Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lafrenière-Bérubé |
2014 QCCQ 6190 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D’ABITIBI |
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LOCALITÉ DE VAL-D’OR |
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« Chambre criminelle » |
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N° : |
615-01-018830-110 |
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DATE : |
15 juillet 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-PIERRE GERVAIS, J.C.Q. |
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D.P.C.P. |
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Poursuivant - intimé |
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c. |
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CHARLES LAFRENIÈRE-BÉRUBÉ |
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Accusé - requérant |
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JUGEMENT |
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[1] Le requérant dans la présente instance doit répondre de deux chefs d’accusation qui sont les suivants :
·
Le ou vers le 30 juillet 2011, à Val-d’Or, district d’Abitibi, a
conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool
telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres
de sang, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de
culpabilité prévue aux articles
·
Le ou vers le 30 juillet 2011, à Val-d’Or, district d’Abitibi, a
conduit un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire ce véhicule
était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, commettant ainsi
l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux
articles
[2] Il demande, par le biais d’une requête en exclusion, que le Tribunal rejette certains éléments de preuve obtenus par les policiers, aux motifs que ses droits constitutionnels ont été violés et que certaines dispositions législatives relatives à la prise d’un échantillon d’haleine n’ont pas été respectées.
[3] Le requérant allègue que les agents auraient dû s’enquérir auprès de lui s’il avait consommé de l’alcool dans les 15 minutes précédant son interception avant d’exiger qu’il fournisse un échantillon d’haleine à l’aide d’un appareil de détection approuvé (ADA).
[4] En second, il prétend que son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat sans délai et d’être informé de ce droit, tel que le prévoit l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés[1], a été violé.
[5] Enfin, il affirme que les agents n’ont pas respecté les exigences du Code criminel en ne le soumettant pas à l’ivressomètre dans les meilleurs délais.
[6] À l’audience, son procureur fait savoir qu’il n’invoque plus ce dernier motif, ne fondant sa contestation que sur les deux premiers moyens.
[7] En substance, ce que l’on doit retenir de la preuve présentée par chacune des parties se résume à ce qui suit.
[8] À la date de l’infraction présumée, soit le 30 juillet 2011, les agents Francis Bélisle et Alexandre Giguère-Asselin sont en faction sur le quart de nuit dans la municipalité de Val-d’Or.
[9] Vers 1 h 30, ils décident d’amorcer une opération visant à vérifier la sobriété des conducteurs. Le policier Bélisle explique qu’à cette fin ils dressent un barrage sur le boulevard Forest à la hauteur de la rue des Mésanges et qu’ils interceptent les voitures circulant dans ce secteur.
[10] Aux environs de 1 h 45, le requérant, au volant de son véhicule, arrive sur place et l’agent Bélisle se rend à sa hauteur.
[11] Il constate que le conducteur a les yeux rouges, dégage une légère odeur d’alcool, semble avoir la bouche pâteuse et, à la suite de la question posée par l’agent, admet avoir consommé.
[12] Le policier lui demande de fournir un échantillon d’haleine dans l’ADA pour qu’il puisse évaluer son alcoolémie.
[13] Sans que le patrouilleur ne s’enquière du moment exact auquel monsieur Lafrenière a bu, il le soumet au test et l’appareil affiche un message d’échec.
[14] Fort de ce résultat, l’agent estime avoir les motifs raisonnables pour arrêter le conducteur et lui donner l’ordre de le suivre pour subir un alcootest afin de déterminer avec précision son alcoolémie.
[15] Par la même occasion, il l’informe de son droit au silence ainsi que de celui de contacter un avocat dans les meilleurs délais possible.
[16] L’agent Bélisle témoigne que l’accusé est à ce moment coopératif et qu’il lui dit ne pas vouloir s’entretenir avec un avocat.
[17] Peu après, le policier entreprend des démarches pour obtenir les services d’un technicien qualifié pour opérer l’éthylomètre. Il s’avère qu’aucun n’est disponible à Val-d’Or et qu’ils devront se rendre au poste de la Sûreté du Québec d’Amos pour ce faire.
