Boulay c. Fédération des Caisses Desjardins du Québec | 2022 QCCS 2301 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | québec | ||||||
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N° : | 200-06-000231-194 | ||||||
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DATE : | Le 14 juin 2022 | ||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CLAUDE BOUCHARD, J.C.S. | |||||
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NATHALIE BOULAY -et- HUGO LANGLOIS -et- MATHIEU BEAUCHEMIN -et- SAMUEL BOYER
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Demandeurs | |||||||
c.
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FÉDÉRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC | |||||||
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Défenderesse | |||||||
Et | |||||||
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FONDS D’AIDE AUX ACTIONS COLLECTIVES | |||||||
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Mis en cause | |||||||
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JUGEMENT SUR DEMANDE POUR APPROBATION D’UNE ENTENTE DE RÈGLEMENT | |||||||
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[1] Les demandeurs, Nathalie Boulay, Hugo Langlois, Mathieu Beauchemin et Samuel Boyer, présentent une demande pour approbation d’une Entente de règlement et des honoraires des avocats du groupe, dans le cadre d’une action collective qu’ils ont introduite le 20 juin 2019, contre la défenderesse la Fédération des Caisses Desjardins du Québec (Desjardins), qui appuie cette demande, le Fonds d’aide aux actions collectives étant mis en cause.
[2] Plus particulièrement, ce recours fait suite à l’annonce publique par Desjardins que le 20 juin 2019, un ex-employé a volé et transmis à de tierces parties des renseignements personnels et confidentiels de millions de ses membres et clients, incluant leurs noms, dates de naissance, numéros d’assurance sociale, de même que certains renseignements sur leurs habitudes transactionnelles et les produits qu’ils détiennent.
[3] L’Entente de règlement[1] intervenue entre les parties prévoit que Desjardins paiera, suivant un processus de recouvrement individuel, une somme pouvant aller jusqu’à 200 852 500,00$ au bénéfice des demandeurs et des membres du groupe, en plus d’autres mesures comme l’abonnement au service de surveillance du crédit effectuée par Equifax pour une période de 5 ans et des mesures de protection additionnelles pour la même période.
[4] Il est aussi convenu qu’aucune déduction ne sera effectuée sur les indemnités payables aux membres du groupe à titre de frais d’administration, de frais de publication d’avis ou d’honoraires d’avocats du Groupe, ces frais étant assumés entièrement par Desjardins qui s’est adjoint l’entreprise RicePoint administration inc. (RicePoint) comme administrateur des réclamations, dont elle assume aussi les frais.
[5] Les parties ne s’entendent toutefois pas sur le montant des honoraires des avocats qui devront être assumés par Desjardins et elles demandent au tribunal de trancher cet aspect du litige.
[6] Cependant, l’intention des parties exprimée au paragraphe 66 de l’Entente de règlement étant que celle-ci ne soit pas conditionnelle à l‘approbation des honoraires judiciaires et extrajudiciaires et des déboursés des avocats du Groupe, il convient dans l’intérêt des membres du groupe, de rendre deux jugements distincts pour ne pas affecter l’exécution du jugement sur l’approbation de l’Entente de règlement, dans l’hypothèse où celui sur l’approbation des honoraires des avocats du Groupe serait porté en appel, vu l’article
Le contexte
[7] Le 20 juin 2019, Desjardins annonce publiquement qu’un ex-employé a volé et transmis à de tierces parties des renseignements personnels et confidentiels de 2 700 000 de ses membres et clients.
[8] Ce même jour, le cabinet Siskinds Desmeules dépose au nom de Mme Nathalie Boulay, une demande pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective et pour que cette dernière obtienne le statut de représentante dans le présent dossier, alors que le cabinet Kugler Kandestin dépose une « Application for autorization to institute a class action » dans le dossier de Cour portant le numéro 500-06-001009-196 du district judiciaire de Montréal (Dossier 196)[2].
[9] Le 17 janvier 2020, le cabinet Siskinds Desmeules dépose au présent dossier une demande pour obtenir la permission de modifier sa demande d’autorisation, les modifications recherchées visant notamment à ajouter les demandeurs Samuel Boyer, Mathieu Beauchemin et Hugo Langlois (ce dernier étant aussi demandeur à la demande d’autorisation déposée dans le dossier 196), et à ajouter à titre de co-avocat en demande le cabinet Kugler Kandestin, les deux cabinets d’avocats étant désignés « les avocats du Groupe ».
