Décision

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COUR D'APPEL

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

 No:

500-09-000248-930

 

(500-05-001446-929)

 

DATE: 6 juin 2000

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND J.C.A.

MICHEL ROBERT J.C.A.

FRANCE THIBAULT J.C.A.

___________________________________________________________________

 

SERGE DESRIVIÈRES,

APPELANT - Requérant

c.

GENERAL MOTORS DU CANADA

et

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL,

INTIMÉES - Intimées

et

COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES

et

ME GINETTE GODIN

et

ME ANNE LEYDET

et

ME MARIE LAMARRE,

MISES EN CAUSE - Mises en cause

et

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES,

MISE EN CAUSE EN REPRISE D'INSTANCE

___________________________________________________________________

 

ARRÊT

___________________________________________________________________

 

[1]                LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal, rendu le 12 janvier 1993 par madame la juge Diane Marcelin qui rejetait sa requête en révision judiciaire d'une décision de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, prononcée le 16 décembre 1991 et rejetant son appel concernant le remboursement d'une indemnité de remplacement du revenu réclamé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (474,94$);

[2]                Après étude du dossier, audition et délibéré:

[3]                Pour les motifs énoncés par le juge Jacques Chamberland dans son opinion écrite, jointe au présent arrêt, auxquels souscrivent les juges Michel Robert et France Thibault;

[4]                ACCUEILLE le pourvoi, avec dépens;

[5]                CASSE le jugement de la Cour supérieure;

[6]                ACCUEILLE la requête en révision judiciaire, avec dépens;

[7]                ANNULE la décision prononcée par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles le 16 décembre 1991 et DÉCLARE que les sommes versées à l'appelant à titre d'indemnité de remplacement du revenu pour la période du 10 au 16 juin 1986 ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de remboursement de la part de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

 

________________________________

JACQUES CHAMBERLAND J.C.A.

 

 

________________________________

MICHEL ROBERT J.C.A.

 

 

________________________________

FRANCE THIBAULT J.C.A.

 

Me Laurent Roy

(Trudel, Nadeau)

Avocat de l'appelant

 

Me André Leduc

Avocat de l'intimée General Motors du Canada

 

Mes Jean-Marie Robert et Daniel Malo

(Panneton, Lessard)

Avocats de l'intimée CSST

 

Me Claude Verge

(Levasseur, Verge)

Avocat de la CALP et al

 

Date d'audience:  16 mars 2000

 Domaine du droit:

ADMINISTRATIF (DROIT)

 

 


___________________________________________________________________

 

OPINION DU JUGE CHAMBERLAND

___________________________________________________________________

 

[8]                L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui rejetait sa requête en révision judiciaire à l'encontre d'une décision de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la CALP)[1] rejetant son appel concernant le remboursement d'une indemnité de remplacement de revenu de 474,94$.

 

Le contexte

 

[9]                Les faits ne sont pas contestés.  L'appelant était à l'emploi de l'intimée General Motors du Canada lorsque, le 27 mai 1986, il a été victime d'une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001 (la LATMP).

[10]           L'existence de cette lésion est reconnue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) qui versera à l'appelant une indemnité de remplacement de revenu pour la période du 28 mai au 16 juin 1986.

[11]           L'employeur ne conteste pas que l'appelant ait été victime d'une lésion professionnelle, ni que cette lésion l'ait rendu incapable d'exercer son emploi, lui donnant ainsi droit à une indemnité de remplacement du revenu.  Il prétend toutefois que ce droit s'est éteint le 10 juin 1986, date à laquelle l'appelant est redevenu capable d'exercer son emploi.

[12]           À la demande de l'employeur, l'appelant a été examiné par le Dr Gilles Maillé le 4 juin 1986.  Dans son rapport du même jour, l'orthopédiste conclut que la lésion devrait être «consolidée»[2], sans atteinte à l'intégrité physique du travailleur, ni limitation fonctionnelle, à compter du 9 juin 1986.

[13]           Le 9 juin, le Dr Perreault, médecin traitant de l'appelant, examinait ce dernier et produisait un rapport final à la CSST dans lequel il déterminait que la lésion serait consolidée le 14 juin, sans atteinte à l'intégrité physique du travailleur, ni aucune limitation fonctionnelle.

[14]           Le 16 juin, l'appelant réintégrait son emploi habituel.

[15]           Le 23 juin, l'employeur enclenchait le processus d'arbitrage médical relatif à la date de consolidation de la lésion en transmettant le rapport du Dr Maillé à la CSST dans le délai prévu par la LATMP (articles 209 , 212 et 217 à 223 LATMP).  Il informait également la CSST de sa volonté de contester toute prolongation de l'incapacité totale temporaire au-delà du 9 juin 1986.

[16]           L'appelant était alors examiné par le Dr Georges Leclerc le 6 août.  Le même jour, l'arbitre médical signait un rapport dans lequel il concluait que la date de consolidation de la lésion était le 9 juin 1986.

[17]           Le 26 août, la CSST informait l'appelant du résultat de l'arbitrage médical mais, malheureusement, une erreur de date se glissait dans sa lettre.  Le 3 septembre, elle corrigeait l'erreur en précisant retenir le 9 juin 1986 comme date de consolidation de la lésion professionnelle.

[18]           Le 18 février 1987, la CSST réclamait de l'appelant la somme de 474,94$ dans les termes suivants:

Monsieur,

A la suite de l'étude de votre dossier, nous constatons que nous vous avons versé en trop un montant de 474.94.  En effet, vous êtes retourné au travail le 86-06-10[3] ARBITRAGE, et nous avons payé jusqu'au 17 juin 1986.

            Or, le formulaire ci-joint, vous indique deux modes de remboursement pouvant vous convenir.  Nous vous demandons de bien vouloir le remplir, en y indiquant le mode de votre choix et nous le retourner dûment signé, avec le(s) chèque(s) couvrant le remboursement, dans l'enveloppe-réponse ci-jointe.

            Nous comptons sur votre collaboration.

                                                                                    Signature

                                                                                    JACQUES JOLY

                                                                                    Service de la réparation

 

[19]           Le 31 mars, l'appelant demandait la révision de cette décision.  Sans succès, puisque le Bureau de révision (le BR), à l'unanimité de ses trois membres, rejetait cette demande le 5 avril 1988.

[20]           L'appelant interjetait appel.  Le 16 décembre 1991, la CALP, à l'unanimité des trois commissaires que le président de l'organisme avait nommés pour entendre l'affaire (article 404 LATMP), rejetait l'appel, confirmait la décision du BR et déclarait que la CSST pouvait réclamer de l'appelant la somme de 474,94$ représentant l'indemnité de remplacement du revenu versée en trop après le 9 juin 1986, date de la consolidation de sa lésion professionnelle.

[21]           Le 12 janvier 1993, la Cour supérieure refusait à son tour d'intervenir estimant que la CALP avait exercé la compétence que la loi lui conférait expressément et qu'il n'y avait pas lieu de réviser judiciairement cette décision, celle-ci n'étant pas manifestement déraisonnable.

 

L'analyse

 

[22]           Le pourvoi pose, bien évidemment, la question de la norme qu'il convient d'appliquer au contrôle judiciaire de la décision de la CALP puis, celle de savoir si la décision rendue, lorsqu'étudiée à la lumière de la norme de contrôle applicable, justifie une intervention judiciaire.  Je traiterai des deux questions dans l'ordre après avoir cité les nombreux articles de la LATMP pertinents à cette analyse, tels qu'ils se lisaient à l'époque pertinente au présent pourvoi:

  44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

  Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

  46.  Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

  57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:

  1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;

  2° au décès du travailleur; ou

  3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

  60.  L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90% de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.

  L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé si celui-ci lui a fourni l'attestation médicale visée dans l'article 199.

