Michaud et Recyclage Granutech inc. (F) |
2015 QCCLP 837 |
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[1] Le 18 juillet 2014, monsieur Samuel Michaud (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 18 juin 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par celle-ci, la CSST confirme sa décision initiale du 12 mars 2014 en déclarant que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais qu’il doit engager pour sabler et vernir le plancher de la pièce qui a été adaptée, aux frais de la CSST, pour répondre à ses besoins à la suite de sa lésion professionnelle du 11 mai 2006.
[3] Le 5 février 2015, en présence du travailleur, l’audience se tient à Sherbrooke.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais de la main-d’œuvre qu’il devra embaucher pour sabler et vernir le plancher de la pièce qu’il occupe dans la maison de son père.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Quant au remboursement réclamé, les membres issus des associations syndicales et d’employeurs estiment que le travailleur satisfait aux conditions requises par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[6] Pour ces motifs, ils recommandent d’accueillir sa requête.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] En fonction des règles prévues à l’article 165 de la loi, il s’agit de déterminer si le travailleur a droit à l’assistance financière qu’il réclame. La disposition pertinente prévoit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[8] Pour commencer, il est opportun de préciser que le fait que la maison où habite le travailleur appartient à son père ne constitue pas un obstacle à sa demande. Comme l’enseigne la décision rendue dans l’affaire Lajeunesse et PR Maintenance inc.[2], ce « qui importe de considérer est qu’il s’agisse du domicile du travailleur ». D’ailleurs, la CSST a défrayé le coût de travaux qui ont permis au travailleur d’utiliser la pièce en cause.
[9] Par ailleurs, dans l’affaire Patron et Provigo Distribution (Ctre Dist. Épicerie)[3], les conditions d’application de la mesure prévue à l’article 165 sont ainsi résumées :
[11] En vertu de cet article, un travailleur peut être remboursé de tels frais dans la mesure où il démontre qu’une atteinte permanente « grave » à son intégrité physique résulte de sa lésion professionnelle, que les travaux qu’il est incapable de faire en raison de cette atteinte permanente constituent des « travaux d’entretien courant du domicile » et qu’il aurait normalement lui-même effectué ces travaux si ce n’était de sa lésion professionnelle.
[10] En l’espèce, il est incontestable que le travailleur présente une atteinte permanente grave à son intégrité physique à la suite de son accident du travail du 11 mai 2006. Lors de l’événement, alors qu’il était âgé de 26 ans, il a perdu le membre supérieur gauche et s’est fait arracher une partie de la clavicule gauche ainsi que de l’omoplate gauche. Il a également développé de sévères complications qui l’ont rendu pratiquement tétraplégique. En fait, il conserve l’usage du membre supérieur droit dans une certaine mesure, ce qui lui permet d’ailleurs d’utiliser un fauteuil roulant motorisé.
[11] Au surplus, la CSST a particulièrement reconnu que la lésion professionnelle du 11 mai 2006 entraîne une atteinte permanente de 968,40 % tout en acceptant de défrayer les frais de travaux de réaménagement de la principale pièce qu’occupe le travailleur dans la maison de son père. C’est d’ailleurs le plancher de celle-ci qu’il souhaite faire sabler et vernir.
[12] Photos à l’appui (pièce T-2), le travailleur explique que la surface de bois s’use prématurément à cause de l’usage qu’il fait de son fauteuil roulant. Pour éviter des dommages importants à court ou moyen terme, il rapporte qu’un entrepreneur a jugé nécessaire de vernir à nouveau le plancher avec un produit offrant davantage de protection. Étant donné les séquelles qu’entraîne la lésion professionnelle, le travailleur est manifestement incapable d’accomplir le travail. Or, n’eût été sa lésion professionnelle, il est prouvé qu’il aurait réalisé cette tâche. Avant son accident du travail, il dit qu’il était capable d’effectuer de nombreux travaux manuels. Entre autres, il indique avoir aidé son père à construire un garage.
[13] Pour refuser la demande, la CSST a retenu que les travaux en question n’étaient pas du genre de ceux visés à l’article 165 de la loi. Or, il a été décidé du contraire à quelques reprises. Par exemple, dans l’affaire Ouimet et Revêtements Polyval inc.[4], la Commission des lésions professionnelles écrit :
[24] Par contre, la procureure de la travailleuse a soumis la décision rendue dans Lebrun et Ville de Sept-Iles9 où les travaux de sablage et de vernissage ont été considérés comme des travaux d’entretien courant, pour les motifs suivants :
«[…]la Commission d'appel ne voit aucun motif pour lequel elle ne considérerait pas des travaux de sablage et de vernissage de planchers de bois franc au même titre que des travaux de peinture intérieurs des murs et des plafonds, de tels travaux ne constituant pas moins des travaux d'entretien courant que la tonte de la pelouse et le déneigement du simple fait qu'ils sont moins fréquents. La Commission d'appel estime en effet que de tels travaux ont exactement le même objet, soit celui de «maintenir ou de conserver» le plus longtemps possible des locaux d'habitation dans un état propre à leur destination et non pas de les remplacer ou d'en réaliser de nouveaux comme dans le cas de travaux de réparation ou de rénovation, ce qui en fait des travaux d'entretien plutôt que des travaux de rénovation ou de réparation.»
[25] La soussignée partage cette dernière interprétation. La jurisprudence reconnaît généralement que la peinture vise le maintien en bon état du domicile et la Commission des lésions professionnelles considère que le vernissage des planchers de bois francs est aussi de cette nature. Certes ces travaux seront moins fréquents que la peinture mais ils n’en demeurent pas moins des travaux d’entretien. Comme l’a expliqué la Commission d’appel dans Lebrun et Ville de Sept-Iles10, il ne s’agit pas de rénovation ou de réparation mais bel et bien d’entretien.
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9 79061-04-9605, 97-03-27, P. Brazeau, (J9-02-05).
10 Id
[14] Or, le soussigné souscrit à cette façon de voir les choses.
[15] De plus, la Commission des lésions professionnelles rappelle la situation particulière du travailleur. En raison du lourd handicap qu’il présente à cause de sa lésion professionnelle, il doit se déplacer en fauteuil roulant motorisé dans la pièce de la maison qu’il utilise en majorité du temps et, dans l’état actuel des lieux, cela entraîne une usure prématurée du plancher de bois. Ainsi, pour éviter des travaux plus importants à moyen terme, il devient apparemment nécessaire d’effectuer ceux qui font l’objet de la demande qui nous intéresse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Samuel Michaud;
INFIRME la décision rendue le 18 juin 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il doit engager pour sabler et vernir le plancher de la pièce que la Commission de la santé et de la sécurité du travail a fait aménager pour répondre à ses besoins, et ce, jusqu’à concurrence du montant autorisé par l’article 165 de la loi.
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François Ranger |
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