Décision

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R. c. Ledoux

2017 QCCA 1041

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-005668-148

(700-01-110072-124)

 

DATE :

Le 3 juillet 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

ÉTIENNE PARENT, J.C.A.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

APPELANTE - Poursuivante

c.

 

MICHEL LEDOUX

INITMÉ - Accusé

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un verdict rendu le 15 mai 2014 par un jury au terme d’un procès présidé par l’honorable Sophie Bourque de la Cour supérieure, district de Terrebonne, lequel acquitte l’intimé de l’infraction d’avoir volontairement intercepté des communications privées (art. 184(1) C.cr.) et quatre infractions d’avoir possédé des dispositifs principalement utiles à l'interception clandestine de communications privées (art. 191(1) C.cr.).

[2]           Pour les motifs du juge Vauclair auxquels souscrivent les juges Kasirer et Parent :

[3]           ACCUEILLE l’appel;


[4]           ANNULE les verdicts d’acquittement;

[5]           ORDONNE un nouveau procès.

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

ÉTIENNE PARENT, J.C.A.

 

Me Christian Jarry

PROCUREUR DU DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l'appelante

 

Me John T. Pepper jr.

Me Thomas Villeneuve-Gagné

PEPPER & ASSOCIÉS

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

Le 30 août 2016


 

 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

 

[6]       Michel Ledoux (ci-après: « l’intimé » ou « Ledoux ») est un policier de carrière avec quelque 30 ans d’expérience. En 2005, il accepte le poste de directeur du service de police de Mont-Tremblant.

[7]       Convention collective échue, les négociations s’enclenchent à l’automne 2010. Le climat de travail se gâte et devient vite toxique. Ledoux installe des dispositifs d'enregistrement au poste de police et dans la salle où se déroulent les négociations avec le syndicat pour le renouvellement de la convention collective. Il est accusé d'avoir intercepté des communications privées au sens du Code criminel. En défense, il s’explique. Il est acquitté par le jury. Le ministère public se pourvoit.

Le contexte

[8]       Dans un contexte de relations de travail, les policiers de Mont-Tremblant adoptent un comportement difficilement qualifiable. Si les moyens de pression sont d’abord plus conventionnels, ils s’intensifient et prennent des proportions étonnantes vu le statut de leurs auteurs qui, en principe, doivent faire preuve de jugement et de respect des personnes.

[9]       Le soir, dans le poste de police, les policiers placent des affiches sur les murs, les portes et dans le bureau pourtant verrouillé de Ledoux. Ces tracts comportent des messages personnalisés, insultants et dégradants, mais surtout, récurrents. Ce sont des représentations de l’intimé ou son adjoint en uniformes du Ku-Klux-Klan ou suggérant des actes de zoophilie, accompagnés de messages insultants. À un certain moment, les policiers refuseront même de travailler.

[10]    Parmi les moyens de pression, des plaintes de harcèlement psychologique sont déposées contre l’intimé et son adjoint Michel Gagné par deux policiers. Un enquêteur indépendant, M. Sylvio Côté, reçoit le mandat de faire la lumière sur ces plaintes qui seront éventuellement jugées infondées.

[11]    L’intimé, à titre de directeur, craint de perdre le contrôle du poste. Il entrevoit qu’à compter du 23 février, alors que prendra effet la suspension disciplinaire d’un policier qui avait déposé une plainte de harcèlement, se manifeste une rébellion syndicale. Il veut également identifier les responsables des tracts irrespectueux et faire cesser le harcèlement psychologique dont il est lui-même victime. Il prend donc l’initiative et achète un système de surveillance électronique. À compter du 23 février, il l’installe secrètement dans le poste de police et y place des caméras et des microphones. Il épargne les aires de repos et de repas.

[12]    L’affichage s’intensifie, comme l’avait prévu l’intimé, avec la suspension du policier. La situation dégénère rapidement. Les policiers du poste de Mont-Tremblant vont jusqu’à pendre au mât du drapeau devant le poste de police un mannequin habillé de l’uniforme. À l’intérieur, ils dresseront une table pour « célébrer le départ » de l’intimé, ils installeront une cage à chien devant son bureau, ils déposeront une fausse bombe artisanale à sa porte de bureau ou ils empileront des poubelles dans son espace de stationnement.

