Décision

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Lévesque c. Des Sources Dodge Chrysler ltée

2021 QCCQ 169

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-706151-182

 

DATE :

14 janvier 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ÉRIC COUTURE

______________________________________________________________________

 

 

BENOIT LEVESQUE

Demandeur

c.

DES SOURCES DODGE CHRYSLER LTÉE

 

-et-

FCA CANADA INC.

Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

Introduction

[1]           M. Benoit Lévesque a acquis un véhicule chez Des Sources Dodge Chrysler Ltée (le Concessionnaire). Le contrat d’achat[1] signé le 21 septembre 2017 indique qu’il s’agit d’un véhicule neuf acheté au prix de 26 947,51 $.

[2]           M. Lévesque se rend chez le Concessionnaire le 25 septembre 2017 pour prendre possession de son véhicule. Le contrat de vente est signé sur un formulaire différent[2] où il est indiqué qu’il s’agit d’un véhicule d’essai ayant 705 kilomètres à l’odomètre. Il signe aussi, à la même date, un contrat de vente à tempérament[3] qui indique que le véhicule est un véhicule neuf indiquant 20 kilomètres à l’odomètre. Le représentant du Concessionnaire ne lui mentionne aucun changement. M. Lévesque signe ces documents et plusieurs autres sans s’apercevoir de cette contradiction.

[3]           Révisant les papiers avant de les classer le 27 septembre 2017, M. Lévesque constate qu’il a acquis un véhicule d’essai et demande au Concessionnaire de le remplacer par un véhicule neuf.

[4]           Le Concessionnaire lui offre d’abord une garantie prolongée puis un autre véhicule qui ne serait pas neuf. M. Lévesque refuse ces offres. Il réclame au concessionnaire et au fabricant de la voiture FCA Canada Inc. la somme de 10 000 $. Il demande une réduction du prix de vente de 5 000 $ de même que des dommages punitifs de 5 000 $.

[5]           Le Concessionnaire a fait défaut de déposer une contestation et ne s’est pas présenté à la Cour pour l’audition. FCA Canada Inc. a déposé une contestation, mais ne s’est pas présentée à la Cour pour l’audition.

Questions en litige

[6]           Le Tribunal traitera des questions suivantes :

A)            M. Lévesque a-t-il droit à la réduction du prix de vente ?

B)            M. Lévesque a-t-il droit à des dommages punitifs?

C)           FCA Canada Inc. est-elle responsable des dommages ?

A)           M. Lévesque a-t-il droit à la réduction du prix de vente ?

[7]           L’intention claire de M. Lévesque est d’acquérir un véhicule neuf. La preuve démontre de manière prépondérante que le véhicule acquis n’était pas neuf même si l’odomètre à la livraison indiquait 20 kilomètres.

[8]           D’abord des documents préparés par le Concessionnaire indiquent qu’il s’agit d’un véhicule d’essai. De plus, le dossier du véhicule à la Société de l’assurance automobile du Québec indique que le véhicule était neuf le 1er juin 2017 mais qu’il était affecté à des fins commerciales entre le 1er juin 2017 et le 10 août 2017. À cette dernière date, l’autorisation de circuler sur la route a été suspendue et le kilométrage déclaré était de 705.

[9]           Dans la décision Bougie c. 9213-7926 Québec Inc.[4] la Cour mentionne :

[27] Dans leur ouvrage « Droit de la consommation », les auteurs Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière écrivent :

Les termes « automobile d’occasion » et « motocyclette d’occasion » signifient « une automobile ou une motocyclette qui a été utilisée à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point par le commerçant, le fabricant ou leur représentant » (art. 1c)). Le terme « automobile » est lui-même défini comme véhicule (art. 1b)), ce qui lui donne un sens large. Les véhicules utilisés comme démonstrateur et tous ceux qui n’ont pas eu d’autre propriétaire que le garagiste qui les offre en vente, mais qui ont servi à des fins autres que celle de leur préparation pour la vente au détail, tombent ainsi dans cette catégorie. Souvent, ils sont offerts en vente comme des véhicules neufs ou quasi neufs, ce qui peut donner lieu à des fraudes. (Citation omise).

