Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Hamel et Produits chimiques CCC ltée

2015 QCCLP 2040

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

10 avril 2015

 

Région :

Laurentides

 

Dossiers :

477875-64-1207      503939-64-1303

 

Dossiers CSST :

139433007   140092354

 

Commissaire :

Michèle Juteau, juge administratif

 

Membres :

Jacinthe Fortin, associations d’employeurs

 

Pierre-Jean Olivier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Pierre Hamel

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Produits chimiques CCC ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 2 juillet 2014, monsieur Pierre Hamel dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision rendue par ce tribunal le 25 juin 2014.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette les deux contestations du travailleur. Elle confirme deux décisions rendues les 19 juin 2012 et 18 janvier 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative. Elle fait les déclarations suivantes :

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 26 janvier 2012 et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était donc justifiée de lui réclamer la somme de 1 326,59 $ qu’il a reçue.

 

[…]

 

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 3 août 2012 et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

[3]           L’audience relative à la requête en révision ou en révocation a été tenue les 9 décembre 2014, 14 janvier 2015 et 23 février 2015 à Saint-Jérôme en présence du travailleur et de sa représentante, madame Johanne Blais, ainsi que de la procureure de l’employeur, Produits chimiques CCC ltée, Me Marie-Ève Legault.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer la décision du 25 juin 2014 parce qu’elle comporte de nombreuses erreurs manifestes et déterminantes. Il soumet notamment que la preuve faite à l’audience n’a pas été correctement rapportée et analysée. Ultimement, il requiert que le tribunal lui donne raison; qu’il conclut à l’existence d’une lésion professionnelle et qu’il lui accorde le droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête en révision ou en révocation du travailleur. Il considère que les motifs du travailleur sont équivalents à un appel des décisions visées par la requête. Il ne croit pas que le premier juge administratif a commis des erreurs manifestes et déterminantes  qui ont un impact sur l’issue du litige.

[6]           Le membre issu des associations syndicales accueillerait la requête en révision ou en révocation du travailleur. Il est d’avis que la décision comporte une erreur manifeste et déterminante relative à l’appréciation de la preuve. Reprenant ce que CLP1 écrit au paragraphe 59, il croit que la règle du crâne fragile justifie une conclusion favorable au travailleur même si les tâches de cariste n’ont eu qu’une contribution marginale.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Par l’entremise de sa représentante, le travailleur fait valoir que la décision rendue le 25 juin 2014 par la Commission des lésions professionnelles (CLP1) comporte de nombreuses erreurs déterminantes. Ces allégations seront exposées et analysées plus loin. Pour l’instant, il y a lieu de faire un rappel des règles de droit applicables.

[8]           Le champ d’intervention du présent tribunal est relativement étroit. On ne pourra donner gain de cause à l’employeur que si, et seulement si, un des motifs de révision ou de révocation est établi. Ce n’est pas parce qu’une partie n’est pas d’accord avec la conclusion d’un juge administratif que le tribunal peut intervenir. Il faut beaucoup plus que cela pour obtenir la révision ou la révocation d’une décision.

[9]           Ayons d’abord à l’esprit que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel, comme le stipule le dernier alinéa de l’article 429.49 de la loi :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[notre soulignement]

[10]        Néanmoins, un recours fait exception. Il s’agit de la révision ou de la révocation dont l’application est encadrée par l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu’elle a rendue :

 

1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

 

 

Dans le cas visé au paragraphe 3, la décision, l’ordre ou l’ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l’a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

[11]        Selon la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, le vice de fond de nature à invalider une décision constitue une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[2]. Ce principe a été réaffirmé par les tribunaux supérieurs et notamment par la Cour d’appel du Québec qui a rappelé que la Commission des lésions professionnelles devait agir avec grande retenue en accordant une primauté à la première décision et se garder de réapprécier la preuve et de réinterpréter les règles de droit[3].

[12]        Plus récemment, dans l’affaire  Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec[4], la Cour d’appel a réitéré le principe voulant que le vice de fond de nature déterminante aille bien au-delà de la divergence de points de vue ou de l’insatisfaction face à la décision rendue. Elle rappelle ceci :

[47]      Dans l’affaire CSST c. Fontaine[25] rendue en matière d’indemnisation de victimes d’accidents du travail, le juge Morissette fait une revue de la jurisprudence de la Cour sur cette question et résume sa pensée comme suit :

[50]      En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un «defect so fundamental as to render [the decision] invalid», «a fatal error». Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa, est «entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige». Le juge Dalphond, dans l’arrêt Batiscan, effectue le rapprochement avec l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc. de la Cour suprême du Canada, où le juge Iacobucci apportait plusieurs éclaircissements utiles sur les attributs de deux notions voisines, l’erreur manifeste et la décision déraisonnable. Il s’exprimait en ces termes :

Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l’application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable.