  Ce salaire constitue l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité et la Commission en rembourse le montant à l'employeur dans les 14 jours de la réception de la réclamation de celui-ci, à défaut de quoi elle lui paie des intérêts, dont le taux est déterminé suivant les règles établies par règlement.  Ces intérêts courent à compter du premier jour de retard et sont capitalisés quotidiennement.

  Si, par la suite, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop-perçu conformément à la section I du chapitre XIII.

  129.  La Commission peut, si elle le croit à propos dans l'intérêt du bénéficiaire ou dans le cas d'un besoin pressant du bénéficiaire, verser une indemnité de remplacement du revenu avant de rendre sa décision sur le droit à cette indemnité si elle est d'avis que la demande apparaît fondée à sa face même.

  Si par la suite la Commission rejette la demande ou l'accepte en partie, elle ne peut recouvrer les montants versés en trop de la personne qui les a reçus, sauf si cette personne:

  1° a obtenu ces montants par mauvaise foi; ou

  2° a droit au bénéfice d'un autre régime public d'indemnisation en raison de la blessure ou de la maladie pour laquelle elle a reçu ces montants.

  Dans le cas du paragraphe 2°, la Commission ne peut recouvrer les montants versés en trop que jusqu'à concurrence du montant auquel a droit cette personne en vertu d'un autre régime public d'indemnisation.

  133.  La Commission doit recouvrer le montant de l'indemnité de remplacement du revenu qu'un travailleur a reçu sans droit depuis la date de consolidation de sa lésion professionnelle, lorsque ce travailleur:

  1° a été informé par le médecin qui en a charge de la date de consolidation de sa lésion et du fait qu'il n'en garde aucune limitation fonctionnelle; et

  2° a fait défaut d'informer sans délai son employeur conformément au premier alinéa de l'article 274.

  209.  L'employeur peut exiger de son travailleur victime d'une lésion professionnelle que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, mais il ne peut requérir plus d'un examen médical.

  Cependant, lorsque le médecin qui a charge du travailleur a prévu que la lésion professionnelle de celui-ci ne serait pas consolidée dans les 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, l'employeur peut requérir au plus un examen médical par mois pour faire évaluer la date de la consolidation de cette lésion.

  212.  L'employeur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge de son travailleur victime d'une lésion professionnelle s'il obtient un rapport d'un médecin qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions du médecin qui en a charge quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:

  1° le diagnostic;

  2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

  3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

  4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

  5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

  L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester, pour que celle-ci le soumette à l'arbitrage prévue par l'article 217.

  217.  La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 206, 212 et 214 à l'arbitrage en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.

  218.  Le ministre désigne un arbitre parmi les professionnels de la santé dont les noms apparaissent sur la liste visée à l'article 216.

  Il informe les parties à la contestation, la Commission et les professionnels de la santé concernés des nom et adresse de l'arbitre qu'il a désigné.

  219.  La Commission transmet sans délai à l'arbitre désigné le dossier médical complet qu'elle possède au sujet du travailleur relativement à la lésion professionnelle qui fait l'objet de l'arbitrage; ce dossier comprend le rapport d'un médecin obtenu par l'employeur ou par le travailleur, le cas échéant.

  220.  L'arbitre étudie le dossier soumis.  Il peut, s'il le juge à propos, examiner le travailleur ou requérir de la Commission tout renseignement ou document d'ordre médical qu'elle détient ou peut obtenir au sujet du travailleur.

  Il doit aussi examiner le travailleur si celui-ci le lui demande.

  221.  L'arbitre, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

  222.  L'arbitre rend son avis dans les 30 jours de la date à laquelle le dossier lui a été transmis, à moins que les parties acceptent par écrit de prolonger ce délai, et l'expédie sans délai au ministre, avec copies à la Commission et aux parties.

  223.  Un arbitre ne peut être poursuivi en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions.

  224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présent loi, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

  Cependant, si un arbitre rend un avis en vertu de l'article 221 infirmant le diagnostic ou une autre conclusion de ce médecin, la Commission devient liée par cet avis et modifie sa décision en conséquence, s'il y a lieu.

  349.  La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.

  358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision par un bureau de révision constitué en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

  Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou 233 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de l'article 256.

  359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par un bureau de révision à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut en interjeter appel devant la Commission d'appel dans les 60 jours de sa notification.

  361.  Une décision de la Commission qui accorde une indemnité de remplacement du revenu a effet immédiatement, jusqu'à ce qu'elle soit modifiée en vertu du deuxième alinéa de l'article 224, le cas échéant, malgré une demande de révision ou un appel.

  Une décision de la Commission qui accorde une indemnité de décès prévue par l'article 101, par le premier alinéa de l'article 102 ou par l'article 109 ou une indemnité pour frais funéraires ou frais de transport du corps du travailleur et un avis de classification, un avis de cotisation et un avis d'imputation délivrés par la Commission ont effet immédiatement, malgré une demande de révision ou un appel.

  Une décision de la Commission rendue en vertu de l'article 142 a effet immédiatement, jusqu'à ce qu'elle soit confirmée, infirmée ou modifiée, le cas échéant.

  Une décision de la Commission en matière de réadaptation a effet immédiatement, malgré une demande de révision ou un appel, quant à chacune des prestations de réadaptation qu'elle accorde.  Cependant, si le bénéficiaire conteste cette décision, celle-ci cesse d'avoir effet quant à la prestation contestée.

  Sous réserve de l'article 263, une autre décision de la Commission a effet lorsqu'elle devient finale.

  363.  Lorsqu'un bureau de révision ou la Commission d'appel annule ou réduit le montant d'une indemnité de remplacement du revenu ou d'une indemnité de décès visée dans l'article 101 ou dans le premier alinéa de l'article 102 ou une prestation prévue dans le plan individualisé de réadaptation d'un travailleur, les prestations déjà fournies à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées, sauf si elles ont été obtenues par mauvaise foi ou s'il s'agit du salaire versé à titre d'indemnité en vertu de l'article 60.

  365.  La Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un intéressé, reconsidérer une décision qu'elle a rendue et qui n'a pas fait l'objet d'une décision par un bureau de révision, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

  Si la décision à reconsidérer fait l'objet d'une demande de révision, la Commission ne peut la reconsidérer à moins d'obtenir le consentement des parties à cette fin.[4]

  366.  Une décision rendue en vertu de l'article 365 remplace la décision initiale et celle-ci cesse d'avoir effet.

  Les articles 363 et 364 s'appliquent, en y faisant les adaptations nécessaires, à une décision rendue en vertu de l'article 365.

  430.  Sous réserve des articles 129 et 363, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n'a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission.

  437.  La Commission peut, même après le dépôt du certificat, faire remise de la dette si elle le juge équitable en raison notamment de la bonne foi du débiteur ou de sa situation financière.

  Cependant, la Commission ne peut faire remise d'une dette qu'elle est tenue de recouvrer en vertu du quatrième alinéa de l'article 60 ou de l'article 133.

 

La norme de contrôle

 

[23]           L'appelant plaide que la décision 18 février 1987 révisait la décision initiale sur son état d'incapacité, la CSST se justifiant ainsi du second alinéa de l'article 224 LATMP pour statuer de nouveau, et avec effet rétroactif, sur sa capacité à reprendre son travail le 10 juin 1986.  L'appelant soutient que la décision de la CALP, en appel de celle du BR, comporte des erreurs qui 1) reposent sur une disposition attributive de compétence, soit celle de réviser une décision antérieure, avec ou sans effet rétroactif, 2) entraînent pour lui la perte de droits acquis en raison de l'application de la règle de la chose jugée, 3) amènent la CALP à se saisir illégalement d'une question (règle du functus officio) et, enfin 4) en raison de leur nombre et de leur gravité, doivent être qualifiés de manifestement déraisonnables.  Selon l'appelante, les trois premières questions doivent être étudiées sous l'angle du critère de la simple erreur de droit alors que la dernière fait appel au concept de l'erreur manifestement déraisonnable.  À titre subsidiaire, l'appelante plaide que l'ensemble de la décision est manifestement déraisonnable.

