Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Construction Énergie renouvelable, s.e.n.c. et Tessier

2013 QCCLP 2479

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

1er mai 2013

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

462381-04B-1202

 

Dossier CSST :

138891569

 

Commissaire :

Renée-Claude Bélanger, juge administratif

 

Membres :

Ginette Vallée, associations d’employeurs

 

Serge Saint-Pierre, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Construction Énergie Renouvelable S.E.N.C.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Rémi Tessier

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le 15 février 2012, Construction Énergie Renouvelable S.E.N.C. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 10 février 2012 rendue à la suite d’une révision administrative.

[2]          Cette décision qui comporte deux volets traite de deux décisions rendues initialement par la CSST les 8 décembre 2011 et 23 janvier 2012.

[3]          D’une part, la CSST confirme la décision rendue le 8 décembre 2011 et déclare que monsieur Rémi Tessier (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 24 novembre 2011 ayant occasionné une tendinite de l’épaule droite. En conséquence, la CSST ajoute que le travailleur a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[4]           D’autre part, la CSST infirme la décision rendue le 23 janvier 2012 et déclare que le travailleur avait un motif raisonnable de refuser l’assignation temporaire offerte par l’employeur.

[5]           Une audience se tient à Drummondville le 14 janvier 2013. L’employeur est représenté par un procureur. Le travailleur est présent et représenté par une procureure.

[6]           Le dossier est mis en délibéré le 14 janvier 2013 aux termes de cette audience. Puis une réouverture d’enquête est requise par le tribunal afin d’obtenir les commentaires des parties concernant la nature du lien d’emploi prévalant entre le travailleur et l’employeur après le 24 décembre 2011.

[7]           Suite à cette réouverture d’enquête, l’employeur soumet une preuve complémentaire ainsi que des commentaires. Le dossier est remis en délibéré le 11 avril 2013, la procureure du travailleur ayant signifié son intention de ne formuler aucun commentaire additionnel.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[8]           Le tribunal tient à souligner que l’employeur avait initialement contesté l’admissibilité de la réclamation. À l’audience, le procureur de l’employeur s’est désisté de cette contestation.

[9]           L’employeur demande au tribunal de déclarer que le travailleur était tenu d’effectuer l’assignation temporaire qui lui a été offerte.

LES FAITS

[10]       Le tribunal a pris connaissance du dossier constitué et des documents complémentaires soumis ultérieurement. De l’ensemble du dossier ainsi que du témoignage du travailleur, le tribunal retient les faits suivants comme étant pertinents au présent litige.

[11]        À l’époque pertinente, le travailleur âgé de 37 ans étudie à temps plein au Centre de formation « Atelier-école les Cèdres à Vaudreuil » (le Centre) afin d’obtenir un diplôme d'études professionnelles (D.E.P.) en conduite de grues. Le travailleur habite alors à Vaudreuil-Dorion.

[12]        Au cours de l’année 2011, plusieurs employeurs du Québec sont aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre sur différents chantiers. Une entente intervient alors entre le Centre, la Commission de la Construction du Québec (la CCQ), Emploi-Québec et certains employeurs afin que la formation soit interrompue pour une période indéterminée permettant aux étudiants d’aller combler les emplois vacants sur les chantiers.

[13]        Selon les notes évolutives colligées au dossier[2], cette entente prévoit que les contrats de travail prendront fin le 24 décembre 2011, que des cartes d’exemption seront délivrées par la CCQ jusqu’à cette date et que la formation reprendra au Centre le 13 février 2012. Les étudiants n’ont pas le choix de se soumettre à cette entente et de se rendre à l’endroit d’affectation qui leur est désigné.

[14]        Le 15 juillet 2011, le travailleur est avisé par le Centre qu’il débute le 18 juillet 2011 chez l’employeur situé à L’Ascencion-de-Patapédia près de la vallée de la Matapédia en Gaspésie. Une cohorte de dix étudiants sur trente est affectée dans cette même région. À cette même époque, il appert du dossier que le travailleur déménage pour des motifs personnels à Warwick, dans le centre du Québec.

[15]        Selon le témoignage du travailleur à l’audience, il procède donc à son déménagement à Warwick le 15 juillet 2011 et quitte par la suite pour la Gaspésie où il commence son affectation chez l’employeur le lundi 18 juillet 2011.