On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider [une] décision».

[51]      En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions». L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique» mais, comme «il appartient d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter» un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision). Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision.

(Références omises et accentuation prononcée)

 

[48]            Dans M.L. c. PGQ[26], les juges Duval Hesler et Beauregard, alors majoritaires, se disent d’avis qu’une divergence d’opinions, même sur une question importante, ne constitue pas un vice de fond[27], que le recours en révision n’est pas un moyen déguisé de reprendre le même débat à partir des mêmes faits[28]. Pour le juge Beauregard, une décision entachée d’un vice de fond doit être assimilée à une décision légalement nulle.

[notes omises]

 

[13]        Revenons à la décision du 25 juin 2014.

[14]        La contestation soumise à la Commission des lésions professionnelles (CLP1) concerne la reconnaissance d’une lésion professionnelle. En résumé, le travailleur demande que le diagnostic de sténose cervicale avec myélopathie secondaire ainsi que celui de dégénérescence discale avec sténose foraminale multiétagée soient reconnus comme une maladie professionnelle reliée aux risques particuliers de son travail de cariste. Il requiert ainsi la reconnaissance d’une maladie professionnelle lui donnant le droit de recevoir des prestations en vertu de la loi.

[15]        Le 25 juin 2014, après avoir entendu la preuve et les arguments des parties, la CLP1 rend la décision que le travailleur remet en question par sa requête en révision ou en révocation.

[16]        Comme on l’a vu précédemment, CLP1 rejette les demandes du travailleur. Cette conclusion repose essentiellement sur l’absence de preuve prépondérante voulant que la condition du travailleur soit reliée de manière significative aux mouvements accomplis par lui dans le cadre de ses tâches de cariste.

[17]        On comprend à la lecture du paragraphe 59 de la décision que CLP1 admet que les tâches du travailleur sollicitent les vertèbres du rachis cervical et lombaire du travailleur, mais que cette sollicitation n’en constitue pas la principale cause, non plus qu’un facteur d’aggravation.

[18]        CLP1 retient plutôt que le travailleur présente une maladie discale dégénérative d’ordre si sévère et étendue qu’elle ne peut pas être reliée aux contraintes du travail de cariste. Cela ressort du paragraphe 60.

[19]        Dans ce contexte, aux paragraphes 61 et 62, CLP1 explique qu’elle retient que le problème du travailleur est d’origine génétique comme la littérature médicale déposée le suggère. À cet égard, CLP1 retient l’opinion du docteur Claude Lamarre témoin expert de l’employeur.

[20]        Enfin, CLP1 considère le tabagisme du travailleur comme un facteur aggravant. Elle s’en explique au paragraphe 64.

[21]        Voyons maintenant les erreurs alléguées par le travailleur.

[22]        Le travailleur considère qu’il est faux de prétendre que sa condition est d’origine congénitale. Il soumet que CLP1 commet une erreur grossière en concluant ainsi. Il argumente que la preuve médicale administrée ne supporte pas cette conclusion. Il reprend les arguments présentés à l’audience en les étoffant davantage. Il tente de démontrer que l’opinion du docteur Lamarre comporte des inexactitudes au plan médical et que ce témoin a un préjugé favorable à l’employeur.

[23]        Avec égards, le présent tribunal ne peut retenir les arguments du travailleur. Voici pourquoi.

[24]        Pour disposer du litige, CLP1 devait apprécier la crédibilité des opinions médicales exprimées par le docteur Marc-F. Giroux (témoin expert du travailleur) d’une part et par le docteur Lamarre d’autre part.

[25]        Avant l’audience qui a donné lieu à la décision de CLP1, ces médecins fournissaient des opinions écrites opposées sur l’effet des gestes et des mouvements accomplis par le travailleur pour effectuer les opérations de cariste. En cours d’audience, leurs opinions respectives sont restées irréconciliables bien que certaines nuances aient été faites.

