Décision

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Date :

L.O. c. Excellence (L'), compagnie d'assurance-vie

2013 QCCAI 37

 

Commission d’accès à l’information du Québec

Dossier :             11 17 84

Date :                   Le 31 janvier 2013

Membre:             Me Lina Desbiens

 

L... O...

 

Demanderesse

 

c.

 

L’EXCELLENCE, COMPAGNIE

D’ASSURANCE VIE

 

Entreprise

DÉCISION

OBJET

DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1].

[1]          Le 6 juillet 2011, Mme L... O... (la demanderesse), par l’intermédiaire de son avocat, demande à L’Excellence, compagnie d’assurance vie (l’entreprise), son dossier complet d’assurée ainsi que son contrat d’assurance.

[2]          Le 16 août 2011, l’entreprise refuse la communication des documents au motif de l’imminence d’un recours judiciaire contre elle.

[3]          Insatisfaite, la demanderesse s’adresse à la Commission d’accès à l’information (la Commission).

[4]          Une audience se tient à Joliette le 22 novembre 2012 en présence des parties.

AUDIENCE

[5]          La demanderesse est représentée par Me André Laporte et Me Mélanie Dath représente l’entreprise.

[6]          Me Dath remet à l’audience une copie du contrat d’assurance à la demanderesse et dépose sous pli confidentiel le dossier détenu par l’entreprise la concernant[2].

[7]          La demanderesse a souscrit une police d’assurance invalidité auprès de l’entreprise par l’intermédiaire de son courtier d’assurance, M. Mario Fortier. Cette police est en vigueur depuis le 2 novembre 2007.

[8]          À la suite d’un accident du travail subi le 4 juillet 2010, la demanderesse est indemnisée par l’entreprise. Le 3 février 2011, l’entreprise lui transmet un chèque de 1 100 $ couvrant la période du 26 septembre au 26 octobre 2011 et l’informe de la cessation du versement de son indemnisation (E-1) :

Suite à la révision de votre dossier par notre médecin-conseil, nous désirons vous aviser que nous ne pouvons allouer de prestation additionnelle pour cette invalidité puisque les informations médicales soumises ne justifient pas d’incapacité totale au-delà du 26 octobre 2010.

Si vous êtes en désaccord avec notre décision, veuillez demander à votre médecin de communiquer avec le nôtre, le jeudi, au numéro de téléphone ci-dessous.

[9]          La demanderesse s’adresse à son courtier afin de connaître le motif pour lequel l’assureur a mis fin à ses prestations.

[10]       L’entreprise répond à la demanderesse le 6 mai 2011 qu’à la suite de la conversation entre son médecin et celui de l’entreprise, il y a eu une révision de son dossier et la décision de ne plus verser d’indemnité est maintenue (en liasse E-2). Dans cette dernière lettre, il est mentionné que pour demander la révision de la décision, une copie d’une consultation médicale en orthopédie et un protocole opératoire devront être fournis.

[11]        La demanderesse indique que l’analyste de l’entreprise, responsable de son dossier, lui aurait dit que, selon leur médecin, elle n’était pas suffisamment blessée pour être indemnisée.

[12]       Elle a fait une demande pour obtenir son dossier complet parce qu’elle veut comprendre la décision de l’entreprise. Elle dit ne pas avoir l’intention d’entreprendre de procédures judiciaires, d’ailleurs aucune mise en demeure ni procédure n’ont été transmises à l’entreprise.

[13]       L’entreprise refuse de transmettre l’ensemble du dossier et mentionne dans sa réponse que : « selon la législation applicable et l’imminence d’un recours juridique envers l’Excellence, cette dernière est en droit de refuser de vous communiquer les documents détenus à son égard ».

[14]       Me Dath explique que selon l’entreprise, lorsqu’il y a refus de verser des indemnités et que l’assuré fait une demande d’informations supplémentaires, l’entreprise considère qu’il y a un risque de procédure judiciaire.  De plus, l’entreprise a reçu la demande par l’intermédiaire d’un avocat et le dossier démontrait une divergence d’opinions entre médecins, justifiant que les documents soient refusés.

[15]       Me Laporte souligne qu’il n’y a aucune preuve de risque imminent de procédure judiciaire ni aucune indication sérieuse à cet effet[3]. La demanderesse veut savoir ce que détient l’entreprise à son égard. Il n’y avait aucun indice sérieux de procédure lors de la demande en juillet 2011. Il soutient que l’entreprise n’a pas rempli son fardeau de preuve.

ANALYSE

[16]       Le droit d’accès de la demanderesse est prévu à l’article 27 de la Loi sur le privé qui édicte que :

27.       Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant.

[17]       L’entreprise refuse de communiquer le dossier d’assurée de la demanderesse au motif que la divulgation des renseignements pourrait avoir un effet sur procédure judiciaire, restriction prévue à l’article 39 (2) de la Loi sur le privé :

39.       Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement:

[…]

 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt.