[13]    Au procès, le ministère public reproche à l’intimé d’avoir fait de l’écoute électronique au sens du Code criminel. Des membres du personnel de direction de la Ville sont entendus.

[14]    Mme Lise Julien, directrice générale pour la Ville de Mont-Tremblant, prend cependant ses distances face aux moyens utilisés par Ledoux. Elle témoigne avoir discuté de la possibilité d’installer le système de surveillance avec lui dans les jours précédant le 23 février. Selon elle, l’installation de caméras était illégale et elle lui a dit, exprimant son désaccord. Elle l’aurait répété lors d’une seconde rencontre avec la directrice des ressources humaines, Mme Carole Ménard, et la greffière de la ville, Mme Grenier.

[15]    Mme Ménard aurait, elle aussi, exprimé son désaccord. Selon elle, lors de cette rencontre, on explore l’idée d’aviser les policiers de la surveillance envisagée, mais l’intimé refuse cette avenue, ce qui clôt ce sujet.

[16]    L’intimé témoigne. Il relate une version différente des deux rencontres. Selon lui, lors de la première rencontre, il a fait valoir à Mme Julien que la surveillance était urgente et nécessaire. En guise de réponse, elle lui demande de s’informer sur la légalité de méthode. L’intimé fait donc des recherches dans Internet et il y trouve différents documents de nature juridique qui le confortent sur la légalité de son projet. Deux documents rédigés par des avocats retiennent son attention. Il dit comprendre de ces « avis juridiques », et sur lesquels il appuie sa défense, qu’un employeur peut surveiller ses employés à l’aide de caméras si certaines conditions sont satisfaites : l’objectif de l’employeur doit être légitime et important, un lien rationnel entre la mesure et l’objectif doit être démontré, aucun autre moyen raisonnable n’est possible et l’intrusion dans la vie privée doit être la plus restreinte possible. Cette documentation laisse entendre que l’interception est possible « même si cela implique une certaine immixtion dans la sphère privée ».

[17]    Ainsi convaincu qu’il peut légalement intercepter des communications privées et de la légalité de son projet, il en discute de nouveau avec Mmes Julien et Ménard lors d’une seconde rencontre. Il reconnaît que Mme Ménard souhaitait aviser les policiers de l’installation des dispositifs d’enregistrement. Toutefois, il affirme que Mme Julien lui a donné l’autorisation d’aller de l’avant après le départ de Mme Ménard. Il achète le système, remboursé par la Ville, et l’installe. L’intimé explique que ses démarches n’ont jamais été secrètes. La surveillance débute le 23 février. Des conversations entre policiers sont effectivement interceptées.

[18]    Selon l’intimé, Mme Julien en est informée, des extraits de conversations lui sont présentés et elle demande d’être tenue au courant des développements de la surveillance.

[19]    Les conversations interceptées bouleversent l’intimé. Par exemple, on entend des policiers discuter de moyens pour attaquer psychologiquement l’intimé qui est allègrement dénigré et de mots d’ordre d’ignorer les patrons. Quelques conversations révèlent aussi que les policiers adoptent des comportements probablement contraires aux normes déontologiques ou même criminelles. À titre d’exemple, l’extrait suivant d’une des conversations interceptées qui explique l’arrestation d’un individu en état d’ébriété et sa remise à une agente de la Sûreté du Québec :

Policier Olivier Chabot :       Première affaire qu'elle fait [l’agente de la Sûreté du Québec], elle le voit elle dit: " Câlisse t'é maganné"

Policier Kavin Roy :             RIRES

Policier Olivier Chabot :       Il était tout érraflé icîtte tsé ... y a gros de sable dans la rue là. Là quand il était à terre man estie là. J'y promenais la face dans le sable …rires... iI avait les dents plein, plein de sable…c'était drôle. Là christ là…un moment donné il faut ben qu'il paye pareille là

Policier Pascal Lavoie :       Tu tu aurais dû le swingner là.

Policier Olivier Chabot :       Billy y dit, ha christ on aurait dû le gazer çà aurait été drôle là.

Policier Kavin Roy :             Ha çà … c'est le fun de se tirailler un peu

Policier Olivier Chabot :       Ha c'est çà qu'on a faite c'pour çà qu'on ..