[24]           Les intimées plaident à l'unanimité que la seule norme de contrôle applicable est celle de l'erreur manifestement déraisonnable.

[25]           L'employeur soutient que la décision de la CSST du 18 février 1987 n'avait pas pour effet de modifier, avec effet rétroactif, une décision antérieure; il s'agissait d'une décision que la CSST devait rendre, conformément à l'article 349 LATMP, sur l'extinction du droit à l'indemnité de remplacement du revenu pour la période postérieure à la date où l'appelant redevenait capable d'exercer son emploi.  La décision n'aurait donc pas été rendue sous l'autorité du deuxième alinéa de l'article 224 LATMP.  L'employeur poursuit en soutenant que la CALP a le pouvoir de se prononcer, et ce de façon définitive, sur le sens et la portée des dispositions de la LATMP.  Or, le problème qui se pose ici, soit celui de savoir si l'appelant doit rembourser les prestations qu'il a reçues après le 9 juin 1986, porte sur des dispositions législatives sur lesquelles la CALP a le pouvoir explicite de se prononcer.

[26]           La CSST plaide que le litige ne comporte aucune question de nature juridictionnelle.  L'organisme plaide que l'article 224 LATMP n'est pas attributif de compétence pour la CSST.  Cet article traduirait la volonté du législateur que les décisions de la CSST concernant les questions d'ordre médical (décrits aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 LATMP) soient conformes à l'avis du médecin qui a la charge du travailleur et, en cas de contestation, à celui de l'arbitre médical.  Quand l'arbitre médical infirme l'une ou l'autre des conclusions du médecin qui a la charge du travailleur, la CSST doit modifier sa décision en conséquence et cette nouvelle décision met fin à la contestation engagée sur une question médicale, sous réserve du droit d'appel à la CALP.  Lorsqu'elle agit dans le cadre de l'article 224, la CSST n'exercerait pas un véritable pouvoir de révision, comme si elle corrigeait une décision antérieure.  La décision de la CSST ne serait qu'une conséquence obligée de la volonté du législateur qu'elle soit liée par l'avis des médecins sur les questions d'ordre médical.   À titre subsidiaire, et supposant que l'article 224 LATMP comporte l'exercice d'un pouvoir de révision ou de reconsidération, la CSST plaide que les décisions qu'elle serait ainsi appelée à rendre seraient quand même de nature intrajuridictionnelle.  Le pouvoir de la CSST de réviser ou de reconsidérer ses propres décisions ne serait que le prolongement de sa compétence initiale et l'exercice de ce pouvoir ne remettrait pas en cause sa compétence.

[27]           La CLP plaide que la question soumise à la détermination de la CALP faisait appel à des notions qui se situaient au cœur de son domaine d'expertise.  La réponse à la question relative à l'existence de l'obligation pour l'appelant de rembourser la somme réclamée par la CSST à titre de paiement en trop d'indemnités de remplacement du revenu faisait uniquement appel à l'interprétation et à l'application de dispositions législatives contenues à la LATMP, que la CALP a justement pour mission d'interpréter et d'appliquer.  Les autres moyens invoqués par l'appelant, ceux relatifs à la chose jugée et au functus officio, ne touchent pas à sa compétence au sens strict; ils doivent plutôt être examinés dans l'analyse du caractère raisonnable de la décision qu'elle a rendue, un sujet sur lequel la mise en cause en reprise d'instance ne plaide pas, comme il se doit.

[28]           Je suis d'avis que la norme de contrôle est celle de l'erreur manifestement déraisonnable.

[29]           En l'espèce, la CALP devait décider si la CSST était justifiée de réclamer de l'appelant, en application de l'article 430 LATMP, une somme de 474,94$ représentant l'indemnité de remplacement du revenu prétendument versée en trop après le 9 juin 1986, date de consolidation de sa lésion professionnelle.  Pour trancher la question, la CALP était appelée à interpréter et à appliquer une kyrielle de dispositions de sa loi constitutive.  Or, ces dispositions sont au cœur de son domaine d'expertise.  La nature du problème posé soulève des questions sur lesquelles la CALP est éminemment qualifiée.  La présence d'une clause privative, l'expertise des membres de la CALP, l'objet de la LATMP dans son ensemble et, dans une moindre mesure, la nature du problème qui lui était soumis - tous autant de facteurs à prendre en considération dans le cadre d'une analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme de contrôle applicable - mènent à la conclusion que la plus grande retenue judiciaire s'impose à l'égard de la décision de la CALP (Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982 , le juge Bastarache, par. 23 à 38; Domtar Inc. c. Québec (CALP), [1993] 2 R.C.S. 756 ).

[30]           L'appelant prétend que la norme de l'erreur simple est la norme de contrôle applicable parce que la CALP, en analysant la portée (rétroactive ou non) de la décision rendue en vertu du deuxième alinéa de l'article 224 LATMP, statue en quelque sorte sur sa compétence, question sur laquelle elle n'a pas le droit de se tromper.  L'appelante fait erreur.  La décision attaquée en révision judiciaire est celle de la CALP.  Or, ce sont les articles 397 et 400 LATMP, et non l'article 224, qui cernent la compétence de la CALP.  Ces articles permettent à la CALP d'examiner tous les aspects de la décision rendue par la CSST et de rendre la décision qui devait être rendue en premier lieu si elle estime devoir infirmer cette décision.  La détermination de la portée de l'article 224 LATMP n'était qu'un des éléments de l'exercice d'appréciation par la CALP du bien-fondé de la décision prise par la CSST; cet élément devait être apprécié dans le cadre de l'exercice par la CALP de la compétence qui lui est dévolue aux termes des articles 397 et 400 LATMP.

[31]           L'appelant prétend ensuite que la CALP aurait commis une erreur justifiant la révision judiciaire sur la base de l'erreur simple en soutenant que la CSST avait déjà reconnu le droit de l'appelant à l'indemnité de remplacement de revenu pour la période postérieure au 9 juin 1986, période pour laquelle la CSST lui réclame maintenant remboursement.  Il y aurait alors chose jugée sur ce point et en conséquence, la remise en question par la CALP des droits conférés à l'appelant aux termes de cette décision constituerait une erreur relative à une question attributive de compétence; ce faisant, la CALP aurait aussi fait défaut de respecter la règle du functus officio, la CSST étant functus officio quant à la question de l'incapacité pour la période du 10 au 16 juin 1986.

[32]           À l'instar de la CLP, je crois que ces arguments ne sont pas relatifs à la compétence de la CALP mais qu'ils portent plutôt sur la légalité de la décision rendue par la CSST le 18 février 1987 dans le cadre du processus décisionnel prévu à la LATMP.  Or, il appartenait à la CALP de statuer sur la légalité de cette décision dans le cadre de la compétence qui lui était dévolue aux termes des articles 397 et 400 LATMP.  En somme, ces arguments touchent au raisonnement juridique ayant conduit la CALP au résultat auquel elle en est arrivée plutôt qu'à sa compétence de décider de l'appel formé devant elle.

