M.V. c. RBC Assurances (Compagnie d'assurances générales RBC) |
2016 QCCAI 178 |
Commission d’accès à l’information du Québec |
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Dossier : 1009462 |
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Date : Le 23 juin 2016 |
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Membre: Me Diane Poitras |
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M... V... |
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Demandeur |
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c. |
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RBC assurances (Compagnie d’assurance générale RBC) |
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Entreprise |
DÉCISION |
DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1].
[1] La Commission d’accès à l’information (la Commission) est saisie d’une demande d’examen de mésentente soumise par M. M... V... (le demandeur). Celui-ci conteste la décision rendue par la Compagnie d’assurance générale RBC (l’entreprise) à la suite d’une demande d’accès aux dossiers des deux réclamations qu’il a faites.
[2] L’entreprise refuse de donner accès à ces documents au motif que leur divulgation est susceptible d’avoir un effet sur une procédure judiciaire, selon les termes de l’article 39 (2) de la Loi sur le privé. À l’audience, l’entreprise a précisé que son refus est également fondé sur le fait que certains renseignements ne constituent pas des renseignements personnels au sujet du demandeur ou qu’ils sont protégés par le secret professionnel (article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne[2]).
[3] Les parties sont entendues lors d’une audience tenue à Montréal, le 1er mars 2016. Le demandeur précise qu’il ne souhaite pas obtenir les documents qu’il a transmis à l’entreprise ni ceux qui lui sont adressés. Ces documents ne sont donc pas en litige.
PREUVE ET ARGUMENTS DES PARTIES
Les faits
[4] Les faits suivants ressortent du témoignage du demandeur, de Mme Mélanie Mercier, experte en sinistre pour l’entreprise, et des documents déposés au dossier.
[5] Le demandeur détient une police d’assurance auprès de l’entreprise pour un immeuble dont il est propriétaire.
[6] À la suite d’un premier sinistre survenu en avril 2010, causé par un refoulement d’égout au sous-sol, le demandeur fait une réclamation à l’entreprise. Par la suite, divers travaux visant à remédier aux dommages subis sont entrepris tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la propriété, dont le remplacement du drain et de la pompe submersible. Ces derniers travaux sont effectués par Plomberie Bissonnette, aux frais de l’entreprise et du demandeur qui assume le coût des matériaux.
[7] En 2013, un nouveau refoulement d’égout survient dans l’immeuble du demandeur. Il serait notamment causé par le fait que le drain et la pompe installés à la suite du premier sinistre ne seraient pas complètement fonctionnels. Le demandeur fait donc une seconde réclamation à l’entreprise.
[8] Dans le cadre de travaux effectués à la suite de ce second sinistre, les commentaires d’un entrepreneur amènent le demandeur à communiquer avec l’entreprise afin de lui indiquer qu’il considère que ce second sinistre est causé par des travaux mal exécutés par Plomberie Bissonnette en 2010. Il tient également l’entreprise responsable de cette situation puisque c’est elle qui a embauché cet entrepreneur. Il demande qu’elle assume le coût du remplacement du drain.
[9] Mme Mélanie Mercier, experte en sinistres s’occupant de dossiers complexes pour l’entreprise, est consultée pour faire enquête auprès de Plomberie Bissonnette et vérifier les dires du demandeur quant à la qualité des travaux effectués à la suite du premier refoulement d’égout. Elle doit notamment décider si l’entreprise peut faire une réclamation auprès de Plomberie Bissonnette.
[10] Elle demande une expertise indépendante à M. Nicolas Boily, aussi expert en sinistres, afin de vérifier si Plomberie Bissonnette a respecté les normes et les règles prescrites.
[11] Une rencontre a lieu en octobre 2013 entre M. Boily, le demandeur et Plomberie Bissonnette. Une offre est discutée et ce dernier demande quelques jours de réflexion. Par la suite, il indique refuser l’offre puisqu’il considère ne pas être responsable des dommages résultant du second refoulement d’égout.
[12] Par la suite, l’entreprise communique avec le siège social de Plomberie Bissonnette pour discuter de la situation. En décembre 2013, une entente intervient entre l’entreprise et Plomberie Bissonnette. L’entreprise en informe le demandeur et lui indique qu’en conséquence, elle remboursera le montant de sa franchise.