[16]        À son arrivée en Gaspésie, il habite durant un mois dans un centre communautaire. Il ajoute que cette expérience a été pour lui très désagréable.

[17]        Par la suite, il loue une chambre dans une maison privée qu’il habite jusqu’au lendemain de son événement.

[18]        Le 24 novembre 2011, le travailleur subit un accident du travail alors qu’il perd pied en montant dans un escabeau. En se retenant après une chaîne, il ressent une vive douleur à l’épaule droite.

[19]        Il consulte à l’infirmerie du chantier et on lui recommande de se rendre à l’urgence de l’hôpital régional de Campbellton.

[20]        Le 25 novembre 2011, il rencontre le docteur Khatib qui émet un billet médical autorisant un arrêt de travail de dix jours. Selon son témoignage, le travailleur revient à ce moment habité à Warwick.

[21]        Le 2 décembre 2011, le travailleur consulte la docteure Mariloue Parent qui est sa médecin de famille et dont la clinique médicale est située à Vaudreuil-Dorion. Cette dernière pose un diagnostic de tendinite à l’épaule droite. Elle prescrit des anti-inflammatoires, une résonance magnétique et des traitements de physiothérapie. Elle maintient l’arrêt de travail et précise d’ailleurs qu’il ne peut y avoir d’assignation temporaire avant le 19 décembre 2011.

[22]        Le 6 décembre 2011, le travailleur débute des traitements de physiothérapie. Selon le dossier, les traitements de physiothérapie sont donnés par une clinique de Trois-Rivières.

[23]        Le 8 décembre 2011, la CSST accepte la réclamation du travailleur. Le diagnostic reconnu est celui de tendinite de l’épaule droite.

[24]        Le 4 janvier 2012, le travailleur rencontre le docteur Contant qui reprend le diagnostic de tendinite à l’épaule droite[3].

[25]        Le 11 janvier 2012, la docteure Parent remplit un formulaire d’assignation temporaire sur lequel elle identifie les tâches que le travailleur est en mesure d’effectuer. Le tribunal reproduit ici la liste des tâches proposées par l’employeur ainsi que la réponse de la docteure Parent.

a)         Faire des commissions en « pick up » automatique        OUI

b)         Classer des petites pièces de - de 5kg avec le bras gauche seulement    NON

c)         Identifier des situations potentiellement dangereuses sur le chantier         OUI

d)         Classer ? des A.S.T. Actions sécuritaires du travail         NON

e)         Participation à la diffusion des A.S.T., mise-à-jour auprès des autres travailleurs avec l’aide du préventionniste  OUI     

 

 

[26]        Elle répond par l’affirmative aux différentes questions du formulaire qui réfèrent à l’article 179 de la loi, à savoir que le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail, que le travail est sans danger pour sa santé, sécurité et intégrité physique et que ce travail est favorable à sa réadaptation.

[27]        Elle ajoute toutefois les commentaires suivants après avoir répondu aux questions favorablement :

SAUF que situation complexe et particulière. Ce patient n’a plus de contrat de travail depuis le 24/12/2011 et il est inscrit à un cours dès le 13/02/2012. De plus sa carte de compétences d’exemption est échue depuis le 15/12!

Il faut que vous preniez entente avec le travailleur

Je revois ce patient le 23/02 prochain

 

 

[28]        Le 13 janvier 2012, le travailleur conteste l’assignation temporaire offerte par l’employeur et autorisée par son médecin traitant.

[29]        Le 18 janvier 2012, la conseillère en réadaptation de la CSST procède à une cueillette d’informations auprès du travailleur et de l’employeur afin de statuer sur la conformité de l’assignation temporaire offerte.

[30]        Le travailleur lui explique d’abord ne pas vouloir changer de médecin pour son suivi médical et de physiothérapeute pour ses traitements. Il ajoute qu’il devra de toute façon effectuer ces changements lorsque la formation reprendra à Vaudreuil. Il estime que l’assignation implique plusieurs choses, pour un aussi court laps de temps.

[31]        En regard de la distance à parcourir pour se rendre en assignation, le travailleur se dit conscient qu’il s’agit là d’une condition de travail normale dans la construction.