[10]        De la preuve présentée, le Tribunal conclut que l’odomètre a été altéré et que M. Lévesque a acquis par erreur un véhicule usagé. Cette erreur a été provoquée par le Concessionnaire qui l’a volontairement induit en erreur. Il s’agit donc d’un dol. L’erreur de M. Lévesque vicie son consentement et il est en droit de demander la réduction du prix de vente. Ce principe découle tant de la Loi sur la protection du consommateur (LPC)[5] que du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[11]        La LPC mentionne :

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

237. Nul ne peut:

a)         altérer l’odomètre d’une automobile de façon à lui faire indiquer incorrectement la distance parcourue par celle-ci;

b)         réparer l’odomètre d’une automobile sans le régler de façon à ce qu’il affiche la même distance que celle qui apparaissait avant que ne soient effectués les travaux;

c)         remplacer l’odomètre d’une automobile sans régler le nouvel odomètre de façon à ce qu’il affiche la même distance que celle qui apparaissait sur l’odomètre remplacé.

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

(…)

c) la réduction de son obligation;

(…)

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[12]        Le C.c.Q. mentionne :

1399. Le consentement doit être libre et éclairé.

Il peut être vicié par l’erreur, la crainte ou la lésion.

1400. L’erreur vicie le consentement des parties ou de l’une d’elles lorsqu’elle porte sur la nature du contrat, sur l’objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.

L’erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.

1401. L’erreur d’une partie, provoquée par le dol de l’autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d’une réticence.

1407. Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer.

[13]        Ces dispositions permettent au tribunal de rétablir l’équilibre entre les prestations des parties à un contrat.

[14]        Celui qui demande la réduction de son obligation doit franchir deux étapes distinctes. Il doit commencer par démontrer qu’il s’agit d’une situation où le droit à la réduction de ses obligations existe. Ensuite, s’il démontre qu’il y a ouverture à une réduction de son obligation, il devra faire la preuve de l’étendue de la réduction à laquelle il a droit[6].

[15]        M. Lévesque demande une réduction de 5 000 $ du prix de vente. Il a prouvé l’erreur, le fait qu’elle ait été causée par le dol du Concessionnaire et il a démontré qu’avoir su que le véhicule n’était pas neuf il n’aurait pas contracté aux mêmes conditions. La première étape est donc franchie.

[16]        Il ne dépose toutefois aucune expertise pour déterminer la valeur du véhicule d’essai. Il mentionne d’une part avoir consulté une personne qui était autrefois propriétaire d’un concessionnaire automobile et d’autre part qu’un véhicule neuf qui sort du concessionnaire perd immédiatement de 25 à 30 %. Il considère aussi que l’utilisation du véhicule comme véhicule d’essai lui fait perdre une valeur additionnelle.

[17]        La preuve du dommage dans le cadre d’une demande en réduction du prix de vente doit se faire de manière précise. Le Tribunal ne peut accorder la réduction du prix de vente sur la base d’une évaluation sommaire telle que celle qui lui a été présentée[7]. Le recours en réduction du prix de vente ne doit pas servir à enrichir le demandeur, mais à déterminer le prix qu’il aurait dû payer. Il aurait été possible de produire une expertise pour déterminer de manière précise la réduction du prix de vente qui découle du fait que le véhicule n’était pas un véhicule neuf mais un véhicule d’essai comptant 705 kilomètres à l’odomètre[8].

[18]        Pour manque de preuve adéquate la demande en réduction du prix de vente de M. Lévesque est rejetée.

B)          M. Lévesque a-t-il droit à des dommages punitifs?

[19]        M. Lévesque demande la somme de 5 000 $ en dommages punitifs.

[20]        Des dommages punitifs peuvent être accordés à une partie lorsque la loi le prévoit. Ce principe est énoncé à l’article 1621 du C.c.Q. :

1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[21]        La LPC prévoit à son article 272 que le consommateur peut demander des dommages-intérêts punitifs.

[22]        La Cour suprême[9] mentionne que le recours en dommages-intérêts punitifs prévu à l'article 272 LPC s'applique aussi aux actes intentionnels, malveillants ou vexatoires.