[13] De son côté, le demandeur demande un rapport écrit à l’entrepreneur qui lui a indiqué que le drain posé en 2010 n’était pas adéquat. Il transmet cette expertise à l’entreprise en mars 2014. Il soutient toujours que les travaux effectués par Plomberie Bissonnette ne sont pas conformes aux règles de l’art et considère que ce dernier et l’entreprise partagent la responsabilité des dommages causés par le second sinistre.
[14] Le 19 mars 2014, Mme Mercier avise le demandeur qu’elle ne donne pas suite à sa demande quant aux travaux visant le changement de ses drains. L’entreprise considère qu’elle n’est pas responsable de la situation et que les travaux ont été effectués selon les règles en vigueur en 2010, alors que l’expertise transmise par le demandeur réfère aux normes en vigueur depuis 2012.
[15] En mars 2014, le demandeur demande à l’entreprise l’accès à ses dossiers de réclamations.
[16] Lors de l’audience devant la Commission, l’entreprise dépose les documents en litige sous pli confidentiel. Aucun document n’a été transmis au demandeur.
[17] Lors d’une portion de l’audience qui se tient à huis clos et en l’absence du demandeur, Mme Mercier explique le contenu du dossier et attire l’attention de la Commission sur certains éléments contenus dans ces documents.
[18] Elle affirme qu’elle était convaincue que l’entreprise recevrait une mise en demeure du demandeur ou une procédure judiciaire à la suite des discussions qu’elle a eues avec lui, particulièrement en décembre 2013 et au moment de la décision de l’entreprise de refuser d’assumer le coût de remplacement du drain, au début de 2014. Elle en a avisé sa superviseure.
[19] Pour sa part, le demandeur explique le contexte dans lequel il a demandé une expertise. Il s’est adressé à l’entrepreneur qui a effectué des travaux pour remédier aux dommages causés par le second sinistre, compte tenu de ce que ce dernier lui a mentionné avoir constaté.
[20] Il considère que l’entreprise est responsable dans la mesure où c’est un entrepreneur qu’elle a recommandé qui a fait les travaux qui, selon lui, ont été mal effectués. Il affirme ne pas avoir dit ou mis de l’avant qu’il allait intenter des procédures judiciaires.
Arguments de l’entreprise
[21] La procureure de l’entreprise, Me Élisabeth Laroche, plaide que la communication des renseignements dont l’accès est refusé risquerait vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire au sens du second paragraphe de l’article 39 de la Loi sur le privé.
[22] Elle indique que, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que la procédure soit intentée; elle peut être imminente. Elle est d’avis que la preuve démontre qu’il existe des indices sérieux voulant que le demandeur tienne l’entreprise et Plomberie Bissonnette responsables du second sinistre en raison de travaux qu’il considère avoir été mal effectués à la suite du premier refoulement d’égout. Elle réfère la Commission à différents éléments mis en preuve et conclut que l’entreprise avait, au moment de la demande d’accès, des appréhensions légitimes qu’une procédure judiciaire était imminente.
[23] Elle ajoute que la communication des renseignements dont l’accès est refusé a un lien direct avec cette procédure judiciaire imminente puisque le demandeur cherche des indices sur la responsabilité de l’entrepreneur et la qualité des travaux effectués.
[24] L’entreprise soutient également que certains renseignements sont protégés par le secret professionnel de l’expert en sinistre, soulignant qu’il ne protège pas les constats factuels, mais les renseignements échangés sous le sceau de la confidence. Elle considère que l’article 9 de la Charte permet à l’entreprise de refuser l’accès à ces renseignements.
[25] Enfin, elle dépose la décision Compagnie d’assurances ING du Canada c. Marcoux[3] et soutient que le droit d’accès du demandeur ne lui permet pas d’avoir accès à certains renseignements puisqu’ils ne constituent pas des renseignements personnels au sens de la Loi sur le privé.
Arguments du demandeur
[26] Pour sa part, le demandeur explique le contexte entourant sa demande d’accès.