[11] À partir du 3 décembre 2020, les parties tiennent, en présentiel et virtuellement, des séances de médiation sous la présidence de l’ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l’Honorable François Rolland. À l’issue de cette médiation, les parties procèdent le 6 décembre 2020 à la signature d’une entente de principe prévoyant le règlement de l’action collective[3].
[12] Au cours des mois qui suivent la signature de cette entente de principe, les parties poursuivent leurs négociations afin de convenir des modalités et détails du règlement, dont la procédure de réclamation, la désignation de l’administrateur des réclamations, le processus d’administration, le contenu et la forme des avis aux membres, les modes de publication de ceux-ci, ainsi que le contenu et la forme des formulaires de réclamation en ligne et papier. L’Entente de règlement est signée les 14 et 15 décembre 2021.
[13] Le 7 février 2022, le tribunal rend un jugement autorisant l’exercice de l’action collective contre Desjardins, attribuant aux demandeurs le statut de représentants et définissant le groupe visé par l’Entente de règlement comme suit :
Toute personne dont les informations personnelles détenues par la Fédération des Caisses Desjardins du Québec ont été transmises sans autorisation suite au vol de données divulgué publiquement le 20 juin 2019.
[14] Dans les 30 jours de ce jugement, un avis approuvé par le tribunal est acheminé, par l’entremise du service AccèsD, à chacun des membres du groupe possédant un compte AccèsD avec Desjardins. Cet avis est aussi publié dans plusieurs journaux, afin d’informer les membres du groupe de la date de l’audition de la présente demande d’approbation de l’Entente de règlement, de leur droit d’exclusion et de la procédure à suivre à cet égard, ainsi que leur droit de faire valoir des représentations, le cas échéant.[4]
[15] À la suite de la publication de cet avis, 458 formulaires d’exclusion ont été acheminés à RicePoint et 24 objections ont été formulées[5].
Questions en litige
[16] Le tribunal doit donc déterminer dans un premier temps si l’Entente de règlement intervenue entre les parties est juste, raisonnable et dans l’intérêt des membres du groupe.
[17] À ce propos, le tribunal est d’avis que tel est le cas et que la demande d’approbation de l’Entente de règlement doit être approuvée.
Analyse et décision
L’Entente de règlement proposée par les parties est-elle juste, raisonnable et dans l’intérêt des membres du Groupe?
[18] L’article
[19] À cet égard, le rôle du tribunal est de s’assurer que l’Entente de règlement intervenu entre les parties est juste, équitable et dans le meilleur intérêt des membres du groupe[6]. Récemment, le juge Martin F. Sheehan de la Cour supérieure s’exprimait ainsi dans l’affaire Option Consommateurs c. Meubles Léon ltée[7] :
[32] Bien que l’article
[Références omises]
[20] Les critères retenus qui doivent guider le tribunal appelé à approuver une transaction, sont énoncés notamment dans l’affaire Pellemans c. Lacroix[8], par le juge André Prévost de la Cour supérieure :
- Les probabilités de succès du recours;
- L’importance et la nature de la preuve administrée;
- Les termes et les conditions de la transaction;
- La recommandation des procureurs et leur expérience;
- Le coût des dépenses futures et la durée probable du litige;
- La recommandation d’une tierce personne neutre, le cas échéant;
- Le nombre et la nature des objections à la transaction;
- La bonne foi des parties;
- L’absence de collusion.
[21] À ce propos, le juge Prévost ajoute :
[21] L’analyse de ces critères constitue un exercice délicat puisque l’habituel débat contradictoire fait place à l’unanimité des parties qui ont signé la transaction et qui ont tout intérêt à la voir approuver par le tribunal. D’une part, le juge n’a généralement qu’une connaissance limitée des circonstances et des enjeux du litige. D’autre part, il doit en principe encourager le règlement des litiges par la voie de la négociation, ceci étant généralement dans le meilleur intérêt des parties. Le tribunal doit donc se montrer vigilant.[9]
2. Application au présent cas
[22] Il convient de reprendre les critères applicables au présent litige afin de déterminer si l’Entente de règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt des membres du groupe.