[18] Ils prennent donc la route en direction de ce lieu où ils arrivent vers 2 h 54. Durant le trajet, l’accusé demeure complètement silencieux.
[19] À cet endroit, à l’aide du formulaire prescrit pour la prise de déclaration, on l’informe de nouveau de ses droits, notamment de celui de consulter un avocat.
[20] L’accusé ne désirant pas se prévaloir de ce droit, on l’invite alors à cocher lui-même son refus.
[21] L’examen du document produit en preuve montre qu’à la question de savoir si la personne arrêtée désire consulter un procureur, tant les cases « oui » que « non » sont cochées par l’accusé. De plus, celui-ci apposent ses initiales à l’endroit prévu à cette fin ainsi qu’au-dessus de la case « non ».
[22] Questionné sur cette particularité, le témoin affirme ne pas se souvenir pourquoi il en est ainsi et n’avoir pris aucune note à ce sujet.
[23] Il ajoute ne pas avoir porté une attention particulière à ceci du fait que les personnes interpellées font souvent comme l’a fait l’accusé, c’est-à-dire qu’elles cochent les deux cases.
[24] Il se rappelle très bien cependant que monsieur Lafrenière-Bérubé a mentionné ne pas vouloir parler avec un avocat ni faire de déclaration.
[25] Par la suite, deux échantillons d’haleine sont prélevés et, dans l’intervalle entre ceux-ci, un scénario de consommation dressé.
[26] À la fin de l’intervention, vu la collaboration dont a fait preuve l’accusé, les agents lui offre de le ramener à Val-d’Or.
[27] En contre-interrogatoire, le policier témoigne savoir que la présence d’un résidu d’alcool dans la bouche d’un conducteur peut avoir comme effet de fausser la lecture de l’ADA.
[28] Il ajoute ne pas poser la question à quelqu’un qu’il interpelle s’il a bu dans les instants précédents, à moins de déceler une forte odeur d’alcool ou de savoir qu’il vient à peine de quitter un bar.
[29] En somme pour lui rien de systématique, chaque situation pouvant appeler une démarche différente.
[30] Vient par la suite le témoignage de l’agent Alexandre Giguère-Asselin qui se superpose généralement à celui de l’agent Bélisle, sauf quant à certains aspects.
[31] Il confirme effectivement que les deux policiers décident d'arrêter les voitures circulant sur le boulevard Forest; lui s’occupe de celles allant vers l’est tandis que son collègue vérifie ceux circulant vers l’ouest.
[32] À un certain moment, il remarque que son confrère s’attarde particulièrement à un véhicule et décide en conséquence de s’approcher. Il rapporte qu’outre une légère odeur d’alcool il ne décèle rien de particulier concernant le conducteur interpellé.
[33] Il se trouve à côté de l’agent Bélisle lorsque ce dernier procède à l’arrestation de l’accusé et l’informe de ses droits.
[34] Selon lui, ce dernier aurait uniquement répondu qu’il avait compris sans faire savoir s’il désirait s’entretenir ou non avec un avocat.
[35] Arrivé au poste de la Sûreté du Québec d’Amos, il confirme que les droits sont de nouveau lus à l’accusé, mais ne peut dire si celui-ci exprime le désir de parler avec son procureur.
[36] Son seul souvenir est que l’agent Bélisle lui dit de mettre ses initiales sur le formulaire servant à rédiger la déclaration d’un prévenu. Il n’a d’autre part aucune idée de la raison pour laquelle les deux cases, indiquant si la personne arrêtée désire ou non s’entretenir avec un avocat, sont cochées.
[37] Les témoignages des policiers sont suivis par celui du requérant.
[38] Celui-ci explique que dans la soirée précédant l’interception, il s’est effectivement rendu dans ce qu’il appelle un resto-bar, mais ne peut se souvenir précisément de l’endroit. Alors qu’il se dirige vers son domicile, il est interpellé sur le boulevard Forest. Le policier lui dit soupçonner qu’il a de l’alcool dans son organisme et lui demande s’il a effectivement consommé, ce à quoi il répond par l’affirmative.