[27] Il affirme ne jamais avoir mentionné qu’il souhaitait poursuivre l’entreprise ou Plomberie Bissonnette. Il veut connaître les motifs pour lesquels l’entreprise refuse de considérer qu’elle a sa part de responsabilité dans la survenance du second sinistre et d’assumer les coûts liés à la réparation ou au remplacement du drain.
[28] Il ajoute que même si certains renseignements décrivent des travaux ou réfèrent à son immeuble, il s’agit de sa propriété et ces renseignements le concernent. Il considère que les documents en litige sont des renseignements personnels au sens de la Loi sur le privé. Il cite une décision de la Commission appuyant cette prétention[4].
- Les documents en litige sont-ils des renseignements personnels?
[29] La Commission doit d’abord décider si les documents en litige sont visés par le droit d’accès prévu à l’article 27 de la Loi sur le privé :
27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l’existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant.
[30] L’article 2 définit un renseignement personnel comme étant « tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier ».
[31] Dans l’affaire Marcoux citée par l’entreprise, la Cour du Québec, en appel d’une décision de la Commission, considère que celle-ci est manifestement erronée puisque la preuve permettait de conclure que le refus de l’entreprise, basé sur l’article 39 (2) de la Loi sur le privé, était fondé.
[32] C’est donc en obiter que la Cour examine tout de même, sommairement, la question de savoir si les renseignements relatifs à un immeuble sont des renseignements personnels au sens de l’article 2 de la Loi sur le privé. La Cour indique :
[27] Il est évident dans la présente affaire que toute l’information et tous les renseignements dont dispose ING concernent l’immeuble de M. Marcoux et non pas M. Marcoux personnellement. C’est bien indirectement qu'il est concerné, qu'il peut être identifié.
[28] Pour que le renseignement concernant l’immeuble puisse être qualifié d’intimement lié à M. Marcoux, il faudrait qu’il concerne la personne même de M. Marcoux, à savoir son habilité, ses capacités mentales, son crédit, son caractère, etcetera, ce qui n'est pas le cas.
[29] Il faut reconnaître que les renseignements demandés ont plutôt trait à des dommages matériels qu’ont subis des biens meubles et immeubles. Ce sont ces derniers qui sont l’objet de l’assurance et c’est en rapport avec ces biens protégés que ING prépare son dossier d’assureur.
[33] Elle infirme donc la décision de la Commission, mais autorise l’accès à certains documents « qui ne sont pas visés par les arguments soulevés ». Ce faisant, la Cour reconnaît que le dossier d’assurance peut contenir des renseignements personnels.
[34] En l’espèce, la preuve révèle que l’entreprise a constitué un dossier d’assurance au nom du demandeur et de la co-propriétaire de l’immeuble. Ce dossier contient divers renseignements et documents, notamment au sujet des deux réclamations relatives à des refoulements d’égout.
[35] Dans ces documents, plusieurs communications échangées entre les divers intervenants mentionnent le nom des deux co-assurés en objet. Le demandeur est l’un des titulaires de la police d’assurance émise par l’entreprise.
[36] La preuve révèle également que l’entreprise a pris plusieurs décisions concernant le demandeur, notamment quant au paiement des dommages résultant des deux sinistres et au fait de ne plus l’assurer pour les dommages causés par l’eau, compte tenu de ces deux réclamations.
[37] Les renseignements contenus dans les dossiers de réclamation auxquels le demandeur demande l’accès ont servi à ces décisions, selon la preuve présentée dans le présent dossier.
[38] En conséquence, les renseignements contenus aux dossiers de réclamation font partie d’un dossier constitué au sujet du demandeur selon les termes de la Loi sur le privé. La plupart de ces renseignements permettent de l’identifier et révèlent des renseignements à son sujet, notamment ses coordonnées, le fait qu’il a subi deux sinistres et l’étendue des dommages, ses réclamations, son désaccord avec l’entreprise quant au règlement du second sinistre, des photos de l’endroit où il habite, etc.
[39] La Commission considère que la majorité des documents en litige dans le présent dossier constituent des renseignements personnels puisqu’ils permettent d’identifier le demandeur et révèlent des renseignements à son sujet.