Policier Kavin Roy :             Gazer il n'y a plus de fun après là

[20]    L’intimé souhaite alors interpeller le ministère de la Sécurité publique ou la Sûreté du Québec, mais Mme Julien lui demande d’attendre la fin des négociations.

[21]    C’est ainsi que l’intimé participe aux négociations pour la partie patronale. Il assiste aux séances de négociation sur le renouvellement de la convention collective. L’intimé enregistre les discussions alors qu’il est présent, mais il laisse également un dispositif de surveillance électronique dans la salle lorsque la partie patronale se retire pour laisser place au huis clos de la partie syndicale. Le huis clos permet aux représentants syndicaux et leurs avocats de discuter les propositions patronales.

[22]    Au procès, l’intimé explique que son objectif demeure toujours le même, soit d’identifier les responsables des comportements inacceptables puisque le représentant du syndicat était identifié comme un meneur à cet égard.

[23]    Les négociations se terminent avec l’adoption d’une nouvelle convention collective. Peu après, un des directeurs adjoints du service de police, Jean Desjardins, apprend l’existence de l’écoute électronique. Il dépose une plainte auprès de la Sûreté du Québec, laquelle mène aux accusations.

[24]    Au procès, les gestes inqualifiables des policiers de la Ville de Mont-Tremblant expliqués plus haut sont analysés par la témoin Geneviève Hervieux, déclarée experte en psychologie du travail, en relations industrielles et en relations de travail. Selon elle, l’intimidation vécue par l’intimé est peu commune. Elle l’assimile à un comportement extrême d’intimidation de groupe, le mobbing, qui produit des effets importants sur ses victimes et plus particulièrement sur l’intimé. Elle confirme que les répercussions décrites au procès par Ledoux, notamment des pensées suicidaires, une dépression et des crises d’angoisse, sont effectivement en lien avec la situation vécue.

[25]    Par ailleurs, l’achat de dispositifs d’interception, leur installation et la surveillance électronique n’ont pas été contestés par l’intimé. La preuve d’expert, permise par la juge, visait à expliquer le contexte particulier de la pression ou le mobbing, vécu par l’intimé qui invoquait dans ce contexte une erreur de fait l’ayant amené à utiliser la surveillance électronique de ses employés.

Les questions en appel

[26]    Le ministère public prétend que la juge s’est trompée sur quatre aspects et soulève les questions de droit suivantes :

1. La juge du procès a-t-elle erré en droit en laissant la légitime défense à l'appréciation du jury?

2. L'erreur alléguée par l'intimé portait-elle sur une question de fait ou de droit?

3. La juge du procès a-t-elle erré en droit en admettant en preuve le témoignage d'un expert opinant que l'intimé était victime de harcèlement psychologique?

4. La juge du procès a-t-elle erré en droit en laissant le soin au jury de décider si des communications entre le syndicat et son avocat, tenues dans la salle de négociation, durant les négociations, à huis clos et hors la présence des représentants de l'employeur, étaient des communications privées?

[27]    J’aborde maintenant les moyens dans l’ordre en ajoutant des faits au besoin pour en comprendre le contexte.

Analyse

1. La juge du procès a-t-elle erré en droit en laissant la légitime défense à l'appréciation du jury?

[28]    C’est lors des discussions avec les parties que la juge suggère de réfléchir à l’application des nouvelles dispositions sur la légitime défense entrées en vigueur quelque temps auparavant, défense qui n’était pas initialement présentée par l’intimé. Un débat s’ensuit au terme duquel la juge décide de laisser à l’évaluation du jury cette défense, étant d’avis que celle-ci avait un air de vraisemblance au sens de la jurisprudence. En bref, selon la juge, l’utilisation de l’écoute pouvait être un moyen de mettre un terme à une agression, soit l’intimidation dans sa forme extrême du mobbing.

[29]    Le droit applicable n’est pas contesté. Il suffit de rappeler ce que le juge Wagner écrivait dans l’arrêt R. c. Gauthier, [2013] 2 RCS 403, au par. 23 :

[23] Il est acquis que tout moyen de défense qui satisfait au critère de la vraisemblance doit être soumis au jury (R. c. Cinous, 2002 CSC 29 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 3, par. 51). Notre Cour a établi qu’une défense satisfait à ce critère s’il existe « (1) une preuve (2) qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi » (Cinous, par. 82).