[26]        CLP1 rapporte l’opinion du docteur Giroux aux paragraphes 28 à 31. Les éléments exposés sont issus des écrits et des déclarations de ce médecin à l’audience.

[27]        CLP1 rapporte l’opinion du docteur Lamarre aux paragraphes 32 à 41. Les éléments exposés sont issus des écrits et des déclarations de ce médecin à l’audience.

[28]        Le présent tribunal a lu la transcription de leur témoignage, laquelle a été déposée par le travailleur et par l’employeur. Il constate que CLP1 a correctement rapporté l’opinion que les médecins ont exprimée.

[29]        En outre, comme CLP1 le mentionne au paragraphe 31, le docteur Giroux a reconnu que la pathologie discale du travailleur pouvait être en partie d’origine personnelle. Il a aussi mentionné que le tabagisme du travailleur était un facteur causal devant être considéré. Il a cependant maintenu son opinion relative à la contribution significative des mouvements accomplis par le travailleur à son poste de cariste.

[30]        Sur la valeur de l’étude de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (l’IRSST) relative aux risques d’accident auxquels sont exposés les caristes en général, le docteur Giroux a convenu avec la procureure de l’employeur que les observations de cette étude ne pouvaient être considérées sans faire de nuances.

[31]        À l’audience, le docteur Lamarre donne une opinion différente. Il explique qu’en raison de la sévérité de la sténose, le travailleur est vraisemblablement né avec cette condition, laquelle a évolué avec le temps sans égard au travail. Il identifie les habitudes tabagiques du travailleur comme facteur aggravant. Il exclut que les mouvements physiologiques accomplis par le travailleur à son poste de cariste puissent avoir contribué de manière significative à la pathologie du travailleur. En contre-interrogatoire, le docteur Lamarre maintient son opinion en la motivant davantage.

[32]        Devant cette preuve médicale contradictoire, CLP1 devait déterminer ce qui était le plus probant. Elle a choisi de suivre l’opinion du docteur Lamarre. Elle a expliqué ce choix. Ses motifs, comme on l’a vu plus haut, sont clairs et non capricieux.

[33]        La conclusion de CLP1 découle essentiellement de l’appréciation de la valeur probante de la preuve médicale. Le présent tribunal ne peut pas réviser cette analyse, comme le voudrait le travailleur. En agissant ainsi, il outrepassait ses pouvoirs qui, en l’occurrence, sont encadrés par les règles de l’article 429.56 de la loi, comme on l’a vu précédemment.

[34]        De surcroît, dans le cadre de la requête en révision ou en révocation, le travailleur n’est pas admis à bonifier sa preuve ou ses arguments pour obtenir une décision qui lui serait favorable. Encore une fois, la décision du 25 juin 2014 doit prévaloir en raison de son caractère final.

[35]        Le travailleur soutient également que le docteur Lamarre a fourni une opinion préjugée en faveur de l’employeur en contrevenant à ses devoirs de témoin expert, notamment quant à l’impartialité et la neutralité de ses propos. Il s’agit d’un argument qui aurait dû être soumis à la première audience. Quoi qu’il en soit, cet argument relève de l’appréciation de la valeur probante de la preuve. Comme mentionné précédemment, le présent tribunal ne peut intervenir à ce sujet sans outrepasser ses pouvoirs. La retenue est de mise.

[36]        Voyons maintenant les autres allégations d’erreurs concernant la description du travail et des lieux de travail.

[37]        Le travailleur soumet que CLP1 a mal décrit les gestes accomplis en minimisant leur fréquence et leur ampleur. Ces allégations concernent, entre autres, les paragraphes 9, 13, 15, 22, 26 et 57.

[38]        Au paragraphe 9, CLP1 décrit les lieux de travail :

[9]      Les produits chimiques sont contenus dans des barils ou des sacs reposant sur des palettes empilées jusqu’à cinq de haut sur des étagères appelées « palettiers ». L’inventaire est stocké dans un vaste entrepôt aménagé en allées permettant la circulation des chariots élévateurs sur le plancher de ciment (pièce E-1).

 

 

[39]        Le travailleur fait valoir que la pièce E1, une photo de l’entrepôt, ne peut être utilisée pour décrire les lieux où il a travaillé parce qu’elle a été prise postérieurement à son arrêt de travail et que l’entrepôt a été réaménagé. Il réfère à une partie de son témoignage pour appuyer ce fait.