[40] Avec respect pour l’opinion contraire, rien dans la définition de renseignement personnel n’indique que les renseignements qui concernent indirectement une personne ou permettent indirectement de les identifier sont exclus de cette définition.
[41] Tel que l’indique la Commission dans la décision J.L. c. Intact Assurances[5] au sujet de l’article 2 de la Loi sur le privé :
[48] Cet article ne crée pas de niveaux de renseignements personnels. Il n’exige pas qu’un renseignement personnel soit « intimement lié » à un individu, qu’il le concerne « directement » et qu’il permette de l’identifier « directement ».
[49] De plus, cet article ne limite d’aucune façon les raisons pour lesquelles un renseignement concerne un individu et permet de l’identifier.
[50] Par exemple, le vol du véhicule qui appartient à monsieur X et qui a été retrouvé par les policiers concerne monsieur X; les policiers auront tôt fait d’identifier monsieur X et de communiquer avec lui au sujet de son véhicule.
[51] Autre exemple : le déclenchement de l’alarme du système de sécurité résidentiel installé chez un propriétaire concerne ce propriétaire comme client d’un fournisseur qui l’identifiera et l’en avisera. Il en est de même de la destruction, par le feu, d’une résidence située à une adresse donnée : ce renseignement concerne le propriétaire de cette maison et permet de l’identifier. […]
[53] Contrairement à ce que prétend l’entreprise, ce n’est pas parce qu’il est question de biens que l’on doive nécessairement exclure la notion de renseignement personnel et l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
[42] Dans cette décision, la Commission analyse deux documents qui sont en litige, dont un rapport préparé par un plombier qui décrit ce qu’il a constaté lors de son inspection. Elle conclut que ce document contient des renseignements personnels au sujet du client puisqu’il y est identifié par son nom et à titre de propriétaire de l’immeuble qu’il habite et que le plombier exprime son opinion sur la situation dans laquelle se trouve le client, situation reliée à la réclamation qu’il a faite à son assureur.
[43] En l’espèce, les documents en litige identifient presque tous le demandeur à titre d’assuré. Ils font état des dommages constatés sur sa propriété, des causes probables, des travaux requis pour remédier à la situation et des démarches entreprises dans le cadre des décisions de l’entreprise relatives à l’indemnisation du demandeur à la suite des deux sinistres. On y trouve notamment des estimations, des courriels, des photos prises chez le demandeur, des plans de sa propriété, des factures et des recommandations de paiement. Dans le dossier de la réclamation de 2013 on retrouve également la correspondance concernant l’affirmation du demandeur voulant que l’entreprise et Plomberie Bissonnette soient responsables des dommages, les notes au dossier et le rapport de M. Boily, expert en sinistre indépendant.
[44] Il est intéressant de noter que le dossier contient un consentement signé par le demandeur concernant la cueillette et la communication de renseignements personnels dans le cadre d’un règlement du sinistre. Ce consentement est donné aux fins « de l’analyse, l’évaluation, l’enquête et le traitement de la réclamation reliés au sinistre précité » (celui de 2013). Ce document indique également que les renseignements seront consignés dans un dossier d’assurance de dommages et que le demandeur a droit d’avoir accès aux renseignements personnels le concernant contenus dans son dossier.
[45] Ainsi, même l’entreprise considère que le dossier de réclamation du demandeur contient des renseignements personnels à son sujet, renseignements qu’elle ne semble pas limiter aux seuls renseignements l’identifiant directement tels que son nom ou ses coordonnées.
[46] Dans ce contexte et à la lecture des documents en litige dont l’accès est refusé, la Commission conclut qu’ils contiennent presque tous des renseignements personnels au sujet du demandeur et donc visés par le droit d’accès prévu à l’article 27 de la Loi sur le privé.
[47] Toutefois, la Commission constate que quelques documents ne contiennent pas de tels renseignements. En effet, certains renseignements ne concernent pas le demandeur et n’ont pas servi aux différentes décisions concernant ses réclamations ou sa couverture d’assurance. Il s’agit des honoraires payés par l’entreprise aux évaluateurs ou aux experts en sinistre.
