Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

Beaumier c. Groupe Restau-service inc.

2013 QCCS 1446

 

JL2100

 
 COUR SUPÉRIEURE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

DE TROIS-RIVIÈRES

 

N° :

400-17-002108-104

 

DATE :

27 mars 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ROBERT LEGRIS J.C.S. (JL2100)

______________________________________________________________________

 

LISE BEAUMIER

et

LAURENT LAROCHE

et

SYLVAIN LAROCHE

et

GESTION SYLVAIN LAROCHE Inc.

Demandeurs

 

c.

 

GROUPE RESTAU-SERVICE Inc.

et

PIERRE PORTUGAIS

et

MICHEL CYR

et

YVES RIVARD

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Ayant été tous trois congédiés par la défenderesse en novembre 2009, les demandeurs réclament des défendeurs respectivement 220 000 $, 370 000 $ et        458 000 $.  En plus, les demandeurs Sylvain Laroche et Gestion Sylvain Laroche Inc., entre autres conclusions, réclament 734 000 $ reprochant aux défendeurs de les avoir opprimés au point de leur faire perdre la valeur de leurs actions de la défenderesse Restau-Service Inc.

[2]           Le demandeur Sylvain Laroche est maintenant âgé de 41 ans.  En 1991, fort d’un diplôme collégial en architecture, il se joint à l’entreprise de son père Laurent, Beaudet et Laroche, qui vend des équipements de restauration et d’hôtellerie.  En 1997, les actifs de cette entreprise deviennent la propriété d’un compétiteur, Després - Laporte.  Les demandeurs Laurent et Sylvain Laroche sont remerciés quelques semaines plus tard. 

[3]           À compter de 1998, le demandeur Sylvain Laroche travaille chez la défenderesse Restau-Service qui a son siège social à Drummondville, lieu de résidence de son pilier et président, le défendeur Michel Cyr.  Il y travaille à 10 $, puis à 13,50 $ l’heure.  Il est préposé au comptoir, puis aux achats.  Pendant la même année, Restau-Service ouvre une succursale à Trois-Rivières.  Pendant ce temps, son père, le demandeur  Laurent Laroche continue de vendre des équipements de restaurant sous la raison sociale L’Entrepôt de l’hôtellerie à Trois-Rivières.

[4]           En 2005, Restau-Service achète l’inventaire de l’Entrepôt de l’hôtellerie. En 2006, le demandeur Sylvain Laroche est promu directeur de la succursale de Trois-Rivières au salaire de 75 000 $ par année plus compte de dépenses.  Cette nouvelle succursale de Restau-Service comporte 12 ou 13 employés dont le demandeur Laurent Laroche, vendeur à quelque 45 000 $ par année.   

[5]           En 2007, modification dans l’actionnariat de la défenderesse Restau-Service.  Désormais, ses actions ordinaires « A » et privilégiées « G » seront détenues par des nouveaux venus, Pierre Portugais, Yves Rivard et Gestion Sylvain Laroche Inc. à raison de 25% chacun.  Michel Cyr détiendra la dernière tranche de 25 %.  Puisqu’il y laisse ses valeurs accumulées au fil des années, il détiendra, en plus, pour 1 100 000 $ d’actions privilégiées « C ».  Ces dernières sont non votantes, non participantes et bénéficient d’un dividende discrétionnaire, prioritaire et mensuel de 0,75 % non cumulatif.  Elles sont aussi rachetables en tout temps au gré de Restau-Service ou de son détenteur.

[6]           Contrairement aux autres actionnaires, la demanderesse et nouvelle actionnaire Gestion Sylvain Laroche Inc. n’a pas les moyens de payer le prix des ses actions,     200 000 $.  Elle emprunte donc de Restau-Service 100 000 $ et d’un actionnaire sortant, Claude Cyr,  100 000 $.  Les quatre actionnaires toucheront un dividende mensuel de 1 066,67 $ et celui de Gestion Sylvain Laroche sera imputé à l’acquittement de ses deux emprunts.