[32]        En ce qui a trait aux tâches à effectuer, le travailleur convient qu’il serait en mesure d’accomplir celles-ci et que cela pourrait être favorable à sa réadaptation. Bien qu’il admette avoir discuté de l’assignation avec l’employeur et s’être montré motivé à retourner travailler, le travailleur indique que la situation a changé depuis puisque la formation doit reprendre en février 2012, que sa carte de compétence est échue et qu’aucune des personnes de sa cohorte n’a repris le travail après la fin du contrat. À ce propos, le travailleur explique à la conseillère qu’il a compris qu’il serait le seul à continuer le travail et que ça change toute la dynamique d’un retour au travail chez l’employeur.

[33]        L’employeur informe pour sa part la conseillère de sa surprise en regard de la contestation du travailleur puisque ce dernier s’est montré intéressé et motivé par l’assignation proposée. Elle ajoute ce qui suit :

Par ailleurs, les tâches auraient été en partie déterminées avec le travailleur, ce dernier ayant par ailleurs proposé la tâche consistant à effectuer les commissions. Il était également entendu avec le travailleur qu’une clinique pourrait le prendre en charge à cet endroit et des contacts avec la clinique avaient déjà été effectués à cet égard.

 

 

[34]        Suite à ces conversations, la conseillère en vient à la conclusion que le médecin du travailleur est d’avis que les conditions requises pour l’assignation sont remplies, que l’employeur est en mesure de faire prolonger la carte d’exemption et qu’une clinique de physiothérapie est disponible pour donner les traitements requis durant l’assignation.

[35]        Le 23 janvier 2012, la CSST rend en conséquence une décision par laquelle elle déclare que le refus du travailleur d’exécuter l’assignation temporaire proposée par l’employeur le 11 janvier 2012 n’est pas fondé. Elle précise toutefois que l’assignation devra se terminer le 12 février 2012 puisque la formation de grutier à laquelle le travailleur est inscrit doit reprendre le 13 février 2012.

[36]        Le 10 février 2012, la CSST siégeant en révision administrative infirme la décision initiale rendue le 23 janvier 2012. Aux fins de rendre sa décision, la réviseure obtient les commentaires des parties, le tribunal estime qu’il est pertinent d’en reproduire ici des extraits :

Pour occuper l’assignation temporaire, le travailleur soumet qu’il aurait fallu qu’il retourne à l’Ascencion-de-Patapédia, près de la Vallée de la Matapédia (Gaspésie) et une fois sur place, faire les démarches pour se trouver un appartement ou une chambre.

 

En ce qui a trait à ses traitements de physiothérapie, à raison de trois fois par semaine, le travailleur attire notre attention sur le fait que le temps requis pour un aller-retour à Amqui est de 2 h 0 à 3 h de route. Pour assurer son suivi médical, il aurait été dans l’obligation de consulter un médecin de l’urgence du centre hospitalier de Carleton sur mer, à une heure de route ou encore un médecin de l’urgence du centre hospitalier de Campbellton au Nouveau-Brunswick. Pour s’y rendre on doit également compter une heure, une heure et quart. De plus, il n’aurait pas été assuré de recevoir les services en français. Ainsi, le travailleur soumet que l’assignation temporaire aurait entrainé de nombreuses démarches, de nombreux déplacements sans compter le coût pour lui sur le plan financier, et ce, pour une très courte période.

 

La Révision administrative a rejoint l’employeur. En réponse aux observations du travailleur, il déclare qu’effectivement, le travailleur aurait dû se déplacer à Amqui pour ses traitements de physiothérapie. Le temps requis pour s’y rendre est d’environ 40 à 45 minutes. Il aurait dû également se déplacer à Amqui ou à Campbellton pour rencontrer un médecin. Dans ce dernier cas, le centre hospitalier est à environ 30 minutes en voiture. L’employeur précise que le travailleur aurait travaillé 45 heures semaine en plus, d’une fin de semaine sur deux. Les autres fins de semaine, il aurait pu retourner chez lui, le vendredi midi et revenir le lundi. Il y a environ 4 à 5 heures de route entre l’Ascencion-de-Patapédia et Warwick.