2.1 Les probabilités de succès du recours
[23] L’Entente de règlement étant intervenue au début du processus et sans même qu’il n’y ait eu un débat au regard de la demande d’autorisation du recours, il est difficile d’en évaluer les chances de succès. Aucune preuve n’a été administrée et il n’y a pas eu de débat contradictoire portant sur les questions de droit en litige.
[24] Par ailleurs, les demandeurs réfèrent le tribunal à l’affaire Lamoureux c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM)[10], dans laquelle la juge Florence Lucas de la Cour supérieure rejette une demande d’action collective, où l’on invoquait que l’oubli d’un ordinateur portable non crypté et contenant des renseignements personnels de milliers d’investisseurs canadiens avait pu occasionner à ces derniers du stress, de l’anxiété, de l’inquiétude ainsi que des inconvénients en perte de temps et des dépenses occasionnées par des mesures de protection mises en place à la suite de l’incident. La juge Lucas s’exprime ainsi :
[86] Avec égard, les minutes, voire l’heure et les dérangements occasionnés aux membres, même abordés différemment par chacun, ne représentent pas des conséquences significatives indemnisables. Aux yeux du tribunal, il constitue un moindre mal pour sécuriser les dossiers de crédit des investisseurs, en leur évitant des inconvénients plus importants liés à la fraude ou d’usurpation d’identité en général, une réalité incontournable de notre société, même en 2013.
[…]
[88] Le tribunal estime donc que ces démarches somme toute succinctes et momentanées n’excèdent pas les inconvénients normaux que toute personne, qui interagit en société au XXIe siècle, rencontre et devrait être tenue d’accepter.
[…]
[96] En définitive, le tribunal estime qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, les craintes ressenties et inconvénients subis par les membres depuis l’incident entrent dans la catégorie des troubles ordinaires de la vie en société et ne sauraient constituer des dommages susceptibles d’être indemnisés.
[25] Dans l’arrêt Sofio c. Organisme canadien de la réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM)[11], la Cour d’appel confirme le juge de première instance qui, au regard de la perte d’un ordinateur par un employé de l’organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, a estimé que malgré la faute de cet organisme, l’appelant « n’a pas établi l’existence d’un préjudice moral tangible et susceptible de compensation monétaire ». Elle note qu’il conclut certes à des allégations démontrant l’existence de contrariétés, sans pour autant y voir là un préjudice compensable au sens de l’arrêt Mustapha c. Culligan du Canada ltée[12]. La Cour d’appel ajoute que « nul n’est besoin de dire qu’une faute ne cause pas ipso facto un préjudice, même moral. Il en est de même de la perte fautive de renseignements personnels, bien qu’elle soit susceptible de porter atteinte aux droits à la vie privée des victimes » (par.21).
[26] Cela dit, au moment où le présent recours est introduit en juin 2019, car c’est à cette date qu’il faut se placer pour en évaluer les probabilités de succès, on ne peut nier qu’il existait alors un risque que la présente action collective ne soit pas autorisée, ce qui aurait eu pour effet qu’aucun membre du groupe ne reçoive de compensation, à moins qu’il introduise lui-même un recours avec les difficultés que cela comporte.
[27] De plus, outre la question de l’incertitude des dommages qu’auraient pu réclamer les membres du groupe en raison de la perte de renseignements personnels, s’ajoute la difficulté de démontrer le lien causal entre la faute qu’aurait pu commettre Desjardins, s’il en est, et les dommages subis. Non seulement cette démonstration est difficile à faire de façon générale, mais encore plus pour la personne seule qui ne dispose pas nécessairement des moyens pour effectuer une telle démonstration.
[28] Cela étant, le tribunal estime que ce premier critère est rempli.
2.2 Le coût anticipé et la durée probable du litige
[29] Il ne fait pas de doute pour le tribunal qu’un litige de cette envergure, qui implique des millions de membres et la nécessité d’une preuve exhaustive, de part et d’autre, considérant les questions en litige qui auraient pu être débattues, aurait donné lieu à un procès de plusieurs semaines. La preuve de la transmission des données personnelles des membres et du vol de leur identité, de l’utilisation qui a pu en être faite et les conséquences qui s’ensuivent au chapitre des dommages subis, pouvaient s’avérer d’une ampleur considérable, sans compter les incidents qui auraient pu survenir et les appels prévisibles, que ce soit après un jugement au mérite de l’affaire, ou même en cours d’instance, considérant la nature des questions soulevées, notamment au regard de la confidentialité des données personnelles et des pratiques de Desjardins.