[30]    Cela vaut pour tous les moyens de défense, peu importe qu’ils soient incompatibles ou qu’ils ne soient pas soulevés par l’accusé : R. c. Gauthier, [2013] 2 R.C.S. 403, par. 24, 32, 97.

[31]    Nul doute également que la question de savoir si un moyen de défense est vraisemblable est une question de droit : R. c. Cinous, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 55; R. c. Tran, [2010] 3 R.C.S. 350, par. 40; R. c. Buzizi, [2013] 2 R.C.S. 248, par. 15.

[32]    Quelques précisions sont nécessaires.

[33]    Conforme à son devoir de laisser à la réflexion du jury tout moyen de défense qui présente un air de vraisemblance, la juge soulève l’application des nouvelles dispositions portant sur la légitime défense et s’en explique. Dans la foulée des amendements au Code criminel, la juge dit avoir déjà décidé que les nouvelles dispositions s’appliquaient aux affaires en cours. Elle souligne que le ministère public avait alors concédé que tel était le cas. En l’espèce, les parties, et plus particulièrement le ministère public, ont accepté à leur tour cette façon d’interpréter la loi.

[34]    Par ailleurs, il est intéressant de noter l’opinion de la juge voulant que les anciennes dispositions lui semblent inapplicables aux circonstances. Elle explique :

… mais si on veut faire le débat sur, parce que ça m'apparaît clair que, dans ce cas-ci, les anciennes dispositions de prime abord ne s'appliqueraient pas compte tenu de la façon dont c'est rédigé, il faut que ça parle d'une agression alors qu'ici, on parle de l'emploi de la force et on parle de la légitime défense que l'infraction est commise et l'infraction, c'est n'importe quelle infraction.

[35]     L’argumentaire du ministère public développé dans son mémoire vise d’abord à attaquer l’air de vraisemblance de cette défense dans le contexte particulier de l’affaire. Cependant, depuis le dépôt des documents d’appel, la jurisprudence a évolué. À l’audience, le ministère public invoque également l’erreur de la juge dans son interprétation de la loi.

[36]    En effet, s’il restait des doutes sur l’application prospective du nouvel article 34 du Code criminel, ils sont maintenant dissipés : R. c. Green, 2015 QCCA 2109, par. 49; R. c. Romain, 2017 QCCA 429; R. c. Chubbs, 2013 NLCA 60; R. c. Bengy, 2015 ONCA 397; R. c. Evans, 2015 BCCA 46; R. c. Cunha, 2016 ONCA 491, par. 5; R. c. Grant, 2016 ONCA 639, par. 55; R. c. Power, 2016 SKCA 29. Les anciennes dispositions qui de l’avis de la juge faisaient obstacle à la défense s’appliquent donc en l’espèce.

[37]    Il n’est donc pas utile de développer davantage sur les nuances qu’apporte la juge quant à l’application des nouvelles dispositions de la légitime défense à une situation de harcèlement et, par conséquent, cette question précise demeure sans réponse pour le moment. Lorsqu’un jury est invité à réfléchir à une défense qui ne présente pas d’air de vraisemblance ou, a fortiori, qui n’existe pas, la question est de savoir si les directives ont raisonnablement eu un impact sur les délibérations du jury: R. c. Cairney 2011 ABCA 272, conf. à [2013] 3 R.C.S. 420; R. c. Pappas, [2013] 3 R.C.S. 452.

[38]    À mon avis, la réponse à cette question est évidente. Une fois erronément introduite dans l’équation, la légitime défense présentait une puissante voie d’acquittement. Dans les circonstances, un nouveau procès doit être ordonné.

2. L'erreur alléguée par l'intimé portait-elle sur une question de fait ou de droit?

[39]    L’article 19 du Code criminel prévoit :

19. L’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction.

19. Ignorance of the law by a person who commits an offence is not an excuse for committing that offence.

[40]    Comme l’explique si bien le professeur Hugues Parent dans son Traité de droit criminel, Tome I — L’imputabilité, 4e éd., Montréal, Thémis, 2015, par. 503 :

Si une erreur de fait implique « une représentation inexacte de la réalité matérielle » (soit que l’individu croit à l’existence de faits inexistants ou à l’inexistence de faits existants), l’erreur de droit suppose, pour sa part, une mauvaise interprétation de sa signification au point de vue juridique (soit que l’individu ignore la règle de droit ou se méprend sur son contenu, sa portée ou son application).

