Section des affaires sociales

En matière de protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui

 

 

Date : 12 août 2014

Référence neutre : 2014 QCTAQ 07451

Dossier  : SAS-M-225496-1405

Devant les juges administratifs :

YOLANDE PILETTE-KANE

CLAUDE TURPIN

LOUIS ROY

 

M... L...

Partie requérante

c.

CENTRE HOSPITALIER A

Partie intimée

 

 


MOTIFS AU SOUTIEN DE LA DÉCISION
RENDUE LE 18 Juin 2014




[1]              Le Tribunal est saisi d’une requête en vertu de l’article 21 de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui[1], demandant la levée de la garde en établissement à laquelle la requérante est assujettie par ordonnance de la Cour du Québec rendue le 20 mai 2014, pour une durée maximale de 30 jours, soit jusqu’au 19 juin 2014.

[2]              À la suite du dépôt de la requête introductive d’un recours le 5 juin 2014, le Tribunal a tenu une audience le 18 juin 2014 au [centre hospitalier A], là où la requérante a été admise le 12 mai 2014.

[3]              La requérante, présente à l’audience, est représentée par avocat, et l’hôpital n’est par représenté.

[4]              Lors de l’audience le Tribunal entend le témoignage du docteur Gérard Montagne, psychiatre, ainsi que le témoignage de la requérante.

 

[5]              En début d'audience, docteur Gérard Montagne dépose la requête pour ordonnance de traitement et d’hébergement du 30 mai 2014 et une évaluation psychiatrique qu’il a préparée le 3 juin 2014[2]. Il dépose également le rapport d’examen psychiatrique du 21e jour de garde en établissement[3] et une note d’évolution du centre intégré de cancérologie datée du 22 mai 2014[4].

[6]              La requérante est une dame de 64 ans, célibataire et sans enfant.  Elle vit dans un appartement supervisé et elle est prestataire de la Sécurité du revenu depuis plusieurs années.

[7]              La requérante est admise au Pavillon A le 12 mai 2014 en provenance de la clinique externe de psychiatrie.  Le docteur Stip, son psychiatre traitant, la conduit à l’urgence afin qu’elle soit examinée en regard d’un cancer à l'utérus et afin qu'on évalue son aptitude à consentir aux soins.

[8]              Docteur Stip remplit un rapport d’examen psychiatrique en vue d’une ordonnance de garde en établissement le 14 mai 2014 et docteure Dufour, psychiatre, procède au deuxième examen psychiatrique du 21e jour, le 10 juin 2014.

[9]              Les deux rapports indiquent que la requérante souffre d’une schizophrénie paranoïde et, au plan physique, qu’elle souffre d’un cancer de l'utérus.  La requérante nie l’existence du cancer et refuse les traitements suggérés par la gynécologie.  On note également qu’elle a arrêté sa médication antipsychotique depuis un mois environ.

[10]           Les inquiétudes du psychiatre et des différents médecins traitants, depuis plus d’une année, portent sur la négation de la requérante face à la maladie diagnostiquée et sur son refus du traitement préconisé, une hystérectomie abdominale totale avec une salpingo-ovariectomie bilatérale.

[11]           Le cancer de l’endomètre est diagnostiqué en février 2013.  La requérante demande deux autres avis médicaux, qui confirment le diagnostic.  Elle persiste dans le déni de la maladie et elle refuse toute intervention chirurgicale.  Elle ne donne plus de nouvelles à son psychiatre traitant depuis juin 2013, elle interrompt son suivi en gynéco-oncologie et il est confirmé par son pharmacien qu’elle ne va plus chercher sa médication antipsychotique depuis avril 2014.

[12]           Le docteur Stip voit la requérante en clinique externe le 12 mai 2014.  Outre le fait qu’elle nie toujours sa maladie, se disant guérie par un « traitement secret dans un centre secret », elle ne comprend pas la nécessité d’être gardée contre son gré à l’hôpital.

[13]           Selon docteur Montagne cette attitude de la requérante se poursuit durant son séjour en hébergement, elle nie toute anormalité au plan gynécologique, elle affirme qu'il y a un complot des médecins contre elle, elle met fin rapidement aux entretiens et refuse toute discussion à ce sujet.