 

La décision de la CALP

 

[33]           La décision de la CALP se divise en deux parties.  La CALP énonce tout d'abord le principe général gouvernant le sort des prestations reçues sans droit par un travailleur, soit celui de leur remboursement (article 430 LATMP), sauf les exceptions identifiées dans la loi (articles 129 et 363 LATMP), le tout étant généralement assujetti au pouvoir discrétionnaire de la CSST d'accorder des remises de dettes (article 437 LATMP).  Ce principe vaut pour tous les types de prestation, y compris pour les indemnités de remplacement du revenu.  Les situations visées aux articles 129 et 363 LATMP, auxquels réfère l'article 430 LATMP, constituent des exceptions à ce principe général.  Par ailleurs, les articles 60 et 133 LATMP décrivent des situations où la CSST n'a aucune discrétion; elle doit réclamer du travailleur le remboursement du trop-perçu.  En ce sens, ils ajoutent à la règle générale posée par l'article 430 LATMP; la discrétion de la CSST, confirmée par l'article 437 LATMP, fait alors place à l'obligation de recouvrer du travailleur les sommes versées en trop.

[34]           La CALP examine ensuite la question de savoir si les prestations versées par la CSST en l'espèce l'ont été sans droit.  Le droit du travailleur ne dépend que d'une seule condition, soit son incapacité à exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle (article 44 LATMP); en somme, le droit à l'indemnité s'éteint, sans exception, à la date où le travailleur devient capable d'exercer son emploi.  C'est la CSST qui détermine si le travailleur est capable ou non d'exercer son emploi (article 349 LATMP) quoique, pour cinq des six facteurs[5] à prendre en compte (article 212 LATMP), elle soit liée par l'avis du médecin ayant charge du travailleur ou, le cas échéant, par celui de l'arbitre médical (article 224 LATMP).  La décision du 18 février 1987, malgré sa rédaction boiteuse, porte sur le droit du travailleur à l'indemnité de remplacement du revenu; la CSST y conclut, notamment à partir de l'avis de l'arbitre médical, que l'incapacité de l'appelant à exercer son emploi a pris fin le 9 juin 1986 et qu'il n'a en conséquence pas droit à l'indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.  La CALP distingue la période pré-consolidation (où la présomption de l'article 46 LATMP s'applique) et la période post-consolidation (où la présomption ne s'applique plus et où la CSST doit décider si le travailleur est quand même incapable d'exercer un emploi); avant la consolidation de la lésion, le législateur ne fait que présumer de l'incapacité du travailleur.  La CALP distingue la légalité du versement d'une indemnité et le droit du travailleur à cette indemnité; ainsi, ce n'est pas parce qu'une indemnité de remplacement du revenu a été versée conformément à la LATMP que le travailleur a droit à cette indemnité (puisque, je le rappelle, son droit à cette indemnité dépend de son incapacité à exercer son emploi).  Entre la date du dépôt du rapport médical du médecin ayant charge et celle où la question de la date de consolidation sera tranchée par l'arbitre médical, le droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu après la date de consolidation qui sera éventuellement fixée n'est d'aucune façon reconnu par la CSST qui, durant cette période, ne fait que reconnaître l'application de la présomption de l'article 46 LATMP en versant l'indemnité de remplacement du revenu;[6]  ces versements ne deviendront des indemnités reçues  avec droit que si la conclusion du médecin traitant concernant la date de consolidation est confirmée par la procédure d'arbitrage médical.  La CALP estime que la décision de la CSST qui modifie sa décision initiale en vertu du second alinéa de l'article 224 LATMP peut fort bien, le cas échéant, annuler rétroactivement l'effet de la première décision puisque cette seconde décision, rendue après l'arbitrage médical, est, au même titre que toute autre décision, déclaratoire de droit;  la décision initiale est alors anéantie et ses effets sont remplacés par ceux qu'entraîne la seconde.

[35]           Appliquant ce raisonnement aux faits de l'espèce, la CALP conclut que, vu la décision de la CSST rendue le 3 septembre 1986 suite à l'avis de l'arbitre médical (dont il n'y a pas eu appel) et vu la décision de la CSST du 18 février 1987 fixant au 9 juin 1986 la date où le travailleur était redevenu apte à travailler, celui-ci n'a jamais eu droit à l'indemnité de remplacement du revenu pour la période du 10 au 17 juin 1986 et ce, même si la CSST avait pu auparavant lui reconnaître provisoirement ce droit en vertu de l'effet combiné des articles 46 et 224 LATMP.

[36]           La norme de l'erreur manifestement déraisonnable est exigeante.  Dans Syndicat des travailleuses et travailleurs d'épiciers unis Métro-Richelieu c. Lefebvre, [1996] R.J.Q. 1509 (C.A.), le juge LeBel écrit à ce propos, à la page 1528:

Il est douteux que la Cour suprême du Canada ait jamais voulu élaborer une définition précise de l'erreur déraisonnable et, encore moins, cru qu'elle y parviendrait.  Les tentatives de définition que l'on retrouve, notamment, dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Alliance de la fonction publique du Canada [1993] 1 R.C.S. 941 ne la définissent pas de façon exhaustive.  Elles décrivent, qualifient, suggèrent la nature de l'erreur visée, sans pour autant prétendre épuiser le sujet.  Son usage exprime cependant une volonté d'imposition d'une norme de contrôle sévère, impliquant une grande retenue de la part des cours supérieures:

Le sens de l'expression «manifestement déraisonnable», fait-on valoir, est difficile à cerner.  Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre.  Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs.  Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère.  Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini:  «Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente».  On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante:  «Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens» [opinion du juge Cory, p. 963].

 

[37]           Dans National Corn Growers Association c. Canada Import Tribunal, [1990] 2 R.C.S. 1324 , le juge Gonthier écrit, à la page 1370:

Dans certains cas, le caractère déraisonnable d'une décision peut ressortir sans qu'il soit nécessaire d'examiner en détail le dossier.  Dans d'autres cas, il se peut qu'elle ne soit pas moins déraisonnable mais que cela ne puisse être constaté qu'après une analyse en profondeur.

 

[38]           Ce commentaire est, à mon avis, pertinent au cas qui nous occupe ici.  Une certaine lecture de la décision de la CALP peut aisément mener à la conclusion qu'elle ne recèle aucune erreur manifestement déraisonnable, tellement le raisonnement est logique, cohérent et fidèle à la lettre de la LATMP.  Le principe général gouvernant le sort des prestations reçues sans droit par un travailleur serait celui de leur remboursement, sauf les exceptions prévues aux articles 129 et 363 LATMP; c'est le principe qu'énonce l'article 430 LATMP.  Les prestations versées à l'appelant du 10 au 16 juin 1986 l'auraient été sans droit puisque, de l'avis de la CSST (dont il n'y a pas eu appel), il était alors capable d'exercer son emploi.  De toute manière, tout ne serait pas perdu pour les travailleurs dans la même situation que l'appelant puisque la CSST a le pouvoir discrétionnaire d'accorder des remises de dette, ce que la CSST a d'ailleurs fait en l'espèce, comme elle en informait l'appelant dans sa lettre du 16 janvier 1990.

[39]           Une analyse en profondeur de la décision de la CALP m'amène toutefois à la conclusion, et je le dis avec beaucoup d'égards pour la juge de la Cour supérieure  et pour les décideurs administratifs, qu'il s'agit d'une décision manifestement déraisonnable, menant à un résultat absurde et injuste pour les travailleurs de bonne foi placés dans la même situation que l'appelant.

[40]           L'article 44 LATMP énonce que le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il est incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.  En l'espèce, la CSST a reconnu l'existence d'une lésion professionnelle empêchant l'appelant d'exercer son emploi d'assembleur chez General Motors du Canada; elle lui a donc payé une indemnité de remplacement de revenu pendant une certaine période de temps, y compris pendant la période en litige, soit du 10 au 16 juin 1986.  À cette époque, la CSST était liée par l'opinion du médecin qui avait charge de l'appelant (le médecin traitant) quant à l'absence de consolidation de sa lésion, s'agissant d'une question d'ordre médical (articles 212 et 224 , 1 ° alinéa, LATMP).