[23]        L’octroi de dommages exemplaires ou punitifs « a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet. Il est rattaché à l’appréciation judiciaire d’une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non»[10]. Des dommages punitifs peuvent être octroyés dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables le tout en conformité avec les objectifs de la LPC qui sont de rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre commerçants et consommateurs et d’éliminer les pratiques déloyales et trompeuses. La condamnation vise donc à décourager l’auteur d’un acte répréhensible et à dénoncer publiquement le caractère blâmable du geste qu’il a posé[11].

[24]        Le Tribunal estime que les actes posés par le Concessionnaire justifient l’octroi de dommages punitifs. Il a, en toute connaissance de cause, induit en erreur M. Lévesque et lui a vendu une voiture qui n’était pas neuve.

[25]        Pour déterminer le montant des dommages punitifs il ne faut pas perdre de vu les objectifs qu’ils visent. Ceux-ci sont bien circonscrits par la Cour d’appel[12] :

[108] La fonction préventive des dommages punitifs est fondamentale; ils visent un double objectif de punition et dissuasion mais ne peuvent excéder ce qui est suffisant pour atteindre ces objectifs. Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers insistent, «c’est (…) vers l’avenir que le juge doit se tourner pour chiffrer un montant qui empêchera la récidive». Il ne s’agit pas d’indemniser le demandeur mais de punir le défendeur comme il le mérite, de le décourager, lui et d’autres, d’agir ainsi à l’avenir et d’exprimer la réprobation de tous à l’égard de tels événements. (références omises)

[26]        Dans la détermination du montant des dommages punitifs, le Tribunal peut notamment considérer le fait qu’aucun autre dédommagement n’est accordé à M. Lévesque[13]. Le Tribunal fait siens des motifs énoncés à ce sujet par la Cour dans la décision Bougie c. 9213-7926 Québec Inc. :

[66] L’absence de réparation en regard de cette grave violation de la loi justifie de majorer la somme accordée à titre de dommages-intérêts punitifs.

[67] Par exemple, si le Tribunal avait pu entendre une preuve sur la différence de valeur entre un véhicule neuf par opposition à un véhicule d’essai vendu comme « démonstrateur » et véhicule d’occasion, une réduction plus substantielle du prix de vente aurait pu être accordée. Le Tribunal ne peut suppléer d’office à cette absence de preuve, mais il peut en tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation des dommages-intérêts punitifs en application des critères de l’article 1621 C.c.Q.

[27]        Usant de sa discrétion judiciaire le Tribunal condamne le Concessionnaire à verser à M. Lévesque la somme de 4 000 $ en dommages punitifs.

C)          FCA Canada Inc. est-elle responsable des dommages ?

[28]        FCA Canada Inc. est le fabricant du véhicule. Ici il n’est pas question d’un vice qui affecterait le véhicule et qui pourrait impliquer la responsabilité du fabricant. M. Lévesque n’a aucun recours contre cette compagnie. Le Tribunal rejette donc le recours dirigé contre FCA Canada Inc.

Conclusions

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la demande de Benoit Lévesque ;

CONDAMNE Des Sources Dodge Chrysler Ltée à payer à Benoit Lévesque en dommages punitifs la somme de 4 000 $ avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de la demande, soit le 27 juillet 2018 ;

LE TOUT, avec frais de justice au montant de 187,00 $.

 

 

 

__________________________________

ÉRIC COUTURE, J.C.Q.

 

 

 

 

Date d’audience :

Le 15 décembre 2020

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Pièce P-2.

[3]     Pièce P-4.

[4]     Bougie c. 9213-7926 Québec Inc., C.Q., 2020 QCCQ 448.

[5]     RLRQ, c. P-40.1.

[6]     Meyerco Enterprises Ltd. c. Kinmont Canada Inc, 2016 QCCA 89 par. 30 et 31.

[7]     Karim, Vincent, Les obligations, 5e éd., volume 1 (art. 1371 à 1496 C.c.Q.), Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, par. 1499.

[8]     Meyerco Enterprises Ltd. c. Kinmont Canada Inc., C.A., 2016 QCCA 89.

[9]     Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8 par. 177.

[10]    De Montigny c. Brossard, [2010] 3 R.C.S. 87 par.47.

[11]    Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8 et Vincent Karim, Les Obligations, Volume 1, 5ième éd., par. 2567.

[12]    Métromédia CMR Montréal inc. c. Johnson 2006 QCCA 132.

[13]    Landry c. Quesnel, REJB 2002-27752, par. 30.

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