[30] Ce faisant, il est clair que la tenue d’un procès de cette envergure aurait nécessité une preuve importante, d’autant plus que les enjeux en cause sont aussi très importants. Le nombre de membres visé par le recours (9 700 000), de même que les situations particulières propres à chacun des membres auraient aussi nécessité la présence de nombreux témoins et le dépôt d’une preuve documentaire exhaustive.
[31] Ce critère est aussi rempli.
2.3 Les modalités, les termes et les conditions de la transaction
[32] À ce chapitre, le tribunal croit utile de reproduire les principaux avantages conférés aux membres du groupe en vertu de l’Entente de règlement, tels qu’énoncés au paragraphe 41 de la demande pour approbation de l’Entente de règlement et des honoraires des avocats du Groupe, qui résume bien la transaction :
a. Tous les membres du Groupe, soit environ 9,7 millions de personnes, sont éligibles à bénéficier de l’Entente de règlement;
b. Une somme de 200 852 500 $ pourrait être versée par Desjardins en indemnités directes aux membres du Groupe. À la connaissance des avocats du Groupe, jamais une somme aussi importante n’a été prévue dans le cadre d’un règlement d’une action collective intentée au Québec, ou même au Canada, en lien avec une fuite de renseignements personnels;
c. L’Entente de règlement permet aux membres du Sous-groupe 1 d’obtenir une indemnité pouvant aller jusqu’à 90 $ par membre afin de compenser la perte de temps découlant de la Fuite de données. L’Entente de règlement prévoit plusieurs Actions compensables et définit ces dernières de façon non exhaustive, le tout afin de permettre au plus grand nombre possible de membres du Groupe d’obtenir des indemnités pour la perte de temps engendrée par la Fuite de données;
d. Aucune preuve documentaire n’est exigée de la part d’un membre du Groupe déposant une réclamation pour perte de temps (Sous-groupe 1) (outre sa déclaration solennelle que la réclamation est véridique);
e. L’Entente de règlement prévoit une indemnité forfaitaire importante d’une somme de 1 000 $ (sous réserve d’une réduction au prorata tributaire du nombre de réclamations acceptées) pour chacun des membres du Groupe victime d’un Vol d’identité (Sous-groupe 2), ce qui est généralement la conséquence ultime découlant d’une fuite de renseignements;
f. En vertu de l’Entente de règlement, un membre du Groupe peut soumettre une variété de documents afin de démontrer qu’il a été victime d’un Vol d’identité depuis le 1er janvier 2017, dont notamment des captures d’écran, le tout afin de faciliter sa réclamation;
g. Avantage considérable de l’Entente de règlement, le membre du Groupe qui réclame une indemnité pour Vol d’identité n’a pas besoin de faire la preuve du lien causal entre son Vol d’identité et la Fuite de données, ou de l’existence de dommages;
h. Tous les membres du Groupe pourront compléter et soumettre leur réclamation directement en ligne, ou par courrier, via un Formulaire de réclamation simple, facile à comprendre et facile à remplir;
i. Dans le cas des nombreux membres du Groupe qui recevront un Avis explicatif via AccèsD, il leur sera possible d’accéder au Formulaire de réclamation pré complété via un hyperlien sécurisé unique contenu directement à l’Avis explicatif, facilitant encore plus la démarche de réclamation;
j. Dans le cas des nombreux membres du Groupe qui recevront un Avis explicatif directement par courrier, ils bénéficieront d’un code d’identification unique à être utilisé sur le Site des réclamations, facilitant encore plus la démarche de réclamation;
k. Desjardins n’a aucun droit de contestation relativement aux indemnités qui seront versées par RicePoint aux membres du Groupe;
l. En plus des indemnités directes pouvant aller jusqu’à plus de 200 millions de dollars, l’Entente de règlement prévoit que les membres du Groupe qui n’y ont pas encore souscrit disposeront d’une période d’un an à compter de la fin de la Période de diffusion de l’Avis explicatif pour s’abonner, entièrement aux frais de Desjardins, à la Protection Equifax pour une durée de cinq (5) ans;