 

 

[37]        Sur la base de ces observations, la réviseure conclut ainsi :

Compte tenu des circonstances particulières et que chaque dossier est un cas d’espèce, la Révision administrative estime qu’il n’est pas raisonnable de demander au travailleur d’occuper l’assignation temporaire.

 

Demander au travailleur, de retourner à l’Ascencion-de-Patapédia, près de la Vallée de la Matapédia (Gaspésie), de se trouver un appartement ou une chambre, faire à tout le moins entre deux heures de route trois fois par semaine pour se rendre à Amqui pour recevoir ses traitements de physiothérapie, trouver un médecin, ce qui est peu probable, s’adresser à l’urgence du centre hospitalier de Carleton sur mer, à moins d’une heure de route ou encore à un médecin de l’urgence du centre hospitalier de Campbellton, au Nouveau-Brunswick, sans savoir s’il aurait pu recevoir les services en français et sans que ceux-ci aient une copie du dossier du travailleur, et ce, pour une durée de moins de quatre semaines, constitue de l’avis de la Révision administrative, des inconvénients beaucoup plus importants pour le travailleur que les bénéfices qu’il pourrait tirer de cette assignation temporaire.

 

Malgré les objectifs recherchés par l’assignation temporaire, la Révision administrative estime que les circonstances décrites précédemment ne sont pas favorables à la réadaptation du travailleur.

 

 

[38]        À l’audience, le travailleur confirme qu’il était capable d’effectuer l’assignation proposée. Questionné sur ses motivations à contester, le travailleur indique qu’il restait peu de temps avant son retour en formation et qu’il craignait de ne pas être en mesure de terminer son cours. Le déménagement vers la Gaspésie était pour lui un irritant, d’autant plus qu’il savait qu’il devrait déménager à nouveau de Warwick à Vaudreuil-Dorion en février 2012. Bref, il indique qu’il n’aimait pas l’instabilité que cette situation lui apportait, d’autant plus qu’il était le seul étudiant à avoir une prolongation de contrat.

[39]        Durant son suivi médical, il a vu la docteure Parent à quatre reprises. Il précise que le bureau de la docteure Parent est situé à Vaudreuil. Le trajet entre Vaudreuil et Warwick est de deux heures trente approximativement.

[40]        En ce qui a trait aux déplacements de l’Ascension-de-Patapédia vers Amqui pour les traitements de physiothérapie, le travailleur indique que les deux à trois heures estimées sont pour un aller-retour.

[41]        Interrogé sur les démarches entreprises au niveau de l’hébergement, le travailleur indique qu’il s’est limité à vérifier à l’endroit où il a habité. Il admet finalement qu’il savait que l’employeur avait effectué des démarches afin de s’assurer qu’il pourrait terminer son cours. Toutefois, le fait qu’il était le seul à y retourner ne lui plaisait guère.

[42]        À la suite de l’audience, le procureur de l’employeur a transmis, à la demande du tribunal, des documents complémentaires relativement au lien d’emploi qui prévalait entre le travailleur et l’employeur après le 24 décembre 2011.

[43]        Ainsi, il appert d’une lettre rédigée le 26 mars 2013 par monsieur Léger Lemieux, ingénieur chez l’employeur, que l’entente intervenue entre la Commission de la Construction du Québec et Construction Énergie Renouvelable S.E.N.C. visait à garantir un minimum de 150 heures de travail à un groupe d’étudiants (12 au total) dans le métier de grutier.

[44]        Ces engagements, dont copies intégrales ont été transmises au tribunal, ont été acheminés par l’employeur à la CCQ le 13 juillet 2011. Le tribunal note qu’aucune date de fin d’emploi n’y est prévue.

[45]        La CCQ a accordé les exemptions de certificat de compétence, tel que demandé jusqu’au 24 décembre 2011. Monsieur Lemieux indique toutefois que ces exemptions pouvaient faire l’objet d’une demande de prolongation.

[46]        Monsieur Lemieux précise que les liens d’emplois de chacun des travailleurs engagés ont été résiliés de façon aléatoire au cours de l’automne 2011 avec une prédominance en décembre 2011. Le tribunal constate à ce sujet que deux d’entre eux ont quitté le 9 octobre, deux le 17 novembre alors que les autres (sauf le travailleur) ont quitté le 22 décembre 2011.