[48] Ainsi, les factures de ces honoraires et les feuilles de temps qui s’y rapportent, les paiements effectués par l’entreprise pour acquitter ces factures et les références à ce sujet dans les notes au dossier ne constituent pas des renseignements personnels au sujet de demandeur. Ils ne sont donc pas visés par le droit d’accès prévu à l’article 27 de la Loi sur le privé et l’entreprise n’a pas à les communiquer au demandeur.
- Les renseignements sont-ils protégés par l’article 39 (2) de la Loi sur le privé?
[49] L’entreprise soutient qu’elle est en droit de refuser l’accès à l’ensemble des deux dossiers de réclamation du demandeur en vertu de l’article 39 (2) de la Loi sur le privé qui prévoit :
39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement:
[…]
2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l’une ou l’autre de ces personnes a un intérêt.
[50] Il ressort de la preuve qu’en date de la demande d’accès, aucune procédure judiciaire n’était intentée et que le demandeur n’avait transmis aucune mise en demeure à l’entreprise.
[51] La jurisprudence en la matière reconnaît qu’il n’est pas nécessaire qu’une procédure soit intentée. Il doit tout de même y avoir démonstration d’indices factuels sérieux et précis[6].
[52] Dans la décision Personnelle-vie (la), corp. d’assurance c. Cour du Québec[7], la Cour supérieure précise :
Il n’est pas nécessaire que la procédure judiciaire soit effectivement en cours au moment où l’on invoque la restriction. Ce ne doit cependant pas être une simple procédure hypothétique. Il faut des circonstances qui permettent de croire que des procédures seront intentées incessamment. Certaines décisions parlent de procédures prévisibles, probables, imminentes. Il faut qu’il existe au moins un risque de procédures judiciaires, une intention manifestée en ce sens. (Nos soulignements)
[53] De même, dans l’affaire SSQ Vie c. Nadeau[8], la Cour s’exprime ainsi relativement à l’application de l’article 39 (2) de la Loi sur le privé :
Cette disposition de la loi repose sur le simple bon sens. Lorsque des gens se poursuivent ou s’apprêtent à le faire devant un Tribunal, la divulgation des documents et renseignements pouvant vraisemblablement avoir une incidence sur leurs procédures, doit se faire selon les règles en vigueur devant le Tribunal saisi de cette poursuite, plutôt que selon les dispositions de la Loi sur l’accès.
Encore faut-il que l’on soit en présence de procédures prises ou que l’on s’apprête de prendre. Pour déterminer si l’on est en présence de procédures que l’on s’apprête de prendre, une mise en demeure peut constituer un indice valable, mais rien dans la loi ne l’exige comme condition essentielle. Certaines procédures peuvent être présentées sans mise en demeure et de toute manière, il est plus approprié d’examiner l’ensemble des circonstances de chaque cas, que la seule présence ou non d’une mise en demeure. (Nos soulignements)
[54] En l’espèce, l’entreprise invoque le témoignage de Mme Mercier qui affirme qu’elle croyait que le demandeur intenterait des procédures puisqu’il considère que l’entreprise est responsable des dommages causés lors du second sinistre. Elle réfère également la Commission aux notes de Mme Mercier prises à la suite de conversations téléphoniques avec le demandeur, dans lesquelles elle indique qu’il tient l’entreprise responsable de la situation.
[55] L’entreprise appuie également ses prétentions sur un courriel transmis par le demandeur en novembre 2013 qui indique :
Il me semble évident que la responsabilité est celle de mon assureur qui a embauché M. Bissonnette pour ces travaux. Ces travaux seront à recommencer et ne m’auront en aucun cas été bénéfiques.
[56] Elle ajoute que le demandeur a transmis un rapport d’expertise pour appuyer sa position et qu’il a fait une demande d’accès à la suite de la décision de l’entreprise de refuser de réviser son dossier.
[57] L’entreprise considère que l’affirmation du demandeur voulant qu’elle soit « responsable » de la situation justifie une appréhension légitime de l’imminence d’une procédure judiciaire[9].