m. L’Entente de règlement garantit de plus aux membres du Groupe que les Mesures de Protection seront maintenues en place pour une durée minimale de cinq (5) ans, sans possibilité pour Desjardins d’en modifier les modalités. Il s’agit d’un bénéfice important de l’Entente de règlement, puisque de cette façon, les membres du Groupe sont assurés de pouvoir notamment se prévaloir des services suivants au cours des cinq (5) prochaines années : une protection de tous les actifs et comptes détenus chez Desjardins, la possibilité d’accéder gratuitement à la cote de crédit et au dossier de crédit tenus par TransUnion via AccèsD, des mesures d’accompagnement dans les démarches de restauration d’identité et une assistance 24/7 à cet égard, de même que le remboursement du coût de certaines de ces démarches de restauration;
n. Les honoraires des Avocats du Groupe, les Frais d’administration (qui seront publiquement divulgués à la fin du processus de réclamation et qui sont estimés par les Avocats du Groupe à plusieurs millions de dollars étant donné l’ampleur du dossier) et les Frais de publication seront entièrement assumés par Desjardins, en sus du Montant de règlement et de toute autre somme payable par Desjardins en vertu de l’Entente de règlement, de sorte que les indemnités versées aux membres du Groupe ne seront amputées d’aucun frais, à l’exception des montants obligatoirement perçus par le Fonds d’aide;
(…)
[33] Le tribunal retient principalement de ces avantages, la somme de 200 852 500,00$ qui pourra être versée aux membres du groupe par Desjardins à titre d’indemnité directe ainsi que, le paiement par Desjardins, des honoraires des avocats du Groupe et des frais d’administration inhérents au processus de réclamation au surplus, sans que cela n’affecte la somme globale versée aux membres du groupe. De cette somme globale destinée aux membres, des indemnités pouvant aller jusqu’à 90,00$ par membre sont offertes pour compenser la perte de temps découlant de la fuite de données, tandis que des indemnités forfaitaires de 1 000,00$ sont disponibles pour les membres du groupe qui ont été victimes d’un vol d’identifié depuis le 1er janvier 2017.
[34] Il faut aussi noter qu’aucune preuve documentaire n’est exigée auprès d’un membre du groupe qui dépose une réclamation pour perte de temps, alors que celui qui réclame pour vol d’identité, n’a pas besoin de faire la preuve du lien causal entre le vol d’identité et la fuite de données ou les dommages occasionnés.
[35] De plus, l’Entente de règlement vise à faciliter la production par les membres du groupe de leur réclamation, notamment par le dépôt en preuve d’une simple déclaration assermentée pour les membres du sous-groupe 1, tandis que pour ceux du sous-groupe 2, il est prévu d’accepter tout mode de preuve établissant qu’il a été victime d’un vol d’identité, même par simple capture d’écran.
[36] Enfin, les mesures de protection mises en place par Desjardins dès qu’elle a été mise au courant de ce vol de données, maintenues pour une durée minimale de 5 ans, constituent aussi un avantage important pour les membres du groupe qui n’ont pas à payer pour bénéficier de ces services. Il s’agit entre autres des mesures de protection propres à Desjardins en plus de la possibilité de s’inscrire à la protection Equifax.
[37] En somme, le tribunal est d’avis que l’Entente de règlement intervenue entre les parties se qualifie aussi au regard de ce critère.
2.4 La nature et le nombre d’objections à la transaction
[38] Comme vu précédemment, 24 objections ont été formulées et transmises à l’administrateur des réclamations nommé par le tribunal, RicePoint.
[39] Essentiellement, les préoccupations exprimées par les opposants concernent l’absence d’admission de responsabilité de Desjardins, la portée très large de la quittance, la durée trop limitée dans le temps du service de surveillance offert alors que le dommage causé pourrait perdurer toute la vie des membres, la faiblesse du volet réparation à leur endroit et la lourdeur du processus de réclamation, alors que les parties auraient pu choisir un mode de distribution moins contraignant pour les membres, soit le recouvrement collectif.