[14]           Dans le rapport d’évaluation psychiatrique du 3 juin 2014, l’extrait suivant résume la question en litige, la nécessité, selon l’équipe médicale, d’un traitement chirurgical urgent et radical, qui est catégoriquement refusé par la requérante :

« […] L’humeur est anxieuse, il y a une tendance à l’hostilité chez cette patiente. Elle nie toute idée suicidaire et/ou homicide. Néanmoins, le manque d’autocritique à l’égard de la nécessité d’un traitement pour son cancer de l’endomètre s’apparente, à notre avis, à un équivalent suicidaire et nous oblige à la prudence. L’autocritique est très pauvre et le jugement est perturbé. La patiente nous semble inapte à prendre une décision éclairée. En effet, la patiente est incapable de discuter avec les médecins, de façon rationnelle, des résultats qui montrent qu’elle souffre d’un cancer. La patiente s’avère incapable de réfléchir rationnellement, de comprendre l’évidence qu’elle a besoin d’un traitement. La patiente ne mesure pas non plus véritablement les conséquences de ses décisions et le fait que son état de santé va se détériorer à cause de l’évolution du cancer. Nous remarquons aussi que la patiente refuse de rester à l’hôpital, qu’elle veut contester l’ordonnance de garde. La patiente nous donne l’impression de n’avoir aucun plan sérieux pour vivre de façon satisfaisante, autonome. Le jugement est pauvre. »

[15]           À l’audience, le psychiatre affirme que la requérante est en danger de mort, si elle ne se fait pas traiter.  Il ne peut cependant se prononcer sur des idées suicidaires, n’ayant que peu accès aux pensées de la requérante, celle-ci refusant rapidement de poursuivre les entretiens.

[16]           À l’audience, la requérante témoigne. Elle veut retourner vivre dans son appartement et elle nie tout problème gynécologique.  Elle ne comprend pas qu'elle se retrouve hospitalisée contre son gré, alors qu'elle venait voir son psychiatre pour un renouvellement de prescription.  Elle ne s’objecte pas à la prise de médicaments, ni durant son hébergement ni à l’extérieur de l’hôpital.  Elle refuse cependant toute opération chirurgicale et tout diagnostic de cancer.

[17]           Dans le cadre de la présente Loi[5], pour conclure au maintien d’une garde en établissement, le Tribunal doit avoir des motifs sérieux de croire que la personne est dangereuse pour elle-même et pour autrui et que sa garde est nécessaire pour ces motifs. Ce danger, ainsi appréhendé, selon les termes de la Cour d’appel du Québec, doit « certainement être sinon probable, du moins clairement envisageable dans le présent ou dans un avenir relativement rapproché. »[6]

[18]           Au moment de l’audience, il n’y a pas de preuve de danger immédiat pour la requérante elle-même ou pour les autres, en raison de son état mental.

[19]           La condition médicale physique de la requérante est certes très sérieuse, le Tribunal en convient, et comprend les préoccupations médicales et éthiques de l'ensemble des médecins impliqués.

[20]           Cependant, la contrainte judiciaire à recevoir un traitement médical spécifique ne peut être exercée dans le cadre de la présente Loi.

 

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

ACCUEILLE la requête; et,

ORDONNE la levée de la garde en établissement de la requérante à compter du 18 juin 2014.

Cette décision, rendue à l’unanimité, a été communiquée aux parties, séance tenante, à l’audience du 18 juin 2014.


 

YOLANDE PILETTE-KANE, j.a.t.a.q.

 

CLAUDE TURPIN, j.a.t.a.q.

 

 

LOUIS ROY, j.a.t.a.q.


 

Girard Dannet Avocats

Me Mario R. Girard

Procureur de la partie requérante


 



[1]           RLRQ, chapitre P-38.001.

[2]           Coté I-2.

[3]           Coté I-1.

[4]           Coté I-3.

[5]           RLRQ, chapitre P-38.001.

[6]           C.A. Montréal 500-09-017517-079, jugement du 12 mars 2007.

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