[39] Après qu’il eut soufflé dans l’ADA, l’agent Bélisle l’informe du résultat et du fait qu’il sera amené au poste afin de subir un alcootest.
[40] Il l’informe à ce moment qu’il a le droit de garder le silence et qu’il peut également contacter un avocat quand cela sera possible.
[41] Après avoir répondu qu’il a bien compris, monsieur Lafrenière-Bérubé affirme être demeuré complètement silencieux et ne pas avoir indiqué s’il désirait ou non s’entretenir avec un procureur.
[42] Comme mentionné, on l’amène à Amos où un technicien apte à opérer un éthylomètre l’accueille.
[43] Dans une salle, en présence des agents Bélisle et Giguère, on lui remet un formulaire de déclaration comportant un texte reproduisant la mise en garde relative au droit au silence ainsi qu’à celui de consulter un avocat.
[44] À côté de cette dernière mention est écrit : Désirez-vous consulter un avocat de garde ou un autre avocat? Cette question est suivie de deux cases permettant en cochant d’indiquer si la réponse est « oui » ou « non ».
[45] L’accusé affirme cocher la première de celle-ci et aussi indiquer que tel est son désir. L’agent Bélisle lui demande alors pourquoi il coche cette case et s’il connaît un avocat, ce à quoi il répond par la négative.
[46] Le policier, selon les dires du témoin, lui répond que dans les circonstances cela ne sert à rien de cocher « oui » et qu’il devrait plutôt cocher « non » à l’endroit requis. Croyant que c’est ce qui doit être fait alors, l’accusé s’exécute et le patrouilleur le prie de mettre ses initiales à côté de la case « non » en la lui pointant.
[47] Pour autant, monsieur Lafrenière-Bérubé affirme qu’à cet instant il veut consulter un avocat, mais se conforme plutôt à la recommandation de l’agent. Il explique qu’il est alors est impressionné par la situation, étant donné que c’est la première fois qu’il se fait interpeller de la sorte, et ne sait pas vraiment quoi faire ni comment réagir.
[48] Peu après, on le soumet à l’éthylomètre et on l’invite à répondre aux questions concernant sa consommation d’alcool durant la soirée. Il est par la suite reconduit chez lui par les agents.
[49] Voici donc l’essentiel de la preuve présentée en regard de la requête introduite par l’accusé.
[50] De l’avis de celui-ci, le fait de lui avoir imposé de se soumettre à l’ADA sans avoir préalablement vérifié s’il avait consommé des boissons alcoolisées dans les 15 minutes précédentes constitue une faute permettant de rejeter le résultat de ce dernier test, laissant donc les policiers sans motifs raisonnables d’exiger de lui qu’il se soumette à l’alcootest.
[51]
Par surcroît, il estime que son droit constitutionnel protégé par
l’article
[52] Quant au poursuivant, il avance que le policier n’avait pas à s’enquérir, lors de l’interception, de la consommation récente d’alcool par l’accusé, à moins d’avoir des motifs de craindre que celle-ci puisse biaiser les résultats de l’ADA.
[53] Quant à la violation du droit à l’avocat, le procureur du ministère public considère que si les évènements se sont produits comme le relate le requérant, on peut conclure qu’effectivement il y a eu entorse à celui-ci.
[54] Il croit cependant que la version de l’accusé n’est pas crédible et que considérant qu’il lui appartient, suivant la prépondérance de la preuve, d’établir ce manquement, sa demande doit échouer.
[55] Selon lui, ce que rapportent les policiers, malgré certaines lacunes, doit être considéré comme avéré du fait que leurs témoignages sont fiables et qu’ils n’ont rien à gagner dans cette histoire ni aucune raison de mentir.
[56] En tout état de cause, il estime que même s’il devait y avoir eu violation du droit allégué, la preuve devrait tout de même être admise étant donné, entre autres, que même si l’accusé avait pu s’entretenir avec un avocat, cela n’aurait dans les faits rien changé puisqu’il devait de toute façon se plier à la loi et fournir un échantillon d’haleine.
[57] Alors qu’en est-il en l’espèce?