[40] Trois personnes se sont exprimées devant le tribunal à ce sujet et ont fait part de leurs interrogatoires et de leur opposition à l’approbation de l’Entente de règlement.
[41] Le tribunal a pris connaissance des motifs soulevés par les opposants et est conscient qu’à certains égards, il peut demeurer des irritants à l’Entente de règlement. À titre d’exemple, certains opposants ont déploré que la protection offerte par Desjardins et Equifax soit d’une durée limitée dans le temps, alors que des dommages pourraient encore survenir au-delà de ce délai.
[42] À ce propos, Desjardins précise que la protection offerte des actifs détenus chez elle, soient les transactions financières effectuées chez Desjardins et les actifs détenus, sont entièrement protégés, sans montant maximum pour cette protection, qui demeure illimitée. Desjardins ajoute que la protection inclut également l’accompagnement en cas de vol d’identité avéré, que ce soit par les avocats spécialisés chez Desjardins ou par des équipes dédiées chez Equifax, afin de faciliter les démarches de restauration et d’identité.
[43] Certains ont aussi mentionné que la protection Equifax implique que des clients partagent leurs données avec un nouvel organisme, lequel aurait aussi fait l’objet de fuite de données par le passé. À ce sujet, Desjardins indique que les membres demeurent libres de se prévaloir ou non du service de surveillance de crédit Equifax et que de toute façon, cette entreprise possède déjà les renseignements personnels de personnes ayant un dossier de crédit.
[44] Quant au montant offert qui apparaît insuffisant pour plusieurs opposants, il faut reconnaître que le montant de 90,00$ pour compenser la perte de temps se situe dans la moyenne de ce qui est attribué en pareil cas et va même au-delà, si l’on se réfère à quelques décisions rendues par les tribunaux sur cette question.[13]
[45] En ce qui concerne le montant de 1 000,00$ octroyé aux victimes de vol d’identité, le tribunal est conscient qu’il peut exister des situations où le versement d’une telle somme ne compensera pas tous les dommages qu’aurait pu subir la victime. Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’il s’agit d’un compromis et que d’une façon générale, la somme de 1 000,00$ distribuée à un nombre important de membres du groupe constitue quand même une indemnité raisonnable.
[46] Il est vrai par ailleurs que l’Entente de règlement intervenue fera en sorte qu’il n’y aura pas de procès et que toute la lumière sur cette affaire n’aura pas été faite. Soulignons que c’est souvent le cas lorsqu’un règlement intervient dans une affaire, mais il faut savoir qu’en pareille matière, un procès au mérite peut s’avérer long et couteux, d’autant plus que l’issue est incertaine.
[47] En somme, le tribunal estime que les griefs que font valoir les opposants sont sérieux, mais que dans l’ensemble, l’Entente de règlement proposée procure des avantages aux membres du groupe qui favorisent l’approbation de celle-ci. La somme de plus de 200 852 500,00$ disponible pour compenser les dommages subis permettra à un grand nombre de personnes d’en bénéficier, malgré qu’elle ne puisse compenser dans certains cas tous leurs dommages.
[48] Bien qu’il ne s’agisse pas d’une objection formulée par le Fonds d’aide aux actions collectives, il convient quand même d’ajouter quelques mots concernant les remarques qu’il a transmises au tribunal à propos de l’Entente de règlement.
[49] La première est à l’effet que ce ne serait pas nécessairement dans l’intérêt des membres qu’ils soient indemnisés sur la base d’un recouvrement individuel et qu’il aurait été préférable qu’ils le soient sur la base d’un recouvrement collectif. Il souligne par contre que les avocats du Groupe seront avantagés, étant payés rapidement en un seul versement et sans devoir attendre l’issue du processus de réclamation.
[50] Cette remarque rejoint en partie des commentaires formulés par des opposants à l’Entente de règlement, qui auraient souhaité que tous les membres du groupe reçoivent une indemnité, sans qu’ils aient à formuler une demande auprès de Desjardins, puisque cet organisme détient déjà leurs coordonnées.