[7]           À compter de 2008, naissent des divergences d’opinions entre le demandeur Sylvain Laroche et ses coactionnaires et leurs relations se dégradent.  Le 31 octobre 2009, les comptables évaluent les actions de chacun des actionnaires à entre           100 000 $ et 200 000 $.  En novembre 2009, tous souhaitent se séparer et le demandeur Sylvain Laroche a déjà trouvé du financement pour démarrer une nouvelle entreprise.  À ses coactionnaires, il fait une « lettre d’intérêt d’achat » conditionnelle de leurs actions.  Ceux-ci  refusent cette offre parce qu’elle comporte un solde de prix de vente.  Du même souffle, les défendeurs congédient le demandeur Sylvain Laroche ainsi que la demanderesse Lise Beaumier qui est son épouse et vendeuse à la succursale de Trois-Rivières.  Ils congédient aussi son père, le demandeur Laurent Laroche et destituent Sylvain Laroche comme administrateur de Restau-Service.

[8]           En février 2010, les demandeurs font signifier la présente action qui réclame plus de 1 000 000 $ pour les congédiements ainsi qu’une ordonnance de rachat des actions de la demanderesse Gestion Sylvain Laroche Inc. pour 450 000 $.  Prenant connaissance de cette action, la Caisse populaire qui assure le financement de Restau-Service inc. lui émet, au début de mars 2010, un ordre de ne plus verser de dividende ni de procéder à des achats ou rachats d’actions jusqu’au jugement.

[9]           Après avoir reçu son dernier dividende, 26 février 2010, le demandeur Sylvain Laroche assumera directement les paiements de l’un de ses deux emprunts, celui de Claude Cyr, jusqu’en avril 2010.  Le 7 septembre 2011, l’honorable Jean-Guy Dubois de cette Cour, saisi d’une action sur emprunt intentée par Claude Cyr contre le défendeur Sylvain Laroche, déclare Claude Cyr propriétaire des 1000 actions ordinaires « A » et de 109 499 des 200 000 actions privilégiées « G » du demandeur Sylvain Laroche dans Restau-Service.  Par l’exécution de ce jugement, le demandeur n’a plus d’action ordinaire et il lui reste 81 126 actions privilégiées « G ».

[10]        Le 7 novembre 2011, Restau-Service rachète toutes les actions privilégiées « G »  des quatre actionnaires au prix préfixé de leur émission, soit 1 $ par action.  Le demandeur (ou sa compagnie de gestion) a donc droit à 81 126 $.  Les autres actionnaires, après déduction de leurs avances aux actionnaires ont droit chacun à   190 625 $.

[11]        Le 8 novembre 2011, Restau-Service émet pour 190 625 $ de nouvelles actions privilégiées « G » à 1 $ chacune à chacun des trois défendeurs.  En somme, les transferts d’actions des 7 et 8 novembre 2011 n’impliquent aucun déboursé par la compagnie, mais règle des comptes.  En effet, le 8 novembre 2011, le demandeur Sylvain Laroche doit encore un peu plus de 89 807 $ à Restau-Service pour l’achat initial de la moitié ses actions et la compagnie lui doit 81 126 $ depuis qu’elle a racheté ses actions.  Compensation.

Le congédiement de la demanderesse Lise Beaumier

[12]        La demanderesse Lise Beaumier a été congédiée parce qu’elle était l’épouse du demandeur Sylvain Laroche, lequel, à l’époque de son propre congédiement s’annonçait déjà comme un futur compétiteur de la défenderesse.  Elle a donc droit au délai congé raisonnable prévu à l’article 2091 C.c.Q. 

[13]        Elle a travaillé pour la défenderesse de juin 2007 au 20 novembre 2009 comme vendeuse à commissions ce qui lui a procuré, pour les 11 premiers mois de 2009, un revenu fiscal brut de 54 716 $ et net de 36 171 $.  Elle s’est trouvé un nouvel emploi à  1 000 $ par semaine brut à compter de février 2010, à un quantième que l’on ignore.  Elle a occupé cet emploi jusqu’en juin 2010, époque où elle a choisi de joindre la nouvelle entreprise de son époux Sylvain Laroche à salaire moindre.  Elle a donc droit à dix semaines de perte de revenu net, soit 7 588 $.  