[58] L’argument selon lequel le résultat obtenu de l’ADA est invalide, et donc qu’il ne pouvait fonder la demande que l’accusé se soumette à l’éthylomètre, est énoncé de la façon suivante dans la requête de celui-ci.
4. Bien que les policiers n’avaient aucun motif pour les laisser croire que le requérant n’avait pas consommé dans les 15 minutes précédant son interception, en aucun temps, les policiers Francis Bélisle et Alexandre Giguère-Asselin ne lui ont demandé à quand remontait sa dernière consommation afin d’attendre les 15 minutes requises pour ne pas fausser les résultats obtenus dans l’A.D.A.; (sic)
[59] Afin de tenter d’étayer sa thèse, le requérant produit plusieurs décisions qui, pour la plupart, ont à répondre à une question différente.
[60]
En effet, dans celles-ci on reproche aux agents de la paix d’avoir
attendu 15 minutes avant d’obtenir un échantillon d’haleine aux fins d’analyse
par un ADA, de telle sorte que le test n’a pas été administré
« immédiatement » comme l’édicte l’article
[61] En d’autres mots, on tentait d’obtenir le rejet du résultat de l’ADA au motif que les agents, soupçonnant une consommation récente d’alcool, avaient décidé d’attendre au moins 15 minutes avant d’effectuer un prélèvement à l’aide de cet appareil.
[62] Ici, le requérant présente donc un raisonnement a contrario selon lequel les agents de la paix qui interceptent un véhicule et soupçonnent la présence d’alcool dans le sang du conducteur doivent obligatoirement respecter un délai de 15 minutes avant de lui demander de fournir un échantillon d’haleine, sans quoi le résultat obtenu ne peut servir de fondement pour exiger qu’il se soumette à l’éthylomètre.
[63] Il est généralement reconnu, et c’est ce que l’on enseigne aux policiers, que lorsque l’on soupçonne qu’un individu a consommé de l’alcool dans les 15 minutes précédant le prélèvement d’un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA, le résultat pourrait être faussé par les résidus demeurés dans la bouche[2].
[64] Mais de toute évidence on fait appel ici au jugement des policiers qui peuvent très bien décider que les circonstances sont telles qu’il est souhaitable d’attendre 15 minutes afin d’éviter un résultat qui serait inexact. C’est le cas lorsque le patrouilleur a des motifs sérieux de croire qu’il y a eu consommation récente.
[65] Cela peut résulter souvent d’une question posée au conducteur qui, rappelons-le, n’a pas l’obligation d’y répondre ou encore du fait par exemple qu’il y a présence d’alcool dans le véhicule. Il pourrait en être de même si l’interception se déroule alors qu’on a vu l’individu quitter un bar dans les instants précédents.
[66]
L’arrêt Bernshaw[3]
dit bien que le terme « immédiatement » utilisé à l’article
70 En conséquence, il appert que les tribunaux sont
disposés à donner une interprétation large au terme «immédiatement» comme notre
Cour l'a reconnu dans l'arrêt Grant. À mon avis, cette interprétation
est appropriée compte tenu du libellé et du contexte du texte législatif.
Voici à cet égard le passage pertinent du par.
L'agent de la paix [. . .] peut lui ordonner de lui fournir, immédiatement, l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon. [Je souligne.]
Cette disposition prévoit expressément qu'un policier a le droit d'ordonner à une personne de lui fournir l'échantillon d'haleine nécessaire à l'analyse. Dans le cas où le policier sait qu'un suspect a récemment consommé de l'alcool, il doit attendre au moins 15 minutes avant de prélever un échantillon valable. En conséquence, le libellé de la disposition appuie l'argument que le terme «immédiatement» doit être interprété avec souplesse.
71 Deux affaires récentes entendues à la Cour d'appel
de l'Ontario viennent aussi appuyer cette conclusion. Dans R. c. Pierman;
R. c. Dewald (1994), 19 O.R. (3d) 704, la cour a examiné si les
policiers sont autorisés à attendre 15 minutes avant de prélever un
échantillon d'haleine en vertu du par.
[traduction] À
mon avis, un policier ne peut retarder le prélèvement de l'échantillon
d'haleine, lorsqu'il agit en application du par.
