Rettinger, alors capitaine intérimaire du Service des Incendies de la municipalité d’Entrelacs.
[10] Pièce D-15.
[11] Par exemple, cigarettes, chandelles, poêle à bois, enfants jouant avec le feu.
[12] Voir analyse chimique du chimiste M. Fred J. Ablenas, Annexe C du rapport de l’expert Thériault, Pièce D-15, et rapport de M. Jean Brazeau, chimiste, daté du 27 avril 2010, Pièce D-16 produite par Axa. M. Brazeau n’a pas témoigné au procès, son rapport et ses conclusions ayant été admises par les demandeurs.
[13] Interrogatoire du demandeur par M. Marc Demers, 30 juin 2010, Pièce D-2, au pp. 61 à 64.
[14] Voir analyse du chimiste M. Ablenas, précitée, note 12.
[15] Noël c. L’Union canadienne, compagnie d’assurances, C.S. Trois-Rivières 400-05-003391-019, 15 septembre 2005, j. Taschereau, par. 14 à 20.
[16] Larombière, Traité des obligations, 1885, Tome 7, p. 215, cité dans l’arrêt Longpré c. Thériault, [1979] C.A. 258 (C.A.), p. 262.
[17] Dans Preuve et procédure, vol. 2, Collection de droit 2010-2011, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 332, cité avec approbation par la Cour d’appel dans l’arrêt Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa c. Gingras, 2011 QCCA 740 (C.A.), au par. 44.
[18] 4e édition, Éditions Yvon Blais, 2008, au par. 842, à la p. 742.
[19] Centre de développement familial provincial (1978) Inc. c. Axa Assurances Inc., 2007 QCCS 4899 (C.S.), au par. 40 à 46; Trudeau c. Axa Assurances Inc., 2014 QCCS 2112 (C.S.), au par. 143.
[20] Centre de développement familial provincial (1978) Inc. c. Axa Assurances Inc., précité, note 20, au par. 46.
[21] Voir contrat de courtage immobilier, en vigueur du 16 avril 2008 au 1er juin 2009, Pièces D-10 et D-11, et annonces sur le web, Pièces D-8 et D-9.
[22] La preuve présentée au procès est non contredite sur ce point. Voir à titre d’illustration les photographies des lieux, photos nos. 4 à 8, 34, 45 et 47de la Pièces D-6 en liasse.
[23] Interrogatoire du demandeur par M. Marc Demers, 30 juin 2010, Pièce D-2, pp. 37 et 38.
[24] Interrogatoire du demandeur par M. Claude Beauséjour, 1er avril 2010, Pièce D-1; interrogatoire du demandeur par M. Marc Demers, 30 juin 2010, Pièce D-2; interrogatoire du demandeur par Me Paiement, 21 janvier 2011, Pièce D-3.
[25] Voir calendrier 2009-2010 de prélèvements des primes d’assurance, Police no. 01-028-955, Pièce P-2 en liasse.
[26] Interrogatoire du demandeur par Me Paiement, 21 janvier 2011, Pièce D-3, p. 36.
[27] M. Dagenais a indiqué qu’il a vu un peu de fumée vers 20h00, puis des flammes peu après, et a ensuite appelé les pompiers (à 20h23 selon le rapport d’incendie du Service des Incendies de la municipalité d’Entrelacs, Pièce D-13).
[28] Interrogatoire du demandeur par Me Paiement, 21 janvier 2011, Pièce D-3, au pp. 101 à 104.
[29] Interrogatoire du demandeur par M. Claude Beauséjour, 1er avril 2010, Pièce D-1, au pp. 19 à 22.
[30] Voir relevés contenus à la Police no. 01-028-955, Pièce P-2 en liasse, et interrogatoire du demandeur par M. Marc Demers, 30 juin 2010, Pièce D-2, au pp. 78 et 79.
[31] Pièce P-2 en liasse.
[32] Interrogatoire du demandeur par Me Paiement, 21 janvier 2011, Pièce D-3, au pp. 114 et 115.
[33] Lettre du courtier d’assurance du 2 octobre 2008, Pièce P-13, et lettre du courtier d’assurance du 28 octobre 2009, Pièce P-2 en liasse.
[34] Voir le résultat des calculs, Pièce D-14, et les calculs eux-mêmes, Pièce D-14A.
[35] Pièce P-2 en liasse.
[36] Voir facture de l’évaluateur Philippe Loyer & Associés du 11 novembre 2010, Pièce P-7.
[37] Pièce P-2 en liasse.
[38] 2010 QCCS 6377 (C.S.), au par. 173 et 174.
[39] La Cour note ici pour fins d’exhaustivité d’analyse que la preuve a démontré que les honoraires de l’expert de Axa s’établissement au montant de 19,043.40 $. Voir les deux notes d’honoraires de l’expert des défenderesses, M. Alain Thériault, aux montants respectifs de 4,351.23 $ (facture du 30 mars 2012, Pièce D-15B en liasse) et 6,307.91 $ (facture du 9 juin 2010, Pièce D-15B en liasse), ainsi qu’une troisième note que l’expert n’a pas encore préparée en format papier mais qu’il a décrite en témoignage comme étant au montant de 8,384.26 $ pour sa préparation du procès, sa présence au procès, son témoignage au procès et diverses dépenses (taux horaire de 210 $). Ces trois montants incluent les taxes applicables.
[40] Précitée, note 38.
[41] Pièce P-9 en liasse.
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