Le congédiement du demandeur Laurent Laroche

[14]        Le seul reproche que la preuve permette de formuler à l’endroit du demandeur Laurent Laroche repose sur le fait que celui-ci n’aurait vendu que pour 79 000 $ de marchandise pendant les onze premiers mois de 2009.  Un vendeur d’expérience vend pour quelque 700 000 $ ou 750 000 $ par année.  Le tableau suivant illustre les ventes annuelles des demandeurs :

 

2006

2007

2008

2009

Lise Beaumier

 

502 000 $

1 036 000 $

1 144 000 $

Laurent Laroche

18 926 $

746 448 $

719 239 $

79 388 $

Sylvain Laroche

539 512 $

546 544 $

309 500 $

204 595 $

Total :

558 438 $

1 794 992 $

2 064 739 $

1 427 983 $

[15]        La défenderesse soutient que le demandeur Laurent Laroche, réalisant en 2009 qu’il était vendeur à salaire fixe, aurait refilé ses ventes à sa bru Lise Beaumier.

[16]        Le demandeur plaide aussi qu’il a été engagé en mai 2005 « à vie » c’est-à-dire « jusqu’à temps que je veuille travailler »  pour 35 000 $ par année.  Dans les faits, ce salaire sera augmenté à 45 000 $ par année lorsque, cinq mois plus tard, il deviendra vendeur sur la route.  Il réclame donc six ans de salaire soit 270 000 $. 

[17]        En 2006, à la suggestion de son fils Sylvain, Restau-Service adopte une politi­que voulant que tous les vendeurs soient payés à commission, c’est-à-dire comme    tra­vail­leurs autonomes.  A chaque mois, chaque vendeur, sur production d’une facture avec T.P.S. et T.V.Q., recevait une avance de commission et à la fin de l’année, le direc­teur de succursale faisait les comptes et payait le surplus dû au vendeur sur production d’une nouvelle facture ou retenait les prochaines commissions, avec ou sans note de crédit.  Le directeur de succursale ne touche aucune commission sur ses propres ventes.

[18]        Pour justifier auprès du fisc leur statut de travailleurs autonomes, les vendeurs sont aussi vendeurs pour Boulay Inox avec qui ils gagnent quelque 5 % de leurs « revenus d’entreprise » annuels.  Ils peuvent dès lors déduire leurs dépenses de travailleurs autonomes.  Le tableau suivant illustre les chiffres pertinents au demandeur Laurent Laroche :

 

Vendeur Laurent Laroche

2007

2008

2009

(11 mois)

Ventes pour Restau-Service:

746 448 $

719 239 $

79 388 $

Commissions gagnées

49 268 $

47 473 $

5 239 $

Commissions reçues et revenu brut fiscal :

45 000 $

45 000 $

± 41 250 $

Solde (commissions) dû au vendeur :

4 268 $

2 473 $

-39 761 $

Revenu net fiscal :

?

?

9 239 $

[19]        De la preuve, il appert que le directeur de la succursale de Trois-Rivières, Sylvain Laroche, n’a jamais avisé le demandeur Laurent Laroche de la faiblesse de sa performance de 2009 et encore moins appliqué de sanction progressive.  Le Tribunal doit donc conclure que le demandeur Laurent Laroche a été congédié sans motif sérieux au sens de l’article 2094 C.c.Q.

[20]        Sur la durée de l’engagement « à vie » du demandeur, le Tribunal estime qu’il doit être assimilé à un contrat à durée indéterminée parce que, d’une part, l’importance monétaire d’un contrat réellement à vie, s’il en est, suggère qu’il soit écrit et clairement défini et d’autre part, à son engagement en 2005, nul ne connaît la durée de la vie du demandeur.  Par ailleurs l’ancien associé du demandeur, qui a été engagé en même temps par Restau-Service, décrit la durée de son contrat comme « pour tant et aussi longtemps que je faisais la job ».  Il y a donc lieu d’appliquer les critères du second alinéa de l’article 2091 C.c.Q.