[47]        La preuve démontre également que le travailleur avait complété les « 150 heures de travail minimum » en date du 20 août 2011.

[48]        Il appert au surplus du document soumis par l’employeur que le travailleur, suite à son accident du travail, n’a jamais signifié son désir de mettre fin à son emploi et que l’employeur était par ailleurs en mesure de lui fournir des tâches en assignation temporaire jusqu’à la reprise des cours à l’école de grutier.

[49]        L’employeur explique finalement qu’aucune demande de prolongation du certificat de compétence n’a été acheminée à la CCQ, étant donné que le travailleur a contesté son assignation temporaire dès qu’elle a été approuvée par son médecin traitant.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[50]        En regard du maintien du lien d’emploi, le représentant de l’employeur allègue qu’au moment de l’expiration du certificat de compétence le 24 décembre 2011, le travailleur était en arrêt de travail et qu’aucune assignation temporaire n’avait été autorisée par son médecin traitant. Il n’était donc pas utile pour l’employeur de demander une prolongation du certificat de compétence. Lorsque l’autorisation d’assignation temporaire a été autorisée par le médecin traitant, le travailleur l’a immédiatement contestée rendant inutile la demande de prolongation du certificat.

[51]        Il reprend en argumentation principale chacun des critères de l’article 179 et fait valoir que l’ensemble des conditions est rempli. En ce qui a trait à la condition voulant que l’emploi ne doit pas être néfaste à la réadaptation, le procureur soutient que rien n’indique dans la preuve que le travailleur n’était pas capable de se déplacer. Au contraire, il l’a fait durant son suivi médical notamment pour aller consulter la docteure Parent qui est à plusieurs heures de route.

[52]        Il ajoute que le fait d’avoir à se déplacer sur différents chantiers constitue une condition normale et intrinsèque du travail de grutier dans l’industrie de la construction. Il réfère à cet effet à la convention collective qui encadre de façon très précise la question des déplacements incluant l’hébergement. Il convient que la situation du travailleur n’était certes pas idéale, mais que la convention collective pallie aux inconvénients.

[53]        Il termine en soulignant que l’employeur s’est assuré que le travailleur pourrait terminer sa formation, que sa carte d’exemption serait prolongée et qu’il pourrait continuer ses traitements de physiothérapie.

[54]        La représentante du travailleur n’a pas commenté la preuve complémentaire fournie par l’employeur à la demande du tribunal relativement au maintien du lien d’emploi.

[55]        Quant au fond du litige, elle soutient pour sa part que l’assignation temporaire proposée n’est pas favorable à la réadaptation du travailleur. Elle souligne les circonstances particulières de sa situation et insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une assignation d’une durée de trois semaines. Selon elle, les inconvénients engendrés par l’assignation temporaire étaient plus importants que le bénéfice que le travailleur pouvait encourir.

L’AVIS DES MEMBRES

[56]        La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de considérer, en l’absence de preuve contraire, que le travailleur était toujours à l’emploi de l’employeur au moment où l’assignation temporaire a été autorisée par le médecin traitant du travailleur.

[57]        Quant au fond du litige, ils sont d’avis d’accueillir la requête de l’employeur. Ils constatent tous deux que la preuve prépondérante démontre que les critères établis par l’article 179 de la loi sont respectés.

[58]        De plus, les motifs invoqués par le travailleur représentent des inconvénients qui ne constituent pas une preuve qu’il n’est pas en mesure d’effectuer l’assignation proposée.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[59]        Le tribunal doit décider si l’assignation temporaire proposée par l’employeur respecte les conditions prévues à l’article 179 de la loi et si le travailleur est tenu d’effectuer cette assignation.

[60]        Avant toute chose, il convient de préciser que le tribunal considère que le travailleur et l’employeur étaient toujours liés par un lien d’emploi au moment où la docteure Parent a autorisé l’assignation temporaire le 11 janvier 2012.