[58] Or, la Commission constate que le demandeur, dans son courriel de novembre 2013, explique ce que l’entrepreneur exécutant les travaux lors du second sinistre lui a indiqué et qui l’amène à conclure que les travaux faits par Plomberie Bissonnette n’étaient pas adéquats. Il ne fait allusion à aucune poursuite et ne formule aucune réclamation particulière.
[59] La Commission comprend du compte rendu des échanges verbaux que le demandeur réclame de l’entreprise le paiement de certains travaux relatifs au drain et visant à corriger la situation.
[60] Dans les notes prises par Mme Mercier, la Commission remarque qu’en décembre 2013, c’est elle qui a indiqué au demandeur de lui faire parvenir un rapport détaillé des raisons pour lesquelles le drain installé n’était pas conforme. Elle l’informe également que l’entreprise pourrait recourir à un expert indépendant pour examiner la part de responsabilité de l’entreprise et de Plomberie Bissonnette « avant de prendre une décision au niveau du changement de drain ». Elle indique que le demandeur comprend.
[61] Elle écrit le même commentaire lorsqu’elle annonce au demandeur le refus de l’entreprise d’assumer les frais pour le remplacement du drain. Ses notes indiquent que le demandeur précise que ce qui est le plus frustrant pour lui est de ne plus avoir d’assurance pour les dommages causés par l’eau.
[62] À la lumière de l’ensemble des faits mis en preuve dans le présent dossier, la Commission ne peut conclure à la présence de « circonstances qui permettent de croire que des procédures seront intentées incessamment ». La preuve ne révèle pas une « intention manifestée en ce sens ».
[63] Certes, Mme Mercier croyait que le demandeur intenterait des procédures judiciaires. Son témoignage indique que cette appréhension est fondée sur l’utilisation du terme « responsable » par le demandeur à quelques reprises. Elle fait le lien avec une poursuite en responsabilité.
[64] Toutefois, la Commission ne croit pas que le fait pour le demandeur d’indiquer à l’entreprise qu’il la considère « responsable » de la situation et lui demande de défrayer les coûts de certains travaux soit un indice suffisant de l’imminence d’une procédure judiciaire. Mme Mercier indique dans ses notes, à plus d’une reprise, après ses conversations avec le demandeur « qu’il comprend ».
[65] Or, les décisions concluant à l’imminence d’une procédure réfèrent généralement à des mises en demeure, à la présence d’un avocat au dossier ou encore à une intention manifeste qui se traduit par des paroles sans équivoque du demandeur d’accès concernant son intention par exemple, de faire valoir ses droits, d’aller jusqu’au bout ou de confier le tout entre les mains d’un avocat.
[66] Le simple fait de manifester son désaccord avec une décision d’un assureur d’argumenter avec lui et de vouloir comprendre les motifs de sa décision ne suffit pas pour démontrer l’imminence d’une procédure judiciaire[10]. Demander à son assureur d’assumer certains frais parce qu’on le considère responsable d’une situation n’indique pas nécessairement une intention d’intenter des procédures judiciaires.
[67] La Commission est d’avis que l’ensemble des circonstances du présent dossier ne lui permettent pas de conclure à l’imminence d’une procédure judiciaire au moment de la demande d’accès formulée par le demandeur. La preuve ne révèle pas une « intention manifestée en ce sens ». Le refus de l’entreprise de communiquer au demandeur les renseignements personnels demandés, en vertu de l’article 39 (2) de la Loi sur le privé, n’est donc pas fondé.
- Secret professionnel de l’expert en sinistre
[68] L’entreprise invoque aussi l’article 9 de la Charte pour refuser l’accès à certaines parties du rapport de l’expert en sinistres indépendant, soit les passages autres que factuels. Cette disposition se lit comme suit :
9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.
Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.
Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel.
[69] L’entreprise dépose une décision de la Commission rendue en 2008[11] qui réfère à des décisions de la Cour du Québec rendues entre 1997 et 2004[12]. Ces décisions concluent que l’article 9 de la Charte visant la protection du secret professionnel s’applique à l’expert en sinistres, même s’il n’est pas un professionnel assujetti au Code des professions.