[21]        Au moment de son engagement, le demandeur Laurent Laroche vendait à Restau-Service par contrat écrit les actifs de l’entreprise qu’il possédait avec son associé Beaudet à la valeur de ces actifs, quelques 105 000 $, payable sur trois ans.  Aucune contrepartie n’était prévue pour l’achalandage ni pour l’outillage de quelque    30 000 $.  Cette entreprise, l’Entrepôt de l’Hôtellerie Beaudet et Laroche Inc. vendait pour 500 000 $ par année et générait un bénéfice annuel net de 6 167 $ partagé entre le demandeur Laurent Laroche et son associé Beaudet. 

[22]        Le demandeur a travaillé 3 ½ ans pour la défenderesse.  Au moment de son congédiement, il est âgé de 63 ans.  En 2010, après son congédiement, il vendra au sein de la nouvelle entreprise de son fils et fera un déficit de 12 500 $.  De l’avis du Tribunal, un préavis d’un an aurait été approprié dans ces circonstances. 

[23]        Reste la question de savoir si l’indemnité due au demandeur Laurent Laroche doit être calculée sur son revenu brut ou sur son revenu net de 2009.  À ce sujet, l’indemnité de réparation du préjudice prévue à l’article 2092 C.c.Q. est de la nature de celle prévue à l’article 1611 C.c.Q.  Pour encaisser 45 000 $ par année, le demandeur devait assumer des dépenses.  Ne pas tenir compte de ces dépenses dans l’établissement de son indemnité aurait pour effet de l’enrichir.

[24]        Le demandeur a donc droit à 10 080 $, projection sur 12 mois de ses gains nets de 2009.

Le congédiement du demandeur Sylvain Laroche

[25]         Les défendeurs invoquent généralement les motifs de congédiement que sont l’insubordination, la négligence, les mauvais traitements des fournisseurs et des employés et le favoritisme.   Puisque la doctrine ne semble pas traiter différemment les fautes connues avant de celles découvertes après le congédiement, le Tribunal ne distinguera pas non plus.  Avant le congédiement du demandeur Sylvain Laroche, puisque chaque succursale était gérée par son directeur de façon relativement autonome, les coactionnaires défendeurs ne s’intéressaient qu’aux résultats généraux de chacune d’elles.

[26]        Au chapitre de l’insubordination, les défendeurs ainsi que le demandeur tenaient, particulièrement dans les débuts, de fréquentes réunions dans le but de bien arrêter leurs politiques et leur modus operandi.  Entre autres,

26.1.     Les vendeurs sont engagés sur consentement de tous les actionnaires qui définissent leurs tâches et territoire et ils sont tous à commission; 

26.2.     les ventes au comptoir sont faites par un commis à salaire fixe et ne sont assujetties à aucune commission en faveur d’un vendeur;

26.3.     les actionnaires n’utilisent pas les comptes de la compagnie pour leurs achats personnels;

26.4.     les opérations au noir doivent être limitées parce que la compagnie est jeune (novembre 2007) et a besoin de crédit.     

[27]        En soi, il n’est pas interdit de faire engager son épouse comme vendeuse.  Ce geste, cependant, prête flan à la critique et à la suspicion.  Lise Beaumier a été engagée par les actionnaires pour vendre du « smallware » dans la ville de Trois-Rivières.  À peine quelques mois après son embauche, le demandeur lui fait vendre aussi de gros articles et modifie son territoire afin qu’elle puisse vendre de Sainte-Anne- de-la-Pérade, à Pointe-du-Lac, incluant Nicolet et Bécancour, le tout au détriment d’un autre vendeur, monsieur Gilbert Dupuis.