[40]        Le tribunal constate que le travailleur réfère à une imprécision bien plus qu’à une erreur manifeste et déterminante. En effet, si on retire la mention entre parenthèses, le texte du paragraphe 9 correspond à la preuve.

[41]        Au paragraphe 13, CLP1 décrit certains gestes accomplis par le travailleur lorsqu’il conduit le chariot élévateur de modèle classique.

[13]    En reculant de cette manière, le tronc et le bassin forme un angle d’environ 30 degrés alors que celui de la colonne cervicale est d’environ 45 degrés (pièce T-1) : « Voici la position que je prenais pour reculer avec le chariot en toute sécurité […] »). Le travailleur estime se déplacer à reculons de 2 à 3 heures par jour, principalement lorsque la hauteur de la charge qu’il transporte obstrue son champ visuel.

 

[42]        Le travailleur argumente que CLP1 minimise l’amplitude articulaire cervicale. Il suggère que la rotation de la tête est de 90 degrés. Avec égard, le tribunal ne peut retenir cette allégation. Dans son témoignage, le travailleur a référé à la photo T-1 pour  illustrer les mouvements accomplis. On lit d’ailleurs sur cette photo l’annotation citée. Or, la photo montre une rotation cervicale d’environ 45 degrés par rapport à la position neutre. Le témoignage du travailleur à l’audience va d’ailleurs dans ce sens[5]. L’allégation d’erreur est donc sans fondement.

[43]        Le travailleur soutient également que la dernière phrase du paragraphe 13 ne correspond pas à la preuve. À son avis, le temps consacré à la conduite arrière est plus important. Il utilise l’étude de l’IRSST pour établir ce fait.

[44]        Encore une fois, le présent tribunal considère que l’énoncé du paragraphe 13 est conforme au témoignage du travailleur[6]. En l’occurrence, le travailleur est une meilleure source d’information pour décrire ses tâches que l’étude de l’IRSST à laquelle il réfère maintenant.

[45]        En comparaison, un renseignement tiré de cette étude est moins fiable. D’ailleurs, le docteur Giroux a reconnu que les observations des chercheurs de l’IRSST ne pouvaient pas traduire parfaitement la réalité du travailleur. Le présent tribunal ne peut pas reprocher à CLP1 d’avoir considéré ce que le travailleur a affirmé plutôt que les éléments mentionnés dans l’étude de l’IRSST.

[46]        Le travailleur soumet que sa position de conduite sur le chariot à fourche rétractable ne correspond pas à la description du paragraphe 15. Il explique que les amplitudes articulaires sont plus prononcées. Elles atteignent presque 90 degrés. Voici ce que CLP1 écrit :

[15]    Le travailleur utilise le chariot à fourche rétractable environ une heure par jour. La conduite latérale de cet engin fait en sorte qu’il se déplace avec le tronc et la tête tournés à environ 45 degrés vers la droite ou la gauche, selon qu’il avance ou qu’il recule. Même si la caméra permet de voir la palette placée à l’arrière sur la deuxième rangée, le travailleur doit quand même regarder vers le haut pour guider la fourche et ne pas accrocher les plafonniers. Ici également, il décrit une posture de pleine extension du cou.

 

 

[47]        Après avoir lu la transcription du témoignage du travailleur, le présent tribunal constate qu’il y a une erreur. Le travailleur a plutôt affirmé que la conduite du chariot à fourche rétractile (reach) implique une rotation plus prononcée : « j’ai la tête complètement sur le côté ».

[48]        Cependant cette erreur, bien que manifeste, n’est pas déterminante. Comme on l’a vu précédemment, la conclusion de CLP1 repose sur l’appréciation de la preuve médicale. L’opinion du docteur Lamarre a été retenue. Ce médecin qui a assisté à l’audience et entendu le témoignage du travailleur a expliqué que les amplitudes articulaires décrites par le travailleur étaient physiologiques et qu’elles ne pouvaient pas expliquer sa condition de la colonne vertébrale.

[49]        Au surplus, au paragraphe 57, CLP1 indique que les amplitudes sont à 90 degrés.