[41]    Cet énoncé est conforme au droit. La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Molis, [1980] 2 R.C.S. 356, 362 tranche :

… Parliament has by the clear and unequivocal language of s. 19 chosen not to make any distinction between ignorance of the existence of the law and that as to its meaning, scope or application. Parliament has also clearly expressed the will that s. 19 of the Criminal Code be a bar to any such defence…

[42]    Le professeur Don Stuart dans son traité Canadian Criminal Law, Fifth Edition, Thomson-Carswell, 2007, p. 366-371 (ci-après: « Stuart »), reprend la même idée, illustrant le caractère parfois limite de la distinction entre erreur de droit et erreur de fait. Pour illustrer la démarcation, il rapporte les propos de Glainville Williams dans Criminal Law (the General Part), 2nd Ed., Stevens & Sons, 1961 qui avance que l’erreur de fait est reliée au sens de la personne, tandis que l’erreur de droit est celle qui découle de sa pensée.

[43]    Une lecture des savants auteurs fait immédiatement ressortir que l’erreur de droit ou de fait et le droit criminel suivent une dynamique qui n’est ni claire ni simple. Aussi, une fois le principe clairement affirmé, ça se complique.

[44]    L’arrêt R. c. Prue; R. c. Baril, [1979] 2 R.C.S. 547 est un arrêt important. La Cour était saisie d’une infraction criminalisant le seul fait de violer une interdiction de conduire imposée par la loi provinciale. La Cour décide que cette dernière interdiction de conduire « provinciale » devenait un « fait » dans l’économie du droit criminel et, par conséquent, son ignorance offrait une défense d’erreur de fait. Quelques années plus tard, la Cour qualifie une telle méprise, dans un contexte similaire, d’erreur de droit : R. c. MacDougall, [1982] 2 R.C.S. 605, ce qui fait dire à l’auteur Stuart que la logique n’est pas toujours au rendez-vous, les deux arrêts étant selon lui irréconciliables : Stuart, p. 370.

[45]    L’analogie avec la présente affaire tient à ce que l’erreur de l’intimé porterait sur le concept d’interception de communication privée dans un contexte de droit du travail. Le raisonnement veut que l’erreur portant sur un concept étranger au droit criminel devienne un fait en rapport avec ce dernier et donne donc ouverture à l’erreur de fait.

[46]    Ce raisonnement est reconnu en doctrine, mais il est critiqué lorsqu’il excède les cas où une défense d’apparence de droit est prévue par la loi : voir Stuart, p. 353. À titre d’exemple, et en simplifiant, un vol n’est consommé que si un bien est pris sans apparence de droit : art. 322 C.cr., de sorte qu’une personne peut se tromper sur son « droit » de posséder cette chose : R. c. Lilly, [1983] 1 R.C.S. 794.

[47]    Cela dit, le droit évolue et tente de se raffiner, voire d’atténuer l’affirmation péremptoire de l’article 19 C.cr. Dans R. c. Klundert, 2004 CanLII 21268 (C.A.O.) (ci-après: « Klundert »), le juge Doherty conclut qu’une erreur de droit peut parfois nier la mens rea lorsque la perpétration de l’infraction exige la démonstration que l’accusé a agi dans le but d’atteindre un objectif spécifique ("in relation to the achievement of a purpose"). Se référant à R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941, le juge Doherty explique que l’utilisation du mot « wilfullly » (en français, « volontairement ») peut signifier l’atteinte de l’objectif décrit dans la loi. Il écrit, dans l’arrêt Klundert, au par. 44 : « [w]hile the word “wilfully” refers to a culpable mental state, the exact meaning of the word will depend on the context in which it is used…».

[48]    Dans le contexte d’une infraction au paragraphe 239(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1, le juge Doherty illustre de façon éloquente le rôle de l’erreur dans l’évaluation de la mens rea. L’erreur peut être une erreur de fait, une erreur de droit ou une erreur mixte de fait et de droit. Cela étant, seule l’erreur de droit ne peut constituer une défense. Il écrit :

[49]      The requisite knowledge or purpose may be negated by a mistaken belief.  A tax payer may through arithmetic error misstate the amount of tax owing, or she may be unaware of the statutory definition of income, or she may have come to a mistaken conclusion as to the application of that definition to her affairs.  The first of these errors is factual, the second, legal, and the third is a mixture of both.