72. Par conséquent, dans cette affaire, le policier pouvait légitimement attendre pour faire subir le test parce qu'il existait une preuve que Pierman avait peut-être consommé de l'alcool juste avant d'être intercepté. Cependant, dans le cas de Dewald, le policier n'avait aucun renseignement quant au moment où l'accusé avait pris sa dernière consommation d'alcool et il n'était pas justifié de retarder le test. Le juge Arbour a conclu que la police ne peut détenir un suspect pendant une période additionnelle de 15 minutes que dans le cas où des faits lui permettent de croire que l'appareil de détection donnerait un résultat inexact.
73. J'adopte la démarche souple préconisée par le juge
Arbour. À mon avis, elle est conforme à l'objet du régime législatif et
garantit qu'un policier a une conviction sincère fondée sur des motifs
raisonnables avant d'ordonner un alcootest. Le paragraphe
74. Certes, il n'y a pas de doute que le test de détection devrait généralement être administré dès que possible; cependant, on irait tout à fait à l'encontre du but du législateur si l'on exigeait que la police fasse subir le test de détection tout de suite dans des circonstances qui rendraient les résultats totalement non fiables et faussés. […]
[67] On retient donc que si dans certaines circonstances un policier peut être fondé d’attendre un certain temps avant de prélever un échantillon d’haleine à l’aide de l’ADA, absolument rien ne l’oblige à retarder celui-ci s’il n’a pas de motif de le faire.
[68] À l’inverse, dans de telles circonstances il risquerait de se faire reprocher de ne pas avoir respecté les exigences de la disposition législative et ne pas avoir agi immédiatement.
[69] Le Tribunal est en accord avec les commentaires formulés tant par l’honorable Jean Sirois, J.C.Q., dans l’affaire Lacaille[4] que par l’honorable Renée Lemoine, J.C.Q., dans R. c. Gagnon[5], où chacun dit que rien n’oblige un policier à attendre 15 minutes avant d’utiliser l’ADA pour vérifier l’alcoolémie d’un conducteur s’il n’a pas de motif sérieux de soupçonner une consommation récente.
[70] Dans les circonstances, cet argument du requérant mérite d’être mis de côté.
[71]
En ce qui concerne l’autre motif invoqué, inutile d’épiloguer très
longuement sur la question de savoir s’il y a eu violation du droit garanti par
l’article
[72]
Rappelons simplement ce qu’édicte l’article
10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
· b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;
[73] Cette protection comporte deux volets, soit dans un premier temps l’obligation d’informer une personne arrêtée et détenue de son droit d’avoir recours aux services d’un avocat, et en second de lui permettre effectivement d’exercer ce droit, et ce, sans délai.
[74] L’objectif recherché par cette règle est d’assurer à une personne qui subit la contrainte de l’État qu’elle sera traitée équitablement, informée de ses droits et en posture d’obtenir des conseils sur la façon de les exercer[6].
[75] L’information donnée à un prévenu doit donc être complète, et l’opportunité d’exercer ce droit réelle.
[76] Il ne fait aucun doute que les policiers ne peuvent, sous aucune considération, interférer avec l’exercice de ce droit en tentant, par exemple, d’influencer la personne arrêtée dans la décision qu’elle s’apprête à prendre de contacter un avocat ou non.
[77] Qu’en déduire dans les circonstances?
[78] Tel que l’a souligné le procureur du poursuivant, il appartient en cette matière à celui qui invoque une violation à ce droit de l’établir par prépondérance.
[79] Bien que l’on puisse se surprendre de la version livrée par le requérant quant à l’attitude des policiers, aux propos tenus à cet égard, et qu’il ne se souvent pas du lieu où il a passé la soirée, il n’en demeure pas moins que son témoignage n’a pas été ébranlé et qu’aucune contradiction sérieuse n’a été mise en lumière.
[80] À l’inverse, le propos de monsieur Lafrenière-Bérubé est demeuré cohérent et rien ne laisse croire qu’il a fabriqué celui-ci aux fins de la cause. Son témoignage semblait franc et sa crédibilité n’a pas souffert du contre-interrogatoire. Dans les circonstances, il n’y a donc pas lieu de le repousser.