[28]        A compter de janvier 2009, le demandeur, qui est alors payé 104 000 $ par année, décide d’attribuer les ventes au comptoir aux vendeurs.  Ainsi, dorénavant et à l’insu de ses coactionnaires, la défenderesse paiera une commission de 15 % sur le profit brut de ces ventes au comptoir, lesquelles, dans les faits, furent généralement attribuées à son épouse Lise Beaumier.  Il est question ici de commissions de 2 898 $ pour l’année 2009.  Les raisons invoquées tant par madame Beaumier que par le demandeur : C’est elle, affirment-ils, qui sollicitait les restaurateurs qui préféraient souvent acheter au comptoir en argent non déclaré.  Ces raisons ne sont pas convaincantes, tous les autres vendeurs étant assujettis à ces deux contraintes.

[29]          En juin 2009, le demandeur s’achète pour sa résidence une clôture de quelque 5 000 $ chez Home Dépôt.  Fin juillet, le défendeur Michel Cyr reçoit le compte additionné de 191,57 $ d’intérêt.  Il communique sans délai avec le demandeur et lui intime l’ordre de régler ce compte sans délai et de lui faire tenir le reçu.  Malgré cette semonce, le demandeur récidivera en novembre 2009 ce dont ses coactionnaires ne prendront connaissance qu’après son congédiement.  Il n’en faisait qu’à sa tête, de conclure le défendeur Michel Cyr. 

[30]        En été 2007, important dégât d’eau à la succursale de Trois-Rivières.  Le demandeur en profite pour demander à ses coactionnaires que le local soit rajeuni.  Ceux-ci acceptent que l’indemnité versée par l’assureur, 13 000 $, soit consacrée à des améliorations et rien de plus.  Après tout, la succursale de Trois-Rivières va bien.  Le défendeur qui se décrit aussi comme entêté, procède quand même à des améliorations substantielles qui coûteront 40 000 $ ou 50 000 $.  Pour y arriver, il se fait payer en argent liquide par les clients.  Sur une facture de 110 000 $, le restaurant Rubis Rouge a ainsi payé 10 000 $ non inscrits aux livres de Restau-Service. Par l’importateur Chinebec, le demandeur se fait tirer personnellement un chèque de commission de quelque 5 700 $ après avoir fait souffler d’autant le prix des marchandises qu’achetait Restau-Service.   

[31]        Vers septembre 2008, le demandeur approche un vendeur de la succursale de Drummondville afin qu’il vienne vendre à Trois-Rivières.  « Lui seul est le King des actionnaires et lui seul est bon pour faire une bonne « job » lui dira le demandeur.

[32]        Au chapitre de la négligence, le principal grief des demandeurs porte sur l’inaction du demandeur face à la baisse dramatique des ventes de son père monsieur Laurent Laroche en 2009.  En outre, le défaut  de balancer annuellement les comptes avec son père aura coûté quelque 39 000 $ à Restau-Service sur trois ans.

[33]        Au chapitre du mauvais traitements et impolitesses à l’égard des employés, des  fournisseurs et des clients, on relève les exemples qui suivent.

[34]        Distex est un important fournisseur de gros appareils.  En retour, Distex réfère à Restau-Service d’importants clients. Chez Restau-Service, c’est Michel Cyr qui est chargé d’acheter les gros appareils.  Distex jouit d’un îlot de ses produits bien en vue dans la succursale de Trois-Rivières.  En juillet 2009, le demandeur décide de ne plus vendre les produits de Distex et, à cette fin, remplace l’îlot de Distex par celui d’un fournisseur américain.  Le représentant de Distex constate ce fait et se fait confirmer par le demandeur qu’il vendra dorénavant une autre marque.  Il s’en plaint à Michel Cyr avec qui Distex a des ententes.  Michel Cyr intime alors au demandeur l’ordre de rétablir l’îlot de Distex.  En août 2009, le représentant de Distex entend le demandeur lui dire que ses produits étaient revenus mais qu’il vendrait quand même les produits de la compétition.