[50]        Le présent tribunal convient aussi qu’il y a une autre erreur manifeste au paragraphe 22, alors que CLP1 relate les observations issues de l’étude de l’IRSST :

[22]    Le travailleur a déposé plusieurs extraits d’articles ou de rapports pour appuyer sa réclamation. Dans une étude de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (IRSST) intitulée Chariots élévateurs : étude ergonomique et analyse des stratégies de conduite des caristes2, on peut notamment lire que ce type d’emploi sollicite les vertèbres cervicales et les muscles dorsaux lombaires avec risque d’entrainer de la fatigue musculaire. En moyenne, un cariste effectue de deux à quatre flexions latérales de la colonne et près de deux rotations de la tête à la minute. On indique également que la marche arrière constitue une activité exigeante pour les dos.

____________

2        S. VEZEAU et al, Chariots élévateurs : étude ergonomique et analyse des stratégies de conduite des caristes, coll. « Études et recherches : sécurité des outils, des machines et des procédés industriels », Montréal : IRSST, 2009.

 

[nos soulignements]

[51]        CLP1 lit mal le tableau 8 qui fournit les données auxquelles elle réfère. Le compte, en additionnant les mouvements du côté droit et du côté gauche, est plutôt de 6,4 flexions latérales et de près de trois rotations de la tête à la minute. Néanmoins, comme on l’a déjà indiquée pour l’erreur précédente, le manquement n’est pas déterminant en l’espèce parce que la conclusion CLP1 repose sur l’opinion du docteur Lamarre. À cet égard, CLP1 rapporte correctement la preuve et elle fournit des motifs rationnels.

[52]        Le travailleur soumet aussi que le paragraphe 26 n’est pas conforme à la preuve :

[26]    Monsieur Bruno Pelletier, directeur des opérations, témoigne à l’audience à la demande de l’employeur. Au service de l’employeur depuis 2002, il supervise le travail de huit caristes incluant le travailleur. À sa connaissance, il n’y a eu aucune autre réclamation de soumise pour des problèmes cervicaux ou lombaires depuis son entrée en fonction.

 

 

[53]        Cette allégation n’est pas vraie. La lecture de la transcription de l’enregistrement de l’audience permet de constater que le témoin a fait cette affirmation[7].

[54]        Enfin, le travailleur argumente que le paragraphe 57 est erroné parce que CLP1 évalue mal les exigences des tâches du travailleur et les contraintes sur la colonne vertébrale. CLP1 écrit :

[57]    En l’instance, il y a toutefois lieu de moduler la gravité des contraintes posturales invoquées par le travailleur. La conduite d’un chariot élévateur n’implique aucun mouvement contrarié contre résistance. On ne peut également parler de mouvements répétitifs ou de cadence de travail imposée. Par ailleurs, le travailleur demeure libre d’adopter des stratégies de confort, comme en témoigne la position du tronc lors du déplacement à reculons ou avec le chariot à fourche rétractable. Dans les deux cas, la posture adoptée montre que la tête n’effectue qu’une demi-rotation, alors que le positionnement du tronc se charge du reste. Notons d’ailleurs que la sténose cervicale ne concerne pas les deux vertèbres assurant le mouvement de rotation du cou.

 

 

[55]        Dans ce paragraphe, CLP1 donne ses conclusions quant aux exigences des tâches du travailleur. Cela repose sur la preuve retenue. On voit bien aussi que le tribunal considère que les rotations de la tête avoisinent les 90 degrés d’amplitude. L’erreur du paragraphe 15 est ici corrigée.

[56]        Encore une fois, il faut rappeler que le présent tribunal ne peut reprendre l’analyse de la preuve afin de conclure que les tâches du travailleur impliquaient des contraintes posturales graves et péjoratives pour la colonne vertébrale du travailleur. Cette prérogative appartenait à CLP1.

[57]        En tout respect, considérant le cadre juridique limité d’un recours en révision ou en révocation pour les motifs énoncés ci-dessus, le présent tribunal rejette le recours du travailleur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision ou en révocation de monsieur Pierre Hamel, le travailleur.

 

 

__________________________________

 

Michèle Juteau

 

 

 

 

Madame Johanne Blais

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Marie-Ève Legault

Morneau Shepell

Représentante de la partie intéressée

 

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783; Les Viandes & Aliments Or-Fil, C.L.P. 86173-61-9702, 24 novembre 1998, S. Di Pasquale; Louis - Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626; Commission de la santé et de la sécurité du travail et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[4]          2014 QCCA 1067.

[5]          Transcription fournie par l’employeur pages 29, 30, 34.

[6]          Id., note 5.

[7]          Précitée, pages 223 et 224.

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