[50]      Factual errors can negate the fault requirement of an offence requiring knowledge and purpose.  Purely legal errors raise a more difficult problemA mistake of law does not excuse the commission of a criminal offence:  Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46, s. 19.  The fault element of a crime may, however, be defined so as to make various kinds of errors, including purely legal errors relevant to the existence of the required culpable mental state:  A. Mewett and M. Manning, Criminal Law, 3rd ed. (Toronto:  Butterworths, 1994) at pp. 389-391; H. Stuart, “Mistake of Law Under the Charter”, (1998) 40 Crim. L.Q. 476 at 486-494. For example, where an offence requires that the Crown prove that an accused acted without “colour of right”.  Mistakes as to the applicable civil law can provide the basis for a “colour of right”:  R. v. Demarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369 at 372 (Ont. C.A.). In those cases the mistake of law is not advanced as an excuse for committing the crime but rather negates the existence of the required culpable state of mind:  R. v. Howson, 1966 CanLII 285 (ON CA), [1966] 3 C.C.C. 348 at 356 (Ont. C.A.). Similarly, where an offence requires proof that the accused intended to violate a court order, a mistake as to the legal effect of that court order can negate the required culpable state of mind:  R. v. Ilczyszyn (1988), 45 C.C.C. (3d) 91 at 95-96 (Ont. C.A.).

[49]    Enfin, il précise que “[t]he extent to which any mistake, including a legal mistake, can negate the fault requirement turns on an interpretation of the language of the statute in the legislative context in which it is used…”: Klundert, par. 54. Dans cette affaire, le libellé de l’infraction exigeait que le geste soit posé dans le but d’éluder l’impôt. Je conviens avec le juge Doherty que plusieurs types d’erreurs innocentes peuvent expliquer le geste autrement que par le souhait d’éluder de l’impôt.

[50]    Revenons au contexte de ce pourvoi. En l’espèce, l’intimé était accusé de l’infraction prévue à l’article 184 C.cr. :

184 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, intercepte volontairement une communication privée.

184 (1) Every one who, by means of any electro-magnetic, acoustic, mechanical or other device, wilfully intercepts a private communication is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years.

[51]    Le concept de communication privée est défini à l’article 183 C.cr. :

183 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

communication privée Communication orale ou télécommunication dont l’auteur se trouve au Canada, ou destinée par celui-ci à une personne qui s’y trouve, et qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée par un tiers. La présente définition vise également la communication radiotéléphonique traitée électroniquement ou autrement en vue d’empêcher sa réception en clair par une personne autre que celle à laquelle son auteur la destine. (private communication)

183 In this Part,

private communication means any oral communication, or any telecommunication, that is made by an originator who is in Canada or is intended by the originator to be received by a person who is in Canada and that is made under circumstances in which it is reasonable for the originator to expect that it will not be intercepted by any person other than the person intended by the originator to receive it, and includes any radio-based telephone communication that is treated electronically or otherwise for the purpose of preventing intelligible reception by any person other than the person intended by the originator to receive it; (communication privée)

[52]    Le fait d’exclure toute autre personne d’une conversation tenue en privé ou de la destiner à certaines personnes à l’exclusion de toute autre établit de manière générale des circonstances dans lesquelles l’auteur peut croire qu’elle ne sera pas interceptée. Cela est par ailleurs conforme au concept d’interception. La question est donc de savoir si l’erreur portant sur la définition d’une communication privée donne ouverture à une défense d’erreur de fait ou, pour paraphraser le juge Doherty, si l’erreur peut nier ou soulever un doute quant à la mens rea de l’infraction.

[53]    Sur ce point, le ministère public résume bien la situation lorsqu’il écrit dans son mémoire que « l'erreur de l'intimé ne portait pas sur le caractère privé des communications interceptées, mais sur le droit qu'il avait, en tant qu'employeur, de les intercepter, notamment celles tenues en caucus syndical, malgré leur caractère privé ».