[70] Or, référant notamment aux propos du professeur Ducharme sur le sujet, la Cour suprême[13] a conclu, en 2010, que seuls les membres des ordres professionnels régis par le Code des professions sont tenus au secret professionnel au sens de l’article 9 de la Charte :
[35] Le secret professionnel s’applique seulement aux professionnels qui y sont tenus par la loi et son application se limite actuellement aux 45 ordres professionnels régis par le Code des professions, L.R.Q., ch. C-26 (voir, p. ex., N. Vallières, « Le secret professionnel inscrit dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec » (1985), 26 C. de D. 1019, p. 1022-1023). […]
[71] En 2012, la Cour d’appel[14] a indiqué de façon non équivoque que l’expert en sinistres et le titulaire d'un permis d'agence d'investigation ne sont pas tenus au secret professionnel, même s’ils sont tenus à une obligation de confidentialité :
[35] L’expert en sinistre et le titulaire d'un permis d’agence d'investigation ne sont pas tenus au secret professionnel, car les renseignements recueillis pour confectionner leurs rapports ne l’ont pas été à l’occasion d’une « relation d’aide ». Aucune de ces personnes n'a recueilli de l’information pour connaître les besoins du confident et pour les satisfaire. L'expert en sinistre et le titulaire d'un permis d'agence d’investigation collectent et colligent de l’information provenant de tiers; ils en font l’analyse et ils communiquent leurs observations à l'assureur pour permettre à ce dernier de prendre position sur la réclamation de son assuré. Il n'est donc pas question d’aider le confident, mais il s’agit plutôt d'éclairer leur commettant.
[72] La Commission abonde dans ce sens. C’est d’ailleurs la position qu’elle a adoptée dans plusieurs de ces décisions[15].
[73] Ainsi, la Commission conclut que le secret professionnel ne peut s’appliquer au rapport de l’expert en sinistres en litige.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
[74] ACCUEILLE en partie la demande d’examen de mésentente;
[75] ORDONNE à l’entreprise de communiquer au demandeur les documents en litige déposés sous pli confidentiel à l’exception des documents suivants qui ne contiennent pas de renseignements personnels au sujet du demandeur :
· les factures et les feuilles de temps se rapportant aux honoraires professionnels des évaluateurs ou des experts en sinistres retenus par l’entreprise et les paiements effectués pour les acquitter;
· les références à ces éléments contenues dans les notes au dossier.
[76] REJETTE quant au reste la demande d’examen de mésentente.
Robinson Sheppard Shapiro
(Me Elisabeth Laroche)
Avocats de l’entreprise
[1] RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
[2] RLRQ, c. C-12, la Charte.
[3] 2006 QCCQ 6387, l’affaire Marcoux.
[4] J.L. c. Intact Assurances, 2015 QCCAI 230.
[5] Préc. note 4.
[6] Voir notamment : Hermann-Busson c. Service Anti-crime des assureurs, [1999] C.A.I. 287; X. c. S.S.Q. Société d’assurance-vie inc., [2002] C.A.I. 369.
[7] [1997] C.A.I. 466.
[8] 2000 CanLII 18251 (QC CQ), REJB 2000-22675.
[9] Elle cite la décision de la Commission dans l’affaire M.G. c. Fonds d’assurance-responsabilité professionnelle de l’Ordre des dentistes du Québec, 2010 QCCAI 113.
[10] R.F. c. Desjardins, Assurances générales, 2012 QCCAI 414.
[11] A.H. c. Alpha (L’), compagnie d’assurances, 2008 QCCAI 18.
[12] Général Accident compagnie d’assurance du Canada c. Ferland, [1997] C.A.I. 446; Sécurité compagnie d’assurance c. Gravel, [2000] C.A.I. 408; Service anti-crime des assureurs c. Ménard, 2004 CanLII 30035 (QC CQ).
[13] Globe and Mail c. Canada (Procureur général), [2010] 2 R.C.S. 592.
[14] Union canadienne (L'), compagnie d'assurances c. St-Pierre, 2012 QCCA 433.
[15] Voir notamment : D.P. c. Intact (Acquéreur de la division d'assurance d'ING Canada inc.), 2011 QCCAI 95; Leblond et Ménard c. Assurances générales des Caisses Desjardins, [2003] C.A.I. 391.
AVIS :
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