[41]           Toutefois, même si la CSST était liée par cette opinion concernant l'état de la lésion et qu'elle devait en tenir compte aux fins de rendre une décision en vertu de la loi - par exemple, celle de verser une indemnité de remplacement du revenu - il lui appartenait de déterminer si l'appelant était incapable d'exercer son emploi et s'il avait en conséquence droit au paiement d'une indemnité de remplacement de revenu.  Bien sûr, parce que le médecin qui avait charge de l'appelant considérait que la lésion n'était pas encore consolidée, la CSST devait également tenir compte de la présomption d'incapacité édictée par l'article 46 LATMP dans l'examen de cette question; la consolidation, ou non, d'une lésion professionnelle n'est donc qu'un élément parmi d'autres dans la détermination de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi et, par conséquent, de son droit à une indemnité de remplacement du revenu.

[42]           La question du droit d'un travailleur au paiement d'une indemnité de remplacement du revenu dépend de son incapacité à exercer son emploi en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime.  Cette question est du ressort exclusif de la CSST, tout en constituant une question juridique distincte de la question médicale relative à la consolidation de la lésion.  Cette question n'est pas une question d'ordre médical au sens de l'article 212 LATMP et la décision en traitant n'est donc pas assujettie au processus d'évaluation et de contestation prévu à cet article et aux articles suivants de la loi.

[43]           En l'espèce, la décision initiale* de la CSST de verser une indemnité de remplacement de revenu à l'appelant du 10 au 16 juin 1986 a été modifiée dans la foulée de la décision de l'employeur de contester la question spécifique de la consolidation de la lésion via la procédure d'évaluation médicale puis, l'arbitrage médical.  L'arbitre médical ayant émis l'avis que la lésion de l'appelant était consolidée depuis le 9 juin 1986,[7] la CSST modifiait sa décision initiale concernant la capacité de l'appelant d'exercer son emploi et considérait désormais que celui-ci était en mesure d'exercer son emploi dès le 10 juin 1986; puis, donnant en quelque sorte une portée rétroactive à sa décision, elle réclamait de l'appelant le remboursement des indemnités de remplacement du revenu reçues pour la période postérieure au 9 juin 1986.

[44]           La décision initiale de la CSST concernant l'incapacité de l'appelant d'exercer son emploi et, par voie de conséquence, concernant son droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 10 au 16 juin 1986 pouvait être contestée de diverses façons, soit par une demande de reconsidération, à l'initiative de la CSST ou à la demande d'un intéressé (article 365 LATMP), soit par une demande de révision par un BR, puis par un appel à la CALP (articles 358 et 359 LATMP).  S'agissant de reconsidération, de révision ou d'appel, la CSST ne pourrait pas exiger de l'appelant le remboursement des sommes versées pendant cette période et ce, en application des articles 363 et 366 LATMP, sauf s'il avait été de mauvaise foi ou si le paiement avait visé la période des 14 premiers jours de l'incapacité.[8]

[45]           La règle est essentiellement la même dans le cadre de l'article 129 LATMP; le travailleur n'a pas à rembourser les sommes reçues à titre d'indemnité de remplacement du revenu même si, plus tard, la CSST décide qu'il n'a pas été victime d'une lésion professionnelle, sauf s'il était de mauvaise foi.

[46]           Dans ce contexte, le raisonnement de la CALP sonne faux puisque l'appelant devrait rembourser les indemnités de remplacement du revenu parce que la décision de la CSST a été modifiée en application du deuxième alinéa de l'article 224 LATMP, suite à la contestation d'une question médicale, plutôt qu'en application des articles 358 , 359 ou 365 LATMP, et même de l'article 129 LATMP.  Le résultat est, à mon avis, absurde et inéquitable pour l'appelant, d'autant plus inéquitable que, comme en l'espèce, ce travailleur de bonne foi aura été absent de son travail sans se douter que, quelque temps plus tard, son employeur contesterait, comme cela est son droit, l'opinion du médecin traitant concernant la date de consolidation de la lésion et que cela amènerait la CSST à modifier sa décision initiale quant à sa capacité de travailler et à son droit à une indemnité de remplacement du revenu.  La période litigieuse étant passée quand il apprendra que l'employeur a demandé l'arbitrage médical, ce travailleur de bonne foi n'aura même pas été en mesure de décider si, face au litige qui se profilait à l'horizon, il serait préférable pour lui de tenter un retour au travail plutôt que de vivre dans la crainte d'avoir à assumer ses dépenses courantes à même une indemnité de remplacement du revenu dont la CSST pourrait éventuellement lui demander le remboursement.

[47]           Le législateur ne peut pas avoir voulu ce résultat absurde et injuste pour les travailleurs de bonne foi placés dans la même situation que l'appelant.  Il faut donc chercher dans la LATMP l'explication de cette absurdité à laquelle mène le raisonnement de la CALP.

[48]           Avec égards, je propose deux explications.  La première, celle qui constitue le fondement de mon opinion, est toute simple; la seconde, que je propose à titre subsidiaire, est plus complexe, bien qu'elle mène au même résultat, soit celui d'éviter que l'appelant, et les autres travailleurs de bonne foi placés dans la même situation, ne soient contraints au remboursement de l'indemnité de remplacement du revenu reçue pendant la période postérieure à la date de consolidation de leur lésion, ou, dit autrement, postérieure à la date où la CSST, sur réception du résultat de l'arbitrage médical portant sur la date de consolidation de la lésion, aura décidé qu'ils étaient en mesure de retourner à leur emploi habituel.

[49]           Le raisonnement de la CALP mène à un résultat absurde parce que celle-ci n'a pas vu dans la décision de la CSST du 18 février 1987, prise en vertu du second alinéa de l'article 224 LATMP, une modalité de son pouvoir de reconsidération prévu par l'article 365 LATMP.  Or, s'il s'agit d'une reconsidération, la CSST ne peut pas exiger du travailleur le remboursement des sommes versées en trop, sauf, bien sûr, s'il a été de mauvaise foi ou si le paiement visait les 14 premiers jours de l'incapacité (articles 363 et 366 LATMP).

[50]           Comme je l'affirmais précédemment, le versement d'une indemnité de remplacement du revenu constitue une décision de la CSST sur le droit du travailleur à cette indemnité; or, ce droit dépend de la capacité de travailler du travailleur.  En l'espèce, au moment où la CSST décide initialement de verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu'au 16 juin 1986, elle est liée par le diagnostic du médecin traitant et par l'opinion de ce dernier concernant la date de consolidation de la lésion.  Sa décision subséquente, alors que la CSST est maintenant liée par l'opinion de l'arbitre médical quant à la date de consolidation de la lésion, porte également sur la capacité de travailler du travailleur.  Alors que la décision initiale fixait implicitement au 16 juin 1986 la date où le travailleur redevenait capable de travailler, la décision subséquente fixe explicitement cette date au 9 juin 1986.  Il s'agit d'une reconsidération de la décision initiale, ici demandée par l'employeur en enclenchant le processus d'arbitrage médical quant à la date de consolidation de la lésion, soit quant à l'un des cinq sujets décrits à l'article 212 LATMP.

[51]           L'article 365 LATMP pose certaines conditions au pouvoir de la CSST de reconsidérer ses décisions:

 

-                     qu'elle ait rendu une décision, ce qui est le cas en l'espèce;

 

-                     que cette décision n'ait pas fait l'objet d'une décision par un BR, ce qui est également le cas en l'espèce;

 

-                     que la décision initiale

 

i)          ait été rendue avant que soit connu un fait essentiel, ou

ii)         ait été fondée sur une erreur relative à un tel fait,

 

ce qui est également, à mon avis, le cas en l'espèce.