[35]        Un autre fournisseur, Trois Étoiles(G.L.) Inc. parle du demandeur comme ayant « une attitude désagréable et il était au dessus de ses affaires même dans ses propos envers moi… »

[36]        Un client de Trois-Rivières, Boulay Inox, refuse de commander de la succursale de Restau-Service de Trois-Rivières et tente d’obtenir de la marchandise directement du fabriquant ou de la succursale de Drummondville parce que le demandeur ne commande chez ce client que lorsqu’il est en situation critique, à cause d’impolitesses envers ses employés et parce que le demandeur le dénigre face aux clients, aux représentants etc.

[37]         Du temps du demandeur, à la succursale de Trois-Rivières, Restau-Service ne paie pas le taux de salaire prévu par la Loi sur les normes du travail pour le surtemps.  Les employés en parlent entre eux, se regroupent et réclament leurs droits.  La réplique du demandeur est simple : « Tu n’as qu’à te grouiller le c… » ou encore, « S’il y en a un autre qui veut se plaindre sur l’over time b’en j’le cr… dehors » ou encore, « S’il y en a un autre qui parle de son salaire ou d’over time à un autre employé, même sans faire par exprès, b’en j’le cr… dehors. ».  A une occasion, par suite d’une mésentente, le demandeur met sa menace à exécution et se ravise, une fois l’imbroglio dissipé.

[38]        Au nouveau vendeur qui remplacera la demanderesse Lise Beaumier, des clients diront qu’ils sont satisfaits du départ du demandeur parce qu’il était « baveux et arrogant ».

[39]        En somme, le Tribunal ne remet pas en cause la compétence du demandeur en matière d’équipement de restauration ni son intelligence, ni ses efforts à faire de sa succursale un point de mire et de la défenderesse une entreprise plus profitable.  Le Tribunal constate cependant que, conscient de ses capacités, le demandeur a de très grandes difficultés à travailler en équipe, à communiquer, dans les moments difficiles, de façon respectueuse avec ses employés et relations commerciales, clients et fournisseurs.  Compte tenu de la structure corporative intégrée de Restau-Service le directeur de chaque succursale doit être en mesure de se rallier aux décisions des autres actionnaires.  Par ailleurs, dans ce secteur d’activité relativement restreint que sont les équipements de restauration, la qualité des relations avec fournisseurs et clients paraît décisive.  Le Tribunal estime donc que le congédiement du demandeur était justifié. 

L’oppression

[40]        Les demandeurs Sylvain Laroche et Gestion Sylvain Laroche Inc. plaident qu’ils ont été opprimés par leurs coactionnaires et Restau-Service et que, s’autorisant des articles 450 et 451 de la Loi sur les sociétés par actions (LRQ c. S-31.1), le Tribunal devrait condamner ceux-ci à leur payer la valeur de leurs actions, 734 000 $.

[41]        La rubrique « Capitaux » des états financiers du 31 octobre 2009 indique un capital-actions de 1 869 639 $ et des bénéfices non-répartis de 286 130 $.  En juillet 2012, les défendeurs vendent toutes leurs actions à un tiers pour un prix total de           3 800 000 $.  Les demandeurs Sylvain Laroche et sa compagnie de gestion s’inspirent de cette dernière transaction pour établir le montant de leur réclamation amendée.

[42]        Il est probable que la perte de leurs actions résulte de la présente poursuite par laquelle les demandeurs réclament des montants qui, incidemment, dépassent largement les barèmes législatifs et jurisprudentiels. 

[43]        On se rappelle que même après le congédiement du demandeur, fin novembre 2009, la compagnie s’est conformée à l’entente voulant qu’elle paie aux actionnaires un dividende de 1 167 $ par mois.  Ce dividende permettait au demandeur Sylvain Laroche de payer ses actions.  En mars 2010, l’institution financière qui pourvoit au financement de  Restau-Service de quelque 1 600 000 $ prend connaissance de la poursuite des demandeurs.  Elle impose alors des mesures pour protéger sa créance : interdiction de dividendes et de rachat d’actions. 