[Soulignements ajoutés]

[18]       La Cour supérieure, dans l’affaire Personnelle-vie (la), corp. d’assurance c. Cour du Québec[4], a établi que pour être applicable, cette disposition requiert la démonstration des éléments suivants :

i)     Le dossier renferme des renseignements personnels sur la personne qui en fait la demande;

ii)    Le refus doit être en lien avec des procédures judiciaires;

iii)   La divulgation du renseignement risque vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire;

iv)   Le risque de procédures judiciaires et l’effet de la divulgation doivent être évalués au moment de la décision de l’entreprise de refuser l’accès au renseignement demandé.

[19]        L’entreprise a le fardeau de prouver que les conditions d’application de l’article 39 (2) sont satisfaites.

Le dossier renferme des renseignements personnels sur la personne qui en fait la demande

[20]       En l’espèce, la première condition ne pose pas de problème. D’ailleurs, dans sa réponse (E-3), l’entreprise indique :

Nous désirons cependant vous informer que les documents utilisés par l’Excellence afin de prendre une décision, sont des documents transmis soit par l’assurée même ou bien par l’intermédiaire de son courtier, monsieur Mario Fortier. A également été reçu, le dossier de votre cliente auprès de la CSST.

[21]       La Commission a pris connaissance de l’ensemble des documents déposés sous pli confidentiel et constate qu’ils contiennent des renseignements personnels concernant la demanderesse.

Le refus doit être en lien avec des procédures judiciaires

[22]       Il ressort de la preuve présentée qu’aucune procédure judiciaire n’a été intentée, que la demanderesse n’a transmis aucune mise en demeure et dans son témoignage, elle a affirmé ne pas avoir l’intention d’en entreprendre.

[23]       D’autre part, la représentante de l’entreprise a expliqué que lorsqu’il y a une demande d’informations supplémentaires à la suite d’un refus de verser une indemnité, l’entreprise conclut systématiquement qu’il y a un risque de procédure judiciaire. Elle soutient que la Commission devrait conclure à l’imminence d’une procédure judiciaire puisqu’il y a un différend entre les parties, que la demanderesse pouvait demander la révision de la décision et qu’elle a mandaté un avocat qui a transmis sa demande d’accès.

[24]       Dans le jugement Personnelle-vie (la), corp. d’assurance c. Cour du Québec, le juge Bergeron précise ce critère de la manière suivante :

Il n’est pas nécessaire que la procédure judiciaire soit effectivement en cours au moment où l’on invoque la restriction. Ce ne doit cependant pas être une simple procédure hypothétique. Il faut des circonstances qui permettent de croire que des procédures seront intentées incessamment. Certaines décisions parlent de procédures prévisibles, probables, imminentes. Il faut qu’il existe au moins un risque de procédures judiciaires, une intention manifestée en ce sens[5].

[Soulignements ajoutés]

[25]       Puis, la Cour du Québec, dans l’affaire SSQ Vie c. Nadeau[6], s’exprime ainsi relativement à l’application de l’article 39 (2) de la Loi sur le privé :

Cette disposition de la loi repose sur le simple bon sens. Lorsque des gens se poursuivent ou s’apprêtent à le faire devant un Tribunal, la divulgation des documents et renseignements pouvant vraisemblablement avoir une incidence sur leurs procédures, doit se faire selon les règles en vigueur devant le Tribunal saisi de cette poursuite, plutôt que selon les dispositions de la Loi sur l’accès.

Encore faut-il que l’on soit en présence de procédures prises ou que l’on s’apprête de prendre. Pour déterminer si l’on est en présence de procédures que l’on s’apprête de prendre, une mise en demeure peut constituer un indice valable, mais rien dans la loi ne l’exige comme condition essentielle. Certaines procédures peuvent être présentées sans mise en demeure et de toute manière, il est plus approprié d’examiner l’ensemble des circonstances de chaque cas, que la seule présente ou non d’une mise en demeure.

[Soulignements ajoutés]

[26]       Peut-on conclure de la preuve présentée qu’il existait, au moment de la demande d’accès, un risque de procédure judiciaire probable ou imminente?

[27]       Il ressort de la preuve présentée que l’entreprise a cessé d’indemniser la demanderesse le 26 octobre 2010 au motif que les informations médicales soumises ne justifiaient pas son incapacité totale au-delà de cette date (E-1). Tel que suggéré dans cette lettre, la demanderesse, par l’intermédiaire de son courtier, a demandé à son médecin de communiquer avec le médecin de l’entreprise pour lui donner des renseignements supplémentaires.

[28]       La demanderesse est avisée le 6 mai 2011 qu’à la suite de la conversation téléphonique entre son médecin et celui de l’entreprise, cette dernière maintient son refus d’émettre des prestations supplémentaires. L’entreprise précise qu’une révision est encore possible en fournissant « une copie de la consultation en orthopédie ainsi que le protocole opératoire » (en liasse E-2).