[51] En réponse à ces commentaires et remarques, les procureurs du Groupe font valoir que le but était d’indemniser d’abord les personnes qui ont fait des démarches pour s’informer, que ce soit auprès de Desjardins ou d’Equifax, afin d’être rassurés et de connaître l’état de leur situation au regard du vol de données au sein de Desjardins. Dans la mesure où ces personnes ont consacré du temps pouvant aller jusqu’à 5 heures, elles méritent d’être indemnisées jusqu’à concurrence de 90,00$, ce qui ne serait pas le cas de celles qui n’ont entrepris aucune démarche.
[52] Cette explication est raisonnable et le tribunal est aussi d’avis que vu le grand nombre de membres qui composent le groupe, estimé à 9,7 millions par les avocats du Groupe, il fallait trouver une façon d’indemniser adéquatement les membres qui ont pris du temps pour effectuer les démarches et en l’espèce, la solution appropriée était qu’ils fassent eux-mêmes une demande en remplissant un formulaire facilement accessible.
[53] Le Fonds d’aide aux actions collectives s’interroge également sur les sommes maximales susceptibles d’être déboursées pour les deux sous-groupes, en fonction du nombre de membres qui pourraient produire une réclamation. Il est vrai que dans l’hypothèse où tous les membres visés produiraient une réclamation, l’indemnité versée à chaque membre serait diminuée d’autant. Toutefois, il faut reconnaître que ce ne sont pas tous les membres qui ont effectué des démarches pour s’informer et qui seront admissibles à l’indemnité d’une part, et d’autre part, bien qu’ils puissent être admissibles, il est généralement reconnu que le pourcentage de réclamation se situe entre 40 et 65% en matière d’action collective, comme le souligne le Fonds d’aide aux actions collectives dans ses remarques.
[54] De fait, une incertitude demeure quant au nombre de membres qui vont produire une réclamation, quoique le nombre de personnes qui se sont prévalues de la protection d’Équifax après l’annonce de la fuite de données, excède 1 500 000 membres et clients de Desjardins. Personne n’est en mesure de déterminer leur nombre exact, mais il est à souhaiter que le plus grand nombre en bénéficie et il faut compter sur la diffusion des avis ainsi que sur les mesures prises pour faciliter la formulation des demandes.
[55] Par ailleurs, il faut reconnaître que selon l’Entente de règlement, le seul poste qui ne sera pas affecté proportionnellement par le nombre de réclamations est celui des honoraires des avocats. C’est le mode de paiement retenu et vu le grand nombre de personnes visées par le recours et le travail éventuellement requis pour les accompagner au besoin, cette façon de procéder prévue à l’article
[56] Encore là, le tribunal constate que les objections formulées ne mettent pas en doute la justesse et l’équitabilité de l’Entente.
2.5 Recommandations des avocats d’expérience
[57] Les trois cabinets d’avocats impliqués par le présent dossier, spécialisés dans le domaine des actions collectives, recommandent l’acceptation de l’Entente de règlement qu’ils considèrent juste et raisonnable. Il convient de noter également que celle-ci est intervenue après des séances de médiation présidées par l’ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l’Honorable François Rolland. Le tribunal est aussi d’avis que ces éléments jouent en faveur de l’approbation de l’Entente de règlement.
2.6 La bonne foi des parties et l’absence de collusion
[58] Il n’y a pas de doute pour le tribunal que cette Entente de règlement a été négociée de bonne foi par les parties, et ce, en présence de l’ancien juge en chef de la Cour supérieure, l’Honorable François Rolland, tel que précédemment souligné.
[59] La fuite de données chez Desjardins a créé une commotion dans le milieu financier et auprès des membres de Desjardins. Cette dernière a pris immédiatement des mesures pour accompagner ses membres et les rassurer, afin de limiter les dégâts qui pourraient résulter de la fuite des données et du vol d’identité de plusieurs de leurs membres. La présente Entente de règlement s’inscrit dans la foulée de ces mesures.