[44]        La preuve ne permet pas de conclure que l’institution financière en cause ait été alors de mèche avec les défendeurs.  Au contraire, son avis écrit fait aussi état de manquements à certains ratios pour l’année financière se terminant le 31 octobre 2009.  Bref, Restau-Service est réellement en difficulté. 

[45]        Dès avril 2010, le demandeur Sylvain Laroche est avisé de ces nouvelles restrictions mais il en  impute la responsabilité aux défendeurs.  Il n’en fallait cependant pas plus pour que le demandeur soit à court terme en défaut de payer le prix de ses actions tant à Restau-Service qu’à Claude Cyr.

[46]        Claude Cyr, bien que frère de Michel Cyr, n’est ni un actionnaire ni un administrateur de Restau-Service mais il veut être payé du solde de sa créance contre le demandeur Sylvain Laroche.  Il intente donc contre Sylvain Laroche et sa compagnie de gestion une action assimilable à une dation en paiement.  Seule Restau-Service est mise en cause.  Le jugement, 7 septembre 2011, déclare Claude Cyr propriétaire de toutes les actions ordinaires « A » et de plus de la moitié des actions privilégiées « G » du demandeur Sylvain Laroche et de sa compagnie de gestion.  Par ce jugement, l’honorable juge Dubois de cette Cour rejette laconiquement et pour des raisons évidentes l’argument d’oppression soulevé devant lui par le demandeur Sylvain Laroche.

[47]        A l’issue de ce jugement, le demandeur ne détient plus que 81 126 actions privilégiées « G »  émises à 1 $ et rachetables au gré de Restau-Service à leur prix d’émission.  Les administrateurs d’une compagnie ont le devoir de rechercher l’intérêt de la compagnie.  Ils n’ont pas le droit de rechercher leur intérêt personnel, ni celui d’un seul ou d’un groupe d’actionnaires. 

[48]        En automne 2011, il est de l’intérêt de Restau-Service et donc du devoir de ses administrateurs de percevoir le solde du prêt de 100 000 $ qu’elle a consenti au demandeur Sylvain Laroche lorsqu’il a acheté ses actions et qui est maintenant en défaut.  Pour y arriver, le rachat d’actions avec compensation légale s’avère le moyen le plus simple, le plus économique et le plus rapide.  Le rachat partiel des actions de catégorie « G » comportant une restriction de proportionnalité entre leurs détenteurs, Restau-Service choisit de  racheter toutes ses actions « G » des quatre actionnaires, ce qui donne le même résultat net que le rachat partiel.

[49]        En mars 2010, le demandeur devait 90 339,13 $ à Restau-Service.  À l’issue du   rachat de novembre 2011,  le solde de la dette du défendeur n’est plus que de              7 528,20$  que réclame ici Restau-Service avec les intérêts. 

[50]        En somme, la preuve ne révèle rien qui puisse être qualifié d’illégal dans la conduite des défendeurs et si quelqu’abus a été commis, on ne peut certainement pas leur reprocher.

[51]        Le demandeur Sylvain Laroche souligne qu’au cours des exercices financiers se terminant les 31 octobre 2010 et 2011, Restau-Service a payé des dividendes 30 333 $ et 128 333 $ aux détenteurs des actions privilégiées de catégorie« J » (non votantes et non participantes).  Il appert que Michel Cyr, celui qui avait investi 1 100 000 $ de plus que les autres au début de Restau-Service en 2007 est le seul détenteur de cette catégorie d’actions.  Madame Leclair qui, à la Caisse Populaire, est responsable du compte de Restau-Service, affirme connaître l’existence de ces dividendes. Quant au demandeur, même s’il avait encore été détenteur de toutes ses actions « A » et « G », il n’en aurait rien touché, pas plus que les défendeurs Portugais et Rivard. 

[52]        Le Tribunal ne voit pas comment il pourrait intervenir dans le résultat de ce bras de fer entre gens d’affaires qui ont joué leurs pions conformément à la loi et aux règles qu’ils se sont eux-mêmes imposées.