[29]       Pour l’entreprise, une demande d’accès à un dossier d’assuré, qui pourrait éventuellement donner lieu à une demande de révision de son dossier, démontre un contexte litigieux qui doit donner ouverture à l’application de l’article 39 (2) de la Loi sur le privé.

[30]       La Commission constate que la demanderesse n’est pas satisfaite de la décision de l’entreprise et qu’elle veut savoir quels sont les renseignements obtenus par l’entreprise. Il ressort du témoignage de la demanderesse que son courtier n’est pas en mesure de lui donner plus d’explication que ce qui se trouve dans la lettre de refus. Cette preuve ne permet pas de conclure à un risque de procédure judiciaire imminente.

[31]       Par ailleurs, la demanderesse a utilisé le mécanisme de révision administratif de l’entreprise et ce mécanisme est toujours disponible à la condition de fournir certains renseignements. Le recours au mécanisme de révision administrative de l’entreprise ne démontre pas l’imminence de procédures judiciaires[7].

[32]       Ainsi, il n’y a aucune procédure judiciaire en cours ou probable, mais seulement une demande d’accès à des renseignements personnels. Le fait que la demande d’accès soit rédigée par un avocat peut constituer un indice, mais ne suffit pas en soi pour conclure à une procédure judiciaire imminente.

[33]       Le deuxième critère n’est donc pas satisfait.

La divulgation du renseignement risque vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire

[34]       Au surplus, la Commission ne croit pas que la troisième condition d’application de l’article 39 (2) soit davantage satisfaite.

[35]       En effet, le procureur de l’entreprise a confirmé, tel que mentionné dans sa réponse (E-3), que le dossier est constitué de documents fournis par la demanderesse ou son courtier et par la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Il s’agit de renseignements médicaux fournis par la demanderesse ou avec son autorisation. Il n’y a aucune expertise médicale demandée par le médecin de l’entreprise.

[36]       Aucune preuve n’a été présentée à l’égard de l’existence d’un différend d’interprétation médicale. Seule la réponse du 6 mai 2011 (en liasse E-2) mentionne que :

Nous avons procédé à la révision complète des renseignements médicaux disponibles à votre dossier et pris en considération les points soulevés par votre médecin et nous en somme venus à la conclusion que nous ne pouvons émettre de prestation supplémentaire pour cette demande.

Nous n’affirmons pas que vous n’avez aucune condition médicale. Nous soutenons que le degré d’invalidité ne justifie pas que vous soyez reconnue inapte à effectuer votre travail, de plus votre dossier démontre plusieurs discordances au niveau des symptômes subjectifs versus les observations objectives.

[37]       La procureure de l’entreprise a expliqué que la position de sa cliente est de refuser systématiquement l’accès au dossier de l’assuré dès qu’il y a un refus de verser une indemnité.

[38]       Il ne peut y avoir une application automatique de la restriction à l’accès aux renseignements personnels prévue à l’article 39 (2) de la Loi sur le privé dès qu’il y a cessation d’indemnisation. Encore faut-il que la preuve présentée démontre qu’au moment du traitement de la demande d’accès, il y a une procédure judiciaire en cours ou qui sera intentée incessamment et que la divulgation du renseignement risque vraisemblablement d’avoir un effet sur cette procédure judiciaire.

[39]       En l’espèce, la Commission ne peut conclure à l’imminence d’une procédure judiciaire à la date de la demande d’accès. La preuve présentée n’a pas démontré des indices suffisants permettant de conclure qu’une procédure judiciaire était probable ou imminente à cette date.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[40]       ACCUEILLE la demande d’examen de mésentente.

[41]       ORDONNE à l’entreprise de communiquer à la demanderesse, dans les 30 jours de la réception de la présente décision, une copie complète de son dossier d’assuré.

[42]       CONSTATE que le contrat d’assurance de la demanderesse lui a été remis à l’audience.

LINA DESBIENS

Juge administratif

Laporte & Lavallée

(Me André Laporte)

Avocats de la demanderesse

 

Me Mélanie Dath

Avocate de l’entreprise



[1]     L.R.Q., c. P-39.1, la Loi sur le privé.

[2]     Art. 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission d'accès à l'information, (1984) 116 G.O. II, 4648.

[3]     Karl DELWAIDE et Antoine AYLWIN, Leçons tirées de dix ans d’expérience : la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé du Québec, dans Développement en droit de l’accès à l’information 2005, Barreau du Québec, vol. 233, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 17.

[4]     [1997] C.A.I. 466 .

[5]     Précité, note 4, paragr. 64.

[6]     REJB 2000-22675 .

[7]     R.F. c. Desjardins, assurances générales, CAI 110925, 25 octobre 2012, c. Poitras.

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