 

[52]           La décision de la CSST du 18 février 1987 suit la réception de l'avis de l'arbitre médical Leclerc fixant au 9 juin 1986 la date de consolidation de la lésion, soit une semaine entière avant la date retenue par le médecin traitant de l'appelant.  Cet avis de l'arbitre, portant sur l'un des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 LATMP, liait la CSST.  La date de consolidation de la lésion était en l'espèce déterminante pour fixer la date où le travailleur était apte à reprendre son travail puisqu'il n'y avait, par ailleurs, ni atteinte permanente à son intégrité physique ni existence de limitations fonctionnelles.

[53]           La CALP s'est souvent penchée sur la question de savoir si son erreur, ou son ignorance, quant à une question médicale concernant la lésion pouvait constituer une erreur relative à un fait essentiel, ou l'ignorance d'un tel fait, au sens de l'article 365 LATMP, pouvant donner ouverture à la reconsidération d'une décision antérieure, de sa propre initiative ou à la demande d'un intéressé.

[54]           Dans S.E.C.A.L. et Frenette et CSST, [1993] CALP 126 (le commissaire P. Brazeau), la CALP estime que la CSST commet une erreur relative à un fait essentiel quand elle croit, à tort, que la médecin ayant charge du travailleur a diagnostiqué une maladie plutôt qu'une autre.  Même si le commissaire Brazeau distingue le diagnostic (qui ne constituerait pas en lui-même un fait, mais plutôt une conclusion d'ordre médical) de l'activité proprement dite de poser un diagnostic (que constituerait en elle-même un fait, et un fait essentiel dans la détermination de l'existence ou non d'une lésion professionnelle), il écrit:

La nature même du diagnostic tel que posé par le médecin ayant charge du travailleur, constitue en effet un fait essentiel en regard de la décision rendue par la Commission à l'effet de reconnaître l'existence d'une lésion professionnelle […] alors que l'erreur de la Commission a consisté à croire erronément à l'existence d'un diagnostic qui n'a jamais été posé.

 

[55]           Dans une décision connexe, S.E.C.A.L. et Frenette et CSST, [1994] CALP 684 (la commissaire G. Godin), la CALP fait un pas de plus et explique, à mon avis, avec beaucoup de pertinence, pourquoi le diagnostic du médecin ayant charge du travailleur devient un fait essentiel quand il lie la CSST au sens de l'article 224 LATMP:

Il est évident qu'un diagnostic posé par un médecin ne constitue que l'opinion de ce dernier en regard des faits étudiés et analysés dans le cadre de son investigation.

L'article 224 de la loi précise cependant que l'opinion du médecin ayant charge d'un travailleur a un caractère liant si l'employeur ou la Commission ne recoure pas au processus de l'arbitrage médical.

L'opinion d'un médecin n'est donc pas en soi un fait.  Mais cette opinion revêt un caractère tout autre pour la Commission lorsque le diagnostic posé par un médecin ayant charge devient liant au sens de l'article 224.  D'opinion le diagnostic devient un fait essentiel dont doit tenir compte la Commission dans l'appréciation de la relation entre ce diagnostic et le travail du travailleur.  Il n'est alors plus possible pour la Commission de passer outre à l'opinion exprimée par le médecin ayant charge et elle doit considérer comme véridique ce diagnostic.  Dans un tel contexte, l'erreur portant sur le diagnostic ayant un caractère liant au sens de l'article 224 entraîne une erreur relative à un fait essentiel couvert par l'article 365 de la loi, c'est-à-dire sur le lien entre la lésion diagnostiquée et le travail.

La jurisprudence[9] de la Commission d'appel déposée par le travailleur à l'appui de ses prétentions n'apparaît pas contradictoire avec la position plus haut élaborée.  Dans ces causes, l'avis du médecin, en vertu duquel une reconsidération avait été faite par la Commission, n'avait pas de caractère liant au sens de l'article 224.  Cet avis ne constituait donc qu'une opinion dont l'interprétation était laissée à la discrétion de la Commission.  Tel n'est pas la situation de la présente cause.

(je souligne)

 

[56]           Je partage tout à fait les propos de la commissaire Godin.  J'ajoute que le même raisonnement vaut lorsque l'opinion médicale porte sur les autres sujets énumérés à l'article 212 LATMP; il vaut également lorsque l'opinion médicale liant la CSST au sens de l'article 224 LATMP est celle de l'arbitre, plutôt que celle du médecin ayant charge du travailleur; et enfin, il vaut tout autant en cas d'ignorance qu'en cas d'erreur portant sur un fait essentiel.

[57]           Dans Lessard et Société canadienne des postes, CALP, 15155-62-8911; 48909-60-9301, 1995-02-13 (la commissaire F. Dion Drapeau) la CALP réitère les propos tenus dans l'affaire Frenette [1993], précitée, en affirmant «qu'ils peuvent également s'appliquer à la question de la consolidation ou à celle des limitations fonctionnelles, en ce qui a trait à la détermination par la Commission de la capacité d'exercer un travail et du droit du travailleur à l'indemnité de remplacement du revenu, aux termes des articles 46 ou 47 de la loi».  La commissaire Dion Drapeau écrit:

La Commission obtenait donc les conclusions définitives du médecin qui a charge du travailleur, quant au diagnostic et à la consolidation de sa lésion au 6 juillet 1987, à l'inexistence de limitations fonctionnelles et à l'existence d'une atteinte permanente résultant de cette lésion.  La Commission, devant cet avis la liant en vertu de l'article 224 de la loi, ne pouvait que conclure à une erreur commise par elle dans ses décisions antérieures, laquelle portait sur des faits essentiels en regard du droit du travailleur à l'indemnité de remplacement du revenu, particulièrement en fonction des dispositions des articles 46 et 47 de la loi.

 

[58]           Dans Singh et Les Industries de lavage Dentex Inc., CALP, 75325-60-9512, 1997-01-24, le commissaire Y. Tardif fait siens les propos tenus par sa collègue Godin dans l'affaire Frenette [1994], précitée (voir également, Jean et Les Fenêtres AGM Inc. et Fenêtres Larouche & Fr. Metals Inc., CALP, 1996-01-25).

[59]           Je conclus donc sur ce point, concernant le respect des différentes conditions d'application de l'article 365 LATMP que, lorsque la CSST apprend la date de consolidation de la lésion établie de façon définitive et finale par l'arbitre médical, elle connaît un fait essentiel à sa décision, fait qu'elle ignorait auparavant et qui vient modifier une donnée essentielle à la décision initiale prise concernant la date de retour au travail du travailleur.  En ce sens, je n'hésite pas à affirmer que, dans le contexte de l'article 365 LATMP, sa décision initiale avait été rendue avant que la CSST ne connaisse un fait essentiel ou encore, qu'elle était fondée sur une erreur relative à ce fait, soit la date de consolidation de la lésion telle qu'établie de façon définitive et finale par l'arbitre médical.

[60]           Il était donc erroné pour la CALP de ne pas voir dans le second alinéa de l'article 224 LATMP une modalité du pouvoir de reconsidération prévu par l'article 365 LATMP.  Dans General Motors du Canada Ltée et Simard, [1995] CALP 746 , une affaire où le contexte factuel est identique à celui du présent dossier mais où l'appelante contestait la remise de dette faite au travailleur par la CSST, le commissaire Lemire exprime l'avis que la CSST ne pouvait pas reconsidérer, selon l'article 365 LATMP, sa décision de verser des indemnités de remplacement du revenu au travailleur puisque les conditions d'application de cet article n'étaient pas rencontrées.  Je ne partage pas cet avis.