La demande reconventionnelle :

[53]        Restau-Service réclame de Lise Beaumier et Sylvain Laroche les montants suivants :

Commissions payées à Mme Beaumier en 2009 sur les ventes au comptoir :

2 898 $

Commissions transférées par Sylvain Laroche à Lise Beaumier (2008 et 2009) :

19 600 $

[54]        À l’égard de Lise Beaumier, Sylvain Laroche, agissant comme mandataire de Restau-Service avait le pouvoir de lier cette dernière (art. 2160 C.c.Q.).  Il n’en va pas de même pour Sylvain Laroche qui a contrevenu au second alinéa de l’article 2138 C.c.Q.  Si les commissions payées sur les ventes au comptoir peuvent être facilement démontrées et comptées, la preuve ne permet que des suppositions, approximations  et conjectures en ce qui concerne les transferts des autres commissions. 

[55]        A ce chapitre, la demande reconventionnelle contre le demandeur Sylvain Laroche est bien fondée jusqu’à concurrence de 2 898 $.

[56]        Restau-Service réclame de Laurent Laroche 29 169 $, commissions qu’elle prétend lui avoir payées en trop au cours des années 2007, 2008 et 2009.  Cette réclamation est mal fondée vu l’article 2160 C.c.Q.  En 2009, le demandeur Laurent Laroche avait toutes les raisons de croire qu’il était à salaire fixe.  

[57]        Restau-Service réclame de Sylvain Laroche les montants suivants :

Sommes perçues en argent liquide de clients ou fournisseurs :

 

La Piazza

5 000 $

Le rubis rouge

10 000 $

Différentiel de la facture de Cuisine Commerciale GF

665 $

Chinebec

5 783,84 $

[58]        Le Tribunal ne retient pas ces postes de réclamation parce que la preuve non contredite et prépondérante est à l’effet qu’avec ces sommes, le demandeur a plutôt effectué des améliorations à la succursale de Trois-Rivières, de sorte qu’elle en a profité et en profite encore et le demandeur n’en a pas fait son profit personnel.

[59]        Restau-Service réclame aussi de Sylvain Laroche certains montants qu’elle a dû débourser après son départ :

Sécurisation de son système informatique parce qu’après son congédiement, le demandeur continuait de lire le courrier électronique des défendeurs:

3 588,64 $

Frais de serrurier  parce que le demandeur refusait de remettre ses clés :

375,85 $

Solde dû sur le prix d’achat des actions du demandeur :

15 971,33 $

Service d’hébergement informatique (404,43 $ par mois)

4 044,30 $

Troubles et inconvénients :

10 000 $

[60]        Sauf pour les deux derniers postes, ces réclamations de la défenderesse sont bien fondées.  La preuve ne permet pas de savoir en quoi il était nécessaire de faire appel à un service d’hébergement.  Enfin, la défenderesse n’a pas fait la preuve que ses ennuis et inconvénients ont dépassé ceux normalement rencontrés par une entreprise commerciale normale. 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

[61]        CONDAMNE la défenderesse Groupe Restau-Service à payer la demanderesse Lise Beaumier la somme de 7 588 $ avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2010 avec dépens;

[62]        CONDAMNE la défenderesse Groupe Restau-Service à payer au demandeur Laurent Laroche la somme de 10 080 $ avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2010 avec dépens;

[63]        REJETTE l’action des demandeurs Sylvain Laroche et Gestion Sylvain Laroche Inc. avec dépens;

[64]        CONDAMNE le demandeur Sylvain Laroche à payer à la défenderesse Groupe Restau-Service Inc la somme de 6 862,49 $ avec intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2010 chaque partie payant ses frais;

[65]        CONDAMNE le demandeur Sylvain Laroche et Gestion Sylvain Laroche Inc. à payer à la défenderesse la somme de 15 971 $ avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2011 chaque partie payant ses frais;

 

 

__________________________________

ROBERT LEGRIS

Me François Daigle

Procureur des demandeurs

 

Me Luc Villiard

Procureur des défendeurs

 

Date d’audience :

4 au 8, 11 au 15 mars 2013

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.