[54]    À mon avis, pour les motifs exposés, l’erreur invoquée par l’intimé est une erreur quant à la portée de la loi et non une erreur quant aux éléments qui constituent la faute reprochée par le texte de loi.

[55]    Dans l’arrêt Forster, à l’unanimité, la Cour suprême conclut que la défense d’erreur ne s’appliquait pas parce que l’« erreur ne portait pas sur le contexte factuel ou sur la qualité de ses actes, mais plutôt sur leurs conséquences juridiques » : R. c. Forster, [1992] 1 R.C.S. 339, 346, 348, 349.

[56]    En l’espèce, il est indéniable que l’intimé connaissait tous les éléments factuels qui composaient les circonstances de l’interception, mais il se méprenait sur leur signification au sens de la loi. Il s’agit bien d’une erreur de droit : R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55.

3. La juge du procès a-t-elle erré en droit en admettant en preuve le témoignage d'un expert opinant que l'intimé était victime de harcèlement psychologique?

[57]    Quant au troisième moyen de l’appelante concernant le témoignage d'un expert, l’argument développé est hautement contextuel et il est intimement lié aux erreurs maintenant constatées. Il est préférable de laisser le juge du nouveau procès en décider le cas échéant.

4. La juge du procès a-t-elle erré en droit en laissant le soin au jury de décider si des communications entre le syndicat et son avocat, tenues dans la salle de négociation, durant les négociations, à huis clos et hors la présence des représentants de l'employeur, étaient des communications privées?

[58]    Enfin, l’appelante prétend que la juge devait diriger le jury en droit sur certaines communications, soit celles tenues entre les membres du syndicat à la table des négociations et leur avocat. À mon avis, il n’en est rien. Comme mentionné plus haut, peu importe les interlocuteurs, le jury est invité à déterminer si la communication « est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée par un tiers / is made under circumstances in which it is reasonable for the originator to expect that it will not be intercepted by any person other than the person intended by the originator to receive it » : art. 183 et 184 C.cr.

[59]    Ainsi, l’élément déterminant repose sur les circonstances de la communication et non sur son contenu ou la qualité des interlocuteurs. Le Code criminel protège toute communication, même anodine, si celle-ci est faite alors que son auteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée. La question n’est donc pas de savoir si la communication comporte des éléments de nature confidentielle bien que je reconnaisse, tout comme un juré le ferait, qu’une telle discussion avec un avocat participe sans aucun doute aux attentes évoquées, mais cela demeure une question pour le jury.

[60]    En terminant, un mot sur les chefs d’accusation nos 2 à 5 reprochant les infractions prévues à l’article 191 C.cr., soit la possession de dispositifs ou matériels sachant que leur conception les rendait principalement utile à l'interception clandestine de communications privées. Lors de la conférence prédirectives, la poursuite et la juge s’entendent que ces infractions suivent le sort du verdict sur le chef d’accusation no 1, soit l’interception illégale de communications privées (art. 184 C.cr.). Les directives de la juge invitent d’ailleurs le jury à les traiter comme un tout, que les mêmes défenses trouvent application.

[61]    Avec égards, ceci est erroné en droit. L’infraction à l’article 191 C.cr. interdit la possession des dispositifs y mentionnés, sans égard à l’utilisation projetée. Dans la mesure où la connaissance de l’utilité du dispositif est connue de l’appelant et que les dispositifs sont de ceux qui sont mentionnés, le mobile de l’intimé quant à leur utilisation ne me semble pas pertinent.

[62]    Quoi qu’il en soit, l’appelante est totalement muette sur ces infractions et les verdicts d’acquittement prononcés. Aucun des moyens soulevés ne touche à ces verdicts. Son appel se concentre exclusivement sur le premier chef d’accusation et elle se contente de réclamer un nouveau procès. Elle ne recherche et ne demande, de quelque manière que ce soit, la réformation des verdicts des chefs nos 2 à 5. L’intimé n’en dit pas plus. Il eut été préférable que les parties fassent état, ne serait-ce que brièvement, de leurs positions relativement à ces chefs d’accusation.  Leur silence découle sans doute, à l’évidence pour tous, de la position prise en première instance. Ainsi, l’appel s’applique à l’ensemble des verdicts. Je propose donc la tenue d’un nouveau procès sur le tout.

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.