[61]        Contrairement à ce qui est rapporté aux notes évolutives à l’effet que le contrat de travail prenait fin le 24 décembre 2011, le tribunal constate que la preuve démontre plutôt que l’entente est intervenue non pas entre le travailleur et l’employeur, mais entre la CCQ et l’employeur. De plus, cette entente visait à garantir un minimum de 150 heures de travail à chacun des étudiants et aucune date de fin de contrat n’était prévue.

[62]        Ce nombre d’heures obligatoires a été atteint dans le cas du travailleur le 20 août 2011. Une fois ce nombre d’heures minimales atteint, le travailleur a maintenu sa prestation de travail jusqu’à l’événement du 24 novembre 2011.

[63]        La preuve révèle que la fin d’emploi a été pour la majorité des étudiants de la cohorte à la fin décembre 2011 bien que quatre d’entre eux aient choisi de quitter au cours de l’automne 2011. Le tribunal comprend au surplus que lorsque ces quatre étudiants ont quitté le travail en octobre et novembre 2011, leur carte d’exemption de la CCQ était toujours valide jusqu’au 24 décembre 2011.

[64]        Finalement, la preuve non contredite démontre que le travailleur n’a jamais donné sa démission à l’employeur que ce soit avant l’événement du 24 novembre 2011 ou après. Les notes évolutives de la CSST font d’ailleurs état de son implication dans l’identification des tâches pouvant faire l’objet d’une assignation temporaire.

[65]        Qu’en est-il de cette assignation temporaire?

[66]        L’article 179 de la loi traite de l’assignation temporaire dans les termes suivants :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

 

 

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

[67]        En somme, il s’agit d’une mesure qui permet à un employeur d’assigner temporairement un travail à un travailleur victime d’une lésion professionnelle, en attendant qu’il redevienne capable d’exercer à nouveau son emploi ou un emploi convenable, et ce, même si sa lésion n’est pas consolidée.

[68]        Pour mettre cette mesure en application, l’employeur doit obtenir au préalable une autorisation du médecin qui a charge du travailleur. Ce médecin doit, à la lecture de l’assignation temporaire proposée, croire que le travailleur est en mesure d’accomplir le travail suggéré, être d’avis que ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur et finalement estimer que cette assignation est favorable à la réadaptation du travailleur.

[69]        Le travailleur qui est en désaccord avec l’opinion de son médecin traitant peut la contester conformément à la procédure prévue à l’article 37 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[4] (la LSST). Dans un tel cas, le travailleur n’est pas tenu d’effectuer l’assignation temporaire proposée par l’employeur jusqu’à ce que le rapport du médecin qui a charge soit confirmé par une décision finale.

[70]        Il appartient toutefois au travailleur qui conteste l’assignation proposée de démontrer par une preuve prépondérante que cette assignation temporaire ne rencontre pas une ou des conditions prévues à l’article 179 de la loi.

[71]        En l’espèce, l’assignation temporaire proposée par l’employeur a été autorisée par la docteure Parent, médecin qui a charge du travailleur. Elle a toutefois émis certains commentaires en regard du contrat de travail, de la carte d’exemption et du début de la formation en spécifiant à l’employeur qu’il devait prendre entente avec le travailleur.

[72]        Le tribunal considère dans le présent cas que la preuve prépondérante démontre que les trois conditions de l’article 179 de la loi sont remplies.

le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail

 

[73]        La preuve démontre que le travailleur est capable de conduire un véhicule pour effectuer des commissions. La preuve est d’ailleurs à l’effet qu’au moment de déterminer les tâches d’assignation, le travailleur a lui-même proposé cette tâche. Quant aux deux autres tâches qui apparaissent au tribunal comme étant plus de nature cléricale, rien ne démontre que le travailleur n’est pas en mesure de les accomplir.

[74]        Au surplus, le kilométrage que le travailleur a effectué dans le cadre de son suivi médical pour se rendre à ses rendez-vous avec la docteure Parent dont la clinique médicale est à Vaudreuil, à plusieurs kilomètres de Warwick, conforte le tribunal dans sa décision de considérer que le travailleur est capable d’accomplir la tâche ayant trait à la conduite d’un véhicule.

[75]        À tout événement, bien que le travailleur ait évoqué son incapacité à se servir de son bras droit à la réviseure, il a par ailleurs admis qu’il était capable d’accomplir ce travail. Cette affirmation a d’ailleurs été réitérée par le travailleur en audience.

ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion

[76]        Aucune preuve n’a été présentée par le travailleur permettant au tribunal de conclure que l’assignation offerte comporte un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique.

ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur

[77]        À nouveau, le tribunal rappelle que le travailleur a admis à la conseillère en réadaptation que l’assignation proposée est favorable à sa réadaptation.

[78]        Lors de sa conversation avec la réviseure siégeant en révision administrative, le travailleur lui a fait état des nombreux inconvénients que représentait pour lui le fait de retourner en Gaspésie pour une période de trois à quatre semaines. La réviseure a alors conclu que ces circonstances n’étaient pas favorables à la réadaptation du travailleur.

[79]        Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal n’est pas d’accord. La preuve démontre que le fait d’avoir à se déplacer pour se rendre sur différents chantiers fait partie du travail choisi par le travailleur dans le domaine de la construction.

[80]        De plus, l’employeur était en mesure d’effectuer les démarches permettant de prolonger sa carte d’exemption auprès de la CCQ.

[81]        L’employeur a également trouvé une clinique de physiothérapie disposée à prendre la relève pour les traitements de physiothérapie.

[82]        En ce qui a trait au suivi médical et à la crainte du travailleur d’avoir à consulter à l’urgence d’un hôpital, le tribunal considère qu’il ne s’agit que d’une simple hypothèse, d’autant plus qu’il est inscrit au formulaire d’assignation temporaire, que ce dernier avait déjà un rendez-vous de fixer avec la docteure Parent pour le 23 février 2012. Le tribunal en vient donc à la conclusion que dans le cadre de son suivi médical « régulier », le travailleur n’avait pas à revoir un médecin avant le 23 février 2012.

[83]        À l’audience, le travailleur a soumis le fait qu’il n’avait pas d’endroit où rester, la chambre où il demeurait ayant été louée. Il a par ailleurs admis n’avoir effectué aucune démarche visant à chercher un endroit où demeurer. La preuve démontre également que la question des déplacements et de l’hébergement est abondamment traitée par la convention collective. Le travailleur n’était donc pas sans ressource.

[84]        Le tribunal considère par conséquent que malgré les démarches de l’employeur visant à faciliter son retour au travail en assignation temporaire, le travailleur voyait toujours de nombreux inconvénients à retourner en Gaspésie pour une aussi courte période de temps. Ceci étant, le fait de réitérer ces inconvénients lors de l’audience ne constitue pas une preuve que l’assignation n’est pas favorable à sa réadaptation.

[85]        Au surcroit, le tribunal rappelle que la docteure Parent était bien au fait de la situation du travailleur au moment où elle a autorisé l’assignation temporaire. Elle savait entre autres que sa carte d’exemption était expirée et qu’il devait reprendre sa formation le 13 février 2012. Elle a, à ce sujet, recommandé à l’employeur de prendre entente avec le travailleur. En l’absence de preuve au contraire, le tribunal estime que c’est en toute connaissance de cause qu’elle a autorisé l’assignation temporaire.

[86]        En définitive, le tribunal constate que la décision de la CSST siégeant en révision administrative est non fondée et que l’assignation temporaire proposée par l’employeur le 11 janvier 2012 respectait les conditions prévues à l’article 179 de la loi et qu’en conséquence, le travailleur était tenu de l’effectuer.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée le 15 février 2012 par Construction Énergie Renouvelable S.E.N.C., l’employeur;

INFIRME EN PARTIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 février 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Rémi Tessier, le travailleur, était tenu d’accomplir l’assignation temporaire proposée par son employeur à compter du 11 janvier 2012 jusqu’au 12 février 2012.

 

 

 

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Renée-Claude Bélanger

 

 

 

Me Jean-François Bélisle

Bourque, Tétreault et ass.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Maude Lyonnais-Bourque

U.O.M.L. - local 791

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Voir à cet effet les pages 3 et 4 du dossier constitué.

[3]           Le rapport médical est illisible. Le tribunal constate toutefois une mention sur ce dernier concernant des travaux légers sans toutefois être en mesure d’en déduire s’ils sont autorisés ou non.

[4]           L.R.Q., c. S-2.1.

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