Conclusion
[60] Les critères applicables pour l’approbation d’une Entente de règlement en matière d’action collective étant remplis, il convient d’approuver la présente entente de règlement qui s’avère juste, raisonnable et dans l’intérêt des membres.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
QUANT À L’APPROBATION DE L’ENTENTE FINALE DE RÈGLEMENT
[61] APPROUVE l’Entente finale de règlement Pièce R-1 dans son intégralité, incluant les Annexes, dont le protocole d’administration que l’on retrouve à l’Annexe 5;
[62] DÉCLARE que l’Entente finale de règlement est raisonnable, équitable, adéquate et dans le meilleur intérêt des membres du Groupe;
[63] ORDONNE aux parties de se conformer aux termes et conditions de l’Entente de règlement;
[64] DÉCLARE que l’Entente finale de règlement lie tous les membres du Groupe qui ne se sont pas dûment exclus de l’Action collective;
[65] DÉCLARE, conformément au paragraphe 49 de l’Entente finale de règlement, qu’avec effet à la date du présent jugement sur la Demande, qu’en contrepartie des engagements contenus à l’Entente finale de règlement, les Renonciataires donnent quittance complète et finale en faveur des Parties quittancées, et les libèrent et les dégagent, totalement, entièrement et pour toujours, à l’égard de toutes les Réclamations quittancées;
[66] CONFIRME la désignation de RicePoint Administration Inc. à titre d’Administrateur des réclamations dans le cadre de l’Entente de règlement, investi de tous les pouvoirs, devoirs et obligations prévus à l’Entente de règlement, y compris à ses Annexes;
[67] ORDONNE à RicePoint Administration Inc. de préserver la confidentialité de toute information concernant les membres du Groupe, conformément aux paragraphes 46 à 48 de l’Entente de règlement;
[68] AUTORISE la défenderesse à transmettre à RicePoint Administration Inc. certaines informations concernant les membres du Groupe conformément à l’Entente de règlement et pour les seules fins prévues à celles-ci, et ORDONNE que la défenderesse soit relevée de toute autre obligation de confidentialité prévue par les lois applicables ou en vertu d’un secret ou d’un privilège applicable, et ce, aux seules fins de permettre cette transmission, le tout en conformité avec le paragraphe 48 de l’Entente de règlement;
[69] APPROUVE substantiellement la forme et le contenu du Formulaire de réclamation (Annexe 3 de l’Entente de règlement);
[70] DÉCLARE que les membres du Groupe qui souhaitent déposer une réclamation doivent le faire conformément aux modalités prévues à l’Entente de règlement et en remplissant le Formulaire de réclamation (Annexe 3 de l’Entente de règlement);
[71] DÉCLARE que toutes les réclamations des membres du Groupe doivent obligatoirement être transmises à RicePoint dans les délais prévus à l’Entente de règlement, sous peine de rejet;
[72] APPROUVE substantiellement la forme, le contenu et les modes de diffusion de l’Avis explicatif (Annexe 8 de l’Entente de règlement);
[73] ORDONNE la publication de l’Avis explicatif conformément aux modalités de l’Entente finale de règlement;
[74] FIXE au 21 juillet 2022, la date de départ de la période de diffusion de l’Avis explicatif;
[75] LE TOUT, sans frais de justice.
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| __________________________________CLAUDE BOUCHARD, j.c.s. | |
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Me Karim Diallo Me Claude Desmeules Me Francis-Olivier Angenot-Langlois SISKINDS DESMEULES Casier 15 Avocats des demandeurs | ||
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Me David Stolow Me Jérémie Longpré Me Alexandre Brosseau-Wery KUGLER KANDESTIN 1, place Ville-Marie, bureau 1170 Avocats des demandeurs | ||
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Me Nathalie Guilbert Palais de justice de Montréal 1, rue Notre-Dame Est, bureau 10.30 Montréal (Québec) H2Y 1B6 Avocate du Fonds d’aide aux actions collectives | ||
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Me Mason Poplaw Me Isabelle Vendette Me Samuel Lepage Me Amélie Boucher McCARTY TÉTRAULT 1000, rue de la Gauchetière Ouest, bureau 2500 Montréal (Québec) H3B 0A2 Avocats de la défenderesse | ||
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Date de l’audience : | Les 24 et 25 mai 2022 | |
[1] Pièce R-1
[2] Pièce R-3.
[3] Annexe 1 de l’Entente de règlement.
[4] Pièce R-4.
[5] Pièce R-9, Déclaration assermentée de M.Luc Poulin, gestionnaire, 16 mai 2022.
[6] Pellemans c. Lacroix, 2011, QCCS, 1345, par. 19-20.
[7]
[8] Préc., note 6, par. 20
[9] Id., par. 21
[10]
[11]
[12]
[13] Zuckerman c. Target Corporation,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.