[81] En ce qui concerne les témoignages rendus par les policiers, on décèle par contre certaines lacunes qui sont de nature à laisser perplexe.
[82] La plus importante est évidemment que ni l’un ni l’autre n’a pu expliquer comment il se fait que sur le formulaire de déclaration les deux cases indiquant la volonté du prévenu de se prévaloir ou non du droit à l’avocat aient été cochées.
[83] Le commentaire de monsieur Bélisle voulant qu’il s’agisse là d’une situation courante ne convainc pas vraiment puisque, au contraire, le Tribunal croit que ceci est plutôt inhabituel et qu’il aurait été souhaitable que les policiers puissent donner une explication cohérente à ce sujet.
[84] Sous un autre angle, il y a également lieu de se questionner lorsque l’agent Bélisle déclare qu’au moment de l’interception l’accusé a dit ne pas vouloir parler avec un avocat tandis que son collègue, à l’inverse, affirme que l’individu a gardé le silence et n’a pas fait part de ses intentions à ce sujet.
[85] Pour répondre à l’argument du procureur du ministère public, le fait que les policiers n’aient rien à gagner ou à perdre dans cette affaire, ce qui est vrai par ailleurs, n’est d’aucune pertinence dans l’appréciation des témoignages. Ceci ne constituera jamais une assurance qu’ils n’ont pas fait une erreur ou commis un impair dans la conduite d’une affaire.
[86]
En conséquence, la conclusion qui s’impose est que le requérant a
présenté une preuve prépondérante que le 30 juillet 2011 son droit garanti par
l’article
[87] Reste maintenant à décider si le remède approprié est, comme il le prétend, l’exclusion de la preuve recueillie, nommément le scénario de consommation ainsi que les résultats de l’éthylomètre.
[88] Le droit d’avoir recours aux services d’un avocat sans délai et d’être informé de celui-ci occupe un rang élevé dans la hiérarchie des protections accordées par la Charte.
[89] Il semble que dans le cas présent il ait été traité avec une certaine légèreté par les agents de la paix.
[90] Peut-être avaient-ils raison de penser qu’en tout état de cause l’exercice de ce droit ne changerait rien à l’issue finale, puisque de toute façon l’accusé n’avait pas d’autre choix que de fournir un échantillon d’haleine. Cependant, le Tribunal ne voit pas les choses de cette façon.
[91] Adhérer à ce point de vue équivaudrait à anéantir en pratique cette garantie constitutionnelle dès le moment où les circonstances sont telles que le fait d’avoir recours ou non aux services d’un avocat risquerait de ne rien changer au final.
[92] Il est vrai, tel que le souligne le procureur du ministère public, que la conduite en état d’ébriété constitue un fléau contre lequel il faut lutter constamment et que la protection de la société contre celui-ci doit demeurer une priorité.
[93] Par contre dans les circonstances, vu l’importance de l’entorse faite aux droits fondamentaux de l’accusé, il y a lieu de ne pas mettre cette considération au premier plan.
[94] Par ailleurs, tel qu’également souligné, l’exclusion de la preuve laissera le ministère public sans aucun autre moyen d’établir la culpabilité de l’accusé et en conséquence un crime demeurera peut-être impuni.
[95] Cependant, c’est parfois le prix à payer pour une société qui a choisi d’élever certains principes au niveau de droits fondamentaux.
[96] En conséquence, le Tribunal estime que le remède requis par le requérant est celui qui doit être ordonné.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[97] ACCUEILLE la requête;
[98]
DECLARE que le droit du requérant d’avoir recours sans délai à
l’assistance d’un avocat, tel que le prévoit l’article
[99] EXCLUT tout élément de preuve obtenu postérieurement à la violation;
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__________________________________ JEAN-PIERRE GERVAIS, J.C.Q. |
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Me François Parent |
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Procureur du D.P.C.P. - intimé |
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Me Simon Corbeil |
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Cain Lamarre Casgrain Wells |
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Procureur de l’accusé - requérant |
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Date d’audience : |
6 juin 2014 |
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AVIS :
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appel; la consultation
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