[61]           L'article 366 LATMP précise que les articles 363 et 364 s'appliquent, en y faisant les adaptations nécessaires, à une décision rendue en vertu de l'article 365 LATMP.  Or, comme on l'a vu, l'article 363 constitue une exception au principe général du recouvrement des prestations édicté par l'article 430 LATMP.

[62]           La situation visée par le second alinéa de l'article 224 LATMP n'a donc pas été oubliée par le législateur, l'intention de ce dernier étant indubitablement qu'une décision prise par la CSST en application de cet article soit une reconsidération au sens de l'article 365 LATMP.  Cette façon de voir les choses, et notamment d'interpréter le pouvoir de reconsidération de l'article 365 LATMP, évite de placer les travailleurs de bonne foi dans des positions différentes quant au remboursement des indemnités de remplacement du revenu, selon que la décision initiale de la CSST a été modifiée en application du second alinéa de l'article 224 LATMP plutôt qu'en application des articles 358 , 359 ou 365 LATMP, ou même de l'article 129 LATMP.

[63]           Maintenant, si j'avais tort d'affirmer que l'article 224 LATMP n'est qu'une modalité du pouvoir de reconsidération prévu par l'article 365, je m'en remettrais à une seconde explication, soit celle développée par l'appelant dans son mémoire.  Je serais alors d'avis qu'en matière d'indemnité de remplacement du revenu, la règle est à l'inverse de celle posée à l'article 430 LATMP.  La règle serait donc qu'une fois versée au travailleur, l'indemnité de remplacement du revenu ne peut lui être réclamée que dans les quatre situations suivantes:

 

-                     le travailleur est de mauvaise foi (articles 129 , 363 LATMP);

 

-                     la période visée est celle des 14 premiers jours d'incapacité (article 60 LATMP);

 

-                     le travailleur a droit au bénéfice d'un autre régime public d'indemnisation (article 129 LATMP), et enfin,

 

-                     le travailleur est dans la situation décrite à l'article 133 LATMP.[10]

 

[64]           Le législateur aurait donc établi, à mon avis, un régime d'exception pour cette catégorie de prestations que constitue l'indemnité de remplacement du revenu.

[65]           La CALP estime toutefois que la situation visée par le deuxième alinéa de l'article 224 LATMP est assujettie à la règle générale du remboursement des prestations reçues sans droit et n'est pas visée par les articles 129 , 363 et 366 LATMP.  Ce raisonnement ne tient, bien sûr, que dans la mesure où la décision prise par la CSST en vertu du second alinéa l'article 224 LATMP a un caractère rétroactif, ses effets remplaçant ceux découlant de la décision initiale.  En effet, si le pouvoir de modification qui découle de cet article ne confère aucun caractère rétroactif à la nouvelle décision de la CSST mais si, au contraire, il n'est que prospectif dans ses effets et tourné vers l'avenir, la CSST ne pourrait donc pas se justifier de la seconde décision pour réclamer de l'appelant le remboursement des sommes versées pour la période postérieure au 9 juin 1986.

[66]           À mon avis, la décision prise par la CSST en vertu du deuxième alinéa de l'article 224 LATMP, modifiant  sa décision initiale, est prospective dans ses effets, tournée vers l'avenir et donc sans effet rétroactif.  À l'instar de l'appelant, je crois que cette interprétation, la seule qui permet d'éviter l'injustice et l'absurdité de la situation dénoncée plus haut, ressort implicitement de l'ensemble du contexte législatif dans lequel le deuxième alinéa de l'article 224 LATMP s'inscrit.

[67]           Le législateur utilise l'expression «s'il y a lieu» en rapport avec la décision que la CSST pourrait être appelée à rendre dans la foulée de l'avis exprimé par l'arbitre médical.  Ce n'est donc pas parce que l'arbitre médical diffère d'avis avec le médecin en charge du travailleur que cela entraînera nécessairement, et dans tous les cas, une modification de la décision initiale de la CSST.  Par exemple, si l'arbitre médical estime que la lésion était consolidée à une date antérieure à celle déterminée par le médecin en charge du travailleur, la CSST ne modifiera sa décision de verser une indemnité de remplacement du revenu au travailleur que dans la mesure où la consolidation de la lésion et l'ensemble des autres facteurs à prendre en compte l'amènent à conclure que le travailleur est en mesure de reprendre son travail.

[68]           Le deuxième alinéa de l'article 224 LATMP confère à la CSST un pouvoir de reconsidération de sa décision initiale, enclenché par la connaissance d'un nouvel avis  sur une question d'ordre médical.  Cet article n'est pas le seul à donner un pouvoir de reconsidération à la CSST.  L'article 365 LATMP également; dans un tel cas, le premier alinéa de l'article 366 LATMP édicte pourtant que «[la] décision rendue en vertu de l'article 365 remplace la décision initiale et celle-ci cesse d'avoir effet»; le second alinéa du même article réfère à l'article 363 LATMP et au principe de non-remboursement des prestations versées en vertu de la décision initiale.  L'article 224 LATMP est rédigé différemment, le législateur ne précisant pas que la décision modifiée «remplace la décision initiale»; il faut sans doute y voir une indication que cet article est une disposition dont les effets sont tournés vers l'avenir et dont le caractère est, par définition, prospectif.  Je suis d'autant plus enclin à retenir cette interprétation que, contrairement à ce que le législateur a fait dans tous les autres cas où il y a modification des décisions de la CSST concernant l'indemnité de remplacement du revenu, il ne s'en serait pas remis au principe de non-remboursement.  Ce n'est donc pas inutilement que l'article 366 LATMP prévoit expressément le caractère rétroactif de la reconsidération, le remplacement de la décision  initiale et la mention spécifique voulant que celle-ci cesse d'avoir effet, avec, en corollaire obligé, la référence au principe du non-remboursement des indemnités versées aux travailleurs de bonne foi en vertu de la décision initiale de la CSST.

[69]           Au premier alinéa de l'article 224 LATMP, il est écrit que la CSST «est liée» par l'opinion du médecin qui a charge du travailleur alors qu'au deuxième alinéa, le législateur édicte que la CSST «devient liée» par l'opinion de l'arbitre médical.  Il faut y voir une autre indication que la décision que la CSST pourrait rendre dans le cadre du deuxième alinéa doit nécessairement être tournée vers l'avenir puisque, jusque-là, elle était liée par l'opinion du médecin en charge du travailleur.  Dans ce contexte, il est logique de conclure que, si la CSST cesse d'être liée par l'opinion de ce médecin, ce ne peut être que pour l'avenir.

[70]           En pratique, l'interprétation que je retiens signifie que, s'il n'y a pas eu contestation de l'état d'incapacité du travailleur et de son droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu au moment où la CSST reçoit l'opinion de l'arbitre médical et qu'à ce moment, le travailleur a repris le travail, comme en l'espèce, il n'y aura pas lieu pour la CSST de modifier sa décision initiale.  Par ailleurs, si le travailleur n'a toujours pas repris son travail, la CSST pourra décider de statuer à nouveau sur son état d'incapacité en tenant compte cette fois que la lésion est consolidée, le travailleur ne bénéficiant plus non plus de la présomption de l'article 46 LATMP.  Dans un tel cas, la décision de la CSST pourrait alors avoir pour effet de mettre fin au versement de l'indemnité de remplacement du revenu ou encore, de mettre fin aux différents traitements médicaux dont le travailleur bénéficiait jusqu'alors.

[71]           L'interprétation qui consisterait à dire que le pouvoir de modification que comporte le deuxième alinéa de l'article 224 LATMP est prospectif dans ses effets, et non rétroactif, expliquerait pourquoi le législateur n'a pas jugé utile d'ajouter cet article aux exceptions prévues à l'article 430 LATMP.  De fait, mise à part ma proposition voulant que le second alinéa de l'article 224 LATMP soit une modalité du pouvoir de reconsidération de l'article 365 LATMP, cette interprétation est la seule explication logique permettant de comprendre ce choix législatif.  L'interprétation contraire, voulant qu'il soit permis à la CSST de modifier, avec effet rétroactif, le droit à l'indemnité de remplacement du revenu et de transformer les indemnités reçues par un travailleur de bonne foi en prestations à laquelle il n'a pas droit, sans référence législative au principe du non-remboursement, est susceptible d'amener des résultats absurdes et non souhaités par le législateur et de créer des injustices flagrantes entre ces travailleurs et ceux, plus chanceux, qui ont vu leur droit à une indemnité de remplacement du revenu modifié par la CSST, ou la CALP, en application de l'article 129 LATMP ou à la suite d'une reconsidération, en vertu de l'article 365 LATMP, ou d'une demande de révision, en vertu des articles 358 ou 359 LATMP.

[72]           J'ajoute que l'interprétation du second alinéa de l'article 224 LATMP retenue par la CALP mène à la conclusion que le travailleur de bonne foi qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu dans la foulée d'une décision de la CSST reconnaissant son droit à une telle indemnité est dans une position plus précaire que le travailleur de bonne foi qui reçoit une telle indemnité sans bénéficier d'aucune décision de la CSST lui reconnaissant ce droit (article 129 LATMP).  J'ajoute que la situation est d'autant plus absurde, et difficile à comprendre socialement, que le premier bénéficie également de l'opinion de son médecin traitant lui disant, comme en l'espèce, que sa lésion n'est pas consolidée et qu'il n'est donc pas apte à retourner au travail.

[73]           Je note aussi que le travailleur de bonne foi qui voit son incapacité d'exercer son emploi mise en question par le biais du processus de révision et d'appel prévu aux articles 358 et 359 LATMP continuera de recevoir ses indemnités de remplacement du revenu et, advenant une décision défavorable du BR ou de la CALP, la CSST ne pourra pas exiger de lui le remboursement des indemnités déjà reçues.  Par contre, selon l'interprétation retenue par la CALP, le travailleur de bonne foi dont l'incapacité n'a jamais été contestée selon le processus normal de révision et d'appel pourrait voir son droit aux indemnités modifié rétroactivement par la CSST, aux termes du deuxième alinéa de l'article 224 LATMP, avec obligation de rembourser.  Le travailleur dont l'employeur conteste l'incapacité d'exercer son emploi en vertu des articles 358 et 359 LATMP serait dont avantagé par rapport à celui dont l'employeur ne conteste pas l'état d'incapacité.  Cette conséquence de l'interprétation retenue par la CALP est absurde.

[74]           J'imagine aussi le cas où, dans le cadre du présent litige, l'arbitre médical aurait choisi de retenir l'opinion du médecin traitant plutôt que celle du médecin de l'employeur, confirmant ainsi la consolidation de la lésion au 16 juin 1986.  La CSST aurait alors maintenu sa décision de verser l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'au 16 juin 1986.  L'employeur, insatisfait, aurait alors pu choisir de porter l'affaire en appel devant la CALP.  Si la CALP confirme la décision de la CSST, pas de problème.  Mais si la CALP, suivant la preuve présentée, décide que l'arbitre médical a commis une erreur et, rendant la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, fixe au 9 juin 1986 la date de consolidation de la lésion subie par l'appelant et au lendemain, la date de son retour au travail, l'article 363 LATMP aurait mis l'appelant, un travailleur de bonne foi, à l'abri d'une demande de rembourser l'indemnité reçue pour la période du 10 au 16 juin alors qu'il était capable d'exercer son emploi.  En somme, en l'espèce, parce que c'est la CSST, en application du deuxième alinéa de l'article 224 LATMP, qui ramène la date où l'appelant a été en mesure de travailler au 9 juin 1986, et non le BR ou la CALP, en application des articles 358 et 359 LATMP, l'appelant serait tenu de rembourser ce qu'il a reçu pour la période entre le 10 et le 16 juin 1986.  Ce résultat me semble absurde et injuste pour les travailleurs dans la même situation que l'appelant.

[75]           Je propose donc d'accueillir le pourvoi, de casser le jugement de la Cour supérieure et la décision de la CALP et de déclarer que les sommes versées à l'appelant à titre d'indemnité de remplacement du revenu pour la période du 10 au 16 juin 1986 ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de remboursement de la part de la CSST, avec dépens en appel et en Cour supérieure contre les intimées.

 

 

 

 

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JACQUES CHAMBERLAND J.C.A.

 

 

 

 



[1]          La CALP a été remplacée par la Commission des lésions professionnelles (la CLP), le 1er avril 1998, (1998) 130 G.O. II, 1812 décret 334-98, en vertu de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 1997, c. 27.

 

[2]          «consolidation» définie comme étant «la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible» (article 2 LATMP).

 

[3]          Cet énoncé est, on le sait, factuellement inexact puisque l'appelant est retourné au travail le 16 juin 1986.

 

[4]          Modifié substantiellement depuis, L.Q. 1992, c. 11, article 36.

 

[5]          Le diagnostic, la consolidation ou non, l'existence ou non d'une atteinte permanente, l'existence ou non de limitations fonctionnelles, l'évaluation de ces limitations fonctionnelles; le 6e facteur, les exigences des tâches que le travailleur doit accomplir dans son emploi.

 

[6]          La CALP s'abstient de trancher la question de savoir si le versement d'une indemnité de remplacement du revenu en application de l'article 46 LATMP constitue une «décision» de la Commission au sens de l'article 361 LATMP; elle le tient pour acquis aux fins de son raisonnement.

 

*          Je considère que le fait pour la CSST de payer une indemnité de remplacement du revenu, sur la foi de l'avis du médecin qui a charge du travailleur et de la présomption de l'article 46 LATMP, constitue une «décision» au sens de la LATMP, notamment de son article 361, même si celle-ci n'est pas écrite, ni motivée.  Je rejoins, sur ce point, ce qu'a décidé la CALP à de multiples reprises:  voir Canadair Ltée et Blanchette, [1988] CALP 698 ; Guy Choquette et Béton St-Paul, [1989] CALP 698 ; CSST c. Brassard et CALP, [1989] CALP 1246 ; Raymond Lachapelle Ltée et Duperron, [1990] CALP 204 ; Campbell-Rochon et Holiday Inn, [1990] CALP 117 ; Costa-Dagenais et Steinberg Inc., [1991] CALP 1121 ; et enfin, Gouin et Miral Construction, [1994] CALP 192 .

 

[7]          Je note au passage que l'avis de l'arbitre date du 6 août 1986; l'appelant était de retour au travail depuis le 17 juin 1986.

 

[8]          En l'espèce, la bonne foi de l'appelant n'est pas en cause et la période du 10 au 16 juin 1986 ne vise pas la période des 14 premiers jours de l'incapacité.

 

[9]          Il s'agit probablement d'affaires comme Choquette et Béton St-Paul, [1991] CALP 698; Costa-Dagenais et Steinberg Inc., [1991] CALP 1121 ; Raymond Lachapelle Ltée et Duperron, [1990] CALP 204 et Campbell-Rochon et Holiday Inn, [1990] CALP 117 ; ces décisions concernent des opinions médicales portant sur le lien entre la lésion et l'accident du travail (une question d'ordre juridique) et non sur l'un des sujets énumérés à l'article 212 LATMP.

 

[10] En fait, cet article décrit un scénario où la mauvaise foi du travailleur serait évidente; dans ce cas la CSST n'a même pas le choix, elle «doit» recouvrer le montant de l'indemnité de remplacement du revenu qu'un travailleur